Conseil Conc., 7 juillet 1993, n° 93-D-19
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques de la société Sony France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Adopté sur le rapport de M. Jean-René Bourhis, par MM. Barbeau, président, Jenny, vice-président, Blaise, Robin, Thiolon, Urbain, membres.
Le Conseil de la concurrence (section III),
Vu les lettres enregistrées respectivement les 23 octobre (989 sous le numéro F. 280 et 3 janvier 1990 sous le numéro F. 296 par lesquelles la SA Concurrence a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la société Sony France sur le marché de l'électronique grand public ; Vu les lettres enregistrées respectivement les 23 octobre 1989 sous le numéro F. 281, 1er février 1990 sous le numéro F. 302 et 2 mars 1990 sous le numéro F. 309 par lesquelles la SA Jean Chapelle a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la société Sony France sur le même marché ; Vu la lettre enregistrée le 12 février 1990 sous le numéro F. 306 par laquelle la SARL Semavem a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques commerciales de la société Sony France ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application ; Vu la décision du Conseil de la concurrence n° 90-D-42 en date du 6 novembre 1990 relative à des pratiques de la société Sony France ; Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 5 juillet 1991 ; Vu les observations des sociétés Sony France, Concurrence, Jean Chapelle et Semavem ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Sony France, Concurrence, Jean Chapelle et Semavem entendus, Adopte la décision fondée sur les Constatations (I) et sur les Motifs (II) ci-après exposés :
I. - CONSTATATIONS
1. Le secteur d'activité, les entreprises
La société Sony France, filiale du groupe nippon Sony Corporation, commercialise en France du matériel appartenant aux diverses catégories de produits d'électronique grand public (produits " bruns "), satisfaisant des besoins distincts des consommateurs et caractérisant, de ce fait, des marchés séparés. Le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé en France par cette entreprise au cours de l'exercice clos le 31 mars 1993 s'est élevé à 4,298 milliards de francs. Le résultat d'exploitation du dernier exercice clos s'est élevé à 33,382 millions de francs pour une perte nette de 76,9 millions de francs.
Il ressort d'une enquête réalisée par la société d'études GFK que les ventes de produits " bruns " sur le plan national se répartissaient de la manière suivante en 1988 :
- grandes surfaces spécialisées : 36 p. 100 ;
- spécialistes : 35 p. 100 ;
- grandes surfaces "alimentaires" : 25 p. 100 ;
- grands magasins : 1 p. 100 ;
- ventes par correspondance : 3 p. 100.
Selon la même source GFK, la part des ventes en valeur de la société Sony France sur le plan national s'établissait comme suit, en décembre 1989-janvier 1990, pour les catégories de produits suivantes :
- caméscopes : 33,4 p. 100 (1er rang) ;
- téléviseurs couleur : 8,3 p. 100 (4e rang) ;
- lecteurs de disques compact : 23 p. 100 (1er rang) ;
- magnétoscopes de salon : 1,8 p. 100 (19e rang) ;
- chaînes " hi-fi " : 14,1 p. 100 (1er rang).
Les trois entreprises ayant saisi le conseil constituent, en raison de leurs liens financiers ou des liens familiaux unissant leurs dirigeants ainsi que de leur stratégie commerciale, ce qui sera appelé ci-après le " groupe Chapelle ".
La société Jean Chapelle exploite deux magasins à Paris, l'un situé rue de Rennes, l'autre avenue de Wagram. La société Concurrence exploite un magasin situé place de la Madeleine, à Paris. La SARL Semavem exploitait, au moment des faits, un magasin situé à Valence.
Selon son gérant, M. Jean Chapelle, la SARL Semavem n'avait quasiment rien acheté à Sony France de fin 1989 à juillet 1990, période couverte par les différentes saisines du groupe Chapelle. Le chiffre d'affaires réalisé au cours du premier semestre 1990 par les deux autres entreprises avec la société Sony France s'est élevé respectivement à 6,865 millions de francs pour la SA Jean Chapelle et à 2,749 millions de francs pour la SA Concurrence.
2. Les pratiques en cause
La période concernée par les saisines du groupe Chapelle est celle de la fin du mois d'octobre 1989 à juillet 1990, Cette période fait directement suite à celle concernée par la décision du conseil du 6 novembre 1990, décision dans laquelle avaient été examinées les conditions de vente de la société Sony France ainsi que leur application au cours de la période allant du 1er décembre 1986 à septembre 1989.
Lors du dépôt des six nouvelles saisines des sociétés du groupe Chapelle intervenues entre octobre 1989 et mars 1990, le conseil ne s'était toutefois pas encore prononcé sur les huit précédentes saisines. La cour d'appel de Paris, statuant sur le recours intenté par les sociétés du groupe Chapelle a rendu son arrêt le 5 juillet 1991 et les griefs relatifs à l'actuelle procédure ont été notifiés le 23 mars 1992.
Dans leurs saisines, les sociétés du groupe Chapelle reprennent, pour l'essentiel, les critiques qui avaient été émises à l'égard de la société Sony France dans les saisines ayant donné lieu à la décision n° 90-D-42 du 6 novembre 1990. Ces critiques portaient, tant sur les conditions de vente appliquées par cette entreprise, que sur l'application discriminatoire qui en était faite.
Le contrat d'" assistance technique au consommateur " (ATC) de type B en application le 1er janvier 1990 stipulait, sous la mention " Mise en service des produits ", que " certains produits présentent des difficultés de manipulation physiques, d'adaptation aux conditions locales d'émission ou de raccordement que ne peuvent pas assumer les consommateurs. Le distributeur dispose de moyens logistiques et techniques propres permettant d'assurer gratuitement la mise en service de ces produits au domicile du client ". Le barème de remises et ristournes applicable à l'ensemble des revendeurs à l'exception des grossistes prévoyait le versement d'une ristourne de 5 p. 100 aux distributeurs qui s'engageaient à respecter les dispositions du contrat ATC de type B. A compter du 1er janvier 1991, cette obligation a été supprimée des contrats ATC, le " barème général" des conditions de vente de la société Sony France prévoyant en revanche que la remise de 5 p. 100 est accordée aux seuls distributeurs qui s'engagent, par un écrit spécifique, à effectuer la livraison et la mise en service gratuite au domicile du client.
Le contrat ATC de type B applicable en 1990 prévoyait également que le distributeur dispose de la capacité technique et des " moyens humains " suffisants pour apporter une assistance technique au consommateur dans le domaine de la vente (démonstration des produits), de l'installation (problèmes de raccordement éventuels) et de la réparation. S'agissant du service après-vente, le contrat stipulait que le réparateur doit être en mesure d'effectuer une intervention sur des cas " simples " ou " assimilables à un entretien courant " et que le distributeur possède des équipements de réparation sommaires (établi, multimètre, petit outillage...). A compter du 1er janvier 1991, la société Sony France a modifié ses conditions de vente, le distributeur devant signer la " Charte d'accueil du consommateur " et le " contrat d'assistance technique au consommateur " pour bénéficier du maximum de remises supplémentaires, en contrepartie de différents services rendus au consommateur.
Mis à part la modification apportée en début d'année 1990 au contrat ATC, au sujet de la mise en service de certains produits, aucun changement notable n'est intervenu dans la structure des conditions de vente de la société Sony France. Ce point n'est pas contesté par les parties, la Semavem ayant d'ailleurs déclaré (saisine F 306 du 12 février 1990) : " Le conseil constatera que les conditions analysées par les notifications (.) sont toujours en application à ce jour. Les griefs demeurent valables. "
Une enquête effectuée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a porté sur un échantillon de quarante-neuf magasins implantés en région parisienne dont dix-sept grandes surfaces spécialisées, dix grandes surfaces alimentaires, un grand magasin, vingt spécialistes et une entreprise de vente par correspondance. L'enquête a établi que les magasins à enseigne Continent (Saint-Brice), Carrefour (Gennevilliers), Euromarché (Créteil), Rik's Electronic (Paris) et Cora (Ermont) bénéficiaient, en 1990, de la remise de 5 p. 100 octroyée par la société Sony France aux signataires du contrat ATC de type B, alors qu'elles ne respectaient pas leurs engagements, certaines d'entre elles n'effectuant pas la mise en service, d'autres acceptant d'effectuer cette prestation en contrepartie du paiement d'un supplément de prix par le consommateur. S'agissant de la société Rik's Electronic dont les quatre magasins portent l'enseigne "
Empire électronique ", les fiches des avoirs de ristourne relatives au second semestre 1990 et au premier semestre 1991 (cotes 608 à 610 au dossier) établissent, contrairement à ce qu'a déclaré la société Sony France dans ses observations, que ce distributeur commercialisait des appareils de télévision, susceptibles de faire l'objet de demandes de livraisons de la part des consommateurs.
L'instruction a également établi que Sony France accordait une ristourne de 5 p. 100 sur les ventes effectuées au magasin à enseigne Continent de Saint-Brice, et ce, au titre du service après-vente. Ce magasin, est un établissement de la société en nom collectif Continent hypermarchés dont le siège social se trouve à Mondeville. La société Sony France a déclaré que le contrat de service après-vente applicable était celui signé en 1987 par la centrale d'achat Continent, la Compagnie internationale de marchandises (CIM), SARL sise 161, rue de Courcelles à Paris. Ledit contrat ne comporte pas de liste des entreprises concernées. Le responsable du magasin Continent de Saint-Brice a déclaré que les relations avec Sony France avaient débuté au milieu de l'année 1989 et que le service après-vente était assuré par les " plates-formes " de Chambourcy et d'Ormesson. De telles imprécisions ont été observées dans les contrats signés par les sociétés Carrefour et Euromarché.
Par lettre en date du 9 février 1989, la société Sony France a informé la société d'achats en commun numéro un (société anonyme Sacomun) qu'elle accordait à ce groupement d'achat une remise de 5 p. 100 pour service après-vente, et ce, " contre un engagement de contrat de type B ". Dans une circulaire interne datée du 23 juin 1989, le groupement concerné, qui ne possédait pas de service après-vente, invitait ses adhérents à se mettre en conformité avec les conditions de vente Sony. Le 8 juin 1990, les responsables de Sacomun ont déclaré aux enquêteurs : " Actuellement nous n'avons que trois ou quatre adhérents qui, pour les produits Sony, passent par nous car ils ne répondent pas aux exigences du contrat proposé par Sony ". La société Sony France, qui ne conteste pas les faits, a souligné le caractère " exceptionnel " de cette situation et indiqué qu'elle y avait mis fin dès le 1er janvier 1991.
Les entreprises saisissantes ont également dénoncé la pratique de la société Sony France consistant à accorder une remise de démonstration de 5 p. 100 calculée sur la totalité du chiffre d'affaires des distributeurs effectuant de la vente par correspondance à titre accessoire. L'enquête effectuée auprès des magasins Cobra-Son et Magma a montré que ce type de ventes effectuées par voie de presse spécialisée n'excédait pas 5 à 6 p. 100 du chiffre d'affaires des entreprises concernées. En outre, un régime analogue a été proposé, le 2 mars 1990, aux sociétés du groupe Chapelle (cote 505 au dossier). Par télex en date du 8 mars 1990 (cote 626 au dossier), la SA Jean Chapelle a d'ailleurs annoncé à la SA Sony France le lancement de ventes à distance " effectuées à partir de la semaine prochaine, par le biais de publicité presse ". Dans ce télex, le distributeur précisait que ces publicités seraient identiques à celles d'autres revendeurs de matériel Sony, laquelle société lui avait " enfin précisé que ce type de publicité et de vente était possible ".
Pour stimuler ses ventes, la société Sony France procède, de manière régulière, à des opérations promotionnelles qui portent sur une partie de la gamme offerte aux consommateurs.
Le distributeur qui réalise l'objectif quantitatif qu'il s'est fixé en début de période, de manière programmée ou non, perçoit une ristourne, versée en fin de période sous forme d'avoir. Ainsi, au cours du second semestre 1990, une opération promotionnelle d'envergure a concerné l'ensemble de la gamme des téléviseurs, à l'exception de trois modèles. Deux opérations de même nature se sont déroulées au cours du premier semestre 1990, la première (premier trimestre) concernant les téléviseurs, la seconde (deuxième trimestre), les caméscopes. L'enquête a révélé que l'ensemble des distributeurs avaient eu la possibilité de bénéficier de ce type d'opérations et que le pourcentage des ristournes perçues par les sociétés saisissantes pour ce qui concerne l'opération du premier trimestre 1990 était supérieur au niveau moyen de ristournes perçues par l'ensemble des distributeurs.
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL
Considérant que les saisines susvisées se rapportent au même marché et concernent des faits connexes ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision
Sur la procédure:
Considérant que les parties saisissantes, invoquant un entretien en date du 11 décembre 1991 entre le rapporteur et le secrétaire général de la SA Sony France, déclarent dans leurs observations que " la preuve est rapportée que le fond a été abordé et l'enquête administrative commentée avec Sony " et soutiennent que l'absence de procès-verbal au dossier ne permettrait pas la mise en œuvre du principe du contradictoire.
Mais considérant que si l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dispose que " les enquêtes donnent lieu à l'établissement de procès-verbaux et, le cas échéant, de rapports ", l'entretien du 1l décembre 1991, dont le rapport mentionnait qu'il n'avait aucun caractère d'enquête, avait uniquement pour objet de définir un calendrier de communication de différentes pièces nécessaires à l'instruction ; qu'il s'en suit que les parties saisissantes ne sont pas fondées à contester la régularité de la procédure suivie lors de l'instruction.
Considérant par ailleurs que dans leurs observations en réponse à la notification de griefs, déposées au Conseil de la concurrence le 5 juin 1992, les sociétés du groupe Chapelle se réfèrent à une notification de griefs établie dans une autre procédure et relative à la politique commerciale du groupement Gitem ainsi qu'à un extrait des observations déposées par ce groupement en réponse à cette notification de griefs; qu'à l'issue de cette procédure, le conseil a rendu sa décision n° 92-D-38 le 12 juin 1992; qu'aux termes de l'article 24 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les parties concernées ne peuvent divulguer des informations concernant une autre partie ou un tiers et dont elles n'auront eu connaissance qu'à la suite des communications ou consultations auxquelles il aura été procédé; que, la société Sony France n'étant pas partie à l'affaire ayant donné lieu à la décision du conseil n° 92-D-38, les observations concernées doivent donc être écartées du débat contradictoire.
Sur les demandes tendant à la notification de griefs complémentaires :
Considérant que, dans ses observations en réponse à la notification de griefs, le commissaire du Gouvernement avait demandé que des griefs complémentaires soient adressés à certains distributeurs ; que dans ses observations en réponse au rapport, le commissaire du Gouvernement déclare qu'il appartiendra au Conseil d'apprécier si les preuves de la participation des distributeurs à l'entente sont suffisantes ; que les sociétés du groupe Chapelle déclarent que le commissaire du Gouvernement " a raison de mettre en cause " les distributeurs concernés.
Mais considérant que l'enquête n'établit pas que les distributeurs bénéficiaires des dérogations aux conditions de vente, lesquels pouvaient tout ignorer des dérogations consenties à leurs concurrents, aient activement contribué à la mise en œuvre d'une entente anticoncurrentielle.
Considérant que, dans leurs observations en réponse au rapport, les sociétés du groupe Chapelle déclarent qu'un grief aurait dû être notifié à la société Sony France au sujet des conditions de vente accordées au groupement Intermarché.
Considérant que les faits mentionnés dans les observations des sociétés du groupe Chapelle au sujet du groupement Intermarché, qui n'étaient d'ailleurs pas mentionnés dans les actes de saisine, sont postérieurs à la période concernée par l'instruction.
Considérant par ailleurs que les sociétés du groupe Chapelle soutiennent qu'un grief aurait dû être également notifié à la société Sony France et à la société coopérative des adhérents de la MAIF (CAMIF), au motif que cette entreprise, qui pratique la vente par correspondance, ne rend pas les services qualitatifs exigés par la société Sony France.
Mais, considérant que, dans sa décision n° 90-D-42 du 6 novembre 1990 susvisée, le Conseil de la concurrence avait relevé qu'un régime discriminatoire était accordé à la CAMIF qui n'effectuait pas certains services donnant droit à des ristournes qualitatives ; que, dans son arrêt du 5 juillet 1991 susvisé, la cour d'appel de Paris a confirmé l'analyse suivie par le conseil en indiquant que " s'il peut être admis, en raison des services spécifiques fournis, que des barèmes particuliers soient applicables aux entreprises qui, comme la CAMIF, pratiquent la vente par correspondance, encore faut-il (...) que l'attribution de ces avantages repose sur des conditions objectivement définies permettant à toute entreprise qui les réunit d'y accéder, ce qui, après l'année 1987, n'était plus le cas " ; qu'il est constant (pièce jointe en annexe à la saisine F. 306) qu'un contrat de service après-vente applicable à toute entreprise de vente par correspondance a été proposé à la Semavem par la société Sony France, le 17 janvier 1990 ; que, ce faisant, cette entreprise a mis fin au régime discriminatoire réservé jusque-là à la seule société CAMIF.
Considérant en outre que les allégations du groupe Chapelle au sujet de discriminations éventuelles qui seraient opérées par la société Sony France au profit des enseignes Auchan et Boulanger, Excellence, Interdiscount et Mammouth ne sont étayées d'aucun élément suffisamment probant; que, s'agissant de l'activité de grossiste de la Caprofem, filiale du groupe Darty, le conseil de la concurrence sera amené à se prononcer sur la politique commerciale adoptée par " certains fournisseurs et les sociétés Darty et Caprofem" à la suite de la saisine (F. 523) déposée le 8 juillet 1992 par les sociétés Semavem et Jean Chapelle.
Considérant enfin que les sociétés du groupe Chapelle allèguent que les ristournes attribuées, de manière différée, par la société Sony France à l'occasion des opérations promotionnelles qui se sont déroulées au cours du dernier semestre 1989 et du 1er semestre 1990 auraient eu pour objet et pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché.
Mais considérant, d'une part, que le fait que certaines ristournes acquises et chiffrables au moment de la facturation ne soient pas portées sur la facture de vente ne peut être considéré en soi comme une pratique de nature à relever artificiellement le seuil de revente à perte et constitutive d'une entente anticoncurrentielle susceptible d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ; que, d'autre part, il ressort explicitement des termes employés par la société Sony France, dans le télex adressé le 1er août 1989 à la société Semavem, qu'il était loisible aux distributeurs concernés d'intégrer, sous leur responsabilité, les ristournes promotionnelles dans le calcul de leur prix de revient et que le fabricant s'engageait à verser les primes en cas de pénurie des produits susceptible de contrarier la réalisation des objectifs quantitatifs que s'étaient fixés les distributeurs.
Considérant que c'est donc à bon droit que des griefs complémentaires n'ont pas été notifiés.
Au fond :
Considérant que la société Sony France soutient que les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne sauraient s'appliquer aux pratiques discriminatoires, susceptibles d'être seulement visées par l'article 36-l de l'ordonnance ; que, selon cette entreprise, qui ne pratique pas la distribution sélective, il ne saurait donc lui être fait grief d'exclure du marché certaines entreprises ou de leur en limiter l'accès, en se livrant à des discriminations au profit de distributeurs concurrents.
Considérant que les conditions générales de vente et les avantages tarifaires proposés par un fournisseur à des distributeurs, explicitement ou tacitement acceptés par ceux-ci, constituent des conventions au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que les clauses de telles conventions et leur application sont prohibées par ce texte lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ; qu'il en est ainsi, notamment, dans le cas où des dérogations tarifaires aux conditions générales de vente sont consenties par un fournisseur à certains de ses distributeurs sans conditions objectivement définies permettant à toute entreprise qui les remplit d'y accéder, et sans contreparties effectivement mises en œuvre par les bénéficiaires de ces avantages.
Considérant que les saisines des sociétés Concurrence, Jean Chapelle et Semavem portent sur la période de la fin de l'année 1989 au mois de juillet 1990 ; qu'il n'est pas contesté par les parties que les conditions de vente de la société Sony France n'ont pas, hormis l'obligation mise à la charge des signataires du contrat ATC de type " B " d'assurer la mise en service de certains matériels au domicile du client, subi de modifications substantielles au cours de cette période par rapport à celles précédemment examinées par le conseil dans sa décision du 6 novembre 1990 susvisée, qui concernaient la période antérieure au mois de septembre 1989 ;
Considérant que les conditions de vente appliquées en 1990 par la société Sony France aux sociétés signataires du contrat ATC de type " B " prévoyaient l'obligation pour les distributeurs concernés de mettre en service certains matériels au domicile du client ; qu'il est établi par l'instruction que le respect de cette obligation n'a pas été imposé par Sony France aux sociétés Continent, Carrefour, Euromarché, Rik's Electronic et Cora ;
Considérant par ailleurs que la société Sony France a accordé la faculté, à certains adhérents de la centrale d'achat Sacomun, de bénéficier, en 1990, de la remise qualitative de 5 p. 100 pour service après-vente, alors que ni la centrale d'achat ni les distributeurs concernés n'étaient en mesure, contrairement aux stipulations du contrat ATC de type " B " applicable en l'espèce, de rendre ledit service aux consommateurs ;
Considérant que de telles dérogations accordées par la société Sony France à certaines sociétés de la grande distribution, concernées par les clauses figurant dans les conventions de type " B " de service d'assistance aux consommateurs prévoyant l'attribution d'une remise de 5 p. 100 aux revendeurs remplissant les conditions requises, ont pu avoir pour effet de favoriser, sans contrepartie et sans justification, un mode particulier de distribution au détriment de distributeurs concurrents; que les difficultés invoquées par la société Sony France, lorsqu'elle fait état d'un " loupé individuel " ou d'une " erreur compréhensible ", ne sont pas de nature à justifier de telles pratiques qui confèrent un caractère anti-concurrentiel aux conditions de vente de la société Sony France, au sens des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Considérant en revanche que l'absence de précisions, quant aux points de vente concernés, dans les contrats de services après-vente signés par des groupes d'entreprises ne saurait être considérée comme une pratique ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, dès lors qu'il n'a pas été établi par l'enquête que les entreprises en cause n'effectuaient pas les services de réparations qu'elles s'étaient engagées à rendre à leurs clients ; qu'en outre, il n'apparaît pas que la pratique consistant à accorder, aux entreprises disposant de plusieurs points de vente, la faculté d'effectuer le service après-vente dans un seul atelier soit de nature à fausser le jeu de la concurrence sur le marché, dès lors que le consommateur peut s'adresser au magasin de son choix, pour la remise du matériel, et que cette possibilité est offerte à tous les distributeurs ; qu'enfin, la pratique consistant à accorder une remise moyenne calculée en fonction du niveau des services effectivement réalisés par les magasins d'une même entreprise n'affecte pas le jeu de la concurrence sur le marché, dans la mesure où cette faculté est donnée à tous les distributeurs ; que ces deux options ont d'ailleurs été offertes à la société Jean Chapelle lors de l'ouverture du magasin de l'avenue de Wagram à Paris, en septembre 1989 (cote 613 au dossier) ;
Considérant, par ailleurs, que les ristournes qualitatives accordées par la société Sony France aux distributeurs effectuant de la vente par correspondance de manière marginale ne sauraient être regardées comme étant de nature à fausser le jeu de la concurrence sur un marché, dès lors qu'il n'est nullement établi que les distributeurs en cause aient refusé de rendre les services de démonstration et de SAV aux consommateurs désireux d'en bénéficier et que, la possibilité donnée à ces distributeurs de disposer de cet avantage n'a pas été refusée à des distributeurs concurrents ;
Sur la sanction :
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée " le Conseil de la concurrence ... peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos ".
Considérant que la gravité des distorsions de concurrence observées résulte notamment du fait que quatre des entreprises bénéficiaires des dérogations accordées par la société Sony France appartiennent à des grands groupes qui figuraient, au moment des faits, parmi les vingt-cinq premiers clients de la société Sony France, laquelle occupe la première place sur différents segments du marché national de l'électronique grand public ; que, pour l'appréciation du dommage à l'économie, il y a également lieu de retenir que la société Sony France n'a mis fin aux pratiques en cause qu'en janvier 1991, soit un an après l'entrée en application des conventions illicites ;
Considérant enfin que le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Sony France au cours de l'exercice clos le 31 mars 1993 s'est élevé à 4,298 milliards de francs en France ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et d'infliger une sanction pécuniaire de 800 000 F à la société Sony France,
Décide :
Article unique. Il est infligé une sanction pécuniaire de 800 000 F à la société Sony France.