Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 23 février 1999, n° ECOC0000034X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Établissement Aéroport de Paris, Air France Compagnie nationale (SA), TAT European Airlines (SA)

Défendeur :

ministre de l'Economie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

M. Canivet, Mmes Thin, Favre

Conseillers :

Mme Bregeon, M. Le Dauphin

Avoués :

Me Olivier, SCP Valdelièvre-Garnier, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Lehman, Salzmann, Lazarus.

CA Paris n° ECOC0000034X

23 février 1999

Saisi par la société TAT European Airlines de pratiques mises en œuvre par Aéroports de Paris (ci-après ADP) et les sociétés du groupe Air France en ce qui concerne l'affectation des aérogares de l'aéroport d'Orly, le Conseil de la concurrence (le Conseil), après s'être saisi d'office de la situation de la concurrence sur le marché des locaux et espaces nécessaires aux activités des compagnies aériennes mis à leur disposition par ADP sur l'aéroport d'Orly a, par décision n° 98-D-34 du 2 juin 1998, estimé d'une part qu'ADP et les sociétés du groupe Air France ont mis en œuvre une entente caractérisée par les études de faisabilité de la réorganisation de l'aéroport d'Orly menées par ADP en concertation avec Air France et ayant amené la décision de réorganisation prise par le directeur général de l'aviation civile le 4 mai 1994 et d'autre part, que le refus opposé par ADP à TAT European Airlines le 17 juin 1994 d'ouvrir une toute nouvelle ligne à partir d'Orly-Ouest ainsi que le traitement discriminatoire réservé à TAT European Airlines pour ce qui concerne le service de la conduite des passerelles à Orly-Sud constituaient des abus de position dominante.

Il a en conséquence infligé les sanctions pécuniaires suivantes :

- 10 millions de francs à l'encontre d'Aéroports de Paris ;

- 10 millions de francs à l'encontre de la société Compagnie nationale Air France.

Aéroports de Paris et la Compagnie nationale Air France ont saisi la cour de recours en annulation et en réformation contre cette décision.

Au soutien de leurs recours, ils font valoir, ensemble ou séparément :

1. Que le Conseil aurait dû se déclarer incompétent ;

Qu'en effet :

- les actes relatifs à l'organisation du service public ou relevant de l'exercice d'une prérogative de puissance publique ne constituent pas une activité de production, de distribution ou de services, au sens de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, à laquelle peuvent s'appliquer les règles de ladite ordonnance ; que tel est le cas en l'espèce, la participation d'ADP, établissement public auquel l'article L. 251-2 du Code de l'aviation civile confère des missions de service public destinées à permettre de satisfaire les impératifs de rationalité et de sécurité inhérents aux transports aériens, à la prise de décision, par l'autorité administrative, de l'organisation des aérogares et de l'affectation des compagnies aériennes entre les aérogares constituant un acte relatif à l'organisation du service public et relevant de prérogatives de puissance publique : qu'au surplus ADP n'étant intervenu que sur instruction de l'autorité de tutelle afin de préparer la décision administrative, son intervention constitue un acte préparatoire qui fait partie de la procédure de décision administrative ;

- les actes critiqués sont par ailleurs relatifs à l'occupation du domaine public régie par les règles de la domanialité publique que seules les juridictions administratives peuvent apprécier ;

- sous prétexte d'examiner les concertations préalables entre Air France et ADP, le Conseil a en réalité porté un jugement sur la décision de la direction générale de l'Aviation civile ;

- le raisonnement du Conseil est affecté d'un " vice rédhibitoire " en ce qu'il a fait " table rase " de la jurisprudence applicable à l'ordonnance pour appliquer la jurisprudence communautaire laquelle est inapplicable ;

2. Que les faits sont prescrits, par application de l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, puisque la décision se fonde sur une lettre du 27 novembre 1992 antérieure de plus de trois ans à la saisine du Conseil ;

3. Que la procédure est irrégulière dans la mesure où :

- le Conseil devait déclarer la saisine irrecevable, TAT en transigeant avec ADP ayant renoncé à l'exercice de sa capacité à agir pour les mêmes faits ;

- le choix délibéré de ne communiquer, dans la phase antérieure à la notification de griefs, que la lettre de transmission de la saisine, et non l'ensemble des documents accompagnant cette saisine, constitue une violation caractérisée des droits de la défense ;

- les manipulations liées à l'auto-saisine décidée pour purger les difficultés tenant à la saisine initiale constituent de graves atteintes aux droits de la défense qui ont vicié irrémédiablement la procédure ;

- le grief retenu dans le rapport est différent de celui ayant fait l'objet de la notification de griefs ;

4. Que l'étude de la faisabilité technique d'une opération dont la décision relève de l'autorité ministérielle est insusceptible de constituer une entente et qu'il n'est démontré ni que l'objet poursuivi était d'affecter les compagnies concurrentes d'Air France dans une aérogare de moindre qualité et capacité, ni que la réorganisation ait eu un effet anticoncurrentiel ; qu'en tout état de cause la réorganisation de l'ensemble des activités des compagnies concernées par les vols au départ d'Orly est une mesure de rationalisation constitutive d'un progrès économique de sorte que l'article 10-2 de l'ordonnance précitée devait recevoir application ;

- que la décision de refuser à TAT l'ouverture à partir de l'aérogare d'Orly-Ouest de nouvelles liaisons constitue également une décision de réorganisation d'Orly prise par le directeur général de l'aviation civile et que le refus momentané opposé à TAT de réaliser la conduite des passerelles, partie intégrante de l'ouvrage public, ne s'inscrivait pas dans un marché dont l'accès était librement ouvert, de sorte que le Conseil a fait une mauvaise application de l'article 8 de l'ordonnance ;

5. Qu'à tout le moins les amendes prononcées méconnaissent le principe de proportionnalité édicté par l'article 13 de l'ordonnance ou apparaissent manifestement excessives.

La société TAT European Airlines, mise en cause d'office et intervenant volontaire, demande à la cour de " confirmer " en toutes ses dispositions la décision attaquée, de rejeter par voie de conséquence les recours formés par l'établissement public Aéroport de Paris et par la Compagnie nationale Air France et de condamner solidairement ces deux entreprises à lui verser la somme de 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle fait observer que le Conseil peut, au soutien de son raisonnement, faire référence à des principes dégagés par la jurisprudence communautaire pour apprécier des comportements au regard de la législation nationale de la concurrence, que les pratiques sanctionnées sont détachables des contrats administratifs et indépendantes des modalités d'organisation du service public, qu'ADP exploite un service industriel et commercial de prestations aéroportuaires. Elle conteste l'existence des prétendues irrégularités de procédure et affirme que les pratiques litigieuses avaient, et ont eu un effet anticoncurrentiel.

Le Conseil de la concurrence, dans ses observations écrites, souligne essentiellement qu'il a sanctionné un comportement détachable de la mission confiée à ADP et des prérogatives y afférentes et n'a pas apprécié la légalité de la décision du directeur de l'aviation civile.

Le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie conclut à titre principal que les décisions de transfert et de réaffectation des locaux et des installations aéroportuaires sont de la compétence de l'autorité de tutelle et sont prises sous la forme de décisions administratives dont le Conseil de la concurrence ne peut connaître.

Au cours de l'instance, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, a, par un déclinatoire du 31 décembre 1998, demandé à la cour de se déclarer incompétente et de renvoyer les parties devant la juridiction administrative. Selon le mémoire déposé à cet effet, il est soutenu que les mesures d'affectation entre les aérogares et d'utilisation de l'ouvrage aéroportuaire prises en application de la décision de la direction générale de l'aviation civile par ADP, établissement public placé sous l'autorité du ministère chargé de l'aviation civile qui assure un service public administratif, relèvent incontestablement de l'organisation du service public administratif, doivent être appréciées par la juridiction administrative et ne sauraient constituer une simple activité de service au sens de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'en outre les actes d'organisation et de répartition des compagnies aériennes sur le domaine public constituent des actes de gestion domaniale qui relèvent également de la seule compétence des juridictions administratives.

Le ministère public a présenté à l'audience des observations orales tendant au rejet du déclinatoire de compétence.

Lors de l'instruction écrite et à l'audience des parties requérantes ont eu la possibilité de répliquer aux observations de TAT, du Conseil et du ministre et de répondre au déclinatoire du préfet de la région d'Ile-de-France.

Sur ce, LA COUR :

Considérant qu'aux termes de l'article 53 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, les règles de ladite ordonnance s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques ;

Que, selon l'article 11 de l'ordonnance précitée, le Conseil examine si les pratiques dont il est saisi entrent dans le champ d'application des articles 7, 8 ou 10-1 ou peuvent se trouver justifiées par application de l'article 10 ; il prononce le cas échéant, des sanctions et des injonctions ;

Considérant, au cas d'espèce, qu'il est constant qu'ADP est un établissement public placé sous l'autorité du ministre chargé de l'aviation civile qui met à la disposition des compagnies aériennes, les terrains ouvrages et installations des aéroports et notamment les locaux, les guichets, et les banques d'enregistrement leur permettant d'assurer les services de transport aérien ; qu'il offre également diverses autres prestations regroupées sous l'appellation générale de "services d'assistance en escale ", comprenant l'administration au sol et la supervision, l'assistance bagages, les opérations en piste, l'assistance passagers ainsi que les opérations de fret et poste ;

Que les services ci-dessus analysés, qu'il s'agisse de ceux relatifs à la fourniture proprement dite d'installations aéroportuaires, ou de ceux rattachés à l'assistance en escale, sont rendus par ADP moyennant une redevance fixée par son conseil d'administration, variant en fonction de la nature et de la consistance de la prestation, payée par les compagnies aériennes, clientes d'ADP, qui pour poursuivre leurs activités utilisent ou occupent les installations, locaux et espaces aménagés ;

Qu'il s'ensuit qu'ADP exerce une activité de services, de nature économique, telle que celles visées par l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, peu important au regard de ce texte, qui fait expressément entrer dans son champ d'application les activités de production de distribution et de services émanant de personnes publiques, que le gestionnaire soit investi de prérogatives de puissance publique ou gère une partie du domaine public;

Et considérant qu'il résulte des éléments de la cause que le Conseil, après avoir qualifié, au regard de l'article 7 de l'ordonnance, des pratiques concertées mises en œuvre par ADP et par Air France sur le marché des locaux et espaces nécessaires aux activités des compagnies aériennes mis à leur disposition par ADP sur l'aéroport d'Orly et d'autre part, au regard de l'article 8, des pratiques discriminatoires émanant d'ADP sans jamais se prononcer sur la validité ou la licéité de décisions administratives, a prononcé des sanctions;

Qu'il s'ensuit que, contrairement à ce qui est soutenu, il a statué sans jamais excéder ses pouvoirs, dans les limites de sa compétence;

Que l'exception d'incompétence soulevée au soutien des recours en annulation doit en conséquence être rejetée ;

Que de même il y a lieu de rejeter le déclinatoire de compétence déposé par le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris ;

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er juin 1828, il y a lieu de surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai imparti au préfet pour élever éventuellement le conflit, et, le cas échéant, jusqu'à décision du tribunal des conflits ;

Considérant enfin que ni l'équité ni la situation économique des parties ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : rejette l'exception d'incompétence soulevée par la société Aéroports de Paris et par la société Air France ; rejette le déclinatoire déposé par le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris ; sursoit à statuer jusqu'à l'expiration du délai imparti au préfet pour élever éventuellement le conflit, et, le cas échéant, jusqu'à décision du tribunal des conflits ; dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; réserve les dépens.