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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 13 avril 1999, n° ECOC9910130X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Syndicat départemental des artisans taxis des Alpes-Maritimes, Fédération départementale des taxis des Alpes-Maritimes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

Mme Favre, M. Canivet

Conseiller :

Mme Kamara

Avoué :

SCP Bernabe-Ricard

Avocats :

Mes Couturier, Ponti Simonis di Vallario.

CA Paris n° ECOC9910130X

13 avril 1999

Saisi par le ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur de pratiques relevées dans le secteur du transport scolaire de handicapés dans les Alpes-Maritimes à l'occasion des appels de candidatures pour les années scolaires 1994/1995 et 1995/1996, le Conseil de la concurrence (ci-après le Conseil) a, par décision n° 98-D-55 du 9 septembre 1998 :

- dit qu'il est établi que le Syndicat départemental des artisans taxis des Alpes-Maritimes, la Fédération départementale des taxis des Alpes-Maritimes et la Fédération nationale des taxis indépendants des Alpes-Maritimes ont enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 par suite d'un regroupement des offres au sein de la Fédération départementale des taxis des Alpes-Maritimes et du Syndicat départemental des artisans taxis des Alpes-Maritimes, d'une entente sur les prix entre la Fédération départementale des taxis des Alpes-Maritimes et le Syndicat départemental des artisans taxis des Alpes-Maritimes, ainsi que d'un échange d'informations entre la Fédération nationale des taxis indépendants et le Syndicat départemental des artisans taxis des Alpes-Maritimes ;

- estimé qu'une sanction pécuniaire n'est pas justifiée à l'encontre de la Fédération nationale des taxis indépendants des Alpes-Maritimes ;

- infligé une sanction pécuniaire de 160 000 F au Syndicat départemental des artisans taxis des Alpes-Maritimes et une sanction pécuniaire de 160 000 F à la Fédération départementale des taxis des Alpes-Maritimes.

Le Syndicat départemental des artisans taxis des Alpes-Maritimes et la Fédération départementale des taxis des Alpes-Maritimes poursuivent la réformation de cette décision en toutes ses dispositions et demandent à la cour de supprimer la sanction pécuniaire infligée par le Conseil, la fédération concluant subsidiairement à sa réduction.

Ils font valoir, ensemble ou séparément, que :

- le grief relatif au regroupement des offres n'est pas fondé puisque la possibilité de se grouper pour répondre à l'appel de candidatures était expressément envisagée et qu'il n'est pas établi que la mise en œuvre d'offres groupées ait diminué de façon sensible le nombre de candidatures individuelles, favorisé artificiellement la hausse des tarifs ou entraîné un effet sensible sur la concurrence ;

- ce groupement voulu par le Conseil général, a simplifié l'organisation du transport des élèves et étudiants handicapés, alors que le département était dans l'incapacité de mettre en place un tel secteur de compétence et de le gérer, de telle sorte que les offres groupées ont contribué au progrès économique au sens de l'article 10, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

- l'entente sur les prix n'était dictée que par le souci de respecter les exigences réglementaires en matière tarifaire et d'éviter toute concurrence déloyale ;

- le tarif C retenu correspondait aux trajets effectués en zone suburbaine et hors de la zone urbaine, ainsi qu'aux courses de nuit, entre 19 heures et 7 heures ;

- enfin, le critère déterminant du choix de la collectivité n'était pas l'offre la moins-disante, mais l'offre la plus fiable permettant d'assurer la continuité du service public.

Sur la sanction, la Fédération départementale allègue notamment qu'elle a mis fin spontanément aux pratiques reprochées, que l'importance de l'éventuel effet anticoncurrentiel de ces pratiques n'est pas établie et que la sanction n'est pas proportionnée à sa capacité contributive, liée au montant des cotisations versées par les membres fixées pour l'année 1997 à 58 000 F.

Le ministre chargé de l'Economie conclut au rejet des recours, aux motifs essentiellement que le regroupement des offres a empêché les exploitants d'établir leurs propositions de prix d'une manière autonome, alors que, nonobstant le plafond tarifaire déterminé par arrêté, les conducteurs de taxi demeuraient libres de réduire leurs prix pour un marché spécifique, que ce regroupement n'était pas justifié par des contraintes techniques, que l'offre groupée, qui avait pour objet ou pour potentialité d'effet de faire disparaître la concurrence, était contraire aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et que la prétendue économie de gestion n'était pas demandée par le département et n'a pas participé au progrès économique au sens des dispositions de l'article 10, alinéa 2, de l'ordonnance.

Dans ses observations écrites, le Conseil souligne que les appels à candidature avaient pour but et devaient avoir pour effet de soumettre les candidats à la pression de la concurrence pour en obtenir les meilleures offres, qu'en l'espèce les offres groupées ne pouvaient que décourager les exploitants de taxi adhérant à l'une ou l'autre des deux organisations professionnelles de présenter des offres individuelles et que, eu égard au nombre d'exploitants de taxi concernés, l'effet potentiel des pratiques ayant eu pour objet ou pu avoir pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché est sensible.

Le Ministère public a conclu oralement au rejet des recours, estimant que la présentation d'offres tarifaires groupées, que ne justifiait aucune contrainte technique, a fait obstacle à la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence, que l'unicité des tarifs n'était pas légitimée par une identité des coûts d'exploitation et que l'organisation du service du transport dont les requérants se prévalent pouvait être réalisée sans la concertation incriminée, alors, au demeurant, que le Conseil général n'avait pas demandé sa fourniture dans l'appel d'offres.

Lors de l'instruction écrite et à l'audience, les requérantes ont eu la possibilité de répliquer aux observations du ministre et du Conseil.

Cela étant exposé, LA COUR,

Considérant qu'en application de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, dite loi Sapin, instaurant le principe de mise en concurrence pour les contrats de délégation de service public, le Conseil général des Alpes-Maritimes a mis en place, les 8 avril 1994 et 28 avril 1995, deux appels à candidature auprès des entreprises de transport de voyageurs en vue de leur déléguer l'exécution du transport scolaire des élèves et étudiants handicapés pour les années scolaires 1994/1995 et 1995/1996 ;

Que, pour répondre au premier appel à candidature, la Fédération départementale des taxis des Alpes-Maritimes a regroupé 84 exploitants et le Syndicat départemental des artisans taxis des Alpes-Maritimes 55 exploitants, tandis que 26 candidatures émanaient d'exploitants indépendants, 2 d'entreprises d'ambulances et 1 de la Fédération nationale des taxis indépendants des Alpes-Maritimes, regroupant 6 exploitants ; que, durant l'année scolaire 1994/1995, 202 handicapés ont été transportés, dont 157 par des taxis ;

Que, dans le cadre du second appel à candidature, la Fédération départementale des taxis des Alpes-Maritimes a regroupé 125 exploitants et le Syndicat départemental des artisans taxis des Alpes-Maritimes 65 exploitants, 16 candidatures émanant d'exploitants de taxis individuels et 15 provenant d'entreprises d'ambulances ou assimilées ; qu'au cours de l'année 1995-1996, 200 handicapés ont été transportés, dont 150 par taxis ;

Que les tarifs des offres regroupées étaient tous identiques ; qu'en outre, les propositions tarifaires communes étaient basées sur le tarif C, soit le plus élevé prévu par l'arrêté préfectoral du 29 mars 1994, correspondant à des courses de nuit, le dimanche, les jours fériés et en zone suburbaine ou hors de la zone urbaine ; qu'enfin ces offres faisaient état de prix souvent supérieurs à ceux proposés par les candidats indépendants, ainsi qu'il ressort des diverses simulations de trajets opérées par les services du Conseil général et des tableaux figurant à la décision déférée ;

Considérant que, si la formulation d'une offre groupée ne constitue pas en soi, une pratique illicite, elle ne doit pas avoir pour objet ou pour potentialité d'effet de faire disparaître la concurrence, et doit être justifiée par des nécessités techniques;

Considérant qu'en l'espèce, en s'entendant sur les tarifs, les deux organisations professionnelles ont limité l'intensité de la concurrence à laquelle leurs adhérents auraient dû être soumis et n'ont pu que les dissuader de présenter des propositions indépendantes et compétitives, alorsau surplus que les offres groupées étaient systématiquement fondées sur le tarif réglementaire le plus élevé, qui n'avait pourtant pas vocation à s'appliquer notamment aux transports opérés de jour, en semaine et en zone urbaine, et qui, en toute hypothèse, constituait seulement un plafond, chaque exploitant conservant la maîtrise de ses prix dans la limite de ce plafond ;

Considérant qu'en outre, les requérantes, en présentant des offres de prix uniformes pour l'ensemble de leurs adhérents, se sont abstenues de déterminer le montant de leurs offres en fonction des coûts réels d'exploitation supportés par leurs membres et de la recherche de la meilleure prestation possible au regard de ces coûts, les prix offerts étant donc artificiellement fixés, de surcroît au niveau le plus élevé autorisé par les textes applicables; qu'elles ont donc faussé le libre jeu de la concurrence pour la détermination des prix;

Qu'il doit être relevé à cet égard que la commission d'ouverture des plis du 15 juin 1994 a reporté son examen afin de permettre une analyse détaillée des critères financiers et demandé aux soumissionnaires une confirmation des propositions tarifaires ; qu'il en ressort que, même si les prix n'étaient pas l'unique critère de choix de l'autorité publique, ils constituaient néanmoins un élément important de sa décision, sans qu'il puisse cependant être utilement prétendu que le fait que des courses aient été attribuées à des candidats qui n'étaient pas les moins-disants, démontrerait le caractère légal du regroupement incriminé, les critères de sélection du Conseil général ayant également pris en compte le nombre de handicapés concernés, le degré de handicap et le trajet à effectuer ;

Considérant, de surcroît, que les offres groupées ne répondaient à aucune nécessité technique liée à l'exécution des transports, laquelle demeurait individuelle et ne requérait pas de mise en commun des services ou des moyens dont disposaient les exploitants de taxis, et observation faite que les avantages organisationnels invoqués par les requérantes pour justifier le regroupement de leurs propositions n'étaient pas demandés par la collectivité territoriale et qu'il n'est pas démontré qu'ils n'auraient pas pu être atteints dans le respect des règles concurrentielles ;

Considérant, enfin que l'éventuelle connaissance par le Conseil général de la concertation entre les membres des deux organisations professionnelles et des échanges d'informations entre ces dernières, à la supposer établie, n'est pas de nature à exonérer celles-ci de leur responsabilité ;

Considérant qu'il s'ensuit que le regroupement des offres moyennant une grille tarifaire commune au sein du Syndicat départemental des artisans taxis des Alpes-Maritimes et de la Fédération départementale des taxis des Alpes-Maritimes a eu pour objet et pu avoir pour effet de limiter le jeu de la concurrence et de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché, en favorisant artificiellement leur hausse ;

Que les requérantes ont donc contrevenu aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et que, n'ayant pas contribué au progrès économique, elles ne peuvent se prévaloir de l'article 10, alinéa 2 ;

Considérant que l'effet anticoncurrentiel avéré ou potentiel des pratiques prohibées a été sensible, dès lors que les offres des organisations en cause ont regroupé 139 candidats en 1994 et 190 en 1995, alors que les candidats taxis individuels n'étaient qu'au nombre de 23 la première année et de 16 la seconde et que le nombre total des enfants handicapés transportés s'est élevé à 202 en 1994 et à 200 en 1995 ; qu'il ne saurait donc être valablement prétendu n'y avoir lieu à sanction ;

Considérant qu'au regard de ces éléments généraux et individuels, et retenant tant la gravité des faits que le dommage causé à l'économie, le Conseil a exactement fixé à 160 000 F la sanction pécuniaire infligée à chacune des deux organisations syndicales, le fait qu'il ait été mis fin spontanément aux pratiques incriminées et que la Fédération ait fait preuve d'un comportement transparent dans le cadre de l'enquête diligentée ne justifiant pas une minoration de la sanction justement infligée ;

Que, de même, la Fédération prétend vainement à une réduction de la sanction en excipant du faible chiffre des cotisations par elle perçues, alors qu'il appartient à toute organisation syndicale de mettre en œuvre auprès de ses adhérents les moyens nécessaires au règlement des sommes par elle dues,

Par ces motifs : Rejette les recours ; Met les dépens à la charge des requérantes.