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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 9 septembre 1997, n° ECOC9710337X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société industrielle de matériaux, Carayon (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

Mmes Fabre, Piniot

Avocat général :

M. Salvat

Conseiller :

Mme Guirimard

Avoués :

Mes Fisselier, Blin

Avocats :

Mes Donnedieu de Vabres, Carnelutti.

CA Paris n° ECOC9710337X

9 septembre 1997

Par décision n° 96-D-62 du 22 octobre 1996 relative à des pratiques d'entente relevées dans le secteur de la production et de la distribution de produits en béton dans le département de l'Aveyron, le Conseil de la concurrence a constaté que les différents messages téléphoniques adressés ou reçus par M. Reneault, directeur général de la société SIMAT, constituaient des indices graves, précis et concordants de l'existence d'une concertation entre les sociétés SIMAT et Carayon sur le marché des produits agglomérés en béton de l'Aveyron ayant eu pour effet de fausser la concurrence et leur a infligé, en application de la procédure simplifiée prévue à l'article 22 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, des sanctions pécuniaires d'un montant respectif de 275.000 F et 12.000 F.

Selon les motifs de cette décision, la preuve des pratiques sanctionnées est établie par un faisceau d'indices constitué par le rapprochement de divers éléments graves, précis et concordants recueillis au cours de l'instruction mettant en évidence que la société SIMAT avait participé à une réunion des négociants en produits en béton, tenue à Millau, le 24 juillet 1991, qui avait notamment pour objet de " fixer définitivement (les prix) avec les négociants de Saint-Affrique " et que la société Carayon, par un message téléphonique, avait signalé les difficultés rencontrées avec un concurrent, ce qui démontrait l'existence d'une entente concernant les hausses des prix des produits en béton applicables dans le département de l'Aveyron à compter des 1er août et 1er septembre 1991.

Contre cette décision, la société SIMAT a formé à titre principal un recours en annulation à l'appui duquel elle soutient :

- que le procès-verbal d'audition de M. Reneault, en date du 2 juin 1992, est entaché d'irrégularité en ce que ce procès-verbal ne permet pas de vérifier la compétence territoriale de l'un des agents, que ce document ne reflète pas les constatations et contrôles effectués, que le principe de loyauté devant présider à la recherche de la preuve a été méconnu ;

- que la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence n'a pas revêtu un caractère contradictoire en ce que la notification de griefs ne contenait aucun élément d'appréciation au regard de l'article 13 de l'ordonnance, et qu'il n'existe aucune certitude quant au rôle du rapporteur lors du délibéré.

Formant, à titre subsidiaire, un recours en réformation, la société SIMAT fait valoir :

- qu'aucune force probante ne peut être attachée aux extraits des copies du cahier de messages téléphoniques annexés au procès-verbal d'audition de M. Reneault, en l'absence de mention de certification de leur conformité aux originaux, en ce que deux messages (23 juillet et 6 août 1991), tirés de ce cahier, ne peuvent constituer des indices graves précis et concordants retenus par le conseil, en ce que les mentions retenues ne démontrent pas l'existence de la concertation prétendue, dès lors qu'il n'est pas établi que la société Carayon ait participé à la réunion du 24 juillet 1991 ;

- que les critères retenus par le conseil pour déterminer le montant de la sanction sont dénués de pertinence au regard de la situation de l'entreprise, de son rôle dans la concertation prétendue et de l'absence d'effet de la pratique incriminée sur la concurrence ainsi que l'attitude adoptée au cours de l'instance de nature à constituer une circonstance atténuante.

Elle demande en conséquence à la cour d'annuler, subsidiairement de réformer la décision entreprise, d'ordonner, s'il y a lieu, le remboursement immédiat des sommes par elle versées au titre de la sanction pécuniaire, augmentées des intérêts au taux légal à compter du paiement, lesdits intérêts capitalisés à la date du paiement, et de lui allouer 50.000 F en application de l'article 700 NCPC.

La société Carayon a également formé un recours en annulation, et subsidiairement en réformation, de la décision attaquée au soutien duquel elle invoque, pour l'essentiel :

- le non-respect des dispositions de l'article 27 de l'ordonnance relatif à la prescription ;

- la violation des droits de la défense, en l'absence d'information, avant la notification des griefs qui lui a été adressée, le 15 juillet 1996, de l'existence de l'enquête ouverte en 1992 pour des faits s'étant déroulés en 1991 ;

- la violation du principe de loyauté en ce que l'instruction ne reflète pas, en ce qui la concerne, l'état exact du dossier ;

- l'absence de force probante à son égard du cahier de messages téléphoniques tenu par M. Reneault ;

- le défaut de concordance entre les éléments constitutifs du grief retenu au regard du grief notifié portant sur sa participation à la réunion du 24 juillet 1991 et sur le secteur géographique de l'entente incriminée ;

- l'insuffisance de preuve tenant à une interprétation erronée des mentions figurant sur le cahier des messages téléphoniques, lesquels ne peuvent constituer des indices graves, précis et concordants de sorte que la preuve de sa participation à l'entente n'est pas établie, faute d'établir qu'elle a mis en œuvre les mesures convenues ;

- la sanction infligée ne tient pas compte du principe d'égalité entre les entreprises concernées.

Conformément aux dispositions de l'article 9 du décret du 19 octobre 1987, le conseil a déposé des observations écrites :

- soulignant que la demande des enquêteurs portant sur la communication des agendas des années précédentes et des cahiers des messages téléphoniques pour les années 1991 et 1992 n'étaient ni générales ni imprécises ;

- estimant que le moyen tiré de l'irrégularité du procès-verbal d'audition de M. Reneault écarté en raison de l'irrégularité des autres procès-verbaux auxquels ce document est lié, présenté pour la première fois devant la Cour, doit être écarté dès lors que les mentions de ce procès-verbal mettent en évidence que l'auteur des déclarations ne pouvait se méprendre sur la portée de celles-ci, et que les mentions du cahier des messages téléphoniques constituent des éléments de preuve objectifs, distincts des renseignements obtenus par ailleurs sur les réunions.

Aux termes de ses observations, le ministre de l'économie et des finances expose :

- que les dispositions relatives à la prescription ont été, en l'espèce, respectées ;

- que la violation des droits de la défense ne peut être invoquée par la société Carayon, les enquêteurs n'ayant pas l'obligation d'informer les entreprises impliquées par des déclarations ou des documents recueillis dans d'autres entreprises, ni d'entendre leurs représentants, et le délai de deux mois pour présenter des observations sur la notification des griefs ayant été strictement respecté ;

- que l'obligation de loyauté n'a pas été méconnue au cours de l'instruction du dossier par le rapporteur qui a instruit à charge et à décharge la procédure à l'encontre de la société Carayon ;

- que le procès-verbal d'audition du 2 juin 1991 n'est pas entaché d'irrégularité dans la mesure où :

-- la résidence de l'un des enquêteurs est mentionnée ;

-- l'attestation émanant de M. Reneault n'apporte pas la preuve contradictoire utile susceptible de remettre en cause la force probante de ce procès-verbal ;

-- l'obtention par les enquêteurs de la communication de documents et des aveux de M. Reneault n'est pas empreinte de déloyauté, celui-ci ayant connaissance de l'objet de l'enquête, la demande de documents relatifs aux déclarations n'étant ni imprécise ni générale, enfin, le contenu de ce procès-verbal existant par lui-même sans être déduit de précédents procès-verbaux et ne relatant pas d'aveux du déclarant sur sa participation à une pratique prohibée.

Sur la nullité tirée de la violation du principe du contradictoire, il indique :

- que la notification des griefs n'a pas à comporter d'éléments sur le montant des sanctions ;

- que la preuve de la violation des dispositions de l'article 6-3 de la Convention européenne des droits de l'homme ne résulterait pas de la seule présence du rapporteur au délibéré du conseil, lequel ne dispose pas de voix délibérative.

Sur les moyens de fond, il répond :

- que les cahiers de messages téléphoniques, qui constituent une preuve directe et formelle de la concertation, régulièrement communiqués et sur lesquels le rédacteur connu n'a émis aucune réserve, sont opposables aux personnes qui y sont mentionnées ;

- que la participation de la société Carayon à l'entente repose sur des documents faisant état de sa contribution à plusieurs réunions de concertation auxquels s'ajoutent la teneur des messages téléphoniques adressés ou reçus par M. Reneault ;

- que la sanction prononcée à l'encontre de la société Carayon respecte le principe d'égalité de traitement, que le montant de la sanction infligée à la société SIMAT est conforme aux dispositions des articles 13 et 22 de l'ordonnance, et enfin que la détermination de la sanction s'apprécie au regard de l'effet sur le marché de la pratique incriminée ;

En réplique, les requérantes précisent à nouveau les moyens respectivement développés.

Le ministère public a conclu oralement à l'annulation de la décision au motif que le procès-verbal d'audition de M. Reneault est entaché de nullité.

Sur quoi, LA COUR,

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription :

Considérant que l'article 27 de l'ordonnance énonce que " le Conseil de la concurrence ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction " ;

Considérant que l'enquête diligentée par les services de la direction départementale de la concurrence et de la répression des fraudes (DDCRF), ouverte à la suite de la réception d'une correspondance du 28 août 1991 émanant de la chambre syndicale des artisans des petites et moyennes entreprises (CAPEB) s'est déroulée du mois de novembre 1991 au mois de juillet 1992 ;

Qu'au cours de cette enquête, environ vingt entreprises locales ont été mises en cause, qu'il a été procédé à la rédaction de vingt-cinq procès-verbaux d'audition entre le 13 décembre 1991 et le 25 juin 1992, que, le 9 août 1993, le ministre de l'économie et des finances a saisi le Président du Conseil, que la notification des griefs aux parties est intervenue le 15 juillet 1996 ;

Que la saisine du ministre constituant un acte interruptif de prescription, il ne s'est pas écoulé un délai de plus de trois ans entre la date des faits incriminés et celle de la saisine du Conseil, puis celle de la notification des griefs ;

Que la société Carayon ne peut utilement invoquer la circonstance qu'elle n'a pas été elle-même mise en cause jusqu'à la notification des griefs, c'est-à-dire pendant un délai de près de cinq ans dès lors que les faits la concernant ont fait l'objet d'acte interruptif ;

Que cette fin de non-recevoir sera donc écartée ;

Sur la violation des droits de la défense invoquée par la société Carayon :

Considérant que la société Carayon n'est pas fondée à se plaindre de ne pas avoir été informée du déroulement de l'enquête diligentée par les services de la DGCCRF, ni de l'instruction menée par le rapporteur dès lors qu'aucune des règles régissant les enquêtes ne font obligation aux agents qui y procèdent selon les prescriptions de l'article 47 de l'ordonnance ou au rapporteur d'informer l'entreprise des déclarations ou des documents recueillis auprès d'autres entreprises susceptibles de la mettre en cause, de l'interroger sur les pièces appréhendées chez des tiers, ou encore d'entendre son représentant ;

Que la société Carayon, qui a bénéficié du délai de deux mois édicté par l'article 21 de l'ordonnance pour faire valoir ses observations à la suite de la notification des griefs, ne peut utilement arguer de l'insuffisance de ce délai ;

Considérant que, pas davantage, la société Carayon ne peut invoquer un défaut de loyauté manifesté par le rapporteur dans la conduite de l'instruction dont il ne peut être sérieusement prétendu qu'elle ait été instruite seulement à charge ;

Considérant que la notification des griefs concernant la société Carayon porte sur " une participation concertée ayant pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse " ;

Que la société Carayon ne peut donc sérieusement soutenir, à l'appui du moyen tiré de l'écart prétendu du grief retenu avec le grief notifié, que c'est en raison de sa présence effective, au demeurant non établie, à la réunion du 24 juillet 1991 qu'elle aurait encouru la sanction contestée ;

Que le conseil fait valoir, à bon droit, que, saisi in rem, il dispose de la faculté d'écarter tout ou partie d'un grief sous réserve que les éléments retenus aient fait l'objet d'une notification et d'un droit de réplique, de sorte que le grief tenant à la délimitation géographique du marché n'est pas pertinent ;

Sur la nullité du procès-verbal d'audition de M. Reneault invoquée par la société SIMAT :

Considérant, d'une part, que l'absence de mention sur ce procès-verbal de l'indication du service de l'un des agents verbalisateurs, M. Combe, affecté à la brigade interrégionale d'enquêtes de Bordeaux, n'est pas sanctionnée par la nullité en l'absence de texte édictant une telle sanction, d'autre part, que la société SIMAT ne peut se prévaloir d'un préjudice résultant de ce défaut d'indication au seul motif qu'elle aurait été privée de la possibilité, lors de l'enquête, de vérifier la compétence territoriale de cet agent ;

Considérant que la société SIMAT reproche encore aux enquêteurs un manque de loyauté dans le recueil des aveux de M. Reneault ainsi que pour l'obtention de la communication de documents ;

Qu'il convient de relever que le procès-verbal en cause fait foi jusqu'à la preuve du contraire et que les énonciations contenues, notamment quant au déroulement de l'enquête, ne peuvent être combattues par la seule attestation de la personne concernée ;

Que, à supposer exacte l'affirmation selon laquelle l'ordre chronologique retenu dans le procès-verbal serait inexact, cet élément serait, en l'espèce, sans incidence ;

Que la demande de communication des pièces présentée et obtenue par les enquêteurs auprès de la personne chargée du secrétariat n'est pas imprécise et générale et ne procède pas d'un comportement déloyal dans la mesure où elle est conforme aux investigations autorisées par l'article 47 de l'ordonnance ;

Qu'en effet cette demande de communication des cahiers de messages téléphoniques et des agendas a été formulée, sur place, à l'occasion des explications fournies par la personne entendue ; que les enquêteurs avaient connaissance des dates des réunions de concertation entre les entreprises et ont appris l'existence des registres en cause, que la communication a donc porté sur des documents existants et identifiables ;

Que ces documents ont été remis par M. Reneault aux enquêteurs ainsi qu'il ressort des énonciations du procès-verbal ;

Que, si la signature de celui-ci apposée sans réserve sur cet écrit ne prive pas la société SIMAT du droit d'en contester la teneur au moyen de toute voie de droit, force est de constater que l'attestation produite ne constitue pas la preuve contraire de ce que la remise des documents aurait été effectuée différemment ;

Que le principe de non-auto-incrimination, édicté par l'article 14 du pacte international relatif aux droits civils, ne fait pas obstacle à ce que les enquêteurs obtiennent des renseignements précis ainsi que les documents s'y rapportant ;

Considérant que la société SIMAT fait encore valoir que le procès-verbal litigieux serait la conséquence d'autres actes entachés d'irrégularité ;

Qu'il est constant que vingt-quatre des procès-verbaux d'auditions ont été écartés, seul le procès-verbal en cause ayant été retenu ;

Que la première déclaration consignée émanant de M. Reneault énonce :

" Je n'ai rien à modifier à mes déclarations antérieures des 20 décembre 1991 et 7 janvier 1992, les réunions tenues aux dates suivantes ont eu pour objet... " ;

Qu'il ne peut être utilement soutenu que ce procès-verbal existe par lui-même dès lors que les doubles de notes établies par l'hôtel-restaurant lors des réunions des 24 septembre, 29 octobre et 26 novembre, ainsi que les extraits de l'agenda de réservation de la salle du Palais du congrès de la CCI de Rodez faisant état de la location d'une salle les 2 et 9 juillet 1991, n'ont pas été annexés au rapport administratif d'enquête et ne sauraient constituer un indice ;

Qu'en effet ces éléments n'étaient pas à eux seuls de nature à conduire les enquêteurs à interroger M. Reneault sur l'existence des réunions visées dans le procès-verbal de sorte que le procès-verbal d'audition de M. Reneault et le versement des pièces communiquées à la demande des enquêteurs ont été induits par les diligences irrégulières précédemment effectuées, et qu'ils ne présentent pas un caractère d'autonomie susceptible de les rendre valides ;

Qu'il s'ensuit que l'ensemble de la procédure est entaché de nullité ;

Sur les autres moyens débattus par les parties :

Considérant que par suite il n'y a pas lieu d'examiner les moyens autres soutenus par les parties ;

Sur les autres demandes :

Considérant qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de remboursement formée par la société SIMAT, en l'absence de justification du règlement de ladite sanction ;

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 NCPC.

Par ces motifs, Joint les procédures n° 97-463 et 97-466 ; Constate que l'ensemble de la procédure est entachée de nullité, en conséquence, Annule la décision n° 96-D-62 du 22 octobre 1996, Rejette toute autre demande des parties, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 NCPC, Laisse les dépens à la charge du Trésor.