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Décisions

Conseil Conc., 10 mars 1998, n° 98-D-20

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées dans le secteur des pompes funèbres à Nîmes, Tarascon et Beaucaire

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Mme D. Bleys, par M. Barbeau, président, M. Cortesse, vice-président, , M. Rocca, membre, désigné en remplacement de M. Jenny, vice-président, empêché.

Conseil Conc. n° 98-D-20

10 mars 1998

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 30 novembre 1993, sous le numéro F 638, par laquelle la société de pompes funèbres Gallouedec a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Pompes funèbres du Sud-Est (Roblot) à Nîmes, Tarascon et Beaucaire ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu le code des communes et le code général des collectivités territoriales ; Vu les lettres en date du 10 février 1998 du président du Conseil de la concurrence notifiant aux parties et au commissaire de Gouvernement sa décision de porter cette affaire en commission permanente, conformément aux dispositions de l'article 22 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; Vu les observations présentées par la société Pompes funèbres du Sud-Est et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et le représentant des Pompes funèbres du Sud-Est entendus, la société Gallouedec ayant été régulièrement convoquée ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

A. - L'organisation et la réglementation des pompes funèbres

1. La réglementation

a) Les prestations des pompes funèbres

Le service des pompes funèbres comprend, outre le service intérieur, d'une part, le service extérieur et, d'autre part, les prestations dites libres qui dépendent de la seule initiative des familles.

Le service intérieur a lieu à l'intérieur des édifices cultuels et relève du monopole des cultes. Il comprend les objets destinés aux funérailles dans les édifices religieux et la décoration intérieure et extérieure de ces édifices.

Le service extérieur se déroule à l'extérieur des édifices du culte et constitue un service public qui, en application de la loi du 28 décembre 1904, appartenait exclusivement aux communes et comportait différentes prestations énumérées limitativement par l'article L 362-6 du Code des communes : le transport des corps après mise en bière, la fourniture des corbillards, des cercueils, des tentures extérieures des maisons mortuaires, les voitures de deuil aussi que les fournitures et le personnel nécessaire aux inhumations, exhumations et crémations.

Le contenu actuel de ce service est défini par l'article L. 2223-19 du Code général des collectivités territoriales dans sa rédaction issue de la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993 relative à la législation dans le domaine funéraire.

Les prestations relevant du service extérieur comprennent désormais, outre celles prévues antérieurement : le transport des corps avant mise en bière, l'organisation des obsèques, les soins de conservation, la fourniture des housses, des cercueils et de leurs accessoires intérieurs et extérieurs ainsi que les urnes cinéraires, la gestion et l'utilisation des chambres funéraires.

Titulaires exclusifs du monopole légal du service extérieur, les communes n'étaient pas tenues d'organiser ce service. L'article L. 362-1 du Code des communes laissait à celles d'entre elles qui avaient décidé de l'organiser le choix entre la régie ou la délégation. L'exercice du monopole était ainsi protégé puisque les entreprises organisant les funérailles devaient, pour ce qui concerne les prestations du service extérieur, s'adresser au titulaire du monopole, régisseur ou concessionnaire.

Une première brèche dans le monopole communal du service extérieur des pompes funèbres a été ouverte avec la loi n° 86-29 du 9 janvier 1986 pour tenir compte du fait que la majorité des décès interviennent en milieu hospitalier et souvent dans des communes différentes du domicile du défunt. Le législateur a voulu à la fois renforcer les libertés et les garanties offertes aux familles, simplifier certaines procédures et sanctionner plus sévèrement les atteintes au monopole du service extérieur des pompes funèbres.

Ces dispositions ont été codifiées à l'article L. 362-4-1 du Code des communes (aujourd'hui article L. 2223-19 de Code général des collectivités territoriales) : " Par dérogation aux règles du service extérieur des pompes funèbres, lorsque la commune du lieu de mise en bière n'est pas celle du domicile du défunt ou du lieu d'inhumation ou de la crémation, la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles ou son mandataire, si elle ne fait pas appel à la régie ou au concessionnaire de la commune du lieu de mise en bière, dans les conditions fixées à l'article L. 362-1, peut d'adresser à la régie ou au concessionnaire ou, en l'absence d'organisation du service à toute entreprise de pompes funèbres soit de la commune du lieu d'inhumation ou de crémation, soit de la commune du domicile du défunt, pour assurer les fournitures de matériel prévues à l'article L. 362-1, le transport des corps après mise en bière et l'ensemble des services liés à ces prestations ".

La loi n° 93-23 du 8 janvier 1993, relative à la législation dans le domaine funéraire, a mis fin au monopole communal. Désormais, le service extérieur des pompes funèbres qui constitue une mission du service public peut être assuré, non seulement par les communes ou leurs délégataires, mais aussi par toute autre entreprise ou association bénéficiaire d'une habilitation délivrée par le représentant de l'État dans le département. Toutefois, l'article 28-1 de la loi du 8 janvier 1993 a prévu une période transitoire pendant laquelle : " Les régies communales et intercommunales des pompes funèbres existant à la date de publication de la présente loi peuvent, durant une période qui ne saurait excéder cinq années à compter de cette date, assurer seules le service extérieur des pompes funèbres tel que défini par les dispositions légales précédemment en vigueur. Durant une période de trois ans, les contrats de concession conclus avant la date de publication de la présente loi, y compris ceux comportant une clause d'exclusivité, continuent à produire effet jusqu'à leur terme, sauf résiliation d'un commun accord. Nonobstant toute disposition contraire, les contrats comportant une clause d'exclusivité ne peuvent être prorogés, ni renouvelés... ".

b) Les chambres funéraires

Implantées en France dans les années 1960, les chambres funéraires ont pour objet de recevoir, avant l'inhumation ou la crémation, le corps des personnes dont le décès n'a pas été causé par une maladie contagieuse. Antérieurement à la loi du 8 janvier 1993, les chambres funéraires étaient gérées dans les conditions prévues pour les services publics communaux, les communes pouvant également passer une convention avec un établissement de soins en vue de l'utilisation de la chambre mortuaire de celui-ci comme chambre funéraire.

Depuis la loi du 8 janvier 1993, la gestion des chambres funéraires fait partie intégrante du service extérieur (art. L. 2223-19 du Code général des collectivités territoriales). Leur création ou leur extension est autorisée par décision préfectorale après avis du conseil municipal (décret n° 94-1024 du 23 novembre 1994). L'autorisation ne peut être refusée qu'en cas d'atteinte à l'ordre public ou de danger pour la salubrité publique. L'article 2223-38 du Code général des collectivités territoriales (art. L. 361-19 ancien du Code des communes) précise que les locaux où l'entreprise gestionnaire de la chambre funéraire offre les autres prestations relevant du service extérieur doivent être distincts de ceux abritant la chambre funéraire.

Les comportements dont le Conseil de la concurrence est saisi se sont déroulés sur une période couvrant les années 1990 à 1993. Le régime applicable était donc pour l'essentiel celui issu de la loi du 9 janvier 1986.

2. Organisation des pompes funèbres dans les villes de Nîmes, Tarascon et Beaucaire

a) Le service extérieur des pompes funèbres

Sur la commune de Nîmes,

Par délibération en date du 21 juillet 1986, le conseil municipal de la ville de Nîmes a renouvelé, pour une période de six ans à compter du 1er août 1986, la concession du service extérieur des pompes funèbres à la société Roblot qui en était déjà titulaire au cours de la période précédente. A la suite de la constitution de la société des Pompes funèbres du Sud-Est (PFSE), la ville de Nîmes, par délibération du 22 mai 1991, a autorisé la société Roblot à céder à la société PFSE le contrat de concession précité, le nom commercial " Roblot " étant maintenu. La société PFSE est demeurée concessionnaire du service extérieur des pompes funèbres de la ville de Nîmes jusqu'au 8 janvier 1996, conformément aux dispositions de la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993 qui a fixé une échéance de trois ans pour les concessions au-delà de laquelle les communes perdaient l'exclusivité de l'organisation du service des pompes funèbres.

La société PFSE était ainsi concessionnaire de la ville de Nîmes pour l'exercice du service extérieur des pompes funèbres au cours de la période concernée par les faits faisant l'objet de la saisine.

Sur la commune de Tarascon,

Par délibération du conseil municipal en date du 5 juillet 1988, la société PFSE a été désignée comme concessionnaire du service extérieur des pompes funèbres à compter du 1er août 1988, pour une période de six ans, avec une clause de tacite reconduction pour une période de même durée. Elle est demeurée concessionnaire jusqu'au 8 janvier 1996 conformément aux dispositions de la loi du 8 janvier 1993.

Sur la commune de Beaucaire,

Par délibération en date du 15 avril 1985, la ville de Beaucaire a renouvelé à compter du 1er juin 1985 la concession du service extérieur des pompes funèbres à la société Roblot, déjà concessionnaire, pour six ans.

Sur demande de la société PFSE et en raison de l'inobservation par les entreprises concurrentes de la législation par la concurrence locale, la commune a décidé de mettre fin à compter du 30 avril 1993, à ce contrat de concession du service extérieur des pompes funèbres.

b) L'exploitation des chambres funéraires

Une convention a été signée entre la ville de Nîmes et la société PFSE le 1er février 1989, concédant à cette société, pour une durée de dix-huit ans, l'exploitation de la chambre funéraire installée à Nîmes, rue Notre Dame. L'hôpital de Nîmes possède une morgue et ne se trouve donc pas astreint à l'utilisation de cette chambre funéraire, comme chambre mortuaire.

La concession de l'exploitation de la chambre funéraire de Tarascon a été également confiée à la société des PFSE, par délibération du conseil municipal du 5 juillet 1988, et pour une période de six ans avec une clause de tacite reconduction.

De même la commune de Beaucaire, par une convention en date du 31 mai 1985 renouvelée le 23 décembre 1991, a désigné la société PFSE comme concessionnaire et ce, jusqu'au mois de janvier 1994, date à laquelle la chambre funéraire de Beaucaire a été définitivement fermée.

Il résulte donc de ces éléments, que pour la période concernée par les faits reprochés, la société PFSE était concessionnaire du service extérieur des pompes funèbres pour les trois communes de Nîmes, Tarascon et Beaucaire et exploitait également par convention la chambre funéraire située dans chacune de ces communes.

B. - Les caractéristiques du secteur des pompes funèbres dans les régions de Nîmes, de Tarascon et de Beaucaire

1. La zone nîmoise

A Nîmes se trouvent un centre hospitalier, qui dispose de sa propre morgue, et une clinique " La maison de santé protestante ". Un funérarium y est exploité par la société PFSE Les chambres funéraires voisines de celle de Nîmes sont situées à Vergèze (20 km), Beaucaire et Tarascon (26 km).

Le tableau suivant donne le nombre de décès enregistrés par les services de l'état civil de la ville de Nîmes au cours des années 1990 à 1993.

EMPLACEMENT TABLEAU

Par rapport au nombre total de décès à Nîmes, la société PFSE a réalisé, en 1991, 54 % des convois funéraires, 46 % en 1992, puis 44 % en 1993, tandis qu'au cours des mêmes années, la société Gallouedec a réalisé 27 %, 24 %, puis 10 % des convois funéraires et la société Roc'Eclerc, arrivée sur ce marché en 1992, s'est vu confier 7,5 % des convois funéraires dès cette même année, puis 10 % en 1993.

2. La zone de Tarascon

Le secteur sanitaire et social compte un hôpital et une maison de retraite faisant partie de l'hôpital. Le tableau suivant donne le nombre de décès enregistrés à Tarascon au cours des années 1990 à 1993.

EMPLACEMENT TABLEAU

Par rapport au nombre total de décès enregistrés à Tarascon, la société PFSE a réalisé les convois pour 80 % d'entre eux en 1990, 74 % en 1991, 65 % en 1992 puis 72 % en 1993. Cette société y exploite également le funérarium.

3. La zone de Beaucaire

Le tableau suivant donne le nombre de décès enregistrés à Beaucaire au cours des années 1990 à 1993.

EMPLACEMENT TABLEAU

La zone de Beaucaire dispose d'un hôpital. La société PFSE a réalisé respectivement 81 %, 74 %, 63 % et 62 % des convois funéraires au cours de ces mêmes années. Elle y gérait également un funérarium, par convention avec la commune, jusqu'en janvier 1994, date de sa fermeture.

Les opérateurs sur ces marchés sont, dans le secteur de Nîmes : la société des Pompes funèbres du Sud-Est, anciennement dénommée " Roblot ", dont le siège est situé à Aix-en-Provence, la société Gallouedec père et fils, auteur de la saisine, la société les Pompes funèbres Nîmoises qui, à l'époque de la saisine, disposait d'un bureau à Nîmes, la société les Pompes funèbres " Roc'Eclerc " qui s'est implantée à Nîmes en 1992.

Dans le secteur de Tarascon ainsi que dans le secteur de Beaucaire, seules sont présentes la société PFSE d'une part, et la société Gallouedec, d'autre part.

C. - Les pratiques constatées

1. Prestations non facturées, bien que fournies

L'auteur de la saisine produit, d'une part, le témoignage d'une famille domiciliée à Nîmes, qui met en évidence la non facturation de certaines prestations réalisées dans la chambre funéraire et, d'autre part, a signalé au cours de l'enquête réalisée sur place, dans une déclaration consignée dans un procès-verbal du 14 avril 1994, le cas d'une autre famille, dont le défunt était également domicilié à Nîmes, qui n'a pas reçu de facture des frais de séjour du corps dans le funérarium.

Dans le premier cas, le défunt a été transporté par la société PFSE dans la chambre funéraire. La famille indique que ni les frais de transport ni les frais de séjour n'ont été facturés et produit la facture établie par la société PFSE pour le service funéraire qui a été organisé le 23 juin 1993. Lors de l'enquête administrative, le directeur régional et le directeur de l'agence de Nîmes des PFSE ont reconnu ces faits et ont expliqué qu'il leur paraissait délicat dans les circonstances dans lesquelles le décès était intervenu (sur la voie publique) de réclamer ces frais aux familles, après la cérémonie.

Dans le second cas, le gérant de la société Gallouedec a déclaré : " Je vous indique que ce document (la facture mentionnée ci-dessous) m'a été transmis par un membre de la famille Van Poelgeest, qui au préalable s'était renseignée par téléphone pour le chiffrage de nos fournitures et prestations. Nous n'aurions pu établir une facture de l'ordre de celle établie par les " PFSE " à cette famille puisque cette société nous aurait facturé le séjour à l'Athanée ".

La facture établie en date du 19 septembre 1994 à l'entête " Roblot " par la société PFSE, transmise par un membre de la famille à M. Gallouedec et produite au cours de l'enquête, ne comporte pas de facturation concernant la période de cinq jours pendant laquelle le corps du défunt a été déposé dans la chambre funéraire.

Le directeur régional Languedoc-Roussillon de la société PFSE a déclaré par procès-verbal du 13 octobre 1994 : " S'agissant du décès de M. Guillaume Van Poelgeest au mois de septembre 1994, nous sommes intervenus dans le cas d'un traitement en indigence (ci-annexée attestation en mairie dont je vous remets copie). La famille a souhaité que le corps soit incinéré conformément aux volontés du défunt. Cette disposition arrêtée quarante-huit heures après ne pouvait être prise dans le cadre d'une indigence ; nous avons donc facturé un dossier minimum après que la famille ait réuni une somme pour couvrir les frais d'obsèques nécessaires à l'incinération "

2. La confusion des rôles de gestionnaire des prestations de service extérieur et d'agent commercial

L'article L 361-19 du Code des communes, en vigueur à l'époque des faits et aujourd'hui codifié à l'article L. 2223-38 du Code général des collectivités territoriales, prévoit que les locaux où l'entreprise gestionnaire de la chambre funéraire offre les autres prestations de pompes funèbres doivent être distincts de ceux abritant la chambre funéraire.

La visite effectuée sur place par un enquêteur et consignée par procès-verbal du 20 juin 1997 indique qu'à la suite de la suppression du personnel spécialement affecté au fonctionnement du funérarium, la tenue des registres des admissions et des sorties est assurée par l'agent chargé de l'élaboration des devis pour la société PFSE

La disposition des locaux conduit les familles à passer par le bureau commercial de la société PFSE pour accomplir les formalités afférentes à l'admission des corps en chambre funéraire.

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Sur le champ de la saisine,

Considérant que la société PFSE soutient que la confusion entre le rôle d'exploitant de la chambre funéraire de Tarascon et d'agent commercial de l'entreprise des pompes funèbres n'ayant pas été dénoncée dans la lettre de saisine, ne pouvait faire l'objet d'un grief ;

Mais considérant qu'il est constant en l'espèce que la lettre de saisine dénonçait le fait que " la société Roblot pratique dans ces athanées et surtout à Nîmes, un racolage systématique " ; que le Conseil de la concurrence est saisi in rem et qu'il n'est lié ni par les demandes de la partie saisissante, ni par les faits énoncés dans la saisine, ni par les qualifications proposées ; que c'est à bon droit, comme l'a confirmé la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 17 juin 1992, qu'il a examiné, sans avoir à se saisir d'office en application de l'article 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les pratiques anticoncurrentielles révélées au cours de l'instruction qui, en l'espèce, concernent les mêmes marchés ou des marchés connexes, sont antérieures à l'acte de saisine, se rattachent aux comportements dénoncés et visent au même objet ou peuvent avoir le même effet ; qu'ainsi le moyen n'est pas fondé ;

Sur la procédure,

Considérant que la société PFSE soutient que les demandes d'enquête adressées par le président du Conseil de la concurrence au directeur général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ne figuraient pas au dossier ouvert à la consultation et sollicite, en conséquence, un nouveau délai de deux mois à compter de la production de ces pièces pour présenter de nouvelles observations ;

Mais considérant que les lettres du président du Conseil de la concurrence en date du 11 mars 1994 et du 11 mars 1997 figuraient au dossier ouvert à la consultation des parties à compter de la réception de la notification des griefs, dossier qui a pu être consulté dès le 22 décembre 1997 par les parties ou leurs conseils ; que, par suite, il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande ;

Sur les marchés à prendre en considération,

Considérant, en premier lieu, que le marché des prestations funéraires comprend les prestations du service extérieur qui relèvent du service public, le service intérieur dans les édifices du culte ainsi que les prestations dites libres ; que ces prestations sont indissociables, eu égard au comportement des familles et aux pratiques des entreprises intervenant sur ce marché, qui comprend également les prestations effectuées à l'intérieur des chambres funéraires ;

Considérant, en deuxième lieu, que, tant pour des raisons de droit, liées à la législation funéraire, que pour des raisons de fait, il est constant que les familles font appel dans la majorité des cas à des entreprises locales pour l'organisation des funérailles ;

Considérant, en troisième lieu, que, sous l'empire de la législation en vigueur à l'époque des faits, les familles ne pouvaient s'adresser, dès lors que le service extérieur était organisé par la commune, qu'au titulaire du monopole, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une agence funéraire, et que les dérogations prévues par la loi du 9 janvier 1986 ne pouvaient s'appliquer que lorsque la commune du lieu de mise en bière n'était pas celle du domicile du défunt ou du lieu d'inhumation ou de crémation ; que, dans le cadre de ces dérogations, la régie, le concessionnaire ou, en l'absence d'organisation du service, toute entreprise de pompes funèbres soit de la commune du lieu d'inhumation ou de crémation, soit de la commune du domicile du défunt, pouvaient assurer les prestations du service extérieur concurremment avec la régie ou le concessionnaire de la commune de mise en bière lorsque le service public y était organisé ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les décès survenus dans chacune des zones géographiques, constituées de Nîmes et des cantons avoisinants, de Tarascon et d'une partie du canton de Saint-Rémy de Provence, de Beaucaire et d'une partie du canton d'Aramon, concernent des personnes domiciliées dans ces zones, dans lesquelles se trouvent un hôpital et des maisons de retraite ; que le service extérieur, tel que défini par les dispositions légales en vigueur antérieurement à la loi du 8 janvier 1993, était organisé dans les communes de Nîmes, de Tarascon et de Beaucaire en vertu de contrats de concession au bénéfice de la société PFSE, jusqu'à la date d'expiration de la période transitoire définie à l'article 28-1 de la loi du 8 janvier 1993 ; que, dans chacune de ces zones, le marché des pompes funèbres présente des caractéristiques telles que l'offre qui émane d'entreprises ou de régies municipales extérieures à cette zone n'est pas substituable en droit ou en fait à celles des entreprises locales;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que les marchés pertinents à prendre en considération comprennent l'ensemble des prestations funéraires liées au service extérieur et aux prestations libres et recouvrent géographiquement les trois zones distinctes de Nîmes, Tarascon et Beaucaire et les cantons avoisinant ces communes;

Sur la position de la société PFSE sur les marchés de référence,

Considérant que sur la zone de Nîmes telle que définie ci-dessus, la société des PFSE, titulaire de la concession du service extérieur, a assuré les convois funéraires de 54 % des décès constatés en 1991, 46 % en 1992 et 44 % en 1993 ; qu'en prenant en compte le nombre de convois funéraires organisés à partir de la chambre funéraire dont elle était également gestionnaire, la part des convois réalisés par la société PFSE était alors de 91 % au cours de l'année 1990, 87 % en 1991, 79 % en 1992 et 68 % en 1993 ; qu'aucun des trois autres concurrents de la société PFSE n'a réalisé au cours de ces années une part des convois au départ de la chambre funéraire supérieure à 12 %

Considérant que sur le marché des pompes funèbres correspondant à la commune de Tarascon et une partie du canton de Saint-Rémy de Provence, au départ de la chambre funéraire, la société PFSE s'est vu confier 81 % des convois funéraires en 1990, 73 % en 1991, 66 % en 1992 et 58 % en 1993 ; que, dans la zone de Beaucaire et des communes environnantes, la société PFSE a réalisé, à partir de la chambre funéraire, en 1990 82 %, en 1991 74 %, en 1992 69 % et en 1993 78 % de l'ensemble des convois ;

Considérant que la société PFSE conteste occuper une position dominante sur ces marchés, d'une part en raison de la violation répétée par ses concurrents du monopole qu'elle détenait en vertu de contrats de concession avec les communes de Nîmes, Tarascon et Beaucaire, d'autre part, parce que ses parts de marché étaient en constante diminution ;

Mais considérant qu'il est constant que la part de marché de la société PFSE pendant la période considérée, bien qu'en diminution, est demeurée comprise entre 44 % et 54 % sur la ville de Nîmes et des communes avoisinantes; que ses concurrents n'ont pu développer leur part de marché que de façon limitée; que, quelles qu'aient été les conditions d'application de la législation funéraire dans ces zones, invoquées par la société PFSE, celle-ci a pu maintenir une part de marché environ quatre fois supérieure à celle du premier de ses concurrents; que, sur les zones de Tarascon et Beaucaire, la société PFSE détient respectivement une part de marché de 58 % et 82 % et n'a que la société Gallouedec pour concurrent ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'à l'époque des faits, la société des PFSE détenait une position dominante sur chacun des trois marchés concernés;

Sur les pratiques constatées,

En ce qui concerne la non facturation de certaines prestations,

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société PFSE a fourni, dans la chambre funéraire qu'elle gérait à Nîmes, des prestations dont elle n'a pas fait supporter le coût à deux familles ;

Considérant que la société PFSE justifie l'absence de facturation, dans le premier cas, par l'état d'indigence de la famille Van Poelgeest ; que, sagissant du décès de M. Delgado, elle fait valoir que celui-ci avait eu lieu sur la voie publique et qu'elle n'avait pu facturer après les funérailles les prestations de séjour en chambre funéraire, en l'absence d'acceptation préalable de la famille ;

Considérant qu'en l'espèce, les deux exemples ci-dessus rapportés sont insuffisants pour établir que la société PFSE s'abstiendrait de facturer les prestations de séjour en chambre funéraire, pour évincer du marché son concurrent ; qu'il n'est pas établi que les pratiques ainsi dénoncées constitueraient une pratique qui aurait eu pour objet ou aurait pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence dans des conditions contraires aux dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

En ce qui concerne la confusion entre le rôle d'exploitant de la chambre funéraire de Tarascon et d'agent commercial de l'entreprise des pompes funèbres,

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, depuis le mois d'avril 1993, aucun employé n'est directement affecté à la gestion de la chambre funéraire de Tarascon, l'accès à celle-ci se faisant par digicode ; que, selon les déclarations de M. Montagard, directeur du secteur d'Avignon, le personnel présent dans les locaux commerciaux de l'entreprise de pompes funèbres des PFSE, situés à proximité immédiate, est chargé, d'une part, de donner le numéro de code aux personnes qui se présentent à la chambre funéraire et, d'autre part, également de l'élaboration des devis d'obsèques et de la tenue des registres des entrées et des sorties de la chambre funéraire, , de la société PFSE ; qu'une telle organisation est susceptible de créer une confusion dans l'esprit des familles entre les prestations du service public de la chambre funéraire et l'activité commerciale de la société PFSE ;

Considérant que la société PFSE soutient que l'hypothèse dans laquelle un membre de la famille se rendrait directement à l'athanée avant d'avoir au préalable chargé une entreprise de pompes funèbres de l'organisation du convoi funéraire est purement théorique ;

Mais considérant qu'en application des dispositions de l'article R-361.37 du Code des communes, l'admission en chambre funéraire peut avoir lieu notamment sur demande de la " personne chez qui le décès a eu lieu " ou " du directeur de l'établissement, dans le cas de décès dans un état de santé public ou privé, qui n'entre pas dans la catégorie de ceux devant disposer obligatoirement d'une chambre mortuaire conformément à l'article L. 361-19-1 (L-2223-39) ", personnes auxquelles n'incombe pas le choix d'une entreprise de funérailles ; que tel est le cas de l'hôpital de Tarascon qui ne dispose pas de chambre mortuaire ; qu'en outre, le fait que le législateur ait prévu que la liste des entreprises de pompes funèbres figure dans la chambre funéraire démontre que les familles qui s'y présentent peuvent, dans certains cas, ne pas encore avoir effectué leur choix pour telle ou telle entreprise de funérailles ; qu'il n'est pas exclu que ces familles puissent associer le service public de la chambre funéraire à l'activité commerciale de la société PFSE; qu'une telle confusion, permise par l'organisation adoptée depuis avril 1993, est de nature à empêcher les sociétés concurrentes de développer librement leurs activités sur le marché;

Considérant, ainsi, que cette pratique, mise en œuvre par un opérateur en position dominante sur un marché ayant eu pour objet et ayant pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence, est prohibée par les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Sur les sanctions,

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos " ; qu'en application de l'article 22, de la même ordonnance, la commission permanente peut prononcer les mesures prévues à l'article 13, les sanctions infligées ne pouvant toutefois excéder 500 000 F pour chacun des auteurs des pratiques prohibées ;

Considérant que l'appréciation du dommage à l'économie doit prendre en compte le fait que la société PFSE, filiale de la société Pompes funèbres générales, par sa position sur le marché en cause et en sa qualité de concessionnaire de service public, a abusé de sa position dominante et était en mesure de faire obstacle au développement d'entreprises concurrentes ; que la pratique en cause n'a toutefois concerné que le marché constitué par la zone de Tarascon ;

Considérant que pour apprécier la gravité des pratiques constatées il y a lieu de tenir compte du fait que la société PFSE par son comportement, dans le contexte juridique en vigueur au moment des faits, a pu réduire le degré de concurrence possible ; qu'en outre les familles des défunts se trouvent au moment où elles accordent leur confiance à une entreprise de pompes funèbres dans un état de dépendance lié, d'une part, à la nécessité d'organiser les funérailles dans un délai souvent rapide et, d'autre part, au désarroi que le deuil est de nature à causer ; qu'il convient toutefois de relever que la présente décision ne retient qu'un grief à la charge de la société mise en cause et que celle-ci a aujourd'hui modifié les conditions de l'accueil des familles à la chambre funéraire de Tarascon ;

Considérant que le chiffre d'affaires réalisé en France par la société des PFSE lors du dernier exercice clos disponible s'est élevé à 478 millions de francs ; qu'en vertu des éléments individuels d'appréciation ci-dessus exposés, il y a lieu d'infliger à la société des PFSE une sanction pécuniaire de 20 000 F,

Décide :

Article 1er : Il est établi que la société des Pompes funèbres du Sud-Est a enfreint les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1988.

Article 2 : Il est infligé une sanction pécuniaire de 20 000 F à la société des Pompes funèbres du Sud-Est.