Conseil Conc., 7 octobre 1999, n° 99-D-55
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Demande de mesures conservatoires présentée par la SARL Phototelem
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de Mme Daudret-John, par Mme Hagelsteen, présidente, , MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents.
Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 25 juin 1999 sous les numéros F 1148 et M 240, par laquelle la SARL Phototelem a saisi le Conseil de la concurrence de faits susceptibles d'entrer dans le champ d'application de l'article 8 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, concernant la situation de la concurrence dans le secteur de la télématique, et a demandé le prononcé de mesures conservatoires ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Vu les observations présentées par la société France Télécom, par la société Phototelem et par le commissaire du Gouvernement ; Vu l'avis adopté le 22 septembre 1999 par l'Autorité de régulation des télécommunications (ART), à la demande du Conseil, sur le fondement des dispositions de l'article L. 36-10 du Code des postes et des télécommunications ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement, le président de l'Association française de la télématique multimédia (AFTEL), les représentants de la société Phototelem et de la société France Télécom entendus ; Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du rapporteur général ;
Considérant que, par lettre en date du 24 juin 1999, la société Phototelem, centre serveur et fournisseur de services télématiques, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la société France Télécom relatives aux redevances d'abonnement des codes d'accès Télétel dont elle allègue qu'elles sont prohibées par les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; qu'elle a assorti sa saisine d'une demande de mesures conservatoires ;
Considérant que le programme Télétel de la société France Télécom a été lancé en 1984 et s'est accompagné de la mise à disposition par France Télécom auprès de ses abonnés de terminaux domestiques, les Minitels ; que l'offre Télétel permet à un utilisateur du réseau téléphonique de France Télécom, à partir du Minitel, d'accéder à un point d'accès vidéotex (PAVI), puis d'être relié, par la société Transpac, à des centres serveurs hébergeant des services dont les contenus sont édités par les fournisseurs de services télématiques ;
Considérant que les relations juridiques entre la société France Télécom, les centres serveurs et les fournisseurs de services sont régies par un contrat intitulé "contrat Télétel" fixant les droits et les obligations des parties ; que le contrat peut être bipartite ou tripartite, selon que les fournisseurs de services et le centre serveur sont ou non les mêmes personnes ;
Considérant que, afin que le fournisseur de services puisse percevoir la rémunération des services qu'il édite, un décret du 4 janvier 1985 a permis à la société France Télécom de recouvrer, par le biais des factures téléphoniques, les sommes correspondant à la consommation globale des services télématiques puis de reverser aux fournisseurs de services ou aux centres serveurs qui les hébergent la part qui leur revient, déduction faite du prix de transmission de l'information et des frais liés à la facturation et au recouvrement de ces prestations ; que ce service est dénommé "prestation Kiosque" ;
Considérant que le prix payé par l'utilisateur et le montant du reversement de la société France Télécom aux fournisseurs de services dépendent de paliers tarifaires fixés par France Télécom ; qu'en effet le contrat Télétel prévoit notamment une typologie des services à laquelle correspondent des paliers tarifaires non négociables et qui influe directement sur les revenus des fournisseurs de services (art. 3 et annexe 1 du contrat Télétel) ;
Considérant que les tarifs des services, qu'il s'agisse des services fournis au client final ou des prestations effectuées pour les fournisseurs de services télématiques, sont fixés par la société France Télécom et homologués par le ministre chargé des Télécommunications et le ministre chargé de l'Economie après avis de l'ART ;
Considérant que le contrat Télétel prévoit également, en application d'un décret du 21 décembre 1988, le paiement par le fournisseur de services de frais de création et de modification et de frais d'abonnement mensuel pour chaque Code réservé ; que ce sont ces frais d'abonnement mensuel qui sont l'objet de la saisine de la société Phototelem et de sa demande de mesures conservatoires ;
Considérant, par ailleurs, que s'agissant de la prestation assurée par la société Transpac le centre serveur ou le fournisseur de services, s'il dispose de son propre centre serveur, paie une redevance mensuelle à cette filiale de la société France Télécom ;
Considérant que, par une décision n° 98-110 E du 20 août 1998, la société France Télécom a modifié la redevance mensuelle d'abonnement aux codes de services télématiques ;
Considérant que, préalablement à l'annonce de cette modification aux fournisseurs de services, la société France Télécom a, le 20 août 1998, conformément à l'article 17 de son cahier des charges du 27 décembre 1996, transmis sa nouvelle tarification d'abonnement au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, aux fins d'homologation, et a demandé l'avis de l'ART ; qu'un avis favorable de l'ART est intervenu le 16 septembre 1998 ; que la modification tarifaire a été homologuée tacitement le 24 octobre 1998 ;
Considérant que, par lettre simple du 5 novembre 1998, la société France Télécom a annoncé à ses clients, les centres serveurs et fournisseurs de services télématiques vidéotex, que la redevance mensuelle d'abonnement aux codes des services Télétel, jusqu'alors d'un montant unique de 252,95 F hors taxes par Code, était remplacée, à compter du 1er décembre 1998 "par quatre nouveaux tarifs modulés suivant le palier tarifaire du Code et son numéro d'accès" :
EMPLACEMENT TABLEAU
Considérant que la société France Télécom précise dans ladite lettre que ces modifications tarifaires de la redevance mensuelle d'abonnement ont été décidées "afin d'encourager la baisse du prix des services Télétel et de favoriser les bas paliers tarifaires" et qu'elles s'accompagnent d'une prestation de services enrichie pour les fournisseurs de services et centres serveurs :
- la gratuité du reroutage depuis les pages M et de l'accès aux services par le 3623 ;
- le magazine "En Ligne" bimestriel avec toute l'actualité des services Internet-Minitel-Audiotel ;
- une modernisation des applications de gestion pour un service plus souple et plus efficace ;
Considérant que la société Phototelem soutient que cette modification tarifaire de la redevance d'abonnement, par son ampleur et sa brutalité, est constitutive d'un abus de la position de monopole que la société France Télécom détient sur le marché de la télématique et que cet abus lui cause un préjudice grave et immédiat au sens de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant qu'elle fait valoir que, face à cette augmentation de + 38,4 % à + 295,3 % selon les codes, elle ne pouvait s'adresser à un autre opérateur sur le marché, puisque seule la société France Télécom offre le service Télétel ; qu'elle ne pouvait pas non plus répercuter les hausses sur les prix de vente de ses services, ceux-ci étant fixés par la société France Télécom dans son catalogue de prix sous la forme d'une grille tarifaire par palier ; que, pour les codes qu'elle exploitait au 1er décembre 1998, l'augmentation tarifaire a été de l'ordre de + 133,6 % ; que le délai de vingt-cinq jours entre l'annonce et l'entrée en vigueur de la modification tarifaire n'est pas conforme à l'article 11-2 du contrat Télétel qui prévoit que les conditions générales de celui-ci peuvent être modifiées à l'initiative de la société France Télécom en respectant un délai de six mois ;
Considérant que la société Phototelem soutient encore qu'une augmentation de cette ampleur risque de faire disparaître les petits fournisseurs, alors qu'elle sera insensible pour les fournisseurs les plus importants dès lors que l'abonnement représente une fraction beaucoup plus faible de leur chiffre d'affaires et, en tout état de cause, n'aura pas pour effet de les faire migrer vers des paliers moins élevés alors que tel était, selon la société France Télécom, le but recherché ;
Considérant que la société Phototelem soutient enfin que cette augmentation lui cause un préjudice grave et immédiat ; qu'elle l'a contrainte, à partir du mois de janvier 1999, à résilier huit de ses codes, notamment ceux placés sur les paliers les plus élevés, afin de réduire ses charges ; que, de la même façon, elle a obligé son client, l'association Fréquence Mistral, à la fin du mois de juin 1999, à résilier quatre des sept codes que la société Phototelem hébergeait ;
Considérant que, devant le refus de la société Phototelem et de l'association Fréquence Mistral de payer les abonnements aux nouveaux tarifs, la société France Télécom a suspendu les codes télématiques de ces deux sociétés du 13 au 22 juillet 1999 ; que la société Phototelem soutient que ce décâblage lui ayant causé une perte de chiffre d'affaires et ayant provoqué le départ de son gestionnaire de services, les reversements correspondant aux mois de juillet et août 1999, qu'elle va percevoir fin octobre 1999, seront faibles et qu'elle sera contrainte de faire face à un grave déficit de l'activité télématique ;
Considérant que, pour l'ensemble de ces motifs, la SARL Phototelem demande au Conseil "de prendre la mesure conservatoire qui s'impose en vertu des dispositions de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986" ; qu'elle précise, dans une télécopie adressée au rapporteur le 16 juillet 1998, que "la mesure conservatoire que nous vous demandions de prendre (mais que nous avions mal formulée) consistait à intervenir auprès de France Télécom pour éviter la suspension ou la résiliation de nos codes Télétel réservés en attendant une décision sur le fond de l'affaire" ; qu'elle ajoute, dans une lettre du 6 septembre 1999, qu'elle demande au Conseil que la société France Télécom "respecte les dispositions contractuelles prévues par l'article 11-2 des conditions générales du contrat Télétel (délai de six mois), avant d'appliquer la hausse de ses tarifs d'abonnement et renonce à toute procédure de suspension ou de résiliation d'office des codes d'accès réservés par Phototelem (et son unique hébergé de l'époque, l'association Fréquence Mistral)" ;
Sur la compétence du Conseil de la concurrence :
Considérant que la société France Télécom soutient que le Conseil n'est pas compétent pour examiner les demandes au fond de la société Phototelem qui relèvent de la compétence du juge judiciaire ; que, par voie de conséquence, la saisine au fond est irrecevable ainsi que la demande de mesures conservatoires ; qu'elle cite au soutien de cette allégation les décisions du Conseil de la concurrence n° 89-D-02 et n° 91-MC-01 ;
Considérant que, si, comme il l'a rappelé dans les décisions citées par la société France Télécom, le Conseil n'a pas compétence pour statuer sur une demande de dommages et intérêts ou en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ni pour prononcer la nullité de stipulations contractuelles ou prendre des mesures en application de l'article 1382 du Code civil, il est saisi in rem des pratiques qui lui sont dénoncées ; qu'ainsi, sans être tenu par les conclusions des parties, il peut rechercher si ces pratiques peuvent être qualifiées au titre des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 81 et 82 du traité de Rome ; que le Conseil est donc valablement saisi pour examiner si les pratiques de la société France Télécom sont susceptibles de tomber sous le coup des prohibitions prévues par ces dispositions ;
Sur la saisine au fond :
En ce qui concerne le marché pertinent :
Considérant que, pour l'utilisateur final, le seul service fournissant des prestations proches de celles fournies par Télétel est Internet ; que, cependant, Internet, s'il assure certaines fonctionnalités comparables, voire plus élaborées que celles des services Télétel, ne peut être considéré comme leur étant substituable pour des motifs tenant au nombre encore limité de ses utilisateurs et à ses caractéristiques d'accès et de coût;
Considérant, en effet, qu'au quatrième trimestre 1998, 2,1 % des ménages français étaient abonnés à Internet et 19,8 % disposaient d'un terminal Minitel ou d'une fonction Minitel sur micro-ordinateur ; que, d'après les sources publiées par l'Association des fournisseurs d'accès à Internet (AFA), il est possible d'estimer à 1,8 million le nombre des raccordements individuels à Internet en avril 1999, alors qu'il existe 5,6 millions de terminaux Minitel installés, dont 64 % dans la clientèle "résidentiels" et 25 % chez les "professionnels" (magazine En Ligne de la société France Télécom - juillet 1999) ; qu'en outre, l'accès à Internet requiert l'utilisation d'un ordinateur, l'installation d'un modem et la souscription d'un abonnement auprès d'un fournisseur de services d'accès à Internet, à la différence de l'utilisation d'un Minitel qui ne nécessite que l'installation d'une ligne téléphonique et la disponibilité d'un terminal ad hoc (initialement distribué gratuitement puis loué à un prix modique par France Télécom) ;
Considérant que, si un système Kiosque a été élaboré par la société France Télécom dans le secteur de l'Internet, il ne connaît pas une grande diffusion ; qu'ainsi, les informations disponibles par le biais de ce réseau sont, dans leur grande majorité, soit fournies gratuitement, soit accessibles uniquement après souscription d'un abonnement préalable ; que, parallèlement à la croissance d'Internet, on constate également une croissance des services Télétel sur les paliers les plus chers du 36-17, ce qui indique que ces services ne sont pas susbtituables ; que la spécificité de l'usage du Minitel est d'ailleurs soulignée par la société France Télécom elle-même dans son magazine "En ligne" de juillet 1999, qui présente les services Minitel comme des services qui "couvrent des besoins non satisfaits par ailleurs" ; que sont également listés les usages spécifiques pour lesquels le Minitel est l'instrument le mieux adapté, par rapport aux services Audiotel (télématique vocale), à Internet et aux messageries mobiles ; que, dans ces conditions, l'accès à Internet n'est pas, pour le moment, un service substituable, en France, aux services Télétel ;
Considérant que, si la société France Télécom estime "que le marché semble pouvoir être défini de manière parfaitement plausible comme incluant, pour ces fournisseurs de services, tant le produit Minitel que le réseau Internet", il résulte de ce qui précède que, pour les fournisseurs de services, les recours au Minitel et à Internet ne permettent pas d'atteindre la même clientèle ni de lui offrir des conditions de paiement comparables ; que ces deux choix techniques ne sont donc pas substituables et qu'il y a lieu de retenir l'existence d'un marché des prestations nécessaires à la fourniture de services télématiques au grand public ;
En ce qui concerne la position de France Télécom sur le marché pertinent :
Considérant que les équipements de télécommunications nécessaires à la fourniture de services télématiques au grand public sont constitués par la partie terminale d'un réseau téléphonique et par des points d'accès, à partir de ce réseau téléphonique, à un service de transport de données par paquets (service dit X25) ;
Considérant qu'il ressort de l'avis n° 99-797 du 22 septembre 1999 de l'ART qu'actuellement seule France Télécom est en mesure d'assurer la circulation de l'information entre les fournisseurs de services et les terminaux de type Minitel installés chez leurs clients par l'intermédiaire de ses infrastructures : boucle locale de France Télécom et service X25 national de Transpac ; que, de même, seule France Télécom offre aux fournisseurs de services la possibilité d'être rémunérés par leurs clients par l'intermédiaire de la facture téléphonique de ces derniers ;
Considérant, en effet, que, sur le marché de la boucle locale, la société France Télécom détient encore, en septembre 1999, un quasi-monopole de fait ; que la situation n'a pas évolué de façon significative depuis des décisions et avis récents du Conseil de la concurrence, notamment, avis n° 98-A-20 en date du 1er décembre 1998 relatif à une saisine du Sipperec au sujet de la création d'un groupement de commandes dans le secteur des télécommunications, avis n° 98-A-23 du 16 décembre 1998 relatif à une demande d'avis de l'Autorité de régulation des télécommunications portant sur des problèmes soulevés par la commercialisation du service téléphonique longue distance par des distributeurs et décision n° 99-MC-04 du 10 mars 1999 relative à une demande de mesures conservatoires présentées par l'AFOPT et l'AOST ;
Considérant aussi que la société France Télécom, par le biais de sa filiale Transpac, est de facto le seul opérateur à fournir un service de transport de données pour la fourniture de services télématiques; que, malgré la libéralisation des services de transport de données en 1992, aucun opérateur n'a depuis cette date mis en œuvre un autre service de transport de données, en norme X25, adapté aux services télématiques de type Kiosque ; que si certains opérateurs de télécommunications ont fait une demande de numéros non géographiques auprès de l'Autorité dans la série ouverte par la décision n° 98-1046 du 23 décembre 1998, numéros qui pourraient être utilisés pour des services télématiques, il apparaît que, dans leur grande majorité, ces demandes concernent des services de télématique vocale (services dits "Audiotel") plutôt que des services de télématique écrite ; qu'ainsi, les services de Transpac pour des prestations aux fournisseurs de services télématiques demeurent encore en monopole de fait ;
Considérant que la société France Télécom est jusqu'à présent le seul opérateur offrant aux prestataires de services informatiques le système de facturation Kiosque permettant d'intégrer le paiement de service rendu au consommateur à la facture téléphonique de ce dernier; que, si une offre de facturation pour compte de tiers est en cours d'élaboration par la société France Télécom, dans le cadre de ses obligations d'interconnexion, ses propositions n'ont pas été à ce jour approuvées par l'Autorité ; qu'elles ne sont donc pas disponibles pour les autres opérateurs ; qu'en tout état de cause, même en présence d'une offre de facturation pour compte de tiers, un opérateur alternatif ne pourrait, à lui seul, offrir toute la gamme des services nécessaires à la fourniture de services Minitel ;
Considérant ainsi que,malgré les évolutions récentes en matière d'interconnexion, France Télécom détient aujourd'hui encore un monopole sur le marché pertinent ; qu'elle y occupe, par voie de conséquence, une position dominante;
En ce qui concerne la qualification des pratiques dénoncées :
Considérant qu'il est, en principe, loisible à un opérateur occupant une position dominante sur un marché de relever ses tarifs; qu'en l'espèce la mesure contestée a été prise par France Télécom à la suite de la constatation de ce qu'étaient surtout développés les services télématiques situés sur les paliers les plus chers, ce qui conduisait le consommateur final à se détourner de l'usage du Minitel ; que l'objectif de la hausse modulée des tarifs d'abonnement était de conduire les fournisseurs de services à développer leurs prestations sur des paliers tarifaires moins coûteux pour le consommateur final ; qu'ainsi l'objectif affiché par France Télécom n'était pas anticoncurrentiel; que, toutefois, la pratique dénoncée, dès lors qu'elle est mise en œuvre par un opérateur occupant une position dominante sur un marché ne doit pas avoir un autre objet, ni un effet anticoncurrentiel ;
Considérant, en premier lieu, que la décision prise par France Télécom d'augmenter la redevance mensuelle d'abonnement aux codes Télétel s'est appliquée de la même manière à l'ensemble des opérateurs présents sur le marché ; qu'en l'absence de toute discrimination il importe peu, ainsi que le Conseil l'a rappelé dans sa décision n° 99-D-21 du 10 mars 1999, CNPA contre Groupement des cartes bancaires, que certains concurrents, du fait d'un rapport charges fixes sur charges totales élevé, soient plus sensibles à l'augmentation des tarifs d'abonnement ; que la société Phototelem ne peut donc pas utilement invoquer la sensibilité particulière de ses résultats d'exploitation à l'augmentation pratiquée ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il n'a pas été démontré, ni même allégué, que l'augmentation tarifaire décidée par France Télécom, qui s'est appliquée d'une manière générale à l'ensemble du secteur, aurait pu avoir pour objet ou pour effet de favoriser les filiales de la société France Télécom qui exercent une activité de fournisseur de services télématiques, au détriment de leurs concurrents ; qu'il n'est pas davantage apparu que ces concurrents aient connu des difficultés économiques particulières à la suite de la décision prise par France Télécom ; qu'en effet, interrogé au cours de la séance par le Conseil, le président de l'Association française de la télématique multimédia a indiqué que, si les entreprises du secteur avaient regretté pour des raisons de principe, le caractère brutal de l'augmentation, elles n'en avaient pas ressenti des conséquences économiques particulières ; que, s'agissant plus particulièrement de la société Phototelem, il résulte seulement des déclarations faites en séance que cette société, à la suite de l'augmentation des tarifs d'abonnement qu'elle conteste, ne sera plus en mesure de financer, grâce à son activité télématique, des activités de recherche et de développement, comme elle le faisait auparavant ; qu'en tout état de cause la société Phototelem, en résiliant ses abonnements à des codes dont elle ne se servait pas, a pu rétablir sa situation, qui n'a été ensuite compromise que parce que, ayant cherché à se faire justice elle-même, ladite société a refusé de régler le montant des abonnements au nouveau tarif, ce qui a conduit France Télécom à suspendre ses services ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il n'est pas soutenu que la mesure tarifaire décidée par France Télécom aurait eu un effet sur le niveau moyen des prix facturés au consommateur ;
Considérant, enfin, qu'il n'a été ni soutenu ni démontré que les nouveaux tarifs d'abonnement, lesquels doivent s'analyser comme l'un des éléments de la relation complexe qu'entretiennent les fournisseurs de service et l'opérateur, seraient, par leur niveau absolu, constitutifs d'un abus de position dominante, par exemple parce qu'ils empêcheraient les prestataires de services d'accéder au service Kiosque, alors surtout que ces tarifs n'avaient pas été augmentés depuis dix ans ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la saisine ne contient aucun élément probant à l'appui des allégations selon lesquelles les pratiques dénoncées constitueraient un abus de position dominante ; qu'il y a lieu, en application de l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de déclarer ladite saisine irrecevable et de rejeter, par voie de conséquence, la demande de mesures conservatoires de la société Phototelem,
Décide :
Art. 1er. - La saisine enregistrée sous le numéro F 1148 est déclarée irrecevable.
Art. 2. - La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro M 240 est rejetée.