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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 21 octobre 1997, n° ECOC0000420X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Communication Media Services CMS (SA), France Télécom

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Thin

Conseillers :

Mme Mandel, M. Boval, Mme Deurbergue, M. Cailliau

Avoués :

SCP Duboscq Pellerin, SCP Valdelièvre Garnier

Avocats :

Mes Blazy, Voillemot.

CA Paris n° ECOC0000420X

21 octobre 1997

LA COUR statue après avoir ordonné, dans son arrêt du 18 février 1997, auquel il est renvoyé pour l'exposé détaillé des éléments de l'espèce et des moyens de l'Office d'Annonces, de la société Communication Média Services SA, de France Télécom, mise en cause d'office, et du Ministre de l'économie, une mesure de sursis à statuer sur la sanction pécuniaire à infliger à France Télécom.

France Télécom s'est vu notifier un grief d'abus de position dominante sur le fondement de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, pour avoir décidé d'éditer un annuaire local dans la même zone et au même moment que celui édité par la société CMS, alors qu'elle avait connaissance du lancement de "l'annuaire soleil" dans la zone de Versailles.

Dans son arrêt précité la Cour a estimé que, par sa politique éditoriale, France Télécom avait permis le lancement d'un prototype gratuit et l'édition d'annuaires locaux sans étude préalable ni prise de risque financier, pour faire barrière à l'arrivée d'un concurrent sur un marché qu'elle contrôlait entièrement, caractérisant ainsi un abus de position dominante ; que le libre accès aux activités de l'édition n'était pas de nature à justifier le comportement abusif de France Télécom qui avait eu recours à des procédés d'élimination dépassant les exigences du maintien ou du développement de sa position sur le marché, face à l'arrivée d'un concurrent sur un nouveau concept.

La Cour a caractérisé la gravité des agissements anticoncurrentiels de France Télécom en se référant aux méthodes employées pour renforcer les barrières à l'entrée sur le marché de l'édition des annuaires, très protégé au moment des faits en raison de son caractère monopolistique.

Le dommage à l'économie résulte, aux termes de cet arrêt, de la prétention de France Télécom de maintenir par des moyens déloyaux sa position de monopole sur le marché de l'édition des annuaires, alors que le législateur avait décidé de l'ouverture de ces marchés à la concurrence des entreprises privées.

La participation de France Télécom dans le capital de l'ODA (48,81%) ne dispensant pas la Cour, pour respecter le principe de proportionnalité, de fonder la sanction pécuniaire envisagée contre France Télécom sur le montant du chiffre d'affaires réalisé au cours du dernier exercice clos, le sursis à statuer a dû être prononcé en l'absence de cet élément chiffré indispensable.

Les services de la DGCCRF ont recueilli ce renseignement par procès-verbal établi le 19 mars 1997, dont il ressort que le chiffre d'affaires réalisé par France Télécom était en 1995 de 133 046 088 599,62 F., et en 1996 de 134 726 107 289,66 F.

Dans ses observations déposées le 6 août 1997, France Télécom fait valoir que :

la gravité des faits doit être tempérée par l'arrivée sur le marché d'un concurrent entré illicitement sur le marché et appliquant une politique commerciale parasitaire, constitutive de concurrence déloyale,

les critères habituels de gravité des faits ne sont pas établis en l'espèce, s'agissant d'un comportement ponctuel qui ne concerne que l'une des opérations lancées par France Télécom dans le cadre de ses activités,

les pratiques relevées par la Cour dans son précédent arrêt n'ont pas permis la réalisation des objectifs prêtés à France Télécom et doivent s'analyser comme une simple tentative dépourvue de tout impact sur l'activité de CMS,

Dans ses observations écrites déposées le 4 septembre 1997 la Ministre de l'économie souligne que la Cour a déjà motivé, dans son arrêt du 18 février 1997, le principe de la sanction pécuniaire à infliger à France Télécom, la contestation de cette motivation ne pouvant être discutée que devant la Cour de Cassation.

Le Ministre de l'économie estime que la cour a parfaitement délimité les responsabilités de chaque opérateur et retenu les agissements anticoncurrentiels de France Télécom pour sa seule politique éditoriale.

La gravité des faits reprochés a été soulignée par la cour et la disparition de la société CMS, à l'issue du contentieux qui l'a opposée à France Télécom et à l'ODA, témoigne de l'efficacité des pratiques poursuivies.

Le dommage à l'économie résulte de l'absence de toute chance laissée à un nouveau concurrent d'entrer sur ce nouveau marché, éliminant ainsi toute possibilité de voir se développer une concurrence au détriment du consommateur.

Le Ministre de l'économie reprend donc la demande formée par le commissaire du gouvernement devant le conseil de la concurrence sur le montant de la sanction pécuniaire tendant à prononcer à l'encontre de France Télécom une sanction de 20 millions de francs, en soulignant que les agissements de l'ODA n'auraient pas été rendus possibles sans le concours de France Télécom.

La société Communication Media Services, dans son mémoire en réplique, déposé le 17 septembre 1997, estime que le principe de la sanction des pratiques anticoncurrentielles de France Télécom a été tranché par l'arrêt du 18 février 1997 et que les observations de France Télécom à cet égard sont inopérantes. Elle relève que les critères d'appréciation de la sanction ont été caractérisés par la cour dans son précédent arrêt, tant en ce qui concerne la gravité des faits que le dommage à l'économie. Le prononcé de la liquidation judiciaire de la société CMS conforte sur ce dernier point l'analyse de la Cour dans son précédent arrêt.

La gravité équivalente des agissements anticoncurrentiels de France Télécom et de l'ODA devrait conduire au prononcé d'une sanction pécuniaire à l'égard de France Télécom qui ne saurait être inférieure en valeur relative à celle infligée à l'ODA.

Dans ses observations en réplique déposées le 18 septembre 1997 la société France Télécom soutient que la politique éditoriale qui lui est imputée ne peut être dissociée des pratiques parasitaires, frauduleuses et déloyales menées à la même époque par la société CMS, sans lesquelles le nouveau produit de CMS n'aurait pu voir le jour.

Elle conteste toute relation de causalité entre la mise sur le marché par France Télécom d'un annuaire local dans la région de Versailles et la liquidation judiciaire de la société CMS, qui ne serait le résultat que des défaillances internes de gestion de cette dernière.

Elle estime enfin que le dommage à l'économie s'apprécie en fonction des incidences concrètes des pratiques constatées sur le marché, alors qu'en l'état il ne lui est reproché qu'une tentative d'éviction, impuissante à produire le moindre effet.

En l'espèce, la société CMS n'a pas été empêchée de lancer son propre annuaire local et la politique éditoriale de France Télécom n'a eu aucun effet sur le marché de l'édition des annuaires.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que, nonobstant les termes de l'arrêt du 18 février 1997, qui ont caractérisé la gravité des faits reprochés à la société France Télécom et le dommage causé à l'économie résultant de ses agissements anticoncurrentiels, il sera néanmoins répondu aux moyens soutenus par France Télécom dans la mesure où, tout en contestant de manière inopérante et par principe l'hypothèse d'une sanction, cette société fait indirectement porter le débat sur la proportionnalité de la sanction pécuniaire ;

Considérant que si la gravité des faits, au sens de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, s'entend habituellement de leur répétition, de leur durée, de leur ancienneté et de leur ampleur, leur caractère ponctuel peut avoir, comme en l'espèce, un effet anticoncurrentiel, par son caractère immédiat et brutal, entraînant l'éviction d'un concurrent qui tente de pénétrer le marché par l'utilisation d'un produit voisin;

Que l'utilisation par la société CMS de méthodes qualifiées de déloyales ou de frauduleuses, ayant reçu une sanction judiciaire par une condamnation, devenue définitive, à des dommages-intérêts, est sans effet sur la qualification des agissements anticoncurrentiels qui ont été mis en place par France Télécom pour y faire obstacle ;

Considérant qu'il est constant que les pratiques anticoncurrentielles reprochées à France Télécom avaient pour objet et ont eu pour effet de faire échec à l'implantation de la société CMS dans un secteur d'activité dont celle-là entendait conserver le contrôle ; que l'effet différé de ces pratiques, qui n'ont pu que contribuer, au moins pour partie, à la liquidation judiciaire de la société CMS, ne peut que confirmer que les pratiques incriminées visaient à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence, alors même que les conséquences fatales pour CMS de cette politique anticoncurrentielle ne se sont concrétisées que plusieurs années plus tard ;

Considérant que l'évocation d'un ancien litige, opposant France Télécom et l'ODA d'une part, et la société CMS d'autre part, pour contrefaçon ou imitation illicite de marque et concurrence déloyale par débauchage massif de personnel, ne saurait atténuer la gravité des faits reprochés à France Télécom, qui a été remplie de ses droits par la condamnation de CMS à lui payer des dommages intérêts ;

Considérant que le dommage à l'économie résulte, comme l'a déjà indiqué la cour dans son arrêt du 18 février 1997, dans la recherche du maintien de son monopole par France Télécom par des agissements anticoncurrentiels, alors que le législateur avait expressément ouvert le marché de l'édition des annuaires à la concurrence du secteur privé ;

Considérant que le chiffre d'affaires réalisé par France Télécom au cours du dernier exercice clos est supérieur à 134 milliards de francs ;

Qu'il convient de tenir compte de ce chiffre dans l'évaluation de la sanction pécuniaire qui lui sera appliquée ;

Considérant que la cour dispose d'éléments d'appréciation suffisants pour prononcer une sanction pécuniaire de 20 000 000 F à l'encontre de la société France Télécom;

Par ces motifs : Prononce à l'encontre de la société France Télécom une sanction pécuniaire de 20 000 000 F. Ordonne la publication par extraits de l'arrêt, dans le délai d'un mois à compter de sa notification, au Bulletin Officiel de la Concurrence et dans le journal Les Echos, Dit n'y a voir lieu à application de l'article 700 du NCPC, Condamne France Télécom aux dépens afférents à la présente procédure.