Cass. com., 9 octobre 2001, n° 98-21.987
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Béton travaux (SA), RMC France, Béton de France (SA), Béton de France Sud-Est (SA), Brignolaise de béton et d'agglomérés (SARL)
Défendeur :
Unibéton (SA), Béton de la Méditerranée, Redland granulats Sud (SA), Lafarge bétons granulats(SA), Express béton (SA), Béton chantiers prêt (SA), Béton chantiers Nice (SA), Béton chantiers du Var (EURL), Ministre chargé de l'Economie, Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, Procureur général près la cour d'appel de Paris, Conseil de la Concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Champalaune
Avocat général :
M. Jobard
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Célice, Blancpain, Soltner, Me Ricard
LA COUR : - Joint les pourvois n° 98-21.987, 98-22.015, 98-22.016, et 98-22.017, qui attaquent le même arrêt ; - Donne acte aux sociétés Béton travaux, RMC France et Béton de France Sud-Est, Brignolaise de béton et d'agglomérés, de ce qu'elles se désistent de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Unibéton, la société Béton de la Méditerranée, la société Lafarge béton granulats SA, la société Express béton SA, la société Chantiers prêt, la société Béton chantiers de Nice, l'EURL Béton chantiers du Var ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 octobre 1998), et les productions, que, saisi par le ministre de l'Economie de pratiques constatées sur le marché du béton prêt à l'emploi de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, et d'une demande de mesures conservatoires afférentes aux pratiques visées dans la saisine au fond, le Conseil de la Concurrence, statuant en commission permanente, a, par décision 94-MC-10 du 14 septembre 1994, enjoint, jusqu'à l'intervention de la décision au fond, aux sociétés Béton de France, aux droits de laquelle vient la société RMC France, Superbéton, Béton chantiers du Var et Société méditerranéenne de béton de cesser de vendre directement ou indirectement, dans un rayon de 25 km autour de la ville de Toulon, du béton prêt à l'emploi à un prix unitaire inférieur au coût moyen variable de production tel qu'il résultait de la comptabilité analytique établie mensuellement par chacune des entreprises concernées pour chacune de leurs centrales ; que le recours contre cette décision a été rejeté par arrêt de la cour d'appel du 3 novembre 1994, les pourvois contre cet arrêt ayant été rejetés par arrêts de la Chambre commerciale, financière et économique n° 271 P, 272 D et 273 D du 4 février 1997 ; que, statuant, en formation plénière comprenant notamment les membres de la commission permanente, sur la saisine au fond, par décision n° 97-D-39 du 17 juin 1997, le Conseil de la Concurrence a infligé à treize entreprises, parmi lesquelles les sociétés Béton de France, Unibéton, Béton de France Sud-Est, Béton travaux, et Brignolaise de béton et d'agglomérés des sanctions pécuniaires d'un montant compris entre 50 000 francs et 40 millions de francs et a ordonné la publication de sa décision, en raison d'ententes se manifestant par des fixations concertées de prix, de répartition de marchés et de pratiques de prix prédateurs aux fins d'éviction de certains concurrents ; que dix des entreprises sanctionnées ont formé des recours en annulation ou réformation contre cette décision ;
Sur la première branche des premiers moyens des pourvois n° 98-22.015 et 98- 22.016, la deuxième branche du premier moyen du pourvoi n° 98-21.987 et le moyen unique du pourvoi n° 98-22.017, réunis : Attendu que les sociétés Béton travaux, RMC France, Béton de France Sud-Est, Unibéton et Brignolaise de béton et d'agglomérés font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur recours en annulation contre la décision du Conseil de la Concurrence ayant prononcé à leur encontre des sanctions pécuniaires, alors, selon le moyen, qu'il résulte des énonciations de la décision frappée de recours que le rapporteur du Conseil de la Concurrence, qui a établi la notification des griefs, puis a procédé à des investigations complémentaires, a participé au délibéré, si bien qu'en refusant d'annuler la décision rendue dans de telles conditions, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu qu'il résulte de l'article 2-3° du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987 que, lorsque la déclaration de recours contre les décisions du Conseil de la Concurrence ne contient pas l'exposé des moyens invoqués, le demandeur doit déposer cet exposé au greffe dans les deux mois qui suivent la notification de la décision frappée de recours ; que les sociétés Béton travaux, RMC France, Béton de France Sud-Est, Unibéton et Brignolaise de béton et d'agglomérés n'ayant exposé les moyens d'annulation tirés de la présence du rapporteur au délibéré ni lors de leur déclaration de recours ni dans les deux mois suivant la notification de la décision, elles ne sont pas recevables à le faire pour la première fois devant la Cour de Cassation et la cour d'appel n'était pas tenue de les relever d'office ; d'où il suit que le moyen est irrecevable ;
Mais sur la deuxième branche des premiers moyens des pourvois n° 98-22.015 et 98-22.016, et la première branche du premier moyen du pourvoi n° 98-21.987, réunis : - Sur l'irrecevabilité du moyen soulevée par le ministre de l'économie : - Attendu que le ministre de l'Economie soutient que le grief de défaut d'impartialité tiré du prononcé par le Conseil de la Concurrence d'une décision au fond après le prononcé d'une décision ordonnant des mesures conservatoires est nouveau ;
Mais attendu que la société Unibéton a soutenu, dans son mémoire à l'appui du recours contre la décision du Conseil de la Concurrence produit, qu'on ne peut s'empêcher de penser que par l'importance qui lui a été donnée, tant par le Conseil de la Concurrence lui-même que par les commentateurs, la décision n° 94-MC-10, le Conseil s'interdisait en fait d'examiner dans un sens contraire le fond de l'affaire et privait les sociétés mises en cause d'un véritable débat objectif et impartial" ; qu'en l'état de ces énonciations, dont il ressort que le moyen tiré du défaut d'impartialité du Conseil de la Concurrence ayant prononcé des mesures conservatoires puis une décision au fond était dans le débat, le moyen n'est pas nouveau ;
Et sur le moyen : Vu l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 464-1 du Code de commerce : Attendu que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial ; que cette exigence doit s'apprécier objectivement; que cette règle est applicable au Conseil de la Concurrence;
Attendu que l'arrêt retient que les mesures conservatoires prononcées au début de la procédure, avant enquête approfondie sur le fond, pour faire cesser une pratique gravement préjudiciable à l'ordre public économique, ne sauraient être considérées comme un préjugement sur l'imputabilité de ces pratiques ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le Conseil de la Concurrence s'était prononcé sur le caractère prohibé d'une partie des faits qui lui étaient dénoncés dans la procédure de mesures conservatoires, ce dont il devait être déduit qu'il ne pouvait, dans une formation comportant des membres ayant statué dans cette procédure, statuer à nouveau au fond, sans manquer objectivement au principe d'impartialité ci-dessus énoncé, l'arrêt a violé, par refus d'application, les textes susvisés;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois : casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 octobre 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.