Cass. com., 4 février 1997, n° 95-10.486
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Kangourou Déménagements (SARL), Talençaise de déménagements (SARL), Déménagements Dubedat (SARL), Hontas
Défendeur :
Ministre de l'Economie et des Finances
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Léonnet
Avocat général :
M. Raynaud
Avocats :
Mes Le Prado, Ricard.
LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 16 décembre 1994) que le ministre de l'Economie et des Finances a saisi le conseil de la concurrence de pratiques illicites constatées dans le secteur du déménagement à Bordeaux; que par décision en date du 15 mars 1992, le conseil a retenu, d'une part, que les entreprises Hontas déménagements et STD, groupées pour répondre à l'appel d'offres ouvert publié par la ville de Bordeaux au Bulletin officiel des annonces des marchés publics en octobre 1990, et la société Kangourou déménagements, en échangeant des informations préalablement au dépôt de leurs offres respectives, se sont livrées à des pratiques qui avaient pour objet et avaient pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché du déménagement de la bibliothèque municipale de Bordeaux et que, d'autre part, les entreprises Hontas déménagements, Kangourou déménagements, Déménagements Dubedat et Déméco Bordeaux, en échangeant au cours des années 1990 et 1991 des informations sur la nature des prestations à effectuer et sur les prix en vue de l'établissement de devis de couverture, alors qu'elles étaient sollicitées par les particuliers en vue de la réalisation d'un déménagement, se sont livrées à des pratiques qui, dans onze dossiers, ont eu un effet anticoncurrentiel et, dans vingt-quatre autres, ont eu pour objet et pu avoir pour effet de restreindre la concurrence; que des sanctions pécuniaires ayant été prononcées contre ces entreprises, quatre d'entre elles, les sociétés Kangourou déménagements, Talençaise de déménagements (STD), Déménagements Dubedat, et M. Michel Hontas, exerçant sous l'enseigne "Entreprise Hontas déménagements" se sont pourvues devant la Cour d'appel de Paris contre ces décisions;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que les trois sociétés demanderesses au pourvoi et M. Michel Hontas font grief à l'arrêt de les avoir condamnés en écartant le moyen de nullité de la procédure, tiré de ce que trois documents mentionnés dans le rapport d'enquête, émanant de la Direction générale de la Concurrence et des prix, n'avaient pas été versés aux débats alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'instruction et la procédure devant le Conseil de la concurrence sont pleinement contradictoires (article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986), les intéressés pouvant consulter le dossier (article 21 de la même ordonnance); que le défaut de communication de documents sur lesquels le rapport d'enquête prend appui est incompatible avec les principes généraux du droit de la procédure, spécialement formulés, pour la procédure de sanction de pratiques anticoncurrentielles, par les articles 18 et 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; que la cour d'appel a donc violé ces textes; et alors, d'autre part, que la décision administrative ouvrant l'enquête (en l'occurrence, la note de la DGCCRG du 14 mai 1991) n'est pas un document interne de l'Administration, et que la communication interne est en toute hypothèse indispensable, seul ce document étant normalement propre à permettre de vérifier que les enquêteurs n'ont pas excédé les termes de leur mission; qu'en méconnaissant la nécessité de la communication de ce document, la cour d'appel a violé, outre les articles 18 et 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'article 45 du même texte;
Mais attendu que c'est à bon droit que la cour d'appel, qui n'a pas constaté que les documents internes concernant les relations de la Direction générale de la Concurrence et des prix avec ses services, avaient été communiqués au Conseil de la concurrence ou que les procès-verbaux d'enquête avaient été établis irrégulièrement, a énoncé qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait à l'Administration de justifier des motifs pour lesquels elle procédait à une enquête administrative sur le fondement de l'article 47 de l'ordonnance ; que le moyen n'est pas fondé en ses deux branches;
Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que les trois sociétés demanderesses et M. Michel Hontas font grief à l'arrêt d'avoir prononcé à leur encontre des sanctions pécuniaires, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en application de l'article 47 de l'ordonnance, les fonctionnaires habilités à effectuer des enquêtes administratives relatives à des pratiques anticoncurrentielles ne peuvent demander communication que de documents dont ils connaissent l'existence et qu'ils sont en mesure d'identifier; que ne répond nullement à cette condition de mise en œuvre de l'article 47 de l'ordonnance, la demande générale et dépourvue de toute précision de remise des pièces et documents relatifs aux devis et études effectués par une entreprise durant deux années; qu'une telle demande ne constitue qu'une perquisition déguisée; qu'en jugeant qu'elle n'était pas subordonnée à autorisation judiciaire, la cour d'appel a violé les articles 47 et 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; et alors que, d'autre part, en admettant l'Administration à se faire remettre sans autorisation judiciaire des documents inconnus d'elle, ne pouvant faire l'objet d'une communication au sens de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la cour d'appel a violé l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales;
Mais attendu que c'est à bon droit que la cour d'appel, après avoir constaté que les enquêteurs avaient demandé "la communication de pièces et documents relatifs aux études et devis effectués" au cours des années 1990-1991, a énoncé que cette demande n'était ni générale ni imprécise dès lors qu'elle identifiait les documents, devis et études de déménagements, ainsi que la période de leur établissement;que dès lors, c'est sans violer les textes susvisés, que la cour d'appel a statué ainsi qu'elle l'a fait; que le moyen n'est pas fondé en ses deux branches;
Sur le septième moyen, pris en ses trois branches :- Attendu que les sociétés Hontas déménagements, STD et Kangourou déménagements font grief à l'arrêt d'avoir prononcé à leur encontre des sanctions pécuniaires à raison de pratiques anticoncurrentielles, commises, en particulier à l'occasion du lancement d'un appel d'offres pour le déménagement de la bibliothèque de la ville de Bordeaux; alors, d'une part, selon le pourvoi, que cette motivation, qui repose sur la considération de ce que M. Rullier aurait signé l'acte d'engagement en qualité de gérant de la société Kangourou déménagements, procède de la dénaturation de l'acte d'engagement qui indique seulement que M. Rullier l'a signé au nom et pour le compte de la société Kangourou, ce dont il avait le pouvoir en sa qualité d'agent commercial, ainsi que les entreprises intéressées l'avaient montré; que dénaturant l'acte d'engagement, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil; et alors, d'autre part, qu'omettant de répondre au moyen tiré de ce que, sans être gérant, M. Rullier avait pouvoir de signer l'acte en question, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile; et alors, enfin, que, par voie de conséquence, la cour d'appel a violé les articles 7 et 13-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Mais attendu que, par une décision motivée, la cour d'appel a relevé qu'il résultait des pièces versées aux débats, notamment de documents à en-tête de l'entreprise Hontas déménagements relatifs au marché de la bibliothèque de Bordeaux découverts au sein de la société Kangourou déménagements, que le groupement Entreprise Hontas déménagements STD et la société Kangourou déménagements s'étaient livrés à une simulation de concurrence à l'insu de la collectivité publique en échangeant des informations préalablement au dépôt de leurs offres respectives et en présentant deux offres distinctes sans faire connaître les liens qui existaient entre eux, tout en manoeuvrant pour que ces liens n'apparaissent pas; qu'elle a également constaté que M. Hontas était gérant de la société STD dirigeant de l'entreprise en nom personnel Hontas déménagements et gérant de la société Kangourou déménagements; et que M. Rullier, agent commercial de cette entreprise avait signé l'acte d'engagement pour l'appel d'offres de la ville de Bordeaux, en qualité de gérant, afin de dissimuler les liens personnels entre les entreprises soumissionnaires, en accord avec M. Hontas et après lui avoir demandé des instructions sur les renseignements qu'il devait fournir pour répondre à l'appel d'offres; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a pu statuer ainsi qu'elle l'a fait sans encourir les griefs du moyen;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.