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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 29 juin 1999, n° ECOC9910198X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

France Télécom (SA), Lectiel (SA), Groupadress (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Canivet

Président :

Mme Pinot

Conseiller :

M. Le Dauphin

Avoués :

Me Hardouin-Herscovici, SCP Teytaud

Avocats :

Mes Rosenfeld, Mondoloni, Soffer.

CA Paris n° ECOC9910198X

29 juin 1999

Par lettre du 17 novembre 1992, la société Filetech (aux droits de laquelle vient la société Lectiel, ci-après dénommée Filetech) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques imputées à France Télécom sur le marché des fichiers destinés aux opérations de marketing direct.

Par une décision n° 98-D-60 du 29 septembre 1998 relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de la commercialisation des listes d'abonnés au téléphone, le Conseil de la concurrence (le conseil), après avoir énoncé qu'il était établi que ladite société avait enfreint les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de l'article 86 du traité de Rome, a :

- infligé à France Télécom une sanction pécuniaire de 10 millions de francs ;

- enjoint à cette société, dans un délai de six mois à compter de la notification de ladite décision, et jusqu'à la mise en service de l'organisme prévu par l'article L. 35-4 du Code des postes et télécommunications (loi n° 96-659 du 26 juillet 1996) chargé de tenir à jour la liste de l'annuaire universel, de fournir, dans des conditions identiques, à toute personne qui lui en fait la demande la liste consolidée comportant, sous réserve des droits des personnes concernées, les informations contenues dans l'annuaire universel et de proposer un service permettant la mise en conformité des fichiers contenant des données nominatives détenus par des tiers avec la liste orange des abonnés au téléphone, que ces fichiers soient ou non directement extraits de la base annuaire, ces prestations devant être proposées dans des conditions transparentes, objectives et non discriminatoires à un prix reflétant les coûts liés aux opérations techniques de " déduplication " ou de " topage " de ces fichiers, à l'instar de la prestation prévue au catalogue de France Télécom à la rubrique L. 13 qui prévoit la mise en conformité des fichiers tiers externes avec la liste safran et la déduplication ou le topage de ces fichiers.

Le 18 janvier 1999, la société France Télécom a formé un recours en annulation et, subsidiairement, en réformation contre cette décision.

Le statut de France Télécom :

A l'époque des pratiques dénoncées, France Télécom, que la loi n° 96-60 du 29 juillet 1996 a transformé en société anonyme de droit privé tandis qu'une autre loi du même jour consacrait la libéralisation totale des services de téléphonie vocale, était une personne morale de droit public créée par la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public des postes et télécommunications, placée sous la tutelle du ministre des postes et télécommunications.

France Télécom avait le monopole de la fourniture du service téléphonique entre points fixes et du service télex (art. L. 34-1 du Code des postes et télécommunications, dans sa rédaction issue de la loi précitée). L'exploitant public avait également pour mission de fournir " dans le respect des règles de la concurrence, tous autres services, installations et réseaux de télécommunications " et était habilité à exercer, en France et à l'étranger, " toutes activités qui se rattachent directement ou indirectement à son objet ".

La liste des abonnés et des utilisateurs du téléphone :

Le cahier des charges de France Télécom applicable au cours de la période considérée, approuvé par le décret n° 90-213 du 29 décembre 1990, fixe au nombre des " services obligatoires " assurés par l'opérateur public et " ouverts à la concurrence " la publication et la diffusion annuelle d'une ou de plusieurs listes des abonnés au service téléphonique (art. 4). Le même cahier des charges prévoit que France Télécom " peut fournir des services d'annuaire électronique associés à ses services de télécommunications et peut également établir ou diffuser les annuaires des autres services de télécommunications " (art. 7).

Afin de se conformer à ses obligations légales et réglementaires, France Télécom tient au sein du fichier des abonnés au téléphone différents sous-fichiers :

La liste rouge :

L'article D. 359 du Code des postes et télécommunications dispose que les titulaires des postes d'abonnement principaux permanents peuvent s'opposer à l'inscription de leur nom dans les annuaires moyennant le paiement d'un supplément de redevance.

La liste orange :

L'article 26 de la loi n° 78-17 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés dispose que " toute personne physique a le droit de s'opposer, pour des raisons légitimes, à ce que des informations nominatives la concernant fassent l'objet d'un traitement ".

Pour l'application de ces dispositions dans le secteur des télécommunications, le décret n° 89-738 du 12 octobre 1989 a ajouté un article R. 10-1 au Code des postes et télécommunications.

Dans sa rédaction actuelle, issue du décret susvisé du 29 décembre 1990, modifié par le décret n° 94-373 du 6 janvier 1978, ce texte dispose :

" Les personnes physiques ayant souscrit un abonnement au service du téléphone fixe ou du télex peuvent, en application de l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, demander, sans redevance supplémentaire, à ne pas figurer sur les listes extraites des annuaires et commercialisées par l'exploitant public. "

" Est interdit l'usage par quiconque, à des fins commerciales ou de diffusion dans le public, des informations nominatives extraites desdits annuaires concernant les personnes mentionnées à l'article précédent. Toutefois ces informations peuvent être utilisées ou communiquées aux seules fins d'édition des listes d'utilisateurs mentionnés à l'article R. 10. "

Les personnes ayant demandé à ne pas figurer sur les listes extraites des annuaires publics et commercialisées par France Télécom sont inscrites sur une liste dite " liste orange ". Cette liste a été mise en place dès 1985 mais l'interdiction résultant du second alinéa de l'article R. 10-1 du Code des postes et télécommunications n'est entrée en vigueur que le 22 janvier 1992.

Le nombre d'abonnés inscrits sur la liste orange s'élevait à 563 199 au 30 mars 1997. Au total, le nombre d'abonnés dont France Télécom ne commercialise pas les coordonnées est voisin de 6 millions.

La liste safran :

Créée en application de l'article 10 de la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989 relative au développement des entreprises commerciales et artisanales et R. 10-2 du Code des postes et télécommunications, la liste safran regroupe les personnes physiques ou morales ayant souscrit un abonnement au service téléphonique ou au service télex qui ont demandé à ne pas faire l'objet de démarchage publicitaire effectué par télex ou télécopie.

L'inscription dans ce fichier est gratuite. Le nombre des inscriptions s'élevait à 71 191 au 30 mars 1997. Les entreprises détentrices de fichiers contenant des numéros de télex ou de télécopie, y compris celles dont les fichiers ont été constitués à partir d'autres sources que celle de l'annuaire, peuvent demander à France Télécom de réaliser le " marquage " de leurs propres fichiers des abonnés en liste safran afin de respecter la volonté de ces derniers.

Les activités du Service national des annuaires téléphoniques :

La gestion de la liste des abonnés au téléphone :

Le Service national des annuaires téléphoniques (SNAT) qui appartient à la direction des annuaires, elle-même intégrée à la division multimédia de la branche Grand public de l'entreprise France Télécom, gère, édite et commercialise les listes d'abonnés au téléphone et la tient à jour sous la forme d'un fichier informatisé national qui comprend diverses informations.

Cette " base annuaire " contient obligatoirement le nom, le prénom ou l'initiale du prénom, la dénomination commerciale, l'adresse et le numéro de l'abonné au réseau fixe ou mobile. A titre facultatif, elle peut comporter des mentions complémentaires relatives, notamment, aux titres, aux fonctions électives, à la profession, à la nature du produit de télécommunications (téléphone, télécopie, télex, radiotéléphonie...), aux codes INSEE, SIREN, SIRET, NAF, aux noms de marque et à l'adresse de messagerie Télétel ou Internet.

Toute modification affectant une ligne téléphonique entraîne l'envoi d'une information depuis l'une des 600 agences locales de France Télécom vers la base annuaire. Les informations relatives aux abonnés ayant demandé leur inscription en liste rouge, orange ou safran sont également saisies par les agences locales et transmises vers la base annuaire qui procède à un " marquage " du fichier de France Télécom pour permettre ensuite la mise en œuvre du service afférent à la liste concernée. Cette mise à jour de la base annuaire est réalisée au moins deux fois par mois.

La commercialisation de la liste des abonnés : les services proposés et leur tarification :

1. La publication et la diffusion d'annuaires imprimés et la fourniture d'un service d'annuaire électronique relèvent de la mission de service universel de France Télécom (art. L. 35-1 du Code des postes et télécommunications). L'annuaire électronique permet la consultation par le grand public (gratuite les trois premières minutes et facturée 0,37 F HT par minute pour les minutes suivantes) de la liste de l'ensemble des abonnés au service téléphonique. Cette liste n'est pas expurgée des abonnés inscrits sur les listes orange et safran puisque sa vocation n'est pas de permettre la consultation de fichiers.

2. Dans le cadre de ses activités concurrentielles de vente de fichiers, France Télécom commercialise le fichier des abonnés et des utilisateurs des réseaux publics de télécommunications sous les marques Téladresses et Marketis.

a) Le service Téladresses :

Des documents publicitaires présentent le service Téladresses comme le " partenaire " en matière de marketing direct des entreprises. Ce service se propose d'assurer la promotion des produits, la prospection des nouveaux clients, le développement des ventes en s'appuyant sur l'exploitation du " premier fichier de France, celui des abonnés au téléphone de France Télécom, soit : 2,5 millions de professionnels, 18 millions de particuliers ". Selon ces documents, les 45 000 nouvelles coordonnées de particuliers ou d'entreprises enregistrées chaque jour par les agences de France Télécom sont " répercutées en temps réel sur les fichiers de Téladresses ", ce qui confère à ce service une " fiabilité particulière ".

Ce service propose soit la " mise à disposition " (cession de fichiers extraits de la base annuaire et réalisés selon les critères spécifiés par l'annonceur, soit leur " location ").

En cas de cession, le fichier réalisé par Téladresses est expédié à l'annonceur sur le support de son choix (disquette, listings...) et le cessionnaire peut l'utiliser autant de fois qu'il le souhaite. Le prix du numéro d'appel est de 0,60 F HT (0,55 F de copyright et 0,05 F de frais techniques), celui de l'adresse est de 1,20 F HT. Le tarif prévoit des remises quantitatives qui varient de 6 % à 50 % en fonction du nombre d'adresses cédées.

En cas de location, le fichier ne peut être utilisé qu'une seule fois. Il n'est jamais remis au client mais traité directement par France Télécom ou remis à des prestataires agréés (routeur, agence de télémarketing) qui réalisent l'opération pour le compte du client. Le tarif est de 0,30 F HT par adresse extraite du fichier alphabétique ou professionnel, se décomposant, selon France Télécom, en deux éléments : 0,25 F HT au titre de la valeur du copyright et 0,05 F HT au titre des frais techniques.

Dans un cas comme dans l'autre, les conditions générales de ce service prévoient que " France Télécom est propriétaire du fichier qu'il commercialise, notamment en sa qualité d'auteur et de producteur, en application de la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 et de la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 ".

b) Le service Marketis :

Mis en service le 17 décembre 1991, le serveur Marketis est présenté par France Télécom comme le " service en ligne " de commercialisation, pour les besoins de prospection commerciale des entreprises, des adresses des abonnés au téléphone paraissant dans ses annuaires. Il met en ligne les coordonnées des abonnés en parution, à l'exclusion de ceux inscrits en liste rouge, en liste orange ou en liste safran.

Ce service est accessible par le réseau Télétel 36-14 suivi du code Marketis. Pour accéder aux listes et les transférer sur son propre équipement terminal, l'utilisateur doit être muni d'une carte pastel. Après contrôle et acceptation de celle-ci, le client peut formuler sa demande à partir de l'écran d'accueil, en fonction des critères de sélection qui lui sont proposés, au nombre de trois : par rubrique professionnelle, par rue pour les plus grandes villes de France, par ordre alphabétique avec possibilité de ciblage sur le prénom combinable avec un tri par rue. Le transfert des fichiers s'effectue en mode " Vidéotex " par l'intermédiaire d'un micro- ordinateur équipé d'un logiciel de chargement de fichiers ou d'un minitel avec imprimante.

Distincte du transfert de listes, utilisé lorsque le client souhaite créer de toute pièce un nouveau fichier, par exemple toutes les adresses d'une localité ou d'une rue, la " mise à jour " consiste, en partant d'un fichier déjà existant, à soumettre au serveur Marketis une requête incluant un nom complet et une localisation géographique afin de vérifier la validité des informations déjà détenues. Pour vérifier un fichier, il convient, par conséquent, de faire une requête pour chaque adresse présente dans le fichier.

Le prix de l'adresse facturée par Marketis correspond au tarif A 9310 du catalogue des prix de France Télécom, soit 0,304 F HT et 0,37 F TTC par adresse. Ce prix, à la différence de ceux de Téladresses, n'est pas décomposé par France Télécom en copyright et en frais techniques. Néanmoins la licence de droit d'usage de Marketis prévoit que " France Télécom est titulaire des droits d'auteur sur les annuaires officiels et sur le service Marketis. A ce titre France Télécom accorde à l'utilisateur un droit personnel, incessible et non-exclusif du service Marketis et des informations qu'il contient ".

En application de ce tarif, l'acquisition par un opérateur des 23 350 000 adresses commercialisables offertes par le service Marketis lui serait facturée au prix de 7 millions de francs hors taxes, auquel il conviendrait d'ajouter le prix des 11 675 heures de connexion au Minitel, soit 214 820 F HT.

Ainsi, la différence essentielle entre les prestations proposées par Téladresses et celles proposées par Marketis tient au niveau des prestations fournies à l'occasion de la constitution des fichiers d'adresses cédés : tandis que Marketis offre une formule en " self-service ", le client devant faire lui-même une partie du travail, à savoir la saisie des adresses en fonction de critères limités de sélection, Téladresses permet la location ou la cession de fichiers d'adresses et de numéros de téléphone réalisés par la mise en œuvre de très nombreux critères de tris et offre ainsi aux entreprises un produit " clé en main " pour des opérations de publipostage et de télémarketing ; en outre ce service met à la disposition de la clientèle des conseillers en marketing.

c) La mise en conformité des fichiers détenus par des tiers avec la liste safran.

La mise en conformité d'un fichier externe avec la liste safran est, quant à elle, facturée au prix de 500 F lors de la première demande et 250 F lors des demandes suivantes, auxquels il convient d'ajouter la facturation de la déduplication (ou topage) qui s'élève à 30 F pour 1 000 adresses s'il s'agit d'un tri départemental et de 50 F pour 1 000 adresses s'il s'agit d'un tri national.

La saisine du Conseil de la concurrence :

La société Filetech opère dans le secteur du marketing direct. Son activité principale est la constitution de fichiers de prospection destinés à la réalisation d'opérations de marketing direct.

Pour fournir ces prestations de services, elle exploite sa propre base de données qui contient environ 23 millions d'adresses. Cette base est constituée, pour l'essentiel, de l'annuaire des abonnés au téléphone, mis à jour quatre à six fois par an, et constamment enrichie par des analyses informatiques réalisées notamment par des logiciels dits de " scoring ". La société Filetech se procure les informations de la liste des abonnés au téléphone dont elle a besoin par le procédé du " télédéchargement " de l'annuaire électronique mis à la disposition de ses abonnés par France Télécom. Le transfert de fichiers par télédéchargement s'effectue en mode " Vidéotex " par l'intermédiaire d'un micro-ordinateur équipé d'un logiciel de chargement de fichiers et d'un minitel avec imprimante. A seule fin de réaliser cette opération, la société Filetech a souscrit 110 abonnements de lignes téléphoniques auprès de l'opérateur public.

Depuis l'entrée en vigueur, en 1992, de l'article R. 10-1 du Code des postes et télécommunications, la société Filetech est tenue, sauf à encourir des sanctions pénales, de radier de ses fichiers constitués à partir de la base annuaire le nom des personnes ayant demandé à ne pas figurer sur les listes extraites des annuaires et commercialisées par l'opérateur public, c'est-à-dire de celles qui sont inscrites sur la liste orange, que l'annuaire électronique ne permet pas d'identifier.

C'est dans ce contexte que Filetech, soutenant que France Télécom abusait de sa position dominante dès lors qu'elle lui interdisait de continuer à exploiter les ressources de la liste des abonnés au téléphone au prix de la consultation de l'annuaire électronique, en l'obligeant à recourir aux services plus onéreux offerts par Marketis et Téladresses qui commercialisent des listes d'abonnés préalablement expurgées, a saisi le Conseil de la concurrence lequel a rendu la décision susvisée après avoir recueilli, le 19 juillet 1993, l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (la CNIL) et, le 11 juin 1997, celui de l'Autorité de régulation des télécommunications (l'ART).

La société France Télécom a formé à l'encontre de cette décision un recours en annulation et subsidiairement en réformation.

1. A l'appui de sa demande d'annulation, elle fait valoir, en premier lieu, qu'en lui reprochant d'avoir procédé à une discrimination de prix en imputant à ses activités de marketing direct un coût inférieur à celui qu'elle facture à ses concurrents pour accéder à la base annuaire, ce qui constituait le troisième grief identifié par le rapport, le Conseil de la concurrence a excédé les limites de sa saisine, dès lors que la plainte de la société Filetech, en date du 17 novembre 1992, si elle formulait bon nombre de critiques, n'évoquait ni directement ni indirectement la moindre pratique discriminatoire, et que le conseil n'a jamais pris de délibération aux fins de se saisir d'office d'une telle pratique, étant rappelé que, selon l'article 11 de l'ordonnance de 1986, la saisine porte sur des " pratiques " et non sur un marché.

La société France Télécom fait valoir, en deuxième lieu, qu'en violation des droits de la défense, il n'a été conservé aucune trace de la teneur des déclarations du délégué général de l'Union française du marketing direct, entendu, après six années de procédure, au cours de la séance du conseil, le 29 septembre 1998.

Elle soutient, en troisième lieu, que la présence du rapporteur lors du délibéré, quand bien même il ne vote pas, comme celle du rapporteur général, porte atteinte au principe de l'égalité des armes, de sorte que la décision du conseil encourt l'annulation sur le fondement de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

2. A titre subsidiaire, la société requérante demande à la cour de réformer, en toutes ses dispositions, la décision querellée.

S'agissant de la définition des marchés pertinents, France Télécom fait d'abord observer que la distinction introduite entre ce qui serait le marché d'aval des fichiers de prospection et le marché d'amont de la liste des abonnés au téléphone, qui correspondrait d'après le conseil au seul service Marketis, est arbitraire dès lors que les services Marketis et Téladresses ne constituent que deux modalités alternatives d'extraction d'adresses de la liste des abonnés, que les opérateurs de marketing direct, contrairement à ce que postule la décision attaquée, et pour éviter des coûts télécommunication, recourent plus à Téladresses qu'à Marketis pour se procurer les adresses, et qu'il existe en fait un continuum entre le recours à Téladresses en tant que pourvoyeur d'adresses pour les opérateurs de marketing direct ou pour la constitution de fichiers sur mesure destinés aux annonceurs finaux.

France Télécom relève encore que, s'étant abstenu de procéder à une analyse concrète de la structure de la demande sur le marché des fichiers de prospection, laquelle aurait conduit à la conclusion que de nombreux opérateurs de marketing direct ou annonceurs ne s'adressent pas à elle et qu'il estiment donc inutile de croiser leurs fichiers avec la liste des abonnés au téléphone, comme en atteste la simple comparaison du chiffre d'affaires de France Télécom (60 millions de francs dont 5 millions de francs seulement correspondant, selon la décision attaquée, au marché amont, c'est-à-dire au service Marketis) et de celui, global, du marché des listes (1,9 milliard de francs), le conseil n'a pu affirmer l'existence d'une position dominante qu'en la déduisant, là encore sans vérification concrète, des caractéristiques prêtées à l'annuaire téléphonique qui le rendraient radicalement insubsituable, à savoir l'exhaustivité, la fraîcheur et la conformité à l'article R. 10-1 du Code des postes et télécommunications. Or, souligne France Télécom, l'exhaustivité n'est ni une caractéristique indispensable pour les clients ni une singularité de l'annuaire téléphonique, la fraîcheur, qualité qui n'est pas propre à son fichier, ne constitue pas un impératif absolu pour les opérateurs de marketing direct, comme le montrent l'attitude même de Filetech - qui s'en tient à trois ou quatre mises à jour par an de " son " fichier - ainsi que l'analyse du chiffre d'affaires de France Télécom lequel résulte pour l'essentiel de l'acquisition d'adresses et non de la mise à jour d'adresses préalablement détenues par les clients, et, enfin, la conformité à la liste orange n'est pas une obligation pour les utilisateurs d'adresses ne provenant pas de France Télécom.

C'est donc à tort, souligne la requérante, que le conseil, en se bornant à relever l'utilité de la liste orange, qui " peut renforcer " la valeur des fichiers d'adresses, sans caractériser en quoi celle-ci serait indispensable à l'activité des opérateurs sur le marché d'aval, l'a, selon elle, qualifiée de ressource essentielle.

France Télécom critique ensuite la décision du conseil en ce qu'elle a retenu à son encontre une exploitation abusive sur le marché des listes d'adresses de la position dominante qu'elle tiendrait en amont du caractère essentiel des ressources de l'annuaire, d'une part, en offrant celles-ci à des prix non orientés vers les coûts, et supérieurs aux charges qu'elle s'impute à elle-même pour leur utilisation, d'autre part en n'offrant pas une prestation de déduplication permettant aux détenteurs de fichiers, qu'ils aient été constitués ou non à partir de la liste des abonnés au téléphone, d'en assurer la conformité avec la liste orange.

Sur la tarification du service Marketis, la requérante fait observer que c'est un droit privatif sur les données elles-mêmes qui est conféré par la loi au producteur de la base et que ce droit, qui a une valeur patrimoniale, autorise son titulaire lorsqu'il met ses données sur le marché à percevoir une juste rémunération. Elle précise que si le droit de la concurrence a pu faire une application de la théorie des facilités essentielles en matière de propriété intellectuelle, cette même jurisprudence, lorsqu'il s'agit de contrôler que le niveau d'une redevance n'est pas abusif, se borne, afin de ne pas vider le monopole légal de sa substance, à vérifier sa correspondance avec les prix pratiqués par d'autres intervenants placés dans des situations similaires, sans se référer aux coûts de mise à disposition du matériel support des droits.

France Télécom ajoute que de ce que les recettes qu'elle dégage accessoirement à son activité d'annuairiste (service des renseignements, recettes téléphoniques afférentes à la consultation de l'annuaire électronique, recettes publicitaires de l'annuaire papier) suffiraient, selon le conseil, à couvrir les charges - de l'ordre de 200 millions de francs en 1996 - de constitution et de tenue de la base annuaire, on ne peut déduire qu'elle ne pourrait légitimement en répercuter aucune part dans les prix pratiqués par son service Marketis, une telle analyse étant contraire à tous les principes économiques puisqu'elle aboutit à imputer à une activité (celle des annuaires) la totalité des charges et à dispenser les demandeurs sur un autre marché (celui des fichiers) de toute participation aux coûts communs.

S'agissant de l'absence d'offre de topage, France Télécom fait essentiellement valoir que les seules entreprises pour lesquelles il est effectivement essentiel de pouvoir obtenir cette prestation de tri sont celles qui portent atteinte à ses droits en télédéchargeant l'annuaire comme Filetech, que le refus d'offrir une telle prestation est légitime et que l'absence à son catalogue d'une telle prestation est justifiée en application de l'article 10-1o de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dès lors que ladite prestation, si elle était offerte, serait de nature à permettre des reconstitutions partielles de la liste orange par comparaison entre les fichiers avant et après déduplication et serait en conséquence contraire aux exigences de l'article R. 10-1 du Code des postes et télécommunications puisqu'elle aboutirait à violer indirectement l'interdiction de communiquer la liste orange.

Sur le grief de discrimination, déduit de ce que France Télécom ne se facturerait pas à elle-même le prix d'accès à la base annuaire qu'elle ferait pourtant payer à ses concurrents, la société requérante relève que cette critique, peu compréhensible dans sa définition et dans les effets qui lui sont prêtés, repose sur un raisonnement faux et qu'en toute hypothèse, l'on cherche vainement dans la décision déférée le moindre embryon d'explication sur l'effet anticoncurrentiel que pourrait avoir la pratique reprochée, l'économie réalisée par Téladresses en ne s'imputant pas les charges imposées à ses concurrents ne s'étant pas traduite par l'éviction de ces derniers, la part de marché de France Télécom ayant au contraire baissé.

En ce qui concerne les sanctions prononcées par le conseil, France Télécom souligne, s'agissant de la sanction pécuniaire, que la décision querellée, au-delà de la seule évocation abstraite du dommage à l'économie, en réalité inexistant, ne relève aucun élément concret de nature à donner une assise factuelle à sa décision et, s'agissant de l'injonction, que le principe de proportionnalité et le respect des droits que France Télécom tient sur les données de sa base auraient dû conduire le conseil à la limiter à ce qui était strictement nécessaire au rétablissement du libre jeu de la concurrence, à le supposer atteint, sans l'obliger à fournir une prestation de topage de la liste orange aux propriétaires de fichiers qui, portant atteinte à ses droits, ont télédéchargé l'annuaire en violation de la loi du 1er juillet 1998 et à ceux qui entendraient trier des fichiers non régis par la liste orange et sans lui imposer une tarification " reflétant les coûts ", c'est-à-dire y correspondant mathématiquement.

Aux termes de leur mémoire déposé le 22 mars 1999, les sociétés Filetech et Groupadress, cette dernière déclarant intervenir volontairement, en sa qualité de locataire-gérant du fonds de commerce de la société Filetech, demandent à la cour, à titre principal, de surseoir à statuer, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, jusqu'à l'issue de la procédure pénale initiée le 19 octobre 1994 par Filetech devant le Tribunal de grande instance de Paris à l'encontre de France Télécom et de l'un de ses dirigeants pour publicité mensongère et détournement de fichier, en l'occurrence la liste orange, sur le fondement de l'article 226-21 du nouveau Code pénal.

Subsidiairement, ces sociétés sollicitent la confirmation de la décision du conseil en ce qu'elle a dit que France Télécom avait enfreint les dispositions des articles 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 86 du traité de Rome et en ce qu'elle a infligé une sanction pécuniaire à cette dernière.

Concluant à la réformation, pour le surplus, de ladite décision, elles demandent à la cour de dire que l'article R. 10-1 du Code des postes et télécommunications est inapplicable car contraire aux textes susvisés et d'enjoindre, en conséquence, à la société France Télécom :

- de procéder au marquage de la liste orange dans les annuaires papier et électronique ;

- de fournir à toute personne qui en fera la demande la liste des personnes inscrites sur la liste orange à un prix qui ne saurait dépasser le coût technique du support et du transfert du fichier sur le support ;

- de fournir et de procéder aux mises à jour, sans délai, " des fichiers annuaire et liste orange de toute personne qui en fera la demande à un prix qui ne saurait dépasser le coût technique du support et du transfert du fichier sur le support " ;

- de cesser les activités de Téladresses et de Marketis tant que ces activités n'auront pas été filialisées dans le respect du droit des sociétés et du droit de la concurrence.

La société Filetech fait essentiellement valoir :

- qu'il lui est impossible de poursuivre son activité, laquelle consiste en la constitution de fichiers de prospection " sur mesure " pour des clients souhaitant faire du marketing direct ou des sondages, sans avoir accès aux données publiques de l'annuaire des abonnés au téléphone lequel se distingue de toute autre base de données par sa fraîcheur et son exhaustivité ;

- que le prix d'accès à ces données auprès des services Marketis et Téladresses est non seulement prohibitif, mais aussi discriminatoire dès lors que ces services non filialisés de France Télécom, qui la concurrencent, ont un accès libre et gratuit aux mêmes données ;

- qu'elle est donc contrainte de télédécharger lesdites données, ce qui constitue une opération lourde et coûteuse, limitant les possibilités de mise à jour de sa base de données ;

- qu'à la suite de l'entrée en vigueur de l'article R. 10-1, alinéa 2, du Code des postes et télécommunications, elle se trouve devant l'alternative suivante : soit elle achète auprès de France Télécom, qui est l'unique détenteur de la liste orange, la base de données expurgée de cette liste, soit elle risque des sanctions pénales ;

- que France Télécom, qui jouit d'un monopole et donc d'une position dominante sur le marché amont des informations contenues dans la liste des abonnés au téléphone, abuse de cette position sur le marché aval de la constitution de fichiers de prospection et doit partager ces facilités essentielles avec ses concurrents en leur permettant d'y accéder pour un prix reflétant les coûts techniques, c'est-à-dire ceux du support et du transfert des données sur ce support.

Présentant des observations écrites, le Conseil de la concurrence rappelle qu'indépendamment des conditions qui ont présidé à l'établissement du tarif Marketis, constitue une pratique abusive le fait, pour France Télécom, de pouvoir accéder à la prestation de mise à jour de ses propres fichiers, lorsqu'elle les commercialise, à des conditions différentes de celles qu'elle impose aux tiers.

Il ajoute qu'il ne s'est nullement prononcé sur l'existence ou non de droits privatifs au titre de l'application de la loi sur les bases de données, mais a relevé que le prix de l'adresse communiquée par le service Marketis dans le cadre de la mise en conformité d'un fichier avec la liste orange était identique à celui auquel France Télécom négocie ses propres fichiers de prospection ciblés en fonction de la demande qui lui est faite au titre de la location d'adresses et ce, alors que, par ailleurs, l'opérateur procède à une prestation de mise en conformité à la liste safran à un prix considérablement inférieur.

Le ministre chargé de l'économie demande à la cour de confirmer la décision déférée.

Après avoir relevé, s'agissant de la définition des marchés pertinents, que le conseil ayant analysé en détail le caractère non substituable à d'autres listes du produit constitué par la liste des abonnés au téléphone, avait considéré à juste titre qu'il existait un marché amont de la liste des abonnés au téléphone et un marché aval des fichiers de prospection, il approuve encore le conseil d'avoir retenu que France Télécom, lors de la commercialisation des fichiers de prospection de Téladresses ne s'impute pas des charges d'accès à la liste des abonnés expurgée de la liste orange équivalentes à celles que supportent les utilisateurs du service Marketis et que cette pratique de discrimination, émanant d'une entreprise en position dominante sur le marché des abonnés au téléphone, et mise en œuvre sur le marché des fichiers de prospection, ayant eu pour objet et pu avoir pour effet potentiel de restreindre la concurrence sur ce marché, constitue un abus contraire aux dispositions des articles 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 86 du traité de Rome.

Il estime que l'injonction prononcée par le conseil est proportionnée à ce qui est nécessaire au rétablissement de l'ordre public économique.

La société France Télécom a répliqué, en développant les moyens précédemment exposés, à l'argumentation de la société Filetech ainsi qu'aux observations du Conseil de la concurrence et à celles du ministre chargé de l'économie.

Relevant que la décision déférée lui avait été notifiée, ainsi qu'au ministre et à la société Filetech, le 18 décembre 1998 et que la société Groupadress, qui prétend intervenir volontairement à l'instance, n'avait pas formé de déclaration d'intervention dans le délai prévu à l'article 7 du décret du 19 octobre 1987 relatif aux recours exercés contre les décisions du Conseil de la concurrence, elle demande à la cour de déclarer ladite intervention irrecevable.

Elle conclut également à l'irrecevabilité des demandes incidentes de la société Filetech tendant à l'aggravation de la sanction pécuniaire et de l'injonction prononcées par le conseil en l'absence de recours incident formé dans les conditions prévues par les articles 2, 4 et 6 du décret précité.

Le Ministère public a développé des conclusions orales tendant au rejet du recours, sous réserve d'une nouvelle appréciation de la valeur du moyen tiré de la présence du rapporteur au délibéré du conseil, à la lumière des arrêts rendus le 5 février 1999 par l'assemblée plénière de la Cour de cassation.

Il rappelle, sur le fond, que la liste des abonnés au téléphone est une ressource déterminante pour les opérateurs en marketing direct, qu'elle n'est légalement exploitable qu'une fois expurgée des noms des abonnés inscrits en liste orange, que le niveau de tarification du service Marketis est manifestement hors de proportion avec son coût de revient si l'on tient compte des moyens techniques qu'il met en œuvre, qu'il s'agisse d'accéder aux informations de la liste des abonnés expurgée ou qu'il s'agisse d'une prestation de tri destinée à expurger les fichiers détenus par des tiers des noms des abonnés figurant sur la liste orange, le coût de la cession d'adresse dans le cadre de ce service (0,30 F) étant six fois plus élevé que celui pratiqué pour la communication d'adresse après déduplication des adresses en liste safran.

Il estime que cette pratique, qui consiste de la part d'une entreprise en position dominante sur le marché de la liste des abonnés au téléphone, à offrir ses services, pour l'exercice d'une activité sur un marché aval sur lequel elle est également présente, à des prix supérieurs aux charges qu'elle s'impute pour leur utilisation, et qui fausse le jeu de la concurrence sur ce marché, caractérise un abus de sa position par ladite entreprise, non justifié par les dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Sur ce, LA COUR :

Sur l'intervention de la société Groupadress :

Considérant que la société Groupadress, qui n'était pas en cause devant le Conseil de la concurrence, justifie, en sa qualité de locataire-gérant du fonds de commerce de la société Filetech, avoir intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir l'argumentation développée par cette dernière en réponse au recours de la société France Télécom ; que cette intervention, non soumise aux exigences de l'article 7 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987, est en conséquence recevable ;

Sur la recevabilité des demandes de la société Filetech :

Considérant que la société Filetech n'ayant pas formé de recours incident à l'encontre de la décision du conseil, ses demandes tendant à la réformation de cette décision en ses dispositions relatives aux injonctions visant la société France Télécom sont irrecevables ;

Sur la demande de sursis à statuer :

Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Filetech et Groupadress, il n'apparaît pas conforme à l'intérêt d'une bonne administration de la justice de surseoir à statuer jusqu'à l'issue de la procédure pénale que la société Filetech déclare avoir initiée à l'encontre de la société France Télécom et l'un de ses dirigeants pour " publicité mensongère et détournement de finalité du fichier liste orange " ;

Sur les moyens d'annulation :

Considérant que la société France Télécom, faisant valoir que la saisine du Conseil de la concurrence porte sur des pratiques et non sur un marché, prétend que le conseil a, en l'espèce, excédé les limites de sa saisine en examinant la pratique ayant fait l'objet du troisième grief notifié relatif à la mise en œuvre d'une discrimination de prix sur le marché de l'exploitation de fichiers à des fins d'opération de marketing direct dès lors que ladite pratique n'était pas visée dans la saisine de la société Filetech et qu'elle n'a pas donné lieu à une saisine d'office ;

Mais considérant que dans la lettre qu'elle a adressée, le 17 novembre 1992, au Conseil de la concurrence, la société Filetech, se référant aux dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a dénoncé la pratique d'abus de position dominante qu'elle imputait à France Télécom et qui avait, selon elle, pour objet, au moyen du monopole exercé sur la liste orange, de contraindre ses concurrents sur le marché des fichiers de prospection à utiliser à des " conditions prohibitives " ses propres services Marketis et Téladresses ;

Qu'ainsi, c'est sans sortir des limites de sa saisine que le Conseil s'est prononcé sur la discrimination de prix que France Télécom aurait mise en œuvre en s'imputant des charges d'accès à la structure qu'elle gère moindres que celles qu'elle facture à ses concurrents dès lors que la pratique examinée se situait sur le marché en cause, qu'elle était antérieure à l'acte de saisine, se rattachait aux comportements dénoncés et qu'elle visait au même objet ou pouvait avoir le même effet ;

Considérant que la requérante fait encore valoir que la décision déférée doit être annulée en raison de la participation au délibéré du rapporteur et du rapporteur général, en violation du droit à un procès équitable ;

Considérant que le droit à un procès équitable, contenu à l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi qu'à l'article 14-1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, suppose le principe de l'égalité des armes ;

Que ce principe doit permettre à chaque partie d'avoir la possibilité d'exposer sa cause dans des conditions qui ne la désavantagent pas d'une manière appréciable par rapport à la partie adverse, ce qui suppose que la procédure permette un débat effectivement contradictoire ;

Considérant que le principe du respect des droits de la défense constitue un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République réaffirmés par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 ; qu'il implique, notamment en matière pénale, l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties ;

Que l'exigence de la règle du contradictoire est rappelée par l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 selon lequel " l'instruction et la procédure devant le Conseil de la concurrence sont pleinement contradictoires " ;

Considérant que le rapporteur et le rapporteur général ont, conformément aux dispositions de l'article 25 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, assisté au délibéré du Conseil, sans voix délibérative ;

Que la présence de ces personnes au délibéré, l'une, chargée de l'instruction du dossier et de la notification des griefs, l'autre, d'animer et de contrôler l'activité des rapporteurs, leur a permis d'exprimer sur l'affaire, devant le Conseil, en l'absence des parties, des positions sur lesquelles celles-ci n'ont pas été en mesure de répondre ; qu'une telle situation est à la fois contraire à l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et à l'article 18 de l'ordonnance précitée ; que, prise dans des conditions irrégulières, la décision déférée doit être annulée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens articulés à cette fin ;

Considérant que dans le contentieux de pleine juridiction institué par l'article 15, alinéa 1er, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la cour d'appel de Paris, après avoir annulé la décision, a le pouvoir de se prononcer, conformément à l'article 13 de l'ordonnance susvisée, sur les pratiques dont le Conseil était saisi ;

Sur le fond :

Sur la délimitation des marchés pertinents :

Considérant qu'il résulte des pièces mises aux débats, en particulier de celles annexées à la notification des griefs, que le " marketing direct ", qui peut se définir comme toute forme de communication et de vente s'adressant directement au client, et qui se différencie en cela des méthodes de publicité commerciales classiques faisant appel aux médias, recouvre un ensemble de prestations complexes ; qu'on distingue ainsi les imprimés sans adresse, prospectus ou éditions publicitaires distribués de porte à porte, la publicité directe, forme de publicité ayant pour suport les mass media et permettant l'établissement d'une relation directe entre l'opérateur et le consommateur, et le marketing direct sur fichiers ou base de données, exploités pour réaliser des opérations de démarchage commercial par voie postale (mailing), par téléphone (phoning) ou par télécopie (faxing) ; que selon La Documentation française, les dépenses liées au marketing de bases de données (mailing et phoning) représenteraient 16 % du total des dépenses de communication, lesquelles, selon Havas Media Communication, se sont élevées, en 1995, à 147,7 milliards de francs ;

Considérant que les professionnels du marketing sur fichiers, qui constitue la forme la plus élaborée du marketing direct, et dont l'essor a été rendu possible par les progrès des moyens informatiques, distinguent deux catégories de bases de données : les fichiers dits de " comportement " dans la mesure où, en raison de leur mode de constitution sélectif, ils contiennent déjà des informations relatives aux habitudes de consommation des personnes (ainsi les fichiers des clients des entreprises de vente par correspondance, des abonnés à certains journaux, des clients des constructeurs automobiles) et les fichiers dits de " compilation ", généralement plus volumineux mais pauvres en données " comportementales " ;

Considérant que les fichiers ciblés, permettant par la mise en œuvre, au moyen de logiciels de " scoring ", de critères de tris appropriés à un segment de marché donné géographiquement délimité des retours plus importants ou des sondages plus représentatifs de l'avis de la population française, sont élaborés à partir de fichiers de compilation, enrichis par diverses sources et mis à jour régulièrement ; que la liste des abonnés au téléphone constitue le " fichier-source " par excellence, à partir duquel peuvent être établis, complétés ou mis à jour de nombreux fichiers dérivés ;

Considérant que des opérateurs se sont spécialisés dans l'analyse et la constitution de ces fichiers de prospection ; qu'ainsi la société Filetech propose, parmi d'autres services, " la constitution de fichiers pour mailing, phoning et faxing par extraction sur la base de la quasi-exhaustivité des 27 millions d'adresses de particuliers et d'entreprises " ;

Considérant que dans le contentieux de pleine juridiction institué par l'article 15, alinéa 1er, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la Cour d'appel de Paris, après avoir annulé la décision, a le pouvoir de se prononcer, conformément à l'article 13 de l'ordonnance susvisée, sur les pratiques dont le Conseil était saisi ;

Que la société France Télécom propose, par ses services Téladresses et Marketis, des fichiers de prospection extraits de la liste exhaustive des abonnés au téléphone par application de critères de segmentation ; qu'en vue d'enrichir les prestations ainsi offertes, France Télécom s'est rapprochée de la société BCA, opérateur spécialisé dans le domaine des statistiques ; que l'article 1er du préambule du protocole d'accord provisoire conclu en 1996 entre ces deux sociétés énonce qu'afin " de faire face à la concurrence des fichiers dits de comportement, France Télécom souhaite apporter une qualification de type CSP aux données de son fichier commercialisé sous le nom de Téladresses " et que " BCA prescripteur des fichiers Téladresses a testé depuis 1992 des techniques de "scoring rue" à partir de la comparaison d'éléments statistiques relatifs entre autres au fichier de référence Téladresses, avec les données d'un annonceur, ceci afin de prescrire à ce dernier les meilleures cibles de prospection basées sur des sélections rue/âge effectuées sur le fichier Téladresses " ;

Considérant que sur ce marché des fichiers destinés à la réalisation d'opérations de marketing direct, la société France Télécom est en situation de concurrence avec d'autres entreprises, dont la société Filetech ; que la société requérante indique qu'elle détenait, à l'époque des faits considérés, 3 % de part de ce marché ;

Considérant que, consultée par le Conseil à la suite de la saisine de la société Filetech, conformément aux dispositions de l'article 16 du décret du 29 décembre 1986, la CNIL a relevé dans son avis du 19 juin 1993 que " la liste des abonnés de France Télécom, de par sa richesse (30 millions d'abonnés environ), sa mise à jour, représente, pour les annonceurs et les professionnels du marketing direct, un outil incomparable "; que, de son côté, l'ART, consultée en application des dispositions de l'article L. 36-10 du Code des postes et télécommunications, a estimé que " le fichier des abonnés au téléphone du fait des informations contenues (nom, prénom, adresse, numéro de téléphone, profession éventuellement) et de sa représentativité de la population française (taux d'équipement des ménages en téléphone supérieur à 95 %) constitue une ressource unique pour les professionnels du secteur du marketing direct ";

Considérant qu'ont ainsi été mises en évidence deux caractéristiques, spécifiques à la liste des abonnés au téléphone et vainement contestées par la société requérante, à savoir son exhaustivité et sa mise à jour permanente;

Qu'il y a lieu de préciser, s'agissant de la première de ces particularités, qu'il n'existait pas au cours de la période considérée, et qu'il n'existe toujours pas, de fichier dont la taille soit comparable à celui géré par l'opérateur public, étant observé que le fichier SIRENE de l'INSEE est artificiellement présenté par la société requérante comme substituable à la " liste des entreprises abonnées au téléphone ", cette liste n'étant pas elle-même substituable à la liste globale des abonnés et, s'agissant de la mise à jour de l'annuaire, qu'elle est faite quotidiennement (cf. cote 1266) et que, selon un rapport d'audit du Cabinet Coopers et Lybrand de mars 1994, sollicité par France Télécom, " la base de données annuaires tient sa valeur de sa mise à jour permanente ; si la mise à jour s'interrompait la valeur de la base se dégraderait de manière plus ou moins rapide suivant les segments de clientèle ", le taux de mouvement annuel (hors liste rouge) étant évalué par ce rapport à 35 % pour les segments résidentiels et à 108 % pour les segments professionnels, soit 45 % de mouvements annuels tous segments confondus ;

Considérant qu'aux deux qualités ci-dessus mentionnées, propres à la base annuaire, s'ajoute une troisième tenant au fait qu'elle comporte le marquage des abonnés inscrits en liste orange et safran, chacune de ces listes constituant un sous-fichier de la base annuaire;

Considérant que les détenteurs de fichiers extraits de l'annuaire, achetés à France Télécom ou obtenus par télédéchargement de l'annuaire électronique, sont passibles de sanctions pénales s'ils exploitent les informations qu'ils détiennent sans avoir pris, au préalable, la précaution d'en extraire les informations se rapportant à des personnes inscrites en liste orange ; que France Télécom est seule en mesure de fournir à ces opérateurs une liste expurgée du nom de ces personnes, partant légalement exploitable ;

Considérant, au surplus, que s'il est vrai que l'interdiction formulée par l'article R. 10-1 du Code des postes et télécommunications ne s'impose qu'aux seuls détenteurs de fichiers extraits des annuaires de France Télécom, la conformité d'un fichier de prospection à la liste orange, quelle qu'en soit la source, accroît sa valeur commerciale en assurant à son utilisateur des gains de productivité dès lors que les personnes inscrites sur ladite liste sont réputées insensibles à ce type de sollicitation ; que le croisement de ces fichiers avec la liste expurgée des abonnés présente donc un intérêt certain pour les opérateurs de marketing direct ;

Considérant qu'il ressort de l'ensemble de ces constatations que la liste des abonnés au téléphone constitue pour les opérateurs intervenant sur le marché des fichiers de prospection une ressource à laquelle aucune autre base de données ne peut être substituée;

Considérant que ces opérateurs, dont la société Filetech, ont besoin d'une base de données exhaustive à partir de laquelle seront constitués, comme il a été indiqué ci-dessus, après enrichissement de cette base, des fichiers spécifiques adaptés aux demandes de leurs clients ; qu'ils ont en outre besoin d'une prestation de mise à jour des fichiers de prospection, quelle qu'en soit la source, en vue d'atteindre le plus grand nombre possible de " prospects " et/ou de rendre lesdits fichiers conformes aux exigences des dispositions législatives et réglementaires protégeant les libertés individuelles et l'intimité de la vie privée ; qu'il existe ainsi une demande portant sur l'accès à la liste des abonnés au téléphone envisagée dans sa fonction de fichier-source et dans celle, complémentaire, d'instrument de mise à jour des fichiers existants;

Considérant que, de son côté, l'opérateur public exprime une offre propre, selon lui, à satisfaire cette demande sous ses deux aspects ; qu'ainsi, la totalité de la base annuaire est proposée par Marketis pour le prix de 7 millions de francs, ou par extraction des informations contenues dans l'annuaire, sur CD-ROM, pour le prix de 14 millions de francs ; qu'en outre le télédéchargement de l'annuaire électronique, opération onéreuse en raison du coût des heures de connexion téléphonique qu'elle nécessite, même en recourant à des moyens sophistiqués, est techniquement possible ; que France Télécom offre par ailleurs une prestation de mise à jour des fichiers détenus par les entreprises du secteur marketing direct par croisement avec la liste des abonnés au téléphone ; que le service Marketis, dont l'activité se différencie de celle de Téladresses ou de Filetech en ce qu'il ne fournit pas de produit fini, " sur mesure ", directement utilisable pour une opération de marketing direct, a précisément été créé après que le Conseil d'Etat eût demandé à France Télécom, à l'occasion de l'examen du décret du 12 octobre 1989, de mettre en place un service permettant aux entreprises d'accéder à des listes d'abonnés expurgées de la liste orange ; que la relative faiblesse du chiffre d'affaires de ce service, dont la société requérante ne peut, au demeurant, utilement se prévaloir eu égard aux caractéristiques, ci-après mentionnées, des prestations offertes, est sans incidence sur la réalité de la demande à laquelle ledit service a vocation à répondre ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il existe, d'une part, un marché des fichiers de prospection, marché sur lequel France Télécom est en situation de concurrence avec d'autres opérateurs, et, d'autre part, un marché, connexe, de la liste des abonnés au service téléphonique;

Et considérant que France Télécom, qui était titulaire au cours de la période examinée d'un monopole légal sur le marché des télécommunications entre points fixes, était le seul opérateur en mesure de commercialiser la liste des abonnés au téléphone, tenue à jour et expurgée des noms de ceux de ces abonnés figurant sur les listes orange et safran ; qu'il le demeure actuellement, en l'absence de mise en place de l'organisme gérant de l'annuaire universel institué par l'article L. 35-4 du Code des postes et télécommunications, issu de l'article 8 de la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 ;

Que la position dominante de l'opérateur public sur le marché de la liste des abonnés au téléphone est ainsi caractérisée;

Sur les pratiques imputées à France Télécom :

Considérant, en premier lieu, que la constitution par France Télécom de la liste orange est imposée par la réglementation en vigueur, laquelle interdit son utilisation à des fins commerciales ; que se référant à sa délibération n° 85 du 18 juin 1985, la CNIL en a déduit, dans son avis susvisé du 19 juillet 1993, que seuls des fichiers expurgés de la liste orange peuvent être cédés par France Télécom et que cette dernière ne pouvait être contrainte à communiquer directement aux entreprises qui lui en feraient la demande la liste des personnes ayant exprimé la volonté de ne pas subir de démarchage commercial ;

Considérant que c'est bien pour permettre un accès au fichier des abonnés au service téléphonique dans des conditions respectant cette réglementation que France Télécom a mis en place le service Marketis ; que dans sa délibération n° 91-032 du 7 mai 1991, la CNIL, après avoir rappelé cette donnée, relevait que la création dudit service était " de nature à accroître le nombre de publipostages et de messages téléphoniques " ;

Que la prestation de service que Marketis a ainsi vocation à fournir, à savoir la mise en conformité avec la liste orange - en constante évolution - des fichiers détenus par des tiers, nécessaire au regard de la loi pénale pour les utilisateurs de fichiers extraits de la base des abonnés au téléphone, est utile, pour les raisons qui ont déjà été exposées, aux opérateurs de marketing direct utilisant des fichiers de prospection non dérivés des annuaires ;

Considérant qu'en accord avec la délibération de la CNIL n° 92-049 du 12 mai 1992, selon laquelle " la communication de la liste safran s'effectue de façon indirecte soit par mise à disposition de listes d'abonnés au télex ou à la télécopie expurgée des numéros inscrits sur la liste safran, soit encore par marquage des fichiers qui seront communiqués à France Télécom ", celle-ci offre aux entreprises une prestation de mise en conformité de leurs fichiers avec cette liste par extraction des noms figurant sur ladite liste dont la finalité, en dépit de fondements textuels différents, rejoint celle de la liste orange ;

Or considérant que, tandis que France Télécom propose d'expurger les fichiers détenus par des tiers des noms de la liste safran au prix de 0,03 F ou de 0,05 F par adresse vérifiée et que les 110 000 adresses contenues dans le fichier " Stop publicité ", fichier " repoussoir " privé mis en place par les professionnels de la vente par correspondance, sont vendues au prix de 4 500 francs, soit environ 0,04 F l'adresse, le prix de l'adresse cédée par Marketis aux utilisateurs de ce service est fixé à 0,30 F H.T. à la rubrique A 9310 du catalogue de France Télécom ;

Qu'il ressort de ces éléments, et de ceux tirés de la comparaison du prix du service Marketis avec la structure des prix du service Téladresses, ci-dessus décrite, que le niveau de tarification pratiqué par Marketis est hors de proportion avec le coût des moyens techniques nécessaires pour accéder aux informations de la liste des abonnés expurgée ou à une prestation de tri permettant d'expurger les fichiers détenus par des tiers du nom des abonnés inscrits sur la liste orange et ne s'explique que par la perception de droits de propriété intellectuelle dont France Télécom s'affirme titulaire aux termes de la " licence de droit d'usage du service Marketis ";

Considérant, en outre, que les conditions d'accès au service Marketis obligent les opérateurs qui ont précédemment acquis des droits de reproduction sur tout ou partie de la liste des abonnés, les autorisant à faire un usage illimité des données ainsi transférée par l'opérateur public, et qui souhaitent expurger à nouveau ces données de la liste orange avant chaque utilisation, à réactualiser l'ensemble de leur fichier par le rachat de toutes les adresses qu'il contient au prix unitaire de 0,30 F HT ; qu'en l'absence de prestation de tri des fichiers analogue à celle des adresses en liste safran, l'application du tarif A 9310 conduit ainsi France Télécom à percevoir, pour une opération marginale relative à une très faible fraction de la liste de base, des droits assis artificiellement sur la totalité de la liste en cause, contraignant le cessionnaire des données à payer un prix sans rapport avec le coût de la prestation effectivement demandée;

Considérant, sans qu'il soit besoin de prendre partie sur le bien-fondé de la prétention à la titularité de droits de propriété intellectuelle émise par France Télécom sur le fondement des dispositions des articles L. 341-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, issues de la loi du 1er juillet 1998, qu'il résulte de l'ensemble de ces constatations que les conditions tarifaires mises en œuvre par France Télécom sont de nature à fermer l'accès à la ressource de la liste des abonnés au téléphone pour l'établissement de fichiers de prospection ; que cet état de fait est confirmé par le nombre moyen limité d'adresses communiqué aux utilisateurs du service Marketis à l'occasion de chacune de leurs commandes ;

Considérant que ces mêmes constatations rendent vaine l'argumentation tirée du montant prétendu des coûts de collecte et de tenue de la base de données ; que, de surcroît, l'ART a estimé, dans un communiqué de presse daté du 27 octobre 1997 et relatif au coût du service universel des communications, que compte-tenu des recettes générées par les annuaires sous forme imprimée et électronique et par le service de renseignements téléphoniques, la charge nette imputable au titre du service universel en cause était nulle ;

Que c'est encore en vain que la société France Télécom se prévaut, pour contester le caractère abusif du prix des prestations du service Marketis, de quelques comparaisons avec des prix observés sur des marchés étrangers en matière de commercialisation de listes d'abonnés dès lors qu'elle ne met pas la cour en mesure d'apprécier la pertinence de ces éléments de comparaison et qu'au surplus il n'est pas établi qu'existerait pour les intervenants sur les marchés en cause une contrainte analogue à celle résultant des dispositions combinées des articles R. 10-1 du Code des postes et télécommunications et 226-18 du Code pénal ;

Considérant que la pratique ci-dessus caractérisée s'explique en réalité par la poursuite d'un objectif clairement désigné, sous la signature d'une collaboratrice de la société requérante, dans un article publié dans le n° 20 de la revue Juris PTT, où il était notamment indiqué : " une solution originale au problème de la protection de l'annuaire officiel vient d'être mise en place par le nouvel article 10-1 du Code des P & T : en interdisant l'usage par quiconque à des fins commerciales ou de diffusion dans le public des informations extraites de la liste orange, il protège notamment contre le télédéchargement de l'annuaire de France Télécom. Cette pratique du télédéchargement qui consiste à pirater l'annuaire électronique par voie télématique, grâce à des logiciels spécifiques, est très fréquente car elle permet de disposer, à un coût très faible, du fichier des abonnés. Or, elle porte préjudice non seulement à France Télécom dont le travail de constitution et de mise à jour du fichier des abonnés est utilisé, sans droit, par des tiers, mais également aux abonnés qui ne sont pas protégés quand ils le souhaitent contre certains démarchages (...). C'est qu'en effet l'article R. 10 ne vise pas seulement à protéger l'abonné pris individuellement, quoique ce soit son but essentiel, mais également à assurer la protection de l'annuaire, en tant que tel " ;

Considérant, en second lieu, que le fait, pour une entreprise détenant une position dominante sur un marché de biens ou de services utilisés pour l'exercice d'une activité sur un marché connexe concurrentiel sur lequel ladite entreprise est également présente, d'offrir ces biens et ces services à des prix supérieurs aux charges qu'elle s'impute à elle-même pour leur utilisation peut avoir pour effet d'empêcher ses concurrents de se maintenir ou d'entrer sur ce dernier marché ;

Considérant, en l'espèce, que, le service Téladresses étant un service du SNAT, il ne recourt pas au service Marketis pour fournir ses prestations mais dispose d'un accès direct à la liste expurgée des abonnés au téléphone ; que le directeur des annuaires de France Télécom a confirmé que " les services Marketis et Téladresses accèdent au même fichier-source " ;

Et considérant que le prix de l'adresse cédée par Marketis est identique à celui auquel France Télécom négocie ses propres fichiers de prospection dans le cadre de la location d'adresses prévue par le tarif du service Téladresses (0,30 F HT par adresse), lequel fournit à ses clients une prestation de ciblage consistant à créer un fichier à valeur comportementale utilisable ensuite pour des actions promotionnelles sous la forme de mailing ou de phoning ; qu'il est établi, par cette seule constatation, que France Télécom ne s'impute pas, à l'occasion de la commercialisation des fichiers de prospection de Téladresses, des charges d'accès à la liste des abonnés expurgée de la liste orange équivalentes à celles que supportent les utilisateurs du service Marketis ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société France Télécom, en position dominante sur le marché de la liste des abonnés au téléphone, a exploité abusivement cette position sur le marché connexe des fichiers de prospection et que les pratiques ci-dessus caractérisées, visées par les deuxième et troisième griefs notifiés à la requérante, ont eu pour objet et ont pu avoir pour effet de restreindre le jeu de la concurrence sur ce dernier marché, de sorte qu'elles sont prohibées par les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, sans que France Télécom puisse utilement se prévaloir des dispositions de l'article 10, paragraphe 1, de ladite ordonnance pour justifier son refus de proposer une prestation de topage des fichiers détenus par des tiers, la fourniture d'une telle prestation, qui ne saurait être assimilée à une commercialisation de la liste orange, interdite à France Télécom, étant compatible avec les dispositions de l'article R. 10-1 du Code des postes et télécommunications comme avec les délibérations de la CNIL ;

Considérant que les pratiques ci-dessus caractérisées sont également prohibées par les dispositions de l'article 86 du traité de Rome ; qu'en effet lesdites pratiques produisant leurs effets sur l'ensemble du territoire national, partie substantielle du marché commun, sont susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres dès lors qu'elles peuvent avoir des répercussions sur les courants commerciaux, notamment en empêchant des entreprises implantées dans d'autres Etats de la Communauté européenne de pénétrer sur le marché français des fichiers de prospection ;

Sur les sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme concerné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction " ;

Considérant que les pratiques retenues à l'encontre de la société France Télécom revêtent une gravité certaine dans la mesure où, loin d'être fortuites ou occasionnelles, elles ont pour objet et pu avoir pour effet de restreindre l'accès au marché des fichiers de prospection et de faire obstacle au développement technologique sur ce marché ; qu'en effet la mise en conformité de ces fichiers aux dispositions de l'article R. 10-1 du Code des postes et télécommunications est une opération essentielle dans le cadre de l'activité de marketing direct dès lors que l'efficacité de cette activité est tributaire de la qualité des fichiers et qu'à cet égard les fichiers de compilation ont un rôle déterminant lorsqu'ils sont exhaustifs puisqu'ils sont la base à partir de laquelle on peut constituer des fichiers spécifiques et qu'ils permettent d'enrichir les fichiers de comportement lesquels, ainsi que le soulignait la plaquette d'information de la société BCA, partenaire de France Télécom dans son activité de télémarketing (cote 938), " ne permettent d'isoler qu'une cible au potentiel limité et parfois sursollicité compte tenu de l'intérêt généralement porté à cette cible par les différents annonceurs concurrents " ;

Que compte tenu de ces éléments d'appréciation, et du fait que la société France Télécom a réalisé au titre de l'exercice 1997 un chiffre d'affaires de 131 516 204 778 F, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 10 000 000 F ;

Considérant, en outre, qu'il y a lieu, en vue d'assurer le rétablissement du libre jeu de la concurrence sur le marché des fichiers de prospection, de faire application, dans les conditions précisées au dispositif du présent arrêt, des dispositions de l'article 13, alinéa 1er, en enjoignant à France Télécom de fournir la liste consolidée comportant, sous réserve des droits des personnes concernées, les informations contenues dans l'annuaire universel et de proposer un service permettant la mise en conformité des fichiers contenant des données nominatives détenus par des tiers avec la liste orange des abonnés au téléphone, que ces fichiers soient ou non extraits de la base annuaire, étant ici observé que l'invocation par France Télécom du caractère prétendument illicite du télédéchargement des données - à caractère public - de la liste des abonnés au téléphone ne saurait faire obstacle à la sanction de l'ordre public concurrentiel et que l'accès à la prestation de topage présente, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, un intérêt certain pour les détenteurs de fichiers destinés à la réalisation d'opérations de marketing direct constitués à partir d'autres sources d'informations que celles de l'annuaire téléphonique ;

Par ces motifs : Dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer ; Déclare recevable l'intervention de la société Groupadress ; Déclare irrecevables les demandes de la société Lectiel ; Annule la décision du Conseil de la concurrence n° 98-D-60 du 29 septembre 1998 ; Et, statuant sur les pratiques reprochées : Dit que la société France Télécom a enfreint les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 86 du traité de Rome ; Inflige à la société France Télécom une sanction pécuniaire de 10 millions de francs ; Enjoint à ladite société, jusqu'à la mise en service de l'organisme prévu à l'article L. 35-4 du Code des postes et télécommunications, chargé de tenir à jour la liste de l'annuaire universel : - de fournir, dans des conditions identiques, à toute personne qui lui en fait la demande, la liste consolidée comportant, sous réserve des droits des personnes concernées, les informations contenues dans l'annuaire universel ; - de proposer un service permettant la mise en conformité des fichiers contenant des données nominatives détenus par des tiers avec la liste orange des abonnés au téléphone, que ces fichiers soient ou non directement extraits de la base annuaire ; Dit que ces prestations devront être proposées dans des conditions transparentes, objectives et non discriminatoires à un prix orienté vers les coûts liés aux opérations techniques nécessaires pour répondre à cette demande, à l'instar, s'agissant de la prestation de déduplication ou topage, de la prestation prévue au catalogue de France Télécom à la rubrique prévoyant la mise en conformité des fichiers tiers externes avec la liste safran et la déduplication ou le topage de ces fichiers ; Condamne la société France Télécom aux dépens.