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Décisions

Conseil Conc., 7 octobre 1997, n° 97-D-71

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisine présentée par les sociétés Asics France, Uhlsport France, LJO International, Le Roc Sport, VIP France, Puma France, Mizuno France, ABM Sport France, W. Pabisch, Lotto France, Nike France, Noël France, d'une part, et par la société Reebok France, d'autre part

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. Jean-René Bourhis, par M. Jenny, vice-président, présidant la séance, Mme Boutard-Labarde, MM. Gicquel, Pichon, Robin, Urbain, membres.

Conseil Conc. n° 97-D-71

7 octobre 1997

Le Conseil de la concurrence (section II),

Vu la lettre enregistrée le 9 juin 1995 sous le numéro F767 par laquelle Me Thibault a saisi le Conseil de la concurrence au nom des sociétés Asics France, Uhlsport France, LJO International, Le Roc Sport, VIP France, Puma France, Mizuno France, ABM Sport France, W. Pabisch, Lotto France, Nike France et Noël France de pratiques qui seraient mises en œuvre par la Ligue Nationale de Football (LNF ) et par la société Adidas Sarragan France à l'encontre de ces entreprises ; Vu la lettre enregistrée le 9 juin 1995 sous le numéro F 769 par laquelle Me Voillemot a saisi le Conseil de la concurrence au nom de la société Reebok France de pratiques qui auraient été mises en œuvre par la Ligue Nationale de Football et par la société Adidas Sarragan France ; Vu le traité du 25 mars 1957 modifié, instituant la Communauté européenne, et notamment ses articles 85 et 86, et le règlement (CEE) n° 17­62 du 6 février 1962 du conseil modifié, pris pour son application ; Vu l'ordonnance n° 86­1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86­1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu la loi n° 84­610 du 16 juillet 1984 modifiée et le décret n° 85­238 du 13 février 1985 modifié fixant les conditions d'attribution et de retrait de la délégation prévue à l'article 17 de la loi du 16 juillet 1984 modifiée ; Vu les observations présentées par les sociétés Asics France, Uhlsport France, LJO International, Le Roc Sport, VIP France, Puma France, Mizuno France, ABM Sport France, W. Pabisch, Lotto France, Nike France, Noël France et Adidas Sarragan France, par la Ligue Nationale de Football et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la Ligue Nationale de Football, des sociétés Asics France, Uhlsport France, LJO International, Le Roc Sport, VIP France, Puma France, Mizuno France, ABM Sport France, W. Pabisch, Lotto France, Nike France, Noël France, Reebok France et Adidas Sarragan France entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci­après exposés :

I­ CONSTATATIONS

1­ L'organisation du football professionnel

Le sport de football professionnel ou amateur se pratique, dans sa forme organisée, au sein de clubs qui sont regroupés en associations nationales appelées fédérations. Les fédérations nationales sont membres de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), association de droit suisse, qui organise le football sur le plan mondial. La FIFA est divisée en confédérations continentales. L'Union Européenne de Football Association (UEFA), qui a également son siège en Suisse, est l'organisation compétente pour l'Europe.

Les fédérations organisent les championnats nationaux en fonction du niveau des clubs qui sont répartis au sein de plusieurs divisions hiérarchiques.

a. L'organisation du sport en France

En France, ce sont les fédérations sportives qui sont, en application des dispositions de l'article 16 de la loi du 16 juillet 1984, modifiée par la loi n° 92­652 du 13 juillet 1992, chargées de "promouvoir l'éducation par les activités physiques et sportives, de développer et d'organiser la pratique des activités physiques et sportives". La loi précitée dispose qu'à condition d'avoir adopté des statuts conformes à des statuts types définis par décret en Conseil d'Etat, les fédérations sportives agréées par le ministre chargé des sports participent à l'"exécution d'une mission de service public". A ce titre, elles ont un pouvoir disciplinaire "dans le respect des principes généraux du droit" et font respecter les règles techniques et déontologiques de leurs disciplines. Les fédérations sportives sont placées sous la tutelle du ministre chargé des sports à l'exception de la confédération du sport scolaire et universitaire.

Conformément à l'article 17 de la loi du 16 juillet 1984, une seule fédération reçoit, dans chaque discipline sportive et pour une période déterminée, délégation du ministre chargé des sports pour organiser les compétitions sportives à l'issue desquelles sont délivrés les titres internationaux, nationaux, régionaux ou départementaux et procéder aux sélections correspondantes. La loi précise que la fédération désignée "définit, dans le respect des règlements internationaux, les règles techniques propres à sa discipline" et qu'un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'attribution et de retrait de la délégation. Un arrêté du ministre chargé des sports fixe la liste des fédérations délégataires de la mission d'organiser les compétitions officielles.

Un décret en Conseil d'Etat (n° 90­347 du 13 avril 1990) prévoit les conditions d'attribution de la délégation prévue à l'article 17 de la loi susmentionnée, "lorsqu'il est institué au sein de la fédération un organisme chargé de diriger les activités de caractère professionnel". Le décret prévoit notamment la mise au point d'une convention, approuvée par le ministre chargé des sports, définissant les relations de l'organisme concerné avec la fédération sportive.

b. Le football

C'est la Fédération Française de Football (FFF), association régie par la loi du 1er juillet 1901, fondée en 1906, qui a reçu la délégation prévue à l'article 17 de la loi n° 84­610 du 16 juillet 1984 (arrêtés ministériels du 2 août 1989 et du 2 juillet 1991).

Au nombre des ressources de la Fédération figurent notamment (article 32 des statuts) celles provenant de la "publicité et des retransmissions télévisées". L'article 18­1 de la loi du 16 juillet 1984 dispose en effet que "le droit d'exploitation d'une manifestation sportive appartient à l'organisateur de cet événement, tel qu'il est défini aux articles 17 et 18".

La convention qui lie la Ligue Nationale de Football (LNF), association régie par la loi du 1er juillet 1901, à la FFF dispose en son article 1er que "La gestion du football professionnel, reconnu par la FFF, dans le cadre de ses règlements et suivant les décisions de l'assemblée fédérale, est déléguée à la Ligue Nationale de Football". L'article 4 de ladite convention précise que "la publicité sur les équipements sportifs est réglementée par la FFF ; celle figurant dans les stades est permise dans les limites habituelles". L'article 5 des statuts de la LNF précise que cet organisme assure, "la gestion des activités du football professionnel en application et en conformité avec les règlements de la Fédération Française de Football, les dispositions de la convention conclue entre cette dernière et celle­là".

La LNF est composée (article 7 des statuts) :

- des groupements sportifs participant aux championnats de France de première ou deuxième divisions professionnelles. Ces groupements sont, conformément à l'article 11 de la loi du 16 juillet 1984 susvisée, constitués sous forme d'associations à statuts particuliers, de sociétés d'économie mixte (SEM) ou de sociétés à objet sportif ;

- de membres individuels parrainés par les présidents de clubs ;

- de membres d'honneur désignés par l'assemblée générale.

La LNF est administrée par un conseil d'administration de 26 membres élus au scrutin secret comprenant 8 représentants des clubs professionnels de première division, 3 représentants des clubs professionnels de deuxième division, 5 membres indépendants n'appartenant pas à un club affilié à la LNF, 2 représentants des joueurs, 2 représentants des éducateurs et cadres techniques, 1 représentant des arbitres et 1 représentant des personnels administratifs.

Parmi les attributions du conseil d'administration (article 24 des statuts), figurent les décisions relatives aux "ventes, échanges, achats, baux, quittances, mainlevées, marchés, transferts de valeurs". Le président est élu par l'assemblée générale au scrutin secret, dès l'élection du conseil d'administration. Un bureau, élu au sein du conseil d'administration à l'exclusion du président, membre de droit, prépare les travaux du conseil d'administration et assure la "mise en œuvre de la politique de la ligue".

Un "règlement des championnats de France professionnels de première et deuxième divisions" définit les conditions dans lesquelles se déroulent les épreuves du championnat professionnel. Les articles 315 et 316 dudit règlement sont consacrés aux règles relatives aux équipements des joueurs.

2­ Le secteur du parrainage, des équipements destinés à la pratique du football et des répliques

a. Le parrainage sportif

La commission de terminologie définit le parrainage comme le "soutien matériel apporté à une manifestation, à une personne, à un produit ou à une organisation en vue d'en retirer un bénéfice direct". Le parrainage se distingue donc du "mécénat", défini comme le "soutien matériel apporté sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire à une œuvre ou à une personne pour l'exercice d'activités présentant un intérêt général", et du "patronage", défini comme le "soutien moral explicite apporté à une personne, une organisation ou une manifestation".

Les clubs de football professionnels font généralement appel à deux types de "sponsors" :

- d'une part, les fabricants de produits de marque non utilisés par les sportifs dans leur activité sportive ;

- d'autre part, les fabricants d'articles de sport utilisés par les sportifs dans leur discipline sportive, comme les fabricants de chaussures de football. Pour désigner ce type de parrainage on utilise généralement le terme "parrainage sportif".

La fourniture d'équipements de sport par un fabricant d'articles de marque à une équipe professionnelle, assortie ou non du versement supplémentaire de "royalties", en contrepartie du droit d'utiliser l'image de cette équipe relève donc du "parrainage sportif" en ce qu'il vise à la promotion d'articles de sport par l'intermédiaire de sportifs professionnels chargés de promouvoir la marque concernée.

Il est de pratique courante que les clubs de football professionnels engagés dans le championnat de France, en particulier les plus notoires, bénéficient d'une dotation d'équipements sportifs (vêtements, chaussures) dans le cadre de contrats de parrainage signés entre les fabricants d'articles de sport et les clubs. Ces contrats définissent généralement les conditions dans lesquelles les parrains peuvent utiliser les images et le nom du club et des joueurs (en tant que membres du club), notamment sur leurs catalogues et documents publicitaires ainsi que sur des panneaux disposés sur le stade. En contrepartie, les fabricants s'engagent à fournir gratuitement au club des équipements sportifs et, parfois, à lui verser une rémunération annuelle fixe. Le contrat peut également prévoir le versement au club de royalties sur les ventes au grand public d'équipements, notamment les répliques, et de gadgets publicitaires utilisant les logos du club.

Tous les fabricants d'articles de football les plus notoires consacrent une part importante de leur budget au parrainage de clubs ou d'équipes nationales de renom.

Toutes les entreprises spécialisées dans la fabrication ou la commercialisation d'articles de sport ayant saisi le conseil exerçaient, avant les faits dénoncés, une activité de parrainage dans le secteur du football. Selon les éléments recueillis auprès des entreprises, la part des dépenses de parrainage dans les dépenses totales de promotion (publicité, parrainage) est la suivante :

EMPLACEMENT TABLEAU

La société Adidas Sarragan France a évalué à 126,585 millions de francs les dépenses "publicitaires et promotionnelles" de l'année 1994 dont 41,3 millions de francs au titre de la "contribution internationale" de la société. Les dépenses de parrainage ont représenté 40 % des dépenses "publicitaires et promotionnelles" d'Adidas.

b. Le secteur des articles destinés à la pratique du football

La pratique du football en plein air, dans le cadre des épreuves officielles, impose aux joueurs le port de chaussures à crampons, de maillots, de chaussettes et d'un short aux couleurs du club d'appartenance. Les gardiens de but sont tenus de porter des équipements (gants, maillot, short..) distincts de ceux des joueurs de champ, à l'exception des chaussures, notamment pour des raisons de sécurité et d'identification.

Les fabricants d'articles de football fournissent généralement l'ensemble des équipements requis.

Selon les études disponibles, les parts de marché des fabricants de chaussures de football de marque étaient les suivantes à la fin de l'année 1995 :

EMPLACEMENT TABLEAU

(source : Panel Nielsen)

Selon des chiffres cités par les sociétés Asics et autres dans leur saisine et non contestés, environ 1 500 000 paires de chaussures de football ont été distribuées en 1994 pour une valeur (prix consommateurs) de 428 millions de francs, soit un prix moyen de vente d'environ 285 F.

La société Adidas Sarragan France, filiale de la holding Adidas International dont le siège se trouve en Bavière, occupait une part importante dans toutes les tranches de prix, hormis celle inférieure à 200 F, qui concerne essentiellement les chaussures de marque de distributeurs ou de "premier prix". Cette part était supérieure à 68 % dans la tranche de prix supérieure à 500 F.

Il n'existe en revanche pas de panels dans le domaine des articles de textile (maillots, chaussettes) permettant de connaître la part des différents producteurs.

La marque Adidas et le logo aux trois bandes jouissent, de longue date, d'une réputation mondiale. Cette notoriété est reconnue par Adidas elle­même puisque le document écrit versé au dossier par cette société rappelle (préambule) : "Adidas (...) s'est intéressée au football faisant preuve d'un investissement conséquent et permanent au travers de son histoire. C'est ainsi que dès 1925, M. Adi Dassler, fondateur de la société Adidas, concevait les premiers crampons de football. Au fil des années, les technologies se sont diversifiées allant toujours vers plus de recherche, de technicité, et de performance. (...) En France, en particulier, Adidas n'a cessé de promouvoir ce sport en accord avec la Fédération Française de Football avec qui elle entretient des liens étroits depuis 1972. (...) De plus par son envergure internationale, elle a développé une expérience non pas uniquement française mais mondiale, dont elle a fait bénéficier la Fédération Française de Football".

A l'instar d'Adidas, tous les autres fabricants de chaussures de marque de football utilisent le parrainage comme mode de promotion des ventes, associant leur marque à la notoriété de certains clubs ou de certaines équipes nationales. Le directeur de la société Lotto France a ainsi souligné l'importance que représente pour un fabricant d'articles de football de pouvoir parrainer un club français et déclaré : "L'approche de la coupe du Monde (...) ouvre des perspectives commerciales importantes et il est donc nécessaire de pouvoir assurer la promotion de la marque par l'intermédiaire d'un club" .

Le parrainage d'une équipe de football professionnelle permet à un fabricant de :

- promouvoir ses produits, soit directement auprès du public sur les stades, soit indirectement par l'intermédiaire de la télévision ou des médias. Les rencontres du championnat de France de football font notamment l'objet de diffusions régulières par Canal + donnant aux parrains des clubs concernés l'assurance de voir leur marque et leur logo mis en évidence, que ce soit sur les équipements des joueurs ou sur les panneaux publicitaires généralement situés dans l'axe des caméras, à proximité des buts ;

- d'ouvrir des possibilités supplémentaires de vente auprès des différentes équipes de joueurs amateurs du club, les contrats de parrainage prévoyant généralement que les équipements complémentaires à ceux faisant l'objet de la dotation d'équipements seront achetés, soit directement auprès du "sponsor", soit auprès du représentant local dudit "sponsor".

Avec près de 2 millions de licenciés, le football, qui est un des sports les plus pratiqués en France, représente un potentiel important pour les fabricants d'articles de cette discipline et notamment de chaussures. Selon un sondage BVA L'Equipe (1994), 67,1 % des Français ont classé le football en première position parmi leurs quatre sports préférés devant le tennis (39,2 %), le rugby (36,5 %) et le cyclisme. Cela se traduit en matière d'audience télévisée et également en ce qui concerne les articles consacrés à ce sport par les médias spécialisés. En 1994, 27 % de la pagination rédactionnelle du quotidien L'Equipe étaient consacrés au football contre seulement 7,7 % au cyclisme, qui était classé en deuxième position devant l'automobile (7,4 %).

c. Les répliques de maillots

Le développement de clubs de supporters et la pratique du "sport de rue" ont accru les ventes de copies de maillots aux couleurs de clubs ou d'équipes nationales, dénommés "répliques" de la part des fabricants d'articles de football. Ce phénomène, quoique relativement limité en France par rapport à la situation existant dans d'autres pays, devrait, selon les professionnels, connaître un développement plus important avec la coupe du Monde de football, organisée par la France en 1998.

3­ Les faits

a. L'accord conclu entre la LNF et Adidas

Entendu au siège du Conseil de la concurrence, le mercredi 3 avril 1996, le gérant de la société Adidas Sarragan France (ci­après Adidas) a déclaré, dans un procès­verbal d'audition du même jour : "Les discussions avec la Ligue Nationale de Football ont démarré en mars­avril 1995".

Le 28 avril 1995, la LNF décide de modifier l'article 315 du règlement intérieur des championnats de France de première et de deuxième division, relatif aux équipements des joueurs jouant dans les équipes de division 1 et 2 du championnat de France. Cet article, qui était précédemment rédigé comme suit : "Lors des challenges agréés par la LNF, les clubs concernés sont tenus de faire porter à leurs joueurs, les brassards afférents à ces manifestations", devient alors le suivant : "Les clubs participant aux championnats de France de première et deuxième divisions sont tenus de faire porter à leurs joueurs les équipements fournis par la LNF". La légalité de ce règlement a été mise en cause devant le Conseil d'Etat dans le cadre d'une action contentieuse introduite par les sociétés saisissantes.

Cette modification a été annoncée aux présidents des clubs concernés dans une circulaire du 2 mai 1995. Le procès­verbal de la réunion en date du 28 avril 1995 de la LNF, présidée par M. Le Graët, indique : "Le Président de la LNF, M. Noël Le Graët, expose au conseil la teneur de son projet visant à la conclusion d'opérations promotionnelles à caractère national au profit des clubs professionnels et dont la première concernerait l'équipement des joueurs de l'ensemble des clubs participant aux championnats de France de première et deuxième divisions. Il tient à mettre l'accent sur le bénéfice que les clubs retireraient de cette opération, tant sur le plan de l'économie que sur celui de la reconnaissance de leur image et la maîtrise de son exploitation dans un domaine où notre discipline ne s'est pas encore investie sérieusement. Un large échange de vues s'instaure auquel participe l'ensemble des membres présents au cours duquel sont évoqués tous les aspects de la situation actuelle ainsi que les modalités financières, juridiques et réglementaires liées à la concrétisation de ce projet.

Le conseil, souscrit à l'initiative présentée par son président, adopte à l'unanimité moins une abstention, le texte ci­après de l'article 315 du règlement des championnats de 1re et 2e divisions : Les clubs participant aux championnats de France de première et deuxième divisions sont tenus de faire porter à leurs joueurs les équipements fournis par la LNF, la coupe de la Ligue comprenant déjà, quant à elle son règlement spécifique, une disposition identique, prend acte que les questions relatives au sponsoring et au marketing national de la LNF et de ses clubs sont inscrites à l'ordre du jour du séminaire des clubs convoqués le jeudi 4 mai 1995".

Le 4 mai 1995 se tient le "séminaire des présidents de clubs" de première et deuxième divisions. Le même jour, le président du FC Martigues adresse une télécopie à son fournisseur, la société W. Pabisch, dans lequel il lui demande de suspendre l'accord de fourniture d'équipements les liant et lui annonce que "des instructions ont été données pour que les clubs ne traitent avec aucune société d'équipements car la LNF aurait signé un contrat général avec Adidas pour tous les clubs". Le 5 mai 1995, une lettre ainsi rédigée est adressée aux présidents de club de première et deuxième divisions par M. Régis Pukan, directeur de la LNF :

"Objet : Equipement des clubs disputant les championnats de France de première et deuxième divisions

Monsieur le président,

Le conseil d'administration, réuni le 28 avril 1995, a adopté une disposition réglementaire imposant le port, dès la saison 1995/1996, par les joueurs des clubs disputant les championnats de France de première et deuxième divisions, d'équipements fournis par la Ligue Nationale de Football qui a mission d'organiser et d'administrer ces compétitions à l'instar de ce qui existe pour le coupe de la Ligue, les compétitions nationales, l'Equipe de France.

Le séminaire des présidents des clubs de D1 et D2, réuni le 4 mai dernier, a été l'occasion d'évoquer tous les aspects de cette opération qui, pour être concrétisée dans les meilleures conditions, exige une information réciproque, rapide, entre le Ligue et les clubs, particulièrement sur les points suivants en nous fournissant par retour :

- la copie de votre dotation actuelle en équipements, précisant la nature de ceux­ci, les catégories d'équipes concernées, les quantités ;

- le descriptif de vos équipements pour la saison 1995/1996 en utilisant le document joint que vous voudrez bien compléter en faisant figurer les couleurs, dessins et publicités ;

- le logo de votre club sous la forme d'une brochure (document que pourra vous fournir votre imprimeur) avec la référence des couleurs.

M. Gilles Bocq, directeur de la promotion Football de la société Adidas, prendra contact avec vous dans les meilleurs délais pour arrêter les dispositions utiles à la réalisation rapide de notre projet commun.

Nous vous remercions de votre parfaite collaboration en insistant sur le caractère urgent de la mise à notre disposition des documents et informations dont nous avons besoin.

Nous vous prions de croire, Monsieur le président, à l'assurance de nos sentiments les meilleurs".

Dans les jours qui suivent, plusieurs clubs dénoncent leur contrat d'approvisionnement en équipements sportifs.

Le 17 mai 1995, une lettre de protestation est adressée par la société Nike France, "sponsor" du club de football Paris Saint­Germain (PSG), à la LNF. Dans cette lettre, la société Nike France analyse la démarche de la Ligue comme l'"aboutissement du processus mis en place à l'occasion de la coupe de la Ligue dès lors que tous les clubs participants sont équipés des produits Adidas, suivant en cela l'exemple qui vous a été donné par la Fédération Française de Football quand celle­ci s'est crue autorisée à agir de la sorte dans le cadre de la Coupe de France" et déclarait qu'elle ne saurait accepter d'"être subitement évincée d'un marché auquel elle a accédé au prix d'efforts considérables".

Le 1er juin 1995, des bons de commandes sont adressés par Adidas à tous les clubs de première et deuxième divisions du championnat 1995/1996.

Le 7 juin 1995, la collection Adidas est présentée aux présidents des clubs concernés en présence des dirigeants de la LNF. Selon le quotidien l'"Equipe", le président de la LNF aurait déclaré qu'un protocole d'accord avait été signé à la fin du mois d'avril.

Le 8 juin, au cours d'une conférence de presse, le gérant de la société Adidas Sarragan France, M. Boulet, révèle le contenu du protocole d'accord et déclare : "Tout sera bouclé dans les prochains jours". Le 9 juin, le Conseil de la concurrence est saisi.

Les dates de commande des équipements par les clubs, des premières livraisons par Adidas de ces équipements aux clubs et de signature de contrats par différents clubs, qui n'étaient pas déjà sous contrat avec Adidas, apparaissent dans le tableau ci­après (Source : Adidas) :

EMPLACEMENT TABLEAU

Les contrats de Guingamp, du Havre, de Montpellier et de Strasbourg, qui devaient prendre fin avant l'an 2000 ont été reconduits par anticipation pour une durée de 5 ans à compter du 1er juillet 1995.

Le gérant d'Adidas a déclaré, par procès­verbal d'audition : "Suite à différentes rencontres à l'initiative de la Ligue Nationale de Football (LNF), les dirigeants d'Adidas et de la LNF sont arrivés à un accord, à la fin du mois d'avril 1995 au sujet de la fourniture d'équipements sportifs aux clubs de première et deuxième divisions du championnat national. Contrairement à ce qu'a indiqué la presse, cet accord n'a toutefois pas été formalisé par écrit. Je confirme que le 1er juin un bon de commandes a été adressé aux clubs. Ce même jour, le premier projet de contrat dont je verse copie au dossier a été adressé à la LNF La majorité des clubs a répondu et certains de ces clubs ont déjà reçu leurs équipements, y compris ceux qui n'étaient pas sous contrat avec la société Adidas. La volonté des parties est actuellement de faire avancer le projet. Nous attendons actuellement les remarques de la LNF au sujet du projet, le contrat final devant normalement être signé pour le 1er juillet prochain".

Le 30 juin 1995, la LNF déclare au président de La Berrichonne de Châteauroux qu'il importe que ce club "utilise les équipements qui lui ont été livrés par la société Adidas".

Le document écrit versé au dossier par Adidas, qui porte la date du 31 mai 1995 (soit la veille de l'envoi d'un bon de commandes aux clubs) rappelle en préambule qu'Adidas entretient des "liens étroits" avec la LNF depuis 1972 et qu'au­delà du "sponsoring", cette société recherche des liens de partenariat. Le texte prévoit que la LNF accorde à Adidas le droit d'utiliser le titre "Fournisseur exclusif de la LNF" dans toutes ses activités publicitaires. La LNF s'engage notamment à obtenir des clubs le droit pour Adidas d'utiliser les photographies des clubs dans ses publicités, à autoriser cette entreprise à insérer des publicités dans les diffusions officielles de la Ligue (calendrier, bulletin d'information...) et à organiser des actions publicitaires sur les stades (panneaux publicitaires, annonces micros). La LNF s'engage (article 2.2) "à faire jouer les clubs et leurs membres (...) dans toutes les rencontres de championnat de France, et de coupe de la Ligue, avec des équipements fournis par Adidas, ainsi que dans toutes les activités qui s'y rapportent, y compris les activités promotionnelles", les équipements étant "siglés des marques". En contrepartie, Adidas s'engage notamment à :

- doter les clubs en équipements portant la marque Adidas ;

- verser chaque année une "dotation" d'un montant de 60 millions de francs à la LNF. Il est prévu que le contrat ne sera pas remis en cause "si, au cours de la première année, lors du championnat de France, 4 clubs dont 1 européen ne sont pas en conformité pour quelque cause que ce soit avec les obligations qui découlent de l'article 315 modifié" du règlement du championnat.

Le contrat, qui devait prendre effet le 1er juillet 1995, devait courir jusqu'au 30 juin de l'an 2000, un droit de préférence étant accordé à Adidas à l'issue du contrat. Le 12 juillet 1995, le Conseil de la concurrence, par sa décision n° 95­MC­10, enjoint, à titre de mesure conservatoire, à la LNF de suspendre l'accord en cause ainsi que l'article 315 du règlement. Le 17 juillet 1995, la société Adidas informe par télécopie les clubs de première et deuxième divisions de la teneur de la décision n° 95­MC­10 du Conseil de la concurrence et rappelle aux responsables de clubs qu'elle a "déjà livré l'équipement nécessaire à la reprise du championnat" afin de permettre aux clubs concernés de "démarrer le championnat dans les meilleures conditions".

Le fabricant demande aux responsables de clubs de lui indiquer :

- quels équipements seront portés par l'équipe "pour la première journée du championnat" ;

- quelle est la "situation contractuelle" du club vis­à­vis de son équipementier.

En outre, il est demandé aux clubs n'utilisant pas l'équipement Adidas de tenir à la disposition du fabricant la "dotation" fournie. Dans cette télécopie, la société Adidas déclare enfin : "(...) Nous sommes tenus de respecter la décision du Conseil de la concurrence (...) Nous regrettons bien sûr la décision du Conseil de la concurrence, et les perturbations qu'elle entraîne à la veille de la reprise du championnat. Nous étudions avec la LNF la suite à donner, mais nous sommes tenus de respecter et de faire respecter cette décision".

Le 17 juillet 1995, M. Alain Giresse, responsable du Toulouse Football Club, déclare : "Nous porterons pour la première rencontre du championnat, les équipements Adidas qui nous ont été fournis. Nous avons suspendu notre contrat avec notre équipementier, en raison des accords pris par la Ligue Nationale de Football". Le "manager général" du FC Mulhouse écrit, le 18 juillet 1995, veille de reprise du championnat, au gérant de la société Adidas : "Suite à votre fax, je vous informe que le FC Mulhouse portera les équipements Adidas à partir du premier match de championnat en attendant les instructions qui nous parviendront. D'autre part, la situation avec notre ancien équipementier est conflictuelle vu que nous sommes encore sous contrat avec la société Puma jusqu'en juin 97". Le même jour, le secrétaire de la société anonyme d'économie mixte sportive Union sportive du littoral de Dunkerque s'adresse en ces termes au gérant de la société Adidas : "1­ Pour la première journée, nous porterons les équipements Adidas. 2­ Nous avons encore une année de contrat avec Hi­Tec et Shemsy. 3­ Les équipements reçus ont été distribués aux joueurs". A la même date, le secrétaire général de l'Olympique Charleville­Mézières informe le gérant de la société Adidas que son équipe portera les équipements Adidas "floqués à l'effigie de nos partenaires" et que "suite à la décision de la LNF nous avons annulé les commandes en cours". Le président du Perpignan Football Club déclare également, le 18 juillet : "Suite à votre demande par fax du 17/7/95, nous vous indiquons que les équipements portés par notre équipe pour la première journée du championnat seront en Adidas. De plus, étant en fin de contrat avec Lotto au 30 juin 1995, nous n'avons pas renouvelé ce dernier et sommes donc libres".

Le 19 juillet 1995 débute le championnat de France de football professionnel. Le même jour, le directeur de la LNF adresse une copie de la décision n° 95­MC­10 du conseil aux clubs de première et deuxième divisions.

Le 23 août 1995, la Cour d'appel de Paris confirme la décision du conseil en ce qu'elle enjoint à la LNF de suspendre l'accord avec Adidas. En revanche, elle considère que "le pouvoir d'imposer aux clubs de faire porter les équipements fournis par la LNF relève du pouvoir général d'organisation des compétitions qui lui est dévolu et n'est pas constitutif d'une activité de production, de distribution et de services au sens de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986" et qu'en conséquence ni le Conseil de la concurrence ni la Cour d'appel de Paris n'ont compétence pour connaître de la validité de cet acte qui "ressortit aux juridictions de l'ordre administratif".

Les clubs suivants, déjà sous contrat avec Adidas au cours de la saison 1994/95, ont poursuivi leurs relations commerciales avec ce fournisseur au cours de la saison suivante : En avant de Guingamp, Le Havre, Montpellier, Strasbourg, FC Sochaux Montbéliard, Amiens, Le Mans.

En revanche, les clubs suivants n'étaient pas parrainés par Adidas au cours de la saison 1994/95, le nom de l'ancien parrain apparaissant entre parenthèses : Auxerre (Uhlsport), Bastia (Reebok), Bordeaux (Asics), Cannes (ABM Sport), Laval (Lotto), Lens (VIP France), Metz (Puma), Paris Saint­Germain (Nike), Saint­Etienne (Lotto), Châteauroux (Nike), Marseille (Mizuno), Mulhouse (Puma), Red Star (Uhlsport), Stade Poitevin (contrat "moral" avec ABM Sport), Gueugnon (Duarig), Niort (Duarig) et Martigues (Duarig). Le contrat des six derniers clubs cités arrivait à échéance en juin 1995. Ces clubs ont choisi Adidas comme nouveau parrain. La société Duarig a cessé son activité en 1995.

Les clubs suivants, sous contrat avec un équipementier au cours de la saison 1994/95 ont rompu leur contrat en cours pour retenir Adidas en 1995/96 : FC Nantes Atlantique, SM Caen, Epinal, Dunkerque, Lorient, OGC Nice, Stade Rennais, Perpignan, Olympique de Lyon, AS Nancy, LOSC (Lille), SCO d'Angers et TFC (Toulouse). La décision du FC Nantes est toutefois antérieure à l'accord conclu entre la LNF et Adidas.

- Le 15 juin 1994, l'OGC Nice a signé, par l'intermédiaire de la société WND Sport, un contrat de "sponsoring équipement" avec la société Lotto France SARL, filiale de la société Lotto Spa. Ce contrat, qui prenait effet le 1er juillet 1994, devait s'appliquer jusqu'au 30 juin 1997. A l'issue du contrat, un droit de préférence était stipulé au bénéfice de la société Lotto à offre égale à celle des concurrents majorée de 1 000 F. Le 6 juin 1995, le président de l'OGC Nice s'adresse au président de la LNF pour l'informer que son club est déjà sous contrat avec un fournisseur et qu'"il se doit de respecter ses engagements, sauf à devoir supporter les conséquences notamment financières d'une rupture unilatérale". Ce responsable indique également que la mise en œuvre de la décision prise par le conseil d'administration de la ligue nécessiterait au préalable un "engagement ferme et sans réserve de la part de la LNF quant à la prise en charge par elle de toutes les conséquences quelles qu'elles soient d'une telle résiliation". Il ajoute que ce n'est que dans ce contexte que son club pourrait "négocier la rupture par anticipation" de ses relations avec ses partenaires.

Le 8 juin 1995, le président de l'OGC Nice déclare au directeur général de la société Lotto France : "Nous faisons suite à la réunion générale de tous les présidents de club de D1, concernant la nouvelle organisation prise par le président Noël Le Graët sur les équipements. Celui­ci nous fait part de l'obligation de rompre, à compter de ce jour, le contrat que nous avons avec votre société. Cette décision a été prise pour une organisation totale de la Ligue Nationale de Football avec le groupe Adidas, nous ne pouvons faire autrement que nous plier à cette obligation de la LNF. De ce fait, nous vous demandons d'effectuer aucune livraison de matériel à notre club. Nous vous remercions de votre participation et de votre gentillesse à l'égard de l'OGCN CA et nous garderons toujours le meilleur souvenir de la marque Lotto".

Le directeur général de l'OGC Nice a par ailleurs déclaré dans une lettre en date du 3 novembre 1995 : "Actuellement, les joueurs de l'OGC Nice Côte d'Azur utilisent les équipements de la société Adidas.

"Notre club a rompu le contrat qui le liait à la société Lotto sur injonction de la Ligue Nationale de Football".

Ce responsable a versé au dossier une copie de contrat non daté et non signé entre, d'une part, la société Adidas Sarragan France et, d'autre part, le groupe Jean­Claude Darmon, "dûment mandaté" par l'OGC Nice. Aux termes de ce contrat, prenant effet le 1er juillet 1995 et se terminant le 30 juin 2000, Adidas s'engage, en contrepartie des engagements publicitaires exclusifs souscrits par le club, à fournir des équipements sportifs et à verser une "dotation financière" au club. Une dotation supplémentaire est prévue selon les performances du club.

Le directeur de la société Lotto France a confirmé, le 31 mai 1996 : "Le contrat que nous avions signé avec l'OGC Nice a été dénoncé par le club le 8 juin 1995 au motif que la Ligue Nationale de Football (LNF) s'était engagée avec Adidas. En dépit de la dénonciation du contrat, la société Lotto France a rappelé au club ses obligations contractuelles et a respecté elle­même ses obligations en livrant la marchandise le 21 juin 1995 (cf. bon de livraison). Cette marchandise a été refusée par le club. La société Lotto France a fait constater par huissier (cf. PV de constat versé au dossier) que les joueurs de l'OGC Nice portaient une tenue de marque Adidas lors de la reprise du championnat, le 17 juillet 1995. Par la suite, il n'y pas eu d'autres contact avec l'OGC Nice. Pour l'instant, aucune action judiciaire n'a été intentée à l'encontre de l'OGC Nice en raison de la situation financière du club. Les maillots et survêtements destinés à l'OGC Nice sont encore en stock. (...)". Dans une correspondance en date du 10 juillet 1995, le directeur général de l'OGC Nice intime l'ordre à la société Lotto France, parrain du club, de "ne plus adresser aucune livraison à notre club". Le bon de livraison du 21 juin 1995 communiqué par la société Lotto France porte la mention "marchandise refusée" ainsi que le cachet et la signature du destinataire.

- Un contrat de parrainage sportif a été signé le 24 mars 1994 entre le Stade Rennais FC et la société VIP France (marque Olympic). Ce contrat a pris effet le 1er juillet 1994 et devait courir jusqu'au 30 juin 1998.

Le 12 juillet 1995, M. Régis Pukan, directeur de la LNF, répondant à une lettre du 10 juillet, s'adresse en ces termes au directeur du Stade rennais : "Nous vous confirmons que la Ligue Nationale de Football entend voir appliquer strictement les dispositions de l'article 315, nouveau, du règlement des CF1 et CF2, adopté par le conseil d'administration du 28 avril 1995 et ratifié par l'assemblée générale tenue le 24 juin 1995. En conséquence, c'est avec les équipements livrés par la société Adidas que le Stade rennais doit s'aligner dans le CF1 le 19 juillet 1995".

Le 18 juillet 1995, le directeur administratif du Stade rennais déclarait au directeur de la Ligue Nationale de Football : "Dans l'attente d'une décision définitive que nous espérons rapide, le Stade rennais se trouve contraint, eu égard à l'accord avec la société Olympic, non rompu à ce jour, de faire porter à ses joueurs les équipements de cette dernière société. Je vous remercie de votre appréciation éventuelle.". Pourtant, le même jour, le directeur administratif du Stade rennais indiquait au responsable de la société Olympic que les livraisons effectuées ne permettaient pas au club d'évoluer sous la marque en raison de la non­fourniture d'équipements de couleur différente de celle du club de Monaco et comportant "de surcroît" les marques non conformes aux accords commerciaux pour la saison 1995/1996.

Le 3 août 1995, le directeur administratif du Stade rennais demandait, par écrit, au responsable d'Adidas de faire des propositions contractuelles futures au club. Le 23 octobre 1995, le président du Stade rennais Football Club déclarait, s'adressant au président du Conseil de la concurrence : "(...) Les équipements utilisés par le club sont ceux mis à notre disposition et imposés par la Ligue Nationale de Football en juin 1995".

- Le contrat signé entre l'Union Sportive du Littoral de Dunkerque (USLD) et les sociétés Hi­Tec (chaussures) et Shemsy (textile et accessoires) le 24 juin 1994 portait sur une durée de 3 ans. Le 15 mai 1995, le contrat a été dénoncé par le club en raison des "nouvelles dispositions imposées par la Ligue Nationale de Football en matière d'équipement sportif à compter de la saison 1995/1996". Dans une lettre datée du 4 octobre 1995, le président de l'USLD déclarait en effet, au sujet du contrat signé avec les sociétés Hi­Tec et Shemsy : "Ce contrat a été dénoncé le 15 mai 1995 suite aux accords passés par la Ligue Nationale de Football, mais surtout à la demande des joueurs qui n'étaient pas satisfaits des équipements qui leur étaient fournis".

Le responsable de la société Shemsy déclarait au club, par lettre en date du 2 janvier 1996 : "Nous vous signalons que nous n'avons à ce jour jamais reçu de doléances concernant la qualité des équipements fournis" et indiquait que l'affaire avait été portée "devant le tribunal de Dunkerque".

- Un contrat de parrainage a été signé le 14 juin 1994 entre le Stade athlétique d'Epinal et la société Shemsy (textile et accessoires) pour une durée de 3 ans.

En dépit de l'existence de ce contrat, un autre contrat de parrainage sportif a été signé, le 18 octobre 1995, entre le Stade athlétique d'Epinal et Adidas. Ce dernier contrat, avec effet rétroactif au 1er juillet 1995, prenait fin le 30 juin 1997. Une commande d'équipements avait été passée, dès le 27 juin 1995, auprès d'Adidas, qui a effectué une livraison le 28 juin.

Le 4 août 1995, le directeur général du Stade athlétique d'Epinal avait adressé une lettre au directeur général de la LNF, rédigée dans les termes suivants :

"Nous avons l'honneur d'attirer votre attention sur la situation du SA Epinal en matière de contrat d'équipement sportif. En effet, notre club a signé en juin 1994 un contrat d'une durée de trois ans avec la société Shemsy (...).

Conformément aux instructions données par la LNF en son temps, les équipements fournis par la société Adidas sont portés depuis le début de la saison par les joueurs tant aux entraînements que lors des rencontres officielles.

Après avoir reçu une mise en demeure (...), notre club s'est bien évidemment rapproché de Monsieur Jean­Marie Duchamp, président­directeur général de la société Shemsy.

Celui­ci a consenti que les équipements Adidas soient utilisés dans l'attente d'une solution amiable à la rupture de fait des termes du contrat en vigueur et, dans cet esprit ne s'est pas associé à ses confrères dans la démarche engagée auprès du Conseil de la concurrence.

Néanmoins, Monsieur Duchamp est aujourd'hui désireux de voir se solutionner le litige à travers une juste indemnisation, faute de quoi, une procédure serait engagée à l'encontre de notre club et risquerait de déboucher sur un grave préjudice financier pour le SA Epinal.

Nous serions par conséquent très heureux afin d'éviter toute action en justice qui ne pourrait que nuire à l'image du club et par là même à la Mairie d'Epinal de nous indiquer quelles solutions peuvent être envisagées dans la situation présente".

Le responsable de la société Shemsy a déclaré à ce sujet, par lettre en date du 2 janvier 1996 : "Concernant notre contrat avec le Stade athlétique spinalien, à ce jour, ce contrat n'a toujours pas été dénoncé, car étant donné les relations amicales qui me lient avec son président, et il avait été convenu d'un commun accord de trouver une solution pour nous dédommager du préjudice causé. Malgré de nombreuses promesses, à ce jour nous n'avons toujours rien reçu du dédommagement promis. Aussi, si cette situation ne se débloque pas dans les prochains jours, nous porterons l'affaire devant les tribunaux compétents".

- L'Olympique de Lyon (OL) :

Le 29 août 1994 a été signé un contrat de parrainage sportif entre, d'une part, la société Nike France, et, d'autre part, la société Media Foot, société habilitée par l'Olympique de Lyon, société anonyme à objet sportif. Ce contrat devait arriver à échéance le 30 juin 1997, avec possibilité de reconduction tacite. Le 15 mai 1995, le président du club concerné a adressé la lettre suivante au directeur général de la société Nike France :

"Le contrat de sponsoring qui nous lie arrivera à son terme le 30 juin 1997. Néanmoins, compte tenu des orientations de la Ligue Nationale de Football obligeant les clubs à accepter de se soumettre au partenariat avec Adidas pour prendre part au prochain championnat de France de Divisions I et II, nous envisageons de résilier le contrat entre nos deux sociétés par anticipation à effet au 30 juin 1995. Dans cette perspective, nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous indiquer dans quelles conditions nous pouvons effectuer cette résiliation. (...)".

Le 12 juin 1995, l'Olympique de Lyon a passé commande d'équipements sportifs auprès d'Adidas qui a procédé à une première livraison le 13 juin. D'autres commandes et livraisons ont suivi au cours des mois de juillet, août, septembre, octobre et novembre 1995 sans que les relations commerciales entre les parties aient été définies dans un contrat écrit. Le 22 novembre 1995, le directeur administratif de l'Olympique de Lyon a confirmé par écrit que les équipements utilisés par le club étaient des équipements de marque Adidas et que le contrat avec le fournisseur de produits de cette marque était "en cours d'élaboration".

Le 7 juillet 1995, le président de l'OL déclarait au directeur général de la société Nike France qu'il ne pouvait "ignorer la lettre de résiliation" adressée le 7 juin 1995 à la société Mediafoot, chargée de représenter les intérêts du club. Ce responsable indiquait que la décision de résilier le contrat répondait "aux décisions arrêtées par le conseil d'administration de la Ligue Nationale de Football du 28 avril 1995, confirmées par l'assemblée générale du 24 juin 1995".

Le 1er août 1995, le directeur général de la société Nike France attirait l'attention du président de l'OL sur la mesure conservatoire prise par le Conseil de la concurrence et lui demandait de poursuivre le contrat de parrainage en vigueur.

Aucune suite ne sera donnée par le club concerné à cette "ultime" demande.

- Le Stade Malherbe de Caen (SM Caen) :

Le contrat que le SM Caen avait conclu avec la société Puma France, qui arrivait à expiration le 30 juin 1997, stipulait qu'au cas où le club serait relégué en division inférieure ou monterait en division supérieure, il serait "immédiatement caduque". Il était toutefois prévu que, dans un tel cas, le contrat serait négocié et que le club s'engagerait "à condition égale, à traiter de préférence avec Puma".

Le SM Caen fut relégué en deuxième division à l'issue de la saison 1994/1995. Or, selon le directeur général de la société Puma France, le SM Caen n'a, en "violation de l'article 9 du contrat du 13 avril 1994 (....) ni entendu reprendre les pourparlers ­ ni porté à la connaissance de la société Puma France les conditions faites par Adidas, de sorte qu'il a fait échec à la possibilité réservée à la société Puma France de mettre en œuvre son droit de priorité" (lettre en date du 22 janvier 1996). Le SM Caen avait informé la société Puma, le 20 juin 1995, qu'il contracterait, pour la saison suivante, avec Adidas, "dans le cadre des accords passés avec la Ligue Nationale de Football". Le 12 juin 1995, le club de Caen passait d'ailleurs sa première commande à Adidas, alors que le contrat écrit avec cette société ne sera signé que le 30 janvier 1996 et que, conformément au contrat en cours, le club passait commande de matériel à la société Puma, le 10 avril 1995, pour une livraison à effectuer avant le 1er juin 1995. Le contrat versé au dossier par le SM Caen, non daté, qui prend effet le 1er juillet 1995 et se termine le 30 juin 2000, comporte une clause de préférence en faveur d'Adidas à son échéance. Il prévoit, outre la fourniture d'équipements sportifs, le versement au club d'une dotation financière de base et une dotation supplémentaire en cas de qualification à une coupe européenne. Le contrat signé avec la société Puma France prévoyait la fourniture d'équipements et le versement de primes variables selon les résultats (au cas où le club serait champion de France).

- Le Lille Olympic Sporting Club (LOSC) et le SCO d'Angers :

Le 5 mai 1995, le quotidien l'Equipe annonçait, à la suite du "séminaire des présidents de clubs" organisé le 4 mai 1995 par la LNF : "Et pour commencer, dès le 1er juillet prochain, tous les clubs seront obligés de porter le même équipement d'une grande marque partenaire de football (Adidas pour ne pas la nommer)".

Le 22 mai 1995, le responsable de la société ABM Sport­France déclarait au LOSC : "Comme tout un chacun nous avons appris par la presse la signature d'un contrat entre la Ligue Nationale de Football et la société Adidas visant à équiper tous les clubs de Division I et II. Nous vous rappelons instamment le contrat nous liant et notre volonté de le mener à bien. Nous attendons par retour votre position sur ce problème grave de conséquence. Vous comprendrez par ailleurs que sans information de votre part nous avons été obligé de suspendre notre fabrication ce qui retardera d'autant les dates de livraison prévues. Souhaitant ardemment continuer notre excellente collaboration, nous vous prions (...)".

La même lettre était adressée, le même jour, au président du SCO d'Angers, club avec lequel ce fabricant d'équipements de sport était sous contrat jusqu'au 30 juin 1997. Le 13 juin 1995, le secrétaire général du SCO d'Angers déclarait à son fournisseur : "suite à nos différents entretiens téléphoniques, il nous serait agréable de recevoir votre tarification en faveur des équipements des équipes amateurs et du centre de formation. En effet, dans le cas où la Ligue Nationale de Football nous obligerait à porter une marque différente de la vôtre, nous pourrions envisager de poursuivre nos achats complémentaires dans votre société".

Le directeur général du LOSC a déclaré, le 2 octobre 1995 : "Notre ex­équipementier, la société ABM Sport­France, nous a informés par courrier du 22 mai 1995, qu'ayant appris par la presse, la signature d'un contrat entre la Ligue Nationale de Football et la société Adidas et que n'ayant pas d'information de notre part, elle suspendait sa fabrication prévue à notre intention. Si nous n'avions pas donné d'information à la société ABM Sport­France, c'est que nous n'avions pas l'intention de rompre le contrat qui nous liait jusqu'au 30 juin 1996. Sans équipements pour la reprise des entraînements, le lundi 19 juin 1995 au stage préparatoire du Touquet, nous avons fait appel à la société Adidas. Nos joueurs sont donc actuellement équipés en Adidas bien que nous n'ayons pas signé de contrat avec cette société, ni aucun autre équipementier à ce jour".

Une commande avait été passée auprès d'Adidas par le SCO d'Angers dès le 9 juin 1995 et, le 12 juin, par le LOSC. Selon Adidas, ces clubs ont passé un contrat avec elle respectivement en octobre 1995 et janvier 1996. Adidas a déclaré, au sujet du LOSC : "Le club de Lille, qui était sous contrat jusqu'au 30 juin 2000 avec Adidas, a décidé de signer avec la société Reebok, qui, dans la présente instance, accuse Adidas de prétendues pratiques anticoncurrentielles".

- L'AS Nancy­Lorraine :

Un contrat de "partenariat" a été signé le 9 mars 1995 entre la société Le Roc Sport, d'une part, et le club AS Nancy­Lorraine, d'autre part. Ce contrat, qui prévoyait une "dotation financière", avait été conclu pour une durée de 3 ans. Le 23 mai 1995, le président­directeur général de la société Le Roc Sport s'adresse en ces termes au président de l'AS Nancy­Lorraine : "Nous faisons suite à notre entretien de ce jour, au cours duquel il nous a semblé comprendre qu'à la suite de la décision du 28 avril 1995 de la LNF vous prévoyez de rompre notre contrat de partenariat. En accord avec M. Regis Pukan de la LNF qui nous a tenu les mêmes propos, vous souhaitez connaître l'importance du préjudice qui nous est causé, dans l'hypothèse d'une transaction amiable. Comme vous le savez, les contrats de partenariat ont une valeur de marché d'une part et d'autre part, de communication auprès des clubs des sections fédérales, promotion et amateurs dont les achats d'équipements représentent la majorité de notre activité. C'est donc, de ce fait, une large part de notre chiffre d'affaires que met en péril la décision de la LNF et ce d'autant plus, pour notre société qui n'est pas pluridisciplinaire à l'instar des entreprises étrangères implantées en France, et, d'autre part que l'ensemble de nos produits sont fabriqués dans nos ateliers, et non délocalisés, ce qui n'est pas sans nous inquiéter sur la pérennité de notre entreprise et des 50 emplois qui y sont liés.".

Le 24 mai 1995, le président de l'AS Nancy­Lorraine notifiait au président­directeur général de la société Le Roc Sport la rupture du contrat dans la mesure où, selon lui, il était "contraint de respecter les nouvelles dispositions de l'article 315 du règlement administratif du championnat de France professionnel de 2e division dans sa nouvelle rédaction". Le 18 juillet 1995, le président de l'AS Nancy­Lorraine déclarait au président­directeur général de la société Le Roc Sport : "Vous avez pris connaissance de la décision du Conseil de la concurrence du 13 juillet dernier. Veuillez m'indiquer, par retour de courrier, si vous renoncez à votre action contre l'AS Nancy­Lorraine et si vous avez l'intention d'exécuter votre contrat avec l'AS Nancy­Lorraine. Dans cette hypothèse je vous prie de bien vouloir nous indiquer à quelle date nous serons livrés". Or, à la date du 18 juillet, veille de la reprise du championnat, Adidas avait déjà procédé à de nombreuses livraisons d'équipements à l'AS Nancy­Lorraine, ceci suite à diverses commandes du club. Le 19 juillet 1995, le président­directeur général de la société Le Roc Sport informait le président de l'AS Nancy­Lorraine de son intention d'exécuter le contrat de parrainage "avec, bien entendu, un délai lié aux événements d'une part, et, d'autre part, la fermeture de nos ateliers du 17/07 au 5/08 pour congés annuels". Dans la lettre adressée au conseil le 21 novembre 1995, le président de l'AS Nancy­Lorraine déclarait, au sujet de la raison ayant conduit le club à rompre le contrat : "Le Roc Sport ne nous a dressé aucune dotation".

Le contrat signé avec Adidas, en mars 1996, avec effet rétroactif au 1er juillet 1995, prend fin le 30 juin 2000.

- Les autres clubs :

Le président du Toulouse Football Club (TFC) a indiqué, le 24 octobre 1995, que si le club avait changé de fournisseur (Asics), c'était parce que le contrat en cours arrivait à son terme le 30 juin 1995 et que la société Asics ayant présenté une offre "nettement insuffisante par rapport aux besoins du club", Adidas avait été librement choisie. Or, par lettre en date du 17 juillet 1995, M. Alain Giresse, responsable du Toulouse Football Club (TFC) déclarait à Adidas : "Nous avons suspendu notre contrat avec notre équipementier, en raison des accords pris par la Ligue Nationale de Football".

Par ailleurs, le secrétaire général du club Chamois Niortais s'est adressé en ces termes au gérant d'Adidas, le 18 juillet 1995, en réponse à la demande faite au club par le fabricant de lui indiquer la marque des équipements qui seraient portés par les joueurs : "Pour faire suite à votre communication d'hier, nous vous confirmons que nous porterons les équipements Adidas toute la saison 1995/1996, et ce dès la première journée. Nous sommes tout particulièrement satisfaits du partenariat engagé avec la LNF, pour notre plus grand profit et, n'ayant aucun équipementier ni sous contrat ni en vue, nous souhaitons que cette action perdure". Selon Adidas, un contrat de parrainage aurait été signé en septembre 1995 entre la société Adidas et le club de Niort.

Enfin, le directeur sportif du Football club de Lorient a déclaré, le 26 octobre 1995 : "Le contrat de parrainage pour la saison 1995/1996 était un contrat avec la société Lotto, contrat dénoncé selon les instructions de la Ligue Nationale de Football. (...). Les raisons ayant conduit le club à interrompre le contrat avec la société Lotto ont été formulées selon les instructions de la Ligue Nationale de Football". Selon Adidas, un contrat a été signé avec le club de Lorient au cours du mois d'août 1995.

B. La clause introduite par Adidas dans ses contrats de parrainage en 1995 :

Les contrats signés par Adidas avec des clubs de football professionnels de première et deuxième divisions depuis 1995 contiennent une clause aux termes de laquelle le club ou son représentant s'engage à "adresser à la société au plus tard 4 mois avant l'échéance du (présent) contrat, une copie des propositions des sociétés concurrentes à la société. La société aura 30 jours à compter de la réception de chaque proposition qui lui aura été signifiée pour faire valoir son droit d'option prioritaire à des conditions équivalentes".

Dans une correspondance adressée aux différents clubs concernés, en septembre 1996, le directeur du marketing de la société Adidas Sarragan France a déclaré : "Bien que nous n'estimions pas qu'elle soit en violation des dispositions légales, nous ne voyons aucune raison de maintenir cette clause qui n'a, à notre avis, aucune portée juridique. C'est pourquoi nous vous informons que nous ne mettrons pas en œuvre la clause susvisée. Cette renonciation de notre part n'a évidemment aucun impact sur nos rapports actuels ni sur l'éventualité d'une reconduction de notre contrat".

II­ SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

En ce qui concerne l'existence d'un accord conclu entre la LNF et Adidas :

Considérant que si la LNF a d'abord soutenu qu'il n'existait pas d'accord avec Adidas, elle admet, dans ses observations écrites, l'existence d'un "accord de principe tacite dont la mise en œuvre a été anticipée par divers actes préparatoires indiqués par le rapporteur" ; que la société Adidas a déclaré que "la LNF a pris l'initiative de contacter Adidas au sujet de la fourniture d'équipements aux clubs de première et deuxième divisions et d'une rémunération globale qui serait versée au titre de ce parrainage à la LNF" et que, "c'est dans ces circonstances qu'ont eu lieu les premières livraisons aux clubs et les contacts avec ces clubs (...)" ; que le gérant de la société Adidas Sarragan France a indiqué que les dirigeants d'Adidas et de la LNF sont arrivés à un accord, "à la fin du mois d'avril 1995" ; qu'Adidas déclare, dans ses observations écrites, que l'"on peut comparer les soixante (60) millions prévus dans l'accord envisagé entre Adidas et la LNF aux ressources globales des clubs français résultant du sponsoring" ; que le contrat écrit, non signé, versé au dossier par Adidas prévoyait d'accorder à Adidas le droit exclusif d'utiliser le titre de "Fournisseur officiel et exclusif de la LNF" et à en faire état "lors de toute activité de communication, de publicité, de relations publiques, y compris dans le cadre de la publicité coopérative" ; que ledit accord stipulait que la LNF s'engageait à obtenir l'accord des clubs quant aux droits pour Adidas d'utiliser dans ses publicités, catalogues, dépliants, brochures et autres matériels promotionnels, les photographies des divers clubs et de leurs membres ; qu'en outre l'accord prévoyait le droit pour Adidas d'insérer de la publicité dans les programmes et bulletins, calendriers et affiches éditées par la LNF ainsi que sur les stades de football et sur les programmes édités par les clubs ; que la LNF s'engageait à faire jouer les clubs et leurs membres (joueurs, gardiens de but, entraîneurs, soigneurs...) dans toutes les rencontres de championnat de France et de coupe de la Ligue avec des équipements fournis par Adidas et comportant le sigle de la marque ; que, comme le souligne la LNF dans ses observations en réponse au rapport, "la prestation essentielle demandée par la LNF (...) n'est pas la fourniture d'équipements, mais bien la dotation financière globale de 60 000 000 F en contrepartie du port par les équipes professionnelles de D1 et D2 des équipements fournis, de la représentation de la marque et de l'utilisation de l'image de ces clubs" ; qu'ainsi l'accord conclu entre Adidas et la LNF ne se limitait pas à la simple fourniture d'équipements sportifs aux clubs mais portait, comme l'ont admis Adidas et la LNF, sur le parrainage de l'ensemble des clubs participant au championnat de France de football de première et deuxième divisions ;

En ce qui concerne la compétence du Conseil de la concurrence à connaître de l'accord dénoncé par les parties saisissantes :

Considérant que, selon la LNF, le parrainage publicitaire constituait la deuxième source de revenus des clubs de football professionnel de première division lors de la saison 1994/95, derrière les produits de retransmissions télévisées répartis par la Ligue entre les clubs de première et deuxième divisions ; que les clubs professionnels concernés, qui sont tenus, aux termes de l'article 11 de la loi du 16 juillet 1984 de constituer, pour la gestion de leurs activités de manifestations sportives payantes, une société anonyme régie par la loi du 24 juillet 1966 relative aux sociétés commerciales, contractent généralement des accords de parrainage avec des équipementiers de football ; que les accords de parrainage versés au dossier prévoient le droit pour le "sponsor" d'utiliser l'image du club à titre de vecteur publicitaire sur différents supports tels qu'affiches, panneaux, en contrepartie du versement au club d'une dotation en équipements sportifs et d'une dotation financière, variable selon la notoriété du club ; qu'un contrat de parrainage peut également prévoir le versement au club de primes variables selon les résultats sportifs du club ; que le parrainage constitue donc une activité économique, grâce à laquelle le club parrainé bénéficie d'avantages matériels et financiers et que le parrain peut développer la notoriété des produits de sa marque et, partant, les ventes desdits produits ; que si, comme l'a déclaré la LNF, les clubs "ne sont (...) pas des entreprises assimilables aux autres entreprises du secteur privé" en raison des multiples obligations mises à leur charge notamment dans le domaine de la formation, il n'en demeure pas moins que, dans le contexte du droit de la concurrence, la notion d'entreprise comprenant "toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement" (CJCE Höffner § Elser c/ Macrotron, 23 avril 1991), les clubs de football professionnel constituent des entreprises soumises en tant que telles aux dispositions des articles 85 du Traité de Rome et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, lorsqu'ils se livrent à des activités de production, de distribution ou de services ; qu'à cet égard, le fait qu'un club de football, dans le cadre d'un contrat de droit privé, cède contre rémunération et la fourniture d'équipements l'exploitation de son image à un équipementier qui utilisera cette image pour développer la notoriété de sa marque, constitue une activité de service au sens des dispositions de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que la Ligue Nationale de Football, association regroupant l'ensemble des clubs professionnels de première et deuxième divisions, se trouve soumise aux mêmes dispositions lorsqu'elle agit en tant que leur représentant commun dans ces activités ;

Considérant que la LNF soutient que l'article 315 nouveau du règlement des championnats de France de première et deuxième divisions et "l'accord prétendu" entre Adidas et la LNF sont "indivisibles" ; que cette "indivisibilité" entraînerait l'incompétence du Conseil de la concurrence à connaître de l'accord ; que la LNF soutient par ailleurs que l'accord litigieux a "été envisagé par la LNF dans le cadre de la délégation qui lui a été attribuée par le ministre des sports, délégation qui s'inscrit dans la mission de service public plus générale confiée à la FFF, en sa qualité de fédération sportive pour promouvoir le développement des activités sportives en France, ceci indépendamment de toute considération relative à l'article 315 nouveau du règlement des championnats de France de première et deuxième divisions" ; que, selon la LNF, l'accord en cause a pour effet de faire participer la société Adidas "au développement du football en France" ; que la LNF ayant reçu délégation pour "organiser le football professionnel", une telle délégation aurait, selon elle, pour effet de "qualifier d'actes administratifs les décisions prises dans son cadre par son bénéficiaire et de soumettre tout litige qui viendrait à s'élever à leur sujet à la seule compétence des juridictions administratives" ; que la LNF et Adidas font en outre valoir que, dans une décision en date du 4 novembre 1996, le Tribunal des conflits a dit pour droit que "la décision d'unifier (...) la billetterie informatique des clubs participant aux manifestations sportives organisées par la Ligue Nationale de Football ressortit aux pouvoirs d'administration et aux prérogatives de puissance publique qui lui ont été confiées" et que cette décision ne constitue pas en conséquence une activité de production, de distribution ou de services à laquelle s'appliqueraient les règles de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais considérant, en premier lieu, que si, dans son arrêt du 23 août 1995, la Cour d'appel de Paris a fait droit à l'exception d'incompétence fondée sur le caractère d'acte administratif de l'article 315 nouveau du règlement des championnats de France de première et deuxième divisions, ledit article, dont le conseil relève que la légalité est contestée devant le Conseil d'Etat, se borne à indiquer que "Les clubs participant aux championnats de France de première et deuxième divisions sont tenus de faire porter à leurs joueurs les équipements fournis par la LNF" et n'impliquait nullement qu'un contrat de parrainage, au demeurant non entériné par une délibération du conseil d'administration, soit conclu entre Adidas et la LNF ; qu'au surplus, il n'est pas établi que la LNF devait nécessairement conclure un contrat de parrainage exclusif avec un seul fournisseur pour l'ensemble des clubs de première et deuxième divisions alors même qu'elle disposait de multiples autres possibilités pour s'acquitter des obligations résultant de l'article 315 nouveau du règlement des championnats de France de première et deuxième divisions ; qu'ainsi, l'accord conclu entre la société Adidas Sarragan France et la LNF doit être regardé comme détachable des dispositions de l'article 315 nouveau du règlement de la LNF;

Considérant, en deuxième lieu, que la société Adidas ne saurait utilement invoquer la délégation de service public dont elle bénéficie en vertu des dispositions des articles 16 et 17 de la loi du 16 juillet 1984, à l'égard du contrat en cause, qui, conclu entre deux personnes morales de droit privé, dont aucune n'a agi en adhérant audit contrat au nom et pour le compte d'une personne publique, présente le caractère d'une convention de droit privé;que, par suite, c'est à tort également qu'elle invoque la décision du Tribunal des conflits du 4 novembre 1996, relative à une décision unilatérale de caractère administratif;

Considérant, en troisième lieu, que, conformément à l'article 56 bis de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée, le Conseil de la concurrence est compétent pour faire application des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du Traité de Rome;qu'en vertu du principe de primauté du droit communautaire, "les dispositions du traité et les actes des institutions directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des Etats membres, (...) de rendre inapplicable de plein droit, (...) toute disposition contraire de la législation nationale existante (...)"(CJCE, Simmenthal, 9 mars 1978) ; qu'à supposer même que l'article 315 nouveau du règlement du championnat de France de football aurait autorisé la LNF à contracter avec la société Adidas pour le compte de l'ensemble des clubs professionnels, la disposition concernée serait sans incidence sur l'appréciation par le Conseil de la concurrence, autorité administrative indépendante, de l'objet et des effets du contrat en cause au regard des règles de concurrence fixées dans le Traité de Rome ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'accord en cause, qui concerne une activité de service au sens de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, entre dans le champ de compétences du Conseil de la concurrence;

En ce qui concerne les marchés des articles de sport destinés à la pratique du football en plein air,

Considérant que les activités sportives organisées nécessitent le port d'équipements spécifiques par les joueurs ; que d'ailleurs, dans un but de sécurité, les fédérations sportives adoptent dans chaque sport concerné des normes applicables figurant dans les règlements internes aux fédérations ; qu'ainsi la pratique du football nécessite le port de différents équipements vestimentaires spécifiques tels que maillots, chaussures, non substituables les uns aux autres; que chaque type d'équipement utilisé dans le football appartient à un marché distinct, étant précisé que des contraintes réglementaires spécifiques peuvent peser sur les gardiens de but et rendre certains de leurs équipements non substituables à ceux utilisés par d'autres catégories de joueurs; que les chaussures destinées à la pratique du football sont distinctes des chaussures destinées à la pratique d'autres sports y compris les chaussures destinées à la pratique du rugby; que sur le marché de la chaussure de football sur lequel sont présentes différentes marques, il y a lieu de distinguer, d'une part, les chaussures de marque "haut de gamme", dont les prix excèdent 500 F la paire, qui représentent environ 14 % des ventes et qui s'adressent en priorité aux joueurs de haut niveau, ainsi que les chaussures de marque "moyenne gamme" dont les prix oscillent entre 200 et 500 F, qui représentent plus de 70 % des ventes, et, d'autre part les chaussures "bas de gamme", pour lesquelles la marque ne joue qu'un rôle secondaire aux yeux des consommateurs et dont les prix n'excèdent pas 200 F la paire; qu'afin d'accroître ou de maintenir la notoriété de leurs marques, il est d'usage que les fabricants de chaussures de football de marque concluent des contrats de parrainage avec des clubs de football professionnels, lesquels acceptent que soit fait usage de leur image en contrepartie de la fourniture, par le fabricant concerné, de chaussures et d'accessoires ainsi que, le cas échéant, du versement d'une "dotation financière" variable selon la notoriété du club ; que, compte tenu de ces différents éléments, il y a lieu de retenir l'existence d'un marché de la chaussure de football de marque;

En ce qui concerne l'existence d'un marché des répliques :

Considérant que ni Adidas ni la Ligue Nationale de Football, qui déclare que ce marché n'a qu'une existence "embryonnaire" et se caractérise par une "forte demande potentielle", ne contestent l'existence d'un marché des répliques constituées par les copies de tenues sportives portées par les équipes de football professionnelles ; que si l'engouement du public pour les répliques de maillots de clubs disputant les épreuves du championnat de France professionnel ne peut être contesté, il n'est toutefois pas établi que les répliques portant les couleurs de clubs participant à des championnats dans d'autres Etats membres de l'Union européenne ou à d'autres épreuves européennes ne soient pas substituables à celles des équipes participant au championnat de France de football professionnel ;

Sur la position occupée par Adidas sur les marchés concernés :

Considérant qu'Adidas possédait, en 1995, une part supérieure à 43 % sur l'ensemble du secteur de la chaussure de football alors que la part de ses concurrents n'excédait pas 2 à 10 % ; que sur le seul segment "haut de gamme" du marché de la chaussure de marque, la part d'Adidas s'élevait à 68 %, alors qu'en ce qui concerne les chaussures "bas de gamme" se situant à un niveau de prix inférieur à 200 F la paire, la part de la société Adidas se limitait à 1,5 % ; que, par ailleurs, la marque Adidas jouit, notamment dans le secteur du football, d'un prestige lié aux caractéristiques techniques des chaussures mises sur le marché, caractéristiques reconnues par de nombreux professionnels comme en attestent les contrats d'exclusivité signés avec la Fédération Française de Football (FFF) pour ce qui concerne le parrainage des équipes de France de football et des équipes participant à la coupe de France de football ainsi que le contrat d'exclusivité signé avec la Ligue Nationale de Football pour ce qui concerne le parrainage des équipes participant à la coupe de la Ligue ; qu'Adidas a également obtenu le parrainage de la coupe du Monde de football qui doit se tenir en France en 1998 ; qu'Adidas appartient à un groupe commercialisant une marque célèbre et un logo de notoriété mondiale ; que, si Adidas a connu des difficultés financières au cours de l'exercice 1992, les derniers résultats témoignent d'un "redressement spectaculaire" de la société ; que si, sur d'autres marchés géographiques, notamment ceux situés sur le continent américain, et sur d'autres marchés d'équipements sportifs, comme les équipements de "jogging", les sociétés Nike et Reebok disposent de parts de marché substantielles, il ressort de ce qui précède que la société Adidas Sarragan France dispose d'une position dominante sur le marché national de la chaussure de football de marque;

Considérant, en revanche, que, compte tenu de la substituabilité entre les répliques des clubs nationaux et des clubs étrangers participant à des championnats nationaux dans d'autres Etats, il n'est pas établi que la société Adidas dispose d'une position dominante sur ce marché;

Sur les pratiques en cause :

En ce qui concerne l'accord de parrainage conclu entre la LNF et Adidas au printemps 1995 :

Considérant au cas d'espèce que la LNF et Adidas ont conclu, au cours du second trimestre 1995, un accord de principe tacite attribuant à cet équipementier le droit d'utiliser le titre de "fournisseur officiel et exclusif de la LNF" ainsi que la possibilité de la représentation de la marque et de l'image de ces clubs en contrepartie de la fourniture des équipements et d'une dotation financière de 60 000 000 F ; qu'un document écrit établi par Adidas et soumis à la Ligue Nationale de Football matérialisant cet accord a été versé au dossier par Adidas ;

Considérant que le fait pour la LNF de conclure un accord exclusif avec un équipementier pour la fourniture à des clubs participant aux championnats de première et deuxième divisions des équipements qu'elle devait elle­même leur fournir en application des dispositions de l'article 315 nouveau du règlement intérieur de ces championnats, dont il n'appartient pas au conseil d'apprécier la légalité, n'est pas en soi contraire aux dispositions du titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que, de même, le fait pour la LNF de permettre à un équipementier de bénéficier, dans le cadre d'un tel accord, de la représentation de la marque et de l'image de clubs participant aux championnats en contrepartie de la fourniture des équipements et du versement par l'équipementier d'une dotation financière n'est pas en soi contraire aux dispositions du titre III de l'ordonnance ; que, toutefois, un tel accord peut être visé par ces dispositions si les conditions dans lesquelles il a été négocié ou les clauses qu'il contient ont pour objet ou peuvent avoir pour effet de fausser ou de restreindre, directement ou indirectement, le jeu de la concurrence sur un marché d'équipements sportifs destinés à la pratique du football en plein air ;

Considérant, en premier lieu, que l'accord tacite entre la LNF et Adidas, accord que les parties ont rendu public et dont ont été informés les clubs, a été négocié sans qu'il ait été procédé à un appel à la concurrence et donc sans qu'il soit permis à d'autres équipementiers de faire des offres de parrainage à la LNF ; que le représentant de la LNF a d'ailleurs reconnu en séance qu'il y avait une "maladresse importante de ne pas avoir fait appel à la concurrence" ; que, par cet accord, la LNF confiait le parrainage exclusif de l'ensemble des clubs de première et de deuxième divisions du championnat de France à Adidas ; que l'exemplaire d'accord écrit versé au dossier par Adidas prévoyait que l'accord définitif devait porter sur une durée de cinq ans interdisant pour cette durée toute possibilité pour les concurrents d'Adidas de négocier un accord de parrainage avec la LNF pour les championnats de première et de deuxième divisions ; que ledit accord comportait également une clause de priorité accordée à Adidas à l'échéance du contrat ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'Adidas était déjà le fournisseur exclusif des équipements et le "sponsor" de la coupe de la Ligue organisée par la LNF et d'une partie de la coupe de France organisée par la FFF ; que, selon les éléments fournis par Adidas, les matchs de la coupe de la Ligue représentent 10 % des matchs retransmis à la télévision ; que les matchs de la coupe de France représentent 20 % des matchs retransmis à la télévision ; que les matchs du championnat de France représentent 30 % des matchs retransmis à la télévision ; que, dans ces conditions, l'accord passé entre la LNF et Adidas était de nature à faire apparaître Adidas comme le fournisseur exclusif des équipes jouant dans au moins 60 % des matchs retransmis à la télévision sur le territoire national ; qu'en outre Adidas était également l'équipementier exclusif de l'équipe de France dans les matchs internationaux ; qu'ainsi l'accord conclu entre la LNF et Adidas était de nature à conférer durablement à Adidas, pour ce qui est du parrainage d'équipes de football nationales, lequel revêt un caractère stratégique pour la promotion des ventes d'équipements sportifs de football, des possibilités sans commune mesure avec celles dont pouvait disposer l'un des autres équipementiers avec lesquels Adidas se trouve en concurrence ;

Considérant, en troisième lieu, que la durée de cinq ans prévue dans le contrat écrit de parrainage conclu entre Adidas et la LNF, au demeurant accompagnée d'une clause de priorité au profit d'Adidas à l'issue du contrat est d'une durée anormalement longue tant au regard du fait que le contrat portait sur l'ensemble des clubs de première et deuxième divisions qu'au regard de la durée antérieure des contrats de parrainage liant les autres équipementiers et les clubs de football ; qu'ainsi, par exemple, il résulte du dossier qu'à l'exception du club de Rennes lié avec VIP pour une durée de 4 ans, les clubs de Nancy, Lille, Nantes, Epinal, Caen, Dunkerque, Lyon et Angers étaient liés par des contrats de parrainage d'une durée limitée à trois ans avec respectivement les sociétés Le Roc Sport, ABM, W. Pabisch, Shemsy, Puma, Nike et ABM ;

Considérant qu'eu égard au caractère global de la négociation engagée par la LNF pour l'ensemble des clubs de première et deuxième divisions, à la position dominante de la société Adidas sur le marché de la chaussure de marque de football dont elle détenait en 1995 une part supérieure à 40 %, à la part de chacun de ses concurrents sur ce marché comprise entre 2 et 10 %, ainsi qu'à l'importance de la part des contrats de parrainage déjà détenus par Adidas pour les équipes de football participant aux compétitions retransmises à la télévision, l'accord exclusif de parrainage négocié entre Adidas et la LNF avait pour objet et pouvait avoir pour effet de fausser et de restreindre le jeu de la concurrence entre Adidas et les autres équipementiers sur le marché de la chaussure de football de marque tant en raison du fait que cet accord avait été négocié sans appel à la concurrence qu'en raison du fait qu'il privait pour une durée artificiellement longue les autres équipementiers de la possibilité de faire des offres pour l'obtention de contrats de parrainage des équipes de première et deuxième divisions participant au championnat de France et de ce que, à l'issue de cette période, Adidas bénéficiait d'une clause de priorité;

Considérant enfin que, si cet accord tacite a été suspendu à la suite de la décision n° 95­MC­10 du Conseil de la concurrence en date du 12 juillet 1995, il avait cependant produit des effets avant cette date comme l'a observé la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 23 août 1995 ; qu'en effet la LNF avait demandé par lettre en date du 5 mai 1995 aux clubs de première et deuxième divisions de lui fournir la liste des équipements dont ils avaient besoin à la veille du championnat de France 1995/1996 ainsi que leur logo ; qu'Adidas leur avait adressé des bons de commande le 1er juin 1995 tout en révélant lors d'une conférence de presse tenue le 8 juin 1995 le contenu de l'accord passé avec la LNF ; que dans le courant du mois de juin Adidas a livré les équipements à treize clubs ; qu'à la suite de la décision de mesures conservatoires prise par le conseil, Adidas a demandé aux clubs auxquels elle avait livré des équipements l'état de leur relations contractuelles avec leurs sponsors ; que, par la suite, dix­sept clubs qui n'étaient pas antérieurement liés avec Adidas ont choisi de se lier avec cet équipementier en invoquant pour la plupart d'entre eux l'existence d'un accord entre la LNF et Adidas ; qu'au total, à la suite de l'annonce publique de l'accord en cause par les intéressés, Adidas est devenu le "sponsor" de plus de trente clubs de première et deuxième divisions ; que l'effet des contrats signés entre Adidas et les clubs à la suite de l'accord passé avec la LNF est d'autant plus important que ces contrats stipulent qu'Adidas fournira également les chaussures des sections amateurs des clubs professionnels concernés ;

Considérant que la LNF et Adidas soutiennent que la résiliation par un certain nombre de clubs des contrats de parrainage liant ces clubs à des concurrents d'Adidas, résiliation intervenue au moment du démarrage du championnat et postérieurement à la conclusion de l'accord liant la LNF et Adidas, ne serait pas une conséquence de cet accord ; que, selon la LNF, les clubs concernés, y compris ceux qui étaient sous contrat avec d'autres "sponsors", "ont traité avec la société Adidas au cours de la saison 1995/96, ou postérieurement, pour des motifs essentiellement liés à leurs intérêts individuels qu'ils ont librement appréciés" ; qu'Adidas soutient également que "la seule motivation" des clubs ayant conclu un contrat de parrainage avec elle n'a pu "être que la volonté de conclure avec celui parmi les équipementiers qui leur offrait les conditions contractuelles les plus avantageuses" ; que la LNF et Adidas tentent par ailleurs de justifier la rupture de contrats par les clubs par divers manquements de leurs "sponsors" respectifs ;

Mais considérant que, si le 24 avril 1995, le président de l'Olympique de Lyon (OL) manifestait "l'expression de la satisfaction de l'ensemble des membres de l'Olympique Lyonnais" et se réjouissait de voir l'équipe de la société Nike "travailler depuis quelques semaines sur la conception du nouveau maillot" de son équipe, le 15 mai 1995, le même responsable adressait la lettre suivante au directeur général de la société Nike : "Le contrat de sponsoring qui nous lie arrive à son terme le 30 juin 1997. Néanmoins, compte tenu des orientations de la Ligue Nationale de Football obligeant les clubs à accepter de se soumettre au partenariat avec Adidas pour prendre part au prochain championnat de France de divisions I et II, nous envisageons de résilier le contrat entre nos deux sociétés par anticipation à effet au 30 juin 1995" ; que, le 7 juillet 1995, le président de l'OL déclarait au directeur général de la société Nike : "Notre décision de résilier répond aux décisions arrêtées par le conseil d'administration de la Ligue Nationale de Football du 28 avril 1995, confirmées par l'assemblée générale du 24 juin 1995" ; que le directeur de l'OGC Nice a également déclaré, par lettre en date du 3 novembre 1995 adressée au conseil : "Notre club a rompu le contrat qui le liait à la société Lotto sur injonction de la Ligue Nationale de Football" ; que, le 19 septembre 1995, le directeur administratif du Stade rennais a confirmé : "il nous a (...) été demandé de nous aligner en championnat avec les équipements livrés par la société Adidas, et ce, dès le 19 juillet", alors même qu'aucun contrat écrit n'avait été signé avec ce "sponsor" ; que, dans une lettre du 4 août 1995, le directeur général du Stade Athlétique d'Epinal déclarait au directeur général de la LNF : "Conformément aux instructions données par la LNF en son temps, les équipements fournis par la société Adidas sont portés depuis le début de la saison par les joueurs tant aux entraînements que lors des rencontres officielles" ; que, le 20 juin 1995, le directeur du SM Caen avait déclaré à la société Puma : "Nous (...) contractons, pour la saison suivante, avec la société Adidas, dans le cadre des accords passés avec la Ligue Nationale de Football" ; que, le 24 mai 1995, le président de l'AS Nancy­Lorraine notifiait au président­directeur général de la société Le Roc Sport la rupture du contrat de parrainage en vigueur dans la mesure où, selon lui, il était "contraint de respecter les nouvelles dispositions de l'article 315 du règlement administratif du championnat de France professionnel de 2e division dans sa nouvelle rédaction" ; que, par lettre en date du 17 juillet 1995, M. Alain Giresse, responsable du Toulouse Football Club (TFC) déclarait à Adidas : "Nous avons suspendu notre contrat avec notre équipementier, en raison des accords pris par la Ligue Nationale de Football" ; que le directeur sportif du Football Club de Lorient, qui a signé un contrat de parrainage avec Adidas en août 1995, a également déclaré, dans un courrier adressé au conseil : "Les raisons ayant conduit le club à interrompre le contrat avec la société Lotto ont été formulées selon les instructions de la Ligue Nationale de Football" ; qu'il est donc établi que l'accord conclu entre la Ligue Nationale de Football et Adidas a eu des effets ;

Considérant en outre que le fait que de nombreux clubs qui étaient déjà engagés auprès d'autres "sponsors" aient accepté de contracter avec Adidas pour une durée de cinq années couvrant une période strictement identique à celle qui figurait dans l'accord écrit LNF / Adidas versé au dossier par Adidas et que le fait que trois des clubs de première division déjà sous contrat avec Adidas aient subitement décidé, par anticipation, de reconduire leur contrat pour une durée identique de cinq années établissent également que l'accord conclu entre Adidas et la LNF a eu des effets ;

Considérant qu'Adidas et la Ligue Nationale de Football affirment, d'une part, que le parrainage ne serait pas distinct de la publicité et que, d'autre part, il n'existerait pas de lien entre le parrainage et les ventes de chaussure de football ; qu'Adidas a fait valoir en séance qu'en dépit de l'accroissement du nombre de ses contrats de parrainage, sa part du marché de la chaussure de football de marque se serait réduite à 36,2 % en 1997, alors qu'elle s'élevait à plus de 40 % en 1995 ;

Mais considérant, en premier lieu, qu'Adidas ne peut soutenir dans le même temps que le parrainage n'est qu'une forme de publicité parmi d'autres et que le parrainage n'a pas d'effet sur les ventes alors que la publicité vise précisément à développer les ventes d'une entreprise ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il ne peut être sérieusement contesté que le parrainage sportif constitue une forme spécifique de promotion des ventes tirant son efficacité de l'identification entre la marque et la performance des joueurs de haut niveau sous contrat avec des clubs professionnels;que les sommes considérables investies dans le parrainage d'équipes professionnelles de renom par les fabricants de chaussures de football tendent à établir que cette forme de promotion, privilégiée par la plupart des fabricants d'articles de football par rapport à d'autres formes de promotion, constitue bien un moyen inégalable permettant aux fabricants concernés d'apporter la preuve de la fiabilité de leurs produits ; qu'ainsi, comme l'a souligné Adidas en séance, la société Reebok France, qui s'était lancée dans la commercialisation de la chaussure de football en 1994 et qui avait conclu un accord de parrainage avec le club professionnel de Bastia, a pu s'implanter rapidement sur le marché national de la chaussure de football de marque et atteindre une part de marché de 6 % en l'espace de deux ans ; que, par ailleurs, le fait que les contrats de parrainage prévoient la possibilité de diminuer les primes en cas de mauvais résultats des équipes parrainées établit bien le lien existant entre les perspectives de vente du "sponsor" et son activité de parrainage;qu'en outre, le parrainage permet aux fabricants d'articles de marques de disposer d'espaces publicitaires et de diffuser des messages susceptibles d'être non seulement perçus par les spectateurs mais également par les téléspectateurs lors des diffusions des matchs;qu'enfin, les contrats de parrainage prévoient que les sections amateurs des clubs professionnels seront elles­mêmes dotées de chaussures de la marque du "sponsor" ;

Considérant, en troisième lieu, que la circonstance que la part de marché d'Adidas aurait diminué en 1997 n'est pas de nature à établir qu'il n'existerait à moyen terme aucun lien entre le parrainage et le développement des marques de chaussures de football ; que les effets du parrainage ne peuvent se manifester à très court terme eu égard à la nécessité, pour les "sponsors", d'attendre les résultats des clubs qu'ils parrainent avant d'exploiter sur le plan publicitaire les arguments tirés d'un tel partenariat ; que si Adidas, qui possédait déjà une marque de notoriété mondiale et qui s'apprêtait pourtant à investir 60 millions de francs dans le parrainage alors qu'elle disposait déjà de nombreux contrats de parrainage, notamment en France, pouvait estimer secondaire le fait d'obtenir des contrats de parrainage supplémentaires, il s'avère que d'autres fabricants de marques moins connues du grand public, dont certaines des entreprises saisissantes, auraient souhaité continuer à pouvoir utiliser ce moyen de promotion jugé particulièrement efficace pour développer l'image de leurs produits et accroître ainsi leurs ventes ; que d'ailleurs, il y a lieu d'observer que tous les fabricants de chaussures de football avaient recours à ce type de promotion avant la conclusion de l'accord entre la Ligue Nationale de Football et Adidas ; que l'argument d'Adidas n'est donc pas fondé ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que cet accord de portée nationale avait un objet anticoncurrentiel et pouvait avoir pour effet de fausser et de restreindre le jeu de la concurrence sur le marché de la chaussure de football de marque;qu'en outre, cet accord a eu un effet; que cet accord était également susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres en limitant les capacités d'accès des équipementiers étrangers au marché national;qu'ainsi l'accord conclu entre la LNF et Adidas se trouve prohibé par les dispositions des articles 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 85 paragraphe 1 du Traité de Rome;

En ce qui concerne l'application du 1 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant que la LNF fait valoir que l'article 18­1 de la loi du 16 juillet 1984 modifiée dispose que "(...) le droit d'exploitation d'une manifestation ou d'une compétition sportive appartient à l'organisateur de cet événement, tel qu'il est défini aux articles 17 et 18" ; que la LNF soutient que ledit texte "justifie" l'accord litigieux conformément à l'article 10 (1°) de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que la LNF fait également valoir que l'article 4 alinéa 2 de la convention signée entre la LNF et la FFF, tel que modifié à l'issue de l'assemblée fédérale du 4 février 1995, prévoit que "la LNF est compétente pour réglementer dans son secteur d'activité, sous le contrôle du Conseil fédéral, la publicité sur les équipements sportifs et dans les stades" ;

Mais considérant que si les dispositions de l'article 18­1 de la loi précitée prévoient bien le droit pour un organisateur d'exploiter, notamment sur le plan des retransmissions radiophoniques ou télévisuelles, une manifestation ou une compétition sportive, ces dispositions n'impliquent nullement que la LNF fasse obstacle au jeu de la concurrence, en signant un accord exclusif de parrainage sans appel préalable à la concurrence et en concluant un accord d'une durée excessive et comportant une clause de préférence au profit d'Adidas; que la LNF n'est par ailleurs pas fondée à invoquer la convention qu'elle a signée avec la FFF pour justifier l'accord de parrainage conclu avec Adidas, dans la mesure où cette convention entre personnes morales de droit privé ne constitue pas un texte réglementaire pris pour l'application d'une loi; que le représentant de la LNF a d'ailleurs finalement admis en séance que le 1 de l'article 10 n'avait "pas vocation à s'appliquer" ;

En ce qui concerne l'application des articles 85 paragraphe 3 du Traité de Rome et du 2 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant que l'article 85 paragraphe 3 du Traité de Rome dispose que les dispositions du paragraphe 1 de l'article 85 peuvent être déclarées inapplicables à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises, à toute décision ou catégorie de décisions d'associations d'entreprises et à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées "qui contribuent à améliorer le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans, (a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs, (b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause d'éliminer la concurrence" ; que le 2 de l'article 10 prévoit que "ne sont pas soumises aux dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance susvisée les pratiques dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Ces pratiques (...) ne doivent imposer des restrictions à la concurrence que dans la mesure où elles sont indispensables pour atteindre cet objectif de progrès" ;

Considérant que la LNF soutient qu'il n'existe aucun autre moyen pour parvenir à doter l'ensemble des clubs de football professionnels de ressources "à la fois plus importantes, plus stables et mieux réparties" ; qu'elle fait valoir que la majorité des clubs dotés d'une équipe professionnelle de première ou deuxième divisions a, depuis 1995, "bénéficié des ressources financières largement plus importantes qu'avant" et affirme que cette majorité bénéficie de "services et d'équipements de plus grande qualité" ; que, selon la LNF, ces avantages contribueraient au progrès économique ; qu'il s'ensuit que l'accord en cause devrait bénéficier de l'exemption prévue aux articles 85 paragraphe 3 du Traité de Rome et le 2 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que, pour la LNF, "la réorganisation économique opérée par la revalorisation du parrainage du football professionnel, l'augmentation des ressources des clubs dotés d'une équipe professionnelle (...) est substantielle" ; que cet "assainissement" aurait des effets bénéfiques pour l'économie générale et pour l'intérêt général et le mouvement sportif national du football dans la mesure où les clubs sont mieux à même de faire face à leurs obligations en matière de sécurité, d'amélioration des infrastructures, de formation des joueurs et de gestion ;

Mais considérant, en premier lieu, que le Conseil de la concurrence n'a pas compétence pour faire application des dispositions de l'article 85 paragraphe 3 du Traité de Rome ; qu'en l'absence de notification de l'accord en cause ou de décision d'exemption, la LNF et Adidas ne peuvent utilement invoquer les dispositions de l'article 85 paragraphe 3 du Traité de Rome ;

Considérant, en second lieu, que le progrès économique au sens des dispositions du 2 de l'article 10 de l'ordonnance ne saurait en tout état de cause se réduire à l'intérêt des clubs de football dès lors que la pratique dénoncée avait pour objet et pouvait avoir pour effet de limiter la concurrence de manière durable sur le marché de la chaussure de football de marque et d'affecter l'ensemble des consommateurs désireux d'acquérir un tel produit ; qu'il n'est, par ailleurs, nullement établi par la Ligue Nationale de Football que le progrès économique qu'elle invoque n'aurait pu être obtenu sans fausser le jeu de la concurrence sur le marché, d'une part, en faisant jouer la concurrence entre les fabricants d'articles de sport pour l'attribution du contrat de parrainage des clubs de première et deuxième divisions et, d'autre part, en limitant la durée de l'exclusivité ; qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions du 2 de l'article 10 de l'ordonnance ne peuvent s'appliquer en l'espèce ;

Sur la clause conférant un droit de priorité à Adidas, par rapport à, ses concurrents à l'échéance des contrats de parrainage signés avec des clubs de football professionnels :

Considérant que les contrats signés par Adidas avec des clubs de football professionnels de première et deuxième divisions contiennent une clause aux termes de laquelle le club ou son représentant s'engage à "adresser à la société au plus tard 4 mois avant l'échéance du (présent) contrat, une copie des propositions des sociétés concurrentes à la société. La société aura 30 jours à compter de la réception de chaque proposition qui lui aura été signifiée pour faire valoir son droit d'option prioritaire à des conditions équivalentes" ; que la même clause figurait dans l'exemplaire de contrat écrit LNF /Adidas versé au dossier par Adidas ;

Considérant que ladite clause, qui figure dans le contrat type d'Adidas et qui a pour objet et peut avoir pour effet de protéger la position de cette entreprise de la concurrence d'autres entreprises aux termes de la période contractuelle s'analyse, aux termes d'une jurisprudence constante (CJCE, Hoffmann Laroche, 13 février 1979), comme un abus de position dominante sur le marché de la chaussure de marque de football;

Considérant qu'Adidas fait valoir qu'elle a renoncé à la mise en œuvre de ladite clause en adressant une lettre aux différents clubs concernés en septembre 1996 ; que, dans sa correspondance, le directeur du marketing de la société Adidas Sarragan France déclare : "Bien que nous n'estimions pas qu'elle soit en violation des dispositions légales, nous ne voyons aucune raison de maintenir cette clause qui n'a, à notre avis, aucune portée juridique. C'est pourquoi nous vous informons que nous ne mettrons pas en œuvre la clause susvisée. Cette renonciation de notre part n'a évidemment aucun impact sur nos rapports actuels ni sur l'éventualité d'une reconduction de notre contrat" ; qu'Adidas soutient que, n'ayant jamais été appliquée, cette clause n'a pu avoir d'effet anticoncurrentiel ; que, selon cette entreprise, il ne saurait y avoir une "automaticité dans la sanction d'un objet anticoncurrentiel per se" ;

Mais considérant que l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibe les ententes et actions concertées " lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet " d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ; que l'article 8.1 de la même ordonnance prohibe l'exploitation abusive d'une position dominante "dans les mêmes conditions" ; qu'en introduisant cette clause, en 1995, dans ses contrats de parrainage, Adidas, qui se trouvait en position dominante sur le marché de la chaussure de football, avait bien pour objet de s'assurer de la reconduction de ses contrats de parrainage et de limiter ainsi le jeu de la concurrence sur les marchés concernés ; que, s'il y a lieu de tenir compte du fait qu'Adidas a informé les clubs concernés de sa décision de ne pas mettre en œuvre la clause critiquée, cette clause figure toujours de manière expresse dans les contrats ; que l'objet anticoncurrentiel de la clause étant avéré, Adidas a enfreint les dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur les sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de dix millions de francs. Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu'il désigne, l'affichage dans les lieux qu'il indique (...). Les frais sont supportés par la personne intéressée" ;

Considérant que, pour apprécier la gravité des faits, il y a lieu de prendre en compte le fait qu'Adidas, qui se trouve en position dominante sur le marché de la chaussure de football de marque, parrainait déjà les équipes de France de football dans le cadre d'un autre accord avec la FFF et les équipes participant aux coupes de France et de la LNF; que, dans ce contexte, l'accord de parrainage de l'ensemble des clubs de première et deuxième divisions entre cette entreprise et la LNF, en dehors de tout appel à la concurrence, était de nature à priver les autres équipementiers durablement de la possibilité de promouvoir leurs ventes par le moyen du parrainage des clubs participant aux championnats professionnels, épreuves bénéficiant d'une couverture médiatique particulièrement importante comme en atteste le fait que les matchs de championnat représentent près de 30 % de l'ensemble des matchs retransmis à la télévision; qu'il y a également lieu de prendre en compte, pour apprécier la gravité des faits, du pouvoir réglementaire que détient la LNF vis­à­vis des clubs de football professionnels; que le fait que l'accord dénoncé ait été présenté comme étant une décision prise conformément à l'article 315 du règlement des championnats a pu être interprété par les clubs comme l'usage de ce pouvoir réglementaire par la LNF ;

Considérant que, pour apprécier le dommage à l'économie, il convient de tenir compte du fait que si l'accord a été suspendu il a néanmoins produit des effets, un grand nombre de clubs ayant rompu leur contrat de parrainage avec un autre "sponsor" pour se conformer à l'accord critiqué ; qu'ainsi les concurrents d'Adidas se trouvent dans une large mesure privés de la possibilité d'utiliser le parrainage sportif comme moyen de promotion de leurs produits pendant la durée des nouveaux contrats ;

Considérant que la société Adidas Sarragan France a réalisé en France un chiffre d'affaires de 1 539 729 528 F au cours de l'exercice 1996, dernier exercice clos ; que les produits d'exploitation de la LNF se sont élevées à 665 000 210 F au cours de l'exercice clos le 30 juin 1997 dont 2 millions de francs de produits tirés de la publicité ; que le compte de résultat au 30 juin 1997 fait par ailleurs ressortir un excédent de 11 942 206 F; que, selon la LNF, 90 % de ses produits d'exploitation sont reversés aux clubs disposant d'une équipe professionnelle de première ou deuxième divisions sur la base du "principe de solidarité entre les clubs" ; qu'en vertu des éléments généraux et individuels ainsi appréciés, il y a lieu d'infliger une sanction pécuniaire de 16 millions de francs à la société Adidas Sarragan France ; que, compte tenu des éléments susmentionnés et en vertu des éléments généraux et individuels ainsi appréciés, il y a lieu d'infliger une sanction pécuniaire de 800 000 F à la Ligue Nationale de Football ;

Considérant enfin qu'il convient également d'informer les professionnels du secteur, les clubs concernés et les autorités administratives du caractère illicite de telles pratiques ; qu'à cette fin, il y a lieu d'ordonner la publication de la présente décision, à frais communs et à proportion des sanctions pécuniaires qui leur sont infligées, par la Ligue Nationale de Football et par la société Adidas Sarragan France, dans le quotidien L'Équipe dans un délai maximum de trois mois suivant la notification de la présente décision,

Décide :

Article 1er : Il est établi que la société Adidas Sarragan France et la Ligue Nationale de Football ont enfreint les dispositions des articles 85 paragraphe 1 du Traité de Rome et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Article 2 : Il est établi que la société Adidas Sarragan France a enfreint les dispositions du 1 de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Article 3 : Il est infligé une sanction pécuniaire de 16 millions de francs à la société Adidas Sarragan France.

Article 4 : Il est infligé une sanction pécuniaire de 800 000 F à la Ligue Nationale de Football.

Article 5 : Dans un délai maximum de trois mois suivant sa notification, le texte intégral de la présente décision sera publié à frais communs et à proportion des sanctions pécuniaires qui leur sont infligées par la Ligue Nationale de Football et par la société Adidas Sarragan France, dans le quotidien L'Equipe.

Article 6 : Il est enjoint à la société Adidas Sarragan France de supprimer, dans ses contrats de parrainage conclus avec des clubs de football professionnels, la clause aux termes de laquelle le club ou son représentant s'engage à "adresser à la société au plus tard quatre mois avant l'échéance du (présent) contrat, une copie des propositions des sociétés concurrentes à la société. La société aura trente jours à compter de la réception de chaque proposition qui lui aura été signifiée pour faire valoir son droit d'option prioritaire à des conditions équivalentes".