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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 20 janvier 1998, n° ECOC9810008X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Chambre syndicale nationale de la vente et services automatiques, SEMMARIS (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Avocat général :

M. Woirhaye

Conseillers :

Mme Marais, M. Perie

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP d'Auriac-Guizard

Avocats :

Mes Chemama, Lachaud

CA Paris n° ECOC9810008X

20 janvier 1998

Saisi le 5 décembre 1996 par la Chambre syndicale nationale de la vente et services automatiques (NAVSA) de pratiques anticoncurrentielles reprochées à la société d'économie mixte d'aménagement et de gestion du marché d'intérêt national de la région parisienne (Semmaris) dans le secteur de la distribution automatique de boissons, qui limiteraient, notamment par la perception de redevances jugées exorbitantes, l'accès des professionnels sur le marché, le Conseil de la concurrence a, par décision n° 97-D-13 du 26 février 1997, déclaré cette saisine irrecevable estimant que les décisions prises qui entraient dans le cadre de la mission de service public assignée à la Semmaris et constituaient des actes de gestion du domaine public, échappaient à sa compétence et a rejeté, par voie de conséquence, les mesures conservatoires sollicitées.

La NAVSA a formé un recours en annulation et subsidiairement en réformation à l'encontre de cette décision.

A l'appui de son recours, la NAVSA expose :

- que depuis plus de vingt ans ont été fournis aux grossistes concessionnaires de Rungis qui en ont fait la demande des distributeurs automatiques de boissons dont l'emplacement a été déterminé, en accord avec l'entreprise installatrice, par les concessionnaires, dans les espaces concédés, lesdits distributeurs étant destinés soit exclusivement au personnel des concessionnaires, soit aux clients entrant dans leur magasin ;

- que les débitants de boissons et les restaurateurs installés dans l'enceinte du MIN de Rungis réunis en association ont décidé, à la fin de l'année 1995, de faire disparaître les distributeurs automatiques par eux considérés comme concurrençant leurs activités ;

- que la Semmaris, plutôt que d'interdire purement et simplement aux concessionnaires la location de ces automates, a décidé d'imposer aux entreprises installatrices la conclusion d'une convention d'occupation du domaine public, soumettant les fournisseurs de distributeurs automatiques à toutes les obligations d'un concessionnaire de Rungis, et a instauré, par décision du 30 avril 1996 homologuée par arrêté préfectoral du 18 octobre 1996, une redevance dont le montant, forfaitairement fixé à la somme de 4 800 F, excède souvent, selon elle, le bénéfice, voire le chiffre d'affaires, annuel d'un distributeur ;

- que de telles mesures ont eu pour effet d'exclure certains de ses adhérents de l'enceinte du MIN de Rungis ; que si la société Distrimatic a accepté de signer la convention, selon elle discriminatoire, proposée par la Semmaris, la société D8, qui a refusé de le faire, s'est vue traduite devant le conseil de discipline qui a décidé, le 20 juin 1996, de son exclusion.

Elle prétend :

- que les pratiques en cause, dont la preuve résulte des propres écritures de la Semmaris et dont l'objet et les effets anticoncurrentiels sont amplement avérés, constituent une entente et un abus de position dominante au sens des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

- que les décisions prises par la Semmaris procèdent indiscutablement d'une activité de services au sens de l'article 53 de l'ordonnance précitée.

Elle demande en conséquence à la cour de :

- constater que la Semmaris a, en concertation avec les exploitants de restaurants et de débits de boissons du MIN de Rungis, imposé aux entreprises qui mettent des distributeurs automatiques à disposition des opérateurs implantés dans l'enceinte de ce marché, la conclusion de conventions d'occupation et le paiement de redevances forfaitaires ;

- dire et juger que ces pratiques ont pour objet et pour effet d'exclure ces entreprises du marché de fournitures de boissons à ces opérateurs ;

- enjoindre à la Semmaris de mettre fin à ces pratiques.

La Semmaris conclut, en réplique, à la confirmation de la décision déférée en toutes ses dispositions.

Rappelant que toute occupation du domaine public à des fins commerciales doit générer une redevance, elle soutient s'être conformée à une règle à la stricte application de laquelle veille la Cour des comptes : que loin de fausser les règles de la concurrence, elle a, par l'instauration d'une redevance calculée de façon similaire à celle des débitants de boissons et restaurateurs, favorisé le jeu de la concurrence que la saisine du conseil dans les termes des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est sans objet.

Le ministre de l'économie et des finances demande à la cour de confirmer la décision d'irrecevabilité du Conseil de la concurrence et de considérer que les décisions de la Semmaris relatives au paiement d'une redevance par les sociétés de distributeurs automatiques de boissons constituent des actes de gestion du service public qui n'entrent pas dans le champ de compétence du Conseil de la concurrence.

Le ministère public a fait oralement observer à l'audience que les mesures décidées par la Semmaris, s'agissant de l'implantation de distributeurs automatiques dans des locaux déjà concédés aux grossistes, par des entreprises non attributaires d'une parcelle de domaine public qui n'ont pas d'activité relevant de la spécificité du MIN, ne constituent pas des actes de gestion du domaine public mais relèvent d'une activité qui entre dans le champ de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que la redevance pratiquée, injustifiée dans son principe et dissuasive par son montant, s'inscrit manifestement dans un processus pouvant avoir pour effet de restreindre le jeu de la concurrence sur le marché des boissons proposées à la consommation dans l'enceinte du MIN dont la mise à disposition de distributeurs automatiques constitue l'une des modalités et sur lequel la Semmaris est présumée exercer un pouvoir de marché.

Il conclut à la recevabilité de la décision entreprise et au renvoi de l'affaire devant le Conseil de la concurrence aux fins de poursuite de la procédure.

Le Conseil de la concurrence n'entend par formuler d'observations.

Sur quoi, LA COUR :

Considérant que la Semmaris, créée par décret du 27 avril 1965 avec vocation première de construire le marché de Rungis et d'assurer le transfert des grossistes des Halles, s'est vue confier, sous la tutelle et le contrôle économique de l'Etat, la gestion du MIN de Paris-Rungis sur un domaine public qui lui a été concédé ;

Qu'elle se trouve investie des pouvoirs d'administration et des prérogatives de puissance publique que lui confère son règlement intérieur pris conformément aux dispositions du décret n° 68-659 du 10 juillet 1968 portant organisation générale des marchés d'intérêt national et mis en vigueur par application de l'arrêté préfectoral 81-714 du 19 février 1981 ;

Considérant que l'article 36 de ce décret dispose que les concessionnaires du MIN ne peuvent disposer de tout ou partie de leur emplacement au profit de tiers ;

Que l'article 12, alinéa 3, du règlement intérieur dispose quant à lui qu'il est interdit aux attributaires d'emplacements de laisser un tiers, même à titre gratuit, y effectuer des opérations commerciales ;

Que, l'article 8, alinéa 1, dudit règlement précise que toute personne physique ou morale qui désire exercer dans l'enceinte du marché une activité autre que celle des opérateurs doit y être autorisée par le gestionnaire ;

Que toute occupation du domaine public à des fins commerciales doit générer une redevance ;

Considérant qu'ayant recensé, en 1995, la présence dans le périmètre du marché de Rungis d'une cinquantaine de distributeurs de boissons, tous installés sans son autorisation, généralement non déclarés aux douanes, payants et accessibles au public, la Semmaris a, en application des dispositions susdites, soumis les entreprises de distributeurs automatiques, pour ces appareils, à une autorisation d'installation et au paiement d'une redevance dont le montant, arrêté en conseil d'administration le 30 avril 1996, a été fixé par arrêté préfectoral du 18 octobre 1996 à la somme de 4 800 F par an et par appareil ;

Que la NAVSA considère que ces mesures constituent des actes de production, de distribution ou de services au sens de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui relèvent de la compétence du Conseil de la concurrence ;

Mais considérant que, par la nature de leurs activités, les entreprises de distributeurs automatiques de boissons sont des prestataires de services qui, n'entrant pas dans la catégorie des usagers du MIN telle que définie par le décret du 10 juillet 1968, se trouvent, en application des textes précités, soumis à l'exigence d'une autorisation de la Semmaris pour pouvoir exercer leurs activités commerciales à l'intérieur du périmètre du marché réglementé de Rungis, étant observé que les distributeurs concernés, qu'ils soient installés sur le carreau ou à l'intérieur des locaux concédés aux opérateurs du marché, occupent nécessairement une portion du domaine public, qu'ils sont accessibles au public et non réservés à l'usage exclusif du personnel des concessionnaires ;

Que la décision de la Semmaris d'exiger, à cette fin desdites entreprisesla signature d'une convention d'installation et d'exploitation pour les distributeurs concernés tels que ci-dessus définis ainsi que le paiement d'une redevance arrêtée en conseil d'administration et fixée par arrêté préfectoral du 18 octobre 1996 en raison de l'occupation d'une portion du domaine public qu'implique l'installation desdits appareils ne constituent nullement des activités de production, de distribution ou de services, au sens de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, mais des actes de gestion du domaine public et l'exercice de prérogatives de puissance publique qu'elle exerce en vertu des textes précités;

Que les faits dénoncés n'entrant pas dans le champ d'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le recours exercé par la NAVSA à l'encontre de la décision d'irrecevabilité du Conseil de la concurrence déférée doit être rejeté;

Par ces motifs : Rejette le recours formé par la NAVSA à l'encontre de la décision n° 97-D-l3 du 26 février 1997 du Conseil de la concurrence ; Condamne la requérante aux dépens.