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Décisions

Conseil Conc., 25 mai 1999, n° 99-D-32

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de certains articles de papeterie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. Guérin, par Mme Pasturel, vice-présidente, présidant la séance, , MM. Lasserre, Piot, membres.

Conseil Conc. n° 99-D-32

25 mai 1999

Le Conseil de la concurrence (section IV),

Vu la lettre enregistrée le 21 décembre 1993 sous le n° F 731 par laquelle le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées dans le secteur de la distribution de certains articles de papeterie ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié pris pour son application ; Vu les observations présentées par les sociétés Exacompta, Courteille et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Exacompta et Courteille entendus; Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du rapporteur général; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés;

I. - Constatations

A. - Les produits et les opérateurs

Selon les termes d'une étude de filière réalisée à la demande de la Fédération des industries papetières, les produits dits de papeterie peuvent être classés en plusieurs " familles " qui groupent des gammes de produits variés utilisés pour l'équipement de bureau professionnel ou domestique, les activités scolaires ou de loisirs : familles " papier " (papiers en ramette, pour dessin, " listings ", d'emballage, d'hygiène et d'entretien), " façonnés " (blocs de correspondances, enveloppes et pochettes, cahiers, carnets, répertoires, feuillets, copies, fiches bristol, manifolds, registres, piqûres comptables, bobines pour machines de bureau, agendas et articles millésimés), " écrire et corriger " (craies, ardoises, crayons graphites et couleurs, porte-mines et mines, stylos, marqueurs, gommes et produits de correction), " dessin et loisirs " (instruments de traçage et mesure, mobilier de dessin et tous les produits destinés aux beaux-arts ), " classement " (classeurs, relieurs informatiques, dossiers suspendus, étagères, blocs de classement, parapheurs, trieurs), " matériel pour l'école et le bureau " (colles, étiquettes, agrafages, perforateurs, reliures, films pour rétroprojection, ficelles, sous-main), " consommables bureautiques et informatiques " (accessoires informatiques, toners, rubans) et " carterie " (cartes postales, cartes et carnets de voeux, emballages cadeaux, étiquettes fantaisie, invitations, faire-part, menus, albums).

Les pratiques examinées ci-après, pour les années 1991 à 1993, concernent le secteur de la production et de la distribution de certains " façonnés " (agendas, manifolds, registres). Les manifolds sont des cahiers de papiers autocopiant essentiellement utilisés à des fins professionnelles par des artisans ou commerçants : carnets de commande, devis, notes de frais, reçus, cahiers de livraison, de messages, factures. Les registres sont des cahiers organisés de façon à faciliter la consignation et la conservation par l'utilisateur d'une écriture obligatoire : la taille et le nombre de lignes ou de colonnes différencient les registres selon leur destination. L'obligation de tenir des documents écrits résulte de dispositions légales régissant l'activité de certains opérateurs économiques : tout commerçant doit tenir un " livre d'inventaire " et un " livre journal " retraçant les opérations comptables effectuées ; les sociétés commerciales ont l'obligation de tenir un registre de présence aux assemblées générales ou aux conseils d'administration, un registre des délibérations adoptées à ces occasions, un registre des mouvements de titres et des ordres de mouvements. Toutes les entreprises doivent avoir un registre des personnels, des vacances et absences, des payes. La famille des " façonnés " comprend également des cahiers classiques dont l'usage principal, mais non exclusif, est scolaire.

Selon l'étude précitée, on dénombrait en France, pendant la période couverte par les investigations, environ 450 offreurs : fabricants, filiales de fabricants étrangers, importateurs exclusifs de produits de papeteries. L'ensemble de leurs ventes représentait environ 16 700 millions de francs en 1991 et 17 000 millions en 1994. Le secteur se caractérise par un nombre important de petites entreprises : 80 % du nombre total d'opérateurs ne réalisaient que 31 % des ventes d'articles de papeterie, alors que moins de 5 % réalisaient un chiffre d'affaires supérieur à 200 millions de francs représentant plus de 45 % des ventes totales. Les importations représentent 28 % des produits de papeterie consommés et 28 % de la production française est exportée.

Dans le secteur de la papeterie comptable et des registres, les statistiques de la fédération des articles de papeterie montrent que 21 fabricants opéraient dans ce secteur en 1991 pour un chiffre d'affaires de 734 millions de francs ; en 1994, ils n'étaient plus que sept réalisant un chiffre d'affaires total de 279 millions.

La distribution des " façonnés " jusqu'aux utilisateurs finaux est réalisée par l'intermédiaire d'une soixantaine de grossistes, la plupart de petite taille (moins de 20 millions de francs de chiffre d'affaires, moins d'une dizaine réalisant plus de 40 % du chiffre d'affaires de la profession). Certains grossistes sont réunis au sein de groupements d'achats tels Nordipa, auquel appartenait la société Courteille avant d'être absorbée, à compter du 1er janvier 1997, par la société Nordipa SA. Les " spécialistes du bureau " ou " fournituristes " sont des grossistes réalisant plus de 50 % de leur chiffre d'affaires dans l'approvisionnement des utilisateurs professionnels. Si plus de mille entreprises appartenant à cette dernière catégorie ont été dénombrées, 0,5 % d'entre elles seulement ont un chiffre d'affaires dépassant 200 millions de francs. La part des produits de papeterie représenterait environ 69 % de leur chiffre d'affaires, part qui irait en décroissant au profit de celle des ventes de matériel bureautique et informatique. Les " façonnés " représenteraient environ 18,5 % des ventes d'articles de papeterie.

Les grossistes assurent 8 % de l'approvisionnement des formes modernes de distribution (grandes et moyennes surfaces), 8,5 %, de celui des fournituristes et 25 % de celui des détaillants. C'est dans ce dernier secteur que la baisse de la part des approvisionnements a été la plus sensible en raison de la diminution des détaillants peu spécialisés et du renforcement du rôle des groupements.

Au stade final, les produits de papeterie utilisés par les ménages empruntent deux circuits de distribution : celui des détaillants traditionnels et celui des grandes et moyennes surfaces. Les détaillants spécialisés représentent environ 30 % du chiffre d'affaires papeterie du commerce de détail. Le nombre de points de vente se réduit et l'activité du secteur baisse. Un regroupement au sein de centrales d'achats peut être observé (par exemple : Plein Ciel : 330 adhérents ; Majuscule : 150 adhérents). Les ventes de " façonnés " représenteraient environ 31 % du chiffre d'affaires papeterie de cette catégorie d'opérateurs qui reste le circuit " leader " de distribution de ce type de produit.

b. - Le " groupe " des Etablissements Charles Nusse

Ce " groupe " a vu le jour en 1926. En 1995, a été créée la société " holding " Exacompta-Clairefontaine, qui détient la totalité du capital des filiales de premier rang (Exacompta, Clairefontaine et Ateliers de fabrication des agendas AFA), et qui s'interpose entre les Etablissements Charles Nusse et ces dernières. Certaines sociétés ont été cédées (Bellegarde), et d'autres achetées (Lavigne, Manuclass, Evertold). Le groupe Exacompta est à la fois producteur de papiers et de produits de transformation à base de papier ; il est organisé en fonction des canaux de distribution : les sociétés Clairefontaine et Exacompta approvisionnent les papetiers détaillants, les fournituristes, les vendeurs par correspondance et, subsidiairement, les grossistes en " façonnés " ; certains catalogues sont communs aux deux sociétés. La société Exacompta, dont le président du conseil d'administration est M. François Nusse, avait réalisé en 1993 un chiffre d'affaires de 420,5 millions de francs ; la société Les Registres Le Dauphin a été acquise à la fin de l'année 1993, elle est une filiale à 100 % de la société Exacompta et a le même président. Depuis cette acquisition, la société Les Registres Le Dauphin fabrique des articles façonnés en sous-traitance pour l'ensemble du groupe : répertoires, carnets de note (Lalo), des blocs ou des registres (Exacompta), des cartons à dessin (Sill), des fiches planning (Flambo). Le chiffre d'affaires réalisé en 1993 par cette société s'est élevé à 109 millions de francs ; la société Calligraphe vend essentiellement aux grossistes scolaires des articles destinés au dessin et aux travaux artistiques, alors que la société Sill vend des cahiers et copies aux grandes et moyennes surfaces (GMS) ; la société Flambo vend des articles de bureau (classement) à la fois à Sill et aux détaillants papetiers ; Les Ateliers de fabrication des agendas (AFA) fabriquent ces produits pour l'ensemble des sociétés du groupe : des agendas scolaires pour Clairefontaine, des agendas vendus en grandes et moyennes surfaces pour Sill, les agendas Le Mignon (Registres le Dauphin) et Exacompta.

Les sociétés Exacompta, Flambo et Clairefontaine ont une force de vente commune composée, au moment des faits, de 38 représentants. La société Registres Le Dauphin, qui commercialise la même gamme de produits qu'Exacompta, a conservé une force de vente propre composée de quatorze représentants. En revanche, les dépôts de Lyon, Bordeaux et Paris ont été réunis afin de réduire les coûts de distribution.

c. - Les marchés

Les produits composant les " familles " de " la filière papeterie en France " correspondent à des utilisations voisines mais ils ne sont pas complètement substituables entre eux. L'offre des fabricants est segmentée par familles de produits comme indiqué dans l'étude de la fédération professionnelle précitée. De plus, les fabricants de façonnés se cantonnent rarement à la commercialisation des seuls produits qu'ils fabriquent : pour satisfaire à la demande, ils doivent proposer une large gamme de produits, ainsi que le montrent catalogues et conditions de vente. Près des deux tiers de la distribution des produits de papeterie est assurée par les détaillants traditionnels auprès desquels les utilisateurs ont l'assurance de trouver une plus ou moins large gamme de fournitures : buralistes, papetiers de proximité, spécialistes. Grands magasins ou grandes et moyennes surfaces alimentaires ont toujours un rayon papeterie individualisé, mais qui comprend une variété d'articles moindre que celle des spécialistes, et dont certaines catégories de produits, tels les registres et piqûres, sont généralement absents.

Pour l'utilisateur final, la substituabilité des produits entre familles ou même à l'intérieur d'une famille est faible. Ainsi, au sein de la famille des façonnés, l'utilisateur final distingue plusieurs produits non substituables entre eux, qui constituent des marchés pertinents au sens du droit de la concurrence : enveloppes, cahiers, copies, agendas, etc. Certains façonnés ont cependant des substituts tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de leur propre famille de produits. Tel est le cas des registres, dans la mesure où la consignation d'une information légalement élaborée et conservée peut être assurée par d'autres moyens que les supports papiers. L'utilisateur potentiel d'un registre peut parfois, en effet, être placé en situation de choix entre un support papier ou un support informatique, certains logiciels étant légalement substituables aux registres traditionnels. La substituabilité entre registres et logiciels est cependant imparfaite, en raison de la différence importante de prix, du caractère quasiment irréversible de la décision d'investir dans un logiciel (et un ordinateur), et du fait que la tenue de registres papiers reste, dans certains cas, obligatoire.

Dès lors, le marché concerné est celui des registres et piqûres.

Sur ce marché, la société Exacompta réalisait environ 89 % des ventes entre 1991 et 1993. M. François Nusse a déclaré : " Pour les registres et piqûres, Exacompta détient (y compris Le Dauphin) une part du marché d'environ 70 % de la vente par le circuit papeterie et nous sommes les leaders sur ce créneau. Notre principal concurrent est Lebon et Vernay. Pour les manifolds Exacompta représente 60 % de part du marché national ". M. Donadille, directeur commercial de la société Exacompta, et M. Kouskoff, directeur des ventes de la société Les Registres le Dauphin, ont confirmé ces déclarations ".

M. Frankel, de la société Plein Ciel, a déclaré : " Sur le créneau des registres et piqûres, Exacompta est le leader en France. Il représente 80 % des parts de marché avec Le Dauphin ". M. Le Révérend, de la société Distributeurs Associés, a confirmé que : " Pour les registres, il s'agit des registres Le Dauphin et Exacompta. Sur ce produit Exacompta est un fournisseur incontournable " ; de même, ont déclaré M. Sigougneau, de la société Euroburo : " Pour les registres et piqûres, j'ai un fournisseur quasi exclusif qui est le groupe Exacompta... il est incontournable puisque très peu concurrencé ", Mme Galey, de la société Fourni-Bureau : " Sur le créneau des registres et piqûres, je traite principalement avec Exacompta et avec sa filiale Le Dauphin de façon marginale pour le motif qu'il n'y a pas de concurrents " et M. Douet, de la société Papeterie Gambetta : " Pour la gamme des registres et piqûres j'ai un fournisseur quasi exclusif Exacompta... il n'y a pas de concurrents dans cette gamme de produits ".

d. - Les pratiques

La société Exacompta emploie une quarantaine de représentants sur le territoire national et dispose de dépôts à Bordeaux, Etival, Lyon, Marseille, Perpignan et Toulouse au départ desquels elle livre ses clients détaillants. Dans le Nord et l'Ouest de la France, où elle ne possède pas de dépôt, la distribution est assurée soit directement depuis Paris, soit par l'intermédiaire de grossistes appartenant à une chaîne dénommée Nordipa.

Elle édite chaque année un catalogue exclusivement destiné aux professionnels sous la double marque Exacompta et Flambo. Ce document présente l'ensemble des productions de ces sociétés soit plus de 2000 références classées par famille, et précise le tarif de base applicable. Les piqûres appartiennent aux " familles " A et B, les manifolds aux " familles " E et F et les agendas aux " familles " K et W.

Les conditions générales de vente et les conditions tarifaires de la société Exacompta sont uniques et ne distinguent pas selon l'activité (grossiste, fournituriste, détaillant) du client. Certains clients ont toutefois constitué des groupements d'achats qui leur permettent d'obtenir des conditions plus avantageuses différenciées selon qu'ils disposent ou non d'une plate-forme, et remplissent de la sorte la fonction de grossiste, ou sont une simple centrale de référencement. Le prix de base des produits vendus par la société Exacompta est celui indiqué dans le catalogue Exacompta-Flambo. Deux sortes de remises peuvent cependant venir en déduction de ce prix : les remises dites quantitatives et celles dites qualitatives ; par ailleurs, des remises de fin d'année sont accordées à certaines catégories de clients. Les prix portés sur les factures sont toujours des prix nets des remises dont le niveau n'est pas indiqué.

Les remises quantitatives sont octroyées en fonction des quantités commandées et elles varient selon les familles. Selon les déclarations de M. François Nusse aucune remise quantitative n'est accordée pour les familles A et B (registres, piqûres, certains cahiers). L'instruction n'a pas permis d'établir l'existence de remises quantitatives pour les produits appartenant aux familles D (matériels de bureau tels les punaises, attaches...), E (carnets de chantier, blocs de bridge...), I (albums photo...) et Z (intercalaires de marque Flambo).

Les remises qualitatives sont la contrepartie de la fidélité d'un client à la marque. Le niveau de remise qualitative accordé est fonction des perspectives d'achat d'un client pour la période future et il est négocié, en début de période, entre le client et le représentant du fournisseur. Ce dernier dispose d'un barème de chiffre d'affaires, codé au moyen d'un système de lettres et qui n'est pas communiqué au client, à partir duquel il détermine le montant de remise qualitative appliqué directement sur facture. Pour un client " ordinaire ", c'est-à-dire passant une commande directe à un représentant, elle est de 20 % sur certaines familles de produits (niveau 7). Sur les registres, la remise maximale pouvant être obtenue est de 5 % aux détaillants, 10 % aux fournituristes et 15 % aux grossistes.

Enfin, les remises de fin d'année, avaient, avant l'année 1993, " pour but de fidéliser [nos] meilleurs clients papetiers à l'ensemble de [nos] produits en leur proposant une remise forte sur les catégories d'articles qu'ils ne suivent pas encore chez nous grâce à une ristourne sur l'ensemble du chiffre d'affaires ". Elles étaient accordées aux seuls papetiers détaillants. Ce mécanisme a été étendu en 1993 aux fournituristes. Comme l'indique M. François Nusse dans une lettre du 19 mai 1994 adressée à la Direction nationale des enquêtes de concurrence " ce type de RFA n'est proposé à aucun de nos gros clients pour lesquels il serait trop aisé d'obtenir les chiffres nécessaires dans chaque famille d'articles et qui, par ailleurs, bénéficient de remises très substantielles en fonction de leur volume d'achat ".

Le mode de détermination de cette remise tient compte du chiffre d'affaires réalisé par les clients dans chacune des familles de produits. Ce système, qui conduit à l'octroi d'une remise maximale de 3 %, tend à favoriser l'élargissement de la gamme commandée. Dans la lettre précitée du 19 mai 1994, la remise de fin d'année est présentée comme " une prime de fidélité à tous les clients petits et moyens qui font avec notre maison un chiffre significatif dans un certain nombre de familles d'articles ". Pour l'année 1993, aucun client n'a bénéficié de la formule " fournituriste " contre 36 ayant bénéficié de la formule " papetiers ". La première a été supprimée en 1994.

La société Exacompta a fait valoir dans ses observations que : " Les grossistes bénéficient également de remises dites de " fin d'année " qui recouvrent en fait une réalité différente, plus proche d'une ristourne hors facture. Les grossistes se trouvent en situation de négocier avec Exacompta des remises globales, dans le cadre de discussions périodiques {.} Tous les grossistes bénéficient soit d'une telle remise de fin d'année, soit d'une participation financière d'Exacompta à leur catalogue. Cela démontre le rôle central que jouent les grossistes pour Exacompta {.} Un grossiste importateur bénéficie de 15 % de remises sur les registres et piqûres - par exemple Nordipa-Courteille - alors qu'un détaillant a des difficultés pour obtenir un prix inférieur au catalogue Exacompta ".

M. Patoux, directeur général de la société Courteille, a déclaré le 6 mai 1994 que cette société " dans ses relations avec Exacompta évite les conflits entre les deux forces de vente respectives. les représentants de Courteille ne font pas de concurrence à ceux d'Exacompta ", ceci se traduisant notamment par " l'absence de surenchère de remises ". De son côté, M. Gilles Nusse, responsable du département Agenda de la société Exacompta, écrivait, dans une lettre du 3 mars 1994 à la centrale d'achats Distributeurs Associés, qu'il était nécessaire " de définir les stratégies réciproques et les cibles de chacun dans une bonne entente, comme cela se passe déjà sur la Seine-Maritime ".

Ainsi qu'il ressort d'un tableau établi par les sociétés Exacompta et Courteille à l'appui de leurs observations, les prix des produits Exacompta vendus par la société Courteille à des clients également livrés directement par la société Exacompta sont égaux ou supérieurs à ceux de la société Exacompta. La comparaison des facturations faites par chacune des deux sociétés aux distributeurs de l'échantillon retenu ne montre pas de différences quantitatives systématiques et importantes au profit de l'un ou l'autre fournisseur. Dans certains cas, la société Exacompta a même procédé à des livraisons inférieures en volume à celles de son grossiste. Les dates de facturation de ces livraisons sont parfois très proches sinon identiques.

Deux griefs ont été notifiés puis finalement retenus par le rapporteur, à partir des constatations ci-avant relatées : un grief d'entente entre les sociétés Exacompta et Courteille " pour avoir tacitement convenu de limiter entre elles la concurrence par les prix et s'être réparti le marché de la fourniture de produits de marque Exacompta aux détaillants dans le département de la Seine-Maritime " et un grief d'abus de position dominante à la société Exacompta " pour avoir instauré et mis en pratique un régime de remises de fin d'année à usage des seuls détaillants, en excluant de son bénéfice les grossistes qui étaient pourtant habituellement soumis aux mêmes conditions tarifaires que les détaillants. "

II. - Sur la base des constatations qui précèdent, le Conseil,

Sur le grief d'entente :

Considérant qu'un fournisseur est libre d'organiser comme il l'entend la distribution de ses produits et peut décider de recourir aux services de grossistes pour démarcher certains points de vente tout en assurant lui-même l'approvisionnement d'autres distributeurs, dès lors que cette répartition des tâches n'a ni pour objet ni pour effet de restreindre le jeu de la concurrence sur le marché ; qu'en l'espèce, la société Exacompta, qui disposait d'une force de vente et d'un système de livraison périodique à ses clients importants de Seine-Maritime par camions au départ de ses dépôts de la région parisienne, pouvait licitement confier la distribution de ses produits aux détaillants passant des commandes de moindre importance à un grossiste local, la société Courteille, qui était mieux à même d'assurer des petites livraisons, plus rapprochées ; qu'une telle répartition des tâches avait pour objet la rationalisation de la distribution et qu'elle permettait aux détaillants de Seine-Maritime de pouvoir choisir, en fonction de leur politique commerciale, entre deux offreurs de produits de marque Exacompta ;

Considérant que les déclarations de M. Patoux, selon lesquelles " les représentants de Courteille ne font pas de concurrence à ceux d'Exacompta ", et la lettre de M. Nusse, estimant nécessaire de " définir les stratégies réciproques et les cibles de chacun dans une bonne entente ", font écho au partage des missions licitement convenu entre les sociétés Exacompta et Courteille et visent l'application concrète qui en était faite par les représentants du fournisseur et du grossiste dans leurs relations avec la clientèle des détaillants ; qu'elles ne doivent pas être prises comme une référence à des comportements prohibés par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant, d'ailleurs, que la société Exacompta a produit, à l'appui de son mémoire en réponse, la copie de factures établies de novembre 1992 à novembre 1993 par elle-même et par la société Courteille pour des livraisons effectuées à six détaillants qu'elles avaient approvisionnés l'une et l'autre ;

Considérant, il est vrai, que sur les treize références de produits Exacompta dont ces documents font état, il apparaît que les prix de vente de la société Courteille sont identiques dans trois cas et toujours supérieurs dans les dix autres à ceux de la société Exacompta alors que les quantités livrées par les deux fournisseurs sont comparables et que la société Exacompta a même procédé, dans certains cas, à des livraisons inférieures en volume à celles de son grossiste ;

Mais considérant que les prix de vente sur facture aux détaillants, pratiqués par la société Exacompta comme par la société Courteille, ne prennent pas en compte les ristournes hors facture éventuellement accordées ; qu'en tout état de cause, et à supposer que les prix de vente " nets nets " de la société Courteille aient été soit égaux, soit supérieurs à ceux de la société Exacompta, ce fait pourrait s'expliquer par le service supplémentaire, et en tout cas différent de celui de la société Exacompta, que rend la société Courteille à ses clients en étant à même d'assurer la livraison de leurs commandes de faible importance, à une fréquence plus élevée ou à la demande <B/>;

Considérant, dès lors, qu' il n'est pas établi que, dans le cadre de la répartition des tâches que les sociétés Courteille et Exacompta avaient choisi pour distribuer les produits de marque Exacompta dans la Seine-Maritime, elles se soient concertées pour restreindre la concurrence par les prix qu'elles pouvaient se faire ;

Sur le grief d'abus de la position dominante :

Considérant qu'il n'est pas contesté que la société Exacompta occupe une position dominante sur le marché des registres et piqûres et qu'elle applique des remises différenciées aux grossistes et aux détaillants, ces derniers pouvant bénéficier d'une catégorie spéciale de remise dite de " fin d'année " sous réserve d'un élargissement de la gamme commandée ;

Considérant que le fait pour un fournisseur d'accorder des remises qualitatives différenciées en fonction des stades de distribution et des services rendus à chacun de ces stades n'est pas en soi une pratique prohibée par l'ordonnance du 1er décembre 1986, si les conditions d'obtention de ces remises n'excluent pas des entreprises qui seraient prêtes à fournir les services requis, si elles sont définies de façon objective, appliquées de façon non discriminatoire et n'ont pas pour objet ou pour effet de limiter la liberté des commerçants de déterminer de façon autonome leur politique de prix de vente ;

Considérant que les remises de fin d'année dont il s'agit satisfont à ces conditions ; qu' en effet, comme en convient le commissaire du Gouvernement, elles sont la contrepartie d'un service spécifique rendu par les détaillants à leur fournisseur en présentant à la vente une gamme élargie de produits Exacompta, les grossistes devant au contraire, de par leur fonction même, pouvoir offrir aux détaillants un grand nombre de références ; que les remises quantitatives et qualitatives consenties aux grossistes ne bénéficient pas de manière significative aux détaillants, compte tenu de leurs volumes de vente et que, dès lors, l'octroi à ces derniers de remises de fin d'année en fonction de la diversification des gammes de produits offerts à la vente constitue, comme l'observe la société Exacompta, un outil de promotion des ventes adapté à leur statut ; que les conditions d'attribution de ces remises sont définies de façon objective et qu'aucun élément du dossier ne permet de penser qu'elles auraient été appliquées de façon discriminatoire, notamment en excluant de leur bénéfice des entreprises susceptibles de fournir le même service, ou qu'elles limiteraient la liberté des détaillants d'établir leur politique commerciale de façon autonome ;

Considérant en conséquence qu' il n'est pas établi que l'octroi par la société Exacompta de remises spécifiques à ses seuls clients détaillants, visant à favoriser de leur part l'achat de gammes plus larges de produits Exacompta, ait eu pour objet ou ait pu avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché ,

Décide :

Article unique : Il n'est établi ni que les société Exacompta et Courteille aient enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ni que la société Exacompta ait enfreint les dispositions de l'article 8 de ladite ordonnance.