Conseil Conc., 19 décembre 1989, n° 89-D-44
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Saisine de la société des lubrifiants du Midi
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré en section, sur le rapport de Mme A.-M. Camguilhem, dans sa séance du 19 décembre 1989 où siégeaient : M. Pineau, vice-président, présidant la séance ; MM. Azema, Cortesse, Sargos, Urbain, membres.
LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
Vu la lettre enregistrée le 27 avril 1987 sous le numéro C37 (F72) par laquelle la société des lubrifiants du Midi a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques qu'elle estime anticoncurrentielles de sociétés pétrolières et d'industriels du graissage sur le marché des lubrifiants ; Vu les ordonnances n° 45-1483 et n° 45-1484 du 30 juin 1945 modifiées, respectivement relatives aux prix et à la constatation, à la poursuite et à la répression des infractions à la législation économique ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Vu la décision n° 87-D-17 du Conseil de la concurrence du 24 juin 1987 ; Vu l'arrêt de la première chambre de la Cour d'appel de Paris du 17 décembre 1987 réformant la décision du Conseil de la concurrence susvisée (...)
I. - CONSTATATIONS
A. - Le marché
Les lubrifiants sont des produits dérivés de la distillation du pétrole brut. Les résidus lourds, provenant d'une première distillation du pétrole, sont distillés une seconde fois pour fournir des distillats lourds qui sont à la base de la fabrication des huiles. A ces huiles de base neuves ou à des huiles régénérées, sont ajoutés, pour obtenir les lubrifiants, différents additifs de lubrification.
Le terme générique de lubrifiants recouvre trois catégories de produits : les lubrifiants pour automobiles, les lubrifiants industriels et les huiles de base pour l'industrie. Les lubrifiants représentent environ 1 p. 100 en volume des produits pétroliers.
Ne sont visés par la saisine que les lubrifiants pour automobiles qui représentent de façon constante 56 à 57 p. 100 du marché total des lubrifiants.
Les lubrifiants pour automobiles regroupent eux-mêmes différentes sortes de produits, dont les lubrifiants pour moteur essence et pour moteur Diesel sont la très grande majorité.
Les huiles moteur sont utilisées pour les vidanges et pour les compléments entre deux vidanges. Le consommateur peut effectuer lui-même la vidange ou la faire effectuer par un professionnel. Les vidanges par soi-même sont en forte progression : 18,6 p. 100 des vidanges en 1977, plus du tiers en 1987.
Il y a deux types de producteurs d'huiles pour automobiles :
- les compagnies pétrolières qui produisent leurs bases et qui ajoutent les additifs chimiques : en France, Elf-Antar, Esso, Total, Shell, Mobil, BP sont les plus importantes. Agip française et Fina France avec une production plus limitée sont aussi présentes sur le marché ;
- les industriels du graissage qui, après avoir acheté les bases aux pétroliers, font les mélanges avec leurs propres additifs ; ils commercialisent une quinzaine de marques : les plus connues sont Veedol, Castrol, Yacco, Motul et Labo.
L'ensemble de ces producteurs est soumis à la loi du 30 mars 1928 qui constitue toujours la base légale du régime d'importation des produits pétroliers. Cette loi a été modifiée et complétée par plusieurs textes, les derniers étant les décrets n° 87-215 et 87-216 du 27 mars 1987, qui ont allégé le système mis en place précédemment. Toute importation de produits pétroliers égale ou supérieure à 300 tonnes par mois est soumise à autorisation spéciale. Ces autorisations, théoriquement limitées à vingt et douze ans respectivement pour le pétrole brut et pour les produits dérivés, ont été en pratique limitées à dix ans pour le pétrole brut (A10) et trois ans, puis cinq ans, à compter du 30 septembre 1987, pour les produits dérivés (A3 ou A5).
Les autorisations en cours (A10) ont été accordées par décrets du 24 juin 1983 ; elles ont été délivrées pour la période comprise entre le 1er janvier 1986 et le 31 décembre 1995 à Agip française SA, la société française des pétroles BP, la Compagnie française de raffinage (CFR), Elf-France, Esso Saf, Fina-France, Mobil Oil française, Shell française et CDF chimie EP
Parallèlement aux autorisations spéciales, il existe, en matière d'importation de produits pétroliers, quatre types d'autorisations particulières, celles concernant les lubrifiants sont les autorisations particulières qui permettent à leurs titulaires d'importer des huiles de graissage, lubrifiants et additifs, en fûts et en emballages d'origine. Sont importées des huiles de base utilisées pour la fabrication des lubrifiants aussi bien que des lubrifiants finis.
Les lubrifiants pour automobiles importés proviennent presque exclusivement des pays de la CEE, essentiellement de Belgique, qui couvre suivant les années 55 p. 100 à 67 p. 100 des tonnages.
Le volume des importations avait fortement baissé au début de la décennie 1980 ; de 40 000 tonnes en 1982, il était tombé à 35 000 tonnes de 1983 à 1985, à partir de 1986 il a fortement augmenté et atteint 51 000 tonnes en 1988.
De même, les ventes sur le marché intérieur de l'ensemble des lubrifiants ont connu en 1980 un net fléchissement, l'évolution étant sensiblement parallèle pour les lubrifiants pour automobiles et pour les lubrifiants dans leur ensemble. Cette baisse des ventes, conséquence de la crise économique, s'est poursuivie jusqu'en 1985 inclusivement. En 1986, les ventes sur le marché intérieur progressaient de plus de 3 p. 100, la progression des ventes de lubrifiants pour automobiles étant supérieure à la moyenne puisqu'elle s'élevait à 3,6 p. 100. Cette progression se confirmait en 1987 et en 1988. En 1988, le volume des ventes de lubrifiants pour automobiles sur le marché intérieur était de 512 932 tonnes.
La répartition des parts de marché entre les sociétés pétrolières et les industriels du graissage est respectivement de deux tiers et un tiers, avec une tendance à l'accroissement pour ces derniers.
Les pourcentages de marché intérieur détenus par les principales sociétés pétrolières dans les ventes de lubrifiants pour automobiles à la consommation sont en 1988 les suivants, d'après les statistiques du Centre professionnel des lubrifiants :
Elf-Antar : 13,60 p. 100 ;
Esso : 11,01 p. 100 ;
Total : 10,87 p. 100 ;
Shell : 10,00 p. 100 ;
Mobil : 9,97 p. 100 ;
BP : 6,63 p. 100.
Depuis une dizaine d'années, la distribution des lubrifiants au client final a considérablement évolué. Les deux grandes tendances sont la forte diminution de la part des stations-services : de 20 p. 100 en 1977 à 7 p. 100 en 1987, et corrélativement la très forte augmentation de la part des grandes surfaces : de 13 p. 100 en 1977 à 36 p. 100 en 1987. La part de marché des concessionnaires et agents de marque reste assez stable en raison de l'effet des préconisations.
La croissance des ventes des grandes surfaces s'explique notamment par l'accroissement susmentionné des vidanges par soi-même ; les consommateurs s'attachent en effet essentiellement au prix du produit, le lubrifiant pour automobiles n'apparaissant pas en tant que tel comme nécessitant une attention particulière.
Cette croissance a entraîné une modification de la distribution à ce canal. Jusqu'au début des années 1980, les compagnies pétrolières pratiquaient la vente directe auprès des stations-services à leur marque et auprès des concessionnaires-auto, mais elles avaient recours aux intermédiaires, c'est-à-dire aux grossistes, pour les ventes aux grandes surfaces qui ne représentaient que moins de 20 p. 100 du marché. Elles trouvaient en effet plus expédient de recourir à un grossiste qui pouvait assurer la prospection et la vente, le stockage du produit, la livraison et la facturation des produits vendus. La grande surface y trouvait également l'avantage de pouvoir commander des volumes réduits de plusieurs marques.
Ainsi sont apparus sur le marché des grossistes multimarques dits "panacheurs". C'est à cette catégorie qu'appartient la société des lubrifiants du Midi (Solumi), société anonyme dont l'objet social est la vente en demi-gros et au détail de tous produits pétroliers et dérivés, carburants et lubrifiants, et qui est titulaire depuis le 28 août 1978 d'une autorisation d'importation "modèle B", institution délivrée en dernier lieu le 2 février 1988.
L'accroissement de la part de marché des grandes surfaces a conduit les sociétés pétrolières à s'intéresser à la vente directe à ces dernières, d'autant que se multipliaient les hypermarchés qui, s'équipant de plates-formes de stockage, pouvaient procéder à des achats de volumes importants en se passant des grossistes panacheurs.
B. - Les pratiques dénoncées
La société des lubrifiants du Midi, tant dans sa saisine que dans des mémoires postérieurs, a dénoncé, d'une part, les comportements parallèles des sociétés pétrolières et des industriels du graissage, lesquels auraient pour objet et pour effet d'éliminer les grossistes multimarques du marché de la distribution des lubrifiants pour automobiles aux grandes surfaces, et, d'autre part, les rapports entre Total et ses contractants.
Par ailleurs, dans les observations qu'elle a présentées à la suite de la communication qui lui a été faite du rapport, elle a souligné certains passages des rapports d'enquête relatifs aux différentes sociétés pétrolières.
Les pratiques dénoncées sont les suivantes :
1. Le parallélisme de comportements
A. - Les conditions de vente
Sous cette rubrique, sont dénoncées des pratiques concernant le tarif, les remises et les conditions de paiement.
En ce qui concerne Total :
Solumi s'est référée au rapport établi par la Direction nationale des enquêtes (DNE) pour affirmer que les barèmes sont défavorables aux grossistes et qu'ils sont modifiés "suivant les besoins".
Le rapport d'enquête avait analysé les différentes remises. Il y avait été noté que pour l'ensemble de la clientèle le plafond des primes de groupage était fixé assez bas et qu'il n'y avait pas de remise pour transport évité. Les constatations opérées sur les remises de fin d'année n'établissaient pas une réelle discrimination au profit des grandes surfaces. Enfin, il était constaté que la seule exigence de Total vis-à-vis des grossistes était la présentation de garanties suffisantes, mais que cette exigence était légitime.
Dans un mémoire du 8 juin 1989, Solumi a prétendu que les conditions proposées par Total dans sa lettre du 5 juin 1989 seraient discriminatoires : les prix proposés seraient supérieurs à ceux consentis à un autre revendeur ; la clause prévoyant la possibilité de résiliation des remises si le tonnage prévue de 100 mètres cubes par an n'était pas obtenu serait discriminatoire ; Total remonterait la barre du tonnage annuel à atteindre pour bénéficier de la remise de fin d'année ; les remises aux grandes surfaces seraient basées sur des objectifs surévalués ; enfin, des garanties de paiement seraient réclamées.
Selon le responsable de Total-France, le même tarif et la même grille de remises sont appliquées aux clients se trouvant dans la même situation.
En ce qui concerne Shell :
Dans sa saisine, Solumi s'était uniquement référée au rapport établi par la DNE, le 27 avril 1983, sur commission rogatoire délivrée le 2 mars 1981 dans le cadre de l'information contre X du chef de refus de vente, pratiques de prix ou de conditions discriminatoires non justifiées. Ce rapport avait longuement analysé les relations entre Shell-France, sa filiale Celor et la société des lubrifiants du Midi entre 1972 et 1978.
Dans ses mémoires des 7 avril 1988 et 24 octobre 1988, Solumi soutient que depuis le 1er janvier 1988, date à laquelle la filiale Celor est devenue mandataire de Shell, les conditions de cette dernière ne lui permettent plus de vendre, et que le chiffre d'affaires réalisé avec Shell a baissé de 900 p. 100 entre 1988 et 1987. Le responsable commercial de la distribution de la Société des pétroles Shell a précisé que les remises sont fonction des tonnages et que la chute du chiffre d'affaires de Solumi en lubrifiants Shell, entre 1988 et 1987, peut s'expliquer en partie par la perte de l'un de ses clients qui a négocié directement avec Shell.
Dans ses observations, Solumi a souligné qu'en 1984 Celo avait signé avec Carrefour, son principal client, un contrat par lequel elle s'engageait à s'aligner sur les prix de ses concurrents dans le périmètre de chalandise des magasins affiliés à cette centrale, et que verbalement toutes les sociétés pétrolières avaient pris le même engagement.
En ce qui concerne Labo :
Dans un courrier du 17 mai 1989, Solumi a dénoncé les modifications des conditions de vente qui seraient défavorables aux grossistes : les conditions de paiement exigées des grossistes sont plus strictes que celles exigées des grandes surfaces. Le représentant de Labo industrie a reconnu cet état de fait et l'a justifié par la plus grande fragilité des grossistes multimarques.
Les conditions relatives aux minima de livraison applicables aux grandes surfaces ont été proposées à Solumi.
Enfin, les bidons vendus par Labo aux grandes surfaces sont dotés d'un code barre, alors que ceux vendus aux grossistes en sont dépourvus. Labo industrie a indiqué que l'utilisation du code barre sur les bidons était très récente et qu'aucun refus n'avait été opposé à la société des lubrifiants du Midi puisqu'elle n'avait présenté aucune demande en ce sens.
En ce qui concerne Esso :
Dans son mémoire du 7 avril 1988, Solumi, qui n'a jamais entretenu de relations commerciales directes avec Esso SAF, fait état de contacts pendant l'année 1985. Elle dénonce les conditions de vente et des prix proposés supérieurs à ceux consentis aux grandes surfaces.
L'instruction a montré que les remises consenties par Esso soit aux grandes surfaces, soit aux grossistes panacheurs sont essentiellement fonction du tonnage que ces derniers s'engagent à acheter. La société des lubrifiants du Midi n'a pas pris d'engagement de tonnage.
Dans ses observations après dépôt du rapport, Solumi, se référant au rapport administratif, dénonce des discriminations qui résulteraient de l'élargissement du barème d'écart, des remises pour transport évité, des remises de coopération commerciale, des remises de fin d'année, des promotions et des alignements.
En ce qui concerne BP-France :
Les seules pratiques reprochées par Solumi sont les conditions de vente proposées par BP le 7 octobre 1988. Elle souligne que les prix sont supérieurs à ceux offerts à d'autres revendeurs et que le tarif route - destiné aux garagistes et concessionnaires - est différent de celui des grossistes (annexe 107).
Dans ses observations, Solumi analyse le rapport administratif sans apporter d'élément nouveau par rapport au contenu de ce document.
Le chef des ventes "grande distribution" BP-France a indiqué qu'il y avait "un tarif unique sur lequel des remises sont accordées en fonction du tonnage, des livraisons unitaires, des conditions de paiement et, en ce qui concerne le réseau, de l'exclusivité accordée".
En ce qui concerne Elf-Antar :
Dans son mémoire du 7 avril 1988, Solumi allègue que les conditions qui lui ont été proposées tant le 18 avril 1986 que le 19 juin 1987 sont discriminatoires : les prix proposés sont supérieurs à ceux des prix de vente au public de certaines grandes surfaces et les conditions de paiement ont été modifiées.
Le directeur du réseau Elf-France a répondu que, depuis 1985, Elf-France ne livre plus Solumi qui a, à son égard, une importante dette, que le barème communiqué à Solumi était celui en vigueur à l'époque et que la publicité fournie par Solumi au soutien de ses allégations à titre de comparaison était celle d'un hypermarché qui n'était pas alors livré par Elf, et enfin que les conditions de paiement exigées étaient nécessaires en raison de la position débitrice de Solumi.
Dans ses observations, Solumi se réfère à quelques extraits du rapport administratif sans apporter d'élément nouveau.
En ce qui concerne Mobil :
La société des lubrifiants du Midi n'avait articulé aucun grief à l'encontre de Mobil.
Dans ses observations, elle reprend le rapport administratif consacré à cette société. Solumi soutient que les remises accordées aux grandes surfaces sont supérieures à celle accordées aux grossistes.
Le rapport administratif avait noté que si le barème applicable aux grossistes leur permettait en principe de disposer d'un avantage de 0,80 F par litre par rapport aux grandes surfaces, cet avantage était en pratique de 0,30 F par litre à 0,50 F par litre après prise en compte des remises accordées à ces deux catégories de distributeurs.
B. - Les importations
Selon la société des lubrifiants du Midi, les sociétés pétrolières ont cherché à limiter les importations de lubrifiants, d'une part, en procédant à des changements d'appellation et de conditionnement et, d'autre par, en interdisant à leurs filiales étrangères de vendre en France.
En ce qui concerne Shell :
Solumi dénonce la suppression de la fabrication en Belgique du bidon Shell super 200 en 2 litres. En outre, dans ses observations, elle dénonce le fait que le 27 janvier 1981, Belgian Shell l'ait dirigée sur Shell française pour le Shell super 200 en 5 litres.
Le responsable de la distribution de Shell-France a indiqué que cette suppression avait été effectuée en 1978 et qu'elle était le fait de Shell-Belgique. Il a déclaré également que Shell-France avait cherché à lutter contre les importations en provenance de Belgique en créant des produits spécifiques.
En ce qui concerne Total :
Solumi, s'appuyant sur le rapport administratif, soutient que la création de la commission lubrifiants "Comark" au sein du groupe Total avait pour but de supprimer les importations par la modification des emballages et la suppression des qualités communes en France et au Benelux. Le dernier état de cette politique serait la suppression le 14 mars 1988 de la marque Altigrade GT fabriquée en Belgique.
Le rapport d'enquête a analysé les pratiques de Total en matière d'importation de lubrifiants. Il en ressort que le groupe Total a cherché à limiter les importations en différenciant les appellations et les emballages des principaux lubrifiants pour automobiles. Cette politique s'est traduite par la suppression de l'appellation GTS au Benelux en 1983, et son remplacement par une nouvelle huile de même indice de viscosité, à savoir Total intégral. Le résultat de cette politique est d'empêcher Total-Belgique d'exporter Total-GTS vers la France, mais Total-Belgique se tourne alors vers l'exportation d'une autre huile : Total-GT. Devant les importations de Total-GT, différentes mesures sont envisagées en 1984 (cf. p. 140 des annexes), mais ce n'est qu'en 1988 que Total-France cesse la fabrication de l'Altigrade GT.
Total a indiqué que l'altigrade GT avait été remplacée par l'Altigrade GT2 dans le cadre de la rénovation des produits.
Dans ses observations, Solumi fait état de relations entre Total et d'autres grossistes (Christol et Labruyère) sans toutefois préciser en quoi cela concerne les importations.
En ce qui concerne Esso :
Les pratiques dénoncées par Solumi ne concernent que la limitation des importations par les prix, et non une segmentation par les marques. L'instruction a, à cet égard, établi que les formules et les marques sont déterminées au niveau européen, et qu'en matière d'huiles moteurs de grande distribution il n'y a pas de marque spécifiquement française.
Dans son mémoire du 7 avril 1988, Solumi relate les démarches effectuées auprès d'Esso Nederland en 1985. Elle s'était en effet adressée à cette société pour obtenir ses tarifs afin de bénéficier de la différence de prix des lubrifiants entre la France et le Benelux. Estimant que les prix des communiqués par Esso Nederland étaient très supérieurs à ceux consentis aux grossistes hollandais, Solumi a saisi la commission de Bruxelles qui a provisoirement classé la demande.
Le rapport administratif avait noté que la société Esso-SAF avait cherché à faire pression sur sa direction européenne pour limiter les importations tant des grossistes que des grandes surfaces, notamment en provenance du Benelux, contrairement à la volonté de sa société mère Exxon qui veut faire du marché européen un seul marché.
Par ailleurs, Solumi fait allusion pour la première fois dans ses observations en réponse au rapport, qu'en 1985, Uniflo + a été remplacée par Esso Super Oil.
En ce qui concerne Elf-Antar :
En premier lieu, Solumi dénonce la politique de prix suivie par la société Elf sur les produits Antar. Les huiles Antar, exclusivement fabriquées en France, étaient distribuées en Belgique par la société Bricout qui réexportait ces huiles en France compte tenu des différences de prix entre les deux pays. Pour faire cesser cette concurrence, Elf-Antar aurait majoré ses prix à chaque commande de la société Bricout. Finalement, la société Bricout a cédé son fonds de commerce à la société des lubrifiants Elf-Aquitaine à compter du 1er janvier 1986.
En second lieu, Solumi dénonce la suppression de la fabrication du bidon de deux litres de marque Elf. Le responsable d'Elf-France a indiqué qu'en 1985 il a été décidé de spécialiser les unités et d'automatiser les fabrications et les conditionnements et qu'ainsi "l'usine d'Anvers s'équiperait pour le conditionnement en bidons de un litre, dont la consommation est essentiellement concentrée dans les pays anglo-saxons, et que l'usine de Rouen s'équiperait pour le conditionnement de bidons de deux litres dont la demande vient principalement de la France et des pays d'Europe du Sud. Les mêmes marques d'huiles sont produites à Rouen et à Anvers pour ce qui concerne les principales qualités d'huile moteur". Une lettre de la Société des lubrifiants Elf Aquitaine du 3 avril 1984 précise également qu'il est décidé "de supprimer à notre usine Anvers le conditionnement en bidons de deux litres qui n'est pas exigé par le consommateur hors de France".
Enfin, dans une lettre du 8 juin 1989, la société des lubrifiants du Midi a communiqué une lettre émanant de la Société Elf Nederland et adressée à un grossiste hollandais lui refusant la vente d'huiles Antar au motif qu'elle ne s'occupe que de la distribution sur le marché hollandais alors que les produits demandés étaient destinés à une "vente transit" en dehors des Pays-Bas.
En ce qui concerne BP :
Solumi a dénoncé la suppression de la marque Visco Static et la différenciation des appellations par la création de la gamme Pilote.
La création de la gamme Pilote et la suppression des autres marques ont été faite en 1980.
En ce qui concerne Mobil :
Solumi a dénoncé la suppression de la fabrication au Benelux du bidon de deux litres, ainsi que la nomination d'un directeur de nationalité française chez Mobil Benelux.
Le représentant de Mobil Oil française a précisé que Mobil Oil BV aux Pays-Bas n'avait pas effectué elle-même de conditionnement de deux litres au cours des quinze ou vingt dernières années, mais avait seulement fait procéder exceptionnellement par sous-traitance au conditionnement de bidons de deux litres de Mobil super 15W40 afin de répondre à la demande de certains clients.
C. - Le refus de vente ou de communication des conditions de vente
En ce qui concerne Total :
En premier lieu, Solumi fait valoir que, par lettres des 11 avril 1984 et 9 avril 1985, elle a demandé à la société Total CFR (Compagnie française de raffinage) ses barèmes et conditions de vente. Total CFR (TCFR), par lettres des 2 mai 1984 et 18 avril 1985, a renvoyé le demandeur sur sa filiale Total Compagnie française de distribution en précisant qu'elle n'entretenait de relations "qu'avec des titulaires d'autorisations spéciales A3 délivrées pour les carburants".
A la suite du premier refus de TCFR, Solumi a déposé une plainte fondée sur l'article 37 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1985 auprès du procureur près le Tribunal de grande instance de Marseille. Une information contre X a été ouverte le 27 décembre 1985, Solumi se constituant partie civile le 3 juin 1986. Le juge d'instruction chargé de l'affaire demanda l'avis de la commission de la concurrence le 2 octobre 1986, mais, à la suite de la publication de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il prit, le 24 février 1987, une ordonnance aux fins de déclarer l'action publique éteinte, et, le 3 février 1988, le Conseil de la concurrence, par décision n° 88-D-03, classait la demande d'avis du juge d'instruction.
TCFR justifie ses refus d'adresser les barèmes et d'entrer en relations commerciales avec Solumi par l'organisation interne du groupe Total.
TCFR n'acceptait de livrer directement que ses contractants A3, c'est-à-dire les titulaires d'une autorisation spéciale d'importation, à l'époque valable 3 ans, et liés à Total par un contrat de marque, et les industriels ayant un potentiel énergétique supérieur à 1500 TEP ; les demandes émanant d'autres catégories de clientèle comme la demande de Solumi étaient systématiquement renvoyées sur Total Compagnie Française Distribution (TCFD). Cette dernière était une filiale à 90 p. 100 et TCFR, et elle constituait la branche distribution de TCFR.
Les 24 avril et 5 juillet 1985, TCFD a communiqué ses conditions de vente à Solumi, qui n'y a pas donné suite.
En second lieu, la société des lubrifiants du Midi a communiqué au conseil une lettre qu'elle avait adressée le 5 octobre 1988 à Total-France Marseille pour avoir communication des "conditions générales de vente en lubrifiants de marque Total, plus particulièrement en emballage 2 litre et 5 litres", lettre restée sans réponse.
Le directeur des ventes de Total-France a indiqué qu'à la réception de la lettre du 5 octobre 1988 le délégué commercial concerné a essayé, sans succès, de joindre Solumi par téléphone. Quant à la lettre réitérant la demande du 5 octobre 1988, elle avait été classée sans réponse, les locaux de l'unité commerciale étant alors en travaux. Par lettre du 8 juin 1989, Solumi a communiqué la réponse de Total en date du 5 juin 1989 (annexe 187).
En ce qui concerne Esso :
Solumi dénonce l'absence de réponse à une lettre qu'elle aurait adressée le 18 octobre 1985 à Esso pour avoir communication des conditions de vente d'huile 20W50 par camion entier.
En ce qui concerne Shell :
Solumi se réfère au rapport de la DNE établi dans le cadre de l'instruction de la plainte qu'elle avait déposée le 27 novembre 1978 devant le doyen des juges d'instruction d'Aix-en-Provence. Les faits relatés dans ce rapport se sont déroulés pendant l'année 1978.
Dans ses observations, elle soutient que Shell interdisait la revente aux grossistes multimarques des produits Shell.
En ce qui concerne Mobil :
Solumi a allégué que Mobil aurait toujours refusé de la livrer. Il s'agirait de refus verbaux. Le directeur des ventes nationales Mobil a déclaré n'avoir jamais reçu de demande émanant de Solumi.
Solumi a indiqué, par ailleurs, avoir déposé plainte avec constitution de partie civile en mars 1979 auprès du juge d'instruction du Tribunal de Nanterre fondée sur les dispositions de l'article 37 de l'ordonnance n° 37-1193 du 27 décembre 1973 et de l'article 37 de l'ordonnance du 30 juin 1945. Cette plainte vise des faits de 1978.
En ce qui concerne BP :
Solumi soutient qu'en 1987 et 1988, elle a demandé à BP de lui communiquer ses conditions de vente et qu'elle n'a obtenu un réponse que le 7 octobre 1988.
La seule demande écrite de barème figurant au dossier est un lettre du 9 septembre 1988 à laquelle il a été répondu le 7 octobre 1988.
En ce qui concerne Labo :
La société des lubrifiants du Midi a soutenu dans sa saisine que la Société Labo ayant refusé d'honorer sa commande, en mars 1986, elle avait saisi en référé le président du Tribunal de commerce de Marseille qui s'était déclaré incompétent ratione loci et avait renvoyé les parties devant le Tribunal de commerce de Nanterre. Sur appel de cette ordonnance, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, par un arrêt du 17 septembre 1986, avait notamment "en tant que de besoin enjoint la société Labo industrie d'honorer sa commande de mars 1986 aux conditions antérieures au besoin sous astreinte de 10 000 francs par jour de retard". Il avait en effet été indiqué à l'audience par les avocats que la commande aurait été livrée, mais aucune pièce du dossier n'attestait une livraison effective. Un recours en interprétation de cet arrêt a été rejeté par décision du 30 décembre 1986 de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence. L'arrêt du 17 septembre 1986 a été cassé et annulé par décision de la Cour de cassation du 3 novembre 1988 au motif que la Cour d'appel d'Aix-en-Provence s'est à tort déclarée compétente ratione loci, les parties ont été renvoyées devant la Cour d'appel de Versailles qui a été saisie par la société des lubrifiants du Midi le 9 février 1989.
D'autres informations concernant la société Labo ont été adressées par Solumi au Conseil de la concurrence le 4 octobre 1988.
Le directeur général adjoint de Labo industrie a précisé que la société des lubrifiants du Midi était, jusqu'en mars 1986, le seul grossiste qui bénéficiait d'un paiement à terme au moyen d'effets de commerce. Par lettre du 24 février 1986, la société des lubrifiants du Midi a fait état de ses difficultés et demandé à Labo industrie de ne pas mettre les effets en circulation et de patienter. Labo industrie a alors soumis la société des lubrifiants du Midi aux mêmes conditions que les autres grossistes, à savoir un règlement préalable. Le litige ayant donné lieu aux procédures judiciaires susrappelées trouve son origine dans la circonstance que le représentant de Labo à Marseille n'était pas au courant des difficultés de Solumi et avait enregistré la commande aux conditions antérieures. Finalement, la commande litigieuse a été honorée. Et Labo a continué à fournir la société des lubrifiants du Midi en exigeant un paiement préalable.
En ce qui concerne Yacco :
A l'appui de sa saisine, Solumi avait enjoint un arrêté de la Cour d'appel de Paris, 5e chambre, en date du 20 mars 1986 confirmant le jugement de première instance condamnant la société Yacco pour refus de vente en septembre 1981. Elle avait également indiqué que la durée du procès a fait que, privée de cette marque pendant plusieurs années, elle ne vendait plus de lubrifiants de la marque Yacco.
En ce qui concerne Castrol :
La société des lubrifiants du Midi a présenté une lettre de la société Burmanh France (Castrol) en date du 1er mars 1984 par laquelle le directeur général de cette société indique à la SARL Sodilub qu'il n'est pas possible de trouver les bases d'un accord entre les deux sociétés. Aux propres dires de Solumi, la SARL Sodilub n'a pas de liens juridiques avec Solumi (pièce 141).
En ce qui concerne Veedol :
Solumi a communiqué une lettre adressée le 9 mars 1988 à la société Veedol en prétendant que la communication de tarif ne répond pas aux exigences de l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
En ce qui concerne Elf :
Dans ses observations en réponse au rapport qui lui a été notifié le 24 juillet 1989, la Société les lubrifiants du Midi fait, pour la première fois, état d'un refus de vente qui lui aurait été opposé en janvier 1984.
D. - L'organisation interne
Solumi soutient que, pour mieux contrôler les grossistes, les sociétés pétrolières font dépendre d'une même direction commerciale les grandes surfaces et les grossistes multimarques.
Il résulte de l'instruction que c'est le cas :
- chez Total, où depuis 1987 la direction des ventes est chargée de la vente de l'ensemble des produits à l'ensemble des clients, à l'exception du réseau ;
- chez Elf-Antar, où la direction "Réseau" assure, pour l'essentiel, la fourniture des lubrifiants Elf et Antar aux stations-service, garages, concessionnaires, grossistes et grandes surfaces ;
- chez Mobil, où depuis 1977-1978 - époque à laquelle Mobil a commencé à vendre aux grandes surfaces - une même direction s'occupe de la distribution, notamment des lubrifiants, aux grandes surfaces et aux grossistes panacheurs ;
- chez BP, où après la création en 1982 d'une force de vente "Grandes Surfaces" la même personne est responsable des ventes aux grandes surfaces et aux grossistes panacheurs ;
- chez Esso, où à l'intérieur de la direction des lubrifiants, créée en 1986, la direction des ventes organise la distribution aux grandes surfaces et aux grossistes panacheurs ;
- chez Shell, où la même personne a la responsabilité de la vente aux grossistes multimarques et aux grandes surfaces.
E. - Les modifications de tarifs
En premier lieu, Solumi fait valoir la circonstance que les hausses de tarifs des sociétés pétrolières se font dans le même temps. Elle fournit à cet égard les dates des hausses de 1984 et 1989.
En second lieu, elle soutient que ces hausses sont appliquées plus tardivement aux grandes surfaces. Le décalage varie en fait de deux semaines (BP) à quatre mois (Elf).
Les responsables des sociétés pétrolières interrogés ont précisé que le décalage s'expliquait par les clauses contractuelles en matière de préavis (Total et Elf), par des motifs informatiques (BP) ou de délai d'acceptation (Mobil). Ils ont également précisé que ce décalage était appliqué soit à l'ensemble de la clientèle (Elf), soit systématiquement aux grossistes panacheurs (Esso, Shell, BP et Mobil), soit aux grossistes qui l'ont demandé (Total).
2. Les rapports entre Total et ses "contractants"
Solumi dénonce une entente entre Total et ses "contractants", en se référant à un document interne au groupe intitulé "Groupe de travail-stratégie lubrifiants automobiles", établi le 25 mai 1983, dans lequel il est suggéré de "limiter la concurrence des contractants vis-à-vis de TCFD, notamment en respectant la clientèle listée des grandes surfaces livrées en direct".
II. - A LA LUMIERE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Considérant que ceux des faits ci-dessus décrits qui sont antérieurs à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 1er décembre 1986 doivent être appréciés au regard des dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 qui demeurent applicables en l'espèce ;
Sur la procédure :
Considérant qu'à la suite de l'arrêt de la première chambre de la Cour d'appel de Paris en date du 17 décembre 1987 réformant la décision n° 87-D-17 du Conseil de la concurrence du 24 juin 1987, un rapporteur a été désigné qui, d'une part, a fait produire l'ensemble des enquêtes administratives, accompagnées de leurs annexes, effectuées par la Direction nationale des enquêtes sur les pratiques suivies par les sociétés pétrolières en matière de distribution de lubrifiants et qui, d'autre part, a entendu les principaux intéressés ; qu'un rapport a été établi analysant l'ensemble des faits soumis à l'appréciation du conseil ; que le rapport a été notifié à Solumi qui a disposé d'un délai de deux mois pour présenter ses observations ; que le conseil dispose ainsi d'un dossier complet pour se prononcer sur la demande de la société des lubrifiants du Midi, sans qu'il soit besoin d'ordonner un complément d'instruction ;
Sur la prescription :
Considérant que, par lettre du 8 février 1985, la Société les lubrifiants du Midi a demandé à la Commission de la concurrence de ses saisir d'office de la situation de la concurrence sur le marché de la distribution des lubrifiants ; que cette lettre a interrompu le cours de la prescription ; qu'en conséquence, les faits antérieurs au 8 février 1982 ne peuvent valablement être qualifiés par le Conseil de la concurrence ; que, en revanche, les actes destinés à faire sanctionner par le juge pénal des refus de vente ou des pratiques discriminatoires n'ont pas eu pour effet d'interrompre le cours de la prescription devant la Commission de la concurrence, ou devant le Conseil de la concurrence, dès lors qu'ils ne visaient pas la poursuite et la sanction de pratiques entrant dans le champ d'application de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ;
Sur la violation du premier alinéa de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945, de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de l'article 85-1 du traité de Rome :
En ce qui concerne le parallélisme de comportements :
Considérant que la constatation d'un parallélisme de comportements, lorsqu'il n'est pas établi que ce parallélisme ne peut s'expliquer autrement que par une entente tacite, est insuffisante pour établir l'existence d'une pratique prohibée par les dispositions des ordonnances susvisées ;
Considérant qu'en ce qui concerne les tarifs des sociétés pétrolières, les pratiques dénoncées ne sont pas identiques ; qu'ainsi il peut y avoir un tarif unique comme c'est le cas de Total, Esso, Labo ou des tarifs différents suivant les canaux de vente ; que les pratiques dénoncées par Solumi en matière de remises sont couvertes par la prescription, certaines pratiques de Shell notamment, ou concernent des années différentes selon les intervenants, 1984 et 1989 pour Total, 1985 pour Esso, 1986 pour Elf-Antar, 1988 pour Shell, 1989 pour Labo ; qu'il s'agit de pratiques différentes les unes des autres : remontée du tonnage pour bénéficier des remises chez Total, absence de code barre sur les bidons destinés aux grossistes chez Labo, prix plus élevés chez Esso et Elf ; qu'en ce qui concerne les conditions de paiement, certains intervenants - Shell et Mobil - proposent à tous leurs clients les mêmes conditions alors que d'autres exigent des grossistes des garanties supplémentaires ; que si, en 1984, la filiale de Shell, Celor, avait signé avec son principal client un contrat par lequel elle s'engageait à s'aligner sur les prix de la concurrence, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que les autres sociétés pétrolières aient pris le même engagement ; que si Solumi a dénoncé, à la suite de la communication du rapport administratif consacré à la Société Esso-SAF, des discriminations aux dépens des grossistes, il ressort de ce rapport que le barème d'écart ou les remises pour transport évité sont neutres, et que les seules discriminations sont relatives aux remises de fin d'année, aux promotions et aux alignements ; que, cependant, ces faits relatifs à l'une des sociétés pétrolières ne peuvent être admis comme élément du parallélisme de comportements dès lors qu'il n'est pas établi que d'autres sociétés se soient livrées aux mêmes pratiques à la même époque ; qu'à supposer que soit établi que le tarif BP destiné aux garagistes et concessionnaires est différent de celui destiné aux grossistes, cette circonstance ne peut être utilement invoquée à l'appui de la dénonciation d'un parallélisme de comportements qui tendrait de la part des sociétés pétrolières à favoriser les grandes surfaces aux dépens des grossistes ; que, dans ces conditions, la société des lubrifiants du Midi n'est pas fondée à soutenir qu'il y a parallélisme de comportements en ce qui concerne les conditions de vente ;
Considérant que, s'agissant des importations, certaines pratiques dénoncées sont couvertes par la prescription comme c'est le cas pour BP et pour Shell pour ce qui concerne la suppression de la fabrication en Belgique du bidon de 2 litre de Shell super 200 ; que les seules pratiques reprochées en matière de prix visent les pratiques d'Esso Nederland en 1985 et d'Antar avant 1986 ; qu'en ce qui concerne la différenciation par les marques, certaines sociétés pétrolières ont une stratégie de groupe en matière de produits sur les plan européen (Total) ou mondial (Esso), alors que d'autres sociétés reconnaissent chercher à lutter contre les importations en créant des produits spécifiques au marché français, Shell par exemple ; que la suppression de la fabrication de certains conditionnements hors de France trouve notamment sa justification dans les différences d'habitudes de consommation entre les pays européens, en ce qui concerne Elf ; qu'enfin, pour d'autres sociétés, chez Mobil par exemple, aucun élément précis relatif à une limitation des importations ne ressort du dossier ; qu'ainsi, les pratiques des sociétés pétrolières, seules visées par ce grief, sont différentes et ne révèlent pas un parallélisme de comportements susceptible d'être qualifié tant au regard des dispositions des ordonnances des 30 juin 1945 et 1er décembre 1986 qu'au regard des dispositions de l'article 85-1 du traité de Rome ;
Considérant que l'instruction n'a pas révélé d'indices d'entente entre sociétés d'un même groupe et appartenant à différents Etats membres de la CEE ;
Considérant qu'en ce qui concerne les refus de vente, les faits allégués concernant Shell, Mobil et Yacco sont couverts par la prescription ; que les faits non prescrits se rapportent à des dates distinctes s'échelonnant entre 1984 et 1988 ; qu'il s'agit soit de refus de vente, soit d'absences, d'insuffisances ou de retards dans la communication des conditions de vente ; qu'enfin, certains des faits dénoncés ne sont établis ni par les pièces du dossier ni par les observations présentées par Solumi - cas de Esso, BP et Castrol-Veedol - que, pour les autres, ils résultent de décisions unilatérales, et non d'une entente entre les producteurs ;
Considérant qu'à supposer même que la similitude dans l'organisation interne des sociétés puisse être considérée comme la manifestation d'une pratique anticoncurrentielle, il est établi par l'instruction que si, dans toutes les sociétés en cause, la même direction a en charge la distribution aux grandes surfaces et aux grossistes multimarques, cette organisation a été mise en place à des dates assez éloignées les unes des autres- par exemple : 1977 pour Mobil et 1986 pour Esso ; que, par ailleurs, des différences existent entre les sociétés, Elf-Antar ayant par exemple regroupé l'ensemble de ses produits dans une seule direction ; que ces constatations ne sont pas remises en cause par les observations présentées par Solumi ;
Considérant que si, dans une lettre adressée au rapporteur au cours de l'instruction, Solumi allègue une entente entre les compagnies pétrolières sur les dates d'entrée en vigueur des hausses de tarif, les documents fournis à l'appui de cette allégation ne sont pas probants ; qu'en tout état de cause, le fait que les compagnies auraient simultanément augmenté leurs tarifs est sans portée sur la pratique dont Solumi a saisi le conseil et qui concerne la volonté des producteurs d'éliminer les grossistes multimarques du marché des grandes surfaces ;
Considérant que, si les sociétés pétrolières diffèrent la date d'entrée en vigueur des hausses de tarifs, ce différé est variable d'une société à l'autre ; qu'au surplus, il résulte de l'instruction et il n'est pas valablement contesté que le même différé est applicable selon les sociétés, soit à l'ensemble de la clientèle, soit à l'ensemble de la grande distribution ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les pratiques dénoncées sont distinctes ainsi que leur date d'application; que certaines ne concernent que les sociétés pétrolière alors que d'autres concernent également les industriels du graissage ; qu'ainsi sur aucune des séries de pratiques dénoncées ne peut être observé un parallélisme de comportements ; qu'en outre aucun élément du dossier ne permet d'établir une entente tacite ou explicite entre les sociétés pétrolières quant à leurs relations entre les grossistes.
En ce qui concerne les rapports entre Total et ses "contractants" :
Considérant que la proposition, pour limiter la concurrence entre TCFD et les contractants Total, de respecter "la clientèle listée des grandes surfaces livrées en direct" émane d'un groupe de travail au sein du groupe Total ; qu'il n'est établi ni que les contractants aient été d'accord avec le but poursuivi par T.C.F.D. ni qu'ils aient mis en œuvre cette recommandation ; que, par ailleurs, aucun élément du dossier ne permet de qualifier, au regard des dispositions du premier alinéa de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ou de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les pratiques de Total vis-à-vis de ses contractants ;
Sur la violation du dernier alinéa de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945, et de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :
Considérant qu'il résulte des constatations ci-dessus (I) que les parts de marché des sociétés pétrolières sont voisines, et qu'en 1988, Elf-Antar, qui en a la plus forte, couvre 13,60 p. 100 des ventes ; que, dans ces conditions, aucune société pétrolière ne détient une position dominante sur ce marché ;
Considérant que,pour que plusieurs entreprises simultanément présentes sur un même marché puissent être considérées comme un groupe d'entreprises détenant une position dominante, il faut qu'il existe un lien entre elles; que, d'une part, les sociétés pétrolières considérées n'appartiennent pas à un groupe financièrement intégré ; que, d'autre part, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'aucun élément du dossier ne permet d'établir qu'elles se sont entendues pour coordonner leur politique commerciale; que,dès lors, elles ne peuvent être regardées comme détenant en l'espèce une position dominante collective ;
Considérant enfin que la société des lubrifiants du Midi a soutenu qu'étant un grossiste panacheur, elle était en état de dépendance économique vis-à-vis de l'ensemble des fournisseurs ; que ne peuvent être qualifiées au titre de l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique que les pratiques postérieures à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'en ce qui concerne ces dernières, il ne peut être allégué un état de dépendance conjointe, en présence de fournisseurs indépendants dont il ne résulte pas des pièces du dossier qu'ils se soient entendus ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les faits rapportés au B du I de la présente décision ne sont pas constitutifs de l'une des pratiques prohibées par l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945, par les articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisées, et par l'article 85 (§ 1) du traité de Rome ;
Décide :
Article unique. Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.