Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 9 décembre 1997, n° ECOC9710424X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rolex France (SA), Montres Rolex (SA)

Défendeur :

Arije (Sté), Penet-Weiller (ès qual.), Licia (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Canivet

Président :

Mme Thin

Avocat général :

M. Woirhaye

Conseillers :

Mmes Mandel, Marais, M. Boval

Avoués :

SCP Varin-Petit, SCP Duboscq, Pellerin

Avocats :

Mes Deubel, Jourde, Penet-Weiller, de Frouville, Gros, Waltensphul, SCP Faure, associés.

CA Paris n° ECOC9710424X

9 décembre 1997

LA COUR statue sur les recours formés par la société Montres Rolex SA et sa filiale française, SAF des Montres Rolex (aujourd'hui Rolex France) à l'encontre de la décision n° 96-D-72 du Conseil de la concurrence du 19 novembre 1996, relative aux pratiques constatées dans la distribution des montres Rolex, qui a :

- dit que la société Montres Rolex SA a enfreint les dispositions des articles 85, paragraphe 1, du traité de Rome et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et la société SAF des Montres Rolex les seules dispositions de l'article 7 de l'ordonnance précitée ;

- enjoint à la société Montres Rolex SA de modifier :

- la clause III-1-a de manière à ce qu'elle ne limite pas le champ de la sélection des distributeurs aux seuls établissements spécialisés en horlogerie-bijouterie ;

- la clause III-2 faisant dépendre la sélection du distributeur de l'appréciation par la société Rolex des possibilités locales de vente ;

- la disposition c du point V-3 prévoyant que la société Rolex accorde, après entente préalable, un crédit pour les campagnes publicitaires régionales du distributeur Rolex dans la mesure où la publicité n'a pas d'effet nuisible sur les rapports entre les sociétés Rolex et les autres distributeurs Rolex ;

- infligé une sanction pécuniaire de 178 000 F à la société Montres Rolex SA et de 136 000 F à la SAF des Montres Rolex.

La SAF des montres Rolex est l'importateur et le distributeur exclusif sur le territoire français (sauf pour les zones hors douane des aéroports internationaux) des montres revêtues des marques Rolex ou Tudor, fabriquées par la société suisse Montres Rolex SA et commercialisées au moyen d'un réseau de distribution sélective applicable dans les pays de la Communauté européenne, régi par un contrat-type intitulé Accords de distribution Rolex pour le commerce de détail spécialisé dans le Marché commun.

Ce contrat-type a été notifié à la Commission européenne, le 22 décembre 1977, par la société Rolex SA agissant tant en son nom qu'au nom de ses filiales française, anglaise, belge et allemande.

La SAF des Montres Rolex, qui approvisionne en France les quelque 155 distributeurs agréés du réseau ainsi constitué, a continué à livrer, jusqu'au début des années 1990, six points de vente appartenant à des sociétés non-signataires des accords de distribution avec lesquelles elle avait noué des relations commerciales sous l'empire de la réglementation ancienne, exigeant toutefois de celles-ci qu'elles intègrent le réseau de distribution sélective par la signature desdits accords et par leur mise en conformité aux clauses qu'ils comportent et leur octroyant les délais nécessaires et uniformes pour y procéder.

Refusant de signer le contrat-type Rolex, la société Licia et la société Arije, spécialisées dans la vente hors taxe, ont saisi, le 9 août 1990 et le 28 novembre 1991, le Conseil de la concurrence, estimant que les pratiques mises en place par les sociétés Rolex étaient anticoncurrentielles.

Estimant que les accords de distribution Rolex, qui exigent des distributeurs qu'ils disposent d'un établissement spécialisé (III-l a) et d'un atelier comportant un personnel ayant reçu la formation d'horloger spécialisé (III-1 d), qui prennent en compte les possibilités locales de vente pour sélectionner les distributeurs parmi les nombreux établissements spécialisés existants (III-2) et qui accordent, après entente préalable, un crédit pour les campagnes publicitaires régionales (V-3 d), comportent des clauses de nature anticoncurrentielle ou qui sont appliquées, s'agissant de l'aménagement d'un atelier avec un personnel spécialisé, de façon discriminatoire par la filiale française, le Conseil de la concurrence a rendu, le 19 novembre 1996 la décision précitée.

La société Montres Rolex SA et la SAF des montres Rolex poursuivent l'annulation de cette décision ou, à défaut, sa réformation prétendant :

I- Sur la procédure :

Sur la recevabilité de la saisine :

Que l'autorité de la chose jugée, qui s'attache aux décisions antérieurement rendues par la Cour d'appel de Paris et par la Cour de cassation, sur des faits et des moyens identiques opposés, devant ces juridictions, par la société Licia aux sociétés Rolex, rend irrecevable la saisine du Conseil de la concurrence ;

Que la société Montres Rolex ne peut se voir reprocher d'avoir enfreint les dispositions des articles 85-1 du traité de Rome et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dès lors qu'aucune entente n'est susceptible de lui être imputée, que ce soit avec sa filiale, qu'elle contrôle entièrement puisqu'elle détient 95 % de son capital, ou avec les distributeurs du réseau auxquels elle n'est liée ni commercialement ni contractuellement ;

Qu'à défaut d'effet sensible sur le marché considéré, les accords de distribution Rolex n'entrent pas dans le champ d'application des articles précités ;

Que le classement de la plainte déposée par la société Licia auprès de la Commission des Communautés européennes démontre que les pratiques dénoncées n'ont pas d'objet ou d'effet anticoncurrentiel et ne peuvent être poursuivies.

Sur l'atteinte au principe du contradictoire et aux droits de la défense ;

Que les sociétés Rolex n'ont pas été tenues informées de l'ouverture, à leur encontre, d'une instruction par le Conseil de la concurrence :

Que le principe du contradictoire n'ayant pas été, de ce fait, respecté, toutes les pièces du dossier doivent être écartées des débats et la décision, rendue sur leur fondement, annulée ;

II- Au fond :

Sur les clauses des accords de distribution :

Que l'injonction d'avoir à modifier les clauses sur la spécialisation des distributeurs (III-I-a), sur la sélection des établissements spécialisés existants compte tenu des possibilités locales de vente (III-2) et sur la participation financière aux campagnes publicitaires (V-3- c) procède d'une incompréhension des contraintes de distribution des montres de luxe de haute technicité et/ou d'une dénaturation des clauses incriminées ;

Sur l'application par Rolex France de la clause relative à l'obligation de l'installation d'un atelier de réparation et la présence d'un personnel ayant reçu une formation d'horloger spécialiste :

Que la société Rolex France n'a adopté aucune attitude discriminatoire à l'égard des sociétés plaignantes, spécialisées dans la vente hors taxe, mais a pris la décision de cesser de les livrer en raison de leur refus de signer les accords de distribution Rolex et de se mettre en conformité avec leurs clauses après avoir pris l'engagement de le faire et avoir bénéficié des délais nécessaires ;

Que la rupture des relations commerciales avec ces dernières, qui n'avait pas d'objet ou d'effet anticoncurrentiel, n'était pas de nature à fausser le jeu de la concurrence sur le marché des montres haut de gamme, alors que la part de Rolex France sur ce même marché n'est que de 1,26 % et que les parts des sociétés plaignantes sont inquantifiables car infinitésimales ;

Que Rolex France, en sa qualité de fournisseur, était en tout état de cause en droit de ne pas livrer au détaillant qui refusait de signer un contrat de distribution et, a fortiori, d'en respecter les obligations ;

Sur les sanctions pécuniaires prononcées :

Que les sanctions pécuniaires prononcées à l'encontre des sociétés Rolex sont disproportionnées au dommage qui a pu être causé à l'économie et à la gravité des faits reprochés ;

Que l'absence d'atteinte sensible au jeu de la concurrence sur le marché considéré justifie, en tout état de cause, l'annulation des sanctions prononcées.

La société Montres Rolex SA demande enfin à la cour de condamner l'ensemble des défenderesses au recours à lui payer la somme de 60 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Me Penet-Weiller, mandataire judiciaire à la liquidation de la société Licia, désigné par jugement du Tribunal de commerce de Paris du 22 avril 1997, intervenant à la procédure, s'en rapporte à justice sur le mérite des recours exercés par les sociétés Montres Rolex SA et Rolex Rance.

Par application de l'article 9 du Décret du 18 octobre 1987, le Conseil de la concurrence a présenté des observations écrites sur les moyens exposés.

Le ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, aux termes de ses observations, comme le Ministère public à l'audience, a conclu au rejet du recours tant en ce qu'il concerne les moyens de procédure que les moyens au fond.

Les sociétés Rolex SA et Rolex France, qui ont eu la parole en dernier, ont été invitées à déposer une note en délibéré, si elles l'estimaient utile, pour répliquer aux observations orales du Ministère public, mais n'ont pas usé de cette faculté.

Sur quoi, LA COUR,

I. - Sur les moyens de procédure :

Sur l'autorité de la chose jugée :

Considérant que les sociétés Rolex prétendent que l'autorité de la chose jugée qui s'attache à l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 16 juin 1994 et à celui de la Cour de cassation du 18 juin 1996 ayant reconnu la licéité des accords de distribution Rolex au regard des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dans l'instance qui a opposé ces sociétés à la société Licia, fait obstacle aux poursuites exercées, sur les mêmes griefs et selon les mêmes moyens, devant le Conseil de la concurrence ;

Mais considérant que la décision rendue dans un litige opposant des particuliers est sans effet sur celle que le Conseil de la concurrence, autorité administrative indépendante, investie du pouvoir de sanctionner les pratiques anticoncurrentielles, est amenée à rendre dans l'exercice des fonctions qui lui sont dévolues ;

Que le moyen tiré de l'autorité de la chose jugée doit en conséquence être écarté;

Sur la recevabilité de la saisine du Conseil de la concurrence et la régularité de la procédure suivie :

Considérant qu'aux termes de l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable s'il estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence ou ne sont pas étayés d'éléments suffisamment probants ; qu'il peut, à l'inverse, par une décision non susceptible de recours, engager une procédure de sanction dans les conditions prévues par les articles 21 et suivants de l'ordonnance précitée ; qu'il s'ensuit que le moyen visant à contester la légalité ou le bien-fondé de l'ouverture de la procédure de sanction est irrecevable ; qu'il est, en outre, sans objet dès lors que le Conseil s'est prononcé par une décision au fond dont la validité est soumise à l'appréciation de la cour notamment au regard de la qualification des pratiques incriminées ;

Sur la violation du principe du contradictoire et des droits de la défense :

Considérant que les sociétés Rolex soutiennent que le Conseil de la concurrence a méconnu le principe du contradictoire et des droits de la défense en ne les informant pas des plaintes déposées par les sociétés Licia et Arije ainsi que l'ouverture d'une instruction relative aux clauses de leur contrat de distribution sélective et de la nomination d'un rapporteur, lequel a de surcroît notifié son rapport avant même de procéder de façon régulière à la notification des griefs ; qu'elles sollicitent en conséquence l'annulation de la décision rendue dans de telles conditions ;

Mais considérant, comme le relève à juste titre le Conseil de la concurrence, que les griefs ont été une première fois notifiés à la société Montres Rolex SA par lettre recommandée AR du 9 décembre 1994 reçue le 12 décembre suivant ; que le mandataire général de cette société ayant contesté la régularité de la notification à défaut d'être conforme aux règles de procédure du droit pénal suisse, ladite notification a été réitérée par l'intermédiaire du Procureur de la République à Genève le 3 mars 1995 puis le 19 mars 1996, le rapport étant lui-même adressé par la même voie les 11 décembre 1995 et 18 juin 1996 ; que les griefs ont régulièrement été notifiés à SAF des montres Rolex le 12 décembre 1994 ; que les parties qui ont ainsi été précisément informées des pratiques anticoncurrentielles qui leur étaient reprochées, qui ont pu consulter l'ensemble des pièces du dossier et qui ont disposé d'un droit de réplique qu'elles ont, assistées de leurs conseils, effectivement exercé, formulant dans les délais utiles toutes les observations qu'elles ont estimé nécessaires d'apporter, ne peuvent valablement prétendre n'avoir pu présenter utilement leur défense dans le respect du contradictoire ;

Que les prescriptions de l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qui dispose que l'instruction et la procédure devant le Conseil de la concurrence sont pleinement contradictoires ont ainsi été satisfaites, aucune disposition n'exigeant la notification de l'ouverture de l'instruction ou de la nomination du rapporteur ;

Que le moyen tiré de la violation des droits de la défense et du principe du contradictoire doit, dans ces conditions, être écarté;

II- Au fond :

Sur le marché pertinent :

Considérant que le marché pertinent est le lieu théorique où se confrontent l'offre et la demande de produits ou de services qui sont considérés par les acheteurs ou les utilisateurs comme substituables entre eux mais non substituables aux autres biens ou services offerts ;

Considérant que le Conseil, se référant aux statistiques du comité professionnel de développement de l'horlogerie (CPDH), a exactement décrit et analysé le secteur économique et le marché concerné comme celui des montres haut de gamme ou montres de luxe ;

Considérant que, si au sein de ce marché la gamme de prix publics des montres Rolex est très étendue puisque variant, selon le catalogue général 1990, de 6 000 à 676 700 F, l'essentiel de la production se situe autour d'un prix détaillant moyen de 14 200 F environ, valeur 1989 ;

Que ce prix moyen et les caractéristiques de ces montres - qui tiennent à leur haute technicité, à leur qualité et leur fiabilité, au nombre limité de la production (résultat conjugué du choix délibéré du fabricant et de la complexité des opérations requises pour l'assemblage de leurs composants), à la politique de marque pratiquée et au recours à un nombre restreint de revendeurs spécialisés qui renforcent ainsi, aux yeux des consommateurs, leur notoriété et leur prestige - placent celles-ci aux côtés de montres telles que Cartier, Omega, Longine, Baume & Mercier, Hermès avec lesquelles, pour les acheteurs, elles sont substituables même si, par leur force de référence, elles font figure de leader, lesdites montres ne s'apparentant ni aux montres des grandes marques internationales dont le prix n'excède pas les 2 000/5 000 F et qui, largement diffusées, ne présentent pas le prestige qui s'attache aux précédentes, ni aux montres de haute joaillerie qui par leur prix atteignent une rareté non représentative de la catégorie concernée ;

Que le Conseil, au vu de cette analyse, a retenu, à bon droit que les pratiques incriminées se situaient dans le sous-segment haut des montres de luxe pour lequel il n'est pas contesté que la part de marché de Rolex, en volume, est de l'ordre de 14,4 % ;

Sur l'applicabilité des articles 85, paragraphe 1, du traité de Rome et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant que les sociétés Rolex soutiennent essentiellement que ces dispositions ne sont pas applicables dès lors que :

- l'entente dénoncée comme anticoncurrentielle n'est pas imputable à la société Montre Rolex SA ;

- la plainte déposée par la société Licia devant la Commission des Communautés européennes, qui vise les mêmes griefs, a fait l'objet d'un classement, prouvant ainsi que les accords-types, d'importance mineure, n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité de Rome et n'ont aucun objet ou effet anticoncurrentiel ;

- les accords-types dénoncés n'ont de surcroît pas d'effet sensible sur le marché.

Mais considérant, en premier lieu, que la société Montres Rolex SA est l'auteur des clauses inscrites au contrat-type, par elle notifié à la Commission des Communautés européennes, qu'elle impose aux distributeurs de son réseau par l'intermédiaire de ses filiales ; que le Conseil a exactement indiqué que si les 155 détaillants de son réseau en France et les distributeurs agréés dans les autres pays de la Communauté européenne par les filiales de Rolex n'avaient pas signé le contrat-type avec la société suisse, ils n'en avaient pas moins adhéré au système de distribution sélective mis en place par cette dernière sur l'ensemble du territoire national et de l'Union européenne ; que la société Montres Rolex ne peut, dans ces conditions, valablement prétendre n'être pas concernée par le caractère illicite des clauses incriminées ;

Considérant, en deuxième lieu, que si la plainte déposée par la société Licia devant la Commission des Communautés européennes, sur les mêmes griefs, a fait l'objet d'un classement notifié par lettre du 22 octobre 1992, il convient de relever, comme l'a fait à juste titre le Conseil, que cette lettre du 22 octobre 1992 se réfère expressément à un précédent courrier du 3 mars 1992, qui énonce que la plainte, en tant que telle, ne paraît pas présenter un intérêt communautaire suffisamment important, susceptible de justifier une proposition à la Commission d'ouverture d'une procédure formelle, mais que l'affaire, de par sa nature et sa portée, paraît davantage intéresser les autorités et juridictions nationales compétentes qui en ont, par ailleurs, déjà été saisies et qui sont habilitées à appliquer les règles de concurrence communautaire ; qu'aux termes de cette lettre la Commission n'a nullement exclu les accords de distribution Rolex du champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, précité mais a réservé l'examen de la question et l'application du droit communautaire au juge national;

Considérant, en troisième lieu, qu'il convient de relever :

- d'une part, que la société Rolex SA, qui produit et assemble ses montres en Suisse, a mis en place, au sein de l'Union européenne, un système de distribution sélective régi, de façon uniforme, par l'intermédiaire des six filiales qui s'y trouvent implantées, par un contrat-type dit accords de distribution Rolex pour le commerce de détail spécialisé dans le Marché commun précédemment évoqué ou encore dit Règlement de vente Rolex, de sorte que le commerce sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne comme sur le territoire national, s'en trouve affecté;

- d'autre part, que toute clause relative à la sélection des distributeurs Rolex ou susceptible d'influer leurs choix commerciaux, est de nature à porter atteinte de façon sensible au jeu de la concurrence en raison de la position de Rolex qui détient plus de 14 %, en volume, des parts du marché considéré, ainsi que de la notoriété de sa marque et du prestige qui s'y rattache qui lui confère une qualité de leader et est de ce fait, susceptible d'influer, par un effet d'entraînement, les autres intervenants du marché ;

Que le Conseil a retenu à bon droit que les articles 85, paragraphe 1, du traité de Rome et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 étaient applicables en l'espèce ;

Sur les clauses incriminées :

Considérant que, dès lors qu'ils préservent l'existence d'une concurrence sur le marché, les réseaux de distribution sélective ne sont pas contraires aux dispositions des articles 85, paragraphe 1, du traité de Rome et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 s'ils constituent une exigence légitime eu égard à la nature des produits concernés, notamment en raison de leur haute qualité ou technicité, pour préserver cette qualité et en assurer le bon usage, si les critères de choix des revendeurs ont un caractère objectif, n'ont pas pour objet ou pour effet d'exclure certaines formes déterminées de distribution, ne sont pas appliqués de manière discriminatoire et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire, ces conditions devant être appréciées de façon objective en tenant compte de l'intérêt du consommateur;

a) Sur la clause de spécialité :

Considérant que la société Montres Rolex SA prétend que la clause qui réserve la distribution des produits Rolex aux établissements spécialisés dans la vente d'articles d'horlogerie-bijouterie n'exige pas l'exercice d'une activité unique, comme le Conseil l'aurait, selon elle, à tort estimé ensuite d'une " incompréhension " de cette clause ou d'une interprétation dénaturante ;

Mais considérant que la clause III-1 a des accords de distribution Rolex énonce :

Pour la vente des produits Rolex, la qualité de commerçant suppose :

a) Un établissement de vente au détail ayant une situation privilégiée et un matériel d'exploitation représentatif spécialisé dans la vente des montres seule ou en liaison avec celle des pierres précieuses et des bijoux ;

Que cette clause de spécialisation telle que rédigée exige bien des distributeurs qui souhaitent intégrer le réseau Rolex qu'ils exercent pour seule activité celle de l'horlogerie-bijouterie traditionnelle, ce que le directeur général de la filiale française, en déclarant lors de son audition du 15 mars 1991 : " le réseau de distribution sur l'agrément des lieux de vente comprend uniquement des horlogers-bijoutiers traditionnels " a lui-même reconnu ;

Que le Conseil a relevé, à juste titre, que le critère de sélection ainsi retenu, qui permet à Rolex de réserver la vente de ses produits au circuit des horlogers-bijoutiers traditionnels et a pour objet ou peut avoir pour effet d'exclure a priori toute autre forme de distribution, est discriminatoire etqu'il est, par sa nature même, susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence au sens des articles 85, paragraphe 1, du traité de Rome et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisés ;

b) Sur les possibilités locales de vente :

Considérant que la clause III-2 des accords de distribution Rolex prévoit que :

La société Rolex procède à la sélection nécessaire parmi les nombreux établissements spécialisés existants, compte tenu des possibilités locales de vente des produits Rolex ;

Considérant que la société Montres Rolex SA faisant valoir que la production limitée des montres Rolex, qui répond à des impératifs techniques et à des objectifs de qualité du produit, rend matériellement impossible l'approvisionnement sur le territoire français et communautaire de tous les distributeurs qui, répondant pleinement aux autres critères, souhaiteraient intégrer le réseau ; qu'elle précise que pour procéder à la sélection quantitative du nombre des détaillants, imposée par les contraintes de sa production. Les critères démographiques et économiques appliqués - à savoir les caractéristiques de la population habitant la zone de chalandise concernée (nature de la population, richesse vive, fréquentation extérieure) et l'évolution des demandes des distributeurs situés dans cette zone ou dans les secteurs environnants - sont parfaitement adaptés à la distribution de ses montres ; que cette sélection fondée sur les possibilités locales de vente est la seule sélection adéquate ;

Mais considérant, sans méconnaître les contraintes de distribution résultant des spécificités du produit en cause, qu'il convient de relever que le critère des possibilités locales de vente, non autrement définies, n'est pas, en soi, suffisamment précis pour en permettre une application objective ; qu'aucune définition de la zone de chalandise et de la méthode adoptée pour déterminer l'évolution des demandes n'étant fournies, les distributeurs du réseau ou ceux qui souhaiteraient l'intégrer ne sont pas, de ce fait, en mesure d'apprécier la portée du critère imposé ; que l'application ou l'appréciation de la clause ne peut, dans ces conditions, s'effectuer que de manière subjective et discriminatoire ; que le Conseil en a conclu, à bon droit, que la clause ne constituait pas un critère objectif de sélection des distributeurs et qu'elle tombait, comme telle, sous le coup des interdictions édictées par les articles précités ;

c) Sur la clause relative aux campagnes publicitaires :

Considérant que la société Montres Rolex SA prétend que la clause V-3 qui prévoit que la société Rolex accorde au distributeur, après entente préalable dans chaque cas particulier, un crédit destiné aux frais de publicité effectivement engagés pour les campagnes publicitaires régionales effectuées par ce distributeur dans sa sphère d'activité, laisse à ce dernier une totale liberté commerciale puisqu'il peut mener seul sa campagne publicitaire et que la participation de Rolex n'est ni obligatoire ni automatique et se trouve limitée par l'absence d'effet nuisible sur ses rapports avec les autres membres du réseau ;

Mais considérant que la société Rolex diffusant, au moyen de ses factures, des bons de commandes et des catalogues destinés aux consommateurs, des prix conseillés, dont l'enquête a démontré qu'ils étaient largement respectés même s'il s'agit de prix maxima, le Conseil a exactement relevé que la clause susvisée pouvait avoir pour effet de dissuader les distributeurs de faire porter leurs campagnes publicitaires sur les prix et en a justement déduit qu'elle constituait une entrave à la liberté commerciale tombant sous le coup des dispositions des articles 85, paragraphe 1, du traité de Rome et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur l'application des accords par la société SAF des montres Rolex (aujourd'hui Rolex France) :

Considérant qu'il est reproché à la société SAF des montres Rolex, importateur et distributeur exclusif en France des montres Rolex, d'avoir appliqué de façon discriminatoire les accords de distribution Rolex en ne sélectionnant pas ses distributeurs selon des critères objectifs, notamment en n'exigeant pas uniformément la mise en place d'un atelier de réparation ni la présence d'un horloger-bijoutier ;

Considérant que les distributeurs Rolex se voient en effet imposer, en vertu de l'article III-3 des accords de distribution Rolex, l'obligation de disposer d'un atelier avec personnel ayant reçu une formation d'horloger-spécialiste garantissant l'exécution dans des conditions convenables et dans les délais fixés de toute prestation éventuelle relative à la garantie et au service après-vente ;

Que ce critère qualitatif d'ordre professionnel est justifié par la haute technicité des montres Rolex et leur qualité, qui leur confèrent leur réputation et leur notoriété, ainsi que par le caractère complexe et délicat des opérations de réparation qui doivent s'effectuer dans des conditions de fiabilité conforme à l'image de marque que l'acheteur attache au produit ;

Considérant que le rapport d'enquête du 4 mars 1993 révèle que pour la période 1989/1992, SAF des montres Rolex a agréé et maintenu dans son réseau un nombre important de distributeurs horlogers-bijoutiers qui ne remplissaient pas l'exigence ci-dessus décrite ; qu'ainsi 8 seulement sur les 30 distributeurs visités disposaient d'un atelier autorisé à effectuer les réparations Rolex, 12 points de ventes, essentiellement situés en région parisienne, dont certains disposant d'un atelier, prenaient en charge les petites interventions mais recouraient à la société Montres Rolex SA pour les grosses réparations, 10 distributeurs agréés faisaient appel à des ateliers indépendants ; que le Conseil a précisément relevé à titre d'exemple que l'exploitant Caraud à Paris et la société Frojo à Marseille avaient déclaré l'un le 17 juin 1992 " nous n'avons jamais eu d'atelier de réparation ", l'autre, le 6 avril 1992 " nous avons eu un atelier de réparation jusqu'en 1987 " ;

Que la société SAF des montres Rolex exigeait à la même époque des revendeurs, notamment de type " Shopping " comme les sociétés Arije et Licia, qu'ils se conforment, pour prétendre être livrés en marchandise, aux clauses des accords-types au nombre desquelles figure la double exigence de l'atelier et du personnel spécialisé ;

Qu'au vu de ces éléments et après avoir pertinemment relevé que les sociétés Rolex ne pouvaient utilement opposer la pénurie d'horlogers dès lors que la définition des critères applicables à l'ensemble des membres du réseau Rolex relève de leur seul pouvoir et qu'elles ont maintenu le critère qu'elles avaient défini n'ignorant pas que la pénurie dénoncée en rendrait difficile la mise en place, le Conseil a justement estimé que la SAF des montres Rolex faisait des accords de distribution en cause une application discriminatoire et qu'elle contrevenait ainsi aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur les sanctions :

a) Sur les injonctions :

Considérant que pour solliciter l'annulation des injonctions qui lui ont été adressées la société Rolex SA prétend essentiellement que la modification des clauses des accords de distribution Rolex pour la distribution de ses montres en France aurait de graves conséquences sur l'ensemble du réseau en Europe dans la mesure où une distribution uniforme ne pourrait plus être assurée ;

Mais considérant qu'il n'est nullement établi que les modifications requises placeraient les sociétés Rolex dans l'impossibilité de distribuer leurs produits de façon uniforme au sein de l'Union européenne ; qu'en enjoignant à la société Montres Rolex SA de modifier les trois clauses des accords de distribution précédemment évoquées le Conseil n'a fait qu'user de la faculté que lui reconnaît l'article 13, alinéa 1, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles constatées, dont il a précédemment été démontré qu'elles affectaient sensiblement le jeu de la concurrence tant sur le territoire national que sur celui de l'Union européenne ;

b) Sur les sanctions pécuniaires :

Considérant qu'aux termes de l'article 13, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné ; qu'elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ; que, selon l'alinéa 4, le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos ;

Que les sociétés Rolex soutiennent que les sanctions pécuniaires prononcées à leur encontre sont disproportionnées et doivent être annulées ;

Mais considérant que le Conseil a exactement relevé que la gravité des faits reprochés résultait, pour la société Rolex SA, de ce qu'elle était à l'origine des accords de distribution critiqués, appliqués dans tous les pays de l'Union européenne, et pour SAF des montres Rolex, de la puissance de négociation dont celle-ci dispose compte tenu de la notoriété de la marque et des qualités attribuées par les acheteurs à ces produits ;

Que le dommage à l'économie résultant des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre procède suffisamment de la position occupée par Rolex sur le marché considéré, de l'effet d'entraînement susceptible d'en résulter sur les systèmes de distribution des marques de prestige concurrentes diffusées dans les mêmes points de vente que ceux de la société Rolex ainsi que du fait que des distributeurs comme les sociétés Arije et Licia, dont les ventes de produits Rolex avoisinaient, pour la première un million de francs en 1988 et pour la seconde trois millions de francs en 1990, se soient trouvés ipso facto exclus du réseau par les clauses susvisées ;

Que la société Rolex SA ayant enfin déclaré avoir réalisé en France, au cours de l'exercice 1995, un chiffre d'affaires hors taxes de 178,5 millions de francs français, et la société Rolex France, pour la même période, un chiffre d'affaires hors taxes de 136 millions de francs, et n'excipant pas de difficultés financières particulières, les sanctions prononcées par le Conseil, qui ont tenu compte de la situation individuelle de chacune des entreprises concernées, ne sont pas excessives ;

Que les mesures prises doivent en conséquence être maintenues ;

Par ces motifs, Prononce la jonction des procédures enregistrées sous les numéros de répertoire général 97-5451 et 97-9504 ; Rejette les recours formés par les sociétés Montres Rolex SA et SAF des montres Rolex (aujourd'hui Rolex France) à l'encontre de la décision n° 96-D-72 du 19 novembre 1996 relative aux pratiques constatées dans la distribution des montres Rolex ; Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne les sociétés Montres Rolex SA et SAF des montres Rolex (aujourd'hui Rolex France) aux dépens de la présente instance.