Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 20 novembre 2001, n° ECOC0100463X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

La Française des Jeux (SEM)

Défendeur :

Ayache (ès qual.), Groupe Telci (SA), TIM (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cavarroc

Conseillers :

M. Remenieras, Mme Penichon

Avoués :

SCP Duboscq-Pellerin, SCP Garrabos Gerigny-Freneaux

Avocats :

Mes Alquezar, Khayat

CA Paris n° ECOC0100463X

20 novembre 2001

Saisi successivement par les Sociétés anonymes TIM et Groupe Telci, le ministre chargé de l'Economie et des Finances et M. Espinguet, débitant de tabac, de pratiques mises en œuvre par la société Française des Jeux dans les secteurs de la maintenance informatique et du mobilier de comptoir, le Conseil de la concurrence (le Conseil) a, par décision n° 00-D-50 du 5 mars 2001, infligé à cette entreprise une sanction pécuniaire de 17 millions de francs pour avoir, au mépris des dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce, exploité abusivement sa position dominante sur le marché des jeux de hasard pur distribués par elle :

- d'une part, en subordonnant l'agrément de ses détaillants à l'acquisition de deux éléments de mobilier, dit "comptoir terminal" et "espaces-jeux", dont elle était le fournisseur exclusif, et en exerçant des pressions sur plusieurs revendeurs déjà agréés pour les inciter à faire l'acquisition dudit mobilier ;

- d'autre part, en consentant à sa filiale, la Française de Maintenance, par l'utilisation des ressources tirées du monopole des jeux, une subvention qui a permis à cette dernière de pratiquer, sur le marché de la maintenance informatique, des prix inférieurs à ses coûts variables et d'emporter dix-sept contrats de maintenance.

Au soutien du recours en annulation qu'elle a introduit le 9 avril 2001, la société Française des Jeux a fait valoir, sur le grief relatif au marché du mobilier de comptoir, que le Conseil était incompétent pour connaître de faits qui mettent en jeu des relations contractuelles entre mandant et mandataire, que le droit de propriété intellectuelle dont elle disposait sur le mobilier de comptoir faisait obstacle à la qualification de ces pratiques au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce et que ces dernières étaient justifiées au regard de l'article L. 420-4 dudit Code.

Concernant les pratiques relevées sur le marché de la maintenance informatique, elle a soutenu tout d'abord que le principe du contradictoire n'avait pas été respecté par le Conseil. Elle a ensuite contesté l'existence d'un lien de connexité entre le marché des jeux de hasard pur et le marché de la maintenance informatique, l'analyse des coûts variables retenus par le rapporteur et l'effet anticoncurrentiel de la pratique de prix bas mise en œuvre par sa filiale, la société Française de Maintenance.

Estimant les deux griefs non fondés, elle demande à la cour :

- à titre principal, d'annuler la décision du Conseil,

- de dire et juger, sur le premier grief, que le contrôle des relations contractuelles unissant la Française des Jeux à ses détaillants n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 420-2 du Code de commerce et par là-même ne relève pas de la compétence du Conseil, de constater, en tout état de cause, que cette entreprise dispose d'un droit de propriété intellectuelle sur le mobilier "espace-jeux", lui conférant la faculté de s'en réserver la fabrication et la commercialisation exclusives et que le grief relatif aux pratiques perpétrées sur le marché du mobilier de comptoir n'est pas caractérisé ;

- de dire et juger, sur le second grief, que le Conseil a violé le principe du contradictoire et que sa décision est entachée de nullité pour contradiction de motifs et qu'il n'existe aucun lien de connexité entre le marché des jeux de hasard pur et celui de la maintenance informatique ; de constater, subsidiairement, l'absence de prix prédateurs à l'endroit de la Française de Maintenance et l'absence d'impact et de durée de la pratique sur le marché et de déclarer infondé le grief concernant le marché de la maintenance informatique ;

- à titre infiniment subsidiaire, de supprimer voire réduire la sanction infligée par le Conseil au titre des deux griefs notifiés.

Reprenant pour l'essentiel l'argumentation du Conseil, à l'exception de la qualification de la stratégie mise en œuvre par la Française des Jeux qu'il estime prédatrice, en raison du caractère fortement déficitaire des contrats, de la mise en évidence de l'intention de "pratiquer un prix d'appel pour entrer dans le compte, afin d'obtenir ensuite des prix plus rentables" et de la durée des pratiques, Me Ayache, mandataire-liquidateur et représentant des créanciers des sociétés anonymes Groupe Telci et TIM, demande à la cour de confirmer la décision du Conseil, de condamner la Française des Jeux à lui payer la somme de 50 000 F en vertu des dispositions de l'article 700 du NCPC ainsi que les dépens, dont le montant sera recouvré directement par la SCP Garrabos et Gerigny-Freneaux, avoués près la cour d'appel de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.

Le Conseil de la Concurrence a fait valoir ses observations par lettre du 25 juillet 2001.

Le ministre de l'économie et le ministère public ont été entendus en leurs observations orales tendant au rejet du recours.

Le requérant a eu la parole en dernier.

Sur ce, LA COUR,

Sur la procédure

Considérant que le requérant soutient que le Conseil de la concurrence a violé le principe du contradictoire, d'une part, en qualifiant les pratiques sur le marché de la maintenance informatique " de pratique commerciale qui, sans être prédatrice, a entraîné une perturbation durable du marché qui n'aurait pas eu lieu sans elle ", alors que la notification de griefs ne contient pas une telle mention, et d'autre part, en retenant une position différente de celle de son rapporteur sur le lien de connexité existant entre le marché des jeux de hasard pur et celui de la maintenance informatique ;

Considérant sur le premier moyen, qu'il était reproché à la société Française des Jeux "d'avoir fait une exploitation abusive de sa position dominante en faisant exécuter par sa filiale, la Française de Maintenance, des prestations de services sur le marché de la maintenance informatique à des prix inférieurs aux coûts variables afférents à ces prestations" ; que le requérant ne saurait se prévaloir d'une violation du principe du contradictoire dès lors que le grief notifié, qui ne comporte pas la qualification de prédation, et le grief retenu par le Conseil ont porté sur les mêmes faits, en l'espèce, les prix pratiqués dans les contrats de maintenance informatique passés par la société Française des Jeux et que tous les éléments de fait entrant dans la qualification ont été débattus contradictoirement, notamment le montant de la subvention et le calcul des coûts variables ;

Considérant sur le second moyen, que le Conseil ayant seul compétence pour qualifier les pratiques, il n'était pas lié par les appréciations portées sur le lien de connexité par le rapporteur qui, au demeurant, avait conclu à l'existence d'un abus de position dominante ; qu'il ne saurait être induit de cette divergence des positions une violation du principe du contradictoire dès lors qu'il ressort de la procédure que les éléments de fait et de droit versés au dossier sur l'existence d'un lien de connexité ont été discutés contradictoirement ;

Sur le fond

En ce qui concerne la compétence du Conseil de la concurrence

Considérant qu'à l'appui de son argumentation, le requérant fait valoir, concernant le premier grief, que le Conseil n'est compétent pour connaître ni des différends liés aux contrats de mandat qui l'unissent à ses détaillants ni de l'équilibre contractuel des relations entre mandant et mandataire, ces accords relevant exclusivement des juridictions civiles, en raison de leur nature, et se trouvant par conséquent hors du champ de l'article L. 420-2 du Code de commerce ; qu'il ajoute, faisant référence à la communication de la Commission européenne relative aux contrats de représentation exclusive conclus avec les agents commerciaux, que "l'interdiction des ententes prévues par l'article 85-1 du traité de Rome ne vise pas les contrats conclus avec des agents commerciaux, lesquels sont des mandataires d'intérêt commun";

Considérant que la formalisation partielle de ces pratiques dans des contrats de nature civile, qualifiés de mandat, n'est pas de nature à les exclure du champ d'application de l'article L. 420-2 du Code de commerce, la référence à la communication précitée de la Commission étant dépourvue de pertinence dès lors que le requérant, qui l'invoque pour la première fois devant la Cour, ne justifie pas être dans ce cadre ;

Considérant en effet, que le Conseil de la concurrence a censuré le comportement d'une société en position dominante qui avait subordonné l'agrément de ses nouveaux détaillants à l'acquisition de deux éléments du mobilier dont elle était fournisseur exclusif et avait exercé des pressions sur plusieurs revendeurs déjà agréés pour les inciter à faire l'acquisition dudit mobilier, restreignant ainsi la concurrence sur le marché du mobilier du comptoir ;

Que ces agissements, qui concernent la fourniture par une entreprise de prestations de services d'équipements à des opérateurs économiques, qui offrent des jeux et sont rémunérés par des commissions versées en pourcentage des mises effectuées, entrent, d'une part, dans le champ d'application de l'article L. 410-1 du Code de commerce, et, d'autre part, dans les prévisions de l'article L. 420-2 dudit Code, s'agissant de pratiques mises en œuvre par une société en position dominante susceptibles de fausser le jeu de la concurrence;

Que le Conseil a donc compétence pour en connaître;

En ce qui concerne les pratiques relevées sur le marché du mobilier de comptoir

Considérant que le requérant soutient, en premier lieu, que le droit de propriété intellectuelle dont il dispose sur le mobilier "espace-jeux" lui donne la faculté de s'en réserver la fabrication et la commercialisation exclusives, laquelle ne saurait caractériser une pratique prohibée ;

Considérant cependant que le grief critiqué ne porte pas sur l'exercice des prérogatives conférées par le droit de propriété intellectuelle dont la Française des Jeux est titulaire mais sur une pratique distincte ;

Qu'en l'espèce, il est reproché au requérant, détenteur d'une position dominante sur le marché des jeux de hasard pur distribués par elle, d'avoir subordonné l'agrément de ses détaillants à l'acquisition de deux éléments du mobilier, dits " comptoir terminal " et " espace-jeux ", dont il était le fournisseur exclusif, et exercé des pressions sur des revendeurs déjà agréés pour les inciter à faire l'acquisition de ce mobilier, agissements qui ont empêché les détaillants de faire jouer leur liberté commerciale au profit d'autres fabricants de mobilier de comptoir et ont privé ces derniers d'accéder à leur demande, ce qui était de nature à réduire l'intensité de la concurrence sur le marché du mobilier de comptoir et à fausser, de surcroît, la compétition existant entre les détaillants, sur la même zone de chalandise;

Que dès lors, ce moyen ne peut qu'être rejeté ;

Considérant que la société requérante prétend, en second lieu, que l'obligation faite aux détaillants d'équiper leurs points de vente avec le mobilier "espaces-jeux" a entraîné une progression de leur chiffre d'affaires et, par voie de conséquence était justifiée au regard de l'article L. 420-4 du Code de commerce ; qu'elle souligne encore que l'analyse des prix de cession du mobilier pratiqués montre qu'elle n'a pas cherché à réaliser des profits;

Mais considérant qu'en mettant en œuvre les pratiques sus-mentionnées et en fixant ses prix à un niveau supérieur à ceux du marché, soit 38 770 F contre 25 000 F après le changement de fournisseurs, la société Française des Jeux a fait de sa position dominante une exploitation abusive ; qu'en effet, la politique d'aménagement des espaces de vente et de présentation des produits décidée par cette entreprise a dépassé ce qui était strictement nécessaire à sa mise en œuvre dès lors que les mêmes finalités pouvaient être atteintes par d'autres méthodes telles qu'un cahier des charges précisant les spécifications objectives de qualité recherchées et qu'il existait des opérateurs susceptibles de les proposer ;

Que peu importe que la pratique ait été bénéfique pour le chiffre d'affaires des détaillants et qu'elle n'ait tiré aucun profit du système ainsi mis en place, dès lors que les détaillants ont été empêchés de faire jouer leur liberté commerciale au profit d'autres fabricants de mobilier de comptoir et réciproquement, réduisant ainsi l'intensité de la concurrence sur ce marché ;

En ce qui concerne les pratiques relevées sur le marché de la maintenance informatique

Sur la connexité entre les marchés visés

Considérant qu'au soutien de son argumentation sur l'absence de lien de connexité entre le marché des jeux de hasard pur et le marché de la maintenance informatique sur lequel les pratiques ont été relevées, le requérant fait valoir d'une part, qu'il n'existe pas de lien étroit entre ces deux marchés et que le seul fait que la Française des Jeux utilise, pour certains jeux, des techniques informatiques afin de valider les mises est insuffisant à établir cette relation ; qu'elle fait valoir, d'autre part, que la finalité sociale de la sur-rémunération accordée aux techniciens de la Française de Maintenance ne peut servir de fondement à une relation de causalité entre la domination de l'un des marchés et les pratiques relevées sur l'autre ;

Considérant qu'il résulte de la procédure que la Française des Jeux, en position dominante sur le marché des jeux de hasard pur, a apporté à sa filiale, la Française de Maintenance, qu'elle détenait à 90 % et à laquelle elle avait consenti l'exclusivité de la maintenance de son parc informatique pour l'organisation de ses jeux, une aide sous la forme d'une sur-rémunération octroyée à ses techniciens, qui a permis le financement des surcoûts salariaux supportés par cette filiale, laquelle rétribuait ses salariés au-dessus du niveau du marché ;

Que cette subvention, qui résultait de transferts de ressources provenant de la rente dégagée grâce à la position détenue sur le marché dominé, s'est élevée, en 1996 à 17 795 millions de francs pour les contrats de maintenance Saphir dédiés aux terminaux de la Française des Jeux; qu'elle a permis à la Française de Maintenance de pratiquer sur le marché concurrentiel de la maintenance informatique des prix inférieurs à ses coûts variables et de remporter dix-sept contrats de maintenance que des concurrents auraient pu obtenir si cette pratique de prix n'avait pas été mise en œuvre ;

Considérant quel'abus de position dominante commis sur un marché distinct du marché dominé peut être sanctionné dès lors qu'existent un lien de connexité suffisant entre les deux marchés et un rapport de causalité entre la domination de l'un des marchés et les pratiques relevées sur l'autre ; que les marchés peuvent être non seulement liés par nature mais aussi du fait même de l'entreprise dominante, lorsque celle-ci établit par son comportement un lien de connexité entre les deux marchés; que tel est notamment le cas lorsqu'elle finance abusivement, par des transferts de ressources provenant de la rente dégagée grâce à la position détenue sur le marché dominé, l'activité concurrentielle exercée par sa filiale sur un marché distinct, en lui permettant l'application de prix inférieurs à ses coûts variables ;

Considérant qu'en relevant, à titre principal, que la Française des Jeux, société d'économie mixte, titulaire d'un monopole légal lui permettant d'avoir ses charges couvertes par "la part des mises allouées à l'organisation des jeux, fixée par l'Etat", a pu s'abstraire des conditions de rentabilité des entreprises du secteur concurrentiel en utilisant la rente dégagée sur le marché dominé des jeux de hasard pur pour financer les surcoûts salariaux de sa filiale, et développer ainsi sa position sur le marché de la maintenance informatique, le Conseil a suffisamment caractérisé le lien de connexité entre les deux marchés; qu'au surplus, il a également remarqué que "la technique utilisée pour valider les mises des joueurs repose sur l'emploi de procédures informatiques dont la fiabilité constitue un élément essentiel au succès de certains jeux ", caractérisant ainsi un élément de connexité par nature entre les deux marchés ;

Qu'enfin, la société requérante a reconnu elle-même l'existence de ce lien lorsqu'elle a précisé, dans ses observations déposées tant devant le Conseil que devant la cour, que les sur-rémunérations accordées à sa filiale étaient une garantie pour obtenir un fonctionnement permanent de ses jeux de terminaux de loteries ;

Sur l'objet et l'effet anticoncurrentiel des pratiques

Considérant d'une part, que la société requérante soutient qu'elle n'a consenti à la société Française de Maintenance aucun avantage financier et qu'après avoir fait remarquer que le Conseil n'avait pas tenu compte de la difficulté de procéder à une estimation préalable de la prestation de maintenance informatique, elle conteste avoir pratiqué des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables, les frais de personnel, non correllés à l'évolution du chiffre d'affaires, ne constituant pas des coûts variables ; qu'elle souligne également en prenant l'exemple du contrat passé avec l'ANPE, en 1996, que le prix n'était pas inférieur "au coût moyen variable prévisionnel du chantier considéré" :

Que, d'autre part, elle allègue que le marché n'a pas été affecté par la pratique de prix bas qui ne constitue pas, ainsi que l'a retenu le Conseil, une stratégie prédatrice délibérée et qui, d'une durée limitée, a eu un faible impact sur le marché de la maintenance informatique ; que, sur ce dernier point, elle observe qu'elle a été sanctionnée sur la base d'une contradiction, dans la mesure où le Conseil ne peut affirmer que la pratique a entraîné une perturbation durable du marché et retenir, au titre des circonstances atténuantes, la durée limitée de celle-ci ;

Considérant toutefois, qu'il résulte des investigations effectuées, notamment des déclarations des dirigeants de la Française de Maintenance, que l'aide financière consentie par la Française des Jeux à sa filiale, sous forme d'une surrémunération des contrats, a été affectée, en 1996, à hauteur de 17 795 millions de francs aux contrats de maintenance Saphir et de 3,52 millions de francs aux contrats "hors groupe" ; que sur les 100 contrats de fourniture de prestations de services informatiques conclus pendant cette période par la Française de Maintenance avec des entreprises extérieures au groupe, 17 l'ont été à des prix inférieurs aux coûts variables ;

Considérant, sur les prix pratiqués, que, d'une part, et contrairement à ce qui est soutenu par la société requérante, le caractère déficitaire des contrats ne peut être expliqué par la seule difficulté de procéder à une évaluation préalable de la prestation, caractéristique qui est l'apanage de nombreux secteurs, dès lors que la perte moyenne, par rapport aux coûts variables afférents à ces prestations, s'est élevée à 35, 47 % et que la marge avant impôt retenue par la Française des Jeux était de 2 à 3 %, alors que pour se prémunir contre les aléas, les opérateurs du secteur calculaient leurs soumissions en prévoyant une marge avant impôt d'environ 10 % ;

Que, d'autre part, les frais de personnel doivent être regardés comme des coûts variables dès lors qu'ainsi qu'il résulte du tableau établi par le Conseil en page 13 de sa décision, leur masse, sur cinq ans, a augmenté, diminué ou est restée stable en proportion de l'activité de la société, analyse confortée par la pratique comptable de la Française des Jeux qui, pour les 100 contrats de maintenance informatique commercialisés, a classé les frais de personnel dans les coûts variables directs ou indirects ; que, s'agissant du contrat conclu avec l'ANPE en 1996, il résulte des déclarations des responsables de la filiale Française de Maintenance, notamment lors d'une réunion du 13 septembre 1995, que le prix était "un prix d'appel, sans marge, pour entrer dans le compte afin d'obtenir ensuite des prestations de services plus rentables" ; que, même en suivant le raisonnement du requérant sur l'existence d'un écart entre le coût prévisionnel et le coût réel, il s'agissait d'un prix situé en deçà d'une évaluation prévisionnelle moyenne, la marge nette étant fixée à 2 % avant impôt alors que la marge usuelle est de 10 % ;

Considérant, sur l'atteinte à la concurrence, que les pratiques de prix bas, rendues possibles par l'octroi, à la filiale d'une entreprise disposant d'un monopole public, de subventions tirées de la rente dégagée dans l'activité monopolistique, jointes à la force commerciale de celle-ci, composée de points de vente situés sur tout le territoire, ont contribué à l'obtention des contrats en cause, affectant la capacité concurrentielle d'autres opérateurs et permettant à la société Française de Maintenance d'acquérir un poids économique et une réputation déterminants pour son avenir autrement que par ses propres mérites ; que c'est cependant, à juste titre, en l'absence d'une stratégie généralisée, que le Conseil a écarté la qualification de prix prédateurs en relevant que la très faible part détenue par la Française de Maintenance sur le marché de la maintenance informatique (entre 0,5 et 0,7 %), combinée au caractère modeste des barrières à l'entrée, rendait improbable le succès d'une stratégie d'élimination des concurrents permettant ensuite de relever les prix ;

Qu'enfin, le Conseil a pu, sans se contredire, mentionner que ces agissements avaient perturbé de manière significative le marché de la maintenance informatique et retenir, au titre des circonstances atténuantes, la durée limitée des pratiques, dès lors que ces dernières, si elles ont affecté le marché en profondeur, compte tenu du niveau des prix très inférieurs à ceux des concurrents et de la "forte visibilité" des accords conclus avec l'ANPE ou la SNCF, n'ont pas excédé une certaine durée, ayant été commises au cours des années 1995 et 1996 ;

Sur le montant de la sanction

Considérant que, dans son mémoire en réplique, le requérant fait valoir que le Conseil n'a pas tenu compte, dans l'appréciation du premier grief, de la coopération de la Française des Jeux et du faible impact de la pratique sur le marché du mobilier de comptoir et qu'il a apprécié la sanction au regard de l'effet de son comportement sur les détaillants alors que seul celui sur les concurrents devait être pris en considération ;

Considérant que la sanction prononcée n'a pas pour but de réparer un préjudice, celui des détaillants ou des concurrents, ainsi que semble l'induire la remarque du requérant, mais de sanctionner le dommage à l'économie à partir d'un indicateur objectif, reposant sur les prix pratiqués sur ce marché, dont le niveau a été faussé par l'acte anticoncurrentiel en raison de la surévaluation du prix du mobilier litigieux ;

Qu'en fixant la sanction à 0,7 % du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée, le Conseil a pris en considération tant le dommage à l'économie résultant des restrictions de concurrence exercées sur les marchés du mobilier de comptoir et de la maintenance informatique et caractérisées par la réduction de la capacité concurrentielle des différents opérateurs économiques y intervenant, que les circonstances atténuantes résultant de la collaboration de la Française des Jeux au cours de l'enquête et de l'instruction, sans qu'il soit nécessaire de distinguer entre les griefs, de la durée de ces pratiques et de leur faible impact sur les marchés considérés ;

Qu'ainsi le Conseil a fait une exacte appréciation de la gravité des agissements considérés et du montant de la sanction ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le recours exercé par la société Française des Jeux doit être rejeté ;

Qu'il convient d'allouer à Me Ayache, mandataire-liquidateur et représentant des créanciers des sociétés anonymes Groupe Telci et TIM, une somme de 25 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du NCPC ;

Qu'il y a lieu de condamner la société Française des Jeux aux dépens ; que le ministère d'avoué n'étant pas obligatoire dans le cadre de la présente procédure, il en résulte que la SCP Garrabos et Gertigny-Freneaux, avoué près la Cour d'appel de Paris, ne peut exercer contre la partie condamnée aux dépens le droit de recouvrement direct prévu par l'article 699 du NCPC ;

Par ces motifs : Rejette le recours ; Condamne la société Française des Jeux à payer à Me Ayache, mandataire liquidateur et représentant des créanciers des sociétés anonymes Groupe TELCI et TIM, une somme de 25 000 F en application de l'article 700 du NCPC ; Met les dépens à la charge de la société requérante ; Déclare irrecevable la demande formée au titre de l'article 699 du NCPC.