Conseil Conc., 22 avril 1997, n° 97-D-26
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre dans le secteur du portage de médicaments à domicile
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport de M. Gilles Artaud, par M. Barbeau, président, , MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents.
Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 5 mai 1995, par laquelle le ministre délégué aux finances et au commerce extérieur a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur du portage de médicaments à domicile ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu le Code de la santé publique ; Vu la lettre du président du Conseil de la concurrence en date du 15 janvier 1997 notifiant aux parties et au Commissaire du gouvernement sa décision de porter l'affaire devant la Commission permanente, en application de l'article 22 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; Vu les observations présentées par le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon, par la chambre syndicale des pharmaciens de l'Hérault, par le syndicat général des pharmaciens des Bouches-du-Rhône, par la pharmacie du Griffe, par la pharmacie Terisse-Magnabal et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants du Conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon, du syndicat départemental des pharmaciens de l'Hérault, de la pharmacie du Griffe et de la pharmacie Terrisse-Magnabal entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :
I- CONSTATATIONS
A- Le secteur concerné
1. La distribution des médicaments
L'article L. 512 du Code de la santé publique réserve aux pharmaciens le monopole de la vente au détail des médicaments destinés à l'usage de la médecine humaine tels que définis par l'article L. 511 de ce Code et d'un certain nombre de produits non médicamenteux : objets de pansements et articles présentés comme conformes à la pharmacopée, insecticides et acaricides destinés à être appliqués sur l'homme, produits destinés à l'entretien ou à l'application de lentilles oculaires de contact, produits destinés au diagnostic médical ou à celui de la grossesse, plantes médicinales inscrites à la pharmacopée sous réserve de dérogations, huiles essentielles, aliments lactés diététiques pour nourrissons et aliments de régime destinés aux enfants du premier âge (moins de quatre mois) dont les caractéristiques sont fixées par arrêté.
Le monopole prévu à l'article L. 512 comporte quelques dérogations, notamment au profit des médecins propharmaciens (article L. 594), des droguistes d'Alsace-Lorraine (article L. 660), des "non-pharmaciens" d'Outre-mer (article L. 662), ou encore au profit des opticiens lunetiers pour la vente des produits destinés à l'entretien des lentilles oculaires de contact (article L. 512-1) et des herboristes diplômés à la date de la publication de la loi du 11 septembre 1941, pour les plantes visées aux alinéas 2 et 3 de l'article L. 659 du Code de la santé publique.
2. Les officines
Les pharmaciens d'officine, détenteurs du monopole de distribution défini à l'article L. 512 du Code de la santé publique, sont chacun propriétaires de leur fonds de commerce et titulaires d'un diplôme de pharmacien. Leur activité est soumise à un numerus clausus. L'implantation des officines pharmaceutiques est régie par les articles L. 570 et L. 571 du Code de la santé publique, qui visent à garantir une répartition harmonieuse des officines sur le territoire national.
3. L'organisation professionnelle de la pharmacie d'officine et les règles de la déontologie pharmaceutique
La profession pharmaceutique est dotée d'un ordre professionnel régi par les articles L. 520 à L. 548 du Code de la santé publique. L'Ordre national des pharmaciens a pour objet d'assurer le respect des devoirs professionnels et la défense de l'honneur et de l'indépendance de la profession. Dans chaque région sanitaire, un conseil régional des pharmaciens exerce, à l'égard de ceux-ci, la police des inscriptions au tableau de l'ordre et le respect des règles professionnelles propres à la pharmacie d'officine.
Le Code de déontologie pharmaceutique élaboré sur proposition du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens résulte du décret n° 95-284 du 14 mars 1995 qui a remplacé le décret n° 53-591 du 25 juin 1953. Ces dispositions sont codifiées aux articles R. 5015-1 à R. 5015-77 du Code de la santé publique. Les infractions aux dispositions du Code de déontologie des pharmaciens relèvent de la juridiction disciplinaire de l'ordre, sans préjudice, pour certaines d'entre elles, des poursuites pénales qu'elles sont susceptibles d'entraîner, mais qui s'exercent distinctement. Les chambres de discipline des conseils régionaux et des conseils centraux de l'Ordre prononcent des peines disciplinaires en première instance. Le Conseil national constitué en chambre de discipline est la juridiction d'appel des conseils centraux et des conseils régionaux. Le Conseil d'État est juge de cassation du contentieux disciplinaire.
Les deux principales organisations de pharmaciens sont la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France et l'Union nationale des pharmaciens de France. La première regroupe 80 % environ des pharmaciens d'officine français au sein des syndicats locaux dans chacun des départements métropolitains. La seconde regroupe 7 % des officines par le biais des syndicats régionaux.
4. Les marchés en cause : le portage de médicaments à domicile
Dans la plupart des cas, l'activité de portage de médicaments à domicile assuré par des professionnels à titre onéreux est exercée en complément d'une activité principale, notamment par des ambulanciers ou des infirmiers.
Seuls La Poste et le réseau de franchise Vital'Portage, qui comptait fin 1994, 268 adhérents, couvrent une grande partie du territoire français. Les autres intervenants sont des associations et des entreprises de très petite taille dont l'activité porte sur les communes proches de leur implantation. La présence de La Poste sur ce marché est récente puisque ce n'est qu'au deuxième semestre 1994 qu'elle a expérimenté, en liaison avec l'association de pharmacie rurale, la distribution de médicaments à domicile par les facteurs dans certaines zones rurales pilotes.
Le portage de médicaments à domicile repose aujourd'hui encore largement sur la solidarité puisqu'il est essentiellement assuré à titre gratuit par des proches du malade. Le portage à titre onéreux se développe toutefois progressivement sur l'ensemble du territoire en raison de l'augmentation du taux de travail féminin, de l'augmentation du revenu disponible des ménages, de la désertification rurale, de l'accroissement du poids des personnes âgées dans l'ensemble de la population. La plus grande partie de la demande actuelle de ce service émane de personnes âgées, handicapées ou à mobilité réduite.
Hormis le service proposé par La Poste, dont le coût est supporté par les pharmaciens, les services de portage de médicaments à domicile sont rémunérés par le client. Les prix, qui comportent une part forfaitaire, varient en fonction de la distance parcourue et s'échelonnent, selon les entreprises, entre 40 et 150 F.
Le marché du portage de médicaments à domicile est géographiquement très segmenté en raison de l'importance des coûts de transport dans le coût total du service.
B- Les pratiques relevées
1. Les courriers et informations diffusés par certaines instances ordinales et syndicales
1) Dans la région Languedoc-Roussillon
Le 15 juillet 1993, M. Giret, président du conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon, a adressé à M. Toper, gérant des ambulances Salagou, en réponse à un article paru dans le journal Midi Libre et présentant la prestation Vital'Portage, un courrier dans lequel il juge cette prestation illégale :
"Vous auriez également rendu visite à certains pharmaciens de ce secteur pour les en informer et prétendu à ceux qui s'en étonnaient, étant donné l'illégalité de cette activité, que vous aviez l'assentiment des organismes professionnels concernés.
Le conseil régional de l'Ordre ayant déjà été amené à se pencher sur le cas Vital'Portage qui a déjà prospecté d'autres secteurs d'implantation dans la région, je peux vous dire qu'il ne saurait confirmer cette information pour la raison suffisante que cette activité serait en désaccord avec le dernier alinéa de l'article L. 589 du Code de la santé publique (...) et mettrait donc tout pharmacien qui accepterait de rentrer dans ce système, en danger de se voir poursuivi et sanctionné".
En février 1994, un article sur les sociétés de portage a été publié dans la lettre confraternelle du conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon. Cet article tente de dissuader les pharmaciens de la région de traiter avec les sociétés de portage :
" De plus en plus de confrères de notre région sont sollicités par des sociétés de portage, le plus souvent gérées par des ambulanciers.
Nous rappelons que l'article 22 de la loi du 1er janvier 1994 qui reprend pour partie l'article L. 589 du Code la santé publique, précise bien : "il est interdit aux pharmaciens de recevoir des commandes de médicaments par l'entremise habituelle de courtiers et de se livrer au trafic et à la distribution à domicile de médicaments, produits ou objets précités, dont la commande leur serait ainsi parvenue. Par conséquent, il est bien évident que tout pharmacien qui pourrait utiliser à son profit, une relation régulièrement suivie avec de telles sociétés de portage, établissant ainsi un système de compérage, pourrait être poursuivi en chambre de discipline et sévèrement sanctionné".
2) Dans la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur
Suite à la parution d'un article dans Le Provençal du 17 décembre 1993 concernant l'activité des ambulances Saint-Luc dans le portage de médicaments à domicile, le syndicat des pharmaciens des Bouches-du-Rhône s'est adressé à ce quotidien qui a fait paraître un article intitulé "Le portage de médicaments hors la loi ?" et où le journaliste écrit "A cela, le syndicat général des pharmaciens des Bouches-du-Rhône vient de réagir assez violemment en s'appuyant sur l'article L. 589 modifié du Code de la santé publique paru au Journal Officiel le 19 janvier 1994. Que dit cet article ? Il précise "que la dispensation des médicaments au domicile des malades est autorisée pour le pharmacien ou toute personne habilitée à l'assister, le seconder ou le remplacer". Donc, indique M. Thierry Gage, président du syndicat des pharmaciens "toute entreprise se livrant à du portage de médicament ne bénéficiant pas des références précitées se trouve en désaccord total avec le nouveau texte de loi".
Par ailleurs, dans une première lettre datée du 10 janvier 1994, M. Gage a écrit à Mme Harotte, gérante des ambulances Saint-Luc : "En conséquence, je me vois dans l'obligation d'attirer votre attention sur l'activité illégale que vous êtes aujourd'hui amenée à effectuer". Dans une seconde lettre datée du 4 février 1994, M. Gage somme Mme Harotte de cesser son activité de portage de médicaments : "Je tiens à attirer votre attention sur le courrier que je vous ai adressé le 10 janvier 1994 pour lequel je n'ai reçu aucune réponse, et suite aux publications faites dans la presse quant à votre activité, je réitère que le Code de la santé publique et plus particulièrement l'article L. 589 modifié depuis mon dernier courrier et paru au JO du 19 janvier 1994, je me verrai contraint, sans réponse de votre part d'entamer les procédures liées à votre activité".
2. Les refus opposés par des pharmaciens à des franchisés Vital'Portage dans la région Languedoc-Roussillon
A la fin de l'année 1993, la pharmacie du Griffe à Clermont-L'Hérault a refusé de délivrer aux ambulances du Salagou les médicaments demandés par cette société pour le compte de son mandant. Le gérant de cette société d'ambulances, M. Toper a déclaré le 2 mars 1994 : "En ce qui me concerne, j'ai essuyé plusieurs refus de la part des pharmaciens Azemar-Bouterin/Barral (...) à Clermont-l'Hérault. [...] Ces refus sont intervenus dès le début de mon activité".
Au mois d'août 1993, la pharmacie Terrisse à Marseillan a refusé d'honorer l'ordonnance présentée par les ambulances Brandelet. M. Brandelet a déclaré le 9 mars 1994 : "Dans le courant du mois d'août 1993, je me suis présenté à la pharmacie Terrisse à Marseillan pour faire exécuter une ordonnance pour le compte d'un tiers malade. L'ordonnance en question était placée dans les enveloppes prévues par Vital'Portage dans son concept de franchise. J'étais également en possession du mandat de mon client m'autorisant à aller chercher les médicaments à sa place. Le pharmacien en question a refusé de me servir dans ces conditions car le syndicat des pharmaciens lui aurait conseillé de ne pas honorer ma demande de portage pour le compte d'un tiers".
II- SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,
Sur la compétence du conseil :
Considérant que le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon soutient que l'avis donné dans sa lettre confraternelle de février 1994 sur la légalité de l'activité de portage de médicaments à domicile "a été rendu dans le seul souci de protection de la santé publique" parce que, selon lui, le portage de médicament serait contraire au bon déroulement de l'acte pharmaceutique ; que par là même il n'aurait fait qu'exercer la mission de service public qui a été confiée à l'Ordre par le législateur ; que, dès lors, les pratiques qui lui sont reprochées ne seraient qu'un "acte de puissance publique sur lequel le Conseil de la concurrence n'a aucun pouvoir de contrôle" ;
Mais considérant que l'Ordre national des pharmaciens, et par conséquent le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon, a pour mission d'assurer le respect des devoirs professionnels et la défense de l'honneur et de l'indépendance de la profession ; qu'ainsi il est "le défenseur de la légalité et de la moralité professionnelle (...)" et peut proposer toutes mesures intéressant la moralité et la déontologie professionnelles, qu'il est qualifié pour représenter la profession pharmaceutique auprès des autorités publiques et des organismes d'assistance, qu'il peut donner son avis aux pouvoirs publics sur les questions relevant de sa compétence et participe à l'élaboration du Code de déontologie ; que toutefois, en adressant un courrier à une société de portage de médicaments à domicile dans lequel il indique, à partir de sa propre interprétation du Code de la santé publique, que cette activité serait illégale, et en diffusant aux syndicats et pharmaciens d'officine une lettre confraternelle sur ce sujet, il intervient dans une activité de services, au sens de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, rendus à des patients par des ambulanciers ; que dès lors le Conseil de la concurrence est compétent pour connaître de ces pratiques ;
Sur la procédure :
Considérant que la chambre syndicale des pharmaciens de l'Hérault soutient que "les procès-verbaux des déclarations recueillies au cours de l'enquête ne précisent en rien le cadre de l'enquête diligentée, ni en application de quel texte elle intervient" et qu'ils devraient donc être rejetés, le "devoir de loyauté auquel l'administration est tenue dans ses investigations" n'ayant pas été respecté ;
Mais considérant que les procès-verbaux de déclaration et de communication de documents de MM. Ricard, Englumen et Renard, Mme Harotte et MM. Millet, Gagé et Giret, respectivement signés les 14 et 24 et 8, 13, 15, 16 et 20 décembre 1994, visent explicitement l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 et comportent la mention faisant foi jusqu'à preuve contraire qu'il a été indiqué à la personne entendue "l'objet de [l'] enquête réalisée avec les pouvoirs de l'article 47" de cette ordonnance ;
Considérant qu'au contraire les procès-verbaux de déclaration et de communication de documents de M. Toper (2 mars 1994), Mme Azemar (2 mars 1994), M. Baniol (7 mars 1994), Mme Terrisse (9 mars 1994), M. Brandelet (9 mars 1994) et M. Blaise (10 mars 1994) ne visent pas l'ordonnance du 1er décembre 1986, ne mentionnent pas l'objet de l'enquête et ne comportent pas l'indication que celui-ci a été porté à la connaissance des personnes entendues ; que dès lors il convient de rechercher dans d'autres énonciations des procès-verbaux ou dans des éléments extrinsèques à ceux-ci si les agents verbalisateurs n'ont pas laissé les personnes auditionnées dans l'ignorance de l'objet du contrôle ou ne les ont pas trompées sur son contenu ;
Considérant que M. Brandelet (ambulances Brandelet) et M. Toper (ambulances du Salagou), franchisés Vital'Portage de la région Languedoc-Roussillon, sont à l'origine de la plainte déposée par Vital'Portage auprès de l'administration ; qu'en conséquence, ils ne pouvaient ni ignorer le cadre juridique et l'objet du contrôle des agents verbalisateurs ni être trompés sur le contenu de ce dernier ; que les procès-verbaux de leurs déclarations et communications de documents, en date des 2 et 9 mars 1994, ont donc été établis de façon régulière ;
Mais considérant que si les procès-verbaux signés par Mme Azemar, M. Baniol, Mme Terrisse et M. Blaise respectivement les 2, 7, 9 et 10 mars 1994 comportent des mentions montrant qu'ils avaient connaissance de ce que l'enquête concernait le secteur du portage de médicaments à domicile, il ne peut être inféré du contenu de ces actes ni d'aucun autre élément du dossier que les personnes entendues étaient informées de ce que cette enquête concernait d'éventuelles pratiques prohibées par l'ordonnance du 1er décembre 1986 auxquelles ils étaient susceptibles d'avoir participé ; que dès lors ces quatre procès-verbaux et les documents qui y sont joints doivent être écartés ;
Sur les pratiques constatées :
En ce qui concerne les courriers et articles diffusés par le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon et les syndicats départementaux des pharmaciens de l'Hérault et des Bouches-du-Rhône :
Considérant en premier lieu que les documents et déclarations sur la base desquels un grief avait été notifié au syndicat départemental des pharmaciens de l'Hérault ont été recueillis par des procès-verbaux établis de façon irrégulière et qui doivent donc être écartés ; que les autres documents et déclarations qui figurent au dossier ne permettent pas d'établir que ce syndicat professionnel se serait livré à des pratiques anticoncurrentielles prohibées ;
Considérant en deuxième lieu que le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon a adressé un courrier à une entreprise de portage de médicaments à domicile dans lequel il indique que cette activité est contraire à l'article L. 589 du Code de la santé publique et qu'elle mettrait tout pharmacien qui accepterait de rentrer dans ce système en danger de se voir poursuivi et sanctionné; qu'il a écrit dans sa lettre confraternelle - lettre recevant une large diffusion auprès des syndicats départementaux et des pharmaciens d'officine - que tout pharmacien ayant une relation suivie avec des sociétés de portage pourrait être poursuivi en chambre de discipline et sévèrement sanctionné; que, ce faisant, le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon adressait une mise en garde qui doit être regardée comme une consigne de boycott des entreprises de portage de médicaments à domicile par les pharmaciens d'officine de cette région;
Considérant en troisième lieu que le syndicat général des pharmaciens des Bouches-du-Rhône a adressé deux mises en garde à une société de portage; que la première de ces lettres, du 10 janvier 1994, affirmait que l'activité des sociétés de portage de médicaments était devenue illégale, alors même que le texte auquel elle se référait, modifiant l'article L. 589 du Code de la santé publique et adopté le 18 décembre 1993 par la commission mixte paritaire, n'interdisait, comme auparavant, le portage des médicaments à domicile que par l'intermédiaire de courtiers et se bornait à lever l'interdiction du portage des médicaments, dans certaines conditions, pour les pharmaciens; que la seconde de ces lettres, du 4 février 1994, menaçait la société destinataire "d'entamer les procédures liées à (son) activité" en indiquant que le texte de l'article L. 589 modifié était "paru au JO du 19 janvier 1994"; qu'en envoyant ces deux lettres, le syndicat général des pharmaciens des Bouches-du-Rhône a mis en œuvre une pratique ayant pour objet et pouvant avoir eu pour effet d'éliminer une société de portage de médicaments à domicile du marché concerné;
Considérant que le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon et le syndicat des pharmaciens des Bouches-du-Rhône soutiennent que la preuve ne serait pas rapportée de ce que les courriers et lettres qu'ils ont diffusés résulterait d'une quelconque action concertée entre eux ou entre eux et les pharmaciens d'officine ;
Mais considérant que le grief d'action concertée a été formulé à l'encontre du conseil régional de l'Ordre et du syndicat de pharmaciens en tant qu'ils sont les organismes au sein desquels s'est réalisée la concertation entre les pharmaciens qu'ils représentent et dont ils sont l'émanation; que les courriers et informations des instances ordinale et syndicale sont l'expression de cette concertation entre pharmaciens d'officine au sein de ces instances;
Considérant que le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon soutient qu'il n'est pas établi que ses consignes aient eu un effet, alors qu'elles n'avaient pas de caractère contraignant et qu'il n'est pas démontré que les pharmaciens d'officine s'y soient conformés et se soient ainsi associés à une quelconque action concertée avec l'instance ordinale ;
Mais considérant que l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibe les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions dès lors qu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence; qu'entre ainsi dans le champ de ces dispositions toute pratique ayant un objet anticoncurrentiel ou pouvant avoir un effet anticoncurrentiel sur un marché; qu'à supposer même que des pharmaciens d'officine ne se soient pas conformés aux consignes des instances ordinale et syndicale, les informations et courriers diffusés par celles-ci, qui étaient destinés aux pharmaciens d'officine et les mettaient en garde contre les services de portage de médicaments à domicile, avaient pour objet et pouvaient avoir pour effet d'empêcher l'accès au marché des entreprises proposant ce type de service; que de telles pratiques sont prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Considérant que le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon soutient que sa lettre confraternelle se contenterait d'attirer l'attention des pharmaciens sur les risques de compérage liés à l'établissement de relations commerciales avec des sociétés de portage de médicaments à domicile ;
Mais considérant que cette lettre confraternelle rappelle les dispositions de l'article L. 589 modifié du Code de la santé publique qui interdisent aux pharmaciens de recevoir des commandes de médicaments par l'entremise habituelle de courtiers, mais ajoute : "par conséquent, il est bien évident que tout pharmacien qui pourrait utiliser à son profit une relation régulièrement suivie avec de telles sociétés de portage, établissant ainsi un système de compérage, pourrait être poursuivi en chambre de discipline et sévèrement sanctionné" ; que cette rédaction, qui n'établit aucune distinction entre les "sociétés de portage" et les "courtiers", et tend à laisser entendre qu'une "relation régulièrement suivie avec une société de portage" constituerait "un système de compérage", vise donc à dissuader les pharmaciens d'officine d'engager des relations quelconques avec les sociétés de portage ; qu'un pharmacien d'officine a indiqué dans ses observations en réponse à la notification de griefs et en séance avoir interprété cette lettre comme une véritable interdiction de contracter avec une société de portage sous peine de sanctions des instances disciplinaires de l'Ordre ;
En ce qui concerne les refus des pharmacies Terrisse et du Griffe de délivrer des médicaments à des entreprises de portage à domicile :
Considérant qu'une partie des documents et déclarations sur la base desquels ces griefs avaient été formulés ont été recueillis par des procès-verbaux établis de façon irrégulière et qui doivent donc être écartés ; que les autres documents et déclarations qui figurent au dossier ne permettent pas d'établir que les pharmacies Terrisse et du Griffe se seraient livrées à des pratiques anticoncurrentielles prohibées ;
Sur l'application du 1 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :
Considérant qu'aux termes de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Ne sont pas soumises aux dispositions des articles 7 et 8 les pratiques : 1. Qui résultent de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application (...)" ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 589 du Code de la santé publique dans sa rédaction antérieure à la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994, relative à la santé publique et à la protection sociale : "Il est interdit aux pharmaciens ou à leurs préposés de solliciter des commandes auprès du public.
Toute commande livrée en dehors de l'officine ne peut être remise qu'en paquet scellé portant le nom et l'adresse du client.
Il est, en outre, interdit aux pharmaciens de recevoir des commandes de médicaments par l'entremise habituelle de courtiers et de se livrer au trafic et à la distribution à domicile des médicaments dont la commande leur serait ainsi parvenue" ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 589 du Code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 : "Il est interdit aux pharmaciens ou à leurs préposés de solliciter des commandes auprès du public.
Il est en outre interdit aux pharmaciens de recevoir des commandes de médicaments et autres produits ou objets mentionnés à l'article L. 512 par l'entremise habituelle de courtiers et de se livrer au trafic et à la distribution à domicile de médicaments, produits ou objets précités, dont la commande leur serait ainsi parvenue.
Toute commande livrée en dehors de l'officine par toute autre personne ne peut être remise qu'en paquet scellé portant le nom et l'adresse du client.
Toutefois, sous réserve du respect des dispositions du premier alinéa de l'article L. 580, les pharmaciens d'officine ainsi que les autres personnes légalement habilitées à les remplacer, assister ou seconder, peuvent dispenser personnellement une commande au domicile des patients dont la situation le requiert.
Les conditions d'application du présent article sont déterminées par décrets pris après avis du Conseil d'État" ;
Considérant que, contrairement à ce que soutiennent le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon et le syndicat des pharmaciens des Bouches-du-Rhône, les entreprises de portage de médicaments à domicile, qui se bornent à proposer à leurs clients un service de messagerie, sans avoir le rôle d'un intermédiaire mettant en relation deux parties en vue de la conclusion d'un contrat, et qui sont rémunérées non en fonction du coût de la marchandise achetée mais sur la base d'un tarif forfaitaire auquel s'ajoute une somme proportionnelle à la distance parcourue, ne sauraient être regardées comme des courtiers au sens de l'article précité ; que, par suite, ces entreprises sont au nombre des personnes visées au troisième alinéa du même article dans sa rédaction issue de la loi du 18 janvier 1994, cité ci-dessus, qui, contrairement à ce qu'affirme le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon, n'interdit pas que ce transport soit habituel, pourvu que la commande soit livrée en paquet scellé portant le nom et l'adresse du client ;
Considérant que le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon fait valoir, en s'appuyant sur un courrier de la DDASS du Haut-Rhin du 22 juin 1988 notifiant à une entreprise que son projet était contraire aux articles L. 589 et L. 590 du Code de la santé publique, que "l'administration de la santé a elle-même pris des positions hostiles aux sociétés de portage" ;
Mais considérant que cette décision de la DDASS du Haut-Rhin, annulée par un jugement du 6 décembre 1990 du Tribunal administratif de Strasbourg au motif que la DDASS n'avait pas compétence pour s'opposer aux activités signalées, ne reflète pas la position de l'administration de la santé ; que c'est ainsi, d'ailleurs, que le directeur régional de la santé de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a déclaré le 15 décembre 1994 : "l'activité de portage de médicaments à domicile n'est pas illégale si elle respecte certains principes qui sont consignés dans un courrier que nous adressons à ceux qui en font la demande" ;
Considérant que si le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon invoque les dispositions du décret n° 87-965 du 30 novembre 1987 relatif à l'agrément des transports sanitaires terrestres auquel se réfère une réponse écrite du 3 octobre 1996 du ministre du travail et des affaires sociales, selon laquelle les véhicules affectés au transport sanitaire ne peuvent être utilisés pour d'autres activités, ce texte n'interdit pas le portage de médicaments à domicile et ne saurait exonérer de leur caractère anticoncurrentiel les pratiques du conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon et du syndicat départemental des pharmaciens des Bouches-du-Rhône ;
Considérant que ces pratiques du conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon et du syndicat départemental des Bouches-du-Rhône qui avaient pour objet et ont pu avoir pour effet d'empêcher l'accès au marché des entreprises de portage de médicaments à domicile, et qui ne résultent pas de l'application d'un texte législatif ou réglementaire, notamment des dispositions du Code de la santé publique, ne peuvent bénéficier des dispositions du 1 de l'article 10 de la même ordonnance ;
Sur les sanctions :
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de dix millions de francs. Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu'il désigne (...) Les frais sont supportés par la personne intéressée" ; qu'en application de l'article 22, alinéa 2, de la même ordonnance, la commission permanente peut prononcer les mesures prévues à l'article 13, les sanctions infligées ne pouvant, toutefois, excéder 500 000 F pour chacun des auteurs des pratiques prohibées ;
Considérant que, pour apprécier le dommage à l'économie, il y a lieu de prendre en compte le fait que les pratiques en cause avaient pour objet et ont pu avoir pour effet d'empêcher des entreprises de développer un nouveau service susceptible de répondre à une demande et, notamment, au besoin de personnes seules à mobilité réduite; qu'en ce qui concerne la gravité des faits, il y a lieu de relever que les instances ordinale et syndicale ont interprété les dispositions du Code de la santé publique dans un sens qui laissait supposer que les pharmaciens qui délivreraient des médicaments à des entreprises de portage de médicaments à domicile ne respecteraient pas la législation et que le conseil régional de l'Ordre du Languedoc-Roussillon a, au travers de sa lettre confraternelle, menacé explicitement les pharmaciens ayant une relation suivie avec des sociétés de portage d'un passage en chambre de discipline et de sanctions sévères ; qu'enfin, cette lettre a connu une large diffusion auprès des syndicats départementaux et des pharmaciens de la région, encourageant ainsi une pratique de boycott par nature anticoncurrentielle ;
Considérant par ailleurs que la lettre confraternelle rédigée et diffusée par le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon était destinée à l'ensemble des syndicats départementaux et pharmaciens de son ressort qui ont ainsi pu croire que cette mise en garde à l'encontre des sociétés de portage de médicaments à domicile revêtait un caractère officiel et s'imposait à eux ; qu'il y a donc lieu d'ordonner la publication de la présente décision dans un journal professionnel ;
En ce qui concerne le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon :
Considérant que le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon est à l'origine de la rédaction et de la diffusion de la lettre confraternelle aux syndicats départementaux et aux pharmaciens de la région dans laquelle il lance un appel au boycott des sociétés de portage de médicaments à domicile ; qu'il a de plus adressé à une société de portage un courrier tentant de la dissuader d'exercer cette activité en faisant état de l'incompatibilité du portage de médicaments à domicile avec les dispositions du Code de la santé publique ;
Considérant que le montant des ressources du conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon s'est élevé en 1996 à 850 000 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 40 000 F ; qu'il y a lieu en outre de lui ordonner la publication, à ses frais, de la présente décision dans le Quotidien du pharmacien ;
En ce qui concerne le syndicat des pharmaciens des Bouches-du-Rhône :
Considérant que le syndicat des pharmaciens des Bouches-du-Rhône a adressé deux courriers de mise en garde à une société de portage de médicaments à domicile, en la menaçant par le deuxième courrier d'engager des procédures visant à mettre fin à cette activité ;
Considérant que le montant des ressources du syndicat des pharmaciens des Bouches-du-Rhône s'est élevé en 1996 à 1 773 744 F dont la somme de 286 726 F a été affectée à des reversements à différentes fédérations ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 60 000 F,
Décide :
Article 1er : Il est établi que le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon et le syndicat général des pharmaciens des Bouches-du-Rhône ont enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Article 2 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
40 000 F au conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon,
60 000 F au syndicat des pharmaciens des Bouches-du-Rhône.
Article 3 : Dans le délai de deux mois à compter de sa notification, le texte intégral de la présente décision sera publié dans le Quotidien du pharmacien, à ses frais, par le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon. Cette publication sera précédée de la mention "Décision du Conseil de la concurrence du 22 avril 1997 relative à des pratiques relevées dans le secteur du portage de médicaments à domicile".