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Décisions

Conseil Conc., 4 mars 1997, n° 97-D-15

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisines présentées par M. Jean Chapelle et par la SA Jean Chapelle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. Henri Génin, par MM. Barbeau, président, Jenny, Cortesse, vice-présidents, Mme Boutard-Labarde, MM. Robin, Rocca, Sloan, membres.

Conseil Conc. n° 97-D-15

4 mars 1997

Le Conseil de la concurrence (section III),

Vu la lettre enregistrée le 27 juin 1988 sous le numéro F 169 et les lettres enregistrées le 26 mars 1992 et le 10 avril 1992 sous les numéros F 493 et F 499 par lesquelles, respectivement, M. Jean Chapelle au titre de son entreprise personnelle puis la SA Jean Chapelle ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la société Philips Electronique Domestique ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu la décision n° 88-MC-13 du Conseil de la concurrence du 6 septembre 1988 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par M. Jean Chapelle et la SA Jean Chapelle ; Vu la décision n° 88-D-47 du Conseil de la concurrence du 6 septembre 1988 relative à des pratiques de la société Philips Electronique Domestique ; Vu la décision n° 93-DSA-01 du 18 janvier 1993 prise en application des dispositions de l'article 23 de l'ordonnance susvisée ; Vu la décision n° 93-D-18 du Conseil de la concurrence du 2 juin 1993 ordonnant le sursis à statuer sur les saisines en vue d'un complément d'instruction ; Vu les observations présentées par la SA Concurrence venant aux droits et obligations de l'entreprise Jean Chapelle et de la SA Jean Chapelle, par la SA Philips Electronique Grand public, venant aux droits et obligations de la SNC Philips Electronique Domestique et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement entendus, la SA Concurrence ayant été régulièrement convoquée ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I- CONSTATATIONS

Dans sa décision n° 88-D-47 du 6 décembre 1988 susvisée le conseil avait examiné les pratiques mises en œuvre par la société Philips ED au cours de la période 1986 à 1988. Les pratiques dénoncées par les entreprises saisissantes dans leurs différentes saisines se rapportent à la période comprise entre 1988 et 1992.

A- Le marché

La société Philips Electronique Domestique, aujourd'hui dissoute et dont les activités ont été reprises, à compter du 31 décembre 1993, par la SA Philips Electronique Grand Public, ci­après désignée Philips, filiale de la Compagnie Française Philips, commercialise du matériel électronique de loisir : télévisions, audio, hi-fi, vidéo et autoradio.

Les appareils mis sur le marché par la société Philips bénéficient d'une notoriété internationale. Au plan national, selon une étude réalisée par la société d'enquête GFK entre les mois de décembre 1989 et de janvier 1990, les parts de cette entreprise sur les différents secteurs concernés dont il est admis par les professionnels qu'ils constituent autant de marchés en raison des caractéristiques propres à chaque type de matériels, étaient les suivantes :

Télévisions : 17,4 %

Magnétoscopes : 10,9 %

Caméscopes : 2,7 %

La société Philips commercialise ses produits par l'intermédiaire de 1 500 distributeurs parmi les 15 000 points de vente environ assurant la distribution de cette famille de produits en France ; son réseau est constitué de grandes surfaces spécialisées, de revendeurs traditionnels, de grandes surfaces alimentaires, de grands magasins et d'entreprises de vente par correspondance. Elle détient 4 000 "comptes clients" (points de facturation) représentant environ 1 500 "comptes consolidés" (points de vente sous enseigne).

La société anonyme Jean Chapelle, anciennement entreprise personnelle Jean Chapelle, radiée du registre du commerce depuis le 9 mai 1989, exploitait deux magasins à Paris, l'un situé rue de Rennes, l'autre avenue de Wagram. La SA Jean Chapelle a fait l'objet, le 30 décembre 1995, d'une opération de fusion absorption par la SA Concurrence, et a été radiée à son tour du registre du commerce et des sociétés le 20 février 1996. Son chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice 1991 s'est élevé à 33 873 383 F ; elle ne s'est approvisionnée auprès de la société Philips que pendant l'année 1988, pour un total hors taxe, escompte déduit, de 771 878 F, dont 518 287 F pour les téléviseurs, 109 330 F pour les magnétoscopes et 112 782 F pour les camescopes. Aucune livraison de matériels de la marque Philips n'a été faite à la société Jean Chapelle de 1989 à 1992. M. Chapelle a indiqué que son absence de commandes de produits Philips résultait des rémunérations conditionnelles importantes l'empêchant de pratiquer des marges faibles.

B- Les pratiques en cause

Dans ses saisines adressées au Conseil la SA Jean Chapelle dénonce à nouveau le caractère anticoncurrentiel des conditions de vente de la société Philips, modifiées en 1988, qui permettraient, selon lui, de limiter la libre détermination des prix de vente et de pratiquer des discriminations entre les distributeurs. Il se plaint également d'un manque de transparence des conditions tarifaires de ce fabricant.

Depuis 1988, la société Philips propose à ses distributeurs un ensemble de conditions de vente complexes dont les modalités sont décrites ci-après :

a) Les conditions générales de vente présentent des dispositions relatives aux commandes, aux livraisons, à la facturation, au paiement, au retard de paiement, à la réserve de propriété, à la vente à l'exportation, au service après-vente et à l'attribution de compétence en cas de litige.

S'agissant de la facturation, elles prévoient en particulier, depuis leur modification en 1988 : "...Le paiement des ristournes éventuelles s'effectue sous forme d'avoir ; il est subordonné au règlement de toutes les factures à échéance, et au respect des engagements commerciaux". Cette disposition diffère de celle en application lors de l'exercice précédent qui avait été condamnée dans la décision précitée du conseil n° 88-D-47, et qui stipulait : "...Le paiement des ristournes éventuelles s'effectue sous forme d'avoir ; il est subordonné au règlement de toutes les factures à échéance, et au respect de la réglementation économique et de la concurrence."

b) Une série de documents intitulés "engagements" concernant les appareils commercialisés par la société Philips ("hi-fi et lasers", "audio", "vidéo" et "autoradio") prévoient des objectifs de "prévisions d'achats". En contrepartie de la réalisation de cette prévision, dont le montant est négocié avec le fournisseur, le revendeur bénéficie de remises et de ristournes définies dans un barème.

Les barèmes en vigueur de 1988 à 1992 ont conduit, au-delà d'un seuil, à des remises de base sur facture et à des ristournes éventuelles, variant selon les années et les familles de produits. Ainsi, pour l'année 1992, les remises de base sur facture étaient fixées à 11 % pour une commande de produits "vidéo" d'un montant supérieur à 75 000 F HT, pour une commande de produits de la famille "hi-fi - laser" d'un montant supérieur à 25 000 F HT et pour une commande de produits de la famille "audio" d'un montant supérieur à 25 000 F HT ; les ristournes éventuelles, au dessus des seuils mentionnés étaient fixées selon des tranches de prévisions d'achats à des taux variant de 10 à 14,5 % pour la "vidéo", de 8 à 14 % pour la "hi­fi - laser" et de 0 à 5 % pour l' "audio". A titre d'exemple, pour les appareils "vidéo", les remises et ristournes de la première tranche de prévisions d'achats, comprise entre 75 000 F et 300 000 F, s'élevaient à 10 %, et celles de la tranche supérieure, excédant 120 000 000 F, à 14,5 %.

Les conditions précisent qu'une avance correspondant à la prévision d'achats est versée mensuellement, mais que la ristourne et son avance pourront être restituées en cas de défaillance dans la réalisation de la prévision d'achats ou de défaut de paiement des factures.

Il est également prévu des ristournes de progression trimestrielles de 1 à 2 %.

Depuis 1990 seulement, les ristournes, rémunérant ces engagements commerciaux figurent sur les factures, leur caractère acquis ou conditionnel étant précisé.

Tous les clients de Philips ont souscrit ces engagements, soit environ les 1 500 "comptes consolidés".

La fixation négociée des engagements d'achats aboutit à des résultats différenciés compte tenu de la diversité de la situation des distributeurs et en particulier de l'estimation de leur potentiel de vente.

La SA Jean Chapelle a obtenu, pour l'année 1991, des remises correspondant à des engagements de prévision de 2,5 MF pour la "vidéo" et de 1,5 MF pour les appareils "hi­fi ­ Laser". En 1992, M. Chapelle a proposé à la société Philips de signer des engagements correspondant au minimum d'une tranche de barème (1 000 001 F pour les appareils "vidéo" et de 300 001 F pour les appareils "hi-fi-Laser") afin de pouvoir réaliser cet objectif en une seule et même commande ; mais la société Philips a refusé la proposition de M. Chapelle au motif que les engagements auraient été calculés de mauvaise foi dans la perspective d'obtenir des remises importantes permettant de pratiquer des "prix d'appel" sur les produits Philips pour en réalité faire porter ses ventes sur des produits d'autres marques.

Aucun autre litige concernant la détermination des engagements commerciaux n'a opposé Philips à un distributeur, à l'exception de celui relatif à la société Serap qui s'est traduit par un jugement du tribunal de commerce de Paris du 13 décembre 1988. Dans cette affaire, le tribunal a admis le bien fondé des arguments du fournisseur qui avait refusé d'accepter des propositions d'engagements fixés à 1,16 MF, chiffre considéré comme trop bas par rapport au potentiel qu'il avait lui-même évalué à 2,5 MF.

c) Les distributeurs des produits Philips peuvent signer des contrats de "coopération commerciale" annuels aux termes desquels ils s'engagent à fournir au fabricant divers services spécifiques contre une rémunération calculée en pourcentage du chiffre d'affaires HT réalisé sur la catégorie de produits spécifiée par le contrat. Le taux de ces remises n'est pas tarifé, il est librement négocié avec chaque distributeur. Si cette rémunération est accordée le distributeur facture au fournisseur dans les vingt jours suivant la fin de chaque trimestre civil, un montant égal au pourcentage du chiffre d'affaires réalisé au titre du trimestre écoulé. Les distributeurs peuvent assurer onze prestations de services différentes, les grossistes et groupements peuvent rendre d'autres types de services.

Ces services sont décrits dans des fiches techniques annexées au contrat. Elles s'intitulent : "service de centralisation", "espace publicitaire-vitrine", "exposition en vitrine", "information-formation-démonstration des produits", "présentoirs, meubles et supports", "promotions, jeux et concours", "campagnes publicitaires du revendeur catalogues et dépliants par le revendeur", "bancs d'essais-tests-qualité des produits", "nouveaux produits", "enseigne", "revendeur spécialiste match-line". Les services spécifiques particuliers aux grossistes et aux groupements s'intitulent : "publicités, promotions", "exposition, démonstration qualité des produits".

Environ le tiers des clients ont signé ces accords de coopération.

Les contrats sont personnalisés et négociés. Selon la société Philips, des distributeurs peuvent se voir accorder une rémunération différente pour des services similaires car le fournisseur peut ne pas attacher la même valeur au service rendu en fonction, notamment, de l'emplacement du lieu de revente du distributeur. Ainsi, des grandes surfaces de distribution de dimension comparable et de présentation générale de vente similaire ont souscrit des accords de coopération leur conférant des taux de remises présentant des écarts de 4 % à 5 % compte tenu de l'étendue des services rendus et de leur implantation. Les trente premiers clients de la société Philips ont perçu en 1992 des remises de coopération de 2 à 7 % pour les appareils "vidéo" et de 3 à 7 % pour les appareils "audio et hi-fi laser".

Par lettre du 11 avril 1991, la société Philips a proposé à la SA Jean Chapelle un taux de rémunération de 4 % en contrepartie de la fourniture des prestations spécifiques "information", "promotion", et "bancs d'essais". Mais, ce distributeur n'a finalement donné aucune suite à cette offre de coopération. Dans le même temps, une rémunération moyenne de 4,5 % était versée aux trente premiers clients de la société Philips, signataires de contrats de coopération commerciale pour la catégorie de produits "vidéo".

La société Philips a déclaré qu'elle vérifiait si les remises de service étaient justifiées dans la réalité. Des documents justifiant du contrôle de la réalité des prestations de coopération, suivis le cas échéant de la restitution des avantages indûment accordés, ont été versés au dossier.

d) Des avantages liés à des opérations ponctuelles, à l'occasion, par exemple, de l'ouverture de nouveaux magasins, sont accordés par la société Philips suivant un taux ou un montant variant selon les produits et les familles de produits : de 3 à 6 % en valeur relative, ou de l'ordre de 200 à 600 F, en valeur absolue. Les distributeurs en sont informés. Aucune pièce du dossier n'atteste de l'existence d'une contestation, ni sur leur principe, ni dans leur application.

e) Des "avoirs sur transaction" sont négociés par la société Philips avec la grande distribution. Ces avantages s'apparentent à des primes de "référencement" car elles rémunèrent l'assurance pour le fournisseur que les produits de sa marque seront offerts à la vente, pendant de larges périodes, et pour des assortiments importants, par les revendeurs concernés. De plus, le référencement peut s'accompagner, ou non, selon les enseignes de la centralisation des livraisons et de la facturation. En considération de l'importance de l'assortiment des produits référencés, de la durée des périodes de référencement, des quantités de matériels et de la centralisation des livraisons et de la facturation, les primes octroyées par Philips peuvent varier de 1 à 7 %.

Huit revendeurs ont bénéficié de ces avantages en 1988 et onze en 1992, six autres en ont bénéficié occasionnellement.

f) De plus, pour l'année 1992, aux termes d'une clause nouvelle introduite dans les conditions de vente, la société Philips a demandé à ses clients de signer et respecter une charte intitulée "partenaire qualité service" ; le défaut de souscription entraîne le retrait de cinq points de la remise de base. En pratique, il s'agit pour les distributeurs qui s'engagent à assurer le service après-vente d'utiliser le formulaire type de contrat de garantie établi par la société Philips, dont le cadre a été rendu obligatoire par le décret n° 87-1045 du 22 décembre 1987 relatif à la présentation des écrits constatant les contrats de garantie et de service après-vente.

Il résulte des pièces du dossier que la société Philips communique ses conditions de vente à ses revendeurs, en particulier à la SA Jean Chapelle à qui elle a adressé vingt et une lettres en 1990 et dix en 1991 pour l'informer sur ses tarifs, les modifications intervenues et les promotions.

Ni l'enquête administrative, ni l'instruction n'ont permis de déceler les autres remises dont, selon M. Chapelle, les "rumeurs de la profession font état".

II- SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Sur la procédure :

En ce qui concerne les moyens soulevés par la SA Concurrence et par M. Jean Chapelle

Considérant, en premier lieu, que M. Jean Chapelle, au nom de la SA Concurrence, conteste, par lettre du 30 janvier 1997, la validité de la notification du rapport à la SA Jean Chapelle qui aurait dû, selon lui, être adressé à la SA Concurrence laquelle n'aurait pas reçu ce rapport ; qu'il fait valoir à l'appui de sa demande que la SA Jean Chapelle n'a plus d'existence légale depuis sa radiation du registre du commerce et des sociétés le 20 février 1996 consécutive à son absorption par la SA Concurrence le 30 décembre 1995 ;

Mais considérant que Mme Blandine Chapelle, présidente de la SA Concurrence, a accusé réception le 28 novembre 1996 du rapport ; qu'en outre, Mme Chapelle, représentante légale de la SA Concurrence, a confirmé dans une lettre du 13 février 1997 adressée au Conseil de la concurrence la réception du document en ces termes : "C'est moi qui ai accepté la lettre recommandée adressée à M. Chapelle, président de la SA Jean Chapelle, car la société Concurrence a absorbé la SA Jean Chapelle le 31 décembre 1995, en reprenant ses droits et obligations" ; que de plus, M. Chapelle, à titre personnel et au nom de la SA Concurrence, a contesté les conclusions du rapport dans sa lettre du 30 janvier 1997 adressée au conseil ; qu'il apparaît dans ces conditions que la notification du rapport était régulière et a permis à la partie saisissante d'exercer ses droits ;

Considérant, en deuxième lieu, que M. Jean Chapelle demande que le rapport lui soit personnellement notifié en sa qualité de partie saisissante dans la procédure F 169 ; mais considérant que l'entreprise Jean Chapelle qui a saisi le conseil le 27 juin 1988, a cessé toute activité depuis sa radiation du registre du commerce le 9 août 1989, et que les droits reconnus à cette entreprise dans la présente procédure étaient exercés, en ses lieu et place, par la SA Jean Chapelle depuis le 23 mars 1992 ; qu'il n'y a pas lieu dans ces conditions de notifier le rapport personnellement à M. Chapelle ;

Considérant, en troisième lieu, que la SA Jean Chapelle conteste l'opportunité de la jonction de la saisine du 27 juin 1988 (F 169) avec les saisines du 26 mars 1992 (F 493) et du 10 avril 1992 (F 499) décidée à l'occasion de la proposition initiale de non-lieu, puis confirmée par la notification des griefs du 10 octobre 1994, au motif que les faits dénoncés seraient de nature différente et mériteraient des instructions distinctes ; qu'il sollicite, en conséquence, la disjonction des procédures et le renvoi pour instruction complémentaire des faits commis au cours des années 1991 et 1992 visés dans les deux dernières saisines ;

Mais, considérant qu'en l'espèce, les saisines se rapportent à des pratiques connexes mises en œuvre sur un même marché par une même entreprise ; que le fait de n'avoir demandé une enquête administrative qu'à la suite de la première saisine ne saurait faire obstacle à l'examen conjoint des deux suivantes dès lors que le recours à une enquête n'est nullement imposé par les règles de procédure prévues pour l'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et que les pratiques dénoncées ont été analysées par le rapporteur à l'occasion de son instruction ; que dans ces conditions, la disjonction des trois saisines n'a pas lieu d'être ordonnée ;

Considérant, en quatrième lieu, que par décision n° 93-DSA-01 du 18 janvier 1993, prise sur le fondement des dispositions de l'article 23 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le président du Conseil de la concurrence a retiré du dossier de la procédure un certain nombre de pièces et occulté certaines informations relevant du secret des affaires ;

Considérant que l'article 19 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987 prévoit que les décisions de cette nature ne peuvent faire l'objet d'un recours qu'avec la décision du conseil sur le fond ; qu'en conséquence, la demande de communication des pièces ainsi retirées ou occultées présentée par la partie saisissante ne saurait être accueillie ;

Considérant, en cinquième lieu, que la SA Jean Chapelle prétend que la société Philips aurait eu communication des pièces du dossier antérieurement à la notification des griefs, à seule fin de lui permettre de présenter sa demande fondée sur les dispositions de l'article 23 de l'ordonnance précitée, et soutient que cette communication aurait porté atteinte au principe du contradictoire ;

Mais considérant que, par application des pouvoirs qu'il tient de l'article 23 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le président du Conseil de la concurrence a retiré du dossier de la procédure ou occulté, d'une part, des pièces transmises par la société Philips et pour lesquelles a été expressément demandé le bénéfice de la confidentialité par cette société, et d'autre part, de sa propre initiative, des pièces de l'enquête administrative déjà jointes au dossier auquel la société Philips n'avait pas encore eu accès ; que dans ces conditions les allégations de la SA Jean Chapelle ne sont pas fondées ;

En ce qui concerne les moyens soulevés par la société Philips :

Considérant, en premier lieu, que la société Philips fait valoir que la SA Jean Chapelle a affirmé dans sa saisine du 10 avril 1992 (F 499) qu'un taux de remise de 7 % était accordé par la société Philips à ses distributeurs en rémunération de certains services, en se référant expressément à l'instruction d'une procédure à laquelle la société mise en cause n'a jamais été partie ; qu'elle aurait ainsi violé le principe du contradictoire en divulguant une information couverte par la confidentialité prévue par les dispositions de l'article 24 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'elle soulève, en conséquence, l'irrecevabilité de cette saisine qu'elle considère entachée de nullité ;

Mais considérant que l'indication des taux de remises pratiqués par la société Philips en rémunération des prestations de coopération commerciale a été régulièrement recueillie, tant au cours de l'enquête administrative que de l'instruction des deux autres saisines faisant l'objet de la présente décision ; que ces informations n'ont pu, de ce fait, échapper au débat contradictoire ; que dans ces conditions, la demande de la société Philips doit être rejetée ;

Considérant, en second lieu, que la société Philips demande au conseil de "tirer toutes les conséquences" de la transaction qu'elle a signé le 15 octobre 1991 avec la SA Jean Chapelle, et du désistement partiel de la partie saisissante ;

Considérant, en effet, qu'à l'occasion de son audition par le rapporteur le 23 mars 1992, M. Chapelle a déclaré se désister de sa plainte à l'encontre de la SNC Philips ED déposée le 27 juin 1988, devant le Conseil de la concurrence, pour tous les faits qui ne concernent pas "la validité des ristournes conditionnelles figurant dans les conditions générales de ventes, les lettres d'engagement et les barèmes annexes de Philips ED", étant précisé que ce retrait de plainte était consécutif à une transaction ;

Considérant que le Conseil de la concurrence prend acte du désistement partiel de la SA Jean Chapelle en ce qui concerne les pratiques autres que celles relatives à la validité des ristournes conditionnelles figurant dans les conditions générales de ventes, les lettres d'engagement et les barèmes annexes de Philips ED, visées dans la saisine initiale du 27 juin 1988 ;

Sur les pratiques dénoncées :

Sur les remises octroyées en fonction des engagements d'achat des distributeurs :

Considérant que la SA Jean Chapelle soutient dans ses saisines F 169, F 493 et F 499 que les remises conditionnelles différées, contenues dans les conditions de vente établies par la société Philips, visaient à fausser le jeu de la concurrence, en imposant des marges bénéficiaires à ses distributeurs empêchés de répercuter le montant des ristournes dans leurs prix de vente, tant que les objectifs fixés n'étaient pas réalisés ; qu'elle soutient par ailleurs, que les "engagements d'achat" des distributeurs étaient fixés par le fournisseur dans des conditions discriminatoires ;

Mais considérant, d'une part, que s'il était interdit à un distributeur, en vertu de l'article 32 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans sa rédaction en vigueur au moment des faits, de revendre en l'état un produit à un prix inférieur à son prix d'achat, il avait toute faculté, pour fixer son prix de revente, de déduire du montant de la facture du fournisseur les remises dont le principe était acquis et le montant chiffrable au jour de la facturation ;

Considérant, à cet égard, que la Cour d'appel de Versailles, par arrêt définitif en date du 9 octobre 1990, a relaxé M. Brossard, directeur de la société Philips, poursuivi du chef de délit d'imposition de marge sur citation directe de la SA Jean Chapelle ; qu'il résulte de cette décision que ce type de remise conditionnelle est licite au regard des dispositions de l'article 1170 du Code civil et ne relève pas du domaine des prix imposés ou des marges minimales ; qu'en conséquence, la SA Jean Chapelle était autorisée à déduire de ses factures d'achat le montant de ces remises pour déterminer le seuil de revente à perte ;

Considérant, d'autre part, que les ristournes sont calculées sur la base d'engagements d'achats négociés en fonction des potentialités des revendeurs ; qu'il ne résulte pas du dossier que des distributeurs se soient trouvés dans l'impossibilité de tenir leurs engagements ; que comme il a été indiqué au B c de la présente décision, les litiges commerciaux qui ont opposé la société Philips à la SA Jean Chapelle et à la Serap, relativement à la détermination du montant de leurs engagements d'achat, ne démontrent pas la volonté du fournisseur de refuser à certaines catégories de distributeurs, des avantages octroyés à leurs concurrents ; que dès lors, il n'est pas établi que ces prévisions aient donné lieu à des discriminations destinées à empêcher certains distributeurs de bénéficier de ces remises leur permettant d'exercer la concurrence par les prix ;

Sur les remises octroyées en rémunération des prestations spécifiques fournies par les distributeurs :

Considérant que la société Philips, aux termes de contrats de coopération commerciale, rémunère ceux de ses distributeurs qui s'engagent en contrepartie, à offrir sur les lieux de vente des prestations de services spécifiques ; que les taux de rémunération, non précisés dans un barème, font l'objet d'une négociation entre le fournisseur et ses distributeurs ;

Considérant qu'il est loisible à un fournisseur d'octroyer de tels avantages qualitatifs s'il estime que les consommateurs apprécient les services rendus par les distributeurs et s'il peut espérer ainsi maintenir ou conforter son image de marque et, par voie de conséquence, développer ses ventes et intensifier la concurrence avec les autres marques; qu'une telle pratique n'est pas en elle-même de nature à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence, à la condition cependant que les conditions d'obtention de ces ristournes n'excluent pas des distributeurs qui seraient prêts à fournir les services considérés, qu'elles soient définies de façon objective et ne soient pas appliquées de façon discriminatoire, et qu'elles n'aient ni pour objet ni pour effet de limiter la liberté des commerçants de déterminer de façon autonome leur politique de prix de revente;

Considérant que la société saisissante allègue, dans ses saisines F 493 et F 499 de 1992 visant les pratiques de la société Philips postérieures au désistement partiel dont il a été fait état plus haut, que les avantages alloués en contrepartie de ces services visaient à fausser le jeu de la concurrence en imposant des marges minimales à ses distributeurs empêchés, selon elle, de répercuter l'incidence de ces avantages dans leurs prix de revente ; et qu'en outre, la société Philips aurait consenti ces avantages dans des conditions discriminatoires ;

Mais considérant, d'une part, que la Cour d'appel de Versailles qui a examiné les conditions d'octroi des remises pour coopération commerciale par la société Philips, a jugé dans son arrêt définitif rendu le 9 octobre 1990, que les distributeurs qui établissent eux-mêmes la facturation des services de coopération commerciale au fournisseur en connaissent par conséquent les éléments, ce qui leur "permet de les prendre en compte pour déterminer le prix plancher" ; qu'ainsi depuis cette décision, antérieure aux saisines F 493 du 26 mars 1992 et F 499 du 10 avril 1992, la SA Jean Chapelle ne peut plus soutenir que la rémunération de la coopération commerciale par la société Philips a pour but de relever fictivement le prix de revente au consommateur en privant le distributeur de la possibilité d'en tenir compte pour déterminer le seuil de revente à perte ;

Considérant d'autre part, que premièrement, l'enquête diligentée par la direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes a établi que la société Philips exerçait un véritable contrôle sur la réalité des prestations de coopération commerciale que ses distributeurs s'étaient engagés à fournir, et que, comme il a été indiqué dans le B c de la présente décision, les rémunérations indûment perçues par certains distributeurs ont fait l'objet de restitution ; que deuxièmement, le litige commercial qui a opposé la SA Jean Chapelle à son fournisseur à l'occasion de la négociation d'un contrat de coopération commerciale, ne démontre aucune volonté délibérée de la société Philips, qui a renouvelé en vain ses offres de coopération à ce revendeur, de vouloir écarter une catégorie de distributeurs de la revente de ses produits ; que troisièmement, il est constant que chaque revendeur demeure libre d'adhérer ou non à la "charte qualité et service" qui conditionne le montant de remises supplémentaires ; qu'enfin, il n'est pas établi que la différenciation des taux de rémunération des contrats de coopération commerciale, résultant des négociations bilatérales entre la société Philips et ses revendeurs, ait revêtu un caractère discriminatoire et ait eu une autre origine que la valeur des services effectivement rendus par les différents distributeurs ; qu'en particulier, la circonstance qu'un distributeur ait bénéficié d'une rémunération de 10 % et deux autres d'une rémunération de 5 %, alors que la moyenne se situait entre 7 et 8 %, en l'absence d'autres éléments d'appréciation et compte tenu du fait que les distributeurs rendent des services variés assurés dans des conditions différentes, ne constitue pas la preuve de l'existence d'ententes ayant pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence sur le marché ;

Sur les autres pratiques alléguées :

Considérant que le dossier soumis au conseil ne contient pas d'éléments établissant que les identités de prix qui ont été constatées pour un certain nombre de produits de la marque Philips résulteraient d'une pratique de prix imposés de la part de la société Philips ou d'une concertation entre les distributeurs en vue d'une fixation de prix communs ; qu'en effet, si à l'occasion de l'enquête administrative diligentée en 1988 dans un échantillon de points de vente dans dix départements, quatre revendeurs implantés dans des zones de chalandise différentes ont affirmé que la société Philips intervenait dans leur politique de prix, en revanche les autres distributeurs interrogés dans les départements du Calvados, des Bouches-du-Rhône, de la Loire-Atlantique, du Nord, du Val-d'Oise, de la Seine-Maritime, de la Seine-et-Marne, et dans les villes de Lyon, de Versailles et de Bordeaux ont tous affirmé bénéficier d'une totale liberté dans la détermination de leurs prix de revente ; que le service d'enquête a relevé, pour sa part, que "de nombreux responsables de magasins apportaient une réponse cohérente" à la relative harmonisation des prix en indiquant "être tenus par leur centrale d'achats de pratiquer une politique d'alignement sur les prix les plus bas observés sur le marché local" ; que dans ces conditions il ne résulte pas de l'instruction que la société Philips ait imposé des prix de revente à ses distributeurs ;

Considérant que la SA Jean Chapelle dénonce enfin des refus ou des retards dans la communication par la société Philips des conditions de vente, des contrats de coopération commerciale et, en particulier, des taux de remises ou de ristournes accordées ;

Mais considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que la société Philips ait refusé de communiquer ses conditions générales de vente, barèmes et autres documents commerciaux ou les ait communiqués avec retard à l'entreprise de M. Chapelle, puis à la SA Jean Chapelle ; qu'au contraire, comme il a été indiqué au B f et au B c de la présente décision, figurent dans le dossier des lettres par lesquelles la société Philips a transmis ses conditions à la partie saisissante, et lui a proposé de conclure un contrat de coopération commerciale, bien qu'aucune commande ne lui ait été adressée depuis 1988 ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il n'est pas établi que la société Philips ait mis en œuvre des pratiques prohibées par les articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1988,

Décide :

Article unique - Il n'est pas établi que la société Philips ait enfreint les dispositions des articles 7 ou 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.