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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 11 mars 1993, n° ECOC9310046X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

France Loisirs (SARL), Grand Livre du Mois (SA), Editions Gallimard (SA), Syndicat des écrivains de langue française, Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

Mme Ezratty

Présidents :

MM. Feuillard, Borra, Mme Aubert

Conseiller :

Mme Nerondat

Avoués :

Me Blin, SCP Gaultier-Kistner

Avocats :

SCP Fourgoux, Mes Berlin, Laude, Zylberstein

CA Paris n° ECOC9310046X

11 mars 1993

Par arrêt du 10 mars 1992, la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, a cassé l'arrêt rendu le 21 mai 1990 par la cour de céans, lequel avait rejeté le recours formé par la société France-Loisirs contre la décision du Conseil de la concurrence n° 89-D-41, en date du 28 novembre 1989, relative à la situation de la concurrence dans le secteur de la vente de livres par " clubs ".

Par sa décision du 28 novembre 1989, le conseil a:

Enjoint:

- à la société France-Loisirs de modifier ses contrats de cession de droits afin, d'une part, de limiter l'application de la clause d'exclusivité aux seules ventes par abonnement, correspondance et courtage et, d'autre part, de supprimer la clause par laquelle l'éditeur s'engage à refuser toute demande de solde et d'offre publicitaire émanant d'un autre club pendant la période d'exclusivité;

- à la société des Editions Gallimard de supprimer toute clause contractuelle obligeant un club à vendre un ouvrage au prix éditeur au-delà du neuvième mois après la première publication;

Infligé à la société France-Loisirs une sanction pécuniaire de 20 000 000 F;

Ordonné la publication intégrale de sa décision.

Le conseil a retenu que, sur le marché spécifique de la vente des livres par club, France-Loisirs occupait une position dominante dont elle avait abusé;

D'une part, en introduisant, dans les contrats de cession de droits conclus avec les éditeurs, des clauses d'exclusivité empêchant toutes autres éditions susceptibles de lui faire concurrence et des clauses par lesquelles l'éditeur s'engage à refuser toutes demandes de solde ou d'offre publicitaire de bienvenue émanant d'un autre club ou d'une organisation concurrente pendant la période d'exclusivité;

D'autre part, en intervenant auprès des éditeurs pour empêcher la société Le Grand Livre du Mois (GLM) de vendre à ses adhérents, à prix réduits, des ouvrages également publiés par France-Loisirs, sans que ces pratiques puissent être justifiées au regard des articles 51 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ou 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Par l'arrêt du 21 mai 1990, la cour de céans, pour rejeter le recours, a notamment considéré que le marché de la vente du livre par clubs constitue un marché de référence spécifique, puisque les ouvrages diffusés par les clubs sont sélectionnés, systématiquement reliés et présentés dans des catalogues permettant au lecteur de déterminer ses choix à partir de résumés et critiques, accessibles par correspondance ou dans des boutiques spécialisées, mais, dans tous les cas, réservés à une clientèle d'adhérents ayant délibérément choisi, en contrepartie d'obligations d'achat, ce mode d'accès à la littérature par les facilités qu'il procure, les services qui l'accompagnent et les réductions de prix qu'il propose;

Qu'il résultait de ces caractéristiques spécifiques au produit, à sa clientèle et à son mode de distribution que, pour les consommateurs, les livres offerts à la vente par ce moyen ne sont pas substituables à d'autres.

La cour a encore considéré que, en fonction de la position dominante occupée sur le marché de la vente du livre par clubs par France-Loisirs, du montant de son chiffre d'affaires en France, de la puissance financière du groupe international auquel elle appartient et en raison de la gravité des pratiques incriminées visant à éliminer toute forme de concurrence sur le marché dont s'agit, le Conseil avait fait une juste application des critères (fixation de la sanction en proportion de la gravité des pratiques retenues et de leur incidence économique sur le marché concerné et en fonction de la situation financière de l'entreprise convaincue de pratiques anticoncurrentielles, dans la limite de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires HT réalisé en France au cours du dernier exercice clos) en fixant à 20 MF le montant de la sanction pécuniaire infligée à France Loisirs.

Par son arrêt du 10 mars 1992, la Cour de cassation, statuant sur le pourvoi formé par France-Loisirs et le Syndicat des écrivains de langue française, après avoir déclaré non fondés des moyens de procédure, a dit que la cour d'appel n'avait pas donné de base légale à sa décision en se déterminant:

- d'une part, par des motifs impropres à établir que, eu égard à son objet déterminé par référence au caractère substituable des produits, la vente des livres par clubs formait un marché économique suffisamment identifiable pour être distinct du marché général du livre;

- d'autre part, sans préciser les éléments propres à déterminer le montant maximum de la sanction prévue par l'article 13, alinéa 3, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et sans apprécier s'il existait une proportionnalité entre la peine prononcée et la gravité des faits relevés et le dommage porté à l'économie du marché de référence.

Elle a en conséquence cassé dans toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 21 mai 1990 et a renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

C'est dans ces conditions que l'affaire a été appelée à l'audience de la cour le 4 décembre 1992.

La société France-Loisirs conclut à l'annulation de la décision du Conseil de la concurrence en ce qu'elle a retenu que les clauses des contrats de France-Loisirs avec les éditeurs constituent un abus de position dominante sur le marché de la vente de livres par club, subsidiairement à sa réformation en ce qu'elle a retenu que les clauses sont susceptibles de tomber sous le coup des articles 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, sans pouvoir bénéficier des dispositions des articles, respectivement, 51 et 10 de ces ordonnances, et prononcé une sanction pécuniaire de 20 MF.

Elle réclame la restitution de cette somme, avec les intérêts, et la condamnation du ministre de l'économie aux dépens comprenant les frais de publication.

Elle fait valoir:

Sur la délimitation du marché de référence :

Que, selon l'arrêt du renvoi, sélection des titres, reliure, catalogue, obligation d'achat, vente par correspondance, vente en boutique réservée aux adhérents, services offerts et offres promotionnelles ne peuvent convenir pour caractériser un marché spécifique;

Que des méthodes de commercialisation différentes, spécialement l'obligation d'achat, ne permettent pas de caractériser un marché différent (Paris, 17 janvier 1990);

Que le rapporteur au conseil a lui-même constaté une " relative substituabilité entre la vente par club ou par correspondance et les autres formes de vente ", relevant notamment que " France-Loisirs réalise plus de la moitié de son chiffre d'affaires dans un réseau de points de vente implantés pour partie chez des libraires traditionnels " et que le prix offert par France-Loisirs est considéré généralement comme le principal argument de vente qui tire parti du régime dérogatoire institué en faveur des clubs par la loi sur le prix du livre;

Qu'ainsi, en ce qui concerne tant le prix que la clientèle et les méthodes de vente, la spécificité de la vente par club n'est pas démontrée par l'enquête du conseil, aucun élément d'analyse additionnel n'étant apporté depuis lors;

Sur la position dominante:

Que, sur le marché de la littérature générale, hors livres scolaires, France-Loisirs ne détient que 8,22 p. 100 du marché de l'édition et se trouve en concurrence avec d'autres distributeurs et éditeurs;

Subsidiairement, sur l'application des articles 51 et 10 des ordonnances :

Que la clause d'exclusivité critiquée a permis d'augmenter la diffusion des livres, 32 p. 100 du chiffre de France-Loisirs concernant une clientèle qui lit peu, et que l'accroissement de la productivité et la réduction des coûts de production permettent de maintenir des prix nettement inférieurs à ceux du commerce traditionnel;

Que les consommateurs adhérents de France-Loisirs peuvent accéder à la lecture et se procurer des livres reliés à des prix avantageux;

Que la clause d'exclusivité ne figure pas dans tous les contrats signés avec les éditeurs, puisqu'elle ne concerne que 25 p. 100 des titres;

Que cette clause est indispensable pour tenir compte des risques financiers et de la garantie des droits d'auteurs et est au surplus conforme aux articles 54 et 57 de la loi du 11 mars 1957;

Sur le montant de la sanction:

Que la gravité des faits est relative, puisque les mêmes pratiques seraient licites si elles émanaient d'une société non dominante;

Qu'aucun club ou concurrent n'a été victime des clauses introduites par France-Loisirs dans ses contrats, GLM ne justifiant pas d'une baisse de son chiffre d'affaires et l'activité de France-Loisirs ne s'étant pas développée au détriment des éditions de poche;

Qu'il n'est pas contesté que le conseil avait envisagé de traiter l'affaire au sein de la commission permanente, proposant de limiter la sanction à 0,5 MF.

Par conclusions additionnelles, France-Loisirs précise qu'elle a versé les 12 mars, 17 avril et 28 mai 1990 respectivement 5 MF, 5 MF et 1O MF; que les frais de publication de la décision du conseil dans Le Figaro et Le Monde représentent une somme de 773 118,08 F.

Elle demande donc la restitution de la somme de 20 MF, avec les intérêts à compter de chaque versement, plus le remboursement des frais de publication.

Le syndicat des écrivains de langue française, par conclusions d'intervention volontaire accessoire, demande à la cour d'annuler la décision du conseil en ce qu'elle a retenu l'existence d'un marché spécifique du livre " club " et, subsidiairement, en ce qu'elle a dit que les clauses des contrats intervenus entre France-Loisirs et les éditeurs constituent une position dominante.

Il soutient que, grevée d'un droit moral, l'œuvre littéraire ne peut être assimilée à un produit du marché et que, à supposer qu'il soit justifié d'un marché spécifique de la vente des livres par clubs, l'application de l'article 10, alinéa 1er, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 s'impose face à une éventuelle position dominante. Il affirme que l'interdiction des clauses litigieuses " porte en germe la mort du droit d'auteur ".

La société Le Grand Livre du mois conclut au rejet du recours et réclame contre France-Loisirs 100 000 F au titre de l'article 700 NCPC.

Elle fait valoir:

Sur les pratiques sanctionnables :

Que le "livre club" constitue bien un sous-marché distinct selon les critères traditionnels, puisque les livres vendus sont sélectionnés, ce qui répondant à un besoin supplémentaire de la clientèle et sont proposés à un prix nettement inférieur au prix librairie, que le catalogue apparaît pour l'adhérent du club comme un repère essentiel et l'adhérent, tenu à une obligation minimale d'achat par période de référence, est, pendant cette période, un consommateur captif, que la méthode de commercialisation par correspondance est un élément déterminant dans la mesure surtout où tout un segment de la population n'a pas d'alternative économique raisonnable, la notification des griefs relevant que "les autres formes de vente (...) ne présentent qu'un faible degré de substituabilité";

Que le " livre club " est encore un marché spécifique selon des critères dynamiques, caractérisé par une grande inélasticité de la demande et une inélasticité quasi-totale de l'offre dans la mesure notamment où, d'une part, la clientèle " club " ne se reporte pas indifféremment sur les grandes surfaces ou les librairies, celle de France-Loisirs qui préfère se fournir dans les librairies et points de vente qui lui sont réservés le faisant à partir du catalogue reçu et ayant fait préalablement son choix, d'autre part, il s'agit d'un marché très oligopolistique, sinon étanche, aucun nouvel entrant n'ayant été constaté depuis plus de 20 ans sur ce marché, lequel suppose la constitution et la gestion de stocks très importants, source de frais considérables, la loi du 10 août 1981 ayant institué un régime dérogatoire en faveur des clubs et entériné de la sorte la notion de sous-marchés successifs ou de périodes de consommation distinctes et l'offre actuelle couvrant la quasi-totalité de la demande;

Que France-Loisirs occupe bien une position dominante sur le sous marché pertinent, puisqu'elle a réalisé, en 1987, 78 p. 100 des ventes sur ce marché, GLM ne réalisant elle-même que 14,78 p. 100;

Que l'existence d'abus de cette position dominante n'a pas été remise en cause par la Cour de cassation et n'est pas contredite par des éléments nouveaux apportés par France-Loisirs, l'objet et l'effet des clauses critiquées étant manifestement anticoncurrentiels;

Sur la sanction:

Que les pratiques incriminées ne trouvent aucune cause exonératoire, puisqu'il serait paradoxal de prétendre que le progrès allégué (la plus grande diffusion des livres) serait la conséquence directe de la pratique anticoncurrentielle, qu'il n'y a pas partage équitable du profit avec les consommateurs, que les pratiques ne permettent pas le maintien d'une concurrence efficace et apportent des restrictions qui ne sont nullement indispensables à l'activité de France-Loisirs en raison de la fidélisation de sa clientèle;

Que la sanction prononcée par le conseil est justifiée, sous réserve d'une explicitation de cette justification par la cour en tenant compte de l'objet anticoncurrentiel des clauses qui conduisent à fermer un peu plus le marché aux concurrents potentiels et à éliminer la concurrence par le choix et les prix entre les concurrents existants, le dommage devant être rapporté au manque à gagner de GLM, dont les adhérents ont acheté un nombre moyen de livres en régression entre 1986 et 1989, et apprécié par rapport à la collectivité économique nationale.

La société des Editions Gallimard déclare s'associer à la demande de France-Loisirs et conclut à l'annulation de la décision du conseil, notamment en ce qu'elle comporte des mesures d'injonction et de publication à son encontre.

Elle soutient que, les critères précédemment invoqués par la cour n'ayant pas été retenus par la Cour de cassation, on voit mal sur quels critères la cour pourrait désormais fonder la délimitation d'un marché de la vente de livres par clubs; que la décision du conseil doit être annulée en son entier, les condamnations prononcées contre les deux sociétés étant indivisibles.

Elle ajoute qu'aucune pratique anticoncurrentielle ne peut lui être reprochée, le conseil s'étant saisi d'une seule convention, concernant un seul ouvrage, qui est en réalité un accord vertical passé entre entreprises situées à des stades différents du processus de distribution du livre, et l'ouvrage en question n'ayant jamais été diffusé par France-Loisirs; qu'elle s'efforce au contraire de préserver des relations contractuelles équilibrées avec les deux principaux clubs; que la suppression de la clause critiquée permettrait à GLM de procéder à des offres à prix réduit dès le dixième mois et d'écouler les livres en stock au mépris des intérêts du livre et de l'auteur.

Le ministre de l'économie et des finances observe que:

Il existe bien un marché spécifique du livre club, puisque le livre club, avant d'être un produit, le livre, est un service, produit et service - sélection, catalogues, obligation minimale d'achat - se distinguant radicalement des livres vendus par d'autres canaux; que les conditions de commercialisation accentuent cette spécificité - vente par correspondance, adhésion obligatoire, avantage tarifaire - et que cette spécificité est confirmée par le comportement des professionnels - éditeurs, auteurs et libraires -;

En fixant la sanction pécuniaire à 20 MF, le conseil a justement tenu compte de l'enjeu économique - le chiffre d'affaires de France-Loisirs, qui détient 78 p. 100 du marché du livre par club, a atteint 2 400 MF en 1991 -, de la gravité des pratiques et du rôle déterminant de France Loisirs dans leur mise en œuvre, les clauses incriminées visant explicitement à protéger cette société de toute concurrence à la fois sur le marché du livre-club et sur les marchés périphériques, notamment celui des éditions de poche, et de la puissance économique et financière de France Loisirs, la sanction représentant moins de 2 p. 100 du chiffre d'affaires.

Le Conseil de la concurrence rappelle la grille d'analyse utilisée par les autorités américaines, japonaises et communautaires pour établir si des distributeurs sont en concurrence, c'est-à-dire sur le même marché.

France-Loisirs conclut à l'irrecevabilité, subsidiairement au mal fondé des observations du conseil, ainsi qu'à l'irrecevabilité de GLM à demander confirmation de la sanction pécuniaire et à son mal fondé en ce qui concerne sa demande de confirmation du caractère prétendument abusif des pratiques de France-Loisirs.

Elle réclame contre GLM 50 000 F au titre de l'article 700 NCPC.

Elle prétend que le conseil a déterminé sa prétendue position dominante sans tenir compte du secteur abonnement, courtage et même correspondance, qui représentait, en 1987, 6 KMF, France-Loisirs détenant moins de 36 p. 100 sur ce marché de référence, ce qui démontre l'absence d'une position dominante;

Que ses livres sont identiques et substituables aux livres de poche et aux autres livres non scolaires; que les adhérents de France-Loisirs acquièrent plus de livres à l'extérieur que directement auprès du club; que la sélection des livres n'est pas une spécificité des clubs; que les genres offerts par France-Loisirs sont diversifiés, la littérature générale représentant seulement un peu plus de la moitié; que les ouvrages n'ont pas le même format; que les clubs n'ont pas d'exclusivité des catalogues ou des obligations d'achat;

Que seuls 34 p. 100 de ses ventes sont réalisés par correspondance, 66 p. 100 étant réalisés dans les 187 points de vente du club;

Que sa clientèle reflète la structure de la population française (âge, profession de l'acheteur, catégorie d'agglomération);

Que la demande est fortement élastique pour les livres, comme pour les services de loisirs et la presse, et que l'accès au marché de la vente de livres ne fait pas apparaître des barrières insurmontables;

Que le conseil n'a pas indiqué en quoi une exclusivité à la vente au détail serait susceptible de fausser le jeu de la concurrence;

Que la clause relative aux soldes a été introduite parce que certains éditeurs ne respectaient pas la première clause d'exclusivité.

GLM répond en soulignant que France-Loisirs a déposé ses conclusions et a communiqué une quarantaine de pièces le 30 septembre 1992, alors que la clôture était fixée au 5 octobre, en demandant que ces pièces et conclusions soient déclarées irrecevables et en réfutant les arguments de France-Loisirs au sujet de la recevabilité de ses propres conclusions.

Sur le fond, elle observe que France-Loisirs, en citant le ministère de la culture selon lequel le club comprend tout système d'édition et/ou de distribution du livre qui réserve la vente à des abonnés ou des adhérents, que la vente s'effectue par correspondance, courtage ou abonnement, caractérise elle-même le marché du " livre-club", les modalités de la vente important peu et l'élément essentiel étant le fait que la vente soit réservée à des adhérents; que M. Glais, dont France-Loisirs produit la consultation, relève lui-même que la couverture du livre de ce club est "l'expression d'un contrat de confiance qui s'établit entre une entreprise et ses clients".

Elle conteste les arguments tirés de la réussite de " Succès du livre", Profrance, qui en est propriétaire à 65 p. 100, ayant créé elle-même un club du livre, " Le Cercle maxi livre", ce qui démontre que " Succès du livre" n'est pas sur le même marché que les clubs de livres, sauf à admettre que Profrance se fait concurrence à elle-même.

Elle ajoute que France-Loisirs ne fait nullement la démonstration que les livres vendus dans le commerce sont substituables à ses livres et ne parvient pas à réfuter la démonstration de GLM de l'existence d'un marché spécifique du livre club par les qualités particulières du produit, les conditions d'utilisation, les modes de commercialisation et l'inélasticité de la demande, l'offre étant quasi inélastique sur ce marché.

Elle indique enfin qu'il n'est plus contestable que France-Loisirs occupe une position dominante sur le marché du livre club, ses résultats s'établissant pour 1988 et 1989 respectivement à 259 MF et 242 MF, ceux de GLM étant pour les mêmes années de 10,8 MF et 8,1 MF, et que les abus constatés par le conseil ont été suffisamment analysés et motivés.

Dans ses ultimes écritures, France-Loisirs s'oppose à la demande de GLMtendant à l'irrecevabilité de ses conclusions du 30 septembre 1992 et affirme que la notion juridique de club est incertaine, puisque l'obligation d'achat, mise en avant par GLM, n'est pas un critère déterminant, GLM faisant, en ce qui la concerne, un argument publicitaire de l'absence d'engagement de cette nature.

Le ministère public a conclu oralement au rejet du recours.

Il a observé que l'adhérent vient chercher auprès du club de livres un ensemble indissociable de biens et services, y compris services annexes; que France-Loisirs ne conteste pas être en position dominante sur le marché des ventes de livres par club; que la sanction pécuniaire infligée par le conseil, très inférieure au maximum légal, était justifiée par les éléments de la cause.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que France-Loisirs prétend vainement que le Conseil de la concurrence tente, dans ses observations, de défendre a posteriori une décision dont la motivation est inexistante, ce qui manifesterait un déséquilibre des droits des parties et placerait la société requérante dans une situation inéquitable au sens de l'article 6 de la Convention européenne de droits de l'homme;

Qu'en effet le conseil a présenté, conformément à l'article 9 du décret du 19 octobre 1987, les observations écrites, au demeurant de caractère général, qu'il estimait utiles en l'espèce; que France-Loisirs a été en mesure de répliquer, ce qu'elle a effectivement fait en estimant ces observations " erronées "; que la contradiction des débats a été respectée; que la demande de la requérante tendant à l'irrecevabilité des observations du conseil sera donc rejetée;

Considérant que France-Loisirs ne peut être admise à prétendre à l'irrecevabilité des conclusions de GLM en ce qu'elles portent sur la sanction pécuniaire au motif que GLM ne saurait être considérée comme une " partie en cause " au sens de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Qu'en effet GLM se contente de réclamer contre France-Loisirs une indemnité par application de l'article 700 NCPC, ses conclusions sur la sanction pécuniaire qui a été prononcée contre la requérante étant seulement la conséquence des éléments qu'elle présente d'où il résulterait que le recours n'est pas fondé; que les prétentions de France-Loisirs à ce sujet seront donc rejetées;

Considérant que la demande de GLM tendant à faire déclarer irrecevables les conclusions déposées et les pièces communiquées par France Loisirs le 30 septembre 1992 sera également rejetée puisqu'elle a été en mesure d'y répliquer, ce qu'elle a effectivement fait le 5 octobre 1992;

Considérant qu'il n'est pas sérieusement contestable que le marché du livre constitue un marché économique soumis, sous réserve de l'application des dispositions législatives qui sont relatives au prix imposé pour certaines périodes et sous certaines conditions, aux règles de la concurrence sans que les droits garantis par ailleurs, tel le droit moral de l'auteur, soient menacés par l'application des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Sur la délimitation du marché pertinent:

Considérant qu'il n'est pas contestable que les ouvrages encyclopédiques, les livres scolaires, les bandes dessinées et les livres de littérature générale, pour ne prendre que des exemples, sont des produits distincts répondant à des besoins différents; qu'ils ne sont donc pas en concurrence, peu important qu'ils puissent être distribués de la même manière et qu'une même personne, selon les circonstances, puisse se porter acquéreur de l'un ou l'autre de ces types d'ouvrages;

Que,pour se limiter à la littérature générale, les livres destinés à un large public et ceux édités à l'intention des bibliophiles et collectionneurs, qui ont des caractéristiques (tirage limité et numéroté, format, présentation luxueuse, qualité du papier, caractères d'impression...) qui en font le prix, au sens de prix de vente, mais aussi de valeur aux yeux de la clientèle, ne sont pas substituables entre eux; qu'en effet ils ne sont pas destinés au même usage et ne répondent pas au même besoin; que la variation à la baisse du prix des livres de grande diffusion est sans effet sur les achats des bibliophiles; qu'en sens inverse, une baisse sensible du prix des ouvrages destinés aux bibliophiles n'entraînera pas nécessairement un déplacement des acheteurs des autres livres vers ce type de produit;

Que, au sein même de la clientèle des collectionneurs, la réédition, même à un tirage limité, sous une présentation luxueuse et à un prix raisonnable, d'un ouvrage ancien ne répond pas au désir de celui qui recherche un exemplaire de l'édition originale et pour qui le prix à payer n'est pas dirimant;

Considérant ainsi que le marché général du livre, sauf à l'assimiler au marché de l'édition et à supposer que celui-ci puisse être considéré comme un marché uniforme, ne constitue pas un marché économique pertinent au sens des articles 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ou 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la recherche de sous-marchés ne pouvant s'analyser a priori en un fractionnement excessif du " marché général " dès lors que ces sous-marchés seraient caractérisés par des méthodes distinctes de distribution de produits individualisés, destinés à des clientèles différentes et répondant à des besoins spécifiques, ces produits étant par suite non ou peu substituables à d'autres;

Qu'il convient donc de rechercher si la vente des livres par clubs se situe sur un marché suffisamment identifiable pour constituer un marché spécifique au sens des dispositions rappelées ci-dessus;

Considérant que la loi du 10 août 1981 relative au prix unique du livre, qui impose aux détaillants de livres de respecter pendant un délai de deux ans à compter de la première édition un prix effectif de vente compris entre 95 p. 100 et 100 p. 100 du prix fixé par l'éditeur, autorise les entreprises qui diffusent les livres par courtage, abonnement ou correspondance à les vendre à un prix inférieur au prix unique dès le dixième mois et à effectuer des ventes à prime avant même le neuvième mois;

Qu'ainsi cette loi, qui limite la liberté de détermination des prix des livres par le jeu de la concurrence, fait une place à part au canal de distribution où interviennent les clubs, lesquels, en 1987, ont vendu 10 p. 100 environ de la production totale de livres qui concerne pour 25 p. 100 environ des ouvrages de littérature générale, lesquels constituent l'essentiel des ventes par clubs;

Considérant que l'évolution depuis une dizaine d'années des parts de marché des diverses formes de distribution des livres s'est caractérisée par un développement des formes de vente directe, notamment par l'intermédiaire des clubs, la part de ceux-ci étant généralement estimée aujourd'hui à 10 ou 12 p. 100;

Considérant que la vente des livres par clubs, outre le régime légal dérogatoire dont bénéficie ce mode de distribution en matière de prix, étant observé que la coexistence durable de niveaux de prix sensiblement différents pour des produits même identiques indique déjà que ces produits ne sont pas sur le même marché,présente des caractéristiques qui en font un marché spécifique par rapport au marché général du livre;

Considérant, en effet, que les ouvrages proposés à la clientèle des clubs, le plus souvent de littérature générale, sont préalablement sélectionnés parmi les titres présents sur le marché; que cette sélection s'opère nécessairement en fonction des goûts supposés ou connus de cette clientèle et du succès escompté des titres sélectionnés, spécialement ce proposé comme premier choix, ces éléments permettant en outre de déterminer l'importance du tirage, lequel est garanti à l'éditeur qui a cédé les droits;

Que ces ouvrages se distinguent par une présentation particulière (jaquette, format ...), différente de celle de l'édition initiale, sont le plus souvent reliés et portent toujours la marque du club distributeur;

Considérant encore que la clientèle des clubs est exclusivement constituée d'adhérents qui, qu'ils aient été démarchés ou parrainés, ont, par hypothèse, effectué la démarche positive d'adhérer à un club en se déterminant par rapport notamment à l'image de celui-ci et de l'idée qu'ils se font de l'intérêt et du prix des ouvrages offerts;

Que ces adhérents reçoivent régulièrement à domicile, par envoi postal, un catalogue présentant (au moyen de commentaires, résumés, critiques, notices biographiques des auteurs...) les titres sélectionnés et proposant très généralement un premier choix;

Considérant encore que les clubs offrent généralement des services annexes ou sans rapport avec le livre, mais toujours réservés aux adhérents;

Qu'en contrepartie des prestations offertes les adhérents souscrivent des obligations particulières, sous forme spécialement d'un engagement d'achat minimum de livres pour une période déterminée;

Considérant encore que les " livres clubs " sont normalement distribués par correspondance, après que l'adhérent a fait connaître le ou les titres qu'il a choisis;

Que ce choix est guidé d'abord par les informations contenues dans le catalogue, mais aussi par des incitations à l'achat (prix par hypothèse réduit, facilités de paiement, primes diverses comme livre supplémentaire gratuit ou avec réduction complémentaire de prix ...);

Que, dans certains cas, en l'absence d'indication de choix, le cas échéant de refus de l'ouvrage proposé en premier choix, un ouvrage peut être d'office adressé à l'adhérent;

Considérant encore que la constitution et la fidélisation de la clientèle supposent de la part du club une stratégie coûteuse de recrutement (démarchage à domicile, offres spéciales de bienvenue sous forme d'acquisition des premiers ouvrages pour un prix symbolique, avantages offerts aux parrains qui amènent des nouveaux adhérents ...) et un effort constant pour renouveler l'intérêt du client à demeurer adhérent;

Que la clientèle, répartie sur tout le territoire, constituée pour partie de personnes qui ne peuvent se déplacer ou pour qui le club est le seul moyen pratique d'accéder à la littérature, a le sentiment d'appartenir à une collectivité spécifique caractérisée notamment par la confiance accordée a priori aux critères de sélection des titres par le club et l'avantage de pouvoir bénéficier à domicile des prestations offertes;

Considérant encore que les éditeurs intègrent, dans leur stratégie de diffusion des livres, la possibilité de vendre par l'intermédiaire des clubs, cette vente garantissant un tirage minimum, toujours important, pour un titre déterminé et ayant lieu le plus souvent, comme c'est le cas pour France-Loisirs, après le neuvième mois à compter de la première édition pour mettre à profit le régime dérogatoire autorisé en matière de prix;

Que le comportement des offreurs dans ce domaine est bien mis en lumière par la consultation, produite par France-Loisirs, du professeur Glais qui relève que les éditeurs adoptent d'abord la politique de l'"écrémage" (offre à la vente, à un public relativement restreint, d'une nouveauté dont le prix est le plus élevé possible et le tirage plutôt faible), ensuite celle de la " pénétration " qui vise un large public et suppose un fort tirage et un prix sensiblement plus bas, en moyenne de 25 p. 100 inférieur au premier prix public de lancement; que le consultant note encore que, parmi l'ensemble des titres disponibles, certains vont apparaître mieux que d'autres susceptibles d'intéresser la grande masse des lecteurs " moyens " pour peu qu'une information complémentaire leur soit fournie, les formules " clubs " répondant à cet objectif et les clubs étant lancés sous l'impulsion de certains éditeurs;

Que ces méthodes de distribution traduisent une segmentation du marché du livre, du point de vue des éditeurs eux-mêmes, pour la durée de l'exploitation des titres;

Qu'il n'est pas contesté que la création d'un nouveau club de vente de livres suppose des investissements considérables en raison de la nécessité de constituer une clientèle nouvelle nombreuse qu'il faut ensuite fidéliser, de la saturation du marché et des protections dont s'entourent les clubs existants pour rentabiliser leurs entreprises et limiter la concurrence sur le marché;

Considérant qu'il résulte des éléments ci-dessus analysés que le produit lui-même, qui est en réalité un produit complexe et ne peut être réduit au livre, ses conditions d'utilisation et les méthodes employées pour sa distribution présentent des caractéristiques particulières qui font que, aux yeux des adhérents qui recherchent la satisfaction d'un besoin spécifique, les livres qui leur sont proposés par un club, fortement individualisés, ne sont pas ou sont peu substituables aux livres distribués par d'autres canaux, le marché du livre club étant au surplus un marché fermé sur lequel il est difficile, pour un nouvel opérateur, d'entrer;

Considérant qu'il importe peu dès lors que les méthodes effectivement mises en œuvre par les différents clubs intervenant sur le marché ne soient pas rigoureusement conformes au schéma décrit ci-dessus;

Que, spécialement, s'il est vrai que les livres vendus par France-Loisirs sont, pour une part très importante (les deux tiers de son chiffre d'affaires, selon ses indications), proposés dans des points de vente situés dans des librairies traditionnelles, il demeure que seuls les adhérents peuvent acheter ces ouvrages et qu'ils ont le plus souvent fait déjà leur choix à partir du catalogue; que les nouvelles adhésions dans les librairies relais représentent une proportion dérisoire du recrutement total;

Que la circonstance que GLM vendrait, au prix fixé par l'éditeur, ses livres au cours de la tranche des neufs premiers mois ne saurait avoir pour effet de la placer sur un marché différent, s'agissant d'une politique commerciale qui peut s'expliquer par la volonté de proposer des nouveautés, même à des prix non réellement réduits, pour imposer une image différente par rapport à la concurrence;

Que, s'il apparaît que certains clubs (au nombre desquels GLM et Le Club express, selon des encarts produits par France-Loisirs) fondent leur publicité sur l'absence d'engagement d'achat, cette technique de promotion traduit la volonté de se distinguer des concurrents; que l'absence d'une obligation minimum d'achat est compensée par l'envoi systématique, chaque mois pour ce qui est de GLM, du " livre vedette " dans le cas où l'adhérent n'aurait pas fait un choix différent ou fait connaître qu'il refuse tout livre pour le mois considéré; que la nécessité pour l'adhérent de se manifester pour refuser le premier choix a, compte tenu de son comportement connu ou supposé, un effet équivalent à une obligation minimum d'achat pour la vente effective d'un nombre minimum de livres pendant la durée du contrat, au-delà du seuil de rentabilité;

Considérant que, s'il apparaît que les adhérents de France-Loisirs, pour une part importante, achètent au moins autant de titres à l'extérieur que par l'intermédiaire de leur club, l'adhérent type de ce club ayant au surplus, selon M. Glais, le profit du " lecteur moyen ", cette circonstance, qui est invoquée par France-Loisirs elle-même et ne remet pas en cause le principe de l'obligation minimum d'achat, établit au contraire la complémentarité des besoins satisfaits;

Qu'en effet, si les livres offerts par les différents circuits de distribution étaient sur le même marché, aucun lecteur n'achèterait les livres les plus chers (offre traditionnelle des librairies), ni même les livres clubs, mais serait conduit, par un évident intérêt économique, à acheter uniquement ceux qui sont offerts au plus bas prix (livres type "poche");

Qu'en outre aucun élément n'est apporté qui permettrait de supposer qu'une variation des prix des livres-clubs entraînerait une variation dans le même sens, d'une certaine ampleur, de la demande de livres vendus par d'autres circuits de distribution;

Considérant que France-Loisirs reconnaît elle-même la réalité de la spécificité du marché de la vente des livres par clubs, puisqu'elle ne dénie pas le ministre chargé de l'économie lorsqu'il indique, dans ses observations écrites, qu'elle a, en 1988, dénié à Succès du livre, filiale de Hachette, " le droit de se présenter comme un club du livre " et entamé une action judiciaire au motif que son nouveau concurrent ne présentait pas les caractéristiques propres à un club, notamment l'obligation pour les adhérents d'acheter un nombre minimum de livres, l'existence d'un contrat d'adhésion et la possibilité de choix sur catalogues;

Considérant dès lors que le conseil a estimé à bon droit que la vente des livres par clubs constitue un marché spécifique;

Sur l'abus de position dominante:

Considérant que France-Loisirs ne conteste pas sérieusement être en position dominante sur le marché de la vente des livres par clubs;

Qu'elle ne peut invoquer légitimement le fait qu'elle ne détiendrait que 8,22 p. 100 du marché de l'édition de littérature générale ou un peu moins de 36 p. 100 du marché de la vente par correspondance; que ces références sont en effet inadaptées en ce qui concerne sa part sur le marché du livre club tel que délimité ci-dessus;

Qu'elle reconnaît un chiffre d'affaires global en 1990 de 2 483 MF (882 MF au titre de la vente par correspondance, dont 678 MF pour les livres), le chiffre de GLM pour le même exercice étant selon elle (livres seulement) de 356 MF, dont 297 MF pour les ventes par correspondance;

Que ces indications ne contredisent pas les constatations du conseil qui a relevé que France-Loisirs a réalisé, en 1987, sur un chiffre global de 1,97 KMF, un chiffre d'affaires " livres " de 1,47 KMF sur un marché de vente par clubs qui a représenté un total de 1,9 KMF, soit une part de marché de 78 p. 100 environ (plus précisément: 77,36 p. 100);

Que France-Loisirs ne dément pas l'indication du ministre chargé de l'économie selon laquelle son chiffre sur le marché du livre par clubs a atteint, en 1988, 1,48 KMF, son chiffre global ayant été, en 1988, 1989 et 1991, respectivement de 2,16, 2,43 et 2,69 KMF;

Que son concurrent plus immédiat, GLM, a réalisé en 1987 un chiffre de 291 MF, le Cercle du Nouveau Livre n'ayant pour sa part qu'un chiffre de 2,7 MF;

Considérant que le premier grief retenu par le conseil à la charge de France-Loisirs concerne l'extension de la clause d'exclusivité contenue dans les contrats de cession de droits à toutes les formes de commercialisation du livre;

Considérant qu'il n'est pas contesté que France-Loisirs a inséré dans le contrat type qu'elle propose aux éditeurs pour tout ouvrage dont les droits sont cédés, à compter du début de l'année 1987, une disposition (art. 3, § E) ainsi libellée:

" L'éditeur s'engage à ne pas céder à un tiers ou à exploiter personnellement les droits d'une édition du présent titre susceptible d'être vendue par correspondance, par courtage, par abonnement ou au détail et qui pourrait faire concurrence directement ou indirectement à l'édition de France-Loisirs, qu'il s'agisse d'une édition de poche ou d'une édition reliée.

" Cet engagement est d'une durée d'un an à compter du (...);

"Toute dérogation (...) fera l'objet d'un accord formel et exprès de la part de France-Loisirs ";

Considérant que le conseil a estimé que l'introduction de ces dispositions dans les contrats, motivée, selon les responsables de France-Loisirs, par le projet puis par le lancement de l'opération Succès du livre, a un objet manifestement anticoncurrentiel qui s'étend à l'ensemble du marché de l'édition puisqu'elle vise en particulier les éditions de poche dont elle peut retarder la sortie; qu'il a en conséquence fait injonction à France Loisirs de limiter l'application de la clause d'exclusivité aux seules ventes par abonnement, correspondance et courtage;

Considérant, sur ce grief, qu'il est constant que les clauses des contrats de cession accordant un droit exclusif de reproduction ou de diffusion d'un ouvrage sont de pratique courante; qu'elles ne peuvent être considérées comme abusives du seul fait qu'elles sont souscrites au profit d'une entreprise en position dominante, dès lors qu'elles sont limitées dans leur durée et dans leur portée;

Considérant, en l'espèce, que France-Loisirs a dépassé ces limites en cherchant, par la clause ci-dessus reproduite, à éliminer toute forme de concurrence non seulement sur le marché sur lequel elle opère, mais aussi sur les marchés voisins; que cette pratique caractérise un abus de sa position dominante, son poids économique sur le marché du livre-club étant déterminant pour contraindre les éditeurs à conclure les contrats comportant la clause type qu'elle propose et la liberté de ses cocontractants de n'y point souscrire étant dès lors purement théorique;

Qu'il importe peu que cette clause ait reçu une application effective à l'occasion d'un nombre limité de titres; qu'il s'est d'ailleurs agi d'œuvres à succès faisant l'objet de tirages élevés;

Considérant que France-Loisirs ne peut être admise à invoquer les dispositions des articles 51 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'en effet l'extension de l'exclusivité aux marchés périphériques, loin de contribuer au progrès économique, a eu manifestement pour résultat de priver les consommateurs des ouvrages distribués en dehors du circuit des clubs de livres;

Que cette pratique n'est nullement justifiée par les articles 54 et 57 de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique;

Considérant dès lors que le conseil a, à bon droit, fait injonction à France-Loisirs de limiter l'application de la clause d'exclusivité;

Mais considérant que la vente par abonnement, correspondance ou courtage, si elle caractérise la vente de livres par clubs, n'est pas le seul mode de distribution utilisé par les clubs;

Que l'application de la clause d'exclusivité doit, certes, être limitée au marché de la vente de livres par clubs sur lequel France-Loisirs opère, mais doit concerner ce marché tout entier quelles que soient les méthodes de commercialisation utilisées;

Qu'ainsi la décision du conseil sera réformée pour préciser que l'application de la clause d'exclusivité doit être limitée aux ventes réalisées par les entreprises qui opèrent sur le marché de la vente de livres par clubs, la limitation aux ventes par abonnement, correspondance ou courtage ne pouvant concerner que la vente de l'ouvrage par l'éditeur lui-même;

Considérant que le deuxième grief retenu par le conseil à la charge de France-Loisirs concerne la clause des contrats de cession de droits par laquelle l'éditeur s'engage à refuser, pendant la période d'exclusivité, toute demande de solde ou d'offre publicitaire de bienvenue;

Considérant qu'il n'est pas contesté que le contrat type proposé aux éditeurs, depuis 1987, par France-Loisirs comporte, article 3, paragraphe E, une disposition ainsi conçue:

"Si l'ouvrage a déjà fait l'objet d'une cession en vue d'une édition de poche, d'une édition concurrente ou d'une édition club, l'éditeur s'engage à en avertir France-Loisirs sur le présent contrat.

" De même pendant la même période (période d'exclusivité) l'éditeur refusera toute demande de solde ou d'offre publicitaire de bienvenue émanant d'un autre club ou d'une autre organisation concurrente";

Que cette clause vise, selon l'un des responsables de France-Loisirs, "les ventes à prix réduit et les offres publicitaires de GLM", alors que France-Loisirs "garantit un volume de tirages important";

Considérant que le conseil a fait injonction à France-Loisirs de supprimer cette clause;

Mais considérant, ainsi qu'il a été dit, que les clauses des contrats de cession accordant un droit exclusif de reproduction ou de diffusion d'un ouvrage ne sont pas abusives en soi;

Que la clause incriminée a, en réalité, seulement pour objet d'interdire à l'éditeur, pendant la période d'exclusivité, de consentir à un autre club ou une organisation concurrente des avantages qui leur permettraient de proposer au public le même ouvrage à un prix sensiblement plus bas, à la limite symbolique, que celui offert par France-Loisirs;

Que cette clause apparaît ainsi comme un complément destiné à donner tout son sens à la clause d'exclusivité elle-même;

Qu'elle n'est abusive qu'en tant qu'elle est associée à une clause d'exclusivité elle-même abusive; qu'elle cessera de l'être dès que l'application de la clause d'exclusivité sera elle-même limitée, puisqu'elle ne visera désormais que les entreprises opérant sur le marché de la vente des livres par clubs;

Que la décision de conseil sera réformée en conséquence;

Considérant qu'il est encore reproché à France-Loisirs, afin de se prémunir contre les ventes à prix réduit et les offres de recrutement de GLM, d'être intervenue auprès des éditeurs en dehors de toute disposition contractuelle;

Considérant que, par une lettre du 14 octobre 1986, France-Loisirs a signalé à l'attention des Editions Gallimard l'offre aux adhérents de GLM, à des prix dégressifs, d'un ouvrage que France-Loisirs faisait paraître au même moment en grande sélection; que l'intervention a été répercutée sur GLM le 27 du même mois;

Qu'une intervention de même nature a eu lieu de la part de France-Loisirs, le 5 novembre 1986, auprès des Editions Albin Michel, actionnaires de GLM;

Qu'il s'agissait, selon un responsable de France-Loisirs, de donner une interprétation de la loi sur le prix unique du livre et de dénoncer une sorte de " double jeu " mené par GLM en violation de l'esprit, sinon de la lettre de la loi; qu'au surplus Gallimard n'avait pas signalé la cession antérieure du titre à GLM, contrairement aux stipulations du contrat la liant à France-Loisirs;

Considérant que le conseil a estimé qu'il résultait de l'instruction que l'offre à prix réduit par GLM de l'ouvrage mentionné dans la lettre du 14 octobre 1986 n'entrait pas dans le champ d'application du contrat invoqué par France-Loisirs; qu'en intervenant ainsi pour empêcher GLM d'effectuer des rabais, France-Loisirs avait entendu éliminer toute concurrence par les prix en incitant les éditeurs à y faire obstacle; que, en raison de la suprématie de France-Loisirs sur le marché, semblables interventions, même non assorties d'aucune menace explicite, constituent, en empêchant le jeu de la concurrence, un abus de position dominante;

Mais considérant que les termes employés par France-Loisirs dans sa lettre du 14 octobre 1986, qui sont repris par la décision du conseil (page 9 in fine) à laquelle il est renvoyé, ne peuvent être analysés comme une pression tendant à dénier à GLM le droit à une concurrence par le prix pratiqué; que cette lettre se présente seulement comme une protestation contre une politique de prix mettant à profit les facultés successives offertes par la loi du 10 août 1981, mais contraire à l'esprit de ce texte; que les termes employés n'excèdent pas ce qui est admissible entre concurrents sur un même marché, peu important dès lors que l'ouvrage mentionné n'entrât pas, en réalité, dans le champ d'application du contrat invoqué par France-Loisirs;

Considérant en définitive queFrance-Loisirs a abusé de sa position dominante sur le marché de la vente des livres par clubs en imposant, dans les contrats de cession de droits qu'elle proposait aux éditeurs, une clause d'exclusivité qui avait pour objet d'éliminer toute forme de concurrence sur les marchés voisins de celui sur lequel elle opérait, pratiques qui tombent sous le coup des articles 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, sans qu'elle puisse invoquer les dispositions respectives des articles 51 et 10 de ces ordonnances;

Sur la sanction des pratiques:

Considérant que, en raison du seul grief retenu à la charge de France Loisirs, de son incidence économique limitée et de la circonstance, non contestée, qu'elle s'est conformée aussitôt à l'injonction du conseil, la pratique incriminée sera sanctionnée par la publication intégrale de la présente décision dans les périodiques qui seront désignés;

Que les sommes qui seront restituées par le Trésor porteront intérêts au taux légal à compter du 25 mai 1992, date de signification des conclusions de France-Loisirs comportant demande de remboursement;

En ce qui concerne la société Les Editions Gallimard:

Considérant qu'il est reproché à Gallimard d'avoir introduit, dans un contrat de cession de droits à GLM, une clause obligeant ce club à vendre l'ouvrage au prix fixé par l'éditeur au-delà du neuvième mois après la première publication;

Que cette clause tend à limiter la concurrence sur les prix au moment où la loi du 10 août 1981 l'autorise en permettant aux clubs de pratiquer un prix inférieur à celui de la première édition neuf mois après la mise en vente de celle-ci;

Que, même si elle ne concerne qu'un seul contrat, elle a, par son objet, un caractère anticoncurrentiel, Gallimard ne pouvant légitimement exciper d'un souci d'éviter une concurrence avec l'ouvrage vendu en librairie ou exploité au même moment par France-Loisirs, ni prétendre, devant la cour, que la suppression de la clause permettrait à GLM de procéder à des offres à prix réduit dès le dixième mois et d' "écouler les livres en stock au mépris des intérêts du livre et de l'auteur" puisqu'elle reconnaît ainsi, explicitement, l'objet anticoncurrentiel de la clause critiquée;

Que son recours tendant à l'annulation ou la réformation des dispositions de la décision du conseil qui la concernent sera donc rejeté;

Sur les accessoires:

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 NCPC au profit de l'une ou l'autre des parties;

Considérant qu'il n'y a pas lieu d'admettre la demande de France-Loisirs qui concerne le remboursement des frais de publication de la décision du conseil;

Considérant que les frais de l'instance seront supportés par France-Loisirs dans la proportion des quatre cinquièmes et par Gallimard pour un cinquième; que le Syndicat des écrivains de langue française conservera cependant la charge des frais de son intervention;

Considérant que l'article 699 NCPC n'est pas applicable en l'espèce, le ministère d'avoué n'étant pas obligatoire;

Par ces motifs: Reçoit le syndicat des écrivains de langue française en son intervention; Rejette le recours de la société Les Editions Gallimard; Réformant la décision n° 89-D-41 du Conseil de la concurrence, en date du 28 novembre 1989, en ce qu'elle concerne la société France-Loisirs: Enjoint cette société de modifier les contrats de cession de droits afin de limiter l'application de la clause d'exclusivité aux seules ventes intervenant sur le marché de la vente des livres par clubs; Supprime la sanction pécuniaire de 20 MF et dit que cette somme qui doit être restituée par le Trésor public portera intérêts au taux légal à compter du 3 juin 1992; Ordonne la publication intégrale du présent arrêt, dans les trois mois de sa date et aux frais de la société France-Loisirs, dans les quotidiens Le Figaro, Le Monde (supplément hebdomadaire du Monde des Livres) et Libération (rubrique Cahier livres) et dans le périodique Livre Hebdo; Rejette les demandes d'application de l'article 700 NCPC; Rejette la demande de la société France-Loisirs tendant au remboursement des frais de publication de la décision du Conseil de la concurrence; Dit que le syndicat des écrivains de langue française conservera la charge des frais de son intervention; Laisse le surplus des dépens à la charge de la société France-Loisirs et de la société Les Editions Gallimard dans les proportions respectives de quatre cinquièmes et de un cinquième; Rejette toute demande ou prétention autre ou contraire à la motivation.