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Décisions

Conseil Conc., 11 septembre 2001, n° 01-D-42

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisine de la société anonyme des établissements André Barbot concernant les pratiques des sociétés BAT et Rebel sur le marché de l'approvisionnement des cigarettes dans l'île de la Réunion

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. Bruneau, par Mme Pasturel, vice-présidente, présidant la séance, MM. Nasse, Piot, membres.

Conseil Conc. n° 01-D-42

11 septembre 2001

Le Conseil de la concurrence (section IV),

Vu le mémoire enregistré le 31 janvier 1991 sous le numéro F 384, par lequel la société anonyme des établissements André Barbot a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenus les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, des pratiques des sociétés BAT et Rebel sur le marché de l'approvisionnement des cigarettes dans l'île de la Réunion ; Vu le livre IV du Code de commerce et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour l'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; Vu les observations du commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement entendus au cours de la séance du 13 juin 2001, la société anonyme Compagnie Marseillaise de Madagascar, venant aux droits de la société anonyme des établissements André Barbot, ayant été régulièrement convoquée ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés ;

I. -LES CONSTATATIONS

A. -Le marché de l'approvisionnement en cigarettes dans le département de la Réunion

1. Le cadre juridique, économique et fiscal

Le régime juridique, économique et fiscal du tabac sur le territoire du département de la Réunion est spécifique au regard du régime applicable en métropole.

En effet, le décret du gouvernement impérial du 29 décembre 1810, qui a instauré le monopole de fabrication, d'importation et de commercialisation des tabacs pour " tous les départements de l'empire autres que ceux au-delà des Alpes et les sept départements au delà de l'Escaut ", les textes qui ont ultérieurement prorogé ce régime, ainsi que la loi du 7 août 1926 et le décret du 13 août 1926, qui ont confié aux services des contributions directes la gestion de la distribution des tabacs, n'ont pas été étendus à certains territoires situés outre-mer, dont l'île de la Réunion.

Si le décret n° 48-544 du 30 mars 1948 a, conformément à la loi n° 46-451 du 19 mars 1946 tendant au classement comme département français de la Réunion, étendu le régime métropolitain des tabacs à ce nouveau département, son article 2 précisait néanmoins que " les produits entrant dans les attributions des monopoles des tabacs, des allumettes et des poudres pourront, à titre transitoire, être importés, fabriqués et vendus par des particuliers ou sociétés dans le département ", le régime antérieur concernant l'importation, la fabrication et la commercialisation des tabacs manufacturés étant, de fait, maintenu. Ainsi, le département de la Réunion ne connaît pas le régime du monopole des tabacs : les ventes s'effectuent librement dans les magasins spécialisés dans les articles pour fumeurs, mais aussi dans d'autres points de vente généralistes, grandes, moyennes et petites surfaces alimentaires, débits de boissons.

Depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, les prix de vente des produits du tabac sont libres ; antérieurement, ces prix étaient fixés par arrêté préfectoral. Les prix de vente sont déterminés par les distributeurs et importateurs locaux, cette détermination servant de base pour le calcul des taxes applicables au produit : il s'agit de " prix conseillés ". Le rapport de l'enquête diligentée dans le cadre de l'instruction relève cependant qu'aucun point de vente n'applique un tarif inférieur au prix fixé par le distributeur, qui sert de base à l'application des taxes ; les relevés effectués montrent que les détaillants ont tendance à pratiquer des prix supérieurs de 1 à 3 F suivant les régions de l'île, le prix maximum étant appliqué dans les villages isolés du centre du département.

L'activité de fabrication est également libre.

Le régime fiscal des produits du tabac applicable au département de la Réunion présente des spécificités par rapport au régime applicable en métropole : il tient compte, en particulier, du caractère insulaire de ce département, l'article 575 E du Code général des impôts précisant que " pour l'application du régime fiscal des tabacs, les échanges entre la France métropolitaine et chacun des département d'outre-mer ainsi qu'entre ces départements (sauf entre la Guadeloupe et la Martinique) sont assimilés à des opérations d'importation ou d'exportation ".

Les produits du tabac importés sur le territoire du département de la Réunion sont frappés de l'"octroi de mer " au taux, à l'époque du rapport, de 27 % du prix CAF (coût assurance-fret), ainsi que d'un droit additionnel à l'octroi de mer au taux de 1 % ; ces droits sont perçus au profit de la région.

Cependant, l'importation de tabac destiné à la transformation dans une unité de fabrication locale est exonérée de l'octroi de mer.

Par ailleurs, les produits du tabac sont assujettis à un droit de consommation défini par l'article 268 du Code des douanes, exigible soit à l'importation, soit à l'issue de la fabrication par les usines locales. Ce droit, dont le montant est fixé par arrêté du ministre chargé du budget, est perçu pour le compte du département ; il est calculé sur le prix de vente diminué des droits d'importation si le produit ainsi taxé en a supporté. A l'époque des faits, le droit de consommation s'établissait au taux de 25 % du prix de vente public, outre une cotisation spéciale de 6 F par tranche de 100 cigarettes. A ces taxes spécifiques s'ajoutait la TVA au taux de 7,5 %.

Enfin, l'article 56 AQ de l'annexe IV du Code général des impôts précise que chaque unité de conditionnement pour la vente au détail des tabacs manufacturés doit porter certaines indications précisant, notamment, le pays de fabrication, la désignation du fournisseur, le nombre de pièces contenues dans le conditionnement et, le cas échéant, la mention " vente en France (DOM) " pour les produits vendus dans les départements d'outre-mer. Cependant, ce texte ne contient aucune précision sur la forme matérielle que doivent revêtir ces indications.

2. L'organisation du marché

Selon le rapport d'enquête, la consommation de cigarettes dans le département de la Réunion s'établissait, en 1992 (seule année analysée par le rapport), à environ 940 millions d'unités, soit 1 500 cigarettes par an et par habitant ; les quantités importées s'élevaient au total à 627 tonnes de tabac à transformer et 234 tonnes de cigarettes.

Le chiffre d'affaires global du commerce des cigarettes et tabacs pour le département de la Réunion s'établissait, en 1992, à 528,8 millions de F.

En 1992, ce marché était alimenté par six entreprises propriétaires de 30 marques :

EMPLACEMENT TABLEAU

Selon les éléments fournis par la saisissante, la répartition du marché selon les marques était, en 1989, la suivante :

EMPLACEMENT TABLEAU

Le produit le plus vendu était la cigarette " Gladstone ", avec 42 % du marché.

Compte tenu de l'impact de la fiscalité, évoqué plus haut, les deux tiers du nombre de cigarettes consommées sur le territoire du département de la Réunion sont fabriqués localement à partir de tabac importé, la production locale de tabac étant négligeable. La fabrication est assurée localement par la SA Coretan, filiale de la Seita. La SA Coretab est le seul fabricant ; cette position résulte, non d'un monopole de droit, mais du volume modeste du marché local (à peine 1 % du marché national), qui ne permettrait pas la viabilité économique d'une autre unité industrielle. Son chiffre d'affaires pour l'année 1992 s'établissait à 152,8 millions de F.

La SA Coretab assurait, lors de l'enquête, la fabrication sous licence de produits des marques des sociétés Philip Morris, Seita, Rothmans et British American Tobacco.

Selon le rapport d'enquête, la distribution des produits du tabac en 1992 était assurée par six entreprises, qui fournissaient environ 2 200 points de vente, spécialisés ou non (rayons de grandes ou moyennes surfaces alimentaires, hôtels restaurants...). Ces entreprises exercent leur activité de distribution du tabac, soit à titre principal, soit dans le cadre d'une activité commerciale à vocation plus générale, comprenant également la distribution d'automobiles, des produits d'entretien, etc.

A l'époque des faits dénoncés, la société anonyme des établissements André Barbot distribuait les cigarettes de la marque " Benson & Hedges ", appartenant à la société BAT ; ce produit représentait un peu plus de 9 % du marché.

3. Les entreprises en cause

3.1. La société anonyme des établissements André Barbot

La société des établissements André Barbot était, à l'époque de la saisine, une société anonyme au capital de 2 millions de Francs ; en 1990, elle réalisait un chiffre d'affaires de 64 294 714 F, dans les domaines du négoce de tabac, de la vente d'automobiles, de l'assurance, ainsi que d'activités commerciales diverses. La répartition du chiffre d'affaires s'établissait ainsi :

- distribution du tabac: 22 266 250 F,

- négoce automobile : 37 889 532 F,

- assurances: 2 667 619 F,

- divers: 48 333 F.

Selon la partie saisissante, l'activité de distribution de tabac a considérablement diminué à partir de 1990, alors que l'activité de négoce automobile a sensiblement progressé à partir de 1989, ainsi que cela ressort du tableau suivant :

EMPLACEMENT TABLEAU

M. André Barbot était devenu distributeur exclusif des produits de la marque " Benson & Hedges " appartenant à la société BAT, aux termes d'un contrat conclu le 26 septembre 1968. Ce contrat a été transféré à la société anonyme des établissements André Barbot lors de la création de celle-ci.

Il ressort du dossier qu'après la dénonciation du contrat conclu avec la société BAT, la société anonyme des établissements André Barbot s'est repliée, en ce qui concerne la distribution du tabac, sur l'activité de grossiste, qu'elle a, en définitive, abandonnée en 1993.

La société anonyme des établissements André Barbot a fait l'objet d'une opération de fusion-absorption autorisée par une assemblée générale extraordinaire des actionnaires du 30 mai 2000, aux termes de laquelle l'intégralité de son patrimoine a été apportée à la société Compagnie Marseillaise de Madagascar, société anonyme au capital de 16 237 500 F, dont le siège est situé à Sainte-Clotilde (département de la Réunion).

3.2. La SARL Rebel

La société Rebel est une SARL au capital de 60 000 F créée en 1986, dont les gérants étaient, à l'époque des faits, Louis et Frédéric Balyu. Elle a pour objet, aux termes de ses statuts, " le commerce en gros ou de détail, l'importation et l'exportation, de produits et marchandises divers, et plus généralement le négoce sous toutes ses formes ".

Son activité est centrée sur la distribution du tabac. Elle disposait, à l'époque des faits, d'une filiale à Madagascar et approvisionnait deux grossistes à Mayotte et aux Comores. Elle réalisait en 1992 un chiffre d'affaires de 210 millions de Francs.

Avant la création de la société, Louis Balyu assurait la promotion des produits de la BAT ; il avait assumé les fonctions de directeur commercial de la société anonyme des établissements André Barbot entre janvier 1972 et juin 1974.

La SARL Rebel a assuré la distribution et la promotion des produits de la société BAT jusqu'en avril 1993 ; après cette date, cette activité a été reprise par une filiale locale de la société BAT.

3.3. La société BAT UKE

La société British American Tobacco United Kingdom and Export était une filiale du groupe British American Tobacco, deuxième groupe cigarettier mondial à l'époque des faits. Elle avait pour activité l'exploitation de certaines marques du groupe BAT, notamment en Afrique et en Asie.

B. -Les pratiques dénoncées

Il ressort du dossier que, jusqu'en 1986, la distribution des produits du tabac, fabriqués localement ou importés, des marques appartenant au groupe BAT était assurée par deux sociétés : la société des établissements André Barbot et la société Maison Ah Sing. Chacune de ces deux sociétés détenait l'exclusivité de la commercialisation de certaines marques du groupe BAT. A partir de 1986, la société BAT a confié la commercialisation des marques antérieurement distribuées par la société Ah Singh, et en particulier les produits de la marque Gladstone, à la société Rebel.

Par lettre du 5 avril 1990 adressée à la société des établissements André Barbot, la société BAT UKE a informé cette dernière qu'elle mettait fin au contrat de distribution conclu entre elles, à compter du 5 juillet suivant, soit à l'expiration du délai de préavis de trois mois contractuellement prévu. Cette rupture aurait, selon les termes d'une lettre émanant du secrétaire général de la société BAT UKE en date du 23 avril 1990, été confirmée verbalement aux dirigeants de la société saisissante, le 6 avril 1990.

Le 18 avril 1990, la société des établissements André Barbot a passé une commande de produits " Benson & Hedges ", livrable à la fin des mois de juillet, août et septembre 1990.

Par lettre du 23 avril 1990, la société BAT UKE a répondu qu'en raison de la résiliation du contrat de distribution, les commandes concernant les produits " Benson & Hedges " dont la livraison devait intervenir après le 5 juillet 1990 devaient être adressées à la société Rebel, nouveau distributeur des produits de la société BAT sur le territoire de l'île de la Réunion, à compter de cette date.

Les lettres des 5 avril et 23 avril 1990 ont fait l'objet d'une signification par acte d'huissier à la société des établissements André Barbot, le 4 mai 1990.

Par ailleurs, la société BAT a facturé, le 6 avril 1990, à la société Rebel, un stock de cigarettes de marque " Benson & Hedges " à un tarif inférieur de 9 % à celui pratiqué en faveur de la société des établissements André Barbot.

Le refus de livraison notifié par la société BAT UKE a été déféré, par la société des établissements André Barbot, au juge des référés du Tribunal mixte de commerce de Saint-Denis, qui a rejeté la demande par une ordonnance du 22 août 1990. La Cour d'appel de Saint-Denis, par un arrêt du 26 juin 1992, a constaté que le délai de préavis avait commencé à courir à compter de la signification du 4 mai 1990 et que, dès lors, la société des établissements André Barbot était fondée à obtenir délivrance de la fraction de la commande devant être livrée en juillet 1990.

A partir du mois d'août 1990, la société Rebel a assuré la distribution des produits de marques appartenant à la société BAT, cette situation étant consacrée par un contrat signé le 15 octobre 1990.

Des livraisons ont été consenties à la société des établissements André Barbot par la société Rebel à des conditions financières strictes ; en effet, la facture du 6 juillet 1990 adressée par cette dernière société précisait qu'elle devait être réglée au comptant par chèque ; la facture en date du 6 août 1990 était, quant à elle, stipulée réglable au comptant par chèque certifié.

Le représentant de la société BAT UKE, M. Abelman, a justifié la décision de conclure un contrat de distribution exclusive avec la société Rebel par le " souci de regrouper (nos) marques et par suite de la restructuration de (nos) sociétés filiales qui détenaient les marques et afin d'améliorer la distribution de (nos) produits ". Il a précisé que le contrat passé avec la société Rebel n'interdisait pas à cette dernière d'approvisionner la société des établissements André Barbot en produits des marques appartenant à la société BAT UKE.

Le gérant de la société Rebel, M. Frédéric Balyu, a déclaré, pour sa part, que " la société anonyme des établissements André Barbot, ne (réunissait) pas les critères lui permettant de prétendre au statut de grossiste, en particulier pas de force de vente adéquate " et ne pouvait " poursuivre ainsi son commerce de façon concurrentielle ".

M. Daniel Isautier, président du conseil d'administration de la société anonyme des établissements André Barbot, a indiqué que " la mention " vente en France D.O.M. " est incorporée au paquet ; la réglementation impose l'apposition de cette mention sur tout conditionnement de cigarettes vendu à la Réunion, très certainement en raison du différentiel de fiscalité entre le département d'Outre mer et la métropole ; de ce fait, le fabricant ou le tiers autorisé par lui à conditionner les cigarettes est seul à maîtriser le conditionnement du produit et les mentions qui y sont apposées ; il est matériellement impossible de s'approvisionner en dehors du fabricant ". Il précisait, par ailleurs, que " la société des établissements André Barbot a pu continuer à (s')approvisionner en cigarettes auprès de Rebel dans des conditions difficilement exploitables ; dans un premier temps, la société Rebel (...) a changé les conditions tarifaires (...). Notre réseau était essentiellement fait de grossistes et de détaillants. Les conditions de règlement qui dans un premier temps étaient de 30 jours, ont été rapidement ramenées au comptant puis Rebel a exigé les chèques certifiés sans raison valable. Ainsi, en mai 1990, les conditions de Rebel étaient déjà stipulées " paiement à réception de la facture " ; Rebel a ensuite exigé, sans raison sérieuse, la remise d'un chèque certifié par notre banque à la livraison des marchandises dès août 1990. (...) l'activité devenant déficitaire ne justifiait plus le maintien de l'équipe commerciale que nous avons dû licencier pour cause économique ".

A cet égard, M. Frédéric Balyu a déclaré que " la société anonyme des établissements André Barbot était parfaitement en mesure de s'approvisionner auprès d'autres distributeurs de l'île en produits BAT ou d'autres marques, en demandant qu'il lui soit fait application des conditions générales tarifaires de tout fournisseur, qui aurait alors été tenu de lui livrer les produits demandés à des conditions non discriminatoires ; il lui suffisait, après la cessation de son contrat, de s'adresser à tel opérateur de son choix et de lui demander la communication de ses conditions générales de vente ".

Sur le fondement de ces éléments, le rapporteur a établi une proposition de non-lieu.

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Considérant qu'en application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce, " le Conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu à poursuivre la procédure " ;

Sur l'application des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce :

Considérant que la société des établissements André Barbot fait valoir que l'accord de distribution exclusive conclu entre les sociétés BAT UKE et Rebel constitue le support d'une entente prohibée ; que la preuve de cette concertation résulte, d'une part, de la lettre du 23 avril 1990, aux termes de laquelle la société BAT UKE indiquait à la société des établissements André Barbot que la société Rebel deviendrait son distributeur exclusif sur le territoire de la Réunion à compter du 6 juillet 1990, d'autre part, du refus opposé par la société BAT UKE à la société des établissements André Barbot de livrer une commande passée le 18 avril 1990 ; que cette entente a eu pour effet de fausser de manière sensible la concurrence, notamment en entravant l'entrée sur le marché de concurrents potentiels, d'ôter aux clients toute possibilité de choix de leurs fournisseurs en leur imposant un fournisseur préalablement désigné, en l'occurrence la SARL Rebel, et de limiter la concurrence par les prix entre les revendeurs de ses produits en opposant à la société des établissements André Barbot un refus de vente ;

Mais considérant qu'un fournisseur est libre de choisir le mode de distribution de ses produits et de modifier son réseau de distribution sans que ses cocontractants bénéficient d'un droit acquis au maintien de leur situation ; qu'il ressort des pièces du dossier que la société BAT UKE a choisi de regrouper la distribution de ses produits et de la confier à une seule entreprise, la société Rebel ; que le simple fait pour un producteur de rationaliser le mode de distribution de ses produits ne caractérise pas, en soi, une entente de nature anticoncurrentielle entre ce producteur et le nouveau distributeur ;

Considérant, par ailleurs, que le refus de la société BAT UKE d'accepter des commandes dont la date de livraison était postérieure au 5 juillet 1990, date à laquelle elle considérait, contrairement à l'arrêt de la Cour d'appel de Saint-Denis intervenu par la suite, que les relations contractuelles avec la société des établissements André Barbot avaient pris fin, ne saurait à lui seul matérialiser l'existence d'une entente anticoncurrentielle ;

Considérant, au surplus, qu'aucune pièce du dossier ne permet d'établir que la restructuration du réseau de distribution des produits de la société BAT UKE a eu pour conséquence une hausse des prix des cigarettes ou un affaiblissement de la concurrence sur le marché considéré ;

Considérant que les faits ainsi dénoncés ne relèvent donc pas des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Sur l'application des dispositions de l'article 8-1 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-2 1° du Code de commerce :

Considérant que la société des établissements André Barbot reproche à la société BAT UKE et à la société Rebel de disposer, sur le marché de l'approvisionnement en cigarettes dans le département de la Réunion, marché géographiquement spécifique en raison de l'insularité, d'une position dominante dont elles ont abusé par le refus de la société BAT de livrer la société des établissements André Barbot ; qu'elle soutient que la seule domination du marché par les sociétés BAT et Rebel constitue une entrave au fonctionnement normal du marché ;

Considérant que les dispositions précitées ne prohibent pas la position dominante en elle-même, mais l'abus qui peut en être fait; que le fait, pour une entreprise en position dominante, de modifier son réseau de distribution ou le mode de distribution de ses produits ne constitue pas, en soi, un tel abus ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les sept marques appartenant à la société BAT représentaient, à l'époque des faits dénoncés, 52 % du marché de la cigarette dans le département de la Réunion ; qu'il est admis que les cigarettes vendues sous une même marque possèdent des caractéristiques, notamment aromatiques, qui motivent un acte d'achat répété et durable ; que, par ailleurs, la vente du tabac constitue pour les commerçants locaux, notamment dans le secteur de la distribution alimentaire, un produit d'appel ;

Considérant, cependant, qu'à supposer que la société BAT UKE ait, à l'époque des faits, occupé une position dominante sur le marché de l'approvisionnement en cigarettes dans le département de la Réunion, aucun élément du dossier ne permet de penser que le transfert du contrat de distribution portant sur le produit " Benson & Hedges " d'un distributeur à un autre ait eu un objet ou pu avoir un effet anticoncurrentiel;

Considérant, par ailleurs, que, s'il est établi, d'une part, que la société BAT UKE a refusé de livrer les commandes passées par la société des établissements André Barbot durant la période du préavis contractuel, tel qu'il a ultérieurement été délimité par l'arrêt du 26 juin 1992 de la Cour d'appel de Saint-Denis, d'autre part, que la société BAT UKE a, le 6 avril 1990, fourni à la société Rebel des produits de la marque " Benson & Hedges ", alors que le distributeur exclusif de ces produits était encore la société des établissements André Barbot et à des prix inférieurs à ceux facturés à cette dernière, aucun élément du dossier ne permet de penser que ces pratiques, intervenues dans le contexte de la résiliation des relations contractuelles entre les sociétés BAT UKE et établissements André Barbot, aient eu un objet ou pu avoir un effet anticoncurrentiel;

Considérant, enfin, que la société des établissements André Barbot reproche à la société Rebel de lui avoir imposé des conditions de paiement rigoureuses, qui l'ont empêchée de continuer son activité ;

Considérant que, lors des commandes adressées par la société des établissements André Barbot à la société Rebel au second trimestre 1990, cette dernière lui a imposé un paiement au comptant, puis, par chèque certifié ; qu'en particulier, la facture en date du 16 juillet 1990 fait état d'une exigence de paiement au comptant par chèque, alors même que le document mentionne, par ailleurs, la possibilité offerte au débiteur de se libérer par le moyen d'une lettre de change, qui semble ainsi être la modalité habituelle de règlement dans le secteur concerné ; que, cependant, l'activité de la société des établissements André Barbot venait de connaître un changement sensible, puisque, du statut de distributeur exclusif, cette société était passée à celui de grossiste ; que, dans ces conditions, il n'est pas démontré que les exigences de la société Rebel aient été dictées par d'autres préoccupations que celles qui peuvent légitimement conduire, dans les relations commerciales, à s'assurer de la parfaite solvabilité de son cocontractant ;

Considérant, en conséquence, que l'existence de pratiques prohibées par les dispositions de l'article 8-1 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-2 1° du Code de commerce, n'est pas établie.

Sur l'application des dispositions de l'article 8-2 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-2 2° du Code de commerce :

Considérant que la société des établissements André Barbot soutient, enfin, qu'elle se trouvait en situation de dépendance économique vis-à-vis de la société BAT UKE, compte tenu, en particulier, de l'importance, dans son chiffre d'affaires, de la distribution des produits de cette société, ainsi que de l'impossibilité de s'approvisionner dans un autre pays, dès lors, notamment, que les paquets de cigarettes offerts à la vente dans les départements d'outre-mer doivent porter une mention qui ne peut être apposée que par le fabricant ; qu'elle ne pouvait donc disposer d'une solution alternative et obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents ; que, par suite de l'accord passé entre les sociétés BAT UKE et Rebel, la société BAT UKE a été amenée à refuser toute commande émanant d'autres opérateurs que la société Rebel, ce qui constitue une entrave à la concurrence, notamment par l'effet que cette pratique est susceptible d'entraîner sur les prix ;

Considérant que l'existence d'une situation de dépendance économique s'apprécie en fonction de quatre critères :

-la notoriété de la marque ou/et du produit ;

-la part de marché du fournisseur ;

-la part représentée par les produits du fournisseur dans le chiffre d'affaires du distributeur ;

-l'absence de solution équivalente ;

Considérant qu'il ressort du dossier :

-en premier lieu, que l'activité de négoce du tabac représentait pour la société des établissements André Barbot :

* en 1988, un chiffre d'affaires de 32 052 144 F sur un total de 49 089 402 F ;

* en 1989, un chiffre d'affaires de 34 880 864 F sur un total de 72 765 171 F ;

* en 1990, un chiffre d'affaires de 22 266 250 F sur un total de 64 294 714 F ;

-en deuxième lieu, que le produit " Benson & Hedges ", dont la société des établissements André Barbot assurait la distribution, occupait, avec 9,2 % des parts de marché, la troisième place des produits de ce type ;

-en troisième lieu, qu'il est admis que la notoriété de ce produit est forte ;

-en quatrième lieu, que l'article 56 AQ de l'annexe IV du Code général des impôts précise que chaque unité de conditionnement pour la vente au détail des tabacs manufacturés doit porter certaines indications précisant, notamment, le pays de fabrication, la désignation du fournisseur, le nombre de pièces contenues dans le conditionnement et, le cas échéant, la mention " vente en France (DOM) " pour les produits vendus dans les départements d'outre-mer;

Considérant que, si la société des établissements André Barbot peut s'estimer fondée à soutenir qu'il aurait été économiquement et techniquement peu réaliste d'envisager d'importer les paquets de cigarettes de la marque " Benson & Hedges " et d'apposer matériellement cette mention (par exemple sous forme d'étiquette) sur chacun d'eux, une telle obligation ne s'imposait nullement, puisqu'il est établi que cette société pouvait continuer à être approvisionnée par la société Rebel; que, toutefois, ayant changé de statut, elle ne pouvait, en sa nouvelle qualité de grossiste, prétendre bénéficier des conditions liées à sa précédente qualité de distributeur exclusif;

Considérant, en outre, que les conditions dans lesquelles le contrat de distribution a été rompu n'étaient pas imprévisibles pour la société des établissements André Barbot, puisque les modalités de sa dénonciation par chacune des parties étaient spécifiées dans ce document, signé en 1968 ; que, par ailleurs, il convient de relever que l'activité de la société saisissante ne consistait pas uniquement dans la distribution des cigarettes " Benson & Hedges ", mais s'étendait à d'autres négoces sans rapport avec les produits du tabac; qu'après la perte du contrat avec la société BAT UKE, la société des établissements André Barbot s'est recentrée sur son activité de négoce de l'automobile etque son chiffre d'affaires pour l'année 1992 n'était inférieur que de 13 % à celui de l'année 1989, dernier exercice antérieur à celui de la rupture des relations avec la société BAT UKE; qu'au cours de son audition du 29 juin 1998, M. Isautier, président du conseil d'administration de la société des établissements André Barbot, a indiqué que le chiffre d'affaires de cette société était, à cette date, d'environ 90 millions de F ;

Considérant, enfin, qu'aucun élément du dossier ne permet de penser que le fait que la société des établissements André Barbot ne commercialise plus le produit " Benson & Hedges " ait eu pour conséquence une restriction des conditions de la concurrence sur les marchés de l'approvisionnement ou de la distribution des cigarettes sur le territoire du département de la Réunion;

Considérant, en conséquence, que l'état de dépendance économique allégué n'est pas démontré par le dossier;

Considérant qu'il ressort de ce qui précède qu'il n'est pas établi que la société BAT UKE et la société Rebel aient mis en œuvre des pratiques prohibées par les articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenus les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce ; qu'il convient, dans ces conditions, de faire application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce,

Décide :

Article unique : il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.