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Décisions

Conseil Conc., 26 mai 1998, n° 98-D-32

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisine de la SARL Parfum vanille

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Mme Sévajols, par M. Barbeau, président, , MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents.

Conseil Conc. n° 98-D-32

26 mai 1998

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 19 juillet 1996, sous le numéro F 890, par laquelle la SARL Parfum vanille a saisi le Conseil de la concurrence des pratiques mises en œuvre par l'Union réunionnaise des coopératives agricoles UR2 ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Le rapporteur, le rapporteur général et le commissaire du Gouvernement entendus, la SARL Parfum vanille ayant été régulièrement convoquée ; Adopte la décision fondée sur les constatations (1) et sur les motifs (2) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

A. - Les caractéristiques du marché

a) Sa délimitation

La vanille est l'arôme le plus répandu dans le monde. Toutefois, sa consommation sous forme d'extraits naturels de vanille a diminué au profit des produits de synthèse beaucoup moins chers. Alors que la production mondiale de vanilline de synthèse est de l'ordre de 12 000 tonnes par an, la production de vanille naturelle s'élève à 1 500 tonnes par an, ce qui correspond à 30 tonnes de vanilline naturelle.

La vanilline de synthèse n'est cependant qu'imparfaitement substituable à la vanille naturelle, tant pour des raisons qualitatives que pour des raisons économiques. En effet, l'arôme vanille, qui comprend selon les spécialistes environ deux cents composants spécifiques, est beaucoup plus complexe que l'arôme vanilline. Les conditions de culture et d'exploitation de la vanille ainsi que le faible rendement en vanilline expliquent les prix très élevés de la vanille naturelle. Alors que le prix d'un kilo d'arôme de synthèse est de l'ordre de 80 à 100 F, celui de l'arôme naturel s'élève à 20 000 F environ. Compte tenu de cette différence de prix, les extraits de vanille naturelle sont plutôt réservés aux produits haut de gamme et la vanilline de synthèse aux produits courants.

b) L'offre et la demande de vanille naturelle

Le vanillier est une orchidée à fleurs blanches qui produit des fruits aromatiques, les gousses de vanille verte. Pour que le parfum se développe, des opérations d'échaudage, de séchage et de stockage sont nécessaires. Le traitement de 4 à 4,5 kilos de vanille verte permet d'obtenir 1 kilo de vanille préparée ou vanille noire.

La production de vanille de chaque pays est très fluctuante d'une année à l'autre compte tenu des aléas climatiques (cyclones) et des accidents phytopathologiques. Les pays de l'océan Indien produisent environ 1 200 tonnes de vanille préparée. Madagascar est le premier producteur avec une exportation de l'ordre de 1 000 tonnes par an. Les Comores arrivent en seconde position avec 150 à 200 tonnes. Depuis 1994, la production de l'île de la Réunion, inférieure à 10 tonnes, n'est plus exportée. De nouveaux pays producteurs sont arrivés sur le marché dans les années 1980, principalement l'Indonésie qui produit chaque année environ 400 tonnes de vanille.

La demande de vanille naturelle est de l'ordre de 1 600 tonnes par an ; les États-Unis importent à eux seuls près de 800 tonnes par an, la France et l'Allemagne environ 200 tonnes par an chacune. L'entreprise la plus consommatrice de vanille est Coca-Cola qui utilise à elle seule environ 200 tonnes de vanille par an.

c) La production de vanille dans l'île de la Réunion

Sur les quinze dernières années, la production, tendanciellement en forte baisse, est caractérisée par de fortes variations annuelles :

EMPLACEMENT TABLEAU

Un plan de relance de la production, qui avait porté la production de 70 tonnes à près de 100 tonnes sur la période 1983-1989, a été perturbé par des accidents phytopathologiques, par des cyclones et par la chute du prix mondial de la vanille conjuguée à la baisse du dollar qui ont entraîné une perte de rentabilité. Cette perte de rentabilité a accéléré la désaffection des producteurs traditionnels de vanille et en trois ans les deux tiers d'entre eux ont cessé leur activité. Ainsi, la surface cultivée en vanille est passée de 650 hectares en 1992 à 200 hectares en 1995. Parallèlement, le nombre de livreurs de vanille est passé de 677 à 242.

e) La consommation de vanille dans l'île de la Réunion

La consommation locale de vanille naturelle est estimée à environ 10 tonnes de vanille noire par an. Le secteur industriel consomme près de 5 tonnes de vanille noire mais il s'agit principalement de vanille importée. L'utilisation domestique de la vanille est aussi estimée à 5 tonnes par an. Les consommateurs locaux achètent fréquemment de la vanille naturelle importée, principalement de la vanille bourbon de Madagascar. En revanche, pour les touristes qui visitent l'île, l'origine " Réunion " du produit est un critère de choix déterminant.

Depuis 1994, la production locale étant inférieure à la demande, le marché s'est ouvert à la concurrence malgache et comorienne, tant pour l'utilisation industrielle que pour l'utilisation domestique. En 1996, les 5,4 tonnes de vanille noire produites ont principalement été commercialisées pour un usage domestique dans les sites touristiques.

f) La collecte, la transformation et la distribution de vanille dans l'île de la Réunion

La collecte et la transformation de la vanille verte sont effectuées soit par la coopérative agricole des producteurs de vanille de Bras-Panon, soit par des entreprises privées. La société La Maison de la vanille et l'entreprise de Mme Apavoupoullé sont les deux principaux producteurs du secteur privé. Il existe d'autres préparateurs de moindre importance, comme la société Escale bleue, qui produisent moins de cent kilos de vanille noire chaque année.

En mai 1995, la coopérative agricole des producteurs de vanille et sa filiale commerciale, la Compagnie industrielle d'arômes alimentaires bourbon (CIAAB), ont été mises en redressement judiciaire. Le 26 juillet 1995, le Tribunal de commerce de Saint-Denis a arrêté un plan de cession de la coopérative et de la CIAAB au profit de l'Union réunionnaise des coopératives agricoles UR2.

Dans les années 1980, la coopérative assurait près de 90 % de la collecte de la vanille produite dans l'île de la Réunion, mais à partir de 1992, les volumes traités et sa part de marché ont baissé de manière sensible. Ainsi, alors qu'en 1987 la coopérative de Bras-Panon avait traité 136 tonnes de vanille verte, soit 91 % de la production locale, en 1996 la coopérative, reprise par l'Union réunionnaise des coopératives agricoles UR2, ne traitait plus que 16 tonnes de vanille verte, ce qui correspondait à 64 % de la production locale.

Les préparateurs de vanille commercialisent leur production essentiellement dans les sites touristiques. Ainsi, en 1996, la coopérative UR2 a écoulé 80 % de sa production, soit environ 3 tonnes, sur son site de production et 300 kilos environ dans le circuit des grandes et moyennes surfaces. La société La Maison de la vanille a commercialisé environ 650 kg de vanille dans son point de vente touristique et 650 kg auprès de revendeurs, de boutiques artisanales et de quelques artisans chocolatiers-glaciers.

L'entreprise de Mme Apavoupoullé a vendu sa production à un seul client, La Maison de la vanille.

B. - Les pratiques constatées

La SARL Parfum vanille a été créée le 5 mars 1992 par d'anciens salariés du syndicat d'initiative qui vendaient la vanille de la coopérative sur le site de production. Elle exploite une boutique de produits artisanaux et touristiques à proximité de la coopérative.

Jusqu'en 1995, la SARL Parfum vanille a vendu aux touristes qui visitaient la coopérative la vanille produite par cette dernière et divers souvenirs. Bien qu'aucun contrat ne liait la société Parfum vanille et la coopérative, la société Parfum vanille bénéficiait de l'exclusivité de la vente de la vanille de la coopérative sur le site même de la coopérative.

A la suite de la reprise de la coopérative par l'Union réunionnaise des coopératives agricoles UR2, les nouveaux responsables ont décidé, en 1996, de valoriser leur production et de vendre eux-mêmes aux touristes la vanille transformée par la coopérative. En mai 1996, ils ont ouvert un point de vente à quelques mètres de la boutique Parfum vanille et ont isolé cette boutique par une clôture.

Cette nouvelle concurrence de la coopérative a eu des conséquences directes sur le niveau d'activité de la SARL Parfum vanille. Alors qu'en 1994 la fréquentation de la boutique s'élevait à environ 24 000 touristes, elle est passée à 15 000 visiteurs en 1995 et à 5 500 visiteurs en 1996. Le chiffre d'affaires qui s'élevait à 2 millions de francs entre 1993 et 1995 n'était que de 518 000 francs en 1996.

Au début de l'année 1996, la SARL Parfum vanille a également dû faire face à des difficultés d'approvisionnement. A plusieurs reprises, par téléphone, par courrier du 22 février 1996 puis par télécopie du 1er mars 1996, son gérant a demandé en vain au représentant de la coopérative UR2 ses tarifs afin de lui commander de la vanille préparée. Le 4 mars 1996, la coopérative lui a répondu que, pour le moment, elle distribuait elle-même ses produits sans avoir recours à des revendeurs. La société Parfum vanille a également rencontré des difficultés pour s'approvisionner après des autres fournisseurs. Le 18 mai 1996, la Maison de la vanille lui a répondu que, compte tenu des mauvaises récoltes, elle ne pouvait pas lui vendre de vanille. De même, la société Escale bleue, qui lui avait répondu favorablement en juin 1996, l'a informée le 6 juillet 1996 qu'elle n'avait plus aucun stock de vanille. En 1996 et 1997, la société Parfum vanille s'est toutefois approvisionnée auprès de ces deux dernières sociétés.

Le gérant de la SARL Parfum vanille estime qu'il est victime de concurrence déloyale, de détournement de clientèle et de refus de vente de la part de la coopérative UR2. Il a assigné à deux reprises la coopérative agricole devant les juridictions commerciales. Par jugement du 9 octobre 1996, le tribunal de commerce de Saint-Denis a décidé de reporter l'affaire. Le 19 octobre 1996, la SARL Parfum vanille a assigné la coopérative UR2 pour que soit ordonné l'enlèvement des fléchages et panneaux apposés près de l'entrée de son magasin. Le 11 décembre, la juridiction des référés commerciaux a débouté la SARL Parfum Vanille de sa demande.

Dans sa saisine, la SARL Parfum vanille soutient que la coopérative UR2, par des pratiques de concurrence déloyale, de détournement de clientèle et de refus de vente, abuse de sa position dominante et de l'état de dépendance économique dans lequel elle se trouve à son égard, la vanille étant indispensable à l'activité de la société et aucun autre fournisseur n'étant susceptible de l'approvisionner en vanille de la Réunion.

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

En ce qui concerne la définition des marchés :

Considérant que la vanille de synthèse n'est qu'imparfaitement substituable à la vanille naturelle, tant pour des raisons qualitatives que pour des raisons économiques tenant aux modes et aux coûts de production ainsi qu'aux prix de vente; que ces deux produits ne sont donc pas sur le même marché;

Considérant que, pour un usage courant, tant pour les industriels que pour les consommateurs, la vanille bourbon provenant de Madagascar, des îles Mayottes ou des Seychelles, ainsi que la vanille naturelle provenant du Mexique, de l'Indonésie ou de Tahiti sont substituables à la vanille de la Réunion; qu'ainsi, les industriels et les distributeurs importent depuis plusieurs années à la Réunion de la vanille de Madagascar, d'une part parce que les prix de la vanille importée sont plus bas que ceux de la vanille produite localement, d'autre part parce que la production locale ne suffit plus à satisfaire la demande ; que les volumes des importations et la présence dans les linéaires des moyennes et grandes surfaces de l'île de la Réunion de vanille importée traduisent cette substituabilité entre les vanilles naturelles de différentes origines ;

Considérant que la production de vanille de la Réunion est artisanale, peu importante en volume mais de grande qualité et d'un prix élevé ; qu'elle n'est plus exportée et qu'elle est commercialisée principalement dans les sites touristiques ; que, pour les touristes qui visitent l'île de la Réunion, l'origine locale du produit est un critère déterminant lors de l'achat de vanille dès lors qu'ils achètent de la vanille uniquement parce qu'il s'agit d'un produit local; qu'ainsi, pour cette catégorie de clientèle, aucune autre vanille n'est substituable à celle de la Réunion; qu'il existe ainsi un marché de détail de la vanille de la Réunion, distinct du marché de la vanille destinée à la consommation courante;

Sur la position de la coopérative UR2 sur le marché de la vanille de la Réunion :

Considérant que la vanille produite localement est transformée par trois préparateurs de vanille de taille importante : la coopérative agricole de Bras-Panon reprise par UR2, la SARL La Maison de la vanille et l'entreprise de Mme Apavoupoullé ; que la coopérative agricole de Bras-Panon est le principal préparateur de vanille ; qu'entre les années 1981 et 1994, la coopérative a collecté et traité plus de 80 % de la vanille produite, voire 98 % en 1981 ; qu'en 1995 et 1996, ses parts de marché ont baissé mais sont restées élevées puisque la coopérative a traité 72 et 64 % de la vanille produite à la Réunion ; que, compte tenu de ses parts de marché et de sa notoriété, la coopérative détient une position dominante sur le marché de la vanille de la Réunion ;

Sur les pratiques mises en œuvre par la coopérative UR2 :

Considérant que la SARL Parfum vanille soutient que la coopérative UR2, en ouvrant une boutique à proximité de la sienne, en détournant la clientèle par des panneaux d'affichage et en lui refusant la vente de vanille préparée, abuse de sa position dominante et de l'état de dépendance dans lequel se trouve la SARL Parfum vanille à son égard ;

Mais considérant, en premier lieu, que le choix d'un mode de distribution relève de la libre appréciation du fournisseur sous réserve que le refus opposé à un revendeur ne constitue pas une pratique contraire aux règles de la concurrence; qu'ainsi, un fournisseur reste libre de modifier l'organisation de son réseau de distribution sans que ses clients bénéficient d'un droit acquis au maintien de leur situation;

Considérant, en deuxième lieu, que l'instruction n'a pas permis d'établir que l'ouverture de la boutique de la coopérative à proximité de la SARL parfum vanille et que les publicités et panneaux d'affichages mis en place présentaient un caractère abusif;

Considérant, en troisième lieu, que s'agissant du refus de vente, l'instruction a fait apparaître qu'à la fin de l'année 1995 la coopérative ne disposait d'aucun stock de vanille ; que la coopérative UR2 a repris la vente directe de vanille sur le site de production en janvier 1996 ; que les demandes de vanille de la SARL Parfum vanille ont été formulées par courrier en février et mars 1996 ; qu'à cette période, la coopérative ne livrait aucun revendeur ainsi qu'elle l'a précisé dans sa réponse à la société Parfum vanille du 4 mars 1996 ; qu'à partir du 1er juillet 1996, la coopérative a édité un tarif revendeur et a vendu de la vanille à des distributeurs ; que l'enquête n'a permis de recueillir aucun élément démontrant que la société Parfum vanille a passé commande à la coopérative UR2 après le 1er juillet 1996 ; qu'en conséquence, il n'est pas établi que cette coopérative a refusé de vendre de la vanille préparée à la société Parfum vanille ou qu'elle a traité cette dernière de façon discriminatoire ;

Sur l'état de dépendance économique de la SARL Parfum vanille à l'égard de la coopérative :

Considérant que, si la vanille de la Réunion produite par la coopérative a représenté jusqu'à 50 % du chiffre d'affaires de la SARL Parfum vanille, cette dernière a toutefois la possibilité de s'approvisionner auprès des autres producteurs de l'île; que les difficultés d'approvisionnement que la SARL Parfum vanille a rencontrées en 1996 sont dues en partie à la baisse de la productionet que, néanmoins, elle a pu s'approvisionner en 1996 et 1997 auprès des sociétés Escale bleue et La Maison de la vanille; qu'en outre une partie importante de son chiffre d'affaires est réalisée par la vente d'autres produits que la vanille; qu'en conséquence, il n'est pas établi que la SARL Parfum vanille soit en situation de dépendance économique à l'égard de ce fournisseur<s/trong>; qu'au surplus, à supposer même que la SARL Parfum vanille soit en état de dépendance à l'égard de la coopérative UR2, les éléments recueillis au cours de l'enquête et rappelés ci-dessus ne permettent pas de considérer que cette dernière entreprise aurait abusé de l'état de dépendance économique de la SARL Parfum vanille à son égard ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'instruction n'a pas permis d'apporter la preuve des pratiques anticoncurrentielles et, qu'en conséquence, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 20 de l'ordonnance,

Décide :

Article unique : Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.