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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 29 octobre 1997, n° ECOC9710422S

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Concurrence (SA)

Défendeur :

Aiwa France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

MM. Ancel, Lachacinski

Avoués :

SCP Dauthy Naboudet, SCP Valdelièvre Garnier

Avocat :

Me Faller.

T. com. Paris, 1re ch., sect. B, du 18 s…

18 septembre 1995

Le 30 novembre 1993, la SA Jean Chapelle, spécialisée dans la vente de matériels d'électronique de loisirs, a assigné devant le Tribunal de commerce de Paris l'un de ses fournisseurs, la société Aiwa France SA (ci-après Aiwa) à l'effet de voir, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

- juger que les conditions de vente de cette société étaient nulles au regard des dispositions de l'article 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

- enjoindre à la défenderesse de supprimer les clauses incriminées sous astreinte de 10 000 F par jour de retard, passé un délai de huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir,

- condamner la société Aiwa à lui verser les sommes de 103 800 F à titre de remboursement, de 150 000 F à titre de dommages et intérêts.

Elle a sollicité, en outre, l'attribution d'une somme de 150 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Société Aiwa a conclu au rejet des prétentions de la demanderesse et poursuivi la condamnation de celle-ci au paiement des sommes de 30 000 F en réparation d'une procédure qualifiée d'abusive et de 15 000 F pour ses frais hors dépens.

Par jugement du 18 septembre 1995, le tribunal relevant notamment que les mesures favorables aux revendeurs groupés sous une enseigne commune dénoncées en l'espèce n'avaient pas pour effet de fausser le libre jeu de la concurrence, a débouté la société Jean Chapelle de ses demandes, l'a condamnée à verser à la société Aiwa une somme de 10 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a rejeté toutes autres prétentions.

La société Jean Chapelle a interjeté appel de cette décision le 25 octobre 1995.

Elle a été dissoute et absorbée le 31 décembre 1995 par la SA Concurrence laquelle, par conclusions du 26 janvier 1996 est intervenue volontairement dans l'instance aux fins de voir réformer le jugement déféré et juger que les clauses litigieuses sont prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, sont nulles en application de l'article 9 de ladite ordonnance et doivent en conséquence être supprimées sous astreinte de 10 000 F par jour de retard, passé le délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt.

Cette société sollicite la condamnation de la société Aiwa à lui verser les sommes de :

- 103 800 F à titre de remboursement de la différence entre les prix facturés à la société Jean Chapelle et les prix d'achat et de revient de ses produits ;

- 180 000 F en réparation du préjudice résultant de clauses illicites,

- 30 000 F pour ses frais irrépétibles,

La société Aiwa conclut à la confirmation de la décision entreprise et poursuit en outre l'attribution d'une indemnité de 30 000 F pour procédure abusive et d'une somme de même montant en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce,

I - Sur la demande principale

Considérant que l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dispose que sont prohibées, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :

1. Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises.

2. Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse.

3. Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique.

4. Répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement.

Que l'article 9 du même texte frappe de nullité tout engagement ou clause contractuelle se rapportant à ces pratiques.

Considérant que la société Concurrence incrimine le fait que l'octroi des clauses dites de " remises de centralisation ", de " ristourne de prestations de service " et de " remise quantitative ", incluses dans les conditions de vente de la société Aiwa, est réservé aux seuls revendeurs groupés sous une enseigne commune.

Qu'elle allègue que l'exigence d'une telle enseigne n'est licite que sous deux conditions : une politique commune de distribution effective et une valorisation de l'usage de marque par des services spécifiques, lesquelles ne seraient pas réunies dans la présente espèce.

Qu'elle en déduit que ces clauses doivent être annulées.

Considérant que la société Aiwa lui oppose que les clauses d'enseigne commune dans les conditions générales de vente sont valables dès lors qu'elles n'ont pas pour objet ou pour effet de limiter la libre fixation des prix et qu'il existe une politique commune de distribution parmi les sociétés ainsi regroupées.

Considérant, ceci exposé, que l'adoption d'une enseigne commune à un ensemble de distributeurs est une condition objective et vérifiable de l'attribution de remises par lesquelles un producteur peut choisir de rémunérer les prestations et avantages commerciaux qui lui sont fournis.

Qu'un tel mode de rétribution n'est pas restrictif de concurrence lorsqu'il est la contrepartie de réelles prestations que tous les distributeurs qui le souhaitent peuvent fournir en groupant leurs commandes sous une même enseigne pour la mise en œuvre d'une politique commerciale commune.

1. Sur la clause de remise quantitative

Considérant que le paragraphe 2 du barème général des prix de la société Aiwa stipule qu'une remise sur facture est accordée à tout professionnel, au fur et à mesure de la réalisation d'un chiffre d'affaires, défini par un tableau " réalisé net, hors taxes, hors ristournes, hors rémunération de sous-traitance, toutes références confondues, par un point de vente ou des points de vente regroupés sous une même enseigne pendant l'exercice social de l'année précédente ".

Que la décision déférée a exactement déduit des termes de cette clause que la remise quantitative était accordée à tout professionnel, isolé ou regroupé avec d'autres sous une enseigne commune.

Qu'elle a au surplus rappelé que l'octroi de ristournes ou de remise différées n'était pas restrictif de concurrence lorsque, comme en l'espèce, le principe et le montant de ces avantages en sont acquis de manière certaine dès le franchissement des seuils quantitatifs qui en déterminent l'attribution et lorsque tous les distributeurs peuvent sans aléas ni restrictions en répercuter le montant sur leurs prix de ventes.

Qu'elle a enfin pertinemment souligné que la prise en compte du cumul des chiffres d'affaires réalisés par des revendeurs regroupés avait pour effet de remédier au désavantage subi par des revendeurs qui, isolés, ne pourraient parvenir au chiffre d'affaires requis, et de les placer ainsi dans des conditions comparables à celles dont bénéficient les plus importants distributeurs.

2. Sur la clause de ristourne de prestation de services

Considérant que le paragraphe 4 du barème dispose qu'une ristourne, calculée sur le chiffre d'affaires est accordée selon un tableau " à tout professionnel agréé Aiwa Service Plus qui assure gratuitement lui-même, pour un point de vente ou plusieurs points de vente regroupés sous une même enseigne, le service après-vente des produits Aiwa ".

Considérant que la société Concurrence fait grief à cette clause de ne pas mettre en évidence l'exigence d'une politique commerciale commune et de ne pas démontrer en quoi un service après-vente fait sous enseigne commune " serait meilleur pour son image de marque que celui fait par un groupement sans enseigne ".

Mais considérant que le tribunal objecte à juste titre à cet argument qu'une telle disposition offre au fabricant ou à l'importateur " l'avantage d'être déchargé de multiples interventions mineures et pour le consommateur celui d'un service plus rapide à proximité de son domicile ".

3. Sur la clause de remise de centralisation

Considérant que le paragraphe 5 du barème précise qu'une remise sur facture est accordée selon un tableau à " tout professionnel qui effectue une centralisation pour au moins 30 points de vente regroupés sous une enseigne commune et à tout professionnel qui exerce une activité de grossiste, c'est-à-dire qui achète pour son compte et en son nom des produits Aiwa ... "

Que le jugement déféré retient à bon escient que cette clause rémunère les services rendus au vendeur en lui évitant une trop grave dispersion de ses opérations administratives et de ses stocks.

Considérant que l'examen des clauses litigieuses permet de retenir l'analyse qu'en a faite le tribunal, à savoir que ces mesures favorisent une cohésion entre les revendeurs groupés sous une enseigne commune, leur identification collective dans l'esprit du public et la qualité du service rendu à celui-ci et n'ont pas pour effet de fausser le libre exercice de la concurrence.

Que la décision entreprise sera donc confirmée.

II - Sur la demande reconventionnelle

Considérant que la société Aiwa poursuit la condamnation de l'appelante au paiement d'une indemnité de 30 000 F en raison de l'action abusivement intentée à son encontre.

Mais considérant que l'appelante a pu de bonne foi se méprendre sur la réalité et l'étendue de ses droits.

Que cette demande sera donc rejetée.

III - Sur les frais non taxables

Considérant que la société Concurrence qui succombe sera déboutée de la demande par elle fondée sur les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Qu'il est, en revanche, équitable d'élever la somme attribuée à ce titre par les premiers juges à la société Aiwa à 20 0000 F.

Par ces motifs : Donne acte à la SA Concurrence de son intervention, volontaire aux droits de la SA Jean Chapelle, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celle fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Le réforme de ce chef et, statuant à nouveau, Condamne la société Concurrence à payer à la société Aiwa France SA la somme de Vingt mille Francs (20 000 F), Condamne la société Concurrence aux dépens d'appel, Admet la SCP Valdelièvre Garnier titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.