CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 15 novembre 1989, n° ECOC8910144X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gist-Brocades (SA), Lesaffre et Compagnie (Sté), Industrielle Lesaffre (Sté), Industrielle Levure Fala (Sté), Fould Springer (SA), ministre de l'Économie, des Finances et du Budget
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
MM. Gelineau-Larrivet, Montanier, Borra
Conseillers :
MM. Canivet, gourlet
Avoué :
SCP Bollet-Baskal
Avocats :
Mes Monestier-Valette-Vialard, Donnedieu de Vabres.
LA COUR est saisie des recours suivants :
Recours formé par la société Gist-Brocades contre :
1. La décision du président du Conseil de la concurrence 88-DSA-03 du 14 avril 1988 ordonnant le retrait du dossier de certaines pièces et rejetant le surplus des prétentions des demandeurs ;
2. La décision 88-DSA-13 modifiant et complétant la précédente.
Recours formé par la société précitée et par les sociétés Industrielle Lesaffre, Industrielle Levure Fala et Fould Springer contre la décision du Conseil de la concurrence 89-D-08 du 22 mars 1989 relative à des pratiques constatées sur le marché de la levure fraîche de panification, qui a notamment :
Infligé une sanction pécuniaire de 3 500 000 F solidairement aux trois sociétés du groupe Lesaffre et une sanction pécuniaire de 1 500 000 F à la société Gist-Brocades ;
Ordonné une mesure de publication intégrale.
Recours incident formé par le ministre chargé de l'Economie contre la décision susvisée du Conseil de la concurrence.
I. - Sur les recours contre les décisions de retrait de pièces
Statuant en cours de procédure à la demande de la société Gist-Brocades et des sociétés du groupe Lesaffre la première fois et, dans les autres cas, à la requête du seul groupe Lesaffre, le Président du Conseil de la concurrence a rendu, en application des dispositions de l'article 23 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :
Le 14 avril 1988, une ordonnance 88-DSA-03 retirant certaines pièces relatives au calcul du prix de revient du kilogramme de levure fraîche de panification couvertes par le secret des affaires, observation étant faite que la présence dans le dossier des autres pièces était estimée nécessaire à la poursuite de la procédure ;
Le 1er juillet 1988, après la notification des griefs, une ordonnance 88-DSA-07 retirant, pour le même motif, certaines pièces relatives à la ventilation du chiffre d'affaires des sociétés du groupe Lesaffre et, parallèlement, de la société Gist-Brocades ;
Le 1er septembre 1988, une troisième ordonnance 88-DSA-13 retirant une pièce " prix de revient en coût direct au kilogramme de levure fraîche de panification Springer... " annexée aux observations formulées par le groupe Lesaffre en réplique à la notification des griefs.
Pour la société Gist-Brocades les décisions postérieures à celle du 14 avril 1988 n'auraient fait qu'admettre des recours déguisés sous la forme de demandes de modification de l'ordonnance initiale et auraient ainsi porté atteinte à l'égalité entre les parties.
Soulignant que ces nouveaux retraits de pièces ont été opérés après que le groupe Lesaffre, un syndicat et l'administration aient pu prendre connaissance du dossier et sans qu'elle-même ait eu cette possibilité, la société Gist-Brocades soutient que le principe d'égalité a été à nouveau méconnu.
Elle se plaint encore d'une violation du principe de contradiction liée au fait que les pièces concernant ses propres activités et nécessaires à sa défense ont été retirées sans qu'elle ait été invitée à s'expliquer.
C'est dans ces conditions que dans le dernier état de ses écritures, elle demande à la cour d'annuler la décision 88-DSA-03, les modifications en faisant partie intégrante et toutes les décisions en découlant pour violation des articles 18, 21 et 23 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 19 du décret du 10 octobre 1987.
Sur quoi, LA COUR :
Considérant que, modifiant la décision initiale 88-DSA-03 en augmentant chaque fois, la liste des pièces retirées du dossier, les décisions 88-DSA-07 et 03 doivent être tenues pour des décisions distinctes devant faire, en conséquence, l'objet de recours différents ;
Considérant que le recours déposé le 10 mai 1989 au greffe de la cour par la société Gist-Brocades n'est formé qu'à l'encontre de " la décision 88-DSA-03 du 14 avril 1988 modifiée par la décision 88-DSA-13 du 1er septembre 1988 " et ne vise donc pas la décision 88-DSA-07 du 1er juillet 1988, du reste non jointe ;
Considérant que, saisi par des demandes émanant du ministre chargé de l'Economie, des sociétés du groupe Lesaffre et de la société Gist-Brocades, le Président du Conseil de la concurrence a ordonné, le 14 avril 1988, un certain nombre de mesures conformes aux prétentions des personnes précitées, plusieurs demandes étant toutefois rejetées ou déclarées sans objet ;
Qu'aucune de ces diverses décisions n'est critiquée devant la cour ;
Considérant qu'en ce qui concerne la décision du 1er septembre 1988, elle porte uniquement sur un document joint aux observations présentées par les sociétés du groupe Lesaffre en réponse à la notification des griefs ;
Considérant qu'en autorisant ces sociétés à reprendre ce document leur appartenant, le Président du Conseil de la concurrence n'a pas enfreint le principe d'égalité entre les parties puisque l'existence d'un document de la société Gist-Brocades équivalent n'est pas alléguée ;
Considérant, en outre, que la société Gist-Brocades ne prétend pas que la communication ou la consultation de cette pièce annexe est nécessaire à la procédure ou à l'exercice de ses droits;
Considérant que pour faire reste de droit à la société Gist-Brocades il convient de relever :
Que la finalité des dispositions de l'article 23 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 exclut tout débat contradictoire devant le Président du Conseil de la concurrence qui doit statuer en fonction des seules observations de la partie qui l'a saisi ;
Que s'il est exact que les sociétés du groupe Lesaffre et un syndicat de boulangers ont pu consulter les extraits du rapport administratif et leurs annexes retirés ensuite du dossier en exécution de la décision n° 88-DSA-07, le Conseil de la concurrence n'a pu connaître ces pièces et n'a fondé sa décision que sur des documents contradictoirement débattus ;
Que sachant, sinon la teneur du moins l'objet des pièces retirées émanant du groupe Lesaffre, la société Gist ne prétend pas qu'elles n'étaient pas couvertes par le secret des affaires, ni davantage que leur connaissance est nécessaire à la procédure ou à la défense de ses intérêts ;
Considérant qu'elle se borne à soutenir que les données écartées, relatives à ses propres activités, auraient pu être utilisées par elle pour démontrer l'inanité des griefs retenus à son encontre ;
Que cependant, dès lors que la règle posée par l'article 23 susvisé est destinée à protéger les intérêts des parties, rien n'empêchait la société Gist-Brocades de renoncer à la protection accordée par la décision dont il s'agit du Président du Conseil de la concurrence, et de produire elle-même, au moins devant la cour, les informations jugées indispensables à sa défense, ce qu'elle n'a pas fait ;
Considérant qu'il apparaît en définitive qu'aucun des moyens soutenus par la société Gist-Brocades n'est fondé ;
II. - Sur les recours concernant la décision n° 89-D-08
La décision du Conseil de la concurrence du 22 mars 1989 retient, à l'encontre des sociétés fabricant la levure fraîche de panification, des pratiques contraires aux dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Les pratiques sanctionnées sont les suivantes :
Une entente tacite entre les sociétés du groupe Lesaffre et la société Gist-Brocades, pendant les années 1983, 1984 et 1985, pour restreindre la concurrence sur les prix entre elles, entente révélée par le parallélisme des prix départ-usine de la levure vendue aux négociants ;
Echange d'informations et concertation entre les sociétés précitées, du deuxième semestre 1984 à la fin de 1985, portant sur les moyens à mettre en œuvre pour fermer ou réduire l'accès des importations au marché français ;
Echange d'informations, fin 1985, sur le tarif du port avancé ;
Concertation entre la société Industrielle Levure Fala (SIL Fala) et des négociants appartenant au syndicat de Rhône-Alpes pour faire échec à la politique commerciale d'un négociant de l'Isère.
Insistant sur la grande transparence du marché en cause, le caractère substituable des produits et la permanence de l'intervention de l'administration, la société Gist-Brocades affirme qu'il existe une grande concurrence entre elle et le groupe Lesaffre, mais que, compte tenu des conditions de fonctionnement de ce marché, cette concurrence ne peut s'exercer que très faiblement sur les prix.
La société Gist-Brocades, qui prétend également que sa détermination du prix de vente est directement dépendante des composantes du prix de revient et de sa taille économique, souligne que de 1983 à 1985 les entreprises calquaient leurs hausses de prix sur celles autorisées par l'administration, sans qu'une concertation soit nécessaire, et qu'en 1986 son " prix moyen départ-usine " a été constamment inférieur au prix tarif de sorte que la hausse effective est comparable à l'engagement moyen annuel que la société s'était engagée à respecter.
Elle conteste l'interprétation par le Conseil de la concurrence de la note Reiss (pièce 14) qui, selon elle, relaterait les seules discussions des représentants du groupe Lesaffre. Elle conteste enfin toute entente relative à l'accès du marché aux importations et soutient que les prix de transport ont donné lieu à un simple échange d'informations.
En conséquence la société Gist-Brocades demande à la cour de la décharger de toutes les condamnations prononcées contre elle.
Les sociétés du groupe Lesaffre imputent aussi à la réglementation des prix le comportement des fabricants de 1983 à 1985 et, de même que l'avait fait la société Gist-Brocades, elles réfutent chacun des indices d'entente retenus à cette occasion par le Conseil de la concurrence : quasi-identité des prix, identité des dates d'application des hausses, dates d'annonce de ces hausses.
Quant à la période suivante, 1986, le groupe Lesaffre soutient que le parallélisme des comportements a une autre cause que l'entente.
Se plaçant dans le cadre d'un marché devenu oligopolistique du fait des importateurs, elle conteste encore la valeur des indices sur lesquels le Conseil de la concurrence s'est fondé ;
L'identité de prix, qui serait inévitable le produit étant homogène, l'information parfaite et la demande stable ;
L'identité de date que la sortie d'une longue période de réglementation suffirait à expliquer ;
Absence de la mise en œuvre par Gist-Brocades d'une politique tarifaire agressive.
Sur ce dernier point, le groupe Lesaffre fait valoir que son concurrent ne pouvait avoir une autre politique, que sa situation ne saurait être comparée à celle d'importateurs bénéficiant d'avantages importants et qu'une entente ne présentait aucun intérêt pour lui.
Se plaignant d'une exploitation " abusive " des documents saisis, les sociétés du groupe Lesaffre affirment notamment que les " moyens à mettre en œuvre " mentionnées dans le procès-verbal de la chambre syndicale du 16 octobre 1985 concernent le service assuré à la boulangerie.
Enfin sont critiqués :
" Le défaut de proportionnalité des sanctions pécuniaires compte tenu de l'effet des pratiques relatives au coût du port avancé " ;
" La disproportion des sanctions pécuniaires compte tenu de l'absence de preuve d'une entente entre les sociétés du groupe, les négociants du syndicat de la région Rhône-Alpes et le syndicat lui-même visant à faire échec à la politique commerciale de la société Chamond. "
Les sociétés du groupe Lesaffre demandent en conséquence à la cour :
- de déclarer irrecevable le recours incident ;
- d'annuler la décision 89-D-08 du Conseil de la concurrence ;
- subsidiairement, de le réformer en réduisant le montant des amendes ;
- de rectifier une erreur matérielle contenue dans le dispositif de l'ordonnance du premier président du 5 juillet 1989.
Par ailleurs les sociétés du groupe Lesaffre soutiennent que le recours incident formé par le ministre chargé de l'Economie serait irrecevable parce que non, ou insuffisamment motivé et, subsidiairement, parce que les parties n'auraient pu s'expliquer contradictoirement à son sujet;
Sur quoi, LA COUR :
Sur la recevabilité du recours incident du ministre chargé de l'Economie :
Considérant que le recours déposé le 9 juin 1989, soit dans le délai d'un mois suivant la notification du recours déposé par les sociétés du groupe Lesaffre, précise notamment le montant des sanctions pécuniaires dont le prononcé est demandé et se poursuit ainsi :
" En effet, la multiplicité comme la gravité des pratiques anticoncurrentielles qui ont été constatées méritent une sanction d'autant plus significative que le marché présente une structure de duopole.
" De ce fait, les pratiques mises en œuvre par les requérantes n'ont pu avoir qu'un effet particulièrement net sur le secteur économique concerné.
" Le caractère artificiel des prix pratiqués, comme la stratégie commune visant à juguler la concurrence étrangère, n'avaient d'autre but que de renforcer le duopole au détriment du consommateur final, et cela d'autant plus que les produits touchés sont des produits sensibles (pain ...).
" Les sanctions infligées doivent présenter un caractère d'autant plus exemplaire que les requérantes ne pouvaient ignorer les conséquences économiques de leurs actions concertées ";
Considérant que ce recours, qui énonce clairement les raisons pour lesquelles tout en approuvant la position de principe adoptée par le Conseil de la concurrence, le ministre chargé de l'Economie demande la réformation de la décision 89-D-08, contient donc conformément aux dispositions de l'article 2-3 du décret du 19 octobre 1987 un exposé des moyens invoqués;
Considérant que les sociétés du groupe Lesaffre ont longuement répondu à ces moyens et aux observations subséquentes du ministre dans des conclusions déposées le 12 septembre 1989, conclusions auxquelles est jointe la consultation d'un professeur de droit ;
Qu'elles ne peuvent dès lors sérieusement soutenir que la procédure n'a pas été contradictoire et que les droits de la défense n'ont pas été respectés ;
Que ce moyen doit être également écarté ;
Sur le fond :
Considérant que la cour fait siennes les constatations sur le marché en cause retenues par le Conseil de la concurrence ;
Que l'opinion des sociétés du groupe Lesaffre, qui décrivent un marché oligopolistique et non un duopole à la production, doit donc être écartée, observations étant faites que les importations n'ont occupé pendant la période concernée qu'une faible part de ce marché - 1,5 % en 1985, moins de 2,5 % en 1986 - et que celui-ci était effectivement partagé entre le groupe Lesaffre et la société Gist-Brocades dans les proportions rappelées dans la décision attaquée ;
Sur le prix départ-usine fait aux fabricants :
Considérant que l'entente condamnée par le Conseil de la concurrence mais dont la réalité est contestée par le groupe Lesaffre et la société Gist-Brocades porte sur le tarif de base " prix départ-usine " appliqué aux négociants, lesquels distribuent environ 80 % de tonnage fabriqué ;
Considérant qu'il est constant que l'écart entre les prix hors taxes (HT) du kilogramme de levure fraîche fabriquée par les sociétés précitées n'était que de un centime pendant les années 1983, 1984 et 1985 ;
Que les prix étaient égaux en 1986 ;
Qu'en outre cette même année les deux entreprises ont appliqué une hausse dépassant notablement le taux de hausse moyen négocié avec les pouvoirs publics ;
Qu'il est encore constant que les augmentations de prix décidées par ces entreprises ont toujours pris effet le même jour, les seules différences observées concernent la date de diffusion des nouveaux tarifs, Gist-Brocades communiquant ceux-ci en 1986 après les sociétés du groupe Lesaffre mais, de 1983 à 1985, après SIL Fala et SIL et quelques jours avant Fould Springer, toutes ces dates étant très proches les unes des autres ; qu'ainsi Gist-Brocades connaissait les tarifs du groupe Lesaffre avant de diffuser ses propres ajustements ;
Considérant qu'ainsi le relève le Conseil de la concurrence un tel parallélisme concernant quatre hausses consécutives du prix départ-usine ne peut être regardé comme une entente au sens de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 que si les comportements identiques ne s'expliquent ni par les conditions de fonctionnement du marché auxquelles chaque entreprise est soumise ni par la poursuite de l'intérêt individuel de chacune d'elles;
Considérant qu'il n'est cependant pas indispensable d'examiner ces points dès lors que l'examen des documents saisis démontre que, loin de déterminer leurs politiques de prix respectives de manière autonome, le groupe Lesaffre et la société Gist-Brocades, réunis notamment à l'occasion de séances de la CSLF (chambre syndicale des fabricants de levure en France) ont été conduits à définir ensemble une stratégie commune à l'égard des négociants;
Considérant que les notes prises par M. Reiss (Lesaffre) lors de la séance de la CSLF du 16 octobre 1985 indiquent à propos des importations à prix bas en provenance d'Italie et de RFA : " Les fabricants décident de rester ferme sur les prix tout en accordant certaines aides ponctuelles et limitées dans le temps aux négociants fidèles qui seraient concurrencés " ;
Considérant que ce document, qui mentionne dans la liste des personnes présentes deux représentants de Gist-Brocades, n'est donc pas la relation d'une réunion tenue avant la séance de la chambre syndicale par les délégués des sociétés du groupe Lesaffre mais doit être tenu pour le compte rendu officieux de décisions prises par les fabricants au cours de la séance dont le procès-verbal officiel à été censuré, au moins partiellement ;
Considérant que sous la rubrique " Concurrence étrangère " le procès-verbal dont s'agit précise en effet : " Un large échange de vues a eu lieu sur les moyens à mettre en œuvre pour remédier à la situation qui pourrait ainsi se développer " ;
Considérant que cette discussion, rapportée avec plus de précision par M. Reiss, ne s'est donc pas limitée à un simple échange d'informations ;
Qu'en outre, et contrairement à ce que soutiennent Gist-Brocades, le contexte, en particulier les paragraphes précédents dont la phrase citée constitue la conclusion, confirme que cette citation doit être interprétée comme l'expression de la volonté des fabricants de lutter contre l'importation de levure allemande par des moyens appropriés ;
Considérant que, toujours au chapitre " Importations ", il est indiqué dans le procès-verbal de la séance plénière du 22 janvier 1986 : " Les importateurs de levure allemande exercent toujours une forte pression sur les prix... les fabricants estiment qu'ils peuvent, de ce fait, être amenés à élargir l'éventail de leurs prix selon la destination de la levure (négoce ou gros utilisateurs), ce qui est un abandon de l'usage des prix départ-usine sensiblement identiques ";
Considérant qu'il ressort de ces documents qu'il y a bien eu une concertation entre les fabricants ayant pour objet de faire échec à toute baisse de prix émanant des négociants, ainsi que l'aveu de l'existence d'un usage consistant - en dehors de toute politique autonome de fixation des prix par les entreprises - à fixer d'un commun accord entre les deux opérateurs des prix départ-usine identiques ou presque identiques ;
Considérant enfin que la formule " rester ferme sur les prix " et l'emploi du terme " usage ", dont la portée ne saurait être minimisée, impliquent une entente déjà ancienne sur le niveau des prix concernés, incluant manifestement l'ensemble de la période incriminée ;
Considérant que l'existence de cette entente et son caractère notoire dans le milieu des professionnels de la boulangerie sont mis en évidence par les propos tenus lors d'une assemblée générale par les négociants en mai 1984 (pièce XVIII), un intervenant déclarant : " Nous avons l'exemple des fabricants qui sont " en concurrence " entre guillemets, qui se font des " crocs en jambes " entre guillemets. C'est certain mais malgré les guillemets ces messieurs vendent leur levure départ-usine avec une différence d'un centime !!! " ;
Considérant, par surcroît, que les moyens respectivement développés par les sociétés du groupe Lesaffre et par Gist-Brocades pour tenter d'établir que l'identité de leurs tarifs s'explique et se justifie par les mécanismes du marché et l'obligation pour la seconde de s'aligner sur les premières, sont dépourvus de pertinence et ont été justement rejetés par la décision entreprise ;
Considérant qu'il est constant que l'augmentation de la part de marché occupée par les importateurs est due au fait que les levures étrangères sont proposées aux négociants à des prix inférieurs à ceux pratiqués par les entreprises en cause ;
Considérant par ailleurs que l'existence d'une concertation pour lutter contre la pénétration de ces levures en consentant des avantages à certains négociants implique une certaine élasticité de la demande du produit par rapport aux prix ;
Qu'il s'ensuit qu'il est inexact de prétendre, alors qu'aucune preuve d'aide d'Etats ou de dumping n'est rapportée, que la concurrence sur le marché ne pourrait s'exercer que par d'autres facteurs que les prix ;
Considérant que même si la qualité des produits, leur efficacité, la régularité des approvisionnements constituent autant de motifs sérieux de nature à attirer et à retenir la clientèle - motifs dont la mise en œuvre n'est d'ailleurs pas contestée - il doit donc être tenu pour établi que la concurrence par les prix peut jouer sur le marché considéré ;
Considérant que bien que la société Gist-Brocades prétende avoir " souhaité se comporter dans la fixation de ses prix de la façon la plus autonome possible ", il est certain que cette société n'a eu, dans ce domaine, d'autre politique que de s'aligner strictement sur les décisions du groupe Lesaffre, et ce au point d'abandonner, lors de la hausse de 1986, la différence d'un centime pratiquée les années antérieures ;
Considérant cependant que la concertation visant à limiter le développement des importations n'a pu avoir lieu que parce que Gist-Brocades pouvait pratiquer une politique autonome, différente de l'alignement constaté ;
Qu'en effet, ainsi que le relève le Conseil de la concurrence, dans l'hypothèse contraire les sociétés du groupe Lesaffre auraient pu déterminer seules la façon dont elles souhaitaient réagir sans risquer de voir Gist-Brocades suivre une autre politique et sans avoir à s'entendre avec cette dernière ;
Considérant que la consultation technique versée aux débats par les sociétés du groupe Lesaffre pour tenter de démontrer que l'intérêt de la société Gist-Brocades était de les suivre ne saurait être retenue ;
Qu'il s'agit en effet d'un " exercice de stimulation " dans lequel le fonctionnement du marché est " un peu stylisé " et qui, utilisant des chiffres " assez réalistes ", se situe toutefois sur un plan trop théorique pour être suffisamment fiable et pour entraîner la conviction de la cour ;
Considérant qu'aucun élément du dossier ne permet d'affirmer, comme le font cependant les deux entreprises, que les sociétés du groupe Lesaffre étaient en mesure de réagir à une politique de baisse de prix de son concurrent autrement que par la baisse de ses propres tarifs en se pliant ainsi à la concurrence ;
Qu'il est pertinemment observé dans la décision attaquée que le développement de la part du marché des importations témoigne du fait que les mesures de rétorsion susceptibles d'être mises en œuvre par l'une ou l'autre entreprise ne pouvaient interdire toute concurrence par les prix ;
Considérant que le Conseil de la concurrence a exactement analysé, dans des motifs que la cour adopte, les conditions dans lesquelles la société Gist-Brocades a annoncé ses prix pendant les années 1983, 1984 et 1985, après que SIL et SIL Fala eurent fait connaître leurs propres hausses, mais avant que Fould Springer, entreprise de taille comparable à la sienne, ne publie les siennes ;
Qu'observant à nouveau que la concurrence par les prix pouvait jouer et que Gist-Brocades avait la capacité de mener une politique différente de celle du groupe Lesaffre, il a justement déduit du processus adopté par ces entreprises que la stratégie d'annonce de prix de Gist-Brocades pendant cette période ne pouvait correspondre à son propre intérêt que si elle était assurée que Fould Springer pratiquerait des prix identiques aux siens et, enfin, que Gist-Brocades ne pouvait, hors le cas d'une entente avec le groupe Lesaffre, avoir une telle assurance ;
Considérant qu'il y a encore lieu de noter que compte tenu des dates d'effets identiques des nouveaux prix, ce en raison de l'usage de la facturation à quinzaine, le mécanisme des annonces était parfaitement agencé pour éliminer toute incertitude quant au comportement réciproque des intéressés relatif à la fixation du prix départ-usine ;
Considérant que la décision entreprise a fait une juste appréciation des moyens tirés de la transparence du marché, laquelle ne saurait conduire à une uniformisation des pratiques tarifaires ;
Qu'il convient de souligner que la " grande transparence " alléguée par les fabricants n'a pas fait obstacle à l'action des importateurs pratiquant des prix plus compétitifs que ceux proposés par les sociétés du groupe Lesaffre et Gist-Brocades ;
Considérant que le dispositif mis en place jusqu'en 1986 par les pouvoirs publics pour encadrer l'évolution des prix n'obligeait pas les entreprises à appliquer dans leur intégralité les taux d'augmentation autorisés et n'impliquait pas qu'elles déterminent en commun leurs politiques des prix ;
Que du reste, en augmentant leurs tarifs, à la même date et de manière identique, en 1986, alors que la prétendue contrainte réglementaire avait disparu, les entreprises en cause ont montré que leur comportement antérieur n'était pas lié à l'existence de la réglementation administrative mais procédait de la stratégie qu'elles avaient volontairement adoptée en établissant " l'usage " relatif à leurs prix départ-usine ;
Considérant que c'est donc à bon droit que le Conseil de la concurrence a jugé que les pratiques d'entente de prix de Gist-Brocades et des sociétés du groupe Lesaffre, qui ont eu pour objet et ont pu avoir pour effet de limiter la concurrence entre elles, tombent sous le coup des dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ;
Sur l'entente relative à l'accès des importations au marché français :
Considérant que l'existence de cette entente entre fabricants n'est pas sérieusement contestée par les sociétés du groupe Lesaffre qui insistent seulement sur le caractère " peu significatif " des preuves et la " disproportion " des sanctions pécuniaires, ni par la société Gist-Brocades qui invoque la nécessité d'une " action de sauvegarde de l'industrie française " ;
Qu'elle est au demeurant formellement établie par les procès-verbaux des séances de la CSLF analysés ci-dessus et visés dans la décision entreprise ainsi que par les notes déjà examinées de M. Reiss ;
Qu'en outre les comptes rendus d'un responsable commercial de SIL Fala, M. Becker, confirment sans ambiguïté la réalité de la concertation et son effet sur la politique commerciale des entreprises en cause, à propos de la levure italienne ;
Qu'il suffit d'ajouter aux justes motifs adoptés par le Conseil de la concurrence que l'existence des avantages indus dont auraient bénéficié les fabricants étrangers n'est pas démontrée par la documentation peu fiable émanant de la chambre syndicale ni par les quelques factures produites, et ce alors qu'il n'est pas contesté que la plainte déposée auprès des autorités européennes compétentes n'a pas eu de suite ;
Sur les pratiques relatives au coût du port avancé :
Considérant que ces pratiques, exactement décrites et analysées par le Conseil de la concurrence, ne peuvent être sérieusement contestées ;
Qu'il importe peu que leur effet anticoncurrentiel soit limité à certains départements puisqu'il suffit que les pratiques visées puissent avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence ;
Considérant qu'il apparaît en cet état que les mesures prises par le Conseil de la concurrence, sanctions pécuniaires et publications, constituent sous réserve de la publication ordonnée ci-après la juste sanction des comportements des sociétés du groupe Lesaffre et de la société Gist-Brocades qui viennent d'être examinés ;
Considérant qu'il est légitime que les professionnels, avisés du recours formé contre la décision du Conseil de la concurrence, aient également connaissance de la décision de la cour;
Qu'il convient d'ordonner la publication du communiqué ci-après dans les revues où la décision attaquée a été elle-même publiée ;
Sur les pratiques communes des fabricants et des négociants :
Considérant que, sous ce titre ont été retenues les pressions exercées par SIL Fala, des négociants appartenant au syndicat Rhône-Alpes et ce syndicat sur un transporteur pour entraver l'action de la société distributrice de levure italienne dans la région Rhône-Alpes ;
Considérant que les faits ne sont pas contesté ; que les sociétés du groupe Lesaffre font valoir à juste titre que seule la société SIL Fala est impliquée dans ces pratiques dont l'objet était d'éliminer la concurrence de la levure italienne ;
Que la sanction pécuniaire qu'il convient d'appliquer en l'espèce doit être prononcée à l'encontre de SIL Fala ;
Considérant que la rectification de l'erreur matérielle relevée dans l'ordonnance du premier président du 5 juillet 1989 est devenue sans objet ;
Qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande présentée sur ce point par les sociétés du groupe Lesaffre ;
Par ces motifs : Rejette les recours formés contre les décisions du Président du Conseil de la concurrence 88-DSA-03 et 88-DSA-13 ; Constate qu'aucun recours n'a été formé contre la décision 88 DSA 07 ; Déclare recevable le recours incident du ministre chargé de l'Economie ; Confirme la décision 89-D-08 du Conseil de la concurrence ; Y ajoutant : Inflige à la société SIL Fala une sanction pécuniaire de 20 000 F ; Dit que le communiqué suivant sera publié dans La Tribune de l'Expansion et Les Echos aux frais des sociétés du groupe Lesaffre et de la société Gist-Brocades à proportion des sanctions pécuniaires infligées : " Par arrêt du 15 novembre 1989 la Cour d'appel de Paris, rejetant les recours formés par les sociétés Fould Springer, SIL Fala, SI Lesaffre et Gist-Brocades, a confirmé la décision 89-D-08 du Conseil de la concurrence, en date du 22 mars 1989, relative à des pratiques constatées sur le marché de la levure fraîche de panification. " Dit que cette publication sera faite dans le mois du prononcé du présent arrêt, en caractères très lisibles, dans un encadré placé en page rédactionnelle.