CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 14 décembre 1989, n° ECOC8900155X
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Briffault (SA), Clesse-Mandet (Sté), Mesura (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
MM. Culie, Schoux
Conseillers :
Mme Collomb-Clerc, M. Canivet, Mme Simon
Avoués :
SCP Parmentier-Hardouin, Me Baufumé, SCP Barrier-Monin
Avocats :
Mes Sulzer, Coffy de Boisdeffre, Vogel.
LA COUR est saisie des recours formés par les Sociétés Briffault, Clesse-Mandet et Mesura contre la décision numéro 89-D-21 du 13 juin 1989 du Conseil de la Concurrence qui, pour pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la robinetterie pour gaz domestique, a infligé auxdites sociétés une sanction pécuniaire d'un montant respectif de 300 000 F, 1 600 000 F et 250 000 F en ordonnant la publication du texte intégral de sa décision dans le Moniteur des Travaux Publics.
Référence étant faite à la décision attaquée pour l'exposé des faits et le déroulement de la procédure, il convient de rappeler les éléments suivants :
Le marché de la robinetterie pour gaz domestique se subdivise en deux secteurs dont l'un concerne les équipements nécessaires à la distribution du gaz de pétrole liquéfié (butane et propane) dit GPL, et l'autre, les produits de robinetterie servant à la distribution du gaz naturel.
Durant les années 1983, 1984 et 1985, intéressant les faits de la cause, l'offre de matériels de robinetterie pour GPL a été principalement assurée par trois fabricants, les Sociétés Clesse-Mandet, Briffault, demanderesses au recours, ainsi que par la Société Gurtner.
Durant la même période, les Sociétés Clesse-Mandet et Briffault, déjà citées, ainsi que la Société Mesura, autre demanderesse au recours, ont été les principaux intervenants sur le marché se rapportant aux produits de robinetterie pour gaz naturel.
En outre, ces trois entreprises ont été amenées à soumissionner auprès de Gaz de France puis à passer avec lui des marchés de fournitures d'appareils de régulation utilisés pour l'équipement du réseau de distribution du gaz naturel allant jusqu'au compteur de l'usager, l'installation de cette partie du circuit étant du ressort exclusif de GDF ou d'installateurs par lui agréés.
Pour ce qui a trait au secteur GPL, le Conseil de la Concurrence a relevé, d'une part et à l'encontre des Sociétés requérantes Clesse-Mandet, Briffault ainsi que de la Société Gurtner, l'élaboration concertée de leurs tarifs, dont les rehaussements similaires étaient applicables sensiblement aux mêmes dates, et de conditions de vente uniformes ayant en l'occurrence consisté à plafonner au taux de 48,5 % le montant des remises faites aux clients-grossistes de ces entreprises,
d'autre part, mais à la charge seulement de Clesse-Mandet, de s'être concerté avec la Société Gurtner pour limiter au taux de 3 % le montant des bonifications accordées en fin d'année à divers autres clients.
Pour ce qui concerne le secteur des produits de robinetterie servant à la distribution du gaz naturel, le Conseil de la Concurrence a retenu, d'une part et à l'encontre des Sociétés Clesse-Mandet, Briffault et Mesura, une action concertée pour l'établissement et la mise en application de tarifs identiques ou similaires, d'autre part et à la charge seulement de Clesse-Mandet et Mesura, d'avoir procédé en commun à un réaménagement de leurs tarifs et conditions de vente afin d'attirer au profit de leurs entreprises la clientèle des grossistes.
Enfin, et à l'égard des marchés passés par les Sociétés Clesse-Mandet, Briffault et Mesura avec Gaz de France pour la fourniture à celui-ci de produits de robinetterie pour gaz naturel, le Conseil de la Concurrence a relevé l'existence entre ces entreprises d'une entente sur les prix des produits avant la remise des offres ainsi que lors de négociations menées postérieurement aux soumissions par GDF.
La Société Mesura a formé un recours tendant au principal à voir prononcer l'annulation de la décision déférée au motif que le rapporteur ayant entendu les dirigeants de la Société, sans que ceux-ci aient eu au préalable communication du dossier, l'enquête n'a pas ainsi revêtu un caractère contradictoire et que la nullité en résultant a vicié tous les actes subséquents de la procédure.
A titre subsidiaire, la Société requérante demande la réformation de cette décision en soutenant, pour l'essentiel, que l'échange d'informations intervenu entre les entreprises participant au marché des produits de robinetterie pour gaz naturel n'a porté que sur l'évolution des coûts des matières premières entrant dans les éléments du prix de revient et qu'il n'en résulte aucune restriction de concurrence effective.
La Société Mesura conteste à cet égard toute concertation avec la Société Clesse-Mandet pour la détermination de ses tarifs, la décision prise par les deux entreprises de publier, sous la forme d'une brochure unique, leurs anciens tarifs n'ayant procédé, selon elle, que d'un seul souci d'économie.
La Société requérante dénie également toute entente avec les autres soumissionnaires lors des remises d'offres et au cours de la phase ultérieure de négociation des prix avec Gaz de France, en faisant valoir, de surcroît, et à supposer établie l'existence d'une concertation, qu'il ne pouvait en résulter une atteinte à la concurrence s'agissant d'un marché " administré " par GDF.
A l'appui de son recours en réformation, la Société Briffault soutient, en ce qui concerne le marché pour produits GPL, que :
- le " parallélisme " ayant pu exister entre les taux de hausse de ses tarifs et ceux de ses concurrents est " extrêmement relatif et limité " et résulte, non pas d'une entente, mais de contraintes objectives découlant du marché des produits pour gaz domestique et aussi de la circonstance que les entreprises participant au marché sortaient d'une période de réglementation des prix,
- que les échanges d'informations auxquelles ont procédé les entreprises ont porté sur les seuls coûts de fabrication et non pas sur les prix des produits,
et qu'il n'existe, enfin, pas de preuve de concertation avec ses concurrents pour une uniformisation des conditions de vente, étant observé que la pratique de plafonner le taux des remises à 48, 5 % correspond à un usage ancien de la profession et se trouve dès lors couverte par la prescription.
Par ailleurs et en ce qui concerne le marché des produits de robinetterie pour gaz naturel, la société requérante dénie également toute concertation avec ses concurrents d'une part, pour la détermination des prix de ces produits ou de leurs conditions de vente, d'autre part, à l'occasion des remises d'offres ou de la phase ultérieure de négociation des prix avec Gaz de France.
La Société Clesse-Mandet, qui a formé un recours en réformation de la décision déférée afin que soit modéré le montant de la sanction pécuniaire à elle infligée par le Conseil de la Concurrence, admet dans son principe, mais sauf à en limiter la nature de la portée, l'existence d'une concertation avec les entreprises ayant participé au marché des produits de robinetterie pour GPL.
A sa décharge, la société requérante fait valoir, d'une part et pour expliquer la similitude et la concordance des hausses de tarifs, la circonstance que les entreprises venaient d'être soumises à une longue période de contrôle des prix, d'autre part, que le plafonnement du taux des remises à 48,5 % correspond à un usage ancien et se trouve couvert par la prescription, et qu'il a été au demeurant par elle dérogé à de nombreuses reprises à cette pratique dans ses relations avec la clientèle ; enfin, que les bonifications accordées en fin d'année n'étaient pas alignées sur un taux de 3 %.
La Société Clesse-Mandet soutient, par ailleurs, qu'il n'existe pas à son encontre de preuve de concertation entre elle et ses concurrents sur le marché des produits de robinetterie pour gaz naturel et que l'entente sur le prix, reprochée à l'occasion de la passation de marchés avec Gaz de France n'était, en tout état de cause, pas de nature à fausser la concurrence, dès lors que les soumissionnaires étaient dans une position de dépendance économique à l'égard de GDF, lequel ne se déterminait pas de surcroît en fonction des seuls prix proposés.
Les observations du Conseil de la Concurrence sur les recours exercés tendent à préciser la notion d'entente tant au regard des dispositions de l'ordonnance du 30 juin 1945 que celles du 1er décembre 1986 et de la jurisprudence.
Le Ministre Chargé de l'Economie et le Ministère Public concluent à la confirmation de la décision.
Sur quoi, LA COUR
Sur le moyen tiré de la nullité de la procédure
Considérant que par lettre du 8 octobre 1986 le Ministre Chargé de l'Economie a, en application des dispositions de l'article 52 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 modifiée par la loi n° 77-806 du 19 juillet 1977, saisi la Commission de la Concurrence de la situation de la concurrence dans le secteur de la robinetterie pour gaz domestiques ;
Que le Président de ladite commission, à laquelle s'est régulièrement substitué pour le déroulement ultérieur de la procédure le Conseil de la Concurrence, a par décision du 4 décembre 1986 désigné comme rapporteur Madame Danielle Lamarque ;
Que préalablement à la notification des griefs et avant de clore son enquête, le rapporteur désigné a entendu les responsables des sociétés mises en cause à raison de leur intervention sur le marché de la robinetterie pour gaz domestique ;
Considérant que la Société Mesura, pour solliciter l'annulation de la décision déférée, tire argument de ce que ses dirigeants ont été entendus par le rapporteur sans avoir eu au préalable communication du dossier de la procédure ;
Que selon la société requérante, et alors que les renseignements obtenus à l'aide de ces auditions ont été retenus comme éléments de preuve, l'enquête ainsi diligentée par le rapporteur n'aurait pas eu le caractère pleinement contradictoire qu'appelle la combinaison des articles 18 et 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Que la nullité de l'enquête en résultant aurait dès lors vicié tous les actes subséquents de la procédure, dont la décision attaquée ;
Mais considérant qu'il était loisible au rapporteur désigné, en vertu des pouvoirs à lui conférés par l'article 45 de l'ordonnance précitée et pour parfaire l'enquête, d'entendre les responsables des sociétés concernées ;
Que ceux-ci ont été en l'occurrence, et préalablement à leurs auditions, régulièrement convoqués et avisés par lettre de la possibilité de se faire assister d'un conseil ;
Considérant qu'il a été ainsi satisfait aux dispositions de l'article 20 du décret du 29 décembre 1986 qui, fixant les modalités des auditions auxquelles procède le rapporteur et les garanties qui sont offertes à cette occasion aux personnes entendues, ne prévoient pas toutefois la mise à leur disposition du dossier ;
Que l'accomplissement de cette formalité n'est requise, aux termes de l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qu'au stade ultérieur de la procédure et seulement après notification faite aux parties intéressées des griefs retenus par le rapporteur ;
Considérant que la société requérante ne justifiant pas ainsi d'une atteinte portée aux intérêts de sa défense et au déroulement régulier de la procédure, il n'y a pas lieu d'annuler la décision attaquée ;
Au fond :
I - Sur les ententes se rapportant au marché des produits de robinetterie pour GPL
1°) Par les prix
Considérant que les éléments du dossier contredisent l'argumentation développée par la Société Briffault, et selon laquelle la concertation entre les principales entreprises intervenant sur le marché des produits de robinetterie pour GPL aurait eu pour seul objet l'échange de renseignements sur les coûts de matière première et de main d'œuvre ;
Qu'en effet, force est, tout d'abord, de constater que l'obtention d'informations limitées à l'évolution de ces coûts et la prise en compte de ces seuls paramètres ne peuvent expliquer, compte tenu des autres coûts entrant nécessairement dans la détermination du prix de revient total des produits, l'uniformisation des rehaussements de tarifs pratiqués par les sociétés participant à ce marché ;
Considérant, en outre, que les divers documents (annexes 22 à 31) saisis au cours de l'enquête administrative, notamment dans les locaux des Sociétés Briffault et Gurtner, et qui relatent sous forme de notes manuscrites la teneur d'entretiens entre les dirigeants de ces deux entreprises et ceux de la Société Clesse-Mandet, établissent que l'objet assigné de cette concertation entre professionnels a été, non pas le simple échange de renseignements sur l'évolution des coûts de revient des produits, mais également l'établissement en commun et la mise en œuvre par leurs entreprises respectives de hausses tarifaires ;
Considérant que la Société Briffault est à cet égard mal fondée à contester la signification du document annexé sous le numéro 28 au dossier d'enquête et qui, se rapportant à une réunion tenue en ses locaux le 5 avril 1984, fait apparaître à l'évidence que ladite société s'est à cette occasion concertée avec les Sociétés Clesse-Mandet et Gurtner pour déterminer le montant et la date d'application de rehaussements de tarifs ;
Que le document annexé sous le numéro 30 et qui, découvert également au siège de Briffault, relate des entretiens téléphoniques entre ces mêmes entreprises, est d'une signification tout aussi évidente quant à l'établissement de nouveaux trains de hausses devant intervenir en l'occurrence au dernier trimestre de l'année 1984 et au début de l'année 1985 ;
Considérant, de surcroît, que les divers écrits recoupent en tous points les dires de Jacques Harmand qui, entendu au cours de l'enquête administrative puis par le rapporteur, en sa qualité de gérant de la SARL Favex, a attesté avoir, en avril 1984, assisté à une réunion entre professionnels au cours de laquelle les dirigeants de Briffault, Clesse-Mandet et Gurtner avaient incité sa société, importatrice sur le marché de produits de robinetterie GPL en provenance d'Italie, à " suivre leurs augmentations de prix " ;
Considérant, enfin, qu'en raison de la nature et de la persistance des faits d'entente ci-dessus relevés, est privée de pertinence l'argumentation développée en commun par les Sociétés Clesse-Mandet et Briffault, selon laquelle la similitude et la concordance des rehaussements de tarifs intervenus seraient dues à la spécificité du marché et à la circonstance que les entreprises concernées sortaient d'une longue période de blocage ou de contrôle des prix, une telle réglementation n'affectant pas au demeurant la marge de manœuvre des entreprises par rapport à leurs concurrents ;
Considérant qu'il est, dès lors, acquis que les Sociétés Briffault et Clesse-Mandet, en se concertant entre elles, ainsi qu'avec la Société Gurtner, pour la fixation et l'application des rehaussements de tarifs de leurs produits de robinetterie pour GPL, ont apporté une entrave au libre exercice du jeu de la concurrence par les prix ;
Que de telles pratiques tombent ainsi, et comme l'a relevé à juste titre le Conseil de la Concurrence, sous le coup des dispositions tant de l'article 50 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 que de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
2°) Par les conditions de vente des produits
Considérant qu'entre les faits d'entente sur les hausses de tarifs ci-dessus retenus à l'encontre des sociétés Briffault et Clesse-Mandet, il est établi par les éléments du dossier que ces entreprises se sont concertées entre elles ainsi qu'avec la Société Gurtner sur les conditions de vente des produits de robinetterie GPL ;
Qu'elles ont ainsi décidé, pour résister aux pressions des groupements de grossistes et de concurrents étrangers, de maintenir le principe en usage dans la profession d'un taux de plafonnement des remises à 48,5 % ;
Considérant qu'en plus des déclarations faites en ce sens par les dirigeants des sociétés Clesse-Mandet et Gurtner lors de l'enquête administrative, le gérant de la Sarl Favex a aussi attesté que sa société, dont il est rappelé qu'elle importait sur le marché français des produits fabriqués en Italie, avait été incitée au cours d'une réunion tenue en avril 1984 avec les dirigeants de Briffault, Clesse-Mandet et Gurtner, à s'aligner sur une telle pratique ;
Considérant que les sociétés requérantes soutiennent en vain que les faits contenus dans ce grief d'entente seraient couverts par la prescription, puisque procédant d'un usage ancien dans la profession ;
Qu'il apparaît, en effet, que les dirigeants des Sociétés Briffault et Clesse-Mandet, après avoir donné leur adhésion volontaire à cette pratique commerciale restrictive, se sont ultérieurement concertés entre eux, ainsi qu'avec les représentants de la société Gurtner, pour en maintenir les effets tout au long des années 1983, 1984 et 1985 ;
Considérant qu'il n'importe pas davantage, au regard du grief d'entente fait à ce titre aux sociétés requérantes, que celles-ci aient, comme elles le soutiennent encore, dérogé à ce principe de plafonnement des remises, dès lors que l'objet anti-concurrentiel de cette concertation est prohibé par l'article 7 du 1er décembre 1986, quel qu'en soit son effet ;
Considérant que les pièces du dossier font en outre ressortir, mais à la charge seulement de la société Clesse-Mandet, la pratique concertée avec la société Gurtner de restreindre le libre jeu de la concurrence en arrêtant au taux de 3% le montant des bonifications de fin d'année accordées à leur clientèle ;
Que les dérogations occasionnelles à ce principe dont se prévaut Clesse-Mandet ne sauraient exonérer cette société de la responsabilité par elle encourue au regard de l'article précité de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
II - Sur les ententes se rapportant au marché des produits de robinetterie pour gaz naturel
Considérant que Messieurs Mann et Fleck entendus avec l'assistance d'un conseil le 8 septembre 1987 par le rapporteur, en leurs qualités respectives de Directeur Général et de Directeur Administratif de la Société Mesura, ont en des termes exempts de toute ambiguïté indiqué que leur société, en concurrence sur le marché des produits de robinetterie pour gaz naturel avec les Sociétés Clesse-Mandet et Briffault, avait, à l'occasion de réunions tenues au siège d'un syndicat professionnel (SNIR), et après avoir évoqué l'évolution des différents indices de coûts de production, débattu avec les entreprises concernées de l'opportunité de hausses de tarif ;
Qu'ils ont précisé, à cet égard, que les augmentations de tarifs à intervenir ne pouvaient qu'être identiques, compte tenu de la similitude des formules de révision employées ;
Que ceux-ci ont également indiqué qu'ensuite d'un changement de politique commerciale de GDF, leur société avait élaboré de concert avec Clesse-Mandet une restructuration de tarifs dont l'objet a été d'accroître le taux des remises accordées aux grossistes, étant par eux précisé que l'accord en cause avait été ultérieurement communiqué à la Société Briffault, nouvellement venue sur le marché ;
Considérant que trois documents manuscrits (annexes 45, 46, 29) découverts dans les locaux de la Société Briffault, et qui sont datés des 2, 18 juillet et 5 octobre 1984, ne laissent subsister aucun doute sur la nature et la portée de l'entente tarifaire ainsi conclue entre ces trois sociétés ;
Considérant que ces éléments de preuve démentent, d'une part, les affirmations de la Société Mesura selon lesquelles les réunions professionnelles en cause n'auraient porté que sur l'échange de renseignements concernant l'évolution de coût de production où encore des prix anciens ;
d'autre part, celles de la société Briffault qui, tout en reconnaissant avoir été pressentie par Mesura et Clesse-Mandet, prétend ne pas avoir adhéré à cette entente tarifaire ;
Considérant, enfin, que les trois sociétés requérantes sont mal fondées à soutenir, mais sans en rapporter au demeurant la preuve, que leur concertation au sein de la profession n'a pas eu en tout état de cause d'effet nocif sur le marché ;
Que l'entente intervenue en l'occurrence entre les Sociétés Mesura, Clesse-Mandet et Briffault pour l'établissement et la fixation en commun des dates de rehaussements de leurs tarifs respectifs, constitue de par son objet même une limitation volontaire au libre jeu de la concurrence par les prix et tombe, dès lors, ainsi que l'a relevé à bon droit le Conseil, sous le coup des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
III - Sur les ententes se rapportant aux marchés passés avec Gaz de France
Considérant que préalablement à l'examen de ce grief d'entente, il convient de rappeler que Gaz de France est seul habilité à installer, jusqu'au compteur de l'usager, l'appareillage de distribution du gaz naturel ;
Qu'il s'approvisionne à cet effet en régulateurs, en faisant des appels d'offres auprès d'entreprises par lui agréées ;
Que le prix des appareils proposés a fait l'objet ultérieurement d'une négociation entre le service central d'approvisionnement de GDF et les entreprises soumissionnaires ;
Considérant que la lecture des documents manuscrits saisis au cours de l'enquête administrative dans les locaux du siège de la Société Briffault (annexes 50 à 54) fait clairement apparaître l'existence d'accords sur les prix, avant la remise des offres, entre cette entreprise et les Sociétés Clesse-Mandet et Mesura ;
Que d'autres notes manuscrites saisies durant l'enquête (annexes 55, 56 et 57) établissent que cette entente entre soumissionnaires s'est poursuivie au cours de la période ultérieure de négociation des prix des produits avec le service central d'approvisionnement de GDF ;
Considérant que l'existence d'une telle concertation entre concurrents a été confirmée, notamment, par Monsieur Flek qui, entendu au cours de l'enquête administrative en sa qualité de directeur administratif de la Société Mesura, s'était exprimé en ces termes : " ...tant au niveau de la négociation avec GDF qu'auparavant lors de la remise des prix, nous échangeons avec nos confrères des informations sur la situation du marché, des taux de hausse résultant de la formule de révision et des prix qui en découlent... " ;
Considérant que, dès lors, et au regard des éléments de preuve ainsi relevés, la Société Briffault est tout d'abord mal fondée à soutenir que les renseignements qu'elle détenait sur les prix pratiqués par ses concurrents ont été obtenus par ses seuls services commerciaux ;
Qu'est également non pertinent l'argument développé dans ses écritures par la Société Mesura et selon lequel elle n'aurait fait que procéder, pour sa part, à des échanges d'informations générales avec ses concurrents portant " sur les coûts et les indices de prix entrant dans la composition des prix " ;
Considérant qu'il convient aussi de rejeter, en raison de son caractère inopérant, le moyen développé par la Société Clesse-Mandet, et repris à leur compte par les Sociétés Briffault et Mesura, selon lequel la concertation n'aurait en tout état de cause pas eu d'effet anticoncurrentiel, dès lors que GDF disposait d'un monopole pour la distribution du gaz naturel et n'aurait pas, de surcroît, retenu les offres en fonction des seuls prix proposés par les soumissionnaires ;
Considérant, en effet, que le monopole attribué à Gaz de France par les pouvoirs publics pour la distribution du gaz naturel ne saurait justifier les faits d'entente sur les prix ci-dessus relevés à l'encontre des Sociétés Clesse-Mandet, Briffault et Mesura ;
Qu'en outre, et s'il est vrai que GDF a pris en compte, conformément aux objectifs qu'il s'est assignés, divers critères pour la passation des marchés, il n'en demeure pas moins que le recours à la procédure d'appel d'offres, par nature concurrentielle, manifeste son intention de rechercher la hiérarchie des prix comme un élément déterminant de sa décision ;
Considérant, dès lors, que la concertation intervenue entre les entreprises soumissionnaires afin de limiter entre eux le jeu de la concurrence par les prix, constitue une pratique illicite au sens des articles 50 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant qu'il résulte ainsi des éléments qui précèdent que les pratiques telles que relevées à l'encontre des Sociétés Briffault, Clesse-Mandet et Mesura par le Conseil de la Concurrence sont constitutives d'entente illicite au sens des articles 50 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Que dans ces conditions et compte tenu du rôle respectif de ces entreprises en l'occurrence il n'apparaît pas que les sanctions pécuniaires infligées par le Conseil de la Concurrence soient excessives ou mettent en péril les sociétés concernées ; Qu'il convient donc de confirmer en toutes ses dispositions la décision attaquée ;
Par ces motifs, Rejette l'exception de nullité de procédure soulevée par la Société Mesura, Confirme les dispositions de la décision n° 89-D-21 rendue par le Conseil de la Concurrence le 13 juin 1989 en ce qu'elles concernent les Sociétés Briffault, Clesse-Mandet et Mesura ; Condamne lesdites sociétés aux dépens.