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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 4 septembre 1997, n° 17240-95

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Listing Kansai (SARL)

Défendeur :

Kenzo (SA), Bidermann Europe (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dragon

Conseillers :

MM. Isouard, Semeriva

Avoués :

SCP Cohen, SCP Martelly Maynard, SCP Saint-Ferréol-Touboul

Avocats :

Mes Collard, Bessis, Gollety.

TGI Grasse, du 22 juin 1995

22 juin 1995

Exposé du litige :

La société Kenzo est titulaire des marques :

- Kenzo, déposée le 20 avril 1972 sous le numéro d'enregistrement 1 205 111 (n° de dépôt 627 081), renouvelée sous le numéro 327 708, enregistrée sous le numéro 1 714 335.

- Kenzo Paris, déposée le 17 novembre 1982, sous le numéro 1 219 092, renouvelé le 20 octobre 1992 sous le même numéro.

Exposant que l'un de ses distributeurs à Cannes, la SARL Listing Kansai faisait un usage abusif de ces marques, la société Kenzo a assigné celle-ci devant le Tribunal de grande instance de Grasse, qui par jugement réputé contradictoire du 22 juin 1995 :

- a dit que cette société s'était rendue coupable d'usage non autorisé de ces marques,

- lui a fait " défense d'utiliser à l'avenir, sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée, les marques Kenzo sur son store et sur les deux enseignes horizontale et bandeau en les utilisant à titre d'enseigne ",

- a condamné la SARL Listing Kansai à payer à la société Kenzo une somme de 80 000 F à titre de dommages-intérêts,

- a ordonné la publication du jugement dans cinq journaux au choix de la société Kenzo, dans la limite de 7 000 F par insertion,

- a ordonné l'exécution provisoire, et prononcé une indemnité de 3 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SARL Listing Kansai a relevé appel le 17 août 1995, puis s'est désistée, par courrier de son avoué en date du 27 novembre 1995.

La société Kenzo, qui avait formé appel incident le 17 novembre 1995, n'a pas accepté ce désistement.

Aux termes d'un acte du 30 novembre, la SARL Listing Kansai a par ailleurs assigné la société Kenzo, et la société Bidermann, titulaire d'un contrat de licence d'exploitation exclusive des marques en cause, devant le Tribunal de commerce de Paris, en indemnisation de refus de vente.

Statuant sur contredit, la Cour d'appel de Paris, par arrêt du 11 septembre 1996, a renvoyé la connaissance de ce litige à la Cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Le dossier relatif à cette seconde procédure a été égaré, ce qui est apparu après mise en délibéré de l'instance déjà pendante devant la cour, et les parties, avisées de la situation ont adressé les pièces nécessaires à sa reconstitution.

A l'audience du 20 mars 1997, elles ont même indiqué que cette situation ne justifiait pas une réouverture des débats, et que l'affaire plaidée le 12 février 1997, était bien en état d'être jugée, les conclusions précédemment échangées évoquant complètement le litige relatif au grief de refus de vente.

Dans ce cadre, qui réunit les deux instances, les moyens et prétentions sont les suivants :

La SARL Listing Kansai expose :

- qu'elle est, depuis 1986, distributrice de vêtements pour hommes de la marque Kenzo, qui lui sont fournis par la société Bidermann,

- que dans un souci de conciliation commerciale, elle s'est abstenue de comparaître devant le Tribunal de Grasse, puis a notifié un désistement d'appel, auquel la société Kenzo s'est opposée dans le seul but de maintenir une connexité artificielle gênant la procédure suivie à Paris,

- qu'en refusant d'honorer sa commande du 3 septembre 1995, portant sur les produits de la ligne printemps-été 1996, et en lui notifiant qu'elle ne serait plus livrée à l'avenir, la société Kenzo a commis un refus de vante fautif,

- qu'en effet, de telles décisions ne pouvait être prises que par la société Bidermann,

- que c'est en vain que cette société se prévaudrait des difficultés causées de mauvaise foi par la société Kenzo à propos de l'utilisation de la marque Kenzo,

- que le fournisseur doit assumer sa responsabilité, spécialement au regard de l'article 36 alinéa 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et donc honorer la commande normale et habituelle, faite de bonne foi auprès d'elle, sauf son recours contre la société Kenzo, si celle-ci ne lui permet pas de respecter ses obligations,

- que même si elle était le fournisseur, la société Kenzo ne saurait se prévaloir du jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Grasse, dans la mesure où il ressort de celui-ci que la SARL Listing Kansai a droit d'utiliser la marque Kenzo Hommes et que la différence entre cette dernière et celles visées à la décision est purement abstraite et commercialement insignifiante,

- que d'ailleurs l'utilisation jugée interdite s'est poursuivie de 1986 à 1994 sans protestation de la part de la société Kenzo,

- que la faute retenue par le tribunal est particulièrement minime,

- qu'elle a donné lieu à une évaluation non contradictoire du préjudice, et ne saurait justifier un refus de vente,

- que la SARL Listing Kansai s'est conformée à la décision et n'a pas perdu sa qualité d'acheteur de bonne foi,

- que ce refus de vente constitue en outre un acte d'exploitation abusive de la dépendance d'autrui, dans la mesure où il est impossible de se fournir en produits de marque notoire Kenzo sans passer par l'intermédiaire de la société Bidermann, alors même que les produits ainsi marqués correspondent à plus de 70 % du chiffre d'affaires de la SARL Listing Kansai,

- que les prétendus retards de paiements dont ses contradicteurs lui font grief ne sont pas fondés, et qu'elle était à jour de ses paiements au moment du refus contesté,

- que ses difficultés actuelles à régler le solde des produits non livrés ne sont que les suites du refus de vente, du préjudice commercial consécutif, et de la difficulté à écouler les stocks,

- qu'en réalité, la SARL Listing Kansai détenait l'exclusivité de la vente des produits Kenzo à Cannes, et que c'est pour l'évincer que la société Kenzo a imaginé un reproche tenant à l'utilisation des marques,

- que de même, la litanie de courriers qu'elle aurait laissés sans réponse correspond à des reproches inspirés par la mauvaise foi et ne repose pas sur des écrits prouvés.

Cette société estime encore qu'il appartenait à la société Bidermann de l'aviser des exigences de la société Kenzo concernant l'utilisation des marques, et que son abstention de longue durée sur ce point la rend responsable du procès intenté par cette dernière.

La SARL Listing Kansai conclut en conséquence en ces termes :

- la recevant en son appel, en réformant le jugement entrepris,

- dire et juger que le refus de vente " dont l'intimée est l'auteur " viole les dispositions de l'article 36 alinéa 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

- qu'en effet, la commande refusée ne présente aucun caractère anormal, en tant qu'elle est semblable à celles faites auprès de la société Bidermann, depuis des années à la même époque,

- que cette commande a été faite de bonne foi, la société Bidermann ne pouvant formuler aucun grief personnel, le jugement du 22 juin 1995 ne concernant que la société Kenzo, et non la société Bidermann,

- dire et juger que le jugement précité ne serait pas de nature à faire perdre à la concluante sa qualité d'acheteur de bonne foi, si le litige concernait la société Kenzo au lieu de la société Bidermann,

- dire et juger enfin qu'en toute hypothèse, la société Bidermann est responsable du litige entre la société Kenzo et la concluante,

- dire et juger qu'en outre le refus de vente de l'intimée est constitutif d'une exploitation abusive de la dépendance économique de la concluante, ce au mépris de la prohibition édictée par l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Sollicitant pour le surplus le bénéfice des moyens exposés dans le corps de ses conclusions, la SARL Listing Kansai demande la condamnation de la société Bidermann à lui payer les sommes de :

- 12 500 000 F, avec intérêts de droit à titre de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice financier,

- 300 000 F, avec intérêts de droit, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice causé par résistance abusive,

- 30 000 F, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

A titre subsidiaire, elle sollicite la désignation d'un expert chargé de déterminer le montant de son préjudice financier, et demande en cette hypothèse la condamnation de la société Bidermann à lui payer une provision de trois millions de francs.

En réponse aux écritures adverses, la SARL Listing Kansai fait encore valoir :

- que la demande de la société Kenzo relative à une pratique de marque d'appel, est nouvelle, car formulée pour la première fois devant la cour, et doit être rejetée comme telle,

- qu'il n'importe pas de savoir si la société Kenzo a consenti une exclusivité à la société Bidermann, dans la mesure où c'est bien cette dernière société qui a consenti sa propre exclusivité à la SARL Listing Kansai, à laquelle les difficultés contractuelles entre ces parties sont inopposables,

- que ce n'est qu'à partir du moment où la société Bidermann s'est mise à fournir d'autres commerçants à Cannes, spécialement M. Trabaud, que la SARL Listing Kansai, qui jusqu'alors réalisait 90 à 95 % de son chiffre d'affaires au moyen de ventes de produits Kenzo, a été obligée de commercialiser des marchandises d'autres marques,

- qu'aucune mention du contrat de licence ne régit les dimensions ou coloris des vitrines ou des stores,

- que la société Bidermann ne justifie d'aucun courrier relatif à des limitations en la matière,

- que le constat d'huissier du 2 juillet 1996 est dénué de toute pertinence, la société Kenzo ayant de toute manière contresigné le constat relatif à la modification des bâches et des enseignes du magasin au mois d'août 1995,

- qu'il n'est pas de contradiction à souligner, à la fois, la collusion des deux sociétés adverses, et l'inopposabilité de leurs rapports à la SARL Listing Kansai.

La société Kenzo expose qu'elle exploite activement les marques dont elle est titulaire, et qu'elle a défini très strictement leurs conditions d'utilisation, pour contribuer à leur prestige, assurer leur utilisation cohérente, et éviter toute tromperie envers la clientèle.

Elle précise qu'elle a notamment signé un contrat de licence avec la société Bidermann, qui à cette époque avait plusieurs distributeurs multimarques à Cannes, dont la SARL Listing Kansai.

La société Kenzo reproche à cette dernière :

- d'avoir apposé sur sa boutique les marques Kenzo et Kenzo Paris, sans droit ni titre et de façon tout à fait abusive,

- d'avoir utilisé tout aussi abusivement une enseigne " Kenzo l'événement Kenzo " reprenant la marque sans aucun droit, dans la mesure où le commerce considéré est multimarques,

- d'avoir ainsi trompé la clientèle, et de l'avoir attirée par une marque notoire.

La société Kenzo indique que, devant cette situation, la SARL Listing Kansai a été mise en demeure de respecter les normes visuelles réservées aux distributeurs, et que cette société n'a pas répondu.

Elle précise :

- qu'un constat dressé par huissier le 5 avril 1994 établit la persistance des manquements reprochés, plus de deux mois après cette mise en demeure,

- que la permanence de cette situation a encore été constatée par huissier les 3 octobre 1994 et 23 juin 1995,

- que de même, la SARL Listing Kansai s'est identifiée, à diverses reprises et notamment dans l'annuaire téléphonique, sous l'appellation Kenzo,

- qu'ainsi les fautes qui lui sont reprochées sont loin d'être minimes,

- que d'ailleurs, elle s'est désistée de son appel, et a expressément acquiescé aux termes du jugement entrepris,

- qu'elle a laissé diverses marchandises impayées auprès de la société Bidermann,

- que la SARL Listing Kansai s'est rendue coupable, après le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Grasse de pratiques de marque d'appel, en continuant à afficher les mentions Kenzo sur sa boutique, sans plus disposer de marchandises de cette marque,

- que la demande de dommages-intérêts formée à ce propos n'est pas nouvelle en cause d'appel, mais correspond à l'évolution du litige à la poursuite des atteintes portées par la SARL Listing Kansai aux marques en question.

La société Kenzo considère en conséquence que la SARL Listing Kansai, qui ne saurait se prévaloir d'une qualité de distributeur exclusif, s'est indûment présentée au public sous cette apparence, qu'elle a entretenu une confusion entre les différentes marques Kenzo, et qu'enfin son argumentation relative à l'impossibilité de se fournir en marchandises équivalentes est inopérante, puisqu'elle distribue d'autres marques de vêtements notoires.

Elle estime que la commande faite par cette société est viciée de mauvaise foi, et que le refus de l'honorer est justifié.

Elle conclut :

- confirmer en son principe le jugement rendu le 22 juin 1995 par le Tribunal de grande instance de Grasse, en disant que la SARL Listing Kansai s'est rendue coupable d'usage non autorisé des marques en cause,

- faire défense à cette société d'utiliser à l'avenir, et ce sous astreinte définitive de 10 000 F par infraction constatée, les marques Kenzo sur son store et sur les deux enseignes horizontales et bandeau en les utilisant à titre d'enseigne, et de quelque façon que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de son magasin,

- condamner la société Listing Kansai à la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts pour usage non autorisé de la marque au bénéfice de la société Kenzo, et ordonner à titre de supplément de dommages-intérêts aux frais de la société Listing Kansai la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux au choix de la société Kenzo dans la limite de 15 000 F par insertion,

- condamner la société Listing Kansai à une somme supplémentaire de 200 000 F à titre de dommages-intérêts, compte tenu des faits nouveaux de concurrence déloyale s'analysant en la pratique de la marque d'appel, comme précisées par conclusions et par la production d'une publication parue dans le journal Nice Matin du 16 novembre 1996,

- débouter la société Listing Kansai de l'intégralité de ses demandes principales et subsidiaires concernant le refus de vente prétendu, en fait injustifié par les motifs légitimes exposés,

- rejeter la demande en garantie formée par la société Bidermann,

- condamner la société Listing Kansai au paiement d'une somme de 50 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Bidermann Europe est volontairement intervenue aux débats, par conclusions prises le 9 février 1996, sur l'appel formé par la société Listing Kansai contre le jugement du Tribunal de grande instance de Grasse.

Elle expose qu'elle est recevable en cette intervention, en raison de sa mise en cause par la société Kenzo, d'une part, et eu égard aux termes de son contrat de licence, d'autre part, qui lui fait obligation d'intervenir aux procédures diligentées par la société Kenzo pour la défense de ses marques.

La société Bidermann soutient :

- que le fait d'être distributeur de la ligne Kenzo Hommes ne confère aucune exclusivité à la SARL Listing Kansai, qui n'a, ni par contrat, ni de fait, jamais bénéficié d'une telle position,

- que sur la revendication formulée en ce sens en 1993, cette société s'est immédiatement vu notifier que le représentant dont elle entendait tenir ses droits, M. Antonini, n'avait nulle autorité pour consentir de telles habilitations, et n'avait transmis à la société Bidermann aucun document à ce propos,

- que de même l'attestation, obtenue auprès de l'ancien représentant de la société Bidermann, certifiant abusivement cette exclusivité, est dépourvue de valeur,

- que malgré les demandes de l'attaché commercial de la société Bidermann, puis les mises en demeure adressées par la société Kenzo, la société Listing Kansai a continué à utiliser la marque Kenzo comme si elle était distributrice exclusive de celle-ci, et sans respecter les indications précises qui lui avaient été données quant aux conditions d'affichage des couleurs et logos,

- que par ailleurs, cette société avait pris l'habitude de payer les marchandises commandées par chèques à encaisser sur une période de quatre à six mois, malgré les protestations de la société Bidermann,

- que par ordonnance de référé du 21 novembre 1996, qu'elle n'a pas exécutée, et dont elle a relevé appel, la société Listing Kansai a été condamnée à payer à la société Bidermann une somme de 172 372,17 F au titre de marchandises non réglées.

La société Bidermann estime en conséquence que le refus de vente qu'elle a opposé à la commande passée de mauvaise foi par cette société est justifié, tant au regard de cette situation, que de l'interdiction, faite entre temps par la société Kenzo à ses licenciés, de vendre des produits marqués à la société Listing Kansai.

Elle fait enfin valoir que cette société distribue d'autres marques notoires, et n'a aucun lien de dépendance économique à son égard.

La société Bidermann conclut :

- constater que la société Listing Kansai fait preuve de mauvaise foi, en utilisant abusivement les marques Kenzo et Kenzo Paris, en se faisant passer pour une boutique exclusive Kenzo, en excipant d'une exclusivité qui ne lui a jamais été garantie et qui ne lui a jamais été concédée, et en se refusant à régler les factures de marchandises livrées avant août 1995,

- constater que la société Listing Kansai n'avait pas soldé le règlement de la saison printemps-été 1995 en août 1995,

- constater qu'elle a été régulièrement livrée de la saison automne-hiver 1995,

- dire et juger que la société Bidermann est en conséquence bien fondée, du fait des instructions de la société Kenzo, et du fait des manquements de la société Listing Kansai, à opposer un refus de vente pour les commandes de la saison printemps-été 1996,

- débouter la société Listing Kansai de sa demande en toutes fins qu'elle comporte,

- en tout état de cause, constater que la société Listing Kansai ne rapporte la preuve d'aucun préjudice la concernant,

- à titre infiniment subsidiaire, dire et juger que la société Kenzo garantira la société Bidermann Europe de toute condamnation prononcée à son encontre,

- condamner la société Listing Kansai au paiement d'une somme de 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 février 1997.

La société Bidermann demande en conséquence le rejet, en application de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile, des conclusions prises par la société Listing Kansai le 4 février.

Cette société a répliqué le 7 février, pour exposer que les écritures querellées sont recevables, bien que postérieures à la clôture, dans la mesure où elles se bornent à développer et préciser les moyens précédents.

Par ailleurs, les parties ont signifié des pièces après clôture.

Motifs de la décision :

Par courrier adressé par le conseiller de la mise en état le 13 janvier 1997, les parties, déjà avisées de la date de renvoi de l'affaire lors de l'audience du 19 septembre 1996, ont été averties que l'ordonnance de clôture serait rendue le 5 février 1997.

La société Listing Kansai a conclu le 4 février, pour développer ses moyens relatifs à l'irrecevabilité des demandes de la société Kenzo à propos d'un grief de marque d'appel.

Compte tenu du minimum de temps nécessaire à l'élaboration et à la transmission d'une réponse, les autres parties ont été concrètement empêchées de répondre à ces conclusions, il n'importe pas, à ce propos que l'argumentation de fond leur ait déjà été connue.

Ces conclusions doivent être rejetées en application des articles 15 et 16 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile.

Aucune demande de révocation de l'ordonnance de clôture n'ayant par ailleurs été formulée, les pièces et conclusions postérieures à celle-ci, qui n'entrent pas dans les prévision dérogatoires de l'article 783 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile, sont irrecevables en application du premier alinéa de ce même texte.

Sur l'utilisation non-autorisée de marques :

Le désistement d'appel de la SARL Listing Kansai n'a pas été accepté par la société Kenzo, qui avait déjà formé appel incident.

Ce désistement ne peut ainsi produire d'effet.

Si les écritures de la société Listing Kansai demandent expressément la réformation du jugement l'ayant condamnée pour utilisation illicite des marques Kenzo et Kenzo Paris, elles se bornent à minimiser l'importance, au regard du refus de vente ultérieur, de la pratique ainsi condamnée, sans nullement soutenir que celle-ci aurait en réalité été permise.

Elle affirme seulement à ce propos qu'elle aurait disposé d'une exclusivité de fait pour la commercialisation des produits " Kenzo " à Cannes.

Mais une telle assertion est sans portée au regard de la différence entre les marques Kenzo et Kenzo Paris, d'une part, sur lesquelles la société Listing Kansai ne justifie d'aucun droit, et la marque Kenzo Homme, d'autre part.

Cette distinction ressort expressément d'un courrier du 27 janvier 1994, dont la SARL Listing Kansai a accusé réception le 1er février suivant, et par lequel la société Kenzo s'adressait à elle en ces termes :

" Nous avons constaté que vous faites apparaître notre marque Kenzo :

- sur votre enseigne, au-dessus de votre store, de part et d'autre du nom commercial " L'Evènement ", de façon à laisser penser à la clientèle qu'il s'agit d'une boutique à l'enseigne Kenzo,

- sur les côtés, la face avant et le dessus de votre store, lequel, fermé ou déployé, laisse lui aussi croire à une boutique Kenzo, surtout si l'on considère la très grande taille du logo Kenzo apposé sur le dessus du store.

En outre, vous utilisez, là aussi abusivement, le logo Kenzo Paris, alors que vous ne devriez utiliser que le seul logo Kenzo Homme.

Nous vous rappelons que vous n'êtes pas autorisé à faire un tel usage de notre marque et d'un logo Kenzo ne correspondant pas à la ligne que vous diffusez.

Vous devez impérativement vous conformer aux normes visuelles que nous avons fixées et qui ont dû vous être indiquées par Bidermann Europe. "

La SARL Listing Kansai ne justifie d'aucune réponse à cette mise en demeure précise.

Or :

- par constat d'huissier dressé le 5 avril 1994, il a été observé que sur le lambrequin du store de la boutique Listing Kansai, se trouvait le logo de la marque Kenzo Homme, de part et d'autre du nom commercial " L'Evènement ", que sur le dessus du store, une seule mention était affichée, consistant en un très grand modèle du logo Kenzo Homme, que ces mentions étaient encore reprises sur une enseigne lumineuse et sur une affiche publicitaire cartonnée,

- la 3 octobre 1994, l'huissier reproduisait des observations strictement identiques,

- de même, un constat dressé le 23 juin 1995 montrait l'absolue persistance de la situation,

- l'annuaire téléphonique de l'année 1994 appelait " Kenzo " la boutique de la société Listing Kansai.

Dans ces conditions, le jugement rendu le 22 juin 1995 par le Tribunal de grande instance de Grasse, condamnant la société Listing Kansai pour usage non autorisé des marques Kenzo et Kenzo Paris est parfaitement justifié en son principe.

En ce qui concerne le quantum des réparations, la société Kenzo forme appel incident en s'appuyant d'abord, sur une perpétuation des infractions après condamnation, et sur une pratique de marque d'appel.

Mais, sur le premier point, il n'est justifié que de constatations en date du 23 juin 1995, si bien que la prétendue perpétuation des faits se résume à un seul jour à compter du jugement entrepris.

Et sur le second aspect de cet appel incident, elle s'analyse en réalité comme une prétention nouvelle.

A supposer en effet que la société Listing Kansai ait continué à faire mine d'offrir des produits Kenzo à la vente alors qu'elle ne disposait plus de stocks de cette marque, le principe du préjudice allégué par la société Kenzo est tout différent de celui résultant de l'utilisation indue de marques dont elle est titulaire.

La demande ne tend donc pas aux mêmes fins que celle présentée en première instance, ni ne procède de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Elle est irrecevable en application des articles 564 et 565 du nouveau Code de procédure civile.

Par ailleurs, la société Kenzo ne justifie nullement que l'évaluation de son dommage par les premiers juges serait insuffisance, la seule référence à la notoriété, indiscutée, de la marque, ou aux indemnités prononcées en d'autres circonstances ne suffisant pas à démontrer cette prétendue insuffisance.

Pour autant la société Listing Kansai ne saurait prétendre que l'utilisation licite d'une marque Kenzo minimiserait le dommage causé par l'usage indu d'autres marques se référant à ce même nom.

La déclinaison de diverses marques autour d'une dénomination unique traduit un souci de différencier les produits marqués, tout en affirmant leur affiliation commune ; un usage sans discernement réduit à néant cette politique en mélangeant les références dans l'esprit du consommateur, au détriment de l'effet recherché par le dépôt des diverses marques, qui est d'assigner à chacune d'elles la désignation de produits différents destinés à une clientèle propre, et à pallier ainsi le risque de voir la marque générale identifiée comme s'adressant à un seul type de consommateur.

Ainsi, la vente des produits de marque Kenzo ou Kenzo Paris aux côtés d'autres marques Kenzo Homme, au mépris de cette recherche de lisibilité, justifie les réparations ordonnées par les premiers juges.

Les réparations ordonnées par cette décision sont adéquates, tant en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts, que les modalités de publication de la condamnation et l'astreinte ; il convient de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Sur le refus de vente et l'abus de dépendance économique :

Que l'utilisation indue de marques ait été commise au détriment du titulaire de celles-ci, et non du fournisseur ayant par la suite refusé d'honorer sa commande, n'implique pas que ce dernier ne saurait se prévaloir de cette faute.

En effet, les sociétés Kenzo et Bidermann sont liées par un contrat de licence exclusive, dont la société Listing Kansai connaît parfaitement l'existence, puisqu'elle y fait référence pour expliquer qu'elle ne saurait se fournir de produits Kenzo sans passer par l'intermédiaire du titulaire de la licence.

La société Listing Kansai ne saurait ainsi tirer argument du fait que la société Bidermann n'était pas partie relatif à l'utilisation indue des marques Kenzo et Kenzo Paris.

Et quant aux autres moyens présentés par cette société :

1- Qualité de distributrice exclusive à Cannes des produits Kenzo :

La société Listing Kansai soutient que M. Antonini, représentant de la société Bidermann, lui aurait consenti cette exclusivité, et produit aux débats une attestation par laquelle celui-ci énonce notamment que " M. Bibas, représentant de la société Listing, avait acquis tacitement l'exclusivité de la vente des produits Kenzo Homme sur la ville de Cannes ", que " la société Bidermann [lui] a toujours demandé d'augmenter le chiffre d'affaires avec la société de M. Bibas, de façon à ce que sa boutique soit la plus représentative du produit Kenzo ", et qu'il " n'a jamais eu de consigne de la société Bidermann et de Kenzo de transmettre à la société Listing aucune dimension ou emplacement des logos Kenzo ou Kenzo Homme ".

Par un courrier adressé à M. Bibas, M. Antonini indique encore que s'il a pris commande des établissements Trabaud, il a été " clairement dit que celle-ci concernait exclusivement les magasins de Nice et Saint-Raphaël, à l'exception de ceux de Cannes et Draguignan, où des exclusivités avaient déjà été accordées (dont vous bénéficiez à Cannes) ".

Par un autre courrier, enfin, daté du 15 janvier 1990, M. Antonini tient à rassurer M. Bibas, en lui confirmant qu'" il conserve l'exclusivité sur la ville de Cannes de la distribution de la collection Kenzo Homme ".

En l'état des mentions figurant aux bordereaux de communication versés à la procédure, il n'est pas possible de dire quelle " attestation " de M. Antonini fait l'objet de la communication tardive du 5 février 1997, et se trouve exclue des débats.

Mais en toute hypothèse et pour reste de droit, M. Antonini a cessé ses fonctions de représentation de la société Bidermann à compter de l'année 1991, soit bien avant les faits en litige dans la présente affaire, et il n'est aucune trace au dossier de l'affirmation par la société Listing Kansai de sa prétention à un statut de revendeur exclusif avant les évènements des années 1994 et 1995, qui font la matière du présent procès.

Par ailleurs, la " société Listing " à laquelle il est fait allusion a en réalité pour nom Toky Listing, selon les termes de l'attestation et quoique animée, semble-t-il, par le même gérant que Listing Kansai cette société ne se confond pas avec celle-ci.

Enfin, les déclarations de M. Antonini sont extrêmement laconiques quant à la manière dont l'appelante aurait tacitement acquis l'exclusivité discutée.

S'il est bien établi au travers des éléments comptables produits par la société Listing Kansai que la vente par ses soins de produits de marque Kenzo constituait une part majeure de son chiffre d'affaires, et s'il est également constant que la quantité de produits livrés par la société Bidermann n'a cessé de croître, il ne résulte, ni de ce comportement, ni d'un engagement émanant sous quelque forme que ce soit d'un responsable de l'entreprise, que ce fournisseur ne s'est jamais engagé à ne vendre qu'à ce seul commerçant cannois.

Une obligation contractuelle de réserver ces fournitures à la seule société Listing Kansai ne saurait se déduire du seul fait qu'aucun autre commerçant local ne se soit, durant un temps, intéressé à la distribution de ces articles, ni de l'engagement souscrit par un représentant de commerce manifestement étranger aux responsabilités de gestion, et à la conduite de la société Bidermann.

Etant encore relevé que l'attestation de M. Antonini ne vise en toute hypothèse que les produits Kenzo Homme, l'acquisition par la société Listing Kansai de la qualité de distributeur local exclusif ne saurait être tenue pour établie.

Le litige relatif au refus de vente doit ainsi être envisagé hors toute considération d'obligation exclusive entre parties, pour se situer dans le seul cadre d'un désaccord entre un fournisseur et un distributeur auparavant liés par des relations anciennes et habituelles.

2- Qualité d'acquéreur de bonne foi de la société Listing Kansai au regard de l'ancien article 36 alinéa 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Il ressort du jugement du 22 juin 1995, confirmé par la présente décision que la société Listing Kansai a indûment utilisé des marques dont la société Kenzo est propriétaire, et comme il a été dit, ce manquement aux usages loyaux du commerce n'est pas minime car il menace la cohérence de la stratégie de marques de la société Kenzo.

La société Listing Kansai fait exactement valoir, à sa décharge, que les intimées n'établissent nullement que leurs spécifications en matière de taille des logos employés par ses soins lui aient jamais été communiquées.

Les seules affirmations des sociétés Kenzo et Bidermann à ce propos, même assorties d'une information réelle, complète et précise, dont la méconnaissance puisse justifier une réaction, et en l'occurrence un refus de vente.

Mais la portée de cette situation ne doit pas être exagérée par la société Listing Kansai.

En effet, les constats d'huissier versés aux débats montrent le sigle Kenzo régnant sans partage sur les enseignes de la boutique.

Celle-ci étant de surcroît désignée par ce seul nom dans l'annuaire, le public ne pouvait qu'être invité à croire que la société Listing Kansai exploitait un magasin monomarque, et cette circonstance est toute différente de cette révélée par les constats dressés à sa propre demande, qui se bornent à montrer des devantures de boutiques affichant les logos Kenzo, sans que cette mention prime excessivement sur celles des autres marques distribuées par ces mêmes boutiques.

Ainsi, en septembre 1995, au moment où elle présente la commande litigieuse, la société Listing Kansai :

- s'est présentée de fait, depuis des années et spécialement pour la période comprise entre les mois de janvier 1994 et juin 1995, comme distributrice exclusive et monomarque, alors qu'elle n'a aucune de ces qualités, le tout malgré mise en demeure puis assignation émanant de la société Kenzo,

- a résisté aux demandes de mise en conformité présentées par la société Kenzo sous le prétexte fallacieux qu'elle n'aurait de rapports qu'avec la société Bidermann, alors que c'est bien les marques Kenzo qu'elle distribuait dans ces conditions.

Une telle usurpation, venant s'adjoindre à l'utilisation indue de marques, est exclusive de bonne foi.

Le refus de vente opposé par le licencié de la marque est en conséquence justifié, indépendamment des considérations relatives aux différés des paiements, dont la société Bidermann tire aujourd'hui argument pour soutenir que la société Listing Kansai aurait été en faute à son égard, alors qu'il n'est nullement établi qu'elle ait protesté à ce propos lors des transactions des années précédentes.

Par ailleurs, le refus d'honorer la commande de la société Listing Kansai ne constitue pas un abus de dépendance économique, cette société pouvant se procurer d'autres articles équivalents, quoique de marques différentes auprès d'autres fournisseurs.

Il convient en conséquence de débouter la société Listing Kansai de ses demandes relatives à de prétendus refus de vente et abus de dépendance économique.

Aucune circonstance n'amène à écarter l'application en la cause des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Déclare irrecevables les conclusions prises pour la SARL Listing Kansai le 4 février 1997, ainsi que les pièces et conclusions échangées par les parties après le 5 février 1997 hors les conclusions tendant au rejet de ces pièces et écritures tardives, Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 22 juin 1995 par le Tribunal de grande instance de Grasse, Vu l'arrêt rendu pat la Cour d'appel de Paris le 11 septembre 1996, Déboute la société Listing Kansai de ses demandes à l'encontre des sociétés Kenzo et Bidermann des chefs de refus de vente et abus de dépendance économique, La condamne, en sus des condamnations de première instance, à payer à chacune d'entre elles une indemnité de 10 000 F (dix mille francs) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Listing Kansai aux entiers dépens ; autorise la SCP Martelly-Maynard et la SCP de Saint Ferréol-Touboul à recouvrer directement ceux dont elles ont fait l'avance sans recevoir provision.