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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 29 janvier 1997, n° 93-006589

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Thierry Kam's (SARL)

Défendeur :

Cerruti 1881 (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mme Mandel, M. Ancel

Avoués :

Mes Cordeau, Kieffer Joly

Avocats :

Mes Traxeler, Libman.

T. com. Paris, du 13 janv. 1993

13 janvier 1993

Considérant que par arrêt de cette chambre en date du 20 mars 1995 auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, la cour a ordonné la réouverture des débats et fait injonction à la société Cerruti 1881 de :

- produire les contrats traduits en langue française et/ou rédigés directement en français actuellement en vigueur et conclus avec les sociétés HIC, Hitman, Icap, Nord Ouest, CIT, Italrend, Fraber et l'organigramme actuel du groupe Cerruti,

- justifier par tous documents utiles notamment contrats, des conditions dans lesquelles les produits portant les marques dont Cerruti 1881 est titulaire, sont distribués en France et plus particulièrement à Paris et préciser si elle a mis en place un réseau de franchisés et/ou de distribution sélective.

Considérant que Cerruti 1881 a déféré dans les délais à cette injonction.

Considérant que chacune des parties a repris des écritures.

Que Thierry Kam's tout en sollicitant le bénéfice de ses précédentes conclusions, fait valoir qu'il résulte des pièces communiquées que Cerruti 1881 est à l'origine de la politique commerciale de la marque tant au niveau des franchisés que des licenciés et impose par les contrats qu'elle conclut avec ses licenciés que ceux-ci fournissent en priorité les franchisés.

Qu'elle expose par ailleurs que Cerruti détient l'intégralité du capital social de la société CPC et que le contrat de franchise conclu entre Cerruti et cette société ne constitue en réalité qu'une couverture dont le but est de détourner les règles sanctionnant le refus de vente et d'écarter ainsi les concurrents directs tels Thierry Kam's.

Qu'enfin elle soutient que Cerruti est mal fondée à prétendre qu'elle ne répond pas aux critères nécessaires à la diffusion d'articles de luxe dès lors qu'elle lui a vendu ses produits de 1987 à 1991 et les lui fournit à nouveau.

Qu'elle en conclut que Cerruti est à l'origine des refus de vente opposés à Thierry Kam's.

Considérant que Cerruti réplique qu'elle a conclu un contrat de franchise avec CPC dans le cadre d'un réseau existant et d'une politique commerciale qui ne peut souffrir aucune critique.

Qu'elle ajoute que CPC a eu un contrat de franchise identique à celui des autres franchisés du réseau et que c'est pour éviter le dépôt de bilan de CPC, ce qui aurait été préjudiciable à la marque, qu'elle en a repris le capital.

Considérant enfin qu'elle invoque les dispositions de l'article 14 de la loi du 1er juillet 1996 abrogeant l'article 36. 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et supprimant ainsi l'interdiction de refus de vente.

Qu'en conséquence tout en reprenant les termes de ces précédentes conclusions, elle demande subsidiairement à la cour de dire que depuis le 3 juillet 1996 elle peut valablement refuser de vendre à Thierry Kam's et débouter cette société de sa demande tendant " à voir enjoindre à la société Cerruti de ne pas refuser à Thierry Kam's la vente de ses produits et de faire en sorte que ses fournisseurs et fabricants n'y fassent pas obstacle, et cela sous astreinte de 100 000 F par refus de vente constaté ".

Sur ce, LA COUR,

Considérant que Cerruti fait tout d'abord valoir que Thierry Kam's est mal fondée à soutenir qu'elle lui a opposé un refus de vente dès lors qu'aucune commande ne lui a été passée par Thierry Kam's et qu'elle ne fabrique rien, ne vend rien et ne facture rien.

Qu'elle en conclut que Thierry Kam's doit se retourner contre les licenciés fabricants.

Mais considérant que s'il est exact que les commandes litigieuses ont été passées non pas à Cerruti mais à différents licenciés par l'intermédiaire de Monsieur Aboab, agent commercial, et si les factures année après année ont été émises par les licenciés, il résulte des documents produits dans le cadre de la réouverture des débats que Cerruti est directement à l'origine des refus opposés à Thierry Kam's en 1991.

Considérant en effet que tous les contrats de licence conclus entre Cerruti et différents fabricants comportent des clauses ainsi rédigées :

" le licencié accepte de donner une priorité d'approvisionnement aux commandes en provenance de magasins spécialisés (y compris notamment les boutiques franchisées de Cerruti) vendant exclusivement des produits de Cerruti ".

" le licencié ne vendra les produits aux tiers faisant concurrence à ces boutiques (boutiques autorisées par Cerruti à utiliser les marques pour la distribution et la vente des produits) qu'en harmonie avec la politique commerciale qui sous tend le contrat ".

Que selon l'organigramme communiqué, Cerruti a pour objet de coordonner les activités mondiales du groupe, des licences et franchises.

Que Icap, Nord Ouest, Hitman, Cit ont chacune refuse d'honorer les commandes passées le 12 mars 1992 par Thierry Kam's par l'intermédiaire de M. Aboab au motif qu'en " leur qualité de licencié des diverses marques Cerruti il leur est contractuellement interdit de livrer sur les territoires couverts par les franchises consenties par la société Cerruti ".

Que ces pièces démontrent que Cerruti définit la politique commerciale du groupe et décide dans quelles conditions les produits marqués Cerruti peuvent ou non être revendus par des tiers n'étant pas des distributeurs exclusifs ou des points de vente Cerruti.

Que les premiers juges ont donc exactement retenu que les ventes à Thierry Kam's dépendent des instructions données par Cerruti à ses "correspondants" et que Thierry Kam's avait à juste titre diligentée son action à l'encontre de Cerruti.

Mais considérant que l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 auquel fait référence l'article 36 2°, en vigueur à la date des faits litigieux, précise que ne sont pas prohibées les pratiques "dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause/B>.

Considérant qu'en application de ce principe un franchiseur est en droit de se prévaloir à l'égard des tiers des obligations qu'il contracte dans le cadre des conventions conclues avec les franchisés dès lors qu'il justifie d'une part avoir mis en place un réseau de franchisés, d'autre part du progrès économique apporté par ce réseau et du profit en résultant pour les utilisateurs.

Considérant que Cerruti justifie par la production de contrats qu'en 1991 elle avait mis en place en France un réseau de franchisés pour la vente au détail d'articles d'habillement pour hommes et produits accessoires à l'habillement des hommes.

Qu'en particulier elle démontre avoir conclu le 12 février 1991 un contrat de franchise avec la société CPC exploitant une boutique 48 rue Pierre Charron à Paris 8ème laquelle se voyait concéder une exclusivité territoriale sur cet arrondissement.

Que même si à l'origine Cerruti était l'actionnaire majoritaire de CPC (détenant 5 097 actions sur 10 000) et même s'il n'est pas contesté qu'à ce jour elle détient l'intégralité du capital social, il demeure que les termes du contrat de franchise passé avec CPC sont identiques à ceux des autres contrats de franchise conclus entre Cerruti et diverses autres sociétés.

Qu'il convient de relever que l'un des principaux actionnaires de CPC est la société Firenze laquelle bénéficie précisément d'un contrat de franchise avec Cerruti depuis 1984 pour l'exploitation d'une boutique sise au Palais des Congrès.

Que la concession d'une franchise à CPC ne constitue pas une "couverture" mais s'inscrit manifestement dans le cadre d'une politique commerciale tendant à développer le réseau de franchisés et non pas, comme le soutient Thierry Kam's, dans le seul but d'éliminer des concurrents et notamment Thierry Kam's.

Qu'il apparaît que Cerruti a repris le capital de CPC pour prévenir le dépôt de bilan de cette société et éviter que les investissements réalisés pour l'aménagement de ce magasin l'aient été en pure perte, observation étant faite au surplus qu'une telle situation n'aurait pu que préjudicier à l'image de marque de Cerruti.

Considérant que le jugement dont appel étant assorti de l'exécution provisoire en ce qu'il enjoint à Cerruti de ne pas refuser la vente de produits Cerruti à Thierry Kam's, celle-ci ne saurait se prévaloir du fait que Cerruti lui fournirait à ce jour des produits Cerruti sans que CPC n'invoque une quelconque violation de la clause d'exclusivité, pour soutenir que le contrat de franchise conclu avec CPC est fictif.

Considérant par ailleurs que le mode de distribution de vêtements de prêt à porter de luxe pour hommes et d'accessoires masculins par des magasins spécialisés dans la présentation et la mise en valeur des articles proposés ainsi que dans l'argumentation de vente, constitue un développement économique avantageux pour les clients qui, outre une sélection d'articles de qualité, trouvent dans ces boutiques un environnement soigné de nature à préserver et à accroître le prestige de la marque et un personnel attentionné, bénéficiant d'un certain savoir faire apte à les conseiller utilement.

Que dès lors, lié à CPC par une clause d'exclusivité territoriale, c'est à bon droit que, au regard du droit interne, Cerruti a refusé à partir de mars 1991 que ses licenciés exécutent les commandes passées par Thierry Kam's commerçant étranger au réseau de franchise et implanté sur le territoire concédé en exclusivité à CPC et à proximité immédiate du magasin exploité par cette société.

Considérant au surplus qu'il convient de relever que les commandes passées par Thierry Kam's en mars 1991 pour la collection automne hiver 1991 1992 témoignent d'une certaine mauvaise foi dans la mesure où Cerruti établit par les pièces versées au débat et notamment par une attestation de Hitman et diverses factures, que de 1988 à 1991 Thierry Kam's n'avait auparavant jamais passé de commandes à ce fabricant pour la collection automne hiver.

Considérant dans ces conditions qu'aucun refus de vente ne peut être retenu à l'encontre de Cerruti et que le jugement entrepris doit être infirmé en ce qu'il a fait obligation sous astreinte à Cerruti de vendre ses produits à Thierry Kam's.

Que par voie de conséquence Thierry Kam's sera déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts.

Considérant que devant la cour, Cerruti n'a formé aucune demande en paiement de dommages et intérêts.

Considérant en revanche que Thierry Kam's ne contestant pas avoir perçu de Cerruti la somme de 160 000 F au titre de la liquidation de l'astreinte prononcée par les premiers juges, il y a lieu de condamner Thierry Kam's au remboursement de cette somme avec intérêts de droit à compter de la notification du présent arrêt, la partie qui doit restituer une somme qu'elle détenait en vertu d'une décision de justice exécutoire n'en devant les intérêts au taux légal qu'à compter de la notification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution.

Considérant que Thierry Kam's qui succombe sera déboutée de sa demande du chef de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Considérant en revanche que l'équité commande d'allouer à Cerruti pour les frais hors dépens par elle engagés une somme de 20 000 F.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 13 janvier 1993 en toutes ses dispositions, Déboute la société Thierry Kam's de l'intégralité de ses demandes, La condamne à rembourser à la société Cerruti 1881 la somme de cent soixante mille francs (160 000 F) avec intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt, La condamne à payer à la société Cerruti 1881 la somme de vingt mille francs (20 000 F) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, La condamne aux dépens de première instance et d'appel, Admet Me Cordeau avoué au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.