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Conseil Conc., 16 novembre 1993, n° 93-D-49

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées sur le marché de la distribution du matériel et des fournitures dentaires

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. Jean-René Bourhis, par M. Jenny. vice-président, MM. Gicquel, Pichon, Sargos, Urbain, membres.

Conseil Conc. n° 93-D-49

16 novembre 1993

Le Conseil de la concurrence (section II),

Vu la lettre enregistrée le 16 septembre 1991 sous le numéro F 434 par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées sur le marché du matériel dentaire ; Vu le traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne modifié, et notamment son article 85 ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence modifiée, et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié pris pour son application ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement et les sociétés Dental Eurogroupe, Dentimex, Lorget, Office central de fournitures dentaires (OCFD), Laboratoires Odoncia, Tolodent et Tourdent ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Dental Eurogroupe, Laboratoires Odoncia, Tourdent et Centrale du prothésiste dentaire entendus, les sociétés Bonyf AG, Dentimex, Dislabo, Lorget, OCFD, Prodentax, Sogim-Grimouille et Tolodent ayant été régulièrement convoquées ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

A. - Les caractéristiques du secteur

1. Les produits et les entreprises

Pour l'exercice de leur profession, les dentistes et les prothésistes dentaires utilisent divers petits matériels tels que les fraises, les spatules ... et des matières consommables telles que les plâtres de moulage, les résines, les abrasifs, les cires, les matériaux pour couronnes ...

De source professionnelle, le chiffre d'affaires annuel de l'ensemble du secteur était estimé à environ 2,5 milliards de francs en 1989.

Le nombre de fabricants installés sur le territoire national et le volume de leur production sont faibles. La commercialisation des produits est assurée principalement selon deux modalités, la revente par des négociants, organisée sous forme de dépôts dentaires, qui est largement prépondérante et la vente directe par les producteurs. La société Ivoclar AG, représentée en France par la société Ivoclar France, qui distribue notamment des dents artificielles en résine ou en porcelaine par l'intermédiaire d'un réseau de distributeurs exclusifs, a bénéficié d'une exemption temporaire au titre de l'article 85, paragraphe 1, du traité de Rome.

Ces dernières années, se sont développées de nombreuses entreprises de vente par correspondance, comme GACD, Promodentaire, Gema Diffusion, Nappage moderne et Centrale du prothésiste dentaire (CAP), le chiffre d'affaires global de cette forme de distribution ayant atteint 240 millions de francs en 1989.

Gema Diffusion qui réalise un chiffre d'affaires d'environ 41 millions de francs sur le plan national assure, depuis le début de l'année 1989, la garantie constructeur et dispose d'un service de dépannage et de livraison ainsi que d'un service de renseignements téléphoniques à l'usage des professionnels.

2. Les organisations professionnelles

Au moment des faits, les entreprises de production, d'importation et de négoce de matériel et de produits destinés à l'art dentaire étaient représentées, sur le plan national, par trois organisations professionnelles :

- le Syndicat des industries françaises pour l'art dentaire (Sifadent) ;

- le Syndicat des grossistes et importateurs en matériels et produits dentaires (SGIMPD) ;

- la Chambre syndicale des négociants en fournitures dentaires (CSNFD).

Les trois organisations, installées 75, rue Saint-Lazare, à Paris, étaient regroupées au sein d'une organisation commune, le comité de coordination des chambres syndicales de l'industrie, de la distribution et du négoce dentaire (Comident).

Les entreprises spécialisées dans la distribution de produits pharmaceutiques utilisés dans l'art dentaire, activité non concernée par l'instruction, disposaient de leurs propres organisations.

Sur le plan international, les fabricants de produits dentaires sont représentés par la Fédération de l'industrie dentaire européenne (FIDE), association de droit allemand ayant son siège à Cologne. Les distributeurs sont représentés par l'Association des dépôts dentaires européens (ADDE), association de droit belge dont le siège se trouve à la chambre de commerce de Bruxelles. Les responsables de l'ADDE ont élaboré, en 1988, une charte dénommée " charte de Dublin " qui définit les critères qu'ils estiment nécessaires à une distribution de qualité des produits dentaires. Parmi les signataires de cette charte figure la société Mostberger.

B. - Les faits à qualifier

1. Les pratiques de la société Laboratoires Odoncia à l'égard des entreprises de vente par correspondance

La société Laboratoires Odoncia est une société anonyme, filiale de la société Krupp France, spécialisée dans la vente de produits et petits matériels de marque Krupp ainsi que dans la fabrication et la vente de plâtres et de revêtements dentaires. Elle commercialise également des résines acryliques de marque Vertex utilisées en art dentaire pour la fabrication ou la restauration de prothèses en résine.

A l'égard de la société CAP :

Le 31 mai 1988, le responsable de la société Laboratoires Odoncia écrivait à la société CAP (cote 204) : "Selon nos accords, les prix de nos produits sur votre catalogue CAP devaient être inférieurs de 10 p. 100 à notre tarif détail conseillé. Cependant, nous découvrons sur votre premier catalogue deux erreurs fort regrettables commises sur deux produits leader de notre gamme (...). Je prends note que les redressements seront faits sur votre prochaine édition. Par ailleurs, nous remarquons que le Microceram en fût 45 kilogrammes est indiqué à 2 129 F contre 2 017,38 F, c'est-à-dire au-dessus de la limite de nos accords".

Le 12 janvier 1989, le président de la société Laboratoires Odoncia déclarait à la société CAP (cote 207) : " (...) Je vous ai redit à quelles conditions j'ai accepté, il y a bientôt un an, de vous référencer parmi ma clientèle traditionnelle des dépôts dentaires, condition qui, sur le fond, doit demeurer expressément d'actualité.

" Dans la forme, je vous demanderai que vos nouveaux tarifs ne fassent pas apparaître des prix HT d'un coefficient inférieur à 125 appliqué sur notre présent tarif 8902. "

A l'égard de Gema Diffusion :

En juin ou septembre 1987 ainsi qu'en début d'année 1988, les responsables des dépôts dentaires suivants: Dislabo, Sogim-Grimouille, Lorget, OCFD, Prodentax, Tolodent et Tourdent s'adressaient à la société Laboratoires Odoncia, pour contester la politique commerciale menée par cette entreprise à l'égard de Gema Diffusion, laquelle pratiquait des prix inférieurs à ceux des dépôts traditionnels. Ainsi, la société Tourdent déclarait qu' " il est du devoir du fabricant de mettre de l'ordre dans sa distribution ". Par ailleurs, le 9 février 1988, le président de la SA Lorget écrivait à la société Laboratoires Odoncia pour féliciter son responsable du " courage " qu'il avait eu " d'arrêter les commandes avec la société Gema " (pièce cotée 178 au dossier).

Le président de la société Laboratoires Odoncia a reconnu, lors d'une audition en date du 15 avril 1988 (cote 212), avoir cessé de livrer la société Gema à compter de septembre 1987, notamment en raison de la politique tarifaire de cette entreprise. Il a, en outre, déclaré lors de son audition, le 7 décembre 1989 : " (...) Pour les produits fabriqués en France, nous sommes l'unique fabricant. Tous les dépôts, qui doivent représenter nos produits, sont touchés par une société de type Gema. Les produits consommables (plâtres et revêtements dentaires) sont incontournables. Chaque semaine ou quinzaine, un dépôt doit commander ces produits. Entre couper avec mes négociants les relations commerciales et rompre avec Gema, le choix s'imposait de lui-même. "

Par ailleurs, un engagement de distribution exclusive des produits de marque Vertex sur le territoire national a été pris, le 12 décembre 1985, par la société Dentimex BV à l'égard de la société Laboratoires Odoncia. Cet accord est une lettre rédigée en langue anglaise dont la teneur est la suivante :

" Ce fut un grand plaisir de vous rencontrer le 6 décembre.

" (...) Nous avons saisi cette occasion pour accorder à votre société les droits de distribution exclusive pour le territoire français. Cet engagement couvre tous les matériaux de résine acrylique dentaire produits par nous sous la marque Vertex. Nous sommes d'accord pour ne pas contrevenir à cet engagement en fournissant les produits susmentionnés à toute société située en France sous sa propre marque. Toutes les commandes et/ou demandes reçues par nous et émanant d'un résident en France vous seront transmises. Cet engagement est conclu pour une période d'un an et sera, par la suite, reconduit automatiquement chaque année consécutive aussi longtemps qu'un approvisionnement suffisant sera réalisé."

Le 15 octobre 1990, le responsable de la société Laboratoires Odoncia adressait à la société Dentimex, fabricant de produits en résine acrylique pour l'art dentaire installé aux Pays-Bas, une télécopie ainsi rédigée :

" Concerne : Marché français.

" La société de vente par correspondance (VPC) Gema Diffusion (...) est bien connue pour " casser les prix " de certains produits de grandes marques qu'elle réussit à se procurer hors de France, le plus souvent auprès de certains dépôts dentaires du sud de la RFA.

" Travaillant à faible marge bénéficiaire, sans représentants ni démonstrateurs, et armée de son seul catalogue à prix réduits adressé régulièrement à tous les laboratoires, Gema Diffusion a la triste réputation d'anéantir les efforts faits sur plusieurs années par les importateurs-grossistes pour implanter une marque en France. Les laboratoires sont évidemment séduits par les prix très bas et ne se rendent pas compte plus tard des inévitables ruptures de stock et d'un manque évident de qualité de service. Entre-temps malheureusement l'importateur officiel s'est évidemment désintéressé d'un marché qu'il ne contrôle plus et que son ex-partenaire/fabricant n'approvisionnera plus qu'indirectement par Gema Diffusion et pour une part réduite du marché.

" Vous aurez compris que pour la première fois vos résines Vertex viennent d'apparaître dans le dernier catalogue Gema Diffusion (voir fax ci-après) à des prix détails très voisins de notre tarif de gros (...), ce qui va stopper à court terme les ventes de nos clients du négoce traditionnel qui ne peuvent raisonnablement pas travailler avec une marge bénéficiaire de 10 p. 100 à 20 p. 100.

" Cela signifie que si vous ne trouvez pas rapidement la ou les sources d'approvisionnement de cette société (RFA, Belgique, Pays-Bas ... ?), notre clientèle de distributeurs se détournera totalement et définitivement de nous et que votre position sur le marché, actuellement excellente, se détériorera très rapidement.

" Il est donc urgent que vous soyez attentifs aux achats de vos autres partenaires européens dont certains vont exporter sur Gema Diffusion une partie des commandes que vous leur livrez. Cela n'est évidemment pas facile, mais si M. Geiger ne peut pas se procurer vos produits hors de nos frontières, le marché français restera alors porteur, sain, et votre image de marque demeurera intacte (...). "

En réponse à cette demande, le dirigeant de la société Dentimex déclarait, le même jour :

" Cher M. R...

" Votre fax de ce jour a retenu notre meilleure attention et vous pouvez être sûr de notre meilleur soutien pour retrouver l'origine des fournisseurs de Gema Diffusion. Nous ne connaissons même pas le nom de Gema Diffusion et nous vous assurons que nous ne procédons jamais à des livraisons directes ou indirectes à cette entreprise.

" Nous fournissons nos matériels dentaires à des entreprises spécialisées dans ce type de matériels en Allemagne, Belgique, Suisse, Italie, Espagne et Portugal, mis à part les dépôts dentaires et les laboratoires en Hollande. Dans les derniers mois nous n'avons pas remarqué de commandes imprévues ou volumineuses en provenance des pays précités. Pour ces raisons, votre entreprise devrait être la source première pour trouver les fournisseurs.

" Il faut que vous sachiez que tous les paquets de marque Vertex sont marqués d'un numéro de série.

" Nous vous conseillons de contacter un laboratoire et de commander un paquet de poudre et de liquide à Gema Diffusion. Bien que cela puisse nous donner du travail de découvrir à quelle entreprise nous avons vendu ce paquet, nous devrions être en mesure de retrouver l'origine du produit quand vous aurez indiqué le numéro de série, la taille du paquet et la couleur.

" Nous attendons vos informations (...). "

Par lettre en date du 9 juin 1992, le responsable de la société Gema Diffusion a précisé : " Le produit Vertex dont Laboratoires Odoncia est le distributeur n'est pas livré à Gema Diffusion. Là encore, nous nous voyons contraints de l'importer par tierce personne. "

2. La politique commerciale de Dental Eurogroupe

Dental Eurogroupe (anciennement France Union Dentaire, FUD) est une SARL à capital variable dont l'objet statutaire est " la fabrication, l'importation, la diffusion et la vente, à tous les stades, des matériels et spécialités pharmaco-dentaires ; (...) ". Les parts de la société sont détenues par des négociants en produits destinés aux laboratoires de prothèses et des dentistes (23 en 1989). L'article 8 des statuts révisés le 12 juillet 1989 stipule que " tout associé peut être exclu par une décision motivée de l'assemblée générale extraordinaire, pour raison grave, ou en cas d'infraction aux présents statuts et au règlement intérieur qui en sera le prolongement ".

Les tarifs :

Dental Eurogroupe édite régulièrement deux tarifs qui indiquent, l'un, des prix de " gros-détail ", l'autre, des prix de revente au détail hors taxes et toutes taxes comprises. Le premier, qui n'est pas divulgué à la clientèle, fait apparaître les prix de revient des produits, la marge et les prix de détail hors taxes. Le second, distribué aux clients, mentionne des prix de détail conseillés.

Les règlements intérieurs de cette entreprise en date des 25 janvier et 6 juin 1989 stipulent qu' " en collaboration avec les fabricants français et étrangers, France Union Dentaire - Dental Union a pour but de pratiquer une politique de vente commune ".

Les produits achetés par Dental Eurogroupe sont refacturés aux membres avec en sus une commission de 3 p. 100 pour frais de gestion. Ces achats représentent environ 30 à 40 p. 100 des achats globaux des membres qui restent par ailleurs libres de s'approvisionner directement auprès des fabricants. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par cette société s'est élevé à 173 178 828 F en 1992. Selon le Comident, le chiffre d'affaires réalisé par l'ensemble des membres de Dental Eurogroupe s'élevait à 550 millions de francs en 1989, soit environ 20 p. 100 de l'ensemble du secteur.

L'exclusion de la société Mostberger :

En 1988, les membres de Dental Eurogroupe ont souhaité exclure la société Mostberger au motif que cette entreprise qui était membre de Dental Eurogroupe avait créé une filiale dénommée " Minident " qui procédait à des ventes par Minitel.

Le compte rendu de la réunion des membres de Dental Eurogroupe en date du 16 décembre 1988 qui s'est tenue à la suite de l'assemblée générale extraordinaire du même jour relate en effet :

" 2. Examen du problème Minident.

" (...) le catalogue Minident est distribué dans la région de Bordeaux, et (...) ce fait pose le même problème que les ventes par correspondance dans cette région.

" M. Co... (...) rappelle qu'un tel système, bien que présentant des agréments de nouveauté, n'est pas compatible avec la vente traditionnelle.

" Le collège de direction ayant été amené à demander à ses fournisseurs l'obtention de prix discriminatoires par rapport aux ventes par correspondance, il ne lui était plus possible d'argumenter si l'un des membres de France Union Dentaire commercialisait des produits par le truchement d'un catalogue, sans le soutien d'une force de vente.

" Du fait de l'admission des succursales Mostberger et du refus de l'agrément de la filiale Minident, M. Co... relève qu'il n'est plus possible de contrôler les rétrocessions de la société mère à ses filiales. (...)

" Après discussion, M. Ch..., relevant l'incompatibilité d'un tel système de vente, et de cette impossibilité de contrôler l'application des règlements France Union Dentaire - Dental Union, demande qu'une procédure d'exclusion soit entreprise par le collège de direction à l'encontre de la société Mostberger. "

Le procès-verbal des délibérations de l'assemblée générale extraordinaire qui s'est tenue le lundi 30 janvier 1989 révèle que les associés de la SARL France Union Dentaire se sont prononcés pour l'exclusion de la SA Mostberger Cie ".

Le règlement intérieur de Dental Eurogroupe, dans ses dispositions en vigueur le 25 janvier 1989, mentionnait (art. 5, Sanctions, cote 270 au dossier) :

" Pourrait être exclu de FUD-DU tout membre qui n'observerait pas les statuts, le règlement intérieur et les décisions des assemblées, tout membre qui nuirait ou tenterait de nuire à la société ou à un ou plusieurs de ses membres par ses agissements, ses paroles ou ses écrits, tout membre dont le comportement professionnel serait de nature à jeter le discrédit sur la société (...). "

Lors de son audition en date du 28 janvier 1992, le gérant de Dental Eurogroupe a déclaré : " Les adhérents de Dental Eurogroupe ont souhaité exclure la société Mostberger du fait que sa filiale pratiquait la vente par Minitel. Ce système ne correspondait pas à l'éthique traditionnelle des membres de Dental Eurogroupe qui ont la volonté de commercialiser leurs produits par l'intermédiaire de vendeurs afin d'assurer la meilleure information à leur clientèle.

" Mostberger détenait plusieurs filiales dont Minident qui n'avaient pas été agréées par le groupement. "

Les relations avec la société Bonyf AG :

Les produits commercialisés en France par Bonyf AG, qui ne possède pas d'établissement sur le territoire national, sont acheminés directement aux clients. Cette entreprise est représentée en France par un agent indépendant, M. S...

Le 8 octobre 1987, le responsable commercial de la société Bonyf AG, dont le siège se trouve au Liechtenstein, s'était adressé en ces termes au responsable de Dental Eurogroupe qui propose, sur son catalogue, les produits de marque Reprodent de la société Bonyf AG :

" Messieurs,

" Concerne : Confirmation des propos de M. S..., concernant GACD.

" Nous vous confirmons par la présente que la maison Bonyf AG ne livre pas à des sociétés de vente par correspondance en France, en particulier à la maison GACD.

" Elle n'est pas dans la mesure d'obtenir nos nouveaux produits, et il nous semble presque impossible qu'elle puisse faire une importation parallèle.

" D'autre part les boîtes de quatre seringues de Reprodent (Seal) illustrées dans l'offre spéciale du catalogue de GACD ne sont plus disponibles.

" Néanmoins, nous restons vigilants à ce sujet et vous pouvez avoir la certitude que l'engagement pris par M. S... en notre nom sera respecté.

" Veuillez ... "

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL

Sur les pratiques des organisations syndicales concernées :

Considérant que, dans ses observations en réponse au rapport, le commissaire du Gouvernement estime que c'est à tort que n'a pas été retenu, au stade du rapport, le grief initialement notifié aux organisations syndicales représentatives des fabricants, des importateurs et des négociants du secteur considéré et regroupées au sein du Comident; qu'il demande qu'un grief complémentaire soit notifié à ces organisations du chef d'entente anticoncurrentielle; que, selon lui, relève en effet de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 le seul fait d'avoir mis en place, au sein du Comident, une commission mixte, interprofessionnelle, dont l'objet anticoncurrentiel apparaîtrait dans le compte rendu de la réunion du 28 janvier 1987 qui indique, comme thème de réflexion, " l'harmonisation des prix par les fabricants sur le plan européen et si possible sur le plan national " ;

Mais, considérant qu'il n'est pas établi qu'une décision ait été prise à l'issue de la réunion de la commission mixte du Comident en date du 28 janvier 1987, au sujet d'une éventuelle fixation concertée de prix; qu'il ressort du compte rendu rédigé à l'issue de cette réunion que " le temps a manqué à la commission pour élaborer des solutions qui d'ailleurs, lorsqu'elles ont été abordées, n'ont pas recueilli l'unanimité " ; qu'il n'est pas établi que les participants se soient livrés à des échanges d'information sur les prix de vente des produits concernés ; qu'en l'absence de suite avérée, susceptible d'établir l'existence d'un accord de volontés, la simple intention d'harmoniser des prix ne peut être retenue à l'encontre des organisations susmentionnées; qu'il s'ensuit que la demande du commissaire du Gouvernement visant à ce qu'un grief complémentaire soit notifié doit être rejetée ;

Sur les pratiques visant à exclure du marché des entreprises de vente par correspondance :

En ce qui concerne les pratiques de la société Laboratoires Odoncia à l'égard de certains de ses distributeurs :

Considérant qu'un système de vente visant à réserver la distribution des produits commercialisés à certains revendeurs ne peut être admissible, au regard des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, que s'il est justifié par les nécessités d'une distribution adéquate des produits en cause, s'il est fondé sur des critères objectifs de nature qualitative, s'il n'a pas pour objet ou pour effet d'exclure par nature une ou plusieurs formes de distribution, s'il n'est pas appliqué de façon discriminatoire et s'il n'entrave pas la liberté des revendeurs de déterminer leur politique commerciale ; que les systèmes de distribution visant à exclure du marché les entreprises de vente par correspondance sans justification autre que celle tenant à la politique de prix de ces entreprises ne répondent donc pas à ces critères;

Considérant que la société Laboratoires Odoncia peut d'autant moins soutenir que ses produits ne pouvaient, pour des raisons techniques, être distribués par des entreprises de vente par correspondance qu'elle avait accepté d'approvisionner la société Gema Diffusion et, par la suite, la société CAP à la condition expresse que cette dernière accepte d'appliquer les marges minimales qu'elle lui avait fixées; que, dans ces conditions, l'arrêt des livraisons à Gema Diffusion à la suite de la parution du catalogue de cette entreprise faisant apparaître le caractère compétitif de ses prix de revente et des plaintes des revendeurs concurrents de Gema Diffusion témoigne de la volonté de la société Laboratoires Odoncia de sélectionner ses revendeurs non pas en fonction de critères objectifs de nature qualitative, mais de leur adhésion à une politique commerciale ayant pour objet et pouvant avoir pour effet de limiter la concurrence par les prix entre les revendeurs;

Considérant que la société Laboratoires Odoncia, qui déclare que ses ventes de plâtres et de revêtements dentaires sur le marché français se sont élevées respectivement à 6,76 et 5,52 millions de francs en 1987, soutient que, contrairement aux indications du rapport administratif, elle ne détient pas 70 p. 100 et 50 p. 100 des marchés respectifs des plâtres et des revêtements ; qu'elle en déduit que, de par sa position sur ces marchés, elle n'est pas en mesure de porter atteinte de façon sensible au jeu de la concurrence ;

Considérant toutefois que l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibe les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, dès lors qu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence ; qu'entre ainsi dans le champ d'application de ces dispositions toute pratique commerciale, même si elle n'a aucun effet, dès lors qu'elle a un objet ou peut avoir un effet anticoncurrentiel sur un marché ;

Considérant, au surplus, que la société Laboratoires Odoncia, tout en contestant les chiffres de l'enquête administrative, admet qu'il n'existe pas d'information statistique précise dans la profession et ne verse d'ailleurs aucun chiffre au dossier à l'appui de ses affirmations: qu'en revanche, le responsable de la société Laboratoires Odoncia a déclaré, lors de son audition en date du 15 avril 1988, que son entreprise était " la plus importante " dans le secteur des plâtres et des revêtements, produits qu'elle fabrique et qu'elle commercialise auprès d'environ 150 grossistes sur 200, sur le plan national; que la société Laboratoires Odoncia a admis également, au sujet de ses produits, qu'un grossiste spécialisé " pourrait difficilement s'en passer ", en raison de leur " notoriété " ; qu'enfin, le représentant de la société CAP a également déclaré en séance que les plâtres et revêtements de marque Odoncia étaient d'une qualité supérieure à celle des autres plâtres distribués sur le territoire national, ce qui le contraignait à s'approvisionner auprès de cette entreprise :

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Laboratoires Odoncia qui commercialise ses produits sur l'ensemble du territoire national n'est pas fondée à soutenir que les pratiques d'entente reprochées n'ont pas de portée sur les marchés des plâtres et des revêtements dentaires; qu'en outre, la mention de produits de même type sur le catalogue de Gema Diffusion n'est pas davantage de nature à démontrer que l'accès de cette entreprise aux marchés des produits concernés n'a pas été entravé, eu égard notamment à la notoriété et à la qualité des produits commercialisés par la société Laboratoires Odoncia ;

Considérant qu'il ressort des constatations figurant au B-l du I de la présente décision que les sociétés Laboratoires Odoncia et CAP se sont concertées sur les prix de revente appliqués par la société CAP; que le fait que la société Laboratoires Odoncia ait exercé des pressions vis-à-vis de la société CAP pour qu'elle accepte d'appliquer les prix minima est sans portée sur la qualification de la pratique relevée ; qu'en effet la société CAP qui pouvait, en cas de refus de vente injustifiée, user des voies de droit appropriées pour faire cesser les agissements de la société Laboratoires Odoncia a adhéré à la politique commerciale de cette dernière entreprise basée sur une sélection des revendeurs faite à partir de critères autres que des critères objectifs de nature qualitative; qu'il s'ensuit que la société CAP n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'a pas participé à la mise en œuvre d'une entente anticoncurrentielle ;

En ce qui concerne l'exclusion de la société Mostberger :

Considérant que la société Dental Eurogroupe fait valoir que l'exclusion de la société Mostberger aurait été motivée par le fait que la vente par Minitel effectuée par la filiale Minident ne serait pas " compatible avec la vente traditionnelle " ; que l'admission de la vente par Minitel ne respecterait pas la volonté exprimée par les associés, lors de la conclusion du contrat de la SARL à capital variable, conclu intuitu personae, de n'admettre que les revendeurs traditionnels au sein de l'entreprise commune ;

Mais considérant, d'une part, qu'il ressort expressément du compte rendu de la réunion du 16 décembre 1988 que la décision d'engager une procédure d'exclusion à l'encontre de la société Mostberger au sein de Dental Eurogroupe résultait de la volonté exprimée par les associés de pouvoir justifier, auprès de leurs fournisseurs, l'obtention de prix discriminatoires par rapport à la vente par correspondance, en dehors de tout critère objectif de nature qualitative ;

Considérant, d'antre part, que, contrairement à ce que soutenait initialement la société Dental Eurogroupe, ni les statuts ni le règlement intérieur applicables au moment de l'exclusion de la société Mostberger ne prévoyaient la possibilité d'exclure " tout membre pratiquant une politique de vente par correspondance ou par télématique à l'échelon national " ; que d'ailleurs, à supposer même qu'une telle clause ait figuré dans le règlement intérieur applicable au moment des faits, la décision d'exclure la société Mostberger aurait bien eu pour objet et pu avoir pour effet de limiter le libre exercice de la concurrence par une entreprise pratiquant une nouvelle forme de vente, assimilable à la vente par correspondance, en empêchant ainsi cette société de bénéficier des conditions plus avantageuses obtenues par Dental Eurogroupe auprès des fournisseurs ; que cette stratégie d'exclusion mise en œuvre par plusieurs entreprises réunies au sein d'une structure commune est constitutive d'entente au sens des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que ne peut davantage être retenu l'argument de la société Dental Eurogroupe selon lequel cette pratique d'exclusion serait justifiée par la " Charte de Dublin " adoptée en 1988, laquelle exclurait de facto la vente par correspondance ; qu'en effet, comme le reconnaît elle-même la société Dental Eurogroupe, cette charte, dont il n'est au surplus nullement établi qu'elle rejette la vente par correspondance, est une convention de droit privé qui, de ce fait, ne rentre pas dans le champ d'application du 1 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

En ce qui concerne les pratiques de la société Bonyf AG :

Considérant que, par lettre en date du 8 octobre 1987, la société Bonyf AG a confirmé à la société Dental Eurogroupe que l'engagement pris " en son nom " par un agent indépendant chargé de la représenter sur le territoire national, M. S.... et selon lequel elle ne livre pas des sociétés de vente par correspondance, serait respecté ;

Considérant que la société Dental Eurogroupe fait valoir qu'il n'a pas été établi qu'un refus de vente ait été opposé à une société de vente par correspondance et que ces entreprises aient été, de ce fait, mises dans l'impossibilité de commercialiser les produits de marque Reprodent distribués par Bonyf AG ;

Mais considérant que l'engagement pris par la société Bonyf AG, qui ne pratique ni la distribution sélective ni la distribution exclusive, avait explicitement pour objet de limiter l'accès au marché des entreprises de vente par correspondance; que cette pratique est visée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'il est sans effet sur la qualification de la pratique que l'enquête n'ait pas établi que des refus de vente aient effectivement été pratiqués par la société Bonyf AG ;

En ce qui concerne la mise en œuvre des dispositions du 2 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée :

Considérant enfin qu'il n'est ni allégué ni établi que les pratiques d'exclusion visant des entreprises de vente par correspondance ou par Minitel soient nécessaires à la réalisation de l'objectif affiché d'une distribution de qualité des produits dentaires; que, d'une part, il n'est pas contesté que certains produits, tels les plâtres, ne nécessitent pas les mêmes conditions de stockage, de distribution et d'utilisation que des produits plus élaborés telles certaines résines ; que, d'autre part, il n'est pas démontré que certains distributeurs pratiquant la vente par correspondance ne sont pas en mesure de fournir une information appropriée sur les produits en cause et de rendre les services comparables à ceux habituellement fournis par des négociants traditionnels ;

Sur les correspondances adressées par la société Dentimex à la société Laboratoires Odoncia :

Considérant qu'il n'est pas établi que la société Dentimex se soit engagée auprès de la société Laboratoires Odoncia à empêcher la société Gema Diffusion de procéder à des importations parallèles des produits de marque Vertex à partir d'autres pays de la Communauté européenne où ils sont également distribués ;

Sur la politique tarifaire de Dental Eurogroupe :

Considérant que la société à capital variable Dental Eurogroupe est un groupement d'achat constitué en vue de faire bénéficier ses membres de meilleures conditions d'achat, ces derniers s'engageant, conformément au règlement intérieur, à acheter de préférence des produits sélectionnés par le groupement ; que le gérant dudit groupement a précisé, lors de son audition, que les achats des membres par l'intermédiaire de Dental Eurogroupe représentaient de 30 à 40 p. 100 de leurs approvisionnements ; qu'il ressort par ailleurs des déclarations de ce responsable qu'il n'existe pas de zones géographiques réservées à certains membres, lesquels peuvent, dans les faits, se trouver en situation de concurrence les uns avec les autres ; qu'il en est ainsi notamment des membres de Dental Eurogroupe installés dans les régions de Lille, de Lyon, de Paris et de Toulon-Marseille dont certains possèdent d'ailleurs plusieurs dépôts ;

Considérant que l'élaboration et la diffusion par les membres de la société Dental Eurogroupe de tarifs de détail conseillés avaient pour objet et ont pu avoir pour effet de limiter la liberté commerciale des membres du groupement en favorisant artificiellement la fixation d'un niveau de marges; que cette pratique mise en œuvre par plusieurs entreprises réunies au sein d'une structure horizontale commune est prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur les suites à donner :

Considérant qu'il y a lieu de tenir compte, d'une part, du fait que la société CAP a subi de fortes pressions de la part de la société Laboratoires Odoncia qui menaçait de lui refuser la vente de produits qu'elle estime indispensables à son activité et, d'autre part, pour ce qui concerne la société Bonyf AG, de la position occupée par cette entreprise sur le marché national, comme le montre le chiffre d'affaires de 17 542,30 francs suisses réalisé en 1992 ;

Sur l'application de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil de la concurrence " peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos ... Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu'il désigne ... Les frais sont supportés par la personne intéressée " ;

Considérant que le chiffre d'affaires réalisé par la société Laboratoires Odoncia sur le territoire national s'est élevé à 18 628 194 F au cours de l'exercice 1992 ; que, pour apprécier l'importance du dommage causé à l'économie et la gravité des faits examinés, il y a notamment lieu de tenir compte de la position occupée par la société Laboratoires Odoncia sur les marchés des plâtres et des revêtements dentaires ainsi que des incidences de l'absence des produits de cette marque dans les entreprises de vente par correspondance ou des conditions de prix imposées à cette forme de distribution en raison des prix attractifs que pratiquaient les entreprises de ce secteur ; que, compte tenu de ces éléments, il y a lieu d'infliger une sanction pécuniaire de 300 000 F à la société Laboratoires Odoncia ;

Considérant que le chiffre d'affaires réalisé par la société Dental Eurogroupe sur le territoire national s'est élevé à 173 178 828 F au cours de l'exercice 1992, dernier exercice clos ; que, pour apprécier l'importance du dommage causé à l'économie du fait des pratiques mises en œuvre, il y a lieu de tenir compte de la place occupée par cette entreprise dans le secteur considéré, sur le plan national ; qu'il convient également de tenir compte, d'une part, de l'éviction de la société Mostberger en raison de la création d'une filiale procédant à la vente par Minitel et des entraves ainsi créées vis-à-vis de cette nouvelle forme de distribution et, d'autre part, de l'objectif affiché par Dental Eurogroupe d'assurer une discipline de prix entre ses membres en diffusant des tarifs de détail ; que, pour déterminer le montant de la sanction applicable, il y a également lieu de tenir compte du mode de fonctionnement particulier de la société Dental Eurogroupe destinée essentiellement à l'approvisionnement de ses associés; que compte tenu de ces circonstances, il y a lieu d'infliger une sanction pécuniaire de 500 000 F à la société Dental Eurogroupe.

Décide :

Art. 1er . - Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

300 000 F à la société Laboratoires Odoncia ;

500 000 F à la société Dental Eurogroupe.

Art. 2. - Il est enjoint à la société Dental Eurogroupe de cesser d'élaborer et de diffuser des tarifs de vente au détail.

Art. 3. - Dans un délai de trois mois à compter de la date de notification de la présente décision, les sociétés Laboratoires Odoncia et Dental Eurogroupe feront publier, à frais communs et au prorata des sanctions prononcées, le texte intégral de la présente décision dans les revues L'Assistante et le prothésiste dentaire et Dentaire hebdo. Cette publication sera précédée de la mention : " Décision en date du 16 novembre 1993 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques relevées sur le marché de la distribution du matériel et des fournitures dentaires ".