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Décisions

Cass. com., 6 avril 1999, n° 97-12.773

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

France Télécom (SA)

Défendeur :

Bécheret, ODA (SA), Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget, Procureur général près la Cour d'appel de Paris

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq (faisant fonctions)

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Rouvière, Boutet, Me Ricard.

Cass. com. n° 97-12.773

6 avril 1999

LA COUR : - Attendu selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 février 1997) que la société Office d'Annonces (société ODA), filiale de France Télécom, alors personne morale de droit public, et de la société Havas, est le régisseur exclusif de France Télécom pour la publicité insérée dans les annuaires du téléphone, notamment l'annuaire des professionnels dénommé Les Pages Jaunes ; que France Télécom et la société ODA qui disposaient, jusqu'en 1990, du monopole, pour la première, de l'édition des listes officielles d'abonnés et, pour la seconde, des espaces publicitaires dans les annuaires officiels, se sont trouvées en 1991 en concurrence avec la société Communication media services (société CMS), qui a lancé sur le marché un annuaire comparable aux pages jaunes départementales mais concurrent des annuaires traditionnels, "l'annuaire soleil", représentant l'ensemble des professionnels installés dans une zone géographique plus restreinte que le département, en l'espèce, la région de Versailles ; que concomitamment France Télécom a édité dans ce secteur un annuaire professionnel local reprenant, pour ce secteur, partie des pages jaunes incluses dans l'annuaire départemental ; que cette entreprise a confié à la société ODA la mise en place de la commercialisation des espaces publicitaires dans le nouvel annuaire des pages jaunes locales sur la zone de Versailles ; que cette société a, alors, décidé d'offrir aux annonceurs souscrivant simultanément dans les pages départementales, et dans les pages locales des remises de couplage, permettant une réduction de 50% sur le prix de souscription dans les pages jaunes locales en 1992 et 1993 ; que la société CMS estimant qu'une telle pratique était constitutive d'abus de position dominante, au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a saisi le Conseil de la concurrence qui a enjoint, par décision n° 96-D-10 du 20 février 1996, à la société ODA de mettre fin à ces pratiques de couplage, et lui a infligé une sanction pécuniaire de dix millions de francs, et ordonné la publication intégrale de sa décision dans deux journaux quotidiens ; que le Conseil n'a toutefois pas retenu le grief d'abus de position dominante, en ce qui concerne France Télécom, au motif que le fait de "lancer un nouvel annuaire dans la zone de Versailles" n'était pas en soi répréhensible ; que la société ODA a formé un recours contre cette décision devant la Cour d'appel de Paris ; que la société CMS a formé un recours incident en ce qui concerne, notamment, la mise hors de cause de France Télécom ;

Sur l'irrecevabilité du pourvoi soulevée par la défense : - Attendu que Mme Becheret, es qualités de représentant des créanciers et de liquidateur de la société CMS soulève l'irrecevabilité du pourvoi de la société France Télécom, par application des dispositions des articles 606, 607 et 608 du nouveau Code de procédure civile, au motif que l'arrêt attaqué n'a pas mis fin à l'instance, aucune sanction pécuniaire n'ayant encore été prononcée contre la société France Télécom ;

Mais attendu que la cour d'appel réformant pour partie la décision attaquée, et faisant droit au recours incident de la société CMS a décidé que la société France Télécom devait être sanctionnée pour exploitation abusive d'une position dominante, et a ordonné la publication par extraits de l'arrêt ; que la cour d'appel a seulement sursis à statuer sur le montant de la sanction pécuniaire pour faire préciser, en vue de respecter le principe de proportionnalité, le montant du chiffre d'affaires de cet organisme au cours du dernier exercice clos ; qu'il en résulte que le pourvoi formé par France Télécom est recevable et ne méconnaît pas les textes susvisés ;

Mais sur le premier moyen pris en sa première branche : - Vu l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sur la liberté des prix et de la concurrence ; - Attendu que pour déclarer France Télécom coupable d'abus de position dominante, l'arrêt relève que la politique éditoriale de France Télécom, qui a permis le lancement du prototype gratuit et l'édition des annuaires locaux, sans étude préalable ni réelle prise de risque financier, pour faire barrière à l'arrivée d'un concurrent sur un marché qu'elle contrôlait entièrement jusqu'alors, caractérise un abus de position dominante qu'il convient de sanctionner ; qu'en agissant ainsi France Télécom qui était en droit de défendre sa part de marché, nonobstant sa position de domination a passé les limites d'un comportement compétitif normal et d'une concurrence légitime ; que le libre accès aux activités de l'édition n'est pas de nature à justifier le comportement abusif de France Télécom qui, en profitant de sa position dominante, a eu recours à des procédés d'élimination qui vont très au-delà du maintien et du développement légitime sur le marché face à l'arrivée d'un concurrent sur un nouveau concept ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle relevait que France Télécom détenait une position dominante sur le marché de l'édition des annuaires professionnels destinés à être distribués gratuitement aux abonnés du téléphone, et que la société ODA commercialisait auprès des professionnels, de même que sa concurrente la société CMS, des espaces publicitaires et, sans avoir constaté que France Télécom avait participé de façon concrète aux initiatives de la société ODA en accordant aux professionnels avec cette entreprise des avantages financiers tels que les "remises couplées" pour faire échec au développement de la société CMS, la cour d'appel a violé le texte susvisé;

Par ces motifs et, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, mais seulement en ses dispositions relatives à la société France Télécom, l'arrêt rendu le 18 février 1997, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.