CA Paris, 1re ch. H, 27 octobre 1998, n° ECOC9810366X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Groupement d'Entreprises de Services, Marbreries Lescarcelle (SARL), Union nationale des entreprises funéraires, De Mémoris (SA), Les Marbreries Régis et Fils (SA)
Défendeur :
Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
Mmes Renard-Payen, Marais
Avoués :
SCP Valdelièvre-Garnier, SCP Garrabos, Gerigny-Freneaux
Avocats :
Mes Donnedieu de Vabres, de Montbrial, Duminy
La COUR est saisie du recours en annulation ou en réformation formé le 12 janvier 1998 par la société Groupement d'Entreprises de Services (GES), anciennement dénommée Pompes Funèbres Générales (PFG) Ile-de-France, contre une décision du conseil de la concurrence n° 97-D-76 du 21 octobre 1997 qui lui a infligé une sanction pécuniaire de 5 millions de francs en raison de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre dans le secteur des pompes funèbres à Gonesse et dans les communes limitrophes et dans le secteur de la marbrerie funéraire dans le département du Val-d'Oise et a ordonné la publication du texte intégral de la décision dans l'édition du Val-d'Oise du journal Le Parisien.
Il convient de rappeler les éléments suivants :
Concessionnaire le plus ancien du service extérieur des pompes funèbres du Val-d'Oise, la société PFG est gestionnaire exclusif des deux chambres funéraires de Montmorency et de Gonesse, qui servent de morgue aux hôpitaux de ces deux villes.
Aux termes d'une convention du 18 août 1969, la ville de Gonesse a concédé à la société PFG la gestion de la chambre funéraire pour une durée de trente ans, renouvelable par tacite reconduction par période de dix ans, la ville s'engageant à ne pas créer ou laisser créer d'autres chambres funéraires sur le territoire communal pendant la durée de la concession. Cette chambre funéraire, édifiée par PFG sur un terrain connexe à l'hôpital de Gonesse, objet d'un bail emphithéotique, comprend, outre la chambre funéraire concédée par le service municipal, un dépôt mortuaire pouvant recevoir les corps après mise en bière et une chapelle omniculte exploitée librement par la société concessionnaire. Elle reçoit les corps de l'hôpital de Gonesse et de cette commune, ainsi que ceux des communes limitrophes de Sarcelles, Garges, Goussainville, Villiers-le-Bel, Arnouville et Tremblay.
Reprochant à la société PFG dont les locaux commerciaux sont installés au sein du funérarium, des faits d'abus de position dominante et d'entente prohibée avec le groupement de marbriers GMR 95, créé à son initiative, le ministre de l'économie et des finances a, par lettre du 22 avril 1994, saisi le conseil de la concurrence de ces pratiques anticoncurrentielles en application de l'article 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
L'Union nationale des Entreprises de Services funéraires, les sociétés De Memoris, Les Marbreries Régis et Fils, Les Marbreries Lescarcelle et la SARD AR Régis ont également saisi le conseil de la concurrence de ces pratiques, par lettre du 26 juillet 1995.
Par la décision déférée, le conseil de la concurrence retenant que la société PFG avait enfreint les dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :
- en permettant la confusion, dans l'esprit du public, de l'activité de la chambre funéraire municipale de Gonesse, dont elle est concessionnaire exclusif, et ses activités de prestataire de service du secteur libre exercées dans des locaux commerciaux installés à l'intérieur du funérarium ;
- en incitant les familles, par une information insuffisante, à choisir des prestations plus onéreuses ;
- en réservant un traitement discriminatoire aux entreprises de pompes funèbres concurrentes à l'occasion de leur accès à l'intérieur du funérarium de Gonesse ;
- en insérant, dans les contrats de mandat signés avec plusieurs commerçants du département du Val-d'Oise, des clauses de non-concurrence leur interdisant de s'établir comme entrepreneur de pompes funèbres à l'issue du contrat, dans le but de limiter l'accès au marché de concurrents potentiels ;
- en élaborant une tarification des prestations de marbrerie exécutées pour son compte en sous-traitance par les entreprises du GMR 95 ;
- en adhérant à l'entente du GMR 95 et de ses membres pour organiser un cloisonnement géographique du marché et en contribuant à sa mise en œuvre,
a prononcé, à son encontre, les sanctions précitées.
La société GES poursuit l'annulation, et subsidiairement, la réformation de cette décision, soutenant que :
- la décision se fonde sur des documents obtenus irrégulièrement par la DNEC, l'enquêteur ayant mené ses investigations auprès d'une personne qui n'était pas en mesure d'apprécier la portée de ses déclarations, qui n'a pas été clairement informée de l'objet de l'enquête, qui a fait l'objet de mesures de pression et d'intimidation, ou, encore, hors la présence de celle-ci ;
- la délimitation du marché de la marbrerie funéraire est quasi absente et en outre inexacte ;
- les pratiques anticoncurrentielles qui lui sont reprochées ne sont pas établies ;
- la sanction pécuniaire infligée est disproportionnée ;
- l'injonction de publication prononcée à son encontre est irrégulière.
Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie soutient que l'enquêteur n'a pas outrepassé les pouvoirs qui lui sont dévolus par l'article 47 de l'ordonnance dont il a fait état dans un souci de transparence, que la procédure a été régulièrement menée ; que les moyens qui tendent à son annulation doivent être écartés.
Il estime que le marché pertinent a exactement été délimité, tant matériellement que géographiquement, par le conseil, et souligne qu'en tout état de cause une définition plus restrictive laisserait subsister le bien-fondé des griefs dès lors qu'il est constant qu'un abus peut être commis sur un marché connexe à celui sur lequel l'entreprise commettante est en position dominante.
Il prétend que les pratiques anticoncurrentielles, précisément analysées, ont été justement qualifiées d'abus de position dominante et d'entente prohibée et que les critiques adressées par le requérant sont dépourvues de pertinence et doivent être rejetées.
Soulignant la réitération et la gravité des pratiques retenues, il considère que la sanction pécuniaire est parfaitement justifiée et que la mesure de publication est régulière.
Il demande, en conséquence, à la cour de confirmer les sanctions prononcées.
Le conseil de la concurrence fait observer que les critiques formulées tant sur la procédure qu'au fond ne sont pas fondées. Sur les sanctions, elle précise que la société PFG n'ignorait pas qu'il était possible au conseil de prononcer une mesure de publication à titre non seulement de sanction, mais aussi de prévention en raison des décisions antérieurement prononcées à son encontre et pouvait parfaitement développer ses moyens de défense.
L'Union nationale des Entreprises de Services funéraires, les sociétés De Memoris, Les Marbreries Régis et Fils, Les Marbreries Lescarcelle sont intervenues à la procédure, le 6 février 1998. Selon mémoire du 23 avril 1998, faisant leur la motivation de la décision du conseil et les observations du ministre sur les multiples critiques de procédure formulées par la société PFG et s'en rapportant à justice sur la définition du marché pertinent, elles concluent au rejet du recours.
Le 4 juin 1998, par des " observations en réponse et complémentaires ", elles donnent du marché pertinent une définition plus extensive, prétendent que le conseil a omis de statuer sur la demande d'articulation de deux griefs complémentaires par elles présentée le 27 juillet 1997 et demandent à la cour de réparer cette omission et de prononcer les injonctions qu'elles ont formulées, le 21 octobre 1996, se fondant essentiellement sur la discrimination tarifaire et l'intégration administrative de la gestion du funérarium au sein de l'hôpital de Gonesse auxquelles elles entendent voir être mis fin.
La société GES prétend en réplique que les susnommées n'ont pas qualité d'intervenantes à la présente instance à défaut, pour celles-ci, d'avoir respecté les prescriptions de l'article 7 du décret du 19 octobre 1987. Elle demande en conséquence à la cour de déclarer irrecevable leur " mémoire en réponse " déposé le 23 avril 1998.
Elle conclut également à l'irrecevabilité de leurs conclusions du 4 juin 1998 en l'absence de recours exercé selon les prescriptions des articles 2 à 6 du décret précité.
Sur ce : LA COUR
Sur les exceptions d'irrecevabilité :
a) Sur la qualité de parties intervenantes :
Considérant qu'aux termes de l'article 7 du décret du 19 octobre 1987, lorsque le recours risque d'affecter les droits ou les charges d'autres personnes qui étaient parties en cause devant le conseil de la concurrence, ces personnes peuvent se joindre à l'instance devant la cour d'appel par déclaration écrite et motivée déposée au greffe dans les conditions prévues à l'article 2, dans le délai d'un mois après la réception de la lettre par laquelle le demandeur au recours adresse copie de sa déclaration aux parties auxquelles la décision du conseil a été notifiée ; qu'en vertu de ce texte et de l'article 2 auquel il se réfère, lorsque la déclaration ne contient pas l'exposé des moyens invoqués, l'intervenant doit déposer cet exposé au greffe dans les deux mois qui suivent la notification de la décision du conseil de la concurrence ;
Considérant, en l'espèce, que, conformément aux dispositions de l'article 4 du décret du 19 octobre 1987, la société GES a adressé aux parties concernées copie de sa déclaration de recours par lettre recommandée AR du 14 janvier 1998 ; que cette lettre a été reçue, le 16 janvier 1998, par l'Union nationale des Entreprises de Services funéraires et les sociétés Les Marbreries Régis et Fils et De Memoris, et, le 27 janvier 1998, par la société Marbrerie Lescarcelle ;
Que par lettre du 6 février 1998 adressée au premier Président de la Cour d'appel de Paris, Me Garrabos, avoué, a indiqué, sans autre motif, qu'il intervenait dans le recours pour le compte des susnommés ;
Que cette déclaration non motivée n'ayant pas été suivie du dépôt au greffe de l'exposé des moyens, conformément aux textes précités, l'intervention des susnommées à l'instance n'est pas régulière ;
Que l'ordonnance de procédure de 10 février 1998, dans laquelle les requérantes figurent en qualité de " parties intervenantes " et par laquelle elles ont reçu injonction d'avoir à déposer leurs observations au greffe de la concurrence avant le 23 avril 1998, n'est pas de nature à couvrir les irrégularités commises et n'empêchait pas, en tout état de cause, les intéressées de respecter les dispositions du décret du 19 octobre 1987 ;
Que cette ordonnance ne constitue pas davantage une décision de mise en cause d'office prévue et régie par les dispositions de l'alinéa 2 de l'article 7 précité ;
Qu'il s'ensuit que le mémoire déposé par ces parties, le 23 avril 1998, doit être écarté des débats ;
b) Sur l'irrecevabilité du recours incident du 4 juin 1998 :
Considérant qu'aux termes de l'article 6 du décret du 19 octobre 1987 un recours incident peut être formé alors même que son auteur serait forclos pour exercer un recours à titre principal ; que toutefois un tel recours n'est pas recevable s'il est formé plus d'un mois après la réception de la lettre prévue à l'article 4 susvisé ; qu'il doit au surplus être formé selon les modalités de l'article 2 et dénoncé aux autres parties dans les conditions de l'article 4 du décret du 19 octobre 1987 ;
Que le mémoire déposé le 4 juin 1998, par lequel l'Union nationale des entreprises des services funéraires et les sociétés Marbrerie Lescarcelle, De Memoris et Les Marbreries Régis et Fils sollicitent la réformation de la décision du conseil de la concurrence en ce qu'elle comporterait une contradiction interne entre les griefs retenus et la délimitation du marché pertinent et en ce qu'il n'aurait pas été statué sur deux griefs complémentaires ainsi que sur les demandes d'injonction par elles formulées, n'est pas recevable, n'étant pas conforme aux prescriptions de formes et de délai édictées par les articles 6 et 2 du décret précité ;
Sur les moyens de procédure :
a) Sur l'absence de signature du procès-verbal du 9 septembre 1993 par les assistants funéraires seuls présents au début des investigations :
Considérant que le procès-verbal du 9 septembre 1993 relate de façon complète les circonstances, non contestées par l'entreprise, du début de l'intervention des enquêteurs qui ont été reçus au funérarium de Gonesse par deux assistants funéraires et ont, après avoir décliné leur qualité et l'objet de leur enquête, entrepris de procéder à la visite des lieux ;
Qu'il résulte de ce procès-verbal qu'arrivé dans le quart d'heure qui a suivi le responsable de l'agence, M. Jean, seul signataire de l'acte, a assisté à l'ensemble des opérations telles que précisément décrites, après qu'il a été, à son tour, informé de la qualité des intervenants et de l'objet de leur visite ; que les explications relevées et les documents remis émanent du seul responsable de l'agence ;
Que la société GES ne peut valablement prétendre, dans de telles circonstances, que l'absence de signature des deux assistants funéraires ne permettrait pas de s'assurer que les enquêteurs n'ont pas excédé les limites que leur impose l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 en raison du laps de temps très bref pendant lequel ces assistants sont demeurés seuls et de l'absence d'investigation significative effectuée durant ce court moment ; qu'il convient au surplus d'observer que, si la signature des personnes ayant effectivement participé aux opérations constitue une formalité substantielle, celle-ci n'est pas prescrite à peine de nullité et qu'il n'apparaît pas, en l'espèce, que l'absence de signature des deux assistants ait pu causer un quelconque préjudice à l'entreprise ;
b) Sur la remise de documents non demandés :
Considérant qu'aux termes de l'article 47 de l'ordonnance les enquêteurs peuvent accéder à tous les locaux, terrains ou moyens de transport à usage professionnel, demander la communication des livres, factures et tous autres documents professionnels et en prendre copie, recueillir, sur convocation ou sur place, les renseignements et justifications ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble des procès-verbaux des 9, 13, 21, 22, 24 et 27 septembre 1993 que les documents qui y sont mentionnés ont été remis par M. Jean, directeur de l'agence ; que ces faits s'inscrivent bien dans le cadre des pouvoirs reconnus aux enquêteurs par l'article 47 précité, peu important que la remise desdits documents ait été spontanée ou sollicitée dès lors que cette remise se rapporte, comme en l'espèce, à l'objet de l'enquête ;
c) Sur la régularité des procès-verbaux de remise de pièces des 21, 22 et 24 septembre 1993 quant à la durée des opérations :
Considérant que la société GES fait valoir que si l'article 47 de l'ordonnance ne fixe pas la durée maximale des opérations, celles-ci n'en doivent pas moins être effectuées dans le respect du principe de loyauté qui doit présider à la recherche des preuves ; que les procès-verbaux des 21, 22 et 24 septembre 1993, qui font état d'une simple remise de documents alors que les horaires indiqués montrent que les opérations ont chaque fois duré plus de six heures, ne permettent pas, selon elle, à la cour de vérifier si l'intervention dans l'entreprise n'a pas dépassé les limites de l'article 47 ;
Mais considérant qu'il convient de relever que le 21 septembre 1993 les documents reçus en communication, examinés et retenus en copie, qui concernent des circulaires et notes d'informations, les concessions, le dossier contentieux avec la société De Memoris et celui des marbriers font l'objet de plus de 300 cotes ; que le 22 septembre 1993 les pièces communiquées, qui concernent des factures d'octobre 1990 à août 1993, des études de marché, un dossier relatif à la société De Memoris et un cahier des corps traités au sein du funérarium représentent plus de 1 300 cotes ; que le 24 septembre 1993 les éléments remis portant sur des facturations des corps transférés de l'hôpital au funérarium, sur la révision des tarifs, sur les activités de l'entreprise De Memoris et les clients traités par d'autres pompes funèbres constituent plus de 400 cotes ;
Qu'au vu de cette seule constatation la durée des opérations de remise indiquée dans les procès-verbaux n'apparaît nullement excessive compte tenu du nombre des pièces communiquées et de la nécessité d'en prendre connaissance, ne serait-ce que de façon approximative, et de les photocopier avant de les appréhender ;
d) Sur les visites effectuées les 21, 22, 24 et 27 septembre 1993, en dehors des heures normales d'ouverture de l'entreprise et partiellement hors la présence de M. Jean :
Considérant que la société GES reproche à l'enquêteur d'avoir poursuivi ses investigations entre 12 heures et 14 heures, hors les heures d'ouverture de l'entreprise et hors la présence de tout représentant de l'entreprise et de tout contrôle ;
Mais considérant qu'il convient de relever que les opérations critiquées ont débuté pendant les horaires d'ouverture de l'entreprise ; qu'il n'est pas contesté, quels que soient les motifs pour lesquels l'enquêteur a souhaité poursuivre ses investigations pendant l'heure du déjeuner, que celui-ci n'y a procédé, en l'absence de toute interdiction légale, qu'avec l'assentiment du directeur d'agence qui lui a remis une clé du local ; que ce dernier, qui, par application de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, était tenu, en sa qualité de responsable de l'agence, de recevoir les enquêteurs et d'organiser la représentation de l'entreprise, devait être en mesure d'assurer son contrôle ou de prendre toute disposition utile pour le rendre effectif ; que sa carence, dont il n'est au demeurant pas allégué qu'elle ait occasionné d'autre préjudice que cette absence de contrôle effectif qu'il lui appartenait d'organiser, ne saurait entraîner l'annulation des procès-verbaux en cause ;
e) Sur l'absence d'information de l'objet de l'enquête :
Considérant que la société GES prétend encore que le responsable de l'agence a été, tout au long des opérations qui se sont déroulées dans les locaux de Gonesse, laissé dans l'ignorance de l'objet précis de l'enquête, ainsi qu'en témoignerait son attestation:
Mais considérant qu'il résulte des termes mêmes des procès-verbaux, notamment du procès-verbal du 9 septembre 1993, que M. Ramonet, commissaire, et M. Guillet, contrôleur divisionnaire, se sont présentés dès le premier contrôle, comme agissant sous l'autorité du directeur de la direction nationale des enquêtes de concurrence et habilités à procéder aux enquêtes nécessaires à l'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; qu'il est encore précisé que les enquêteurs ont justifié de cette qualité et indiqué à M. Jean l'objet de l'enquête à laquelle ils procédaient ; que M. Jean qui a reçu copie de ce procès-verbal, dont les mentions font foi jusqu'à preuve contraire, n'ignorait pas dans quel cadre intervenaient ces agents ;
Que la preuve contraire du contenu d'un procès-verbal ne pouvant résulter du témoignage de la personne concernée, la société GES invoque en vain l'attestation établie par l'intéressé lui-même, près de trois ans après les faits, aux termes de laquelle celui-ci prétend n'avoir pas été clairement informé ; qu'elle invoque également en vain, pour accréditer sa thèse, les attestations des marbriers contredites par les énonciations des procès-verbaux établis à leur encontre et qui n'ont pas été témoins des faits dénoncés ; que le terme " enquête administrative ", reproduite sur le fax adressé le 10 septembre 1993 à M. Jean pour lui demander de réunir les pièces en communication, ne constitue pas en soi une terminologie critiquable qui serait de nature à miner les énonciations claires et précises du procès-verbal qui l'a précédé ;
f) et g) Sur l'incapacité de M. Jean d'apprécier la portée des déclarations qu'il a faites et sur les mesures d'intimidation et les pressions dont il aurait fait l'objet :
Considérant, enfin que la société GES allègue que M. Jean, qui n'était pas en poste au moment des faits litigieux et n'avait pris ses nouvelles fonctions de directeur d'agence que depuis une semaine, n'était pas en mesure d'apprécier la portée des déclarations qu'il faisait ni des pièces et documents qu'il remettait alors qu'il n'était pas informé clairement de l'objet de l'enquête : que la déclaration qui lui a été faite, selon laquelle il acceptait les rendez-vous qui lui étaient proposés ou bien il serait convoqué dans les bureaux de la DNEC à Paris pour y être auditionné, a été ressentie comme une mesure d'intimidation à laquelle il a cédé ;
Mais considérant qu'en nommant M. Jean aux fonctions de directeur d'agence, la société GES a apprécié les compétences de ce dernier et pris la responsabilité de se faire juridiquement représenter par lui ; que l'intéressé, qui n'ignorerait pas, pour les motifs précédemment exposés, l'objet de l'enquête, était en mesure, s'il estimait ne pas avoir l'expérience requise, d'en référer à la direction de la société ; que le fait pour les enquêteurs d'avoir fait état des prérogatives que leur reconnaît la loi, qu'il s'agisse du droit d'accès, de la communication des pièces, des investigations sur place ou du droit de convocation, ne peut, en soi, être considéré comme la mise en œuvre de moyens d'intimidation ; que l'attestation délivrée par l'intéressé lui-même n'est pas de nature à rapporter la preuve d'un quelconque abus qu'aucun autre élément ne vient établir ;
Considérant, ainsi qu'il vient de l'être démontré, qu'aucun élément du dossier n'établit que l'enquête à laquelle il a été régulièrement procédé aurait excédé les limites de l'article 47 du décret du 19 octobre 1987 et aurait été menée en violation du principe de loyauté ;
Que les moyens de procédure, non avérés, doivent être écartés ;
Sur les moyens de fond :
1°) Sur la délimitation du marché pertinent :
Considérant que le marché de référence se définit comme le lieu où se rencontrent l'offre et la demande relative à des produits substituables entre eux mais non substituables à d'autres biens ou services ;
Considérant, ainsi que l'a révélé l'enquête, que le funérarium joue, dans les pratiques funéraires actuelles en cause, un rôle de plus en plus important, soit parce que la plupart des décès surviennent en milieux d'hospitalisation, soit parce que les familles se trouvent le plus souvent dans l'impossibilité d'assurer la veillée du mort à leur domicile ; que, dans la grande majorité des cas, les corps sont transférés au funérarium ; que les familles, frappées par le deuil et confrontées à l'organisation des funérailles, reçoivent à ce moment crucial les conseils et préconisations qui vont déterminer leur choix, nécessairement rapide, des entreprises de pompes funèbres et de marbrerie qu'elles chargeront d'organiser les obsèques ; que, dans ces circonstances spécifiques, la demande tend à une globalisation des fournitures à laquelle les entreprises traditionnelles de pompes funèbres et de marbreries répondent par une globalisation de l'offre ;
Que la distinction effectuée par GES entre, d'une part, les prestations de cimetière réalisées par les marbriers dans le cadre du service, extérieur pour permettre l'accomplissement des obsèques et, d'autre part, les activités de marbrerie " stricto sensu " qui peuvent s'exercer et souvent s'exercent en dehors des funérailles, trouve son origine dans la définition qu'en donne le Code des collectivités territoriales ; que cette différenciation, qui procède d'une approche juridique, nullement confortée par l'analyse économique des comportements ci-dessus évoqués qui doit présider seule à la délimitation du marché concerné, n'est pas de nature à induire l'existence d'un marché de la marbrerie distinct de celui des autres prestations funéraires ;
Que le conseil a exactement relevé qu'en raison des circonstances spécifiques dans lesquelles s'exerçaient les différentes prestations, du comportement des familles et des conditions dans lesquelles les différents intervenants répondaient à leur demande, les prestations funéraires, qui comportent les prestations du service extérieur, celles du service intérieur dans les édifices culturels et les prestations libres, sont indissociables et constituent un marché unique ;
Considérant, par ailleurs, que l'instruction a révélé que si la loi du 9 janvier 1986 avait eu pour objet d'élargir le choix des familles antérieurement limité au concessionnaire ou à la régie municipale du lieu de mise en bière, les décès survenus à Gonesse et dans l'ensemble des six communes environnantes concernaient presque exclusivement des personnes domiciliées dans cette zone, qu'une part significative de ces décès étaient suivie d'un transfert au funérarium de Gonesse dont la gestion exclusive est confiée à PFG, par ailleurs titulaire du monopole du service extérieur, et que, dans la majorité des cas, les familles recouraient aux entreprises locales ; que le conseil a exactement estimé qu'eu égard aux contraintes du marché et au comportement des familles l'offre des produits et services funéraires émanant d'entreprises extérieures à la zone de chalandise en cause n'était pas substituable, en droit et en fait, à celle relevant de cette zone qui constituait, ainsi, les limites géographiques du marché à prendre en considération ;
Que le moyen tiré par le GES d'une inexacte définition du marché de référence doit être écarté ;
2°) Sur les pratiques d'abus de position dominante :
Considérant que, le funérarium de Gonesse recueillant la quasi-totalité des corps des personnes décédées au centre hospitalier de la ville ainsi qu'une part significative des corps des personnes décédées dans les six communes limitrophes, PFG a reconnu avoir réalisé 66 % des convois funéraires sur le marché concerné ; qu'en 1992 elle a réalisé 907 convois au départ du funérarium sur les 942 admissions enregistrées, soit 92,28 % de celles-ci ; que, sur les 907 convois, 486 commandes d'obsèques, soit 51,59 % des admissions, ont été recueillies dans les locaux commerciaux de l'agence installée au sein du funérarium, les autres commandes provenant d'agences extérieures ; que PFG, qui appartenait au moment des faits au premier groupe de pompes funèbres de France, ne peut contester occuper sur le marché de référence une position dominante ;
a) Sur la confusion des activités de la chambre funéraire et de celles de l'entreprise de pompes funèbres :
Considérant que la visite des lieux a mis en évidence l'imbrication des locaux de la chambre funéraire et de ceux de l'agence commerciale que PFG y a installée et que la simple mention de " bureau " apposée sur la porte, fût-elle fermée, ne permet pas de distinguer ; que cette confusion des locaux s'accompagne d'une confusion entretenue entres les prestations relevant du funérarium et les prestations de pompes funèbres stricto sensu à raison de devis ou facture établis sur un document unique, portant la même adresse et le numéro de téléphone; que ces pratiques qui ont pu faire naître dans l'esprit des familles, fragilisées par l'épreuve qu'elles traversent, une confusion entre prestations du service concédé et prestations libres, et faire ainsi obstacle à l'exercice d'un choix éclairé et au recours de services d'entreprises concurrentes, caractérisent de la part de PFG un abus de position dominante;
Qu'il importe peu qu'à l'époque des faits aucune disposition légale ou réglementaire ne venait imposer la différenciation des locaux ou des prestations relevant de tel ou tel secteur des pompes funèbres, que le salon d'exposition, installé au funérarium, ait été fermé en 1994 et que des travaux d'agencement aient été entrepris en 1995, dès lors que les pratiques dénoncées, émanant d'une entreprise en position dominante, ont pu avoir pour effet, pour la période considérée, de maintenir les usages dans l'ignorance d'un recours possible, pour les prestations libres, aux entreprises concurrentes ;
b) Sur l'information du public relative aux cercueils :
Considérant qu'il a été également relevé que les cercueils exposés dans les locaux du funérarium étaient équipés de fournitures facultatives, majorant d'autant les prix dans des proportions non négligeables ; que les affichettes, mêmes détaillées, n'indiquaient pas le caractère obligatoire ou non des prestations offertes ; que de telles pratiques caractérisent également un abus de position dominante ;
c) Sur l'accès des entreprises concurrentes au funérarium :
Considérant qu'aux termes d'une note de service du 4 mars 1991, dont le sens est exempt d'ambiguïté en raison du but recherché, que les entreprises concurrentes se sont vu interdire, pour confirmer la date et l'heure de levée du corps, l'usage du télécopieur ; que cette interdiction des moyens usuels actuels de communication, en contraignant, de façon discriminatoire, les entreprises concurrentes à dépêcher un employé, sur place, pour procéder à la confirmation requise, a nécessairement eu pour finalité de rendre plus difficile l'exercice de la concurrence et caractérise une pratique prohibée ;
d) Les clauses de non-concurrence :
Considérant enfin, ainsi que le relève le conseil, qu'en insérant dans les contrats passés avec des commerçants prestataires de services (fleuriste, menuisier, marbriers...) des clauses de non-concurrence, pour une durée variant de trois à dix ans et sur une circonscription géographique s'étendant jusqu'à cinquante kilomètres, sans proportion à la durée et à la délimitation géographique du contrat de base, la société PFG, agissant délibérément dans le cadre d'une politique visant à restreindre le nombre des intervenants, a abusé de sa position dominante; qu'il importe peu que PFG n'ait pas eu l'intention de faire respecter de telles clauses dès lors que celles-ci ont eu pour effet potentiel de restreindre la concurrence ;
3°) Sur les ententes prohibées avec les marbriers :
Considérant que le directeur adjoint de la société PFG a déclaré que " Connaissant les tarifs de marbrerie appliqués par l'entreprise Regis lorsqu'il travaillait pour PFG, il avait demandé que les nouveaux tarifs des marbriers du GMR 95 soient inférieurs de l'ordre de 10 % par rapport à celui pratiqué par le concurrent direct " ;
Qu'une telle concertation sur les prix des travaux exécutés en sous-traitance, en ayant pour effet, sur le tarif diffusé, d'unifier les prix des prestataires et donc d'empêcher l'établissement des prix en fonction du coût propre à chacun d'eux, constitue bien une entente tarifaire ayant pour finalité d'affaiblir les concurrents et de limiter leur accès sur le marché en cause; que les réclamations que les membres du GMR 95 ont été conduits à formuler pour revaloriser certaines prestations, soulignent bien le caractère artificiel des prix retenus ainsi que le but poursuivi et avoué de contrer l'arrivée de concurrent, notamment l'entreprise De Memoris sur le marché ;
Que le conseil a retenu, à juste titre, que la circonstance que les tarifs concertés s'appliquent à des activités de sous-traitance est sans incidence sur la qualification de la pratique;
Considérant, par ailleurs, que les conditions particulières des contrats passés par PFG avec les marbriers se conformant à la répartition géographique opérée par les membres du GIE, retenue et sanctionnée par le conseil au titre d'une entente prohibée, le conseil a également exactement estimé que PFG avait, en adhérant à l'entente des marbriers, organisé et participé à la mise en œuvre du cloisonnement du marché ; qu'il importe peu que la qualification retenue varie de l'énoncé du grief dès lors que la question a été débattue contradictoirement avant que le conseil ne statue ; que le GES invoque, au surplus, en vain le fait que les contrats en cause aient été dénoncés, cette dénonciation intervenant postérieurement à l'ouverture de la procédure ;
Sur les sanctions :
1°) Sur la sanction pécuniaire :
Considérant qu'aux termes de l'article 13, alinéa 3, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné ; qu'elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ; que le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes, réalisé en France au cours du dernier exercice clos ;
Considérant, eu égard à la gravité des pratiques, que le conseil a justement relevé que l'abus de position dominante dans la zone de Gonesse et des communes limitrophes et la concertation avec le GMR 95 sont intervenus à une période où la loi du 8 janvier 1993, qui allait entrer en application, ouvrait le marché à la concurrence ; que PFG qui, concessionnaire d'un service public, occupait une position prééminente sur le marché des prestations funéraires, devait faire preuve d'une particulière vigilance au moment de la création, du développement ou du maintien d'entreprises concurrentes en raison du faible degré de concurrence sur un marché d'accès difficile en raison, de sa structure et des comportements passés ; que le conseil a également exactement relevé que des sanctions avaient antérieurement été prononcées, en 1990, à raison de la confusion entretenue dans l'esprit des familles, dans des conditions similaires, entre les prestations du service extérieur et les prestations libres ;
Que, pour apprécier le dommage à l'économie, le conseil a exactement retenu que l'intégralité des familles, même les plus modestes, était concernée par ces pratiques et dans un état de dépendance vis-à-vis des offreurs alors qu'éprouvées par le deuil qui les frappe et fragilisées elles se trouvent confrontées à la nécessité d'organiser, dans des délais particulièrement brefs, les obsèques ; que le faible montant de chiffre d'affaires concerné par les pratiques n'empêche pas, comme en l'espèce, une potentialité d'effet importante ;
Que, face aux pratiques dénoncées, GES ne peut valablement soutenir que les instructions données en 1994, comme les témoignages de satisfaction des familles qui ont fait appel à ses services, attesteraient de sa vigilance au moment de l'ouverture du marché à la concurrence ;
Que, compte tenu du chiffre d'affaires pour le dernier exercice clos de 653 752 593 F, la sanction de 5 000 000 F est justifiée au regard de l'article 13 précité et tient compte de la fermeture de l'agence commerciale de PFG du funérarium de Gonesse, le 4 janvier 1995, et de la rupture de ses relations commerciales avec le GMR 95, le 28 février 1996 ;
2°) Sur l'injonction de publication :
Considérant que si les éléments objectifs susceptibles d'être retenus pour le prononcé d'une sanction, comme le chiffre d'affaires ou l'existence de précédents, doivent être antérieurement connus pour être discutés utilement, les éléments d'appréciation qui conduisent au prononcé des sanctions ou injonctions relèvent du pouvoir reconnu au conseil en tant qu'autorité de jugement en matière de concurrence ; qu'en l'espèce, le conseil, après avoir apprécié la gravité des pratiques, a exactement estimé qu'il convenait de porter à la connaissance du public le caractère illicite desdites pratiques et les sanctions prononcées par la publication dans la presse ;
Qu'une telle publication ayant pour objet d'informer avec précision les lecteurs en appelant leur attention sur les pratiques sanctionnées est parfaitement motivée par la nécessité, exprimée par le conseil et justifiée, de prévenir efficacement toute nouvelle tentative de la part de l'entreprise pour freiner ou restreindre l'ouverture du marché à la concurrence ;
Que le titre de la publication retenue : " Décision du conseil de la concurrence du 21 octobre 1997 relative à des pratiques de la société PFG Ile-de-France dans la commune de Gonesse et dans les communes limitrophes ", précise bien l'objet et l'identité de la personne sanctionnée et correspond à la teneur de la décision prononcée par le conseil ;
Que l'injonction de publication et les modalités arrêtées pour y déférer sont régulières,
Par ces motifs : Ecarte des débats le mémoire déposé, le 23 avril 1998, par l'Union nationale des Entreprises de Services funéraires, les sociétés Les Marbreries Régis et Fils, et Les Marbreries Lescarcelle ; Déclare L'Union nationale des entreprises de service funéraires, les sociétés Les Marbreries Régis et Fils, et Les Marbreries Lescarelle irrecevables en leur recours incident formé le 4 juin 1998 ; Rejette le recours formé par la société Groupement d'Entreprises de Services (GES), anciennement dénommée Pompes Funèbres Générales (PFG) Ile-de-France, contre la décision du conseil de la concurrence n° 97-D-76 du 21 octobre 1997 ; La condamne aux dépens.