Conseil Conc., 22 mars 1989, n° 89-D-08
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques constatées sur le marché de la levure fraîche de panification
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré en section sur le rapport de M. Jean-Marie Paulot, dans sa séance du 22 mars 1989; où siégeaient: M. Pineau, vice-président, présidant; MM. Azema, Cortesse, Gaillard, Urbain, membres.
Le Conseil de la concurrence,
Vu la lettre enregistrée le 1er juillet 1987 sous le numéro C 61, par laquelle le ministre d'État, ministre de l'Economie, des Finances et de la Privatisation a saisi le Conseil de la concurrence d'un dossier relatif à la situation de la concurrence dans le secteur de la levure de panification; Vu les ordonnances n° 45-1483 et 45-1484 du 30 juin 1945 modifiées, relatives respectivement aux prix et à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application; Vu la décision du président du Conseil de la concurrence n° 88-DSA-03, modifiée, du 14 avril 1988 retirant, en application de l'article 23 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée, diverses pièces du dossier sur la demande des sociétés Girst-Brocades et Lesaffre (...)
I. - CONSTATATIONS
A.- Le marché en cause
De la famille des champignons, la levure est fabriquée à partir de mélasse de betterave à sucre à laquelle sont ajoutés de l'azote, du phosphore et des matières grasses. A la fin du processus de fermentation la pâte de levure est extrudée pour emballage en l'état (levure fraîche) ou pour séchage (levure sèche). Utilisée pour fermenter les sucres de la farine, la levure agit sur le gluten et produit l'aération de la pâte. Dans la fabrication du pain, la levure mise en œuvre représentée 2 à 3 p. 100 des quantités de farine. Bien que présentant des caractéristiques techniques équivalentes, levure fraîche et levure sèche ne sont pas substituables pour des raisons tenant aux techniques et traditions de la boulangerie, au conditionnement et à la stratégie des producteurs. Le marché en cause est donc le marché de la levure fraîche de panification. Ce produit est indispensable à la boulangerie et n'a pas de substitut.
La consommation de levure fraîche de panification s'élève en 1985 à 73 682 605 kg, en progression très lente depuis plusieurs années (+ 4,55 p. 100 par rapport à 1982). Sur la même période, les importations (allemands et italiennes) sont passées de 117 200 kg à 1 109 600 kg (+ 846,75 p. 100) pour ne représenter toutefois que 1,5 p. 100 de la consommation nationale en 1985. Le marché de la levure représente une valeur de 306 millions de francs.
Deux producteurs satisfont, en 1985, 98,5 p. 100 de la consommation nationale. Ces deux groupes, leaders mondiaux, sont le groupe français Lesaffre, qui comprend trois filiales, Fould Springer, SIL-FALA, SIL-Lesaffre, ci-après désignée SIL, et Girst-Brocades S.A. (G.B.) filiale française de la société néerlandaise Girst-Brocades. Lesaffre détient près de 70 p. 100 du marché et Girst-Brocades S.A. 30 p. 100, ces proportions demeurant stables en longue période malgré la légère progression de Girst-Brocades S.A. avant 1983 (rapport d'enquête administrative p. 14, 15, 24 et 25).
Les utilisateurs finals de levure sont les boulangers traditionnels (près de 40 000), les boulangers industriels de la panification fine (biscottiers). Le principal circuit de distribution est le négoce qui vend 80 p. 100 du tonnage produit aux boulangers traditionnels et industriels. En revanche, les industriels de la panification et industriels. en revanche, les industriels de la panification fine traitent de façon générale directement avec les producteurs. La part des boulangeries industrielles dans le tonnage consommé est passée de 3,7 p. 100 en 1976 à 8 p. 100 en 1985. Celles-ci ont acheté des levures importées pour près de 15 p. 100 de leur consommation. c'est sur le seul créneau porteur du marché que les importations ont pris des parts significatives grâce à des prix très inférieurs aux prix offerts par les fabricants français (3,7 F en 1986 pour la levure allemande en région parisienne contre un prix départ-usine aux négociants de 4,15 F pour la levure française).
Le marché se caractérise par un duopole à la production et une part très largement prépondérante du négoce dans la distribution. La chambre syndicale des fabricants réunit chaque mois la société Girst-Brocades et les trois sociétés du groupe Lesaffre. la Fédération nationale des négociants-distributeurs de levure regroupe 60 p. 100 des négociants qui écoulent 56 p. 100 environ du tonnage produit par les fabricants.
B;- Les pratiques relevées
1. Les pratiques des fabricants
a) Le parallélisme des prix départ usine de la levure fraîche vendue aux négociants:
Du 1er juillet 1983 au 17 février 1986 ont eu lieu à des dates identiques quatre hausses des tarifs du prix-départ usine de la levure vendue aux négociants et facturée à la quittance. Le prix toujours identique des sociétés du groupe Lesaffre n'a jamais différé; sur la période considérée, de plus d'un centime par rapport à celui de Gist-Brocades. Ces tarifs ont été appliqués aux négociants. Les fabricants ont fait connaître ces nouveaux tarifs aux négociants à des dates proches les unes des autres. la société SIL-FALA fut toujours la première à annoncer ses prix.
En revanche, les industriels de la panification fine bénéficient d'un prix de base inférieur au tarif appliqué aux négociants. Les informations concernant ce prix de base ont été retirées du dossier en application de la décision DSA-03 susvisée sur la demande de Lesaffre. Cette différence de prix est le résultat de négociations menées par la clientèle industrielle avec chaque fabricant de levure (rapport d'enquête administrative p. 38 et son annexe 53).
La profession a signé en 1983, 1984, 1985 des engagements de lutte contre l'inflation qui déterminaient des taux moyens de hausse, des limites supérieures de modulation de ces hausses et la date de leur application. L'engagement de 1986 était quelque peu différent des précédents puisque "les entreprises pouvaient établir leurs prix de vente hors taxes sous leur propre responsabilité dans le cadre des objectifs de lutte contre l'inflation définis par le gouvernement". Aucun taux moyen de hausse; aucun calendrier n'étaient fixés. Mais il résulte de l'instruction que la proposition faite le 27 décembre 1985 par la chambre syndicale de n'augmenter au maximum le prix moyen de la levure de 2,9 p. 100 avait recueilli "l'agrément" de l'administration le 9 janvier 1986 (annexes 95 et 96 au rapport d'enquête administrative).
Divers échanges d'informations sur la politique de prix ont été constatées au cours de l'instruction.
Ainsi, il ressort du procès-verbal de la réunion de la chambre syndicale du 22 janvier 1986 (pièce XXXX), dont un paragraphe est consacré au "régime des prix" pour 1986 que "M. Derieux (Fould-Springer) considère que cette forme d'engagement ne comportant aucun taux limite de majoration de prix, ni date ni limite d'application, équivaut à une libération des prix individuels de la levure. Les fabricants auraient la possibilité, à son avis, d'appliquer des hausses supérieures aux objectifs, sous réserve de pouvoir en justifier". De fait, les prix des deux groupes augmentaient le 17 février 1986 d'un pourcentage qui excédait notablement 2,9 p. 100 alors qu'antérieurement les hausses avoisinaient la moyenne fixée dans l'engagement. Dans le même procès-verbal, il est noté (pièce XXXX, p. 2), sous le paragraphe Importations: "Les fabricants estiment qu'ils peuvent, de ce fait, être amenés à élargir l'éventail de leurs prix selon la destination de la levure (négoce ou gros utilisateurs), ce qui est un abandon de l'usage des prix départ usine sensiblement identiques."
Il ressort enfin des notes du représentant de la société SIL en date du 17 octobre 1985 (pièce XIV), intitulées "CSFL, séance plénière du 16 octobre 1985", et qui apparaissent comme le compte rendu de la réunion de la chambre syndicale du 16 octobre 1985 (pièce XIII) à laquelle il participait, que les fabricants, tout en adoptant des mesures ponctuelles de lutte contre la pénétration des importations, "décidèrent de rester fermes sur les prix".
b) Les réactions des fabricants au développement des importations allemandes et italiennes:
Les levures importées présentent des caractéristiques tout à fait équivalentes à celles fabriquées par les producteurs français. Elles étaient vendues à un prix inférieur de près de 10 p. 100 au prix départ-usine des fabricants. les procès-verbaux des réunions de la chambre syndical, au cours desquelles une évolution chiffrée des importations est présentée aux fabricants, comportent plusieurs mentions de l'intérêt que les fabricants portent à la "surveillance active" du développement des importations (pièces IX, X et X modifiée, XI, XII, XIII, XXXX).
Réactions des fabricants à la pénétration de la levure italienne (octobre 1984-juin 1985):
Des notes du représentant de SIL-FALA aux réunions de la chambre syndicale, il ressort que des échanges d'informations ont eu lié au cours de ces réunions sur les mesures à prendre face à la pénétration des levures italiennes en Rhône-Alpes (pièce XV).
Pour limiter la pénétration des levures italiennes, dans le Sud-Est (Alpes-Maritimes, Alpes-de-Haute-Provence, Vaucluse, Bouches-du-Rhône, Var), le groupe Lesaffre a accordé pendant un temps limité des livraisons gratuites importantes à ceux des négociants qui se trouvaient directement concurrencés. Gist-Brocades a fait, pour sa part, abandon du coût du transport, ce qui équivaut à une remise de 12 p. à 13 p. 100 du prix dû dans les départements des Alpes-Maritimes et du Var. les périodes de temps pendant lesquelles les mesures prises par les deux sociétés ont eu plein effet sont étroitement corrélées.
La société Chamond, implantée dans l'Isère, à Gières, a commencé à importer de la levure italienne en septembre 1984 pour la distribuer sur la région grenobloise puis sur Chambéry et Annecy. Il est établi que, dans l'Isère, Gist-Brocades a accordé des prix franco à son distributeur exclusif au mois d'octobre 1984 avec effet rétroactif au mois de septembre 1984. A compter de novembre, l'aide prend la forme de livraisons gratuites s'élevant à 10 p. 100 des quantités commandées. Fould-Springer accordait de même des livraisons gratuites identiques à partir d'octobre 1984 avec effet rétroactif à septembre 1984. Le groupe Lesaffre a consenti en Savoie, au seul négociant Arnaud, à compter d'octobre 1984, des livraisons gratuites. Débutant en même temps, les livraisons gratuites des deux sociétés (Gist-Brocades et le groupe Lesaffre) prennent fin au 1er janvier 1986. Au total, alors que les ventes de levure italienne passaient de 0 tonne en janvier 1984 à 57 tonnes en décembre 1984, elles tombaient en 1985 à 100 tonnes en janvier à 27 tonnes en décembre pour se stabiliser à environ 30 tonnes par mois.
Réactions à la pénétration de la levure allemande.
Un groupement de cinq fabricants allemands (R.E.G.) s'efforçait de promouvoir l'implantation de la levure allemande sur le marché français en empruntant soit le réseau des crémeries, soit celui des négociants, soit encore en approvisionnant directement les boulangeries industrielles. Le Syndicat des négociants d'Île-de-France et la société Hüls-France ont passé en septembre 1985 un accord aux termes duquel les négociants s'engageaient à distribuer une quantité limitée de levure allemande.
Dans le procès-verbal de la réunion de la chambre syndicale du 16 octobre 1985 (pièce XIII), sous le paragraphe Concurrence étrangère, il est relevé à propos du développement de la levure allemande en Île-de-France qu'"un large échange de vues a lieu sur les moyens à mettre en œuvre pour remédier à la situation qui pourrait ainsi se développer". Dans les notes du représentant de la société SIL à cette réunion (pièce XIV), il est précisé que "les fabricants décident de rester fermes sur les prix, tout en accordant certaines aides ponctuelles et limitées dans le temps aux négociants fidèles qui seraient concurrencés".
Des livraisons gratuites de levure ont été accordées par les fabricants français de novembre 1985 à février 1986, date à laquelle la société Hüls-France a dénoncé l'accord e commercialisation avec le Syndicat des négociants de l'Île-de-France.
c) L'échange d'informations sur le tarif du port avancé:
Pour acheminer la levure aux négociants, les fabricants utilisent le service de transporteurs indépendants et facturent à leur clientèle un forfait de transport appelé "coût de port avancé", qui déterminé par département, s'ajoute au prix départ-usine. Les pouvoirs publics ayant formé le projet de modifier la tarification routière et la classification de la levure la chambre syndicale recommandait à ses adhérents, ainsi qu'il résulte du procès-verbal de la réunion du 20 novembre 1985, de procéder "à une application simulée à leur propre trafic des nouveaux tarifs à l'étude, en tenant compte des différents paramètres qui se trouvaient modifiés par le projet de tarification réglementaire".
Les fabricants se sont communiqué le 10 décembre 1985 les prix forfaitaires des coûts de port avancé qu'ils pratiquaient dans chaque département (pièce I et II). A la suite de cet échange d'information, les différences de coût de port avancé se sont réduites dans vingt-cinq départements par la suite soit d'une augmentation (quatorze départements), soit une baisse (onze départements) du coût de port avancé de Fould-Springer.
2. Les pratiques des négociants
a) La pratique de prix conseillés:
Les Syndicats de négociants (Laon, Île-de-France, Champagne, Limoges, Nord-Pas-de-Calais; Lyon) communiquaient à leurs adhérents des prix "conseillés", souvent calculés par application d'un coefficient multiplicateur (1,6 le plus souvent) aux prix départ-usine. Ces pratiques qui ressortent de diverses pièces (annexes au rapport d'enquête administrative 46, 55, 57, 62, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 71, 74, 76, 77, 79, 80 et pièces n° XVI, XVII/d, XVIII/m, XIX, XX, XXIII) ont été reconnues, notamment par procès-verbal d'audition. Ainsi le président de la Fédération nationale des Syndicats de négociants de levure a déclaré (annexe 46, au rapport d'enquête administrative): "Les coefficients de 1,64 et 1,53 figurant sur le document n° 5 du procès-verbal de saisie (pièce XVI) sont les coefficients conseillés à titre régional par le Syndicat . Les prix de vente publics de 6,5 F, 6,55 F, 6,3 F, 5,98 F, 6,25 F, 6,55 F m'ont été communiqués au cours d'une réunion du conseil des présidents régionaux. Il s'agit des prix de vente publics conseillés par les différents Syndicats régionaux. en principe, à chaque augmentation du prix d'achat de la levure, les régions redéfinissent des prix conseillés par département". Les prix conseillés figurent dans les procès-verbaux (pièce XIX) des réunions de la chambre syndicale des négociants de la région de Limoges sous forme de "contrôle des prix de vente" (1982), puis de tableaux de la "situation dans chaque département" (1983 à 1985). Il ressort de l'enquête que ces prix conseillés sont dans l'ensemble appliqués par les négociants adhérents.
b) Le boycott des fabricants:
La Fédération nationale des négociants a organisé en novembre 1983 un boycott de Fouls-Springer laquelle souhaitait livrer en direct certains groupements de boulangers (annexe 46 au rapport d'enquête administrative, pièces XXIV et XXV), Fould-Springer décidait, en conséquence, d'engager une "concertation" avec le président national de même qu'avec les "présidents régionaux". Le Syndicat de la région de Limoges menaçait d'un boycott au début de 1985 la société Gist-Brocades, qui livrait en direct la boulangerie industrielle Le Disque bleu, Gist-Brocades y renonçait à la suite des interventions du Syndicat.
c) Les accords entre la société Hüls-France et le Syndicat des négociants d'Île-de-France:
Pour la mise en œuvre de l'accord du 27 septembre 1985 entre le Syndicat des négociants d'Île-de-France et la société HüLs-France, plafonnant l'achat de levure allemande à 10 p. 100 du volume total de levure acheté par les adhérents du Syndicat, le président du Syndicat regroupait toutes les commandes. "En contrepartie", la société s'engageait "à n'entreprendre aucune démarche auprès des distributeurs non affiliés au Syndicat". Cet accord fut dénoncé par Hüls-France en février 1986.
3. Les pratiques communes aux fabricants et négociants
Dans l'Isère, le négociant Chamond s'efforçait de vendre de la levure italienne contre l'avis des autres négociants de la région, menacés dans leurs parts de marché et dans leur prix (pièce n° XXXXIII). Il recourait aux services du transporteur Chenaux qui réalisait 80 p. 100 de son chiffre d'affaires transport levure avec le groupe Lesaffre, et assurait 80 p. 100 du tonnage transporté en Rhône-Alpes. Le 14 janvier 1985, Chamond faisait état d'un refus de transporter de la levure italienne que lui opposait Chenaux. Diverses pièces montrent que SIL-FALA, Arnaud (négociant à Chambéry) et Vivier (président à l'époque du Syndicat des négociants de Rhône-Alpes) ont exercé des pressions sur Chenaux pour qu'il cesse d'assurer le transport de la levure italienne destinée à Chamond. La pièce XXIX rend compte, par ailleurs, de la concertation entre le fabricant SIL-FALA et des négociants appartenant au Syndicat de Rhône-Alpes nommément désignés pour faire échec à la politique commerciale de la société Chamond.
4. Les pratiques communes aux négociants et boulangers
Des négociants perçoivent pour le compte des Syndicats de boulangers une cotisation, dite "Taxe de reconversion", dont le montant varie de 0,12 F à 0,20 F par kilogramme de levure vendue et qui représentent jusqu'à 3,6 p. 100 du prix départ-usine. Mis en place depuis 1955 en Rhône-Alpes, le système de perception de cette cotisation résulte dans les départements concernés (Ain, Ardèche, Drôme, Isère, Loire, Rhône, Savoie et Haute-Savoie) de conventions signées entre les négociants et le Syndicat départemental de la boulangerie et mises au point avec le concours du Groupement lyonnais de distribution de la levure. Cette société, qui regroupait, à raison du tiers du capital pour chacun, les négociants locaux, la chambre syndicale de la boulangerie lyonnais et de la banlieue lyonnaise et les fabricants de levure, a été radiée du registre du commerce et des sociétés de Lyon, le 20 juin 1988 après que les actionnaires eurent décidé la dissolution anticipée de la société.
Le produit de cette cotisation est utilisée par les Syndicats de boulangers pour diminuer le nombre de boulangeries en favorisant la disparition de "fonds marginaux" et l'achat des clientèles ainsi libérées par les boulangers voisins (annexe 105 au rapport).
Il ressort de l'enquête que le refus pour un négociant de prélever cette taxe peut s'accompagner de menaces de boycott (annexe 102 au rapport d'enquête administrative et pièces XXXI, XXXV).
II. A LA LUMIÈRE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Sur les textes applicables
Considérant que, dans le cas où les faits constatés sont antérieurs à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'absence de vide juridique résulte de l'application des règles de fonds contenues dans l'ordonnance du 30 juin 1945 dans la mesure où les qualifications énoncées par celle-ci sont reprises par le nouveau texte; que l'ordonnance du 1er décembre 1986 dispose que les pouvoirs de qualification des pratiques anticoncurrentielles et de décision, antérieurement dévolus au ministre chargé de l'Economie, sont exercés par le Conseil de la concurrence; qu'en vertu des dispositions du dernier alinéa de l'article 59 de cette ordonnance, demeurent valables les actes de constatation et de procédure établis conformément aux dispositions de l'ordonnance du 30 juin 1945; qu'enfin, les pratiques qui étaient visées par les dispositions du premier alinéa de l'article 50 de cette dernière ordonnance sont identiques à celles qui sont prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; que dès lors les Syndicats ne sont pas fondés à soutenir que les griefs retenus n'ont aucune base légale;
Sur la procédure
En ce qui concerne l'étendue de la saisine:
Considérant que la saisine ministérielle enregistrée le 1er juillet 1987 concerne des faits consignés dans un rapport de l'administration daté du 15 avril 1987 fondé sur des documents dont certains ont été saisis par procès-verbaux en date, notamment du 13 mai 1986;
Considérant que, si aucune saisie de pièces n'a eu lieu chez les Syndicats de boulangers concernés par la pratique de la "taxe de reconversion", aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait de les associer aux actes de l'enquête menée par les agents de la direction de la concurrence; que les Syndicats de boulangers ne sont pas fondés à soutenir que les procès-verbaux de saisie de pièces aux mains des fabricants ou des négociants ne leur seraient pas opposables pour avoir été dressés hors de leur présence;
Considérant que la saisine ministérielle avait pour objet "la situation de la concurrence dans le secteur de la levure de panification"; que, si elle ne visait pas expressément la "taxe de reconversion" perçue par les Syndicats de boulangers, le rapport d'enquête qui l'accompagnait et qui n'en est pas détachable comportait l'examen de cette pratique; que le Conseil de la concurrence n'est pas lié par la mention des pratiques figurant dans la lettre de saisine; que, par suite, il n'y avait pas lieu à saisine d'office;
Considérant que le caractère pleinement contradictoire de la procédure définie par l'ordonnance du 1er décembre 1986 a été respecté; que dès lors les Syndicats de boulangers ne sont pas fondés à soutenir qu'ils doivent être mis hors de cause;
En ce qui concerne les décisions relatives au secret des affaires:
Considérant qu'en application des dispositions de l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée, l'ensemble des éléments du dossier peut être consulté par les parties à qui sont notifiés des griefs; que, toutefois, les dispositions de l'article 23 de ladite ordonnance permettent aux parties qui estiment que certains renseignements relèvent du secret des affaires de demander au président du Conseil de la concurrence de refuser qu'ils soient communiqués; que ces documents sont alors retirés du dossier si le président du Conseil de la concurrence estime que leur communication ou leur consultation n'est pas nécessaire à la procédure ou à l'exercice des droits des parties;
Considérant qu'en application de ces dispositions, le président du Conseil de la concurrence a décidé le 14 avril 1988, sur la demande de Gist-Brocades et de Lesaffre de retirer certaines pièces du dossier avant sa consultation; que pendant la période de consultation ouverte à la suite de l'envoi de la notification de griefs, cette décision a été complétée le 1er juillet 1988, sur la demande de Lesaffre, par le retrait dans le rapport d'enquête administrative notamment des niveaux de prix pratiqués par les fabricants à l'emploi des boulangers industrielles et des industriels de la panification fine; que Gist-Brocades, qui consulta le dossier après Lesaffre, et n'a pas eu connaissance de ces éléments, d'une part, conteste les décisions de secret des affaires qui ont été prises et, d'autre part, allègue que Lesaffre ne pouvait présenter une deuxième demande et soutient que le principe d'égalité des parties a été méconnu;
Mais considérant que les décisions relatives au secret des affaires prises par le président du Conseil de la concurrence en application de l'article 23 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée ne peuvent faire l'objet d'un recours qu'avec la décision du conseil sur le fond en application de l'article 19 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987 relatif au recours exercé devant la cour d'appel de Paris; qu'au surplus, les dispositions de l'article 23 susmentionné ne font pas obstacle à ce qu'une demande de secret des affaires soit présentée après la notification de griefs; que la décision complémentaire de retrait des pièces, dont Gist-Brocades ne conteste pas qu'elles relèvent du secret des affaires, ne rompt pas l'égalité des parties puisque aucune d'entre elles ne peut faire état des pièces dont il s'agit; que, par suite, le moyen présenté par Gist-Brocades doit être rejeté;
Sur le pratiques des fabricants
En ce qui concerne le prix départ usine fait aux négociants:
Considérant qu'il appartient à chaque opérateur sur un marché de déterminer ses prix de manière autonome; qu'à cet effet, il est loisible à chaque opérateur de tenir compte du comportement actuel et prévisible de ses concurrents; qu'il est en revanche contraire aux règles de la libre concurrence qu'un opérateur coopère avec ses concurrents de quelque manière que ce soit pour déterminer une ligne d'action coordonnée relative à la hausse des prix;
Considérant que, du 1er juillet 1983 au 1er février 1986, quatre hausses du prix départ-usine de la levure vendue aux négociants ont eu lieu; que Gist-Brocades et le groupe Lesaffre ont augmenté leur prix à des dates identiques; que l'écart des prix départ usine n'a jamais excédé, sur la période considérée, un centime; qu'un parallélisme de prix aussi étroit et à la hausse ne peut être regardé comme une entente au sens de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 susvisée que si les comportements ne peuvent s'expliquer ni par les conditions de fonctionnement du marché auxquelles chaque entreprise est soumise ni par la poursuite de l'intérêt individuel de chacune d'entre elles;
Considérant que pour les années 1983, 1984 et 1985 les hausses pratiqués par ces entreprises correspondantes au maximum autorisé et ont été appliqués dès le premier jour possible compte tenu, d'une part, des dispositions des engagements de lutte contre l'inflation et, d'autre part, du système de facturation à la quinzaine pratiqué par les producteurs;
Considérant que, lors d'un réunion syndicale tenue le 16 octobre 1985 au cours de laquelle les producteurs ont procédé à un échange de vues sur les moyens à mettre en œuvre pour lutter contre les importations, les fabricants ont décidé "de rester fermes sur les prix tout en accordant certaines aides ponctuelles et limitées dans le temps aux négociants fidèles qui seraient concurrencés"; que les pièces du dossier établissent que la stratégie définie lors de cette réunion a effectivement été mise en œuvre par les entreprises du groupe Lesaffre et par Gist-Brocades;
Considérant qu'en 1986, les fabricants ont appliqué simultanément à la première date possible, c'est-à-dire le 17 février 1986, des hausses de prix nettement supérieures à la hausse moyenne qu'ils s'étaient engagés à respecter dans le cadre des objectifs de lutte contre l'inflation définis par le gouvernement en contrepartie du fait qu'ils retrouvaient une plus grande liberté de tarification; que les prix résultant de l'augmentation du 17 février 1986 étaient strictement identiques pour les quatre sociétés en cause;
Considérant, enfin, que les hausses de prix arrêtés par chaque entreprise sur l'ensemble de la période ont été annoncées quelques jours avant leurs dates d'application; que le délai séparant l'annonce d'une hausse de prix de sa date d'application a varié d'une entreprise à l'autre; que pour les années 1983, 1984, 1985, la société SIL-FALA, du groupe Lesaffre, a toujours annoncé ses hausses de prix la première eut annoncé les siennes; qu'en 1986, cependant, Gist-Brocades a annoncé ses hausses de prix la dernière;
Considérant que les entreprises en cause allèguent que la concurrence sur le marché jouerait essentiellement par la qualité du produit et des services rendus et que la demande serait insensible aux prix; qu'ainsi, quelle que soit la politique suivie par ses concurrents, un producteur de levure ne risquerait pas de perdre des parts de marché en accroissant ses prix; qu'au surplus, le marché de la levure serait caractérisé par une grande transparence de telle sorte que chaque entreprise serait immédiatement informée par les négociants des hausses envisagées par ses concurrents; qu'enfin Gist-Brocades, dont la part de marché est inférieure à celle de l'ensemble des entreprises du groupe Lesaffre n'aurait aucune chance de l'emporter dans une bataille sur les prix et ne peut donc que s'aligner sur celle-ci;
Considérant que les entreprises soutiennent que les éléments ci-dessus rappelés expliquent, en dehors de toute entente entre elles, d'une part, que Gist-Brocades, informée par les négociants des hausses envisagées par ses concurrents en raison de la transparence du marché, a choisi de mettre en œuvre entre 1983 et 1986 un politique d'alignement systématique de ses prix sur ceux pratiqués par les entreprises du groupe Lesaffre et, d'autre part, que les sociétés du groupe Lesaffre, dont la politique commerciale serait nécessairement la même, ont spontanément souhaité accroître leurs prix en 1983, 1984 et 1985, dès que le contrôle des prix et leur mode de facturation les y autorisaient, dans une proportion égale au maximum de la hausse autorisée;
Considérant cependant qu'à supposer même que la demande totale de levure des boulangers soit faiblement élastique par rapport au prix, il ne s'ensuit pas qu'un producteur ne puisse développer sa part de marché au stade du négoce en pratiquant des prix inférieurs à ceux de ses concurrents; qu'il résulte d'ailleurs du dossier que les importateurs ont gagné des parts de marché en proposant aux négociants des levures dont les prix étaient inférieurs à ceux des producteurs installés en France; qu'en outre, lors de leur réunion du 16 octobre 1985, en décidant de consentir des avantages tarifaires aux négociants sollicités par les importateurs afin de lutter contre la pénétration des levures étrangères, les producteurs reconnaissaient que ces négociants étaient sensibles aux niveaux des prix qui leur étaient proposés; qu'ainsi, il est établi que, contrairement à ce que soutiennent les entreprises, la concurrence par les prix peut jouer sur ce marché;
Considérant également qu'il ne peut être soutenu que Gist-Brocades n'aurait eu aucune chance de l'emporter dans une bataille de prix et qu'en s'alignant sans délai sur Lesaffre, elle ne faisait qu'appliquer la seule politique rationnelle possible; qu'en effet, aucun élément n'est apporté au soutient de la thèse selon laquelle Gist-Brocades n'aurait pu résister aux réactions provoquées par sa décision de ne pas suivre intégralement les hausses de prix annoncées par SIL et SIL-FALA; que, d'ailleurs, la concertation à laquelle se sont livrées les entreprises en cause en octobre 1985 sur la politique de prix visant à limiter le développement des importations implique que Gist-Brocades pouvait mettre en œuvre une politique de prix indépendante de celle des entreprises du groupe Lesaffre; qu'en l'absence d'une telle possibilité, en effet, les entreprises de ce groupe auraient pu déterminer seules la façon dont elles souhaitaient réagir sans risquer de voir Gist-Brocades suivre une autre politique et sans avoir à s'entendre avec cette dernière; qu'en fin, le développement de la part de marché des importations, en dépit de la stratégie commune mise en œuvre par le groupe Lesaffre et Gist-Brocades, témoigne du fait que les mesures de rétorsion susceptibles d'être mises en œuvre par l'un ou l'autre groupe ne sont pas telles qu'elles interdisent toute forme de concurrence par les prix;
Considérant, par ailleurs, qu'en 1983, 1984, 1985, Gist-Brocades a annoncé ses hausses de prix avant que Fould-Springer, société du groupe Lesaffre d'une taille équivalente à la sienne, n'annonce ses propres hausses; que cette stratégie ne peut donc être considérée comme une stratégie d'alignement d'une entreprise dominée par son concurrent; que Gist-Brocades ne pouvait avoir un intérêt spontané à annoncer ses hausses de prix avant celles de Fouls-Springer que si elle était assurée que cette dernière société annoncerait des hausses équivalentes; qu'à défaut, elle ne serait exposée au risque que Fouls-Springer en annonçant ultérieurement des hausses de prix inférieurs aux siennes ne développât sa part de marché, notamment à son détriment;
Considérant que Gist-Brocades soutient cependant qu'elle connaissait les hausses qui devaient être ultérieurement annoncées par Fould-Springer, en dehors de toute entente, par le simple fait que cette société, appartenant au groupe Lesaffre, en pouvait annoncer des prix différents de ceux des autres sociétés de ce groupe; que Gist-Brocades, lorsqu'elle annonçait ses hausses avant Fould-Springer, ne pouvait cependant, hors le cas d'une entente entre les fabricants de levure, tenir pour acquis que cette dernière société diffuserait nécessairement des prix identiques à ceux antérieurement annoncés par SIL et SIL-FALA; qu'en effet, les trois sociétés du groupe Lesaffre choisissaient d'annoncer leurs hausses de prix à des dates différentes; qu'une telle différenciation dans les dates de hausses et la publication de tarifs séparés n'auraient eu aucun sens si tous les opérateurs sur le marché savaient que les prix des trois sociétés devaient nécessairement être les mêmes; qu'au surplus, et contrairement à ce que soutient Gist-Brocades, il ne pouvait être exclu que Fould-Spirnger ne suive pas les hausses annoncées par les autres sociétés du groupe Lesaffre au motif qu'une tel comportement aurait été sans intérêt pour le groupe Lesaffre; qu'en effet, s'il est exact que Fouls-Springer aurait alors gagné des parts de marché au détriment de SIL et SIL-FALA, il en aurait également gagné au détriment de Gist-Brocades, permettant ainsi au groupe Lesaffre accroître sa part totale du marché;
Considérant qu'il est établi que la concurrence par les prix pouvait jouer entre les entreprises présentes sur le marché ; que Gist-Brocades avait la capacité de mettre en œuvre une politique de prix différentes de celle des sociétés du groupe Lesaffre; que la stratégie d'annonce de prix de Gist-Brocades pendant les années 1983, 1984, et 1985 ne pouvait correspondre à la recherche de son propre intérêt que si elle était assurée que Fould-Brocades ne pouvait, hors le cas d'une entente avec le groupe Lesaffre, avoir une telle assurance; qu'il existe ainsi un faisceau d'indices graves précis et concordants établissant que Gist-Brocades et les sociétés du groupe Lesaffre se sont étendues tacitement, sur la période considérée, pour restreindre la concurrence par les prix entre elles;
Concurrence que l'existence de cette pratique est corroborée par des pièces versées au dossier qui témoignent des échanges d'informations entre les parties en cause sur le politique de prix; qu'il ressort ainsi du procès-verbal de la réunion de la chambre syndicale du 16 octobre 1985 à laquelle ont participé les deux groupes qu'ils ont décidé "de rester fermes sur les prix tout en accordant certaines aides ponctuelles et limitées dans le temps aux négociants fidèles qui seraient concurrencés" par les importations étrangères; qu'il ressort, par ailleurs, du dossier que, lors de la réunion de la chambre syndicale du 22 janvier 1986 les producteurs ont procédé, à un échange d'informations sur leurs politiques de prix vis-à-vis des négociants; que ces concertations et échanges d'informations traduisent le concours de prix cordonné; qu'elles ont à la même époque augmenté simultanément leurs tarifs de près de 4 p. 100 et ont éliminé toute différence entre leurs prix:
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les pratiques d'entente de prix de Gist-Brocades et des sociétés du groupe Lesaffre, qui ont eu pour avoir pour effet de limiter la concurrence entre elles, tombent sous le coup des dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 susvisées; que la circonstance que les prix de la levure étaient contrôlés par administration est sans influence sur la qualification de ces pratiques et n'impliquait nullement que les fabricants déterminent en commun leurs politiques de prix; qu'il n'est ni allégué, ni établi que ces pratiques aient contribué au progrès économique; que dans ces conditions, elles ne peuvent bénéficier des dispositions de l'article 51 de l'ordonnance du 30 juin 1945 susvisée;
En ce qui concerne l'entente relative à l'accès des importations au marché français:
Considérant que plusieurs procès-verbaux de réunions de la chambre syndicale, tenues en 1984 et 1985, ainsi que des notes des représentants des sociétés SIL et SIL-FALA aux réunions de la chambre syndicale établissent que des échanges d'informations ont eu lieu sur le développement des importations de levures italiennes et allemandes;
Considérant que les contacts entre les fabricants ne se limitaient pas l'examen des seules conséquences nées du développement des importations mais portaient également sur "les moyens à mettre en œuvre", notamment en décidant "de rester fermes sur les prix tout en accordant certaines aides ponctuelles et limitées dans le temps aux négociants fidèles qui seraient concurrencées", particulièrement en Île-de-France où le Syndicat des négociants avait entrepris de distribuer des levures allemandes de la société Hüls-France; qu'il résulte de l'instruction que, sur les zones où tentaient de pénétrer les importations, les fabricants de levures ont attribué à certains négociants pendant des périodes quasi identiques des quantités de levures gratuites ou ont renoncé à la perception du coût de port avancé; que les comptes-rendus commerciaux produits par Gist-Brocades à l'appui de ses observations sur le rapport n'infirment pas, contrairement à ce qu'elle soutient, l'existence d'échanges d'informations et les concertations observées entre les fabricants; qu'enfin, la constatation par Lesaffre d'une baisse du prix moyen pondéré de la levure relevée en 1989 "du fait d'une concurrence plus vive" est inopérante, s'agissant de faits ayant eu lieu avant 1986; qu'ainsi il est établi que les fabricants ont, du deuxième semestre 1984 à la fin de l'année 1985, contrevenu aux dispositions de l'ordonnance du 30 juin 1945 susvisée;
Considérant que la société Gist-Brocades soutient qu'en évitant la désorganisation du marché et en défendant le secteur industriel national des tentatives de dumping et d'exportations concertées, les pratiques susvisées peuvent bénéficier des dispositions de l'article 51 (2°) de l'ordonnance du 30 juin 1945; que Gist-Brocades n'établit pas que ces pratiques ont pu contribuer à l'accroissement de la productivité des entreprises; qu'en tout état de cause, il n'est pas établi que les objectifs recherchés, à supposer qu'ils puissent être regardés comme une contribution à un progrès économique, ne pouvaient être atteints en dehors d'une entente entre les entreprises; que, dès lors, ces pratiques ne peuvent être admises au bénéfice des dispositions de l'article 51 (2°) susmentionnées;
En ce qui concerne les pratiques relatives au coût de port avancé:
Considérant qu'un projet des pouvoirs publics visait à modifier la "tarification routière obligatoire" et la classification de la levure; qu'afin d'apprécier les incidences de ces modifications sur le coût de transport de la levure facturé forfaitairement aux négociants par les fabricants et ajouté au prix-usine, la chambre syndicale avait recommandé aux sociétés de procéder "à une application simulée à leur propre trafic des nouveaux tarifs à l'étude";
Considérant qu'il est établi qu'un échange d'informations, non contesté par les fabricants, sur les tarifs de port avancé pratiqués par chacun d'eux dans l'ensemble des départements a eu lieu; qu'il en est résulté un resserrement de l'écart entre ces tarifs; qu'il ne ressort nullement du projet des pouvoirs publics ni des recommandations de la chambre syndicale que l'étude de simulation du projet de nouvelle réglementation devait donner lieu à une telle concertation entre les entreprises; qu'une telle pratique, qui a pu avoir pour effet de limiter la concurrence entre les fabricants dans certains départements, tombe sous le coup de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 susvisée;
Sur les pratiques des négociants;
En ce qui concerne les prix conseillés par les Syndicats de négociants;
Considérant qu'il est établi que les Syndicats de la région de Laon, d'Île-de-France, de Champagne, de la région de Limoges, du Nord-Pas-de-Calais, et de Rhône-Alpes conseillaient à leurs adhérents des prix départ-usine, augmenté s'il y a lieu du coût de port avancé; que ces prix conseillés ou ses coefficients ont été élaborés au cours de réunions syndicales comme il ressort des pièces du dossier; que, si ces prix "conseillés" revêtaient selon les parties un caractère prétendument "indicatif", il est établi qu'ils ont été largement suivis par les adhérents de ces Syndicats;
Considérant qu'une telle pratique tombe sous le coup de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 susvisée en ce qu'elle peut avoir pour effet de limiter de l'exercice de la concurrence entre négociants;
En ce qui concerne les pratiques de boycott:
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la Fédération nationale des Syndicats des négociants-distributeurs de la société Fould-Springer qui souhaitait livrer une boulangerie industrielle sans passer par les négociants de la région; qu'il est établi que le Syndicat des négociants de le région de Limoges a, par le moyen de pressions, fait renoncer la société Gist-Brocades à livrer directement la boulangerie "le disque bleu";
Considérant que ces pratiques de la Fédération nationale des négociants et du Syndicat de la région de Limoges constituent des actions concertées dont l'objet est de limiter le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises; qu'elle tombent sous le coup de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 susvisée;
En ce qui concerne l'accord passé entre la société Hüls-France et le Syndicat des négociants de la région d'Île-de-France:
Considérant que la société Hüls-France importatrice de levure allemande avait passé un accord en septembre 1985 avec le Syndicat des négociants de la région d'Île-de-France; qu'aux termes de cet accord les quantités de levure livrées par cette société étaient plafonnées à 10 p. 100 du volume total des achats des adhérents du Syndicat; qu'à cette fin le président du Syndicat était chargé de centraliser les commandes afin de faire respecter les termes de l'accord; qu'en contrepartie Hüls-France s'engageait à n'entreprendre aucune démarche auprès des distributeurs non affiliés au Syndicat;
Considérant que si cet accord a été dénoncé par la société Hüls-France dès le 3 février 1986, ses dispositions ont fait obstacle au libre jeu de la concurrence; qu'ainsi la société Hüls-France et le Syndicat des négociants de la région d'Île-de-France ont contrevenu aux dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 susvisée;
Sur les pratiques communes des fabricants et des négociants
Considérant que la société Chamond, distributrice de levure italienne en région Rhône-Alpes, a vu son action entravée par des pressions faites sur le transporteur Chenaux; qu'il est établi que ces pressions émanaient du fabricant SIL-FALA et de négociants appartenant au Syndicat de la région Rhône-Alpes et du Syndicat lui-même; que ces pratiques, qui ont eu pour objet d'éliminer la concurrence de la levure italienne, tombent sous le coup de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945;
Sur la "taxe" de reconversion
Considérant qu'il ressort de l'instruction que dans certains départements les Syndicats de boulangers prélèvent sur les quantités de levure achetées par leurs adhérents une cotisation, dite "Taxe de reconversion" appelée aussi "Centimes additionnels"; que cette "taxe" est perçue par les négociants dans tous les départements en cause pour être reversée aux Syndicats de boulangers en application d'une convention signée entre le Syndicat de boulangers et les négociants ;
Considérant qu'il est établi que des Syndicats de boulangers ont pu exercer des pressions sur des négociants qui refusaient de percevoir cette taxe pour le compte du Syndicat;
Considérant que l'usage qui a été fait de cette taxe peut avoir pour objet et pour effet de limiter la concurrence dans les zones reconverties; qu'en effet lorsqu'un boulanger cesse son exploitation de boulangerie, le Syndicat des boulangers peut intervenir auprès des propriétaires des murs pour obtenir la cessation de l'activité de boulangerie et auprès des boulangers intéressés pou obtenir la participation au rachat de la clientèle; que cette pratique peut avoir pour effet de limiter l'accès à la profession;
Considérant que cette pratique tombe sous le coup des dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 susvisée;
Considérant qu'aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoit cette "taxe", malgré les demandes renouvelées des Syndicats de boulangers; qu'ainsi les parties ne peuvent demander le bénéfice des dispositions de l'article 51 (1°) de l'ordonnance du 30 juin 1945 susvisée;
Considérant, enfin, que les Syndicats concernés demandent le bénéfice des dispositions de l'article 51 (2°) de l'ordonnance susvisée en arguant de ce que cette pratique permettrait d'améliorer la rentabilité des boulangerie rurales par fermeture ou transfert de point de vente non rentables, sans que pour autant le consommateur en subisse un quelconque préjudice; qu'au soutien de cet argument les Syndicats des huit départements concernés dont état de huit reconversions à caractère social et de quatre autres à caractère économique pour une période de trois ans;
Considérant que les dispositions du 2° de l'article 51 de l'ordonnance du 30 juin 1945 peuvent être appliquées à des pratiques prohibées par son article 50, dès lors que le progrès économique allégué est la conséquence de ces pratiques et qu'un tel progrès n'aurait pu être obtenu en l'absence de ces pratiques; qu'en admettant même qu'il ait pu résulter de cette pratique un progrès économique dans les quelques cas pour lesquels il est allégué il n'est nullement établi que les modalités de perception de la taxe de reconversion et les pressions exercées sur des négociants étaient le seul moyen d'atteindre les objectifs poursuivis; qu'ainsi il n'y a pas lieu de faire application des dispositions du 2° de l'article 51 de l'ordonnance susvisée;
Décide:
Art. 1er. - Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes;
3 500 000 F solidairement aux sociétés Fould-Springer, SIL et SIL-FALA du groupe Lesaffre;
1 500 000 F à la société Gist-Brocades S.A.;
10 000 F à la société Hüls-France;
150 000 F à la Fédération nationale des Syndicats des négociants -distributeurs de levure;
30 000 F au Syndicat des négociants de la région d'Île-de-France;
20 000 F à chacun des Syndicats régionaux de négociants de la région Rhône-Alpes et du Nord-Pas-de-Calais;
15 000 F au Syndicat des négociants de la région de Limoges;
5 000 F à chacun des Syndicats de négociants de Laon et de Champagne.
Art. 2. - Il est enjoint respectivement;
- aux Syndicats de négociants visés à l'article 1er de cesser de recommander des prix conseillés de la levure directement ou indirectement à leurs adhérents;
- aux Syndicats départementaux des boulangers de l'Ain, de l'Ardèche, de la Drôme, de l'Isère, de la Loire, du Rhône, de la Savoie et de la Haute-Savoie de mettre fin dans un délai de six mois au système dit de la "taxe de reconversion".
Art. 3. - Le texte intégral de la présente décision sera publié dans:
La Tribune de l'Expansion et Les Échos, aux frais de Gist-Brocades S.A. et des sociétés du groupe Lesaffre à proportion des sanctions pécuniaires qui leur sont infligées;
Les Nouvelles de la Boulangerie, aux frais de la Fédération nationale des négociants-distributeurs de levure.
La justification de cette publication sera adressée au Conseil dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision.