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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 30 octobre 2001, n° ECOC0100451X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

OMVESA (Sté)

Défendeur :

Comité Français d'Organisation de la Coupe du Monde de Football, Fédération Internationale de Football

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Coulon

Président :

Mme Riffault

Conseiller :

M. Savatier

Avoués :

SCP Fanet-Serra-Ghidini, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Diedler, Klein.

CA Paris n° ECOC0100451X

30 octobre 2001

La Fédération internationale de Football Association a délégué l'organisation de la Coupe du monde de football de 1998 en France à la Fédération française de football qui a créé à cette fin une association, le Comité français d'organisation de la Coupe du monde de football;

Les billets d'accès aux différentes rencontres ont été commercialisés par le CFO, d'une part, directement soit auprès du public, soit auprès de tours-opérateurs autorisés et, d'autre part, par l'intermédiaire des associations nationales membres de la FIFA, selon les règles imposées par celle-ci.

La société OMVESA, société espagnole exerçant une activité d'agent de voyage, notamment en Amérique latine et aux Etats Unis, a été sélectionnée comme TOA pour les pays du continent américain. Elle a acheté au CFO 9 160 billets qui lui avaient été garantis, ainsi que 10 569 billets supplémentaires, mais n'a pu obtenir l'ensemble de ceux qu'elle avait commandés.

Saisi par cette société des pratiques mises en œuvres à l'occasion de la vente des billets de cette compétition, le Conseil de la concurrence a, par décision n° 00-D-83 du 13 février 2001, décidé qu'il n'est pas établi que la FIFA et le CFO ont enfreint les dispositions de l'article 82 du traité de Rome et de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

Pour statuer ainsi, le Conseil, après avoir retenu que le CFO et la FIFA détenaient ensemble une position dominante collective sur le marché des billets destinés à la confection des forfaits touristiques à l'occasion de cette épreuve sportive, a considéré qu'il n'est pas démontré que les pratiques discriminatoires dénoncées ont constitué un abus de cette position et, qu'à les supposer établies, elles n'ont pu affecter, ni le marché de la Communauté européenne ni le marché français, de sorte qu'elles n'entrent pas dans le champ d'application des textes précités.

LA COUR,

Vu le recours en réformation formé par la société OMVESA le 15 mars 2001 à l'encontre de cette décision;

Vu le mémoire déposé le 13 avril 2001 exposant les moyens de cette société qui soutient que les TOA ont été victimes de pratiques discriminatoires en ce que le CFO et la FIFA ont restreint artificiellement l'offre qui leur était faite au profit des associations nationales, et que le CFO les a empêchés d'accéder au marché spéculatif en leur imposant de ne pas revendre les billets avec une marge supérieure à 20 % de leur valeur faciale, de sorte que le CFO et la FIFA ont, "soit en abusant de leur position dominante collective, soit d'entente," commis des actes anticoncurrentiels prohibés ; qu'il est demandé à la Cour de faire application de la loi et d'ordonner la publication de sa décision dans quatre quotidiens de diffusion nationale aux frais conjoints du CFO et de la FIFA;

Vu le recours incident formé le 6 avril 2001 par le CFO, pris en la personne de son liquidateur amiable M. Bruneteau, qui, dans son mémoire du 13 avril 2001, conclut à la réformation de la décision seulement en ce qu'elle a retenu comme marché pertinent le marché de la vente de billets destinés à la confection de forfaits touristiques et en ce qu'elle a considéré que le CFO détenait collectivement avec la FIFA une position dominante sur ledit marché;

Vu le recours incident formé le 13 avril 2001 par la FIFA qui, dans son mémoire du même jour, conclut au rejet du recours formé par OMVESA (Sté) et à la réformation de la décision, seulement en ce qu'elle a retenu la compétence du Conseil de la concurrence, a défini le marché pertinent et a retenu que la FIFA était présente sur ce marché et qu' avec le CFO elle y détenait une position dominante collective ;

Vu les observations déposées le 4 juillet 2001 par le Conseil de la concurrence:

Vu les observations déposées le 5 juillet 2001 par lesquelles le Ministre chargé de l'économie s'associe à la demande de réformation de la décision de la société OMVESA en soutenant qu'il convient de constater et de sanctionner l'abus de position dominante mis en œuvre par le CFO et la FIFA ;

Vu les différents mémoires en répliques des parties

Vu les observations écrites du Ministère Public, déposées à l'audience à laquelle il a été entendu en ses observations orales, tendant à la confirmation de la décision, les parties ayant été mises en mesure de répliquer à l'ensemble des observations présentées tant par écrit qu'oralement;

Sur ce:

Sur l'exception d'irrecevabilité du recours incident formé par le Ministre chargé de l'économie qui est présentée par la FIFA :

Considérant que, contrairement à ce que la FIFA prétend, en se bornant à exprimer ses observations sur le mérite du recours principal formé par OMVESA (Sté) et sur les recours incidents formés par la FIFA et le CFO le Ministre chargé de l'économie, qui demande seulement à la cour d'en tirer les conséquences juridiques, n'a pas formé un recours incident ; que l'exception d'irrecevabilité est donc sans objet ;

Sur la compétence du Conseil de la concurrence contestée par la FIFA :

Considérant que les pratiques alléguées par la société OMVESA dépassent le litige qui peut exister entre les parties sur l'exécution des contrats passés et, en ce qu'elles mettent en cause l'ensemble du comportement du CFO et de la FIFA envers les tours-opérateurs, sont susceptibles de relever des dispositions du livre IV du Code de commerce, dès lors qu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence, comme l'a retenu exactement la décision attaquée ; que la FIFA n'est donc pas fondée à contester la compétence du Conseil de la concurrence pour en connaître;

Sur le fond,

Considérant que, comme il ressort des explications données par les parties et des constatations de fait de la décision attaquée qui ne sont pas contestées, de nombreux étrangers souhaitaient assister à certaines rencontres de la compétition organisée dans plusieurs villes françaises, chaque équipe nationale pouvant être amenée à jouer dans plusieurs de celles-ci, de sorte qu'il existait une demande de ces spectateurs pour obtenir non seulement un billet mais aussi des prestations de transport et d'hébergement;

Que pour répondre à cette demande, les tours-opérateurs avaient élaboré des forfaits comprenant ces prestations et la fourniture d'un billet ; que cela leur imposait d'être, par avance, certains de disposer du nombre de billets correspondants aux forfaits qu'ils commercialisaient et d'être à même d'en apprécier le coût; qu'ils recherchaient donc des billets leur permettant de satisfaire à ces critères spécifiques;

Qu'ainsi la demande de ces tours-opérateurs se distinguait de celle portant sur des billets destinés aux spectateurs ne désirant pas bénéficier de prestations touristiques liées, sachant que des règles avaient été fixées pour limiter le nombre de billets qu'une personne pouvait acquérir du CFO pour une même rencontre, ce qui interdisait, de fait, aux opérateurs commerciaux non autorisés de se fournir auprès de lui;

Considérant que c'est donc à bon droit que la décision attaquée a retenu qu'il existait "un marché constitué par l'offre et la demande de billets destinés à être revendus, dans le cadre de la confection de forfaits touristiques à l'occasion de la Coupe du monde de football 1998";

Considérant que le CFO et la FIFA ne sont pas fondés à soutenir que ce marché n'existait pas au motif que tous les billets pouvaient être librement distribués en l'état, même par les TOA et que ceux attribués aux associations nationales n'étaient "en aucun cas destinés à la confection de forfaits touristiques" qu'en effet, cette dernière allégation est fausse aux termes des conditions générales de vente qui leur étaient applicables, puisque celles-ci envisagent expressément la possibilité de revente avec prestations complémentaires ; qu'en outre, si les organisateurs ne distinguaient pas l'utilisation des billets offerts à la vente, il existait, néanmoins, une demande portant sur des billets destinés à entrer dans la confection de tels forfaits, dont ils ne pouvaient ignorer l'importance, puisque les tours-opérateurs souhaitaient satisfaire la forte demande du client final en forfait comprenant les prestations touristiques et des billets ; que c'est pour tenter de satisfaire à cette demande spécifique que le CFO a mis en place un circuit de distribution sélective qui réservait aux TOA, un nombre de billets garanti pour chacune des zones géographiques prédéterminées, selon des règles qui leur permettaient de s'adapter aux aléas inhérents au déroulement de la Coupe du monde, tant quant aux équipes encore en compétition qu'aux villes où avaient lieu les rencontres ; qu'enfin, cette spécificité de la demande exclut toute possibilité de substitution d'un marché plus large au marché retenu;

Considérant que la FIFA ne peut nier avoir été présente sur ce marché avec le CFO, alors que, si ce dernier était le seul émetteur des billets dont le nombre était limité par la capacité des stades et le nombre des rencontres, ceux-ci étaient distribués soit par l'intermédiaire de celui-ci pour le grand public et les TOA, soit par celui de la FIFA pour ses membres, les associations nationales ; qu'il est constant que c'est celle-ci qui avait fixé les règles générales de la billetterie que devait appliquer le CFO, ce qui ressort du "Règlement de la Coupe du monde de la FIFA France 1998", notamment en ce qu'une part significative des billets (20 %) était réservée aux associations nationales, et que c'est elle qui en avait déterminé la répartition entre celles-ci ; qu'enfin, le CFO indique dans son mémoire du 13 avril 2001, sans être contredit, qu'il "n 'avait pas d'autorité directe sur la FIFA elle-même, ni sur les associations nationales membres de celle-ci et n 'avait pas de relation financière directe avec lesdites associations nationales, qui réglaient leurs billets à la FIFA";

Considérant que la décision attaquée relève, d'une part, qu'aux termes du cahier des charges établi par la FIFA "l'association nationale désignée et son comité organisateur sont placés sous le contrôle de la FIFA et de la commission d'organisation de la Coupe du monde de la FIFA" et que "c'est la FIFA qui prend, en dernière instance, les décisions de principe concernant tous les points", et d'autre part, qu'il était prévu par le règlement que 19 % des recettes brutes provenant de la vente des billets, des droits de télévision et des droits de publicité dans les stades devaient être prélevés, de manière forfaitaire par la FIFA, propriétaire de tous les droits sur la Coupe du monde de football;

Considérant qu'il ressort de ces constatations que ces entités, dont l'interdépendance est établie et qui avaient, en l'espèce, une activité de nature économique, ont agi ensemble sur le marché des billets destinés à être revendus, dans le cadre de la confection de forfaits touristiques à l'occasion de la Coupe du monde de football 1998 selon une ligne de conduite commune; qu'il s'ensuit que la position dominante collective du CFO et de la FIFA sur ce marché pertinent est caractérisée;

Considérant, toutefois que comme l'a exactement relevé le Conseil de la concurrence, une telle position n'est pas en soi, illicite;

Considérant que OMVESA (Sté) pour prétendre à l'existence de pratiques discriminatoires anticoncurrentielles, fait valoir que la vente des billets supplémentaires, notamment pour la finale a été dirigée vers les associations nationales, alimentant un "marché gris spéculatif" sur lequel les TOA n'ont pu s'approvisionner faute de pouvoir répercuter la hausse spéculative sur leurs clients auxquels ils avaient vendu les forfaits, d'autant que le CFO avait imposé aux seuls TOA de ne pas revendre les billets avec une marge supérieure de 20 % de leur valeur ; qu'elle invoque aussi un manque de transparence des conditions d'accès à la billetterie et une distorsion entre les conditions contractuelles prévoyant la vente de 8 % des billets aux TOA et la réalité, seuls 6,58 % de ceux-ci leur ayant été vendus, ce qui a artificiellement restreint l'offre au profit des associations nationales ; qu'enfin, elle dénonce le fait que le suivi des intermédiaires n'a été imposé qu'aux TOA;

Considérant, cependant, qu'il n'est pas établi que les organisateurs ont entendu restreindre artificiellement l'offre au détriment des TOA ; que si l'objectif de répartition des billets qu'ils avaient indiqué à l'origine - mentionnant que 8 % des billets seraient distribués par leur intermédiaire - n'a pas été atteint, il y a lieu de relever qu'il ressort des déclarations de M. Van de Miert au Parlement européen le 12 mars 1998, que la Commission européenne est intervenue auprès des organisateurs pour que les billets disponibles soient mis à la disposition des acheteurs hors de France mais sur le territoire de l'Espace économique européen, alors que les organisateurs entendaient les offrir sans distinction géographique ; que cette demande expresse a donc eu pour effet de limiter le nombre de billets supplémentaires disponibles pour les TOA des zones étrangères à cet espace et a modifié les quotas initialement fixés;

Qu'au demeurant, la part de 8 % de billets pour les TOA n'était qu'un objectif auquel les organisateurs n'étaient pas tenus de parvenir, seul un nombre défini de billets étant contractuellement garanti à ceux-ci ; qu'il est constant que ces billets garantis ont été délivrés mais que le CFO n'a pu satisfaire toutes les commandes supplémentaires; que si le CFO a demandé aux TOA de limiter le prix de revente, il l'a fait uniquement pour les dernières ventes de billets supplémentaires, ce qui répondait à son souci légitime de lutter contre la spéculation que dénonce justement OMVESA (Sté);

Qu'il ne ressort d'aucun élément du dossier la preuve que les conditions d'accès à la billetterie n'étaient pas transparentes; qu'au contraire, il apparaît que les organisateurs avaient diffusé une large information sur son fonctionnement et sur les buts poursuivis qui étaient de permettre l'accès aux rencontres sportives du plus large public, notamment du public étranger, par répartition de quotas de place selon les circuits de distribution et ce, dans le respect du libre jeu de la concurrence;

Que les conditions générales de vente remises aux TOA étaient explicites, notamment en ce qu'elles autorisaient la revente des billets sans aucune limitation, si ce n'est celle liée à l'identification des distributeurs afin de connaître, pour des raisons de sécurité et conformément à la réglementation en vigueur, l'équipe soutenue par le spectateur, de sorte que les TOA pouvaient se procurer des billets auprès d'autres TOA ; que ces opérateurs ne pouvaient ignorer que le nombre limité de places dans les stades ne permettait pas de satisfaire la demande ; que professionnelles, intervenant dans le domaine des voyages à l'occasion d'événements sportifs, elles ne pouvaient pas plus ignorer que les associations nationales étaient susceptibles de leur revendre des billets sur le quota qui leur était alloué, auquel avait accès l'ensemble des tours-opérateurs;

Qu'enfin, comme la décision attaquée le relève, la circonstance que le CFO et la FIFA ne seraient pas intervenus avec une fermeté suffisante auprès des associations nationales pour faire respecter leur obligation de communiquer aux organisateurs la liste des entités constituant leurs réseaux de distribution, comme il était prévu aux conditions générales de vente qui leur étaient applicables, ne démontre pas que cette carence a pu avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel ; qu'à cet égard il faut observer que si ces associations ne vendaient pas les billets qui leur avaient été attribués, elles devaient les retourner au CFO qui s'était engagé à ne pas les remettre en vente et à les distribuer gratuitement à des associations de bienfaisance;

Considérant que c'est donc par une exacte appréciation des éléments qui lui étaient soumis que le Conseil de la concurrence a retenu que n'était pas rapportée la preuve de ce que le CFO et la FIFA avaient mis en œuvre des pratiques caractérisant un abus de position dominante sur le marché concerné;

Considérant que, par voie de conséquence, il n'y a pas lieu de rechercher si le marché français ou communautaire a pu en être affecté, cette recherche étant sans portée;

Considérant qu'aucun grief d'entente n'ayant été notifié au CFO et à la FIFA, le Conseil de la concurrence n'a pas examiné le grief d'entente allégué devant la Cour que OMVESA (Sté) est donc irrecevable à s'en prévaloir;

Considérant qu'il s'ensuit que le recours principal et les recours incident ne sont pas fondés;

Par ces motifs : Rejette l'exception d'irrecevabilité présentée par la FIFA, Rejette les recours ; Condamne OMVESA aux dépens.