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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 15 juin 1999, n° ECOC0000036X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société Languedocienne de travaux publics et de génie civil (SA), Joulie et Fils TP (SA), Bec Frères (SA), SACER (SA), SCREG Sud-Est (SA), Colas Midi-Méditerranée (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

Mme Kamara, M. Perie

Avoués :

Mes Huyghe, Bolling, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Me Phalippou, SCP Cohen-Borra-Bergel, Mes Devallon, Donnedieu de Vabres, Gaffuri

CA Paris n° ECOC0000036X

15 juin 1999

Saisi par le ministre de l'Economie, des Finances et du Budget de pratiques mises en œuvre à l'occasion de la passation de marchés publics de voirie et réseaux divers dans le départements de l'Héraut, le Conseil de la concurrence a, par décision n° 98-D-33 du 3 juin 1998, estimé que quatorze entreprises s'étaient concertées et avaient procédé à des échanges d'informations avant le dépôt des offres pour six marchés en cause et a infligé des sanctions pécuniaires à douze d'entre elles.

La société languedocienne de travaux publics et de génie civil (SOLATRAG) ;

La société Joulie & Fils TP (ci-après Joulie) ;

La société Bec Frères (ci-après Bec) ;

La société SCREG Sud-Est ;

La SACER ;

La société Colas Méditerranée,

ont formé recours en annulation et, subsidiairement, en réformation contre cette décision, invoquant, ensemble ou séparément, les moyens suivants :

- les faits litigieux, s'agissant du marché d'entretien de voirie pour l'année 1990 de la commune de Palavas, sont prescrits (Bec) ;

- SACER ne peut se voir imputer des pratiques anticoncurrentielles qui concernaient la société Entreprise Albert Crégut & Fils, n'assurant pas la continuité économique de cette société ;

- les enquêteurs ont excédé les limites des pouvoirs dont ils disposent en étendant leurs investigations à d'autres marchés que celui concernant l'aménagement de la place de la mairie de Cournonsec pour lequel il disposait d'indices de pratiques anticoncurrentielles (SCREG Sud-Est, SACER et Colas Midi Méditerranée) ;

- la décision du Conseil est fondée sur des procès-verbaux irréguliers :

- procès-verbal d'inventaire des documents communiqués, établi le 13 juin 1990, dans les locaux de la société Joulie, irrégulier à défaut d'être signé par l'une des personnes concernées par les investigations des enquêteurs, de comporter l'indication précise de l'objet de l'enquête, d'énoncer la nature des constatations effectuées ou qui ne vise pas les documents retenus comme preuve de la pratique anticoncurrentielle prohibée (SACER, Colas Midi-Méditerranée, Bec) ;

- procès-verbal du 25 septembre 1990 qui, consignant les déclarations relatives aux documents recueillis selon procès-verbal irrégulier du 13 juin 1990 susvisé, est lui-même irrégulier et ne comporte pas mention de la remise d'un double au déclarant (SCREG Sud-Est) ;

- il n'existe aucun faisceau d'indices grave, précis et concordants caractérisant une concertation anticoncurrentielle sur le marché d'aménagement de la place de la mairie à Cournonsec (SOLATRAG, Joulie), sur le marché d'entretien de la voirie de la commune de Palavas pour l'année 1990 (Joulie, Crégut - SACER- Colas Midi-Méditerranée), ainsi que sur trois autres marchés incriminés (Joulie) relatifs à l'aménagement de la salle polyvalente de la commune de Fabrègues, au programme de voirie de Lattes, aucune entente illicite, de nature à tromper le maître de l'ouvrage, n'a été établie et, à supposer ces pratiques établies, elles n'ont eu que des effets secondaires ;

À titre subsidiaire :

- Crégut Albert & Fils (venant aux droits de la société Crégut Languedoc), SCREG Sud-Est, et Colas Midi-Méditerranée ont été dans l'impossibilité d'assurer efficacement leur défense compte tenu de la durée de la procédure ;

S'agissant des sanctions :

- les pratiques reprochées, si elles existent, portent, pour certaines d'entre elles, sur des montants dérisoires et sont d'une gravité très atténuée ;

- aucune dommage à l'économie n'a été causé ;

- les sanctions sont disproportionnées.

Réfutant chacun des moyens avancés par les sociétés requérantes, le ministre de l'Economie et des Finances conclut au rejet des recours.

Dans ses observations écrites, le Conseil souligne essentiellement que la prescription a été régulièrement interrompue, que la procédure d'enquête est régulière, que les pratiques sanctionnées sont établies et ont un objet ou un effet anticoncurrentiel.

Le Ministère public a conclu oralement à la recevabilité des recours et à leur rejet.

Lors de l'instruction écrite et à l'audience, les parties requérantes ont eu la possibilité de répliquer aux observations du ministre et du Conseil.

Sur ce, LA COUR :

I- Sur les moyens de procédure :

Sur la prescription :

Considérant qu'aux termes de l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 le Conseil ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction ;

Considérant que les pratiques ont été mises en œuvre au cours des années 1988/1990 ; que la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes a procédé à une enquête, diligentée conformément aux dispositions des articles 47 et 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dans le courant de l'année 1990 ; que le Conseil a été saisi par la lettre du ministre de l'Economie du 11 juin 1991 ; que, par lettres du 20 avril et du 30 mai 1994, mentionnant la saisine du Conseil et l'objet de l'enquête, le rapporteur a, conformément aux pouvoirs qu'il tient de l'ordonnance de 1986, demandé communication de renseignements relatifs à la situation juridique et financière des neuf entreprises impliquées dans les pratiques constatées; que ces courriers qui tendent, contrairement à ce qui est prétendu, à la recherche, à la constatation ou à la sanction des faits incriminés, ont interrompu la prescription de trois ans prévue par le texte précité; que le Conseil étant saisi des pratiques d'entente dans leur ensemble, et non marché par marché, l'interruption de la prescription résultant de la notification des griefs complémentaires du 14 août 1997, à la suite de la notification des griefs du 5 septembre 1994, a interrompu de nouveau la prescription à l'égard de toutes les parties;

Que le moyen tiré de la prescription n'est pas fondé et doit donc être écarté ;

Sur la régularité de l'enquête initiale :

Considérant que les sociétés SCREG Sud-Est, SACER et Colas Méditerranée prétendent que les enquêteurs ont excédé les limites des pouvoirs qui leurs sont conférés en étendant, le 13 juin 1990, dans les locaux de la société Joulie, leurs investigations à d'autres marchés publics que celui concernant l'aménagement de la place de la mairie de Cournonsec pour lequel ils disposaient d'indices de pratiques anticoncurrentielles ;

Considérant qu'il ressort des éléments du dossier que, chargés par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, d'effectuer une enquête relative à une présomption d'entente entre entreprises à l'occasion du marché précité, les enquêteurs ont consulté dans les locaux de la société Joulie les marchés relatifs aux trois dernières années et se sont fait communiquer par les responsables qui les ont reçus des documents dont il n'est pas contesté qu'ils ne concernaient pas le marché initialement visé ;

Mais considérant que les sociétés requérantes n'indiquent pas en quoi cette communication effectuée dans les locaux de la société Joulie serait contraire à la loyauté qui doit présider à la recherche des preuves, ni à l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qui prohibe les pratiques anticoncurrentielles sur un marché, ni à l'article 47 définissant les pouvoirs d'enquête de délimiter préalablement le marché sur lequel des investigations pourront porter ; que les enquêteurs ont fait connaître l'objet de leur enquête à M. Robert Joulie, président directeur général de la société qui leur a spontanément remis les pièces afférentes à onze marchés, tous relatifs à des travaux de voirie dans le département de l'Hérault, dont ils avaient connaissance ; que la demande de communication n'était ni générale ni imprécise dès lors qu'elle identifiait les documents, devis, études relatifs à des marchés de travaux de voirie pendant une période considérée ; que la société Joulie ne prétend d'ailleurs pas que son président directeur général aurait été trompé ou qu'il aurait pu se méprendre sur ce qui lui était demandé ;

Que ce n'est que postérieurement que l'enquête a été poursuivie auprès des entreprises requérantes, qui font, ainsi, vainement état d'une irrégularité et ne justifient pas d'une atteinte à l'exercice des droits de la défense ;

Que le moyen invoqué est donc inopérant et doit en conséquence être rejeté ;

Sur la régularité des procès-verbaux des 13 juin 1990 et 25 septembre 1990 :

Considérant qu'aux termes de l'article 31 du Décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 " les procès-verbaux prévus à l'article 46 de l'ordonnance sont rédigés dans le plus bref délai. Ils énoncent la nature, la date et le lieu des constatations ou des contrôles effectués. Ils sont signés de l'enquêteur et de la personne concernée par les investigations. En cas de refus de celle-ci, mention en est faite au procès-verbal " ;

Considérant que les sociétés SCREG Sud-Est, SACER et Colas Méditerranée soutiennent que le procès-verbal d'audition et d'inventaire de documents communiqués par M. Robert Joulie, établi le 13 juin 1990, est irrégulier parce qu'il n'a pas été signé par Mme Josette Salles, directeur général, l'une des personnes concernées par les investigations, qui a reçu les enquêteurs au siège de l'entreprise, M. Robert Joulie, président directeur général et signataire de l'acte, n'étant arrivé sur les lieux que dans la demi-heure qui a suivi ; que l'absence de signature de Mme Salles ne permet pas, selon elles, à la cour d'exercer un contrôle sur la régularité des opérations ;

Mais considérant que le Conseil a justement relevé que le procès-verbal critiqué dresse l'inventaire des documents spontanément remis par M. Robert Joulie, seules investigations pratiquées ; que l'intéressé n'a formulé aucune observation sur la régularité du déroulement des opérations d'enquête, que ce soit au moment d'apposer sa signature sur les écrits en cause, ou postérieurement, en sorte que ledit procès-verbal a été valablement dressé ; qu'il importe peu que Mme Salles, qui a reçu les enquêteurs et a assisté aux investigations effectuées en la présence de M. Joulie, n'ait pas signé le procès-verbal, dès lors que les documents, objet de celui-ci, ont été remis auxdits enquêteurs par M. Joulie, lequel a signé l'acte dressé en sa qualité de personne concernée au sens du texte précité ; que des sociétés requérantes sont donc mal fondées à soulever l'irrégularité du procès-verbal ;

Qu'au demeurant, les parties ne justifient pas du grief que leur causerait l'irrégularité alléguée, dès lors qu'il n'a jamais été prétendu par les signataires ou par les personnes présentes qui n'ont pas signé les documents que la relation concrète des opérations telle qu'effectuée dans les pièces discutées serait inexacte ;

Considérant que la société Bec soutient également que le procès-verbal sur lequel la poursuite est fondée est incontestablement entaché d'irrégularité dès lors qu'il ne comporte pas l'indication de l'objet de l'enquête dans le cadre de laquelle les enquêteurs sont intervenus ni la nature des investigations auxquelles il a été procédé ;

Mais considérant que, si la formule pré-imprimée selon laquelle les enquêteurs énoncent :

"Nous nous sommes présentés (suit l'indication manuscrite du siège de la société Joulie), où nous avons été reçus par (suit l'indication de M. Salles, directeur général, puis de M. Joulie, président directeur général, arrivé à 10 heures), nous avons justifié de notre qualité et indiqué l'objet de notre enquête", ne permet pas, en soi, de vérifier que les exigences légales et réglementaires ont été respectées, dès lors qu'elle ne mentionne pas de façon concrète l'objet et l'étendue de l'enquête, la société Bec n'est cependant pas fondée à remettre en cause la régularité du procès-verbal concernant une entreprise qui n'a jamais discuté avoir été valablement informée de l'objet de l'enquête et de la nature des investigations exercées dans le cadre de l'ordonnance du 1er décembre 1986, expressément visée ;

Qu'il s'ensuit que cette argumentation est sans portée :

Considérant que la société Bec soutient encore que le procès-verbal du 13 juin 1990 portant inventaire des documents communiqués ne vise aucunement un devis estimatif, non daté, qui lui aurait été transmis par la société Joulie avant la date limite du dépôt des offres, qui lui est proposé ; que rien, selon cette entreprise, ne permet de connaître l'origine de la numérotation continue retenue par le Conseil comme preuve de la régularité de la communication dudit document, que la mention " copie conforme à l'original " ne suffit pas à justifier que la pièce litigieuse émanait bien de la société Joulie ;

Mais considérant que le ministre fait pertinemment observer que la continuité des cotes et la " certification " par l'agent de la DGCCRF, du devis concerné, la présente du tampon de la société Joulie, comme sur les autres pièces, et la mention manuscrite " copie certifiée conforme à l'original ; à Cournonsec, le 13 juin 1990 " permettent de s'assurer de la présence de ce devis dans la chemise n° 10 concernée, même si la pièce en cause n'est pas listée ;

Que le moyen de la société Bec doit être écarté ;

Considérant, enfin, que la société SCREG Sud-Est prétend que le procès-verbal du 25 septembre 1990 serait nul, puisqu'il consignerait les déclarations de M. Robert Joulie relatives aux investigations opérées par les enquêteurs, le 13 juin 1990, aux termes d'un procès-verbal lui-même irrégulier ; qu'il serait également nul à défaut de mentionner la remise d'un double conformément aux dispositions de l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais considérant, en premier lieu, que le procès-verbal du 13 juin 1990 n'ayant lieu d'être écarté des débats, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, celui du 25 septembre 1990, qui y fait référence, ne peut être tenu pour irrégulier ; qu'il convient, au surplus, d'observer que le procès-verbal du 25 septembre 1990 de déclarations de M. Joulie est suffisamment clair et précis pour conclure que la personnes entendue ne pouvait se méprendre sur cet objet ; que ces déclarations portent bien sur les conditions des marchés sur lesquels il avait spontanément remis des pièces, le 13 juin 1990, tout en étant parfaitement informé, et que celui-ci n'a jamais invoqué l'irrégularité des opérations en cause ;

Considérant, en second lieu, que si la remise d'un double du procès-verbal est une mention obligatoire et si mention doit en être faite au procès-verbal pour en rapporter la preuve, l'omission de cette mention ne conduit pas à écarter ledit procès-verbal des débats dès lors que la formalité de la remise n'est pas contestée par l'intéressé ; que la société SCREG, tiers audit procès-verbal, ne peut valablement soutenir que les droits de la défense, en ce qui la concerne, s'en trouveraient affectés ;

Que le moyen doit être écarté ;

Sur la durée de la procédure :

Considérant que les sociétés SCREG Sud-Est, SACER et Colas Méditerranée prétendent qu'elles se sont trouvées dans l'impossibilité de présenter efficacement leur défense compte tenu de la durée de la procédure, ne pouvant de ce fait rassembler les éléments d'informations nécessaires ; que la conclusion des dossiers ne peut, selon elles, suppléer l'absence, à ce jour, des responsable de l'entreprise à l'époque des faits ; que les lenteurs " excessives " de la procédure ne sont, selon elles, justifiées ni par l'ampleur ni par la complexité du dossier ;

Considérant qu'il est constant que les faits commis en 1989/1990 ont fait l'objet d'une saisine du Conseil, le 11 juin 1990 ; que la notification initiale de griefs, le 30 août 1994, a été suivie d'une notification complémentaire, le 14 août 1997, le Conseil s'étant prononcé le 3 juin 1998 ;

Mais considérant qu'en dépit de la durée des opérations, les sociétés se contentent d'affirmer, sans le démontrer, qu'elles auraient été dans l'impossibilité de faire valoir leurs moyens de défense ou de rassembler des éléments de preuve susceptibles d'être opposés aux indices graves, précis et concordants invoqués à leur encontre ; qu'il n'est nullement établi que la durée de la procédure les ait privées de la possibilité de se défendre et du bénéfice d'un procès équitable ;

Qu'il convient en outre de relever qu'à supposer ce délai excessif au regard de la complexité de l'affaire, la sanction qui s'attache à la violation de l'obligation pour le Conseil de se prononcer dans un délai raisonnable résultant de l'article 6 alinéa 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme n'est pas l'annulation de la procédure ou sa réformation, mais la réparation du préjudice résultant éventuellement d'un tel délai ;

Que le moyen doit en conséquence être écarté ;

II- Sur les pratiques :

Considérant qu'en matière de marché public la coordination des offres ou l'échange d'informations antérieure au dépôt des offres caractérisent une entente anticoncurrentielle contrevenant aux dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Que la preuve d'une telle entente peut être rapportée par un faisceau d'indices qui, après recoupement, constituent un ensemble de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes ;

Sur le marché d'aménagement de la place de la mairie à Cournonsec :

Considérant que M. Robert Joulie, PDG de la société, a déclaré le 25 septembre 1990, que n'étant pas vraiment intéressé par le marché de Cournonsec en raison de la nature des travaux à effectuer, qui ne correspondaient pas aux activités de travaux d'enrobés et de routes qui sont plutôt les siennes, il avait adressé aux sociétés routières SPAPA, Berthouly et SOGETP des informations sur les prix du marché, pour les deux premières, par télécopie du 21 juillet 1989, et pour la troisième oralement ;

Que la société Joulie conteste que cette simple communication unilatérale d'informations chiffrées puisse constituer, à défaut de réciprocité, " un échange d'informations " anticoncurrentiel et reproche au Conseil d'avoir retenu l'existence d'une concertation prohibée en relevant que ces informations avaient été suivies d'offres sensiblement égales au double du prix auquel le marché a, en définitive, été attribué, très proche de l'estimation initiale qu'en avait faite le maître d'œuvre alors, d'une part, que l'absence d'informations n'a pas empêché une autre société, la société Via France, dont le comportement illicite n'a pas été retenu, de formuler une offre très proche des autres entreprises concurrentes qui restaient libres de leur décision, et, d'autre part, que le fait pour elle d'avoir été la seule des entreprises concernées à présenter une offre nouvelle, dans le cadre du marché négocié faisant suite à l'ouverture des plis déclarant le marché infructueux, se justifie par son implantation locale, que cette offre nouvelle n'a pas été suivie d'effet comme étant incomplète, qu'il n'est pas établi que l'entreprise retenue, qui ne participait pas à l'appel d'offres initial, ait réalisé les travaux prévus tout au moins sans faire intervenir d'autres entreprises, qu'aucune présomption supplémentaire et déterminante ne peut être tirée des prix auxquels le marché négocié a été passé ;

Mais considérant que le Conseil, après avoir relevé que les déclarations du dirigeant d'entreprise étaient corroborées par les documents remis aux enquêteurs, à savoir un " papillon " sur lequel figure la mention manuscrite " SOGETP autour de 470 000 F HT " et deux rapports d'émission de télécopie, le 21 juillet 1989, d'un bordereau quantitatif manuscrit du lot n° 1 VRD, comportant, l'un la mention " SPAPA VRD M. Cadet à envoyer en télécopie ", l'autre, la mention " Berthouly M. Revoxis à envoyer en télécopie ", a exactement retenu que les soumissions effectuées par SPAPA pour un montant de 468 826 F, par Berthouly pour un montant de 448 023,90 F et par SOGETP pour un montant de 467 000 F, qui correspondent aux coûts unitaires et à un total sensiblement proche du montant estimatif indiqué par la société Joulie (" autour de 470 000 F ", 468 826 F et 448 023,90 F), dont la soumission atteint elle-même un montant de 415 000 F, ne peuvent trouver d'explication, s'agissant de travaux estimés par le maître d'œuvre à un montant de 225 000 F, que dans l'existence d'un échange d'informations préalablement au dépôt des offres ;

Que, dans ces circonstances, il importe peu que l'échange d'informations auquel a procédé la société Via France, à l'encontre de laquelle la preuve de sa participation aux pratiques dénoncées n'est pas rapportée, n'ait pas vu sa responsabilité engagée, ni que l'entreprise Joulie, dont l'implantation locale ne l'obligeait pas à soumissionner, n'ait finalement pas remporté le marché négocié ;

Qu'en raison de ce faisceau d'indices graves, précis et concordants, le Conseil a retenu à bon droit que la société Joulie avait participé à une concertation entre entreprises soumissionnaires à un même marché préalablement au dépôt des offres, concertation qui avait eu pour objet ou pouvait avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché, qui constituait une pratique prohibée par l'article 7 de l'ordonnance de 1986 précitée ;

Sur le marché d'aménagement des abords de la salle polyvalente de la commune de Teyran :

Considérant que l'envoi par la société Joulie, le 8 février 1989, aux sociétés TP d'Orques, à Saint-Georges-d'Orques, Jeanjean, à Vendargue, et Sonerm, à Saint-Mathieu-de-Tevies, d'un devis prévisionnel estimatif portant la mention : " Comme convenu nous vous prions de bien vouloir trouver ci-joint le devis estimatif que vous voudrez bien taper et adresser à M. Ducros, architecte DPLG... " dans le cadre du marché décidé, le même jour, par le conseil municipal de Teyran, et ayant donné lieu à une mesure de publicité dans le BOAMP du 16 février suivant, avant d'être officiellement interrompu par la municipalité, le 17 mars 1989, ne permet pas, à lui seul, de caractériser, avec la certitude requise, l'existence d'un accord de volonté entre les entreprises concernées, sans lequel la pratique ne peut être qualifiée d'entente ;

Que la preuve de la pratique prohibée n'étant pas suffisamment rapportée, il convient, sur ce point, de réformer la décision déférée ;

Sur le marché de réfection du chemin du Ponant de la commune de Fabrègues :

Considérant que le dirigeant de la société Joulie a déclaré au cours de l'enquête avoir adressé à la société SOLATRAG, par télécopie du 25 mai 1990, un devis estimatif d'un montant de 38 355,24 F TTC, pour lui permettre de formuler son offre, précisant qu'il était convenu que la société Joulie obtiendrait le chantier que la société SOLATRAG réaliserait pour son compte, par compensation, en règlement d'une dette antérieure ;

Que, pour contester l'échange d'informations, la société Joulie fait valoir que l'accord de la société SOLATRAG, qui a formulé une offre de 23 % supérieure au montant du devis estimatif, conservait toute latitude pour formuler une meilleure offre et n'a pas confirmé l'accord de sous-traitance ; qu'à supposer même l'accord établi, celui-ci ne tomberait pas, selon elle, en soi, sous le coup des pratiques illicites de l'ordonnance de 1986 ;

Que la société SOLATRAG prétend pour sa part n'avoir jamais répondu aux sollicitations de la société Joulie, dont elle conteste être débitrice, explique le montant de son offre, supérieure de 23 % par la nécessité de recourir, pour partie, à la sous-traitance, ne disposant pas de la qualification et des équipements nécessaires pour y procéder seule, précise enfin que les informations n'ont pas été communiquées, au moment des faits, au responsable de l'entreprise qui n'a eu aucun contact avec l'entreprise Joulie ;

Mais considérant que l'incapacité matérielle de la société SOLATRAG de réaliser les travaux concernés, loin de révéler le caractère individuel de sa démarche, ne fait que renforcer la thèse d'une action concertée, l'intérêt de la société SOLATRAG, à présenter une offre dans les conditions susvisées, en raison notamment du faible montant du marché en cause, ne pouvant autrement s'expliquer ; qu'il importe peu que le destinataire des informations n'ait pas été le responsable de la société ;

Que le Conseil a estimé, à juste raison, que les deux entreprises avaient mis en œuvre une concertation prohibée ;

Sur le marché d'entretien de la voirie de la commune de Palavas :

Considérant que la société Joulie soutient que l'appel d'offres restreint lancé par la commune de Palavas, début 1990, sous forme d'un marché à commandes, pour le marché d'entretien et de réparation de la voirie communale, avait pour objet de permettre le paiement des travaux qu'elle avait réalisés pour le compte de cette commune, à la fin de l'année 1988, mais qui n'avaient pu encore être effectués ; qu'elle en déduit qu'il ne peut y avoir entente répréhensible dès lors qu'une personne, " et surtout pas le maître de l'ouvrage ", n'a été trompé ;

Que les sociétés SACER (venant aux droits de la société Crégut) et Colas Méditerranée prétendent qu'il n'existe à leur encontre aucun faisceau d'indices graves, précis et concordants démontrant leur participation à une quelconque concertation ;

Mais considérant que le Conseil a retenu, pour la démonstration de l'existence d'un échange d'informations préalable aux dépôts des offres, que parmi les pièces communiquées par l'entreprise Joulie figurait une copie du procès-verbal d'ouverture des plis du 1er mars 1990 sur laquelle, en face du nom de l'entreprise Crégut, est apposée la mention : " 650 HT ", ainsi que sept devis estimatifs comportant chacun, en première page, le nom des sept entreprises concurrentes retenues pour l'appel d'offres restreint, ceux concernant les sociétés Crégut et Colas portant eux-mêmes les mentions : " Crégut - M. Genet - 650 000 HT - OK ", " Colas - M. Gouverne - OK " ; que si les devis " Crégut " et " Colas " n'étaient pas datés, l'antériorité de l'échange d'informations au dépôt des offres du 28 mars 1990 résultant de leur présence dans la chemise de l'entreprise Joulie portant, en titre, " Commune de Palavas ", à l'intérieur de laquelle trois des huit devis se trouvent complétés par un rapport d'émission attestant de leur transmission en télécopie, le 26 mars 1990, soit antérieurement au dépôt des offres ; que cet élément se trouve conforté par le fait que la société Crégut a effectivement déposé, le 27 mars 1990, une offre de 652 558 F HT, très proche de la somme de 650 000 F mentionnée de façon manuscrite sur le devis précité détenu par Joulie, suivie de la mention OK, peu important l'estimation globale, " en chiffre rond ", effectuée de cette somme ; que la soumission de la société Colas est en tout point similaire à la somme indiquée ;

Que le fait que le dirigeant de la société Joulie ait déclaré, pour les devis Crégut et Colas, qu'il ne croyait pas les avoir envoyés, n'est pas de nature à ruiner la force probante qui s'attache à l'ensemble d'indices graves, précis et concordants, tel que relevé par le Conseil et ci-dessus rappelé, les explications fournies par la société SACER (venant aux droits de Crégut) et par la société Colas Méditerranée, notamment sur le fait que la société Joulie aurait été en possession des montants de la soumission précédente, n'étant étayées par aucun élément permettant de leur apporter crédit ;

Qu'il convient encore de relever, comme le souligne pertinemment le ministre, que la société Colas Méditerranée n'a entrepris aucun démarche, comme elle aurait pu le faire si elle estimait que le marché présentait une irrégularité ;

Que les allégations de la société Joulie, selon lesquelles le maître de l'ouvrage n'a pu être trompé en raison de la finalité poursuivie, ne sont pas davantage avérées, les factures qu'elle produit sur ce point sont inopérantes et contredites par la lettre du 12 octobre 1990, justement évoquée par le Conseil, aux termes de laquelle la commune de Palavas conteste l'existence d'une quelconque dette au titre de travaux réalisés en 1988/1989 ;

Considérant, dans de telles conditions, que la preuve de la participation des huit entreprises soumissionnaires à la concertation dénoncée est suffisamment rapportée, les sociétés SCREG Sud-Est et Bec n'ayant, pour leur part, formulé aucune critique de fond sur cette concertation ;

Que les prétentions des sociétés Joulie, SACER (venant aux droits de Crégut) et Colas Méditerranée doivent en conséquence être rejetées ;

Sur le marché du programme de voirie de la commune de Lattes :

Considérant que la société Entreprise Joulie & Fils, tout en reconnaissant l'échange d'informations et l'accord ayant existé entre elle et la société Berthouly pour une rétrocession réciproque de partie du marché, conteste la pratique prohibée, soutenant à cet effet que le maître d'œuvre et le maître de l'ouvrage n'ont pu être trompés ; que, connaissant parfaitement les qualifications respectives des deux entreprises, ceux-ci n'ignoraient pas qu'une partie des travaux serait nécessairement sous-traitée ; qu'aucune des deux entreprises n'a eu la volonté de les tromper dès lors qu'elles auraient pu tout aussi bien agir en groupement ; que l'effet de cette entente a d'ailleurs été insignifiante puisque sur les douze entreprises soumissionnant à leurs côtés, quatre ont été moins disantes que la société Joulie, et sept moins disantes que la société Berthouly ; que l'incrimination n'est selon elle pas fondée ;

Mais considérant que la société Joulie ne conteste pas la force probante des éléments retenus ni l'existence de l'entente ; qu'aucun élément n'établit que le maître de l'ouvrage, à qui les deux entreprises ont remis une offre distincte, ait eu connaissance des accords passés entre elles ; qu'il est constant que la société Joulie n'a pas indiqué, dans l'offre par elle déposée, qu'elle entendait sous-traiter partie du chantier alors que le fait de soumissionner à un appel d'offres sans mentionner le recours à une autre entreprise implique nécessairement que l'entreprise réalise elle-même les travaux et, qu'à défaut, elle abuse nécessairement le maître de l'ouvrage sur la réalité de la concurrence ; que le fait que deux entreprises sur quatorze soumissionnaires aient été seulement concernées par l'entente est inopérant, l'échange, entre elle deux, d'informations sur les prix, comme le relève pertinemment le ministre, influençant nécessairement leur stratégie commerciale sur le marché en cause ;

Que le Conseil a considéré à bon droit que l'échange d'informations ainsi révélé, qui a bien eu pour objet et pouvait avoir pour effet de fausser la concurrence, constituait une pratique prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

III- Sur les sanctions :

Sur l'imputabilité des pratiques :

Considérant que la société SACER, qui vient aux droits de la société Entreprises Albert Crégut & Fils, prétend qu'elle n'assurerait pas la continuité économique et financière de la société Crégut, contrevenante au moment des faits, précisant que parties des actifs, dont ceux ayant concouru à l'infraction, ont été cédés antérieurement à l'absorption de Crégut par SACER, à une société Crégut Languedoc ;

Mais considérant, comme le relève à juste titre le ministre, que si la société Entreprise Albert Cregut & Fils a cédé partie de ses actifs, le 1er janvier 1994, à deux entités juridiques, Cregut Languedoc et Cregut Atlantique, la fusion-absorption réalisée le 2 mai 1994 entre SACER et Entreprise Albert Cregut & Fils, à effet rétroactif au 1er janvier 1994, dans le même secteur d'activité, se traduisant, sur le plan juridique, par la nomination du président du conseil d'administration de la société Cregut à la direction de la société SACER, a eu pour effet de maintenir la structure de l'entreprise; qu'il résulte de la convention de fusion-absorption du 2 mai 1994 que les sociétés Cregut Languedoc et Cregut Atlantique sont des filiales reprises par les deux filiales de SACER; que la société SACER n'est pas étrangère aux deux filiales; que le Conseil a estimé, à bon droit, qu'elle venait aux droits de la société Cregut, les faits lui étaient imputables;

Sur les sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13, alinéa 3, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise sanctionnée ; qu'elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise et de façon motivée pour chaque sanction ;

Considérant que le dommage à l'économie, indépendant du préjudice subi par le maître de l'ouvrage, en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires, doit s'apprécier en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence par la généralisation de telles pratiques ;

Considérant que le Conseil, s'agissant du dommage à l'économie, a exactement relevé que l'entente entre certaines entreprises soumissionnaires aux marchés ci-dessus évoqués, avait pour objet ou pouvait avoir pour effet de faire échec au déroulement normal des procédures d'appel d'offres soit en faisant attribuer le marché à l'une d'entre elles, soit en contraignant le maître de l'ouvrage à déclarer l'appel d'offres infructueux et à engager une procédure négociée occasionnant nécessairement un retard ; que ces pratiques anticoncurrentielles sont intervenues sur plusieurs marchés dans le département de l'Hérault ; qu'il importe peu que certaines ne se soient livrées à une concertation prohibée que sur un marché ;

Considérant que le Conseil a justement retenu que l'ancienneté des faits est sans influence sur le montant des sanctions prononcées ;

Considérant, sur les éléments individuellement retenus pour la fixation des sanctions, qu'il doit être relevé :

- que la société Languedocienne de travaux publics et de génie civil (SOLATRAG), qui s'est livrée aux pratiques anticoncurrentielles dans l'un des cinq marchés incriminés, pour un montant de 27 841 F, s'est exactement vu infliger une sanction de 50 000 F, compte tenu du chiffre d'affaires de 63 404 175 F hors taxes, réalisé au cours de l'année 1997, année de référence, la faible importance du marché n'étant pas de nature à faire obstacle au prononcé de sanctions d'un chiffre supérieur audit montant ;

- que la société Joulie, qui s'est livrée aux pratiques susvisées dans les quatre marchés retenus, pour un montant de travaux variant entre 271 585 F, 27 841 F, 702 598 F et 3 183 940 F ne peut valablement invoquer le caractère prétendument anecdotique des pratiques sur les 400 marchés examinés pour la période considérée ; qu'elle ne peut davantage se prévaloir du contexte local des marchés en cause qui aurait dû la conduire à une vigilance accrue ; que la sanction de 300 000 F qui lui a été infligée, eu égard au chiffre d'affaires non contesté de 37 620 601 F, hors taxes, pour 1997, constitue une exacte appréciation de la situation, le fait que les pratiques sur le marché d'aménagement des abords de la salle polyvalente de la commune de Teyran ne soient pas retenues étant sans influence sur la sanction prononcée en raison du caractère répété du comportement illicite ;

- que la société SCREG Sud-Est, dont il est établi qu'elle a participé à l'un des marchés en cause d'un montant de 702 598 F, s'est vu justement infliger une sanction de 70 000 F, le Conseil ayant à juste titre retenu, comme assiette de la sanction, le chiffre d'affaires de 375 706 685 F, hors taxes, réalisé en 1997, aboutissant à un résultat positif, sans s'arrêter aux résultats financiers déficitaires des trois années qui ont précédé ;

- que la société SACER, pour des pratiques commises sur le même marché et un chiffre d'affaires de 16 770 240 F, hors taxes, a été exactement sanctionnée à hauteur de 50 000 F ;

- qu'il en est de même de la société Colas Méditerranée qui, au regard d'un chiffre d'affaires de 78 090 065 F, hors taxes, s'est vu infliger une sanction pécuniaire de 100 000 F ;

- qu'il convient de relever que la société Bec n'a formulé aucune critique sur le montant de la sanction prononcée ;

Par ces motifs : LA COUR rejette les recours des sociétés Languedocienne de travaux publics et de génie civil, Bec Frères, SCREG Sud-Est, SACER et Colas Méditerranée ; dit qu'il n'y a lieu à poursuivre à l'encontre de la société Joulie & Fils TP au titre du marché d'aménagement des abords de la salle polyvalente de la commune de Teyran ; rejette pour le surplus son recours ; met les dépens à la charge des requérantes.