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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 17 novembre 1998, n° ECOC9810388X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pompes Funèbres du Sud-Est (Sté)

Défendeur :

Pompes Funèbres Gallaredec (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Thin

Avocat général :

M. Woirhaye

Avoué :

SCP Valdelievre-Garnier

Avocat :

Me Donnedieu de Vabres

CA Paris n° ECOC9810388X

17 novembre 1998

La société Pompes Funèbres du Sud-Est (PFSE) a formé un recours contre une décision du Conseil de la concurrence (le conseil), n° 98-D-20, du 10 mars 1998 qui :

- a estimé établi qu'elle avait enfreint les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 en raison de l'agencement des locaux commerciaux et de la chambre funéraire qu'elle exploite à Tarascon ;

- lui a infligé une sanction pécuniaire de 20 000 F.

Au soutien de son recours, la société PFSE prétend, aux fins d'annulation et, subsidiairement, de réformation de la décision contestée :

- à titre principal, que sa position dominante n'est pas établie à Nîmes, Tarascon et Beaucaire ;

- à titre subsidiaire, que la pratique reprochée n'a eu ni objet ni effet anticoncurrentiel, même potentiel.

Elle sollicite en conséquence le remboursement de la somme versée au titre de la sanction pécuniaire, assorti des intérêts au taux légal à compter de son paiement, avec capitalisation de ces intérêts.

Le conseil ainsi que le ministre de l'économie et des finances ont déposé des observations écrites tendant au rejet du recours, auxquelles la société requérante a répondu par conclusions réitérant ses demandes.

Le ministre de l'économie et des finances a, comme le ministère public, présenté à l'audience des observations orales tendant au rejet du recours.

La société requérante, qui a eu la parole en dernier, a pu répliquer à l'ensemble de ces observations écrites et orales ;

Sur ce, LA COUR :

I.- Sur la position dominante :

Considérant que le conseil a été saisi par la société de pompes Funèbres Gallouedec de pratiques mises en œuvre par la société PFSE à Nîmes, Tarascon et Beaucaire sur une période couvrant les années 1990 à 1993 ; qu'après avoir défini trois marchés pertinents distincts, correspondant à chacune des trois zones géographiques concernées, il a sanctionné la pratique mise en œuvre sur le seul marché des prestations Funèbres de la zone de Tarascon, qui regroupe le territoire de cette commune et une partie du canton de Saint-Rémy-de-Provence ;

Que, dès lors, le moyen pris de l'absence de position dominante de la société PFSE dans les zones de Nîmes et Beaucaire s'avère sans intérêt, l'effet dévolutif du recours commandant à la Cour de rechercher si l'abus de position dominante est ou non constitué sur le seul marché où il a été retenu ;

Considérant qu'en ce qui concerne la zone de Tarascon la société requérante soutient qu'elle n'avait pas la possibilité de s'abstraire de la concurrence en raison, d'une part, de la constante diminution de sa part de marché alors que sa concurrente (la société Gallouedec) a développé la sienne de façon importante et, d'autre part, des multiples violations des contrats de concession dont elle était titulaire ;

Considérant que la société requérante ne remet pas en question la délimitation du marché qui comprend les prestations du service extérieur relevant du service public (soit, à l'époque des faits, aux termes de l'article L. 362-6 du Code des communes : le transport des corps après mise en bière, la fourniture des corbillards, cercueils, tentures extérieures des maisons mortuaires, voitures de deuil ainsi que le matériel et le per sonnel nécessaires aux inhumations, exhumations et crémations), celles liées au service intérieur dans les édifices du culte ainsi que celles effectuées à l'intérieur des chambres funéraires et les prestations dites libres ; qu'elle ne conteste pas que ces prestations sont indissociables et que les familles, tant pour des raisons de droit liées à la législation funéraire que pour des raisons de fait, font appel dans la majorité des cas à des entreprises locales pour l'organisation des funérailles ;

Considérant qu'à l'époque des faits les communes étaient titulaires du monopole du service extérieur des pompes Funèbres et que celui-ci pouvait faire l'objet d'une concession ; que la législation en vigueur imposait de s'adresser au titulaire de ce monopole ou au concessionnaire soit directement soit par l'intermédiaire d'une agence funéraire, sauf lorsque la commune du lieu de mise en bière n'était pas celle du domicile du défunt ou du lieu d'inhumation ou de crémation ; qu'il est constant que les décès survenus au cours de la période en cause, dans la zone regroupant la commune de Tarascon et une partie du canton de Saint-Rémy-en-Provence, concernaient des personnes domiciliées dans celle-ci ;

Considérant que le marché des prestations Funèbres était ainsi entravé par des barrières réglementaires importantes, ce qui tendait à limiter son accès ;

Considérant que le conseil relève que, par délibération du conseil municipal du 5 juillet 1988, la société PFSE a été désignée comme concessionnaire du service extérieur des pompes Funèbres de la commune de Tarascon à compter du 1er août 1988 ainsi que de l'exploitation de l'unique chambre funéraire de cette ville et qu'elle est demeurée concessionnaire de ce service public jusqu'au 8 janvier 1996 ;

Que la société requérante ne produit aucune pièce de nature à corroborer ses affirmations sur les violations de cette concession et la rupture le 30 juin 1993 de la Convention la liant à la commune de Tarascon ;

Considérant que le conseil souligne que, sur le marché des pompes correspondant à cette commune et une partie du canton de Saint-Rémy-de-Provence, la société PFSE s'est vu confier, par rapport au nombre total de décès, 80 % des convois funéraires en 1990, 74 % en 1991, 65 % en 1992 et 72 % en 1993 et, par rapport aux départs de la chambre funéraire, 81 % des convois en 1990, 73 % en 1991, 66 % 1992 et 58 % en 1993, de sorte que, pendant la période concernée, sa part de marché sur cette zone est restée supérieure à celle de sa seule concurrente, la société Gallouedec ;

Qu'il déduit justement de ces éléments que, quelles qu'aient été les conditions d'application de la législation funéraire, la société PFSE détenait une position dominante sur le marché concerné;

Que la cour retient que la société requérante avait le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective et la possibilité d'un comportement indépendant dans une mesure appréciable vis-à-vis de sa concurrente et de ses clients, puisqu'elle était le seul opérateur pour la chambre funéraire et qu'elle détenait la concession du service extérieur des pompes Funèbres.

II. - Sur l'abus de position dominante :

Considérant qu'aux termes de l'ancien article L. 361-19 du Code des communes, applicable à l'époque des faits et repris par l'article 2223-38 du Code général des collectivités territoriales les locaux, où l'entreprise gestionnaire de la chambre funéraire offre les autres prestations relevant du service extérieur, doivent être distincts de ceux abritant la chambre funéraire ;

Considérant qu'en l'espèce, depuis le mois d'avril 1993, aucun employé n'est directement affecté par la société requérante à la gestion de la chambre funéraire de Tarascon et que l'accès à celle-ci s'effectue par digicode ;

Qu'il résulte du procès-verbal dressé le 20 juin 1997 à Tarascon par la brigade interrégionale d'enquête de Marseille au cours de l'instruction du dossier (figurant en annexes 220 à 231 du rapport complémentaire de la direction régionale de la concurrence) que, depuis avril 1993, les locaux commerciaux de la société PFSE sont situés à proximité immédiate de la chambre funéraire et que le personnel présent dans les locaux commerciaux est chargé, d'une part, de donner le numéro de Code aux personnes voulant accéder à la chambre funéraire et de tenir le registre des admissions de corps, d'autre part, d'élaborer des devis d'obsèques ;

Qu'ainsi les activités d'agent commercial de la société PFSE et celles relatives à la gestion de la chambre funéraire, dont elle est l'exploitant exclusif, ont été regroupées dans les mêmes locaux ;

Considérant que la société PFSE soutient que cette organisation résulte d'une décision d'entreprise justifiée par la faible activité de la chambre funéraire (131 admissions en 1993) et qu'elle n'a eu aucun objet ni effet sensible anticoncurrentiel, même potentiel ;

Qu'elle se prévaut de la progression de l'activité de sa concurrente, la société Gallouedec, qui est passée de 34,17 % en 1992 à 41,98 % en 1993 en ce qui concerne les convois organisés à partir de la chambre funéraire ;

Qu'elle fait valoir que le risque de confusion de la part des familles est inexistant dans la mesure où la "quasi-totalité des personnes" se rendant à la chambre funéraire ont au préalable pris contact avec l'entreprise de pompes Funèbres qui organisera les obsèques, qu'elles sont accompagnées par un employé de celle-ci et que ce dernier leur communique le numéro de digiCode ;

Considérant cependant que la société PFSE admet ainsi que certaines personnes se présentent seules pour pénétrer dans la chambre funéraire, sans avoir encore fait choix d'une entreprise de pompes Funèbres ; qu'elle reconnaît que l'organisation des lieux, en impliquant le passage de clients dans ses locaux commerciaux, peut susciter une confusion dans leur esprit entre le service public des prestations de la chambre funéraire et son activité commerciale et que cette confusion peut influencer leur choix dans l'organisation des obsèques ;

Considérant d'ailleurs qu'un hôpital et une maison de retraite, ne disposant pas de chambre mortuaire, se trouvent dans la zone concernée et que les admissions dans la chambre funéraire qu'exploite la société requérante avaient lieu, à l'époque des faits, sur demande du directeur de l'établissement de santé ; que, dans ce cas, des familles se trouvaient effectivement en situation potentielle de devoir pénétrer dans la chambre funéraire avant d'avoir choisi l'entreprise chargée des funérailles ;

Considérant enfin que la pratique en cause est intervenue au moment où l'entrée en vigueur de la loi du 8 janvier 1993 allait ouvrir le marché en mettant fin au monopole des communes sur le service extérieur des pompes Funèbres, où le nombre d'admissions en chambre funéraire était en augmentation (105 en 1991 et 131 en 1993) et où le concurrent direct de la société PFSE gagnait des parts de marché sans remettre encore en cause sa position dominante ;

Considérant, dès lors, que le conseil a justement estimé que cette pratique vise l'orientation du choix de l'entreprise de prestations Funèbres par le client et qu'elle est, de ce fait, de nature à empêcher les sociétés concurrentes de développer librement leurs activités sur le marché ;

Qu'elle a donc un objet et un effet potentiellement restrictifs de concurrence sur le marché concerné ; qu'elle ne pouvait qu'avoir un effet sensible du fait de la progression susévoquée du nombre d'admissions en chambre funéraire ; que cette atteinte à la concurrence a été réalisée par l'utilisation de la position dominante de la société PFSE;

Qu'il s'ensuit que la pratique ci-dessus caractérisée ne peut être soustraite à l'application de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

Par ces motifs : Ordonne la jonciton des recours enregistrés sous les numéros 97-27708 et 97-27311 ; Rejette le recours ; Condamne la société Pompes Funèbres du Sud-Est aux dépens.