Conseil Conc., 1 juillet 1997, n° 97-D-53
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre par France Télécom et par la société Transpac dans le secteur de la transmission de données
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport de M. Jean-René Bourhis, par M. Barbeau, président ; MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents ; M. Bon, Mme Boutard-Labarde, MM. Callu, Gicquel, Mme Hagelsteen, MM. Marleix, Pichon, Robin, Rocca, Sargos, Urbain, membres.
Le Conseil de la concurrence (formation plénière),
Vu la lettre enregistrée le 5 juillet 1995 par laquelle la société BT France a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la transmission de données ; Vu le traité du 25 mars 1957 modifié, instituant la Communauté européenne, et notamment ses articles 85 et 86, et le règlement (CEE) n° 1762 du 6 février 1962 du conseil modifié, pris pour son application ; Vu la directive n° 90-387 de la Commission européenne du 28 juin 1990 relative à l'établissement du marché intérieur des services de télécommunications par la mise en œuvre de la fourniture d'un réseau ouvert de télécommunications (dite "directive ONP") et la recommandation du conseil du 5 juin 1992 relative à l'offre harmonisée d'un ensemble minimal de services de transmission de données par commutation de paquets (STDCP) conformément aux principes de la fourniture de réseau ouvert (ONP) ; Vu la directive n° 90-388 de la Commission européenne du 28 juin 1990 relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunications, modifiée en dernier lieu par la directive n° 96-19 de la Commission européenne du 13 mars 1996 relative à la réalisation de la pleine concurrence sur le marché des télécommunications ; Vu l'ordonnance n° 861243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 861309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu la loi n° 96659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications ; Vu la loi n° 96660 du 26 juillet 1996 relative à l'entreprise nationale France Télécom ; Vu l'avis émis par l'Autorité de régulation des télécommunications ; Vu les observations présentées par France Télécom, les sociétés Transpac et BT France ainsi que par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de France Télécom, des sociétés Transpac et BT France ainsi que le commissaire du Gouvernement entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ciaprès exposés :
I CONSTATATIONS
1- Le secteur d'activité
a) Les réseaux internes d'entreprises définition
L'objectif d'un réseau interne d'entreprises est de relier plusieurs émetteurs et plusieurs récepteurs entre eux, afin de permettre l'échanges de données entre différents utilisateurs au sein d'une même entreprise ou d'un groupe d'entreprises. Ce processus vise à satisfaire des besoins différents de ceux qui touchent à la communication externe de l'entreprise.
Antérieurement à l'entrée en application de la loi n° 96659 du 26 juillet 1996, l'article L. 342 du Code des postes et télécommunications prévoyait qu'étaient autorisés par le ministre chargé des télécommunications, les services de télécommunication "fournis au public", dont les services de transmission de données dénommés "servicessupports", à l'exception de ceux fournis par France Télécom qui bénéficiait "de plein droit" d'une autorisation. En 1993, seule la société Transpac avait demandé et reçu l'autorisation d'exploiter un service de transmission de données ouvert au public. Selon la propre expression de France Télécom, une "application généreuse" de l'article L. 34 permettait à la Direction Générale des Postes et Télécommunications (DGPT) de considérer que les servicessupports étaient "entièrement libres" lorsqu'ils n'étaient pas fournis au public, ce qui était le cas des services exploités en "groupes fermés d'utilisateurs", à l'instar de ceux du groupe AXA pour l'échange de données avec ses courtiers et agents sur le plan national. L'article L. 342 nouveau prévoit que la fourniture de tels services est libre "sous réserve du respect des exigences essentielles et des prescriptions relatives à la défense et à la sécurité publique".
Un réseau interne d'entreprise pouvait donc bénéficier du régime accordé par la direction générale des télécommunications aux "groupes fermés utilisateurs" qui, selon la "doctrine administrative", constituent des groupes formés par des entités distinctes qui, sans être nécessairement liés par des liens financiers, entretiennent des relations durables entre elles. Peuvent notamment rentrer dans cette catégorie les réseaux de concessionnaires automobiles ou, à l'instar du réseau AXA, les réseaux constitués par les compagnies d'assurance avec leurs agents.
Un réseau est le plus souvent composé de parties permanentes et de parties commutées. Ainsi, dans le réseau téléphonique, la liaison entre l'abonné et le central est permanente. Par ailleurs, dans une liaison permanente, la transmission de données n'est pas permanente mais se réalise après un processus d'initialisation, d'appel et de libération après transmission. L'opération de mise en relation entre l'ordinateur et le terminal peut être "logique" (d'où l'utilisation de l'expression "liaison logique et permanente LLP"). Pendant que la liaison est disponible mais non utilisée, on dit que la liaison est "virtuelle".
Sur le plan physique, un réseau se caractérise par l'existence de "noeuds" qui correspondent de manière imagée à des sortes de carrefours ou d'échangeurs autoroutiers (le central téléphonique d'une ville est un noeud du réseau téléphonique). La disposition des noeuds en étoiles, en anneaux ou en "bus" constitue la topologie d'un réseau. S'agissant de la transmission de messages, la commutation vise, non pas à garantir la réservation d'un canal, mais à assurer son acheminement quel que soit le chemin emprunté.
b) Les possibilités offertes aux entreprises désireuses de se doter d'un réseau interne d'échange de données
- Le réseau le plus répandu est le réseau téléphonique (étant commuté, on utilise le terme "réseau téléphonique commuté" RTC) qui se constitue d'une structure hiérarchique partant des centres locaux de rattachement jusqu'aux centres de transit principaux (CTP : une dizaine environ). Bien que conçu pour transporter la voix, le RTC peut aussi transporter des données grâce à l'utilisation de modems et constitue le principal réseau de transport de données. Ses inconvénients résident dans la faible fiabilité du système, la lenteur du débit et la relative pauvreté de sa signalisation ainsi que dans le coût des communications.
- Pour transférer des volumes importants de données avec des débits plus élevés, certaines entreprises peuvent utiliser des liaisons spécialisées (LS) qui sont proposées en location par France Télécom. La Poste, EDF et Air France ont choisi d'exploiter euxmêmes de tels réseaux dénommés "réseaux privés". Ces lignes sont prélevées sur le réseau existant en raccordant des circuits de manière permanente. Des opérateurs peuvent, à l'instar de AT&T, Unisource ou Infonet, décider également de créer leur propre service à valeur ajoutée pour le louer ensuite à des entreprises utilisatrices. La tarification est composée de frais d'accès et d'une redevance mensuelle qui dépend surtout de la longueur de la ligne. L'inconvénient de ce type de réseau réside dans l'immobilisation permanente des ressources et du coût relativement élevé en cas de faible utilisation. En revanche, pour les besoins de transmission en grands volumes et avec un taux d'occupation long comme par exemple pour les transferts de fichiers, les LS sont particulièrement adaptées.
- D'autres entreprises peuvent, notamment lorsqu'elles disposent déjà de tels réseaux, comme la SNCF ou la RATP, décider d'exploiter leur propre réseau "indépendant" pour leur propre compte ou en le mettant, le cas échéant, à la disposition d'autres entreprises. La création de nouvelles infrastructures était soumise à autorisation de la DGPT Selon les chiffres versés au dossier par la DGPT, seulement 2 % des réseaux indépendants "filaires" sont constitués de liaisons d'une longueur supérieure à 1000 mètres et parmi lesquels figurent ceux des Autoroutes du sudest de la France, d'Eurotunnel, de Renault Véhicules Industriels, de Rhône Poulenc, de la SNCF et de la RATP.
- France Télécom offre depuis plusieurs années de nouveaux services de transmission de données construits autour d'une infrastructure normalisée à l'échelon international : le Réseau Numérique à Intégration de Services (RNIS) appelé en langue anglaise Integrated Services Digital Network (ISDN), qui, dans son utilisation normale, utilise la technique de commutation de circuits. Ce service, exploité en monopole par France Télécom, qui utilise l'infrastructure du téléphone dont il utilise la forte numérisation, porte en France le nom commercial de "Numéris". Fin 1994, ce service comptait environ 150 000 abonnés. Le réseau public Numéris se compose de deux canaux : le canal "B", permettant l'utilisation de la voix, de données ou d'images et le canal "D". Seul le canal B est susceptible de fournir des services de transmission de données à titre autonome, le canal D pouvant uniquement servir de moyen d'accès à un autre réseau comme celui de Transpac. Il existe deux sortes d'accès à Numéris : les "accès de base" et les "accès primaires". Les accès de base permettent l'utilisation de deux canaux B à 64 kbits et d'un canal D à 16 kbits. Les accès primaires permettent l'utilisation de trente canaux B et d'un canal D. Un des obstacles rencontré par Numéris pour les transmissions de données repose toutefois sur le coût élevé des transactions dites "conversationnelles", qui sont pénalisées par la tarification à la durée.
- Pour ce type de relations, interactives ou transactionnelles, les réseaux dits "à commutation de paquets" apparaissent particulièrement adaptés. En France, la société Transpac était la seule société à disposer d'un réseau public de commutation de paquets à la norme internationale baptisée X 25, qui constitue le premier sur le plan mondial. La vocation principale de ce réseau est le "transactionnel long", qui concerne les systèmes mettant en œuvre un fort taux d'interactivité entre terminaux ou entre terminaux et ordinateurs. Les messages sont découpés en courts tronçons, les "paquets", précédés d'un entête qui permet de reconstituer le message intégralement à son arrivée. Afin de s'assurer de la fiabilité du système, on peut réserver un certain nombre de ressources dans le réseau pour s'assurer qu'il sera capable d'acheminer les paquets. Ces ressources, qui constituent, pour l'essentiel, de l'espace mémoire dans les noeuds intermédiaires pour construire à l'avance un chemin, sont appelés circuits virtuels, d'où l'expression "circuit virtuel commuté" (CVC). Si le circuit est réservé en permanence, il est alors dénommé : "circuit virtuel permanent" (CVP). Le taux d'erreurs est faible : si un circuit est interrompu, le réseau rétablit en effet automatiquement un autre chemin et retransmet toutes les informations déjà envoyées. La société Transpac ("Solutions Le guide de la communication informatisée de Transpac") précise d'ailleurs : "Par comparaison avec le réseau téléphonique, Transpac est donc beaucoup plus fiable à cause de son principe de fonctionnement et des services qu'il offre". La tarification des réseaux à commutation de paquets présente en outre l'avantage d'être "indépendante de la distance" et d'être "très faiblement taxée sur la durée des communications", le coût d'usage du réseau étant principalement calculé en fonction du volume des informations à transmettre. Transpac est en effet disponible "partout au même tarif en France métropolitaine, et aussi dans les Dom Tom". Une redevance fixe, fonction du nombre de circuits est facturée.
Dans la mesure où Transpac est un réseau qui n'arrive pas chez l'abonné, il est nécessaire de mettre en place une liaison entre Transpac et l'abonné. Les accès à Transpac peuvent se faire en mode "synchrone" ou "asynchrone". L'utilisateur peut, à l'instar du groupe AXA antérieurement à décembre 1993, accéder au réseau Transpac en mode synchrone X 25, soit en direct par une liaison spécialisée équipée de modems, soit en indirect par le réseau téléphonique commuté selon une recommandation baptisée X 32. Les terminaux "non intelligents" peuvent également accéder à Transpac en mode asynchrone par le réseau téléphonique ou par accès direct grâce à des modules qui assemblent et désassemblent les paquets.
- Il est également possible, depuis 1992, d'utiliser le service de commutation de paquets dans le canal D, que l'on désigne également comme l' "accès à Transpac via le canal D de Numéris". L'entreprise dispose alors d'une ligne spécialisée 9 600 bits entre son terminal et le plus proche commutateur Transpac pour environ la moitié du prix Transpac habituel (une liaison à 9 600 bits (bps) par seconde permet la transmission d'une page en une seconde). La connexion à Numéris fournit trois canaux numériques : 2 canaux dits "B", 64 kbits, permettant l'utilisation de la voix, de données ou d'images et 1 canal dit "D", à 16 kbits, qui achemine la signalisation. En 1993, la société Transpac était le seul opérateur à avoir demandé l'accès au canal D de Numéris. La société AXA, qui utilisait le réseau Transpac en accès direct par lignes spécialisées, avait considéré que l'accès par Canal D était susceptible de lui permettre d'abaisser ses coûts d'environ 30 % par rapport à l'ancien système et qu'une solution "satellitaire" (VSAT) était de nature à concurrencer une solution terrestre de type Transpac via le canal D de Numéris. La société Transpac annonçait d'ailleurs (Transpac actualités, n° 32 hiver 91), "dès la mi92, ce nouveau mode d'accès à Transpac est le plus économique pour les terminaux en connexion permanente à faible débit" et chiffrait à environ 20 % l'économie "pour un utilisateur qui échange au maximum 10 mégaoctets par mois et qui amortit pour un tiers l'abonnement à Numéris sur l'usage Transpac". En outre, ce système présente l'avantage de permettre l'amortissement de l'abonnement à Numéris par l'utilisation des canaux B pour le téléphone ou les transferts importants de fichiers en liaisons "point à point".
Les modes de commutation de circuits et de paquets présentent chacun des avantages en fonction des utilisations, avantages pouvant se résumer comme suit :
<emplacement tableau>
Le système d'accès à Transpac via le canal D de Numéris combine les deux types de commutation. Un document public de Transpac mentionne d'ailleurs : "alors que les accès par liaisons spécialisées supposent des besoins en trafic élevés et permanents et que les accès par réseau téléphonique commuté supposent des besoins en trafic modérés et brefs (faible durée de connexion), l'accès par le canal D de Numéris est particulièrement bien adapté aux trafics modérés, sans restriction sur la durée de connexion".
Une synthèse des services réseaux de France Télécom publiée dans l'ouvrage spécialisé intitulé "Passeport pour les réseaux" (IDG France Book, 1995) permet par ailleurs de résumer les différentes caractéristiques des types de réseaux :
<emplacement tableau>
- Une entreprise peut également se doter d'un réseau "satellitaire " ou faire appel à un opérateur exploitant un tel réseau qui se compose d'une station maîtresse, dotée d'une grande antenne, de stations installées sur chaque site client, dotées de petites antennes appelées VSAT ("VSAT" : very small aperture terminal), et d'une capacité spatiale, c'estàdire une part réservée sur un satellite.
Certains professionnels considèrent que, par rapport à un réseau terrestre, la solution "satellitaire" offre une plus grande souplesse dans la modification du réseau (adjonction de nouvelles stations) et une plus grande fiabilité (risque de coupures des lignes terrestres). En outre, cette solution permet, dans une certaine mesure, une extension du réseau à coût marginal (coût des antennes supplémentaires) dans la mesure où la croissance du réseau n'a pas d'effet sur le coût des transmissions. En revanche, selon MM. Buge et des Cognets, la solution VSAT "présente certaines rigidités par rapport à la solution terrestre en raison notamment de la faible normalisation des appareils, ce qui risque de lier le client au fournisseur par la suite". Selon ces responsables, ce critère a "certainement pesé dans le choix de la société AXA".
Bien que les services de transmission de données par satellites aient été libéralisés en France depuis 1991, le nombre d'affaires réalisées dans ce secteur demeurait encore très limité sur le plan national en 1994, seuls deux contrats ayant été signés, l'un entre le groupe Casino et la société Transpac et l'autre entre la société BT France et le groupe d'assurances Azur. Les représentants de France Télécom et de la société Transpac ont déclaré, par procèsverbal d'audition en date du 13 novembre 1995 : "Les solutions VSAT et terrestres sont substituables".
Les responsables du bureau Concurrence et consommateurs à la DGPT ont déclaré, par procèsverbal d'audition en date du 6 février 1996 : "Il nous semble (....) que les systèmes de transmission de données terrestres et par satellites sont substituables pour une certaine partie de la clientèle (réseaux en étoiles avec de nombreux terminaux par exemple, à l'instar des réseaux automobiles et d'assurances), l'investissement que doit réaliser le client dans les antennes pouvant constituer un frein dans le développement des réseaux VSAT. Les systèmes terrestres et par satellites sont soumis à des régimes d'autorisation distincts (respectivement articles L. 34.2 et 33.2 du Code des P&T), bien que les services rendus soient substituables".
Le responsable du service par satellite au sein de la société IBM a par ailleurs déclaré que "(...) La réglementation actuelle limite la fourniture de services de réseaux VSAT à des Groupes Fermés d'Utilisateurs (GFU). Pour ces utilisateurs (généralement, des entreprises ou des communautés professionnelles) qui représentent la plus grande partie du marché considéré les réseaux VSAT offrent essentiellement les mêmes fonctionnalités que les réseaux terrestres, pour les applications classiques, ne nécessitant pas de liaisons permanentes à débit élevé ou des temps de réponse très faibles (le cas le plus courant). Les réseaux VSAT permettent d'obtenir le même niveau de capillarité que les réseaux publics, en s'affranchissant pour l'essentiel des infrastructures terrestres publiques. Ils constituent, à ce titre, une véritable alternative aux réseaux terrestres publics. Du strict point de vue des transmissions de données, on peut donc considérer que le marché des réseaux VSAT est un sousensemble important du marché des communications de données. Mais, du fait de fonctionnalités supplémentaires qui leur sont spécifiques, les réseaux VSAT s'adressent également à d'autres catégories d'utilisateurs, que les réseaux terrestres par paquets ne peuvent pas satisfaire. Il s'agit principalement des utilisateurs qui, audelà de la transmission de données, ont des besoins de diffusion (données, images, vidéo) et/ou de téléphonie privée. Bien que ce marché soit encore aujourd'hui de taille modeste (du fait, notamment, de la pénétration très récente des technologies VSAT en Europe), il semble appelé à un développement important, aux plans national et international".
2- Les directives communautaires
Au plan communautaire, la directive n° 90-387 du 28 juin 1990 relative à l'établissement du marché intérieur des services de télécommunications par la mise en œuvre de la fourniture d'un réseau ouvert de télécommunications (dite "directive ONP") énonce (article 3) que les conditions de fourniture du réseau ouvert doivent répondre aux principes de base suivants :
- être fondées sur des "critères objectifs",
- être "transparentes et publiées d'une manière appropriée",
- "garantir l'égalité d'accès et être non discriminatoires, conformément au droit communautaire".
Le Réseau Numérique à Intégration de Services (RNIS), fourni en France par France Télécom, et les services de transmission de données par commutation de paquets et par commutation de circuits, fournis en France par Transpac, sont concernés par cette directive.
La directive n° 90-388 de la Commission du 28 juin 1990 relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunication rappelle par ailleurs que : "l'article 86 du traité déclare incompatible avec le marché commun tout comportement d'une ou de plusieurs entreprises qui constituerait une exploitation abusive d'une position dominante sur le marché commun ou une partie substantielle de celuici ; que les organismes de télécommunication sont des entreprises au sens de cet article, parce qu'ils exercent des activités économiques et en particulier la fourniture du service que constitue la mise à disposition des usagers du réseau et de services de télécommunications ; que cette mise à disposition du réseau constitue un marché de services distincts, étant donné qu'il n'est pas interchangeable avec d'autres services ; que la mise à disposition du réseau de télécommunications et les autres services de télécommunications sont fournis à des conditions de concurrence suffisamment homogènes dans chacun des marchés nationaux pour permettre à la commission d'apprécier la puissance économique des entreprises qui les fournissent sur ces territoires ; que les territoires des Etats membres constituent autant de marchés géographiques distincts ; que ceci est dû à la différence entre les réglementations visant les conditions d'accès et de fonctionnement technique, relatives à la fourniture du réseau et de ces services de télécommunications ; que, en outre, chacun d'eux constitue une partie substantielle du marché commun ;
(...) que ces entreprises détiennent sur chacun de leurs marchés nationaux, individuellement ou collectivement, une position dominante pour l'établissement ou l'exploitation du réseau (...) ; lorsque les droits exclusifs ou spéciaux sont octroyés en matière de services de télécommunications par l'Etat à des organismes qui disposent déjà d'une position dominante pour l'établissement ou l'exploitation du réseau, ces droits ont pour effet de renforcer cette position dominante en l'étendant aux services".
On entend par "organismes de télécommunications" au sens de la directive précitée les entités publiques ou privées y compris leurs filiales contrôlées auxquelles un Etat membre octroie des droits spéciaux ou exclusifs pour l'établissement de réseaux publics de télécommunications et, le cas échéant, la fourniture de services de télécommunications. Ladite directive précise également que "Les Etats membres veillent à ce que les redevances éventuellement imposées aux prestataires de services dans le cadre des régimes d'autorisation reposent sur des critères objectifs, transparents et non discriminatoires" et que "les redevances, leurs critères de fixation et toute modification qui y est apportée sont publiés sous une forme qui les rend facilement accessibles". Une recommandation du Conseil des Communautés européennes en date du 5 juin 1992 prise en application de la directive 90-387 CEE recommande (point 8) que : "Les tarifs soient transparents, basés sur des critères objectifs et indépendants du type d'application mis en œuvre par les utilisateurs de STDCP (Services de Transmission de Données par Commutation de Paquets), lorsque des types d'offres similaires sont utilisés".
Antérieurement à la publication de la loi n° 96659 du 26 juillet 1996 relative à la réglementation des télécommunications, la loi n° 90568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications et la loi n° 901170 du 29 décembre 1990 relative à la réglementation des télécommunications avaient introduit en France des dispositions inspirées de celles préconisées par la Commission européenne. Ainsi, la loi du 2 juillet 1990 imposait à France Télécom de fournir, "dans le respect des règles de concurrence", les services concurrentiels.
La loi n° 96659 du 26 juillet 1996 susvisée a, postérieurement au déroulement des faits dénoncés dans la saisine, modifié le Code des postes et télécommunications et notamment l'article 32 (9°) précité. A compter du 1er janvier 1997, une Autorité de régulation des télécommunications a été mise en place. Aux termes de l'article L. 3610 de la loi du 26 juillet 1996, "le Conseil de la concurrence communique à l'Autorité de régulation des télécommunications toute saisine entrant dans le champ de compétence de celleci et recueille son avis sur les pratiques dont il est saisi dans le secteur des télécommunications".
3- Les faits
- Les circonstances de la consultation d'AXA et de l'offre de Transpac/France Télécom :
A la fin de l'année 1993 et en début d'année 1994, les compagnies d'assurance parmi les plus importantes sur le plan national, à savoir AXA, l'UAP et le GAN ainsi que La Française des Jeux, qui étaient déjà signataires d'un contrat avec la société Transpac avec une solution "accès par lignes spécialisées", ont décidé d'étudier le passage à la solution "accès direct via le canal D de Numéris".
Ainsi, un contrat d'une durée de trois ans a été signé par la société Transpac avec le GAN (500 accès), le 19 octobre 1993, ainsi qu'avec AXA (3000 accès), le 30 novembre 1993. Un contrat d'une durée de quatre ans a également été signé avec l'UAP (400 accès) le 28 février 1994. Un avenant au contrat initial d'une durée de trois ans avait été signé le 8 juillet 1993 avec La Française des Jeux (de 1 à 1 000 accès).
En revanche, le groupe d'assurances AZUR, qui utilisait précédemment le réseau Transpac pour ses transferts de données sur le plan national et qui avait mis en compétition les sociétés BT France (solution VSAT) et Transpac (solution terrestre), a décidé de retenir la solution VSAT, à la fin de l'année 1993.
La société Transpac a accordé la gratuité totale des frais d'établissement et d'un ou deux (selon le cas) mois d'abonnement à Numéris aux groupes GAN, AXA et UAP. Un compterendu de réunion TranspacFrance Télécom "Grands Comptes" en date du 10 mars 1995 mentionne, au sujet du "bilan 1994" :
"Les ventes ont été très fortes en 1994 :
- basculage de nombreux clients sur des solutions Canal D, avec des contrats réseau d'entreprise de 3 ans qui permettent de fidéliser le client et d'éloigner la concurrence VSAT (UAP, GAN, AXA...).
- signature plus généralement de nombreux contrats de réseaux d'entreprise, qui permettent là aussi de fidéliser le client pour 3 ans (BNP, ministère de l'économie et du budget, EDFGDF...)
- cas particulier de CASINO ; premier contrat VSAT, avec de plus une solution hybride qui met bien en valeur la richesse de l'offre du groupe France Télécom".
Au sujet des "perspectives 1995", ledit compte rendu indiquait : "En termes de ventes, il est possible que les résultats 95 soient inférieurs aux résultats 94. Les grands assureurs ont en effet pratiquement tous déjà basculé sur une solution canal D et une grande partie des clients disposant de réseaux importants ont signé récemment des contrats réseau d'entreprise. (....). Nous serons enfin probablement amenés à travailler en 1995 sur le renouvellement de contrats réseaux d'entreprise, avec la concurrence de solutions VSAT".
Les besoins du groupe AXA :
En 1991, le groupe AXA, l'un des deux premiers groupes d'assurance sur le plan national avec l'UAP, employait environ 17 000 salariés pour un chiffre d'affaires de 60,2 milliards de francs. A l'instar de plusieurs autres compagnies d'assurance, AXA utilise les services de transmission de données de la société Transpac depuis de nombreuses années pour connecter en permanence les agents d'assurance au site central de MarlyleRoi. Jusqu'à la signature d'un nouveau contrat, à la fin de l'année 1993, le réseau national était basé, non pas sur le système d'accès à Transpac via le Canal D de Numéris, mais sur celui de l'accès direct à Transpac, et ce par lignes spécialisées.
Les deux sites centraux du groupe AXA communiquent, via le réseau Transpac, avec les 3 600 agents du réseau commercial, ce qui génère un trafic de l'ordre d'environ 250 millions de kilo-octets (Mko) de données.
L'objectif prioritaire pour le groupe AXA est de "réduire les coûts d'utilisation du réseau de télécommunications utilisé par les agents généraux d'au moins 30 % par rapport à la solution actuelle sur 5 ans et d'améliorer sa qualité". Le service recherché en priorité est de "traiter le réseau d'agents d'AXA Assurances en FRANCE" et, accessoirement, de relier les délégations étrangères installées en Espagne, en Italie et au RoyaumeUni.
Le coût du réseau sur la base existante au moment du lancement de l'appel d'offres (3 200 agents connectés à Transpac par accès direct à 4 800 b/s) est estimé à 415 millions de francs (HT) sur 5 ans d'utilisation, "en tenant compte de l'évolution prévisible des volumes et des tarifs". Les hypothèses du nombre de sites retenus sont de 1 000, 1 500, 2 000, 2 500 et 3 200 agents. L'évolution du trafic est estimée à 12 % par an jusqu'en 1997, le nombre de transactions par jour en 1993 s'élevant à 800 000. La date impérative de réponse au cahier des charges est fixée au 19 mars 1993, la décision de la réalisation d'un réseau VSAT devant être prise avant la fin du mois d'avril 1993. Trois hypothèses de travail sont présentées aux prestataires éventuels :
- AXA n'est pas opérateur de son réseau VSAT, un service "clé en main" est assuré par l'opérateur ;
- AXA n'est pas opérateur, un service "clé en main" est assuré par l'opérateur et AXA achète les équipements ;
- AXA est titulaire d'une licence d'opérateur VSAT, un service "clé en main" est assuré par le signataire et AXA achète les équipements.
Le déroulement de la consultation de la société AXA :
Le 25 janvier 1993, la société AXA lance un appel d'offres pour "la réalisation d'un réseau VSAT en France et dans certains pays européens". Le cahier des charges de l'appel d'offres précise toutefois que la solution technique VSAT n'est pas la seule en cours d'étude.
A l'issue de la sélection initiale, seuls deux candidats sont retenus : d'une part BT France (ciaprès BT) pour une solution VSAT, et d'autre part Transpac/France Télécom pour une solution terrestre Transpac via le canal D. Le 29 juillet 1993, des offres sont remises par chacune de ces entreprises. La société Transpac complète son offre initiale (solution Canal D), les 2 septembre et 9 septembre 1993, date limite fixée par AXA à laquelle la société BT dépose également son offre finale (solution VSAT). Le 6 septembre 1993, le directeur général du groupe AXA écrit à BT France : "Notre choix sera arrêté le lundi 13 septembre 1993. Votre réponse sur les points suivants sera déterminante dans le choix définitif : En choisissant votre offre, AXA sera un précurseur sur le marché français d'une technologie qui devrait évoluer fortement dans les années à venir. Dans l'hypothèse d'une baisse des prix, la structure de votre offre et la durée de notre engagement ne nous permettraient pas de bénéficier de cette baisse ; or, nous souhaitons une clause qui ouvre cette possibilité. Notre volonté est d'équiper la totalité du réseau d'agents (...) Cependant nous nous fixons pour objectif d'équiper au minimum 2 500 agences. (...) Il est donc indispensable pour l'équilibre économique de cette opération, que les coûts soient proportionnels (...)". Le 23 septembre 1993, ce même responsable déclare à la société BT France : "Je comprends votre déception à la suite de notre décision d'utiliser la solution Transpac/Canal D (...). Nous avons dans cette affaire suivi une méthodologie qui a garanti l'équité de traitement des offres concurrentes. C'est ainsi que nous avions fixé au lundi 9 septembre au soir, la date limite de remise des meilleures propositions. De ce fait, toute proposition postérieure à cette date ne peut être prise en compte. (...) Les analyses que nous avons conduites montrent que la solution basée sur votre offre n'est pas la plus économique, quelle que soit la durée du bilan, 3, 5 ou 7 ans. Ce bilan reste en votre défaveur quel que soit le nombre d'agences raccordées entre 2 600 et 3 200. De plus, le coût global de la première année reste supérieur dans votre cas à celui de votre concurrent.
(...) Deux technologies étaient en lice et présentaient donc des avantages et des inconvénients inhérents à leur nature. Tous ces éléments ont été pesés et sont venus renforcer notre conviction de nous engager pour 3 ans sur une technologie Transpac/Canal D".
Le contrat est signé le 30 novembre 1993 entre AXA et Transpac/France Télécom. Le 2 juin 1994, le directeur général de British Télécom France porte l'affaire devant la Direction Générale des Postes et Télécommunications (DGPT). Dans sa réponse en date du 26 décembre 1994, le directeur général des postes et télécommunications déclare notamment, au sujet des tarifs de la société Transpac relatifs aux services X 25 de cette société qui, comme tous les fournisseurs de servicessupports bénéficie de la liberté tarifaire, que les obligations de la société Transpac, en ce qui concerne les services visés à l'article 2 de l'arrêté du 15 juillet 1993 portant autorisation de la fourniture de servicessupports, n'ont pas été "entièrement remplies".
Les entreprises concernées par la consultation de la société AXA :
Si, selon France Télécom, plusieurs opérateurs s'étaient manifestés lors de la phase initiale de consultation par le groupe AXA (France Télécom et Transpac, BT, AT &T, HNS et Alpha Lyracom), seuls Transpac/ France Télécom, d'une part, et BT d'autre part, sont demeurés en compétition à l'issue de la sélection.
France Télécom
La loi n° 90568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, qui était applicable au moment des faits, avait confié à France Télécom, personne morale de droit public, une mission de service public dans le domaine des télécommunications visant en particulier à "assurer l'accès au service du téléphone à toute personne qui en fait la demande". A côté de cette mission, France Télécom pouvait fournir, aux termes de la loi susmentionnée, "tous autres services, installations et réseaux de télécommunications, ainsi que d'établir des réseaux (...)", et ce, "dans le respect des règles de concurrence". Il était prévu qu'à cet effet France Télécom pouvait "créer des filiales et prendre des participations dans les sociétés, groupements ou organismes ayant un objet connexe ou complémentaire". En application de la loi précitée, France Télécom était soumise à la tutelle de l'Etat. La loi n° 96660 du 26 juillet 1996 a transformé France Télécom en une "entreprise nationale (...) dont l'Etat détient directement plus de la moitié du capital social". Aux termes de cette loi, France Télécom est l'"opérateur public chargé du service universel".
Le chiffre d'affaires réalisé par France Télécom au cours de l'exercice 1994 s'est élevé à 129 milliards de francs se répartissant en 73,9 % de produits du téléphone, 10,9 % de liaisons louées et réseaux, 3,9 % de mobiles, 2,9 % de produits de l'image, 2,2 % de services d'information et 6,2 % d'autres produits et services.
- Transpac
La société Transpac est une société anonyme, filiale à 97 % de la Cogecom, société holding du groupe France Télécom, créée en 1978, et dont le siège social se trouve 33, avenue du Maine à Paris. Cette entreprise a pour activité principale l'exploitation du service de transmission de données par paquets, dénommé service Transpac selon un arrêté d'autorisation en date du 15 juillet 1993.
Le chiffre d'affaires total de la société Transpac s'est élevé à 4,467 milliards de francs en 1994 dont 4,442 milliards sur le plan national. Le résultat net s'est élevé à 610 millions de francs au cours de ce même exercice. 23 % du chiffre d'affaires total est réalisé avec les administrations et les entreprises publiques, 22 % avec les entreprises de services, 17 % avec les banques, 17 % avec les industries, 11 % avec les assurances et 10 % avec les commerces.
Le trafic du réseau, en milliards de caractères par mois, est passé de 1 070 en 1986 à 3 600 en 1993. Le nombre de raccordements Transpac en Europe s'élevait à 124 000 en 1994. Le premier client de Transpac est France Télécom, l'essentiel du chiffre d'affaires étant représenté par le Télétel. La société AXA était le septième client de la société Transpac en valeur en 1994.
L'arrêté ministériel du 15 juillet 1993 portant autorisation de fourniture au public de servicessupports dispose (article 1er) que : "La société Transpac, filiale de France Télécom, est autorisée à fournir au public tout servicesupport dans les conditions fixées par l'article R. 9-1 du Code des postes et télécommunications et l'arrêté du 30 décembre 1992". Cette autorisation est délivrée en contrepartie de l'engagement de la société Transpac de "rendre disponibles, à toute personne qui en fait la demande, les services de transmission de données par commutation de paquets visés à l'annexe I". De plus la société Transpac doit assurer un "accès égal à tous les utilisateurs en situation identique" et publier les tarifs des différents services.
L'annexe I de l'arrêté susmentionné énonce les "principes tarifaires" auxquels est soumise l'entreprise exploitante. Y figure notamment l'obligation de "transparence" et d'"objectivité". L'arrêté prévoit également que "des indications précises" doivent être disponibles au sujet de la qualité du service et de la "fourniture en masse" des prestations.
Les relations France Télécom/Transpac
Selon France Télécom "Transpac est toujours resté libre de déterminer la gamme de ses services, ses objectifs de vente et ses marges brutes, ses résultats sont librement affectés, sans aucun droit de regard de la part de France Télécom. (...) Transpac n'a jamais eu à obtenir une quelconque autorisation préalable de la part de France Télécom avant de s'engager contractuellement". Cet opérateur précise également que "les liaisons louées par Transpac à France Télécom pour lui permettre d'assurer ses activités sur le marché des transmissions de données ont toujours été facturées "au tarif commercial des liaisons correspondantes". La société Transpac a également confirmé disposer d'une totale autonomie commerciale par rapport à France Télécom.
- Une convention du 29 septembre 1988 prévoit la mise à disposition à Transpac par France Télécom d'installations spécifiques à la transmission de données par paquets. Les liaisons constituant le réseau Transpac sont facturées à la société Transpac par France Télécom.
Les relations commerciales entre France Télécom et Transpac sont régies notamment par deux conventions :
Une convention dénommée "contribution à la commercialisation auprès des grands comptes des produits de Transpac SA", signée, le 28 juillet 1994 qui expose, en préambule, que les missions confiées à France Télécom Grands comptes (GC) comprennent notamment :
- la "compréhension de l'organisation et des besoins de chaque client GC" ;
- la "coordination de l'action des vendeurs (spécialisés et associés) intervenant chez ce client, pour développer le CA du groupe France Télécom auprès de ce dernier" ;
- l'"élaboration de plans d'action de 1 à 3 ans chez chaque client GC" ;
- le "suivi du CA réalisé par l'ensemble des entités du groupe France Télécom (...)".
S'agissant de la prestation d'agent commercial prévue au contrat, il est mentionné que l'assistance de France Télécom portera notamment sur la "détection d'affaires par des actions de prospection systématique". Cette prestation est rémunérée en pourcentage (7 % la première année) du chiffre d'affaires réalisé par Transpac, à l'exception de certains services (formation, facturation détaillée, vente de documentation).
Une prestation d'"expert client", rémunérée sur la base de 1 % du CA, prévoit la fourniture à Transpac par France Télécom d'informations relatives à la situation du marché.
MM. des Cognets et Buge, respectivement directeur commercial et marketing de la société Transpac et directeur juridique adjoint de France Télécom, ont déclaré : "L'ingénieur "grands comptes" de France Télécom a été associé à Transpac pour établir l'offre à AXA, et ce, en application d'une convention Transpac/France Télécom qui prévoit l'assistance de France Télécom auprès de ses filiales. Cette prestation est rémunérée à France Télécom par Transpac qui a signé l'offre". L'ingénieur "grands comptes" de France Télécom a confirmé le 13 février 1996 qu'il était intervenu dans le cadre du marché AXA et précisé que le rôle de l'ingénieur "grands comptes" (GC) est de "défendre le client en interne et de se faire l'avocat de France Télécom auprès du client". Il a également déclaré que sa parfaite connaissance de l'évolution des affaires lui permet de "jouer le cas échéant le rôle d'agent commercial de la société Transpac" en précisant qu'"il n'intervient toutefois, une fois les négociations entamées, que sur la partie Numéris".
Une convention, signée le 14 janvier 1994 entre la société Transpac et France Télécom, intitulée "Convention Générale Canal D", définit les "conditions de fourniture par France Télécom à Transpac sans exclusivité de liaisons permettant l'interconnexion du service Transpac au service Numéris afin d'offrir aux abonnés Numéris le service Canal D, et les obligations qui en résultent". La convention, qui prenait effet "rétroactivement à compter du 1er décembre 1992", prévoit la fourniture de deux types de liaisons :
- des liaisons numériques au débit de 64 kbits/s (dénommées LN64) reliant les centres satellites numériques (CSN) de France Télécom via les points d'accès numéris aux points d'accès paquets (PAP) du réseau Transpac. A chaque commutateur d'abonnés (CAA), France Télécom associe un ou plusieurs "points d'accès Numéris" qui constituent l'interface entre le réseau de France Télécom et le "point d'accès paquets" de Transpac ;
- des liaisons logiques permanentes (LLP) spécifiques à chaque client. Une LLP est définie dans la convention comme "une liaison de niveau 2, au sens OSI, au débit maximal de 9 600 bits/s, établie de façon permanente entre le terminal d'un client et un point d'accès paquets". Cette liaison est supportée par la liaison numérique telle que mentionnée cidessus.
Ces liaisons font l'objet d'une rémunération à France Télécom sur la base suivante :
- la partie de la liaison assurant l'acheminement au travers de Numéris fait l'objet d'un forfait mensuel de 2 100 F HT pour chaque CSN connecté au service canal D ;
- la partie de la liaison reliant un point d'accès Numéris à un point d'accès paquets fait l'objet d'une rémunération fixée dans une autre par kilooctet de trafic convention sur la base suivante : abonnement mensuel de 180 F HT pour chaque liaison LLP. En outre, Transpac reverse à France Télécom 2,5 centimes par kilooctet de trafic entrant ou sortant, acheminé par cette liaison, modulé selon diverses tranches horaires. Des conditions spécifiques sont en outre prévues pour les trafics à gros débits (article 7.3 de la convention).
BT France
La société BT France (BT) est une filiale de la société britannique British Telecommunications plc créée en 1987. Elle propose les services de transmission de données par paquets et relais de trames ("frames relay"), la création de réseaux privés virtuels pour services vocaux, les services de transmission de données par satellites ainsi que les services de radiodiffusion par satellite.
Le chiffre d'affaires réalisé par cette société au cours de l'exercice 1994 s'est élevé à 375 millions de francs ; elle a enregistré cette même année une perte nette de 34,795 millions de francs.
La société BT a été autorisée, par arrêtés ministériels en date des 19 juin 1991 et 18 décembre 1991, à "exploiter des réseaux indépendants de diffusion de données par satellites" selon les prescriptions techniques et réglementaires fixées dans un cahier des charges, et ce, "pour le compte de groupes fermés d'utilisateurs". Cette autorisation a été donnée conformément à l'article L. 332 du Code des postes et télécommunications qui prévoit que l'"établissement des réseaux indépendants, autres que ceux visés à l'article L. 333 est autorisé par le ministre chargé des télécommunications".
La société BT France fournit le service de transmission de données de la société AXA pour ce qui concerne les relations internationales.
- Les composantes financières de l'offre Transpac :
MM. Buge et des Cognets ont déclaré le 13 novembre 1995 par procèsverbal d'audition :
"L'offre à AXA a donné lieu à des réunions communes entre France Télécom et Transpac pour la mise au point de l'offre. L'ingénieur "grands comptes" de France Télécom a été associé à Transpac pour établir l'offre à AXA, et ce, en application d'une convention Transpac/France Télécom qui prévoit l'assistance de France Télécom auprès de ses filiales. Cette prestation est rémunérée à France Télécom par Transpac qui a signé l'offre".
La mise en œuvre du réseau AXA selon une solution canal D a donné lieu à la signature de deux contrats : un contrat "Réseau d'entreprise" entre les sociétés AXA et Transpac en date du 30 novembre 1993 et un contrat AXA/France Télécom du même jour. Ce dernier contrat porte sur la part "abonnement" de Numéris, le service d'accès Transpac par le canal D de Numéris étant facturé à AXA par Transpac dans le cadre du contrat "Réseau d'entreprise".
Les composantes financières apparaissent dans l'offre du 15 avril 1993 complétée ou modifiée par celle du 29 juillet 1993 et des 2 et 9 septembre 1993.
L'offre du 15 avril 1993 précise que "la proposition Transpac présentée dans le cadre d'un contrat de 3 ans constitue une offre de service global" et porte notamment sur la fourniture de moyens "spécifiques et optimisés d'accès au réseau Transpac" (accès via le canal D de Numéris), la migration du réseau et la "supervision de l'ensemble du réseau d'entreprises" à des "conditions tarifaires particulièrement attractives".
S'agissant de la mise en service de Numéris, l'offre indique que le prix de la mise en service de l'accès de base s'élève à 675 F HT mais ajoute que "dans le cadre de cette offre et pour la période du déploiement, France Télécom fait bénéficier AXA de la gratuité de cette mise en service". Le tarif de France Télécom applicable au moment des faits prévoyait un prix de 675 F par accès de base à Numéris. La "décision tarifaire" de France Télécom en date du 30 décembre 1993 prévoit la gratuité des frais d'accès au service pour les réseaux comportant plus de 150 raccordements ainsi que la gratuité de deux mois d'abonnement pour chacun des accès de base concernés. Le contrat signé entre France Télécom et AXA le 30 novembre 1993 a prévu la gratuité des frais d'accès et l'exonération de deux mois d'abonnement.
S'agissant des prestations autres que celles touchant à l'accès à Transpac via Numéris, les dispositions retenues figurent au 7 des conditions particulières du contrat signé avec AXA. L'article 7.3 précise qu'"en dérogation à son tarif public et sous réserve du respect par le client des critères d'éligibilité définis à l'article 7.4, le fournisseur consent au client des conditions tarifaires spécifiques définies à l'article 7.5".
Sont concernés par cette dérogation les éléments suivants :
- le trafic sur Transpac (article 7.5.1.) ;
- le trafic sur canal D de Numéris (article 7.5.2.) ;
- la locationmaintenance de l'adaptateur Canal D "X 25" (article 7.5.3.) ;
- la supervision des accès (article 7.5.4.) ;
- la maintenance personnalisée (article 7.5.5.) ;
- les frais de mise en service (article 7.5.6.).
Il est indiqué à l'article 7.5.7, que les "autres prestations" sont "facturées au prix du tarif public en vigueur à la date de la prestation". Rentre dans cette dernière catégorie l'abonnement au service réseau par liaison logique et permanente (LLP). M. des Cognets a d'ailleurs indiqué à ce sujet (télécopie du 15 février 1996) :
"Dans le cas d'AXA, nous avons donc, compte tenu du nombre d'accès :
a. 3 000 abonnements Numéris payés à France Télécom au prix France Télécom,
b. plus 3 000 abonnements Canal D payés à Transpac 400/mois (tarif 1993),
c. plus le trafic totalisé de traversée des 3 000 canaux D (...)".
Le contrat prévoit, au sujet du trafic sur Transpac (7.5.1. des conditions particulières), que : "Le prix du trafic sur Transpac durée du Circuit Virtuel Commuté (CVC incluse et toutes réductions confondues), est fixé pour 1993 à : 0,05 F HT le ko (kilooctet) pour le trafic écoulé du 01/01/1993 au 31/10/1993 0,04 F HT le ko pour le trafic écoulé à compter du 01/11/1993 jusqu'au 31/12/1993. Pour les trois prochaines années le prix ferme et définitif est fixé en fonction d'un engagement de consommation minimum selon le tableau cidessous :
<emplacement tableau>
(...)"
La proposition financière datée du 9 septembre indiquait :
"Sous réserve d'un engagement de votre part avant le 30 septembre 1993, nous vous proposons une mesure tarifaire exceptionnelle, soit un prix du trafic sur Transpac (volume + durée CV) de 0,05 F HT, toutes réductions confondues, pour la période du 01/01/93 au 30/09/93". Les autres propositions sont celles retenues contractuellement.
L'"impact" de ces "mesures" a fait l'objet de l'estimation suivante par la société Transpac pour chacune des périodes concernées :
<emplacement tableau>
La réduction accordée à son client AXA a donc été estimée à 8,7 millions de francs hors taxes par la société Transpac, dont 1,449 million au titre du contrat en cours. En réalité, l'avantage tarifaire consenti avant la date d'entrée en vigueur du contrat (premier jour du mois suivant la date de signature du contrat cf. article 4 des conditions particulières soit le 1er décembre 1993) est supérieur, puisqu'une réduction supérieure à celle consentie jusqu'au 30 septembre a été appliquée à compter du 1er novembre 1993 (article 7.5.1 des conditions particulières).
Le prix du trafic consenti à compter du 1er novembre (0,04 F HT) traduit une baisse de 30 % par rapport au prix consenti dans le cadre du contrat précédent (0,0569 F HT), ce qui correspond à la baisse qui était recherchée par la société AXA.
Lors de leur audition, MM. Charles des Cognets et Buge, respectivement directeur commercial de la société Transpac et directeur juridique adjoint de France Télécom, ont apporté les précisions suivantes au sujet du trafic de données sur Transpac : "Le tarif Transpac comporte deux éléments :
- une tarification au volume (2.1.1 0,057 F/koctet en 1993) avec dégressivité (2.1.1.3) et éventuellement réductions horaires sur le prix du koctet et le prix de la durée (3.1.3) ;
- une tarification à la durée (2.1.2) qui était de 0,12 F pour la classe basse en 1993, classe qui correspondait à celle de la société AXA qui bénéficiait du maximum de dégressivité (40 %). L'offre Transpac à AXA (0,04 F le 9 septembre 1993) concerne tant le volume que la durée. Ce système sera généralisé à compter du 1er janvier 1996 pour les contrats pluriannuels. S'agissant du tarif publié, il n'existera plus qu'un seul niveau de facturation à la durée, celui correspondant à la classe basse. La société Transpac fera progessivement évoluer son tarif jusqu'à la disparition de cet élément.
Dans son offre AXA, Transpac a, en quelque sorte, anticipé le système qui va entrer en application.
Cette offre a intégré rétroactivement une réduction du tarif sur le volume appliqué de janvier à septembre 1993 dans le cadre du précédent contrat, soit 0,050 F au lieu de 0,0569 F. L'avantage ainsi consenti à AXA a été estimé à 1 449 000 F.
Le prix du trafic applicable du 1/10 au 31/12/93, à savoir 0,040 F, correspond à une réduction de 30 % par rapport au prix pratiqué dans le cadre de l'ancien contrat, ce que souhaitait obtenir AXA. Les prix offerts pour les autres années tiennent compte des réductions escomptées sur les tarifs Transpac (le tarif étant passé à 0,054 F/ko à compter du 1/01/94 et à 0,052 F/ko à compter de 1995, les classes de débit ayant également enregistré des baisses)".
Dans son offre en date du 15 avril 1993, la société Transpac avait inséré le tableau suivant, au sujet de l'adaptateur canal D :
<emplacement tableau>
M. des Cognets avait déclaré à ce sujet le 13 novembre 1995 : "Le montant de 108,75 F HT résulte de la grille (colonne 5), soit le résultat du calcul suivant 3 000 adaptateurs x 100 F (prix par équipement) = 300 000 F + 26 250 F (partie fixe) = 326 250 F/3 000 = 108,75 F par adaptateur. Cette grille n'est pas publiée". Le prix de la supervision fait également l'objet d'un barème dégressif, en fonction du nombre de raccordements, à la page 25 de l'offre AXA en date du 15 avril 1995.
Dans cette même offre, Transpac présente les avantages suivants de son offre :
- la prestation Transpac X 25 demeure inchangée, ce qui "garantit à AXA la continuité dans l'exploitation de son réseau" ;
- la souplesse avec le choix de raccordement le mieux adapté compte tenu de l'évolution du trafic (canal D/accès direct) ;
- l'intégration des services Numéris (transfert de fichiers, voix, image et réseau privé virtuel) ;
- la "maîtrise d'œuvre clef en main avec un seul interlocuteur" ;
- la surveillance temps réel du réseau.
Selon le document présenté, "l'offre Transpac repose sur l'utilisation d'un nouveau type de raccordement "le canal D" plus adapté au mode d'utilisation des agents AXA (...) Cette offre permet d'apporter une réponse aux besoins exprimés, à savoir un gain sur le poste abonnement et une amélioration du confort de l'utilisateur par un accroissement du débit".
II SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,
Sur la procédure :
Considérant que France Télécom soutient que : "L'ART a dépassé le rôle et les compétences qui lui ont été attribuées par la loi du 26 juillet 1996. Loin de s'en tenir à une simple appréciation des faits au regard de la seule réglementation applicable en matière de télécommunication, l'ART a procédé à la qualification de ceuxci au regard des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986" ; que France Télécom ajoute que dans son avis l'ART a retenu des griefs "expressément écartés par le rapporteur, à savoir celui de pratiques discriminatoires et d'entente" ; que France Télécom demande au conseil de bien vouloir écarter l'"ensemble des éléments de l'avis de l'ART tendant à porter une appréciation du comportement de France Télécom au regard des règles de concurrence prévues par l'ordonnance du 1er décembre 1986" ; que la société Transpac demande au conseil de "ne prendre en compte les observations de l'ART qu'en ce qu'elles explicitent les caractéristiques techniques et interprètent les dispositions pertinentes en l'espèce de la réglementation des télécommunications, et au contraire d'ignorer les observations de l'ART relatives au caractère soidisant anticoncurrentiel de certains pratiques de Transpac" ;
Mais considérant qu'aux termes de l'article L. 3610 de la loi du 26 juillet 1996, "le Conseil de la concurrence communique à l'Autorité de régulation des télécommunications toute saisine entrant dans le champ de compétence de celleci et recueille son avis sur les pratiques dont il est saisi dans le secteur des télécommunications" ; que, si l'Autorité de régulation des télécommunications n'a pas compétence pour qualifier des faits sur le fondement des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, cette autorité, répondant à une demande d'avis du Conseil de la concurrence au sujet de pratiques dont il est saisi, donne son avis sur la saisine transmise par le conseil au regard des textes applicables ; qu'au cas d'espèce, l'ART s'est bornée, dans son avis, qui ne lie pas le Conseil de la concurrence, à se prononcer sur les "questions de principe" soulevées par la saisine et à indiquer que, si les faits dénoncés étaient avérés, ceuxci pourraient recevoir une qualification d'entente, "le cas échéant" ; que la procédure de coordination mise en place par la loi du 29 juillet 1996 vise précisément à garantir la sécurité juridique des entreprises en évitant des divergences d'appréciation, en particulier au sujet de la définition des marchés pertinents ; que, dès lors, il y a lieu d'écarter le moyen soulevé par France Télécom et par la société Transpac ;
Sur le marché pertinent :
En ce qui concerne la substituabilité du réseau téléphonique commuté et des autres réseaux d'échanges de données :
Considérant qu'il n'est ni allégué ni établi que les services réalisables par le réseau téléphonique commuté, qui peut servir de système d'échange de données mais qui présente des caractéristiques différentes des autres réseaux en termes de fiabilité, de performances et de coût, appartiendraient aux mêmes marchés que ceux qui regroupent des services susceptibles d'être rendus par d'autres systèmes d'échanges de données, en particulier ceux construits selon la technique dite de "commutation de paquets" ;
Sur l'appartenance de différents types de réseaux à un même et unique marché :
Considérant que France Télécom déclare que "cinq solutions sont ouvertes à une entreprise désireuse de se doter d'un réseau interne de transmission de données" ; que, selon cet opérateur, une telle entreprise peut en effet : "faire appel à France Télécom (canal B de Numéris) ; faire appel à un opérateur exploitant des services de transmission de données à partir de sa propre infrastructure tel que le réseau VSAT de British Telecom ; créer son propre service de données à partir de liaisons louées ; faire appel à un opérateur exploitant des transmissions de données à partir d'une infrastructure qu'il loue à France Télécom. Parmi ces opérateurs figure, entre autres, Transpac ; créer un réseau indépendant" ; que France Télécom indique qu'"en tout état de cause, il lui est toujours possible de combiner plusieurs de ces solutions à la fois. C'est cette combinaison (...) qu'a choisie AXA en faisant transiter ses données par le canal D de Numéris et le réseau Transpac, qui avait demandé à bénéficier de cette possibilité en 1993" ; que la société Transpac a fait état dans ses différentes observations des "trois possibilités alternatives qui s'offraient à AXA afin de disposer d'un réseau d'entreprise de transmission de données : réseau privé dédié et constitué à partir de lignes louées ; réseau virtuel (utilisation des services supports offerts au public ou des services supports non offerts au public, mais fournis dans le cadre d'un groupe fermé d'utilisateurs) ; réseau indépendant utilisé à titre de propriétaire ou de locataire de celui d'un tiers" ; que la société Transpac soutient qu'il existe un "degré de substituabilité suffisant entre ces trois possibilités pour les faire entrer dans le marché de transmission de données" ;
En ce qui concerne la substituabilité des réseaux "privés" et des réseaux "indépendants" avec les réseaux "virtuels" :
Considérant que la société Transpac, qui reconnaît que la question du "retour sur investissement" pouvait "éventuellement se poser" dans le cas où il aurait fallu "tirer des câbles" pour relier les 3 000 sites d'AXA, soutient qu'une telle question ne pouvait se poser "pour simplement relier ses sites par des liaisons louées à France Télécom dans les mêmes termes que pour la construction de tout un réseau filaire traditionnel" ; qu'elle estime que "plutôt que de se concentrer exclusivement sur l'hypothèse vraisemblablement la moins adaptée au cas d'AXA, soit celle d'un réseau indépendant filaire traditionnel (...) il eût plutôt convenu (...) de prendre en compte le fait qu'AXA était parfaitement libre pour relier ses 3 000 sites de créer un réseau privé dédié à base de lignes louées ou de négocier un accès auprès d'un fournisseur ayant déjà constitué un réseau à partir de lignes louées" ; que France Télécom déclare également que "la création de réseaux privés pour lesquels une entreprise loue son infrastructure auprès de France Télécom et assure ensuite ellemême l'exploitation de ce réseau constitue une solution fréquemment adoptée parmi les grandes entreprises" ; que, selon France Télécom, "une solution basée sur un réseau privé constituait donc clairement une alternative envisageable pour elle" ; que France Télécom déclare par ailleurs qu'"une entreprise peut décider de créer sa propre infrastructure pour ensuite exploiter elle même son réseau" ; que cet opérateur déclare que l'autorisation exigée pour obtenir le droit d'exploiter un servicesupport n'a pas constitué un frein au développement des réseaux indépendants, la DGPT ayant autorisé, en 1993, "plus de 130 nouveaux réseaux filaires, suivis par 110 en 1994" ; que, selon France Télécom, les grandes entreprises bien qu'elles disposent aussi de la possibilité de créer plusieurs réseaux locaux ont tendance, à l'instar de la SNCF ou des Autoroutes du sudest de la France, à créer des réseaux largement étendus d'un point de vue géographique ; que France Télécom affirme qu'"il est donc clair que la création d'un réseau indépendant constitue une alternative pour les grandes entreprises désireuses de bénéficier d'un réseau de transmission de données" ;
Mais considérant en effet que certaines entreprises peuvent, dans certains cas, décider de créer et d'exploiter leur propre réseau d'échange de données "privé" à partir de lignes spécialisées louées à France Télécom ou "indépendant" à partir de leurs propres lignes ; que, dès lors, les services réalisés par ces réseaux internes ne se trouvent pas sur le marché des services de transfert de données aux entreprises; qu'en revanche, lorsqu'elles ont décidé de s'adresser à des opérateurs extérieurs, le marché est constitué par la rencontre des seules offres desdits opérateurs avec la demande émise par les entreprises;
Considérant, en outre, ainsi que le reconnaît la société Transpac, que la création d'un réseau "indépendant" n'est réalisable que si l'entreprise concernée bénéficie d'un "retour sur investissement" ; qu'au cas d'espèce, la création d'un tel réseau aurait supposé de "tirer des câbles" entre 3 000 agences réparties sur l'ensemble du territoire national ; qu'ainsi que le souligne l'Autorité de régulation des télécommunications dans son avis, la solution consistant à créer un réseau indépendant filaire entre chacun de ses terminaux était "économiquement impraticable, l'établissement d'un réseau indépendant à l'échelon national étant hors de portée d'une société et entraînant une rigidité dans l'implantation géographique des terminaux" ; que la solution consistant, pour la société AXA, à acquérir et exploiter ellemême un réseau indépendant VSAT aurait présenté les mêmes inconvénients en raison du coût élevé de l'investissement ;
Considérant qu'au cas d'espèce la société AXA, qui avait déjà confié l'exploitation de son service à la société Transpac dans le cadre d'un contrat de réseau d'entreprise, a décidé de mettre en concurrence plusieurs opérateurs afin d'abaisser et d'améliorer le coût de la prestation ; qu'à l'issue de la phase de sélection des opérateurs potentiels, seules sont demeurés en compétition les sociétés BT France, pour une solution VSAT, et Transpac, pour une solution Transpac via le canal D de Numéris ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il ne peut utilement être soutenu que les réseaux dits "privés" et "indépendants" étaient en concurrence avec les services offerts par des opérateurs de télécommunication;
En ce qui concerne la substituabilité des services de transmission de données offerts par des opérateurs dans le cadre d'un "groupe fermé d'utilisateurs" :
Considérant, en premier lieu, qu'il est constant que si, en 1993, seule la société Transpac avait obtenu l'autorisation d'exploiter un service support, plusieurs opérateurs étaient en mesure d'offrir des services dans le cadre de groupes fermés d'utilisateurs, soit par un réseau "terrestre" constitué à partir de lignes spécialisées louées à France Télécom, soit, à l'instar de la société BT, par un réseau VSAT ; qu'ainsi que le précise l'Autorité de régulation des télécommunications, la solution consistant à édifier un réseau à partir de liaisons louées à France Télécom, qui conduit à immobiliser des ressources permanentes, "n'est intéressante économiquement que si les volumes à transmettre sont importants" ; que, par ailleurs, la société AXA, qui avait confié à Transpac le service de transmission de données par accès au réseau Transpac par lignes spécialisées, recherchait une solution lui permettant à la fois d'améliorer la qualité du service, d'abaisser le coût supporté d'environ 30 % et de réaliser de nouvelles applications comme la "diffusion de fichiers ou de programmes vidéo" ; que, comme le souligne l'Autorité de régulation des télécommunications, "le canal D a été spécialement adapté pour l'accès à un réseau X 25" ; que la société Transpac, seule entreprise à bénéficier de ce service, présentait d'ailleurs (Transpac actualités n° 32) l'"accès direct à Transpac par Numéris" comme l'"optimum coûtperformance" et indiquait que ce "nouveau mode d'accès à Transpac est le plus économique pour les terminaux en connexion permanente et à faible trafic" ; qu'au sujet du canal D, l'offre de la société Transpac à AXA mentionnait que ce service offrira aux utilisateurs "un débit bien supérieur (9 600 b/s) ce qui leur apportera un plus grand confort (amélioration des temps de réponse)" ; que la société Transpac a estimé qu'"en l'absence d'une migration vers Canal D, la facture 1994 du réseau AXA par accès directs à Transpac sur liaisons louées aurait été d'environ 76,78 MF", alors qu'une simulation faite à partir du "tarif public" et du "barème grands clients" a conduit cette entreprise à estimer le coût d'accès à Transpac via le Canal D à "60,69 MF", inférieure d'environ 21 % à la solution "accès par liaisons louées" ; que la société Transpac a reconnu qu'"avec l'application des conditions contractuelles, la réduction globale a été portée à 23,64 %" ; qu'outre La Française des Jeux, qui souhaitait assurer la transmission des données des points de vente répartis sur l'ensemble du territoire national dans des conditions de fiabilité et de rapidité, la quasitotalité des compagnies d'assurance parmi les plus importantes sur le plan national, au nombre desquelles figurent AXA, UAP et le GAN, ont décidé, pour assurer la transmission de données entre le siège et leurs agents ou courtiers implantés sur l'ensemble du territoire national, de faire évoluer leur système, précédemment exploité selon l'accès à Transpac par lignes spécialisées, vers un mode d'accès à Transpac par le canal D de Numéris ; qu'il résulte de ce qui précède que pour une catégorie de demandeurs l'offre du service Transpac accessible par le canal D de Numéris n'est pas substituable aux autres services de transmission de données terrestres en raison des différences de performance et de coût;
Considérant que le responsable du service satellite au sein de la société IBM Europe a déclaré : "Les réseaux VSAT (...) constituent (...) une véritable alternative aux réseaux terrestres publics" ; que MM. Buge et des Cognets ont également déclaré : "Les réseaux VSAT et terrestres sont substituables" ; qu'il est constant qu'aux termes de la phase de sélection, la société AXA a décidé de ne retenir, d'une part, que l'offre "VSAT", présentée par BT, et, d'autre part, l'offre "Transpac via le canal D de Numéris", présentée par la société Transpac, à l'exclusion de toute autre technologie ; que, par ailleurs, ainsi que l'a relevé, le 26 décembre 1994, le directeur général des postes et télécommunications, qui répondait à une réclamation de la société BT au sujet de l'offre présentée par la société Transpac, "l'écart de prix annuel entre l'offre de BT et celle de Transpac est réduit" ; que, comme le relève France Télécom, "la perte du contrat AXA n'a pas empêché British Telecom de conclure quelques mois plus tard un contrat similaire avec le groupe Azur sur lequel France Télécom et Transpac se trouvaient aussi en concurrence sur une solution Transpac + Canal D de Numéris" ; que la société Transpac a cité le GAN, raccordé au réseau Transpac via le canal D de Numéris comme exemple de "grand client Transpac actuellement sollicité par la concurrence VSAT" ; que le compterendu TranspacFrance Télécom "grands comptes" en date du 10 mars 1995 mentionne : "basculage de nombreux clients sur des solutions Canal D, avec des contrats réseau d'entreprise de 3 ans qui permettent de fidéliser le client et d'éloigner la concurrence VSAT (UAP, GAN, AXA...)" ; qu'ainsi, pour une partie des demandeurs de services de transmission de données comprenant notamment des grandes compagnies d'assurances, l'offre du service de transmission de données en groupes fermés d'utilisateurs par VSAT était, compte tenu de sa fonctionnalité et du niveau des prix, substituable à celle de Transpac accessible par le canal D de Numéris;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le marché à retenir dans la présente affaire, qui concerne la transmission de données au sein d'un grand groupe d'assurances sur le plan national, est celui constitué par les services de transmission de données assurés par le réseau Transpac accessible par le canal D de Numéris et par les réseaux VSAT;
Sur la définition géographique du marché :
Considérant que France Télécom déclare que "conformément à la jurisprudence de la commission, il convient de retenir une définition mondiale ou à tout le moins communautaire, du marché des services de transmission de données" ; que cette entreprise affirme que cette analyse serait celle suivie par la Commission européenne dans les décisions Atlas du 17 juillet 1996, BT/MCI du 27 juillet 1994 et International Private Satellite Partners du 15 décembre 1994 ; que la société Transpac rappelle qu'elle a souligné dans ses observations que le marché géographique retenu dans la notification de griefs, à savoir le marché national, "semblait ne pas correspondre à la réalité du marché en cause et reposer essentiellement sur une application non appropriée de certains éléments de l'affaire Atlas" ;
Mais considérant que, contrairement à ce que soutient la société Transpac, la Commission européenne a précisé, dans la décision Atlas en date du 17 juillet 1996, que "la structure des coûts de la fourniture de services de télécommunications personnalisés aux entreprises, et notamment le coût de location des infrastructures nécessaires, fait que le prix de ces services dépend de la couverture géographique, de même que celui des facilités supplémentaires" et que "la distinction entre les offres personnalisées de services de télécommunications aux entreprises à caractère national, d'une part, et transfrontalier, d'autre part, reste pertinente" ; que la commission a également indiqué qu' "étant donné les différences très sensibles de prix, on peut distinguer au moins trois marchés géographiques distincts pour les offres personnalisées de services de télécommunications aux entreprises, à savoir un marché mondial, un marché régional transfrontalier et un marché national" ; que si, dans sa décision BTMCI en date du 27 juillet 1994 relative à une entreprise commune (Newco), la Commission européenne a estimé que le marché géographique était mondial, c'est uniquement parce que "les services que Newco offrira (...) et la clientèle qu'il se propose de toucher sont, par nature, internationaux" ; que, selon le "détail des besoins" tel qu'il était mentionné dans le cahier des charges de la société AXA, "l'objectif prioritaire est de traiter le réseau d'agents d'AXA assurances en France" ; que les responsables concernés de la DGPT ont déclaré, par procèsverbal en date du 6 février 1996 : "Il nous semble qu'au moment de l'offre faite par Transpac à AXA, le marché de la transmission de données avait une dimension nationale, les demandeurs ayant alors tendance à différencier leurs besoins nationaux et leurs besoins internationaux. C'était notamment le cas de la société AXA qui a signé un contrat avec BT pour l'échange de données sur le plan international et un contrat avec Transpac pour le réseau national. Cette situation tend à évoluer progressivement (exemple de l'accord récent entre IBM et PSA pour l'échange de données par satellite sur le plan européen)" ; qu'ainsi que l'a relevé le responsable de la société IBM, dans une lettre en date du 4 mars 1996, si une évolution était perceptible, en raison notamment de l'internationalisation des échanges, au moment de la consultation organisée par la société AXA, en 1993, une partie importante de la demande se limitait, à l'instar de celle de La Française des Jeux, premier client de la société Transpac après France Télécom, à la satisfaction de besoins nationaux ; que MM. Buge et des Cognets ont d'ailleurs également déclaré le 13 novembre 1995 que "si certaines entreprises de moyenne importance ont des besoins nationaux, une évolution tend à se faire vers un marché plus large" ; que le marché géographique à retenir dans la présente affaire, qui concerne des faits qui se sont déroulés en 1993, revêt donc un caractère national ;
Sur la position occupée par Transpac et BT sur le marché ainsi défini,
Considérant qu'au moment des faits la société Transpac se trouvait en situation de monopole pour la fourniture de servicessupports accessibles par le canal D de Numéris ; qu'ainsi la société Transpac était assurée pour son offre "canal D" de pouvoir disposer seule du réseau public Numéris pour lequel France Télécom disposait du monopole légal ; qu'ainsi que le relève l'Autorité de régulation des télécommunications dans ses observations, le secteur des services de transmission de données par VSAT était "embryonnaire" en 1993 ; que la société Transpac bénéficiait par ailleurs, antérieurement au lancement de la technologie "accès par canal D", d'un nombre élevé de contrats selon la technologie "accès par liaisons louées", ce qui lui conférait un avantage non négligeable dans la concurrence par rapport aux services VSAT exploités en groupes fermés d'utilisateurs par d'autres opérateurs, services au sujet desquels MM. Buge et des Cognets ont déclaré qu'ils présentaient "certaines rigidités" par rapport à la solution terrestre en raison notamment de la faible normalisation des appareils ; que la société Transpac bénéficiait par ailleurs du soutien commercial de France Télécom à travers son service " grands comptes " dont l'ingénieur a reconnu par procèsverbal d'audition qu'il pouvait, le cas échéant jouer le rôle d'"agent commercial" de la société Transpac ; qu'ainsi que l'a déclaré France Télécom dans ses observations écrites, "ni France Télécom ni Transpac n'ont déposé en parallèle d'offre autonome autre que celle présentée conjointement", aucune des entreprises "adjudicatrices (AXA, GAN, Française des jeux)" n'ayant été trompée sur la réalité de la concurrence entre France Télécom et sa filiale qui bénéficiait ainsi du label de France Télécom, opérateur public ; que, si la société Transpac estime ne disposer que d'une part de 42 % du marché, cette entreprise inclut à tort dans le marché les services dits "privés" et "indépendants" autogérés; que, compte tenu du monopole de fait détenu sur les services fournis sur le canal D de Numéris, de la position marginale des services VSAT ainsi que de son appartenance au groupe France Télécom, opérateur exploitant le réseau public national, la société Transpac disposait, au moment des faits, d'une position dominante sur le marché considéré ;
Sur les pratiques,
En ce qui concerne la gratuité des frais d'accès à Numéris et l'abonnement gratuit accordés à AXA,
Considérant qu'il est constant que l'offre présentée, le 15 avril 1993, prévoyait la gratuité des frais d'accès à Numéris et la gratuité de deux mois d'abonnement à AXA, alors que le tarif applicable au moment des faits, homologué par les ministres chargés de l'économie ainsi que des postes et télécommunications, prévoyait un prix unitaire de 675 F par accès de base, sans gratuité d'abonnement à Numéris ;
Considérant que France Télécom déclare que "la proposition de tarification mise en place par France Télécom aux termes de laquelle tout client de plus de 3 000 accès bénéficie de la gratuité des frais de mise en service a été élaborée en début d'année 1993, date à laquelle les premiers contrats Numéris ont été conclus" ; qu'elle fait valoir que cette tarification n'est pas spécifique au canal D de Numéris mais s'applique également au canal B ; que France Télécom soutient en outre que "lors de l'appel d'offres lancé par AXA, France Télécom et Transpac ont fait à AXA deux offres parallèles, l'une présentée à titre principal par Transpac sur son propre réseau, l'autre présentée à titre accessoire par France Télécom sur l'accès au canal D de Numéris" ; que, selon cet opérateur, "cette procédure ne peut en aucun cas être assimilée à un accord ou une pratique concertée sur le niveau des prix pratiqués par France Télécom et Transpac" ; qu'en outre France Télécom fait valoir que les réductions accordées par France Télécom sur ses tarifs publics ont été "entérinées par l'homologation du ministère de l'économie (DGCCRF) et des postes et télécommunications (DGPT) de la décision tarifaire de France Télécom" et que l'homologation des tarifs "apporte bien la preuve de leur caractère normal" ; que la société Transpac soutient que "l'octroi de la gratuité d'accès et des deux premiers mois d'abonnement est une décision de France Télécom agissant seule" et que, dans ces conditions, elle ne saurait être regardée comme ayant participé à une entente anticoncurrentielle ;
Mais considérant que France Télécom, opérateur public qui disposait d'un monopole de droit en ce qui concerne l'exploitation du réseau public Numéris, a pu favoriser sa filiale Transpac par rapport à la concurrence, s'agissant des conditions de mise à disposition du canal D dans l'offre de services Transpac via le canal D, dans une période où émergeait sur le marché concerné la technologie VSAT ; que France Télécom reconnaît d'ailleurs au sujet de la "tarification du canal D de Numéris" que "les réductions proposées avaient pour objet de faciliter le lancement de cette nouvelle technologie" ; qu'ainsi que l'a précisé la CJCE (CBEM c/CLT, 3.10.85) "un système de concurrence non faussée tel que celui prévu par le traité ne peut être garanti que si l'égalité des chances entre les différents opérateurs économiques est assurée" ; que, comme l'a indiqué la Commission européenne dans sa décision du 4 octobre 1995, "une telle égalité de chance est avant tout importante en ce qui concerne les nouveaux entrants sur un marché dans lequel un opérateur dominant sur un marché proche mais distinct est en train de s'établir" ; que les conditions particulières du contrat signé avec AXA le 30 novembre 1993 stipulent : "Par dérogation au contrat Numéris, AXA bénéficie pour chaque accès direct à Transpac par un accès canal D de Numéris prévu à l'annexe 4, des conditions suivantes : exonération des frais d'accès au réseau, exonération de 2 mois d'abonnement au service Numéris, qui s'exerce à la date de mise en service de l'accès de base" ; qu'ainsi la réduction était bien présentée au demandeur comme un avantage, estimé à 1 975 050 F sur un total de 15 493 170 F, de "frais de mise en service" tels qu'ils apparaissaient dans l'offre du 15 avril 1993 ; que les contrats signés avec le GAN et La Française des jeux, à une date antérieure à celle du contrat signé avec AXA, prévoient également la gratuité des frais d'accès à Numéris ; que si la "décision tarifaire" du 30 décembre 1993 signée par le directeur général de France Télécom a bien prévu la gratuité des seuls "accès de base" pour les "demandes en nombre" ainsi que le bénéfice de deux mois d'abonnement gratuits à Numéris pour un nombre d'accès supérieur à 2 000, cette décision était, en tout état de cause, nettement postérieure à l'offre faite à AXA par Transpac, en avril 1993, ladite "décision tarifaire" n'ayant d'ailleurs été homologuée que le 5 février 1994 par les ministres concernés ; que ce moyen ne peut donc être utilement invoqué par les parties ;
Considérant par ailleurs que, dans un document intitulé "synthèse de la proposition", France Télécom et Transpac déclarent qu'"en réponse aux besoins exprimés par le groupe AXA, Transpac s'appuyant sur son offre de réseau d'entreprises et France Télécom grands comptes ont mené en collaboration avec le service moyens et études Telecom (MET) de la direction informatique AXA, une approche structurée (...)" ; que France Télécom admet qu'"il était logique que France Télécom présente avec Transpac, (...) une offre commune" et que "ni France Télécom ni Transpac n'ont déposé en parallèle d'offre autonome autre que celle présentée conjointement" ; qu'ainsi, si deux contrats distincts ont bien été signés, l'un entre AXA et France Télécom pour l'abonnement Numéris, l'autre entre AXA et Transpac pour les autres prestations, y compris le trafic sur le canal D, il ne peut utilement être soutenu que France Télécom, d'une part, et Transpac, d'autre part, ont présenté des offres de manière autonome à AXA, groupe qui avait d'ailleurs souhaité avoir à traiter avec un interlocuteur unique ;
Considérant qu'ainsi la décision prise par France Télécom et la société Transpac, qui disposait d'une autonomie commerciale par rapport à France Télécom, d'offrir "conjointement" la gratuité des frais d'accès à Numéris ainsi qu'un abonnement gratuit de deux mois avait pour objet et a pu, dans les circonstances de l'espèce, "éloigner la concurrence VSAT", présentée par la société BT France, filiale de British Telecom, et favoriser la technologie Transpac via le canal D de Numéris auprès des utilisateurs potentiels constitués notamment par la quasitotalité des grandes compagnies d'assurance présentes sur le plan national ; que cette pratique est prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et tombe également sous le coup des dispositions de l'article 8 de ladite ordonnance compte tenu de la position monopolistique occupée par France Télécom sur le réseau public Numéris et par la position dominante occupée par Transpac sur le marché pertinent de la transmission de données aux entreprises ; qu'enfin la pratique mise en œuvre par France Télécom et par sa filiale Transpac, qui concerne l'ensemble du territoire national, avait pour objet et a pu, par sa nature même, avoir pour effet de cloisonner les marchés en limitant l'accès d'un opérateur concurrent au marché national ; que cette pratique, susceptible de porter atteinte au commerce intracommunautaire, est également prohibée par les dispositions des articles 85 et 86 du Traité de Rome ;
En ce qui concerne la nature du rabais offert par Transpac à la société AXA sur Transpac :
Considérant que la proposition financière datée du 9 septembre 1993 indiquait : "Sous réserve d'un engagement de votre part avant le 30 septembre 1993, nous vous proposons une mesure tarifaire exceptionnelle, soit un prix du trafic sur Transpac (volume + durée CV) de 0,05 F HT, toutes réductions confondues, pour la période du 01/01/93 au 30/09/93" ; que lors d'une audition effectuée, le 13 novembre 1995, au siège de la société Transpac MM. des Cognets et Buge, respectivement directeur commercial de la société Transpac et directeur juridique adjoint de France Télécom, ont déclaré, au sujet de l'offre faite à AXA le 9 septembre 1993 : "Cette offre a intégré rétroactivement une réduction du tarif sur le volume appliqué de janvier à septembre 1993 dans le cadre du précédent contrat, soit 0,050 F au lieu de 0,0569 F. L'avantage ainsi consenti à AXA a été estimé à 1 449 000 F./ Le prix du trafic applicable du 1/10 au 31/12/93, à savoir 0,040 F, correspond à une réduction de 30% par rapport au prix pratiqué dans le cadre de l'ancien contrat, ce que souhaitait obtenir AXA" ; que la "concession commerciale" accordée dans le cadre de l'offre du 9 septembre 1993 a été présentée par la société Transpac comme s'élevant au total à 8 668 180 F par rapport à l'offre du 2 septembre 1993, cette mesure se rajoutant, selon elle, à "la mesure financière concernant les frais de migration" ; que la "concession commerciale" relative à la période, en partie écoulée, courant du 1er janvier au 30 septembre 1993 a été présentée à AXA comme s'élevant à 1 449 000 F et celle relative à la période du 1er octobre au 31 décembre 1993 comme s'élevant à 192 500 F ;
Considérant que la société Transpac avait fait valoir, dans ses observations en réponse à la notification de griefs, que le client bénéficiant déjà d'une réduction de prix, l'avantage accordé à AXA pour la période courant du 1er janvier au 30 septembre 1993 devait être estimée à 423 000 F au lieu de 1 449 000 F, cet avantage étant qualifié d'"infime" ; que, dans ses dernières écritures, cette entreprise admet que l'avantage accordé sur le contrat en cours d'exécution devrait être chiffré à 1 031 333 F ; que la société Transpac soutient que l'importance du rabais ainsi accordé doit être appréciée non pas par rapport à la "partie consommation" mais par rapport à la totalité de la facture ; qu'en outre cette société, qui soutient que ce rabais doit s'apprécier par rapport "à la facture totale pour 11 mois" de l'ancien contrat, estime à 1,4 % l'avantage ainsi accordé ; qu'elle affirme que ce pourcentage ayant un "caractère de minimis", la pratique ne saurait constituer une atteinte au jeu de la concurrence ;
Mais considérant, ainsi que l'ont confirmé MM. Buge et des Cognets en cours d'instruction, que l'avantage accordé au titre de la période du 1er janvier au 30 septembre 1993 a bien été présenté à AXA comme s'élevant à 1 449 000 F ; qu'à supposer que, comme l'affirme la société Transpac, le rabais accordé pour la période du 1er janvier au 30 novembre 1993, date effective d'échéance de l'ancien contrat, se soit élevé à 1 031 333 F, en aucun cas cet avantage ne saurait être relié à l'exécution de l'ancien contrat, la "proposition Transpac du 9 septembre 1993" précisant que la "mesure tarifaire exceptionnelle" ne serait accordée que "sous réserve d'un engagement de votre part avant le 30 septembre 1993" ; qu'en tout état de cause, l'appréciation du rabais, qui ne porte que sur le trafic" sur le réseau Transpac, ne peut s'effectuer que par rapport à la partie "consommation" de la facture pour la période du 1er janvier 1993 au 30 novembre 1993, la société Transpac ayant ellemême évalué la réduction octroyée à 7 % dans ses observations écrites ; qu'il ne fait aucun doute que l'avantage accordé au titre de l'ancien contrat était subordonné à l'acceptation de la proposition tarifaire effectuée par Transpac dans le cadre de l'offre "accès par canal D de Numéris" ; que ce rabais, consenti rétroactivement par une entreprise se trouvant en situation de position dominante sur le marché et reposant sur l'avantage dont disposait Transpac en raison du contrat en cours, était de nature à fausser le jeu de la concurrence et se trouve donc prohibée par les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'en outre, l'avantage accordé par la société Transpac à la société AXA, qui se cumule avec la gratuité des frais d'accès au canal D, avait pour objet et a pu, dans les circonstances de l'espèce, avoir pour effet de cloisonner les marchés en limitant l'accès au marché national d'un opérateur concurrent ; que cette pratique est donc prohibée par les dispositions de l'article 86 du Traité de Rome ;
En ce qui concerne la politique tarifaire de la société Transpac visàvis des "grands comptes" :
Considérant que la société BT France se plaint, dans sa lettre de saisine, de l'"opacité des pratiques tarifaires de France Télécom et de Transpac" ;
Considérant que, selon l'ingénieur du service "grands comptes" de France Télécom, le service "grands comptes" réunit les clients ayant un chiffre d'affaires important, ceux ayant une importance "stratégique" et ceux ayant des projets ponctuels importants ou complexes ; qu'une convention intitulée "contribution à la commercialisation auprès des grands comptes des produits de Transpac SA" lie ce service de France Télécom à Transpac depuis le 1er janvier 1994 ; que, dans le cadre de cette convention, appliquée dans le cadre du contrat AXA, France Télécom "grands comptes" assiste la société Transpac "dans la phase de commercialisation" ; que le tarif de la société Transpac, applicable en avril 1993, au moment de la première offre faite à AXA, ne portait aucune mention relative aux prix applicables aux "grands comptes" ; que le tarif applicable en juillet 1993 indiquait, s'agissant de certaines prestations (locationmaintenance des adaptateurs, concentrateur local d'entreprise, transit du trafic sur canal D) : "dégressivité pour grands comptes : consulter la direction commerciale" ; que le tarif applicable au 1er janvier 1994 indiquait : "Pour des conditions tarifaires liées à des engagements de durée et de quantité, consulter la direction commerciale" ; que, lors de leur audition, MM. Buge et des Cognets ont confirmé que les prix ou les rabais accordés à AXA pour certaines prestations n'étaient pas publiés ;
Mais considérant que, si le Conseil des communautés européennes a, dans sa recommandation du 5 juin 1992 relative à l'offre harmonisée d'un ensemble minimal de services de transmission de données par commutation de paquets (STDCP) conformément aux principes de la fourniture de réseau ouvert (ONP), considéré que les tarifs doivent être "transparents et publiés adéquatement ; qu'ils doivent être suffisamment non amalgamés, conformément aux règles de concurrence du traité, et qu'ils doivent être non discriminatoires et garantir l'égalité de traitement" et que si l'arrêté en date du 15 juillet 1983 portant autorisation de fourniture au public de servicessupports par la société Transpac prévoit également que "les tarifs sont transparents", ces mesures de portée générale n'impliquent pas que, dans le cadre d'offres sur mesure, les opérateurs communiquent à leurs concurrents les prix remis aux demandeurs ; qu'il n'est par ailleurs ni allégué ni établi que la société Transpac ait refusé la communication de ses barèmes "grands comptes" à la société BT France ; que cette dernière avait présenté une offre VSAT en concurrence avec la société Transpac et qu'elle ne se trouvait donc pas, au cas d'espèce, dans une situation d'utilisateur potentiel du réseau Transpac ; qu'il n'est donc pas établi que la société Transpac a, de ce chef, contrevenu aux dispositions des articles 86 du Traité de Rome et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
En ce qui concerne le rabais accordé à la société AXA au sujet de la locationmaintenance des adaptateurs X 25 :
Considérant que l'offre datée du 15 avril 1993 prévoyait, s'agissant des "accès canal D", que pour les 2 926 accès au canal D le tarif applicable à AXA pour la location/maintenance de l'adaptateur canal D était de 109 F par accès et par mois et que le prix de la supervision était "inclus dans le prix de locationmaintenance des adaptateurs" ; qu'ainsi que le fait valoir la société Transpac, le contrat signé par la société AXA indique que "le fournisseur accepte de faire bénéficier le client dès la signature du contrat d'un prix de location maintenance de 108,75 F par adaptateur et par mois" pour un minimum de 3000 adaptateurs et stipule que "le prix de la supervision du réseau est facturé au prix du tarif public en vigueur à la date de la prestation" ; qu'il n'est donc pas établi que la société Transpac a abusé de sa position dominante sur le marché en pratiquant des prix d'éviction pour la locationmaintenance des adaptateurs canal D ;
Sur les sanctions :
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos (...). Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu'il désigne, l'affichage dans les lieux qu'il indique (...). Les frais sont supportés par la personne intéressée" ;
Considérant que France Télécom, opérateur public, a abusé de son monopole légal sur le réseau Numéris en 1993 en favorisant sa filiale Transpac, exploitant le réseau public Transpac, en accordant la gratuité des frais d'accès à Numéris ainsi qu'un abonnement gratuit de deux mois et en permettant ainsi à la société Transpac d'intégrer dans les offres présentées à plusieurs clients lesdits avantages ; qu'en outre la société Transpac a abusé de sa position dominante en pratiquant un rabais rétroactif sur le trafic Transpac ; que pour apprécier le dommage à l'économie, il y a lieu de relever que ces pratiques avaient pour objet de protéger une technologie au détriment d'une autre et ont pu avoir pour effet de limiter l'accès au marché considéré à la technologie VSAT considérée alors comme susceptible de pouvoir concurrencer les services offerts par la société Transpac via le canal D de Numéris ; qu'il n'est toutefois pas exclu que des considérations autres que celle liée aux avantages financiers consentis par France Télécom aient pu influencer certains utilisateurs potentiels et notamment la société AXA ;
Considérant que France Télécom a réalisé en France, au cours de l'exercice 1996, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires hors taxes de 128 076 549 151 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels, tels qu'ils sont appréciés cidessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 20 000 000 F ;
Considérant que la société Transpac a réalisé en France, au cours de l'exercice 1996, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires hors taxes de 4 835 182 573 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels, tels qu'ils sont appréciés cidessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 10 000 000 F,
Décide :
Article 1er Il est établi que France Télécom et la société Transpac ont enfreint les dispositions des articles 85 et 86 du traité de Rome et 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Article 2 Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
- 20 000 000 F à France Télécom,
- 10 000 000 F à la société Transpac.