Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 16 septembre 1997, n° ECOC9710457X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Association pour la promotion et le développement des transports sanitaires d'urgence en Moselle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bargue

Avocat général :

M. Woirhaye

Conseillers :

Mme Beauquis, M. Carre-Pierrat

Avocat :

Me Jacquet.

CA Paris n° ECOC9710457X

16 septembre 1997

Saisi le 23 novembre 1995 par le ministre délégué aux finances et au commerce extérieur de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par des entreprises de transport sanitaire lors de la passation d'un marché avec le centre hospitalier régional de Metz-Thionville regroupant les hôpitaux des secteurs de Metz et de Thionville, le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 96-D-68 du 6 novembre 1996 a infligé les sanctions pécuniaires suivantes :

- 120 000 F à l'Association pour la promotion et le développement des transports sanitaires d'urgence de Moselle (ATSU 57) ;

- 60 000 F à l'Association des transports sanitaires agréés de la Moselle (TSA).

Il convient de rappeler les faits suivants : le 3 août 1993, le CHR de Metz-Thionville a lancé un appel d'offres ouvert afin de sélectionner les entreprises d'ambulances agréées devant assurer les transports sanitaires nécessaires au fonctionnement des services mobiles d'urgence (SMUR) dans les secteurs géographiques de Metz et de Thionville couverts par le CHR. Pour tenir compte de cette double localisation et de la nature différente des prestations à réaliser sur chacun des deux sites, le CHR a scindé l'opération en cinq lots : lots n° 1 et 4 concernant les transports primaires des services mobiles d'urgence de Metz et de Thionville, lots n° 2 et 5 concernant les transports des moyens médicalisés SMUR sur les zones de Metz et de Thionville, lot n° 3 concernant le transport inter-hospitalier Metz-Nancy, spécifique à la zone messine.

A l'ouverture des offres, il a été constaté que seule l'Association pour la promotion et le développement des transports sanitaires d'urgence de Moselle (ATSU 57), regroupant les ambulanciers dont l'activité s'exerce sur Metz, avait soumissionné pour les lots n° 1, 2 et 3, et que seule l'Association des transports sanitaires agréés de la Moselle (TSA), regroupant les ambulanciers dont l'activité s'exerce sur Thionville, avait formulé des propositions pour les lots n° 4 et 5. En outre, les offres des deux associations pour les transports primaires SMUR (lots n° 1 et 4) et pour les déplacements des moyens médicalisés (lots n° 2 et 5) étaient en tous points identiques.

Le Conseil de la concurrence, se fondant sur un compte rendu de réunion ayant eu lieu le 2 septembre 1993 entre les représentants de l'ATSU 57 et de la TSA et sur les déclarations de membres des associations, a retenu qu'un accord portant sur le montant des offres et sur la répartition géographique du marché avait été conclu entre les deux associations préalablement à la remise des plis.

L'association ATSU 57 a seule formé contre la décision du conseil un recours en annulation, subsidiairement en réformation, à l'appui duquel elle fait notamment valoir que :

- le fait pour des entreprises intéressées à un marché, fût-il public, de se réunir avant la date fixée pour le dépôt des offres, pour échanger des informations sur l'appel d'offres, n'implique pas nécessairement l'existence d'une entente ayant pour objet ou pour effet de fausser le jeu de la concurrence ;

- la répartition géographique incriminée a été imposée aux entreprises soumissionnaires par les clauses du cahier des charges du premier appel d'offres lancé en 1990 par le CHR de Metz-Thionville et a été reconduite lors de la passation du second marché, qui comportait les mêmes clauses ;

- il n'existe pas d'entente tarifaire dès lors que les offres uniformes présentées par l'ATSU et la TSA sont identiques à celles du précédent marché " sous réserve des augmentations prévues par les arrêtés intervenus entre-temps ".

La requérante conclut que, sur le marché des transports sanitaires terrestres d'urgence dans les secteurs de Metz et de Thionville, elle ne se trouvait pas directement en concurrence avec l'association TSA.

Le Conseil de la concurrence, dans ses observations écrites, fait valoir qu'aucune clause de l'appel d'offres n'imposait de répartition géographique du marché, sous réserve toutefois de l'existence d'une agence locale sur la zone concernée, et observe que l'entente entre les deux associations tendait à ce qu'aucune d'entre elles ne procède à une implantation nouvelle, ce qui aurait permis l'exercice de la concurrence souhaitée par le CHR ;

Le ministre délégué aux finances conclut au rejet du recours et à la confirmation de la sanction aux motifs, d'une part, que l'existence d'une entente préalable à la remise des offres entre les deux associations est établie par les éléments du dossier et, d'autre part, que la requérante n'apporte pas la preuve de ce que ses membres ne disposaient pas d'établissement répondant aux conditions imposées par le cahier des charges sur les deux secteurs de Metz et de Thionville.

Le ministère public a conclu oralement au rejet du recours.

Sur quoi, LA COUR,

Sur la répartition géographique :

Considérant que l'article 4 du cahier des clauses administratives particulières de l'appel d'offres du 3 août 1993 prévoit que les entreprises soumissionnaires doivent avoir leur siège social ou une agence locale représentative dans la zone d'intervention du SMUR de Metz pour celles soumissionnant pour les lots afférents au SMUR du groupement des hôpitaux de Metz, et dans la zone d'intervention du SMUR de Thionville pour celles soumissionnant pour les lots afférents au SMUR du groupement des hôpitaux de Thionville ;

Que le cahier des charges de l'appel d'offres de 1990 comportait une clause identique et que l'ATSU, pour se conformer à cette exigence, avait alors soumissionné pour les seuls lots visant des prestations à effectuer sur son secteur d'intervention : Metz, la TSA soumissionnant pour les lots du secteur de Thionville ;

Que cette délimitation des zones d'intervention a été entérinée par les pouvoirs publics lors de la passation du premier marché en 1990 et n'a pas été remise en cause depuis; qu'elle préexistait donc à l'appel d'offres du 3 août 1993 et ne procède pas, contrairement à ce que soutient le conseil, d'un accord de volontés intervenu entre les deux associations, à l'occasion de l'appel d'offres de 1993, seul en cause dans la présente instance;

Que M. le ministre délégué aux finances tire argument de ce que la requérante ne démontre pas que ses membres n'avaient ni siège ni agence locale représentative dans la zone d'intervention du SMUR de Thionville pour conclure que l'ATSU avait la liberté de soumissionner pour l'ensemble des lots ;

Mais considérant que cette allégation, fondée sur une inversion de la charge de la preuve, ne peut qu'être écartée comme inopérante ;

Considérant, en conséquence, que la preuve d'une entente à laquelle aurait participé 1'ATSU, à l'occasion de l'appel d'offres du 3 août 1993, en vue de se répartir géographiquement le marché avec la TSA, n'est pas établie ;

Sur l'entente tarifaire :

Considérant que les prix applicables aux transports sanitaires affectés au fonctionnement des SMUR sont établis par référence aux tarifs fixés par arrêtés ministériels, étant observé que les tarifs indiqués pour chaque type de transport et selon les zones constituent un plafond et que les entreprises d'ambulances demeurent libres de consentir des réductions ;

Considérant qu'au cours d'une réunion tenue, antérieurement à la remise des plis, au siège de l'entreprise Hinault, membre de l'ATSU, les représentants des deux associations, dans le but d'écarter du marché les offres, à leurs yeux compétitives, des sapeurs-pompiers, ont décidé de proposer pour les prestations similaires un prix uniforme, inférieur à l'offre attendue de ceux-ci ;

Que l'unicité de tarifs, qui n'est aucunement justifiée par une identité des coûts d'exploitation des diverses entreprises, a fait obstacle à la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence et caractérise dès lors le manquement aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relevé par le conseil ;

Sur la sanction :

Considérant que les agissements de l'ATSU revêtent une gravité certaine du fait qu'étant avec la TSA les seuls opérateurs sur le marché en cause, l'entente tarifaire a été déterminante des prix pratiqués sur l'ensemble de ce marché ;

Que la cour réformant la décision attaquée en ce qu'elle a retenu l'existence d'une entente sur la répartition géographique du marché, il y a lieu de réduire la sanction pécuniaire prononcée qui doit demeurer proportionnée, notamment, à la gravité des faits.

Par ces motifs, Réforme la décision n° 96-D-68 du 6 novembre 1996 du Conseil de la concurrence, sauf en ce qu'elle a retenu une entente sur les prix ; Prononce en conséquence à l'encontre de l'association ATSU une sanction pécuniaire de 80 000 F ; Condamne l'association ATSU aux dépens.