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Décisions

TPICE, 3e ch., 21 mars 2002, n° T-131/99

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Michael Hamilton Shaw, Timothy John Falla

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Whitbread plc

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Azizi

Juges :

MM. Lenaerts, Jaeger

Avocats :

Mes Khan, Green, QC, Flynn, Lowe, Maitland-Walker.

TPICE n° T-131/99

21 mars 2002

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

Faits à l'origine du litige

1. A l'époque des faits à l'origine de la présente procédure, Whitbread plc (ci-après "Whitbread") était une entreprise britannique spécialisée dans les denrées alimentaires, les boissons et les loisirs. Elle fabriquait, commercialisait et distribuait de la bière et assurait la distribution en gros d'autres boissons. Elle était propriétaire de débits de boissons qu'elle louait ou exploitait, et gérait des restaurants, des hôtels, des magasins vendant des boissons à emporter et des clubs de loisirs.

2. A la fin de l'exercice clos en février 1997, Whitbread possédait environ 4 490 débits de boissons titulaires d'une licence de vente de boissons alcooliques à consommer sur place, dont 2 170 étaient exploités dans le cadre d'une gérance, c'est-à-dire par un salarié de l'entreprise, 2 130 étaient loués à des débitants devant respecter une obligation d'achat de bière et 190 étaient loués à des exploitants dégagés de toute obligation d'achat. Sur l'ensemble des débits loués, 1 643 étaient loués en vertu, respectivement, d'un bail de vingt ans, 276 dans le cadre d'un bail de cinq ans et 19 en vertu d'un bail dit de "préretraite".

3. Les trois derniers baux susvisés sont des contrats conclus entre Whitbread et un débitant, par lesquels Whitbread met à la disposition de ce dernier un débit de boissons titulaire d'une licence, ainsi que les installations correspondantes, afin que celui-ci en assure l'exploitation, en contrepartie d'un loyer et de l'engagement de lui acheter à elle, ou à tout fournisseur désigné par elle, à l'exclusion de toute autre source, les bières spécifiées dans le contrat.

4. Ces baux comportent donc une obligation d'achat exclusif et une obligation de non-concurrence.

5. L'obligation d'achat exclusif contraint le débitant lié à acheter exclusivement auprès de Whitbread ou d'une personne désignée par celle-ci les bières spécifiées dans le contrat dont il a besoin aux fins de la vente dans son établissement, à l'exception d'une bière à la pression conditionnée en fût et, depuis le 1er avril 1998, d'une bière en bouteille. Les types de bières concernés par l'obligation d'achat exclusif sont indiqués dans l'annexe du bail portant sur les conditions d'exploitation. Ces types de bière sont représentés par les marques ou les dénominations de bière figurant dans la liste de prix de Whitbread en vigueur. En pratique, le brasseur peut procéder à des ajouts, à des substitutions ou à des suppressions concernant les marques de bière qui figurent sur son barème de prix. Le débitant lié peut vendre d'autres types de bière, sous réserve qu'il s'agisse de bières en bouteille, en boîte ou de bières présentées dans un autre petit conditionnement, ou bien de bière à la pression si cette bière se vend habituellement sous cette forme ou si une demande suffisante de la clientèle du débit de boissons le justifie.

6. L'obligation de non-concurrence interdit au débitant lié de vendre ou de proposer à la vente dans son établissement ou d'apporter dans ledit établissement aux fins de la vente toute bière qui est du même type que la bière désignée, mais qui n'est pas fournie par Whitbread ou une personne désignée par celui-ci ou toute autre bière à moins qu'il ne s'agisse d'une bière en bouteille, en boîte ou présentée dans un autre petit conditionnement ou d'une bière à la pression si cette bière se vend habituellement sous cette forme ou si une demande suffisante de la clientèle du débit de boissons le justifie.

Procédure administrative

7. Le 24 mai 1994, Whitbread a notifié les trois types de bail mentionnés ci-dessus, à savoir le bail de vingt ans, le bail de préretraite et le bail de cinq ans. Elle a sollicité une attestation négative ou, à défaut, la confirmation par la Commission que les baux pouvaient bénéficier de l'application du règlement (CEE) n° 1984/83 de la Commission, du 22 juin 1983, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords d'achat exclusif (JO L 173, p. 5), modifié par le règlement CE n° 1582/97 de la Commission, du 30 juillet 1997 (JO L 214, p. 27), ou d'une exemption individuelle, en vertu de l'article 85, paragraphe 3, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 3, CE), avec effet rétroactif à la date de conclusion des contrats.

8. Dans le cadre de la procédure administrative et en application de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), la Commission a publié la communication 97/C 294/02 (JO 1997, C 294, p. 2). En réponse à celle-ci, la Commission a reçu 135 observations de tiers intéressés, dont celles, datées du 27 octobre 1997, d'un groupe de débitants liés, dont faisait partie M. M. H. Shaw. Ce groupe a demandé à la Commission d'enregistrer ses observations comme une plainte formelle contre Whitbread au sens de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17.

9. Par lettre du 16 juillet 1998, la Commission a informé le groupe de débitants liés, conformément à l'article 6 du règlement n° 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 (JO 1963, 127, p. 2268) de son intention de rejeter leur plainte.

10. C'est dans ces conditions que la Commission a adopté la décision 1999/230/CE, du 24 février 1999, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (affaire n° IV/35.079/F3 - Whitbread) (JO L 88, p. 26, ci-après la "décision attaquée"). Elle a décidé que les contrats types notifiés relèvent de l'article 85, paragraphe 1, du traité, mais a déclaré cette disposition inapplicable sur la base de l'article 85, paragraphe 3, du traité, avec effet du 1er janvier 1990 au 31 décembre 2008.

Procédure et conclusions des parties

11. C'est dans ces circonstances que M. M. H. Shaw et M. T. J. Falla, qui sont des débitants liés ayant chacun conclu avec Whitbread un bail de 20 ans portant sur un débit de boissons et faisant partie des baux types visés par la décision attaquée, et WPP Luxembourg Appeal Group Ltd, qui est une association regroupant des débitants liés ayant conclu avec Whitbread des baux types visés par ladite décision, ont introduit le 27 mai 1999 le présent recours.

12. Par ordonnance du 29 novembre 1999, le Tribunal (troisième chambre) a déclaré le recours irrecevable en ce qui concerne WPP Luxembourg Appeal Group Ltd.

13. Par ordonnance du 10 janvier 2000, le président de la troisième chambre du Tribunal a accordé le bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite à M. Shaw.

14. Par ordonnance du 19 janvier 2000, le président de la troisième chambre du Tribunal a admis Whitbread à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission.

15. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, à titre de mesures d'organisation de la procédure, a demandé aux parties de répondre à certaines questions écrites. Les parties ont déféré à cette demande.

16. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 26 avril 2001.

17. Les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler la décision attaquée;

- condamner la Commission et Whitbread aux dépens.

18. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours comme non fondé;

- condamner les requérants aux dépens.

19. Whitbread soutient les conclusions de la Commission mais conclut également à l'irrecevabilité du recours en annulation.

Sur la recevabilité

20. Whitbread soutient que le recours est irrecevable aux motifs que les requérants, d'une part, ne seraient pas concernés individuellement par la décision attaquée et, d'autre part, seraient actuellement dépourvus d'intérêt à agir.

21. Comme les moyens soulevés se rapportent à des fins de non-recevoir d'ordre public et que le Tribunal peut, en vertu de l'article 113 du règlement de procédure, à tout moment, examiner d'office les fins de non-recevoir d'ordre public, y compris celles invoquées par une partie intervenante (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 17 juin 1998, Svenska Journalistförbundet/Conseil, T-174/95, Rec. p. II-2289, points 77 à 79), il convient d'examiner d'office la recevabilité du recours.

1. Sur la question de savoir si les requérants sont individuellement concernés par la décision attaquée

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

22. Whitbread soutient que la seule qualité de cocontractant au bail faisant l'objet de la décision attaquée et le seul fait d'avoir été associé à la procédure administrative ayant précédé l'adoption de ladite décision sont, pour chacun de ces éléments pris isolément, insuffisants pour considérer les requérants comme individuellement concernés. Ceux-ci devraient en plus démontrer de quelle manière leur situation juridique personnelle a été affectée défavorablement par la décision attaquée, c'est-à-dire démontrer en quoi la Commission a eu tort de rejeter, dans la décision attaquée, les griefs spécifiques qu'ils ont formulés. Or, ces critères ne seraient pas respectés, puisque les requérants se seraient limités à se prévaloir dans leur requête de leur statut de débitant lié.

23. Elle ajoute que les requérants ont introduit, contre elle, des actions en dommages-intérêts et en répétition devant la High Court of England and Wales au motif que l'obligation d'achat de bière prévue par leurs contrats ainsi que les contrats eux-mêmes seraient contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Toutefois, l'existence d'une action en justice nationale ne suffirait pas pour qu'un requérant soit concerné individuellement s'il n'a pas d'autres raisons de l'être (arrêt de la Cour du 17 novembre 1998, Kruidvat/Commission, C-70/97 P, Rec. p. I-7183). Or, ainsi qu'il a été précisé ci-dessus, les requérants ne justifieraient d'aucune autre raison permettant de les considérer comme individuellement concernés par la décision attaquée.

24. Les requérants estiment être individuellement concernés par la décision attaquée.

Appréciation du Tribunal

25. Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d'une décision ne peuvent prétendre être concernés individuellement au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE, que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire (arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223, et du 23 mai 2000, Comité d'entreprise de la Société française de production e.a./Commission, C-106/98 P, Rec. p. I- 3659, point 39).

26. En l'espèce, les requérants ont formé un recours en annulation contre la décision d'exemption d'un accord auquel ils étaient parties et au sujet duquel ils soutiennent qu'il leur a imposé des prix discriminatoires et les a ainsi empêchés d'affronter la concurrence à armes égales. Ils ont engagé devant les juridictions anglaises un recours en indemnité contre Whitbread du fait de s'être vu imposer, dans le cadrede l'accord exempté, des obligations contraires à l'article 85 du traité. De plus, un des deux requérants a participé à la procédure administrative.

27. Eu égard à ces circonstances, qui, contrairement à l'allégation de Whitbread, attestent que la décision attaquée affecte la situation juridique personnelle des requérants, ceux-ci se trouvent dans une situation de fait qui les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire. Ils sont, partant, individuellement concernés.

28. Cette conclusion n'est pas mise en cause par la circonstance que les baux conclus par les requérants ont été résiliés postérieurement au dépôt de la requête. Whitbread s'est référé à cet égard à l'arrêt Kruidvat/Commission, précité, dans lequel il a été précisé que le seul fait que la légalité d'une décision est pertinente pour la solution d'un litige pendant devant le juge national ne permet pas à une partie requérante, dans le cadre d'un recours en annulation contre cette décision, de se prétendre suffisamment individualisée au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE (arrêt Kruidvat/Commission, précité, point 32).

29. Il convient de relever, en premier lieu, que les conditions de recevabilité du recours s'apprécient, sous réserve de la question différente de la perte de l'intérêt à agir, au moment de l'introduction du recours (arrêt de la Cour du 27 novembre 1984, Bensider e.a./Commission, 50/84, Rec. p. 3991, point 8). Or, à ce moment les requérants étaient encore liés par les baux litigieux. En second lieu, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Kruidvat/Commission, précité, le requérant, qui avait formé un recours en annulation contre une décision d'exemption individuelle d'un réseau de distribution sélective, n'était juridiquement affecté par cette décision que parce qu'il s'était vu assigner par un membre du réseau devant une juridiction nationale du chef de concurrence déloyale. Cette procédure nationale constituait donc un simple incident qui participait des relations générales entre ceux qui sont à l'intérieur et ceux qui sont à l'extérieur du réseau (conclusions de l'avocat général M. Fennelly sous l'arrêt Kruidvat/Commission, précité, Rec. p. I-7185, point 51, auxquelles renvoie la Cour au point 32 de l'arrêt). Au contraire, les requérants sont, dans le cas présent, juridiquement affectés par la décision attaquée non seulement en raison de l'existence de la procédure nationale d'indemnisation, mais aussi parce qu'ils ont été parties à l'accord exempté par cette décision. Celle-ci contient la confirmation de la légalité de l'accord qu'ils avaient considéré être contraire à l'article 85 du traité et qu'ils n'avaient, en partie pour cette raison, pas pleinement exécuté, situation qui a justifié la résiliation de leurs baux et les demandes de paiement de Whitbread.

2. Sur l'intérêt à agir

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

30. Whitbread relève que, dans la requête, l'intérêt à agir des requérants apparaît comme découlant uniquement de leur statut de débitants liés. Elle expose que les requérants ont gravement enfreint les clauses de leurs contrats et qu'elle a, postérieurement au dépôt de la requête, fait résilier leurs baux. Comme les requérants ne seraient plus des débitants liés à Whitbread, ils seraient dépourvus d'intérêt à agir (arrêt du Tribunal du 27 avril 1995, Casillo Grani/Commission, T-443/93, Rec. p. II-1375).

31. Les requérants estiment avoir conservé un intérêt suffisant à agir, même après la résiliation de leurs baux.

Appréciation du Tribunal

32. Il y a lieu de rappeler qu'une personne physique ou morale doit justifier d'un intérêt né et actuel à l'annulation de l'acte attaqué (arrêt du Tribunal du 17 septembre 1992, NBV et NVB/Commission, T-138/89, Rec. p. II-2181, point 33).

33. Il n'est pas contesté que les requérants avaient un intérêt à agir au moment du dépôt de la requête.

34. Whitbread soutient que cet intérêt a disparu entre-temps par l'effet de la résiliation du bail. Elle se prévaut à cet égard de l'arrêt Casillo Grani/Commission, précité. Dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt, une entreprise avait formé un recours en annulation contre une décision de la Commission autorisant l'octroi d'aides à un concurrent. L'entreprise ayant été déclarée en état de faillite en cours de procédure, le Tribunal a considéré qu'il n'y avait pas lieu de statuer au motif que l'intérêt à agir de la requérante, à savoir sa situation de concurrence avec le bénéficiaire de l'aide, avait disparu à la suite de la déclaration de faillite. Pour parvenir à cette conclusion, le Tribunal a pris soin de relever que les aides litigieuses n'avaient pas été versées au concurrent antérieurement à la déclaration de faillite, de sorte que la décision attaquée n'avait pas pu affecter la situation concurrentielle de la requérante avant que celle-ci fût déclarée en état de faillite. Dans cette affaire, la mise en cause de la situation concurrentielle de la requérante correspondait, au moment de l'événement mettant fin à l'intérêt à agir, à savoir la déclaration de faillite, à une situation juridique certes certaine, mais uniquement future. Au moment de l'événement ayant, dans cette espèce, été considéré comme faisant perdre à la requérante son intérêt à agir, l'acte attaqué n'avait donc pas encore produit les effets qui avaient motivé le recours.

35. En l'espèce, en revanche, ces effets, à savoir l'assujettissement à des obligations contractuelles considérées comme anticoncurrentielles, se sont produits dès la conclusion et la prise d'effet des contrats litigieux, donc antérieurement à l'événement qui, selon Whitbread, ferait perdre aux requérants l'intérêt à agir, à savoir la résiliation des baux.

36. De plus, les requérants gardent, postérieurement à la résiliation de leurs baux, un intérêt matériel et moral à la résolution du présent litige, puisqu'ils ont introduit devant les juridictions anglaises des recours en réparation du préjudice qu'ils auraient prétendument subi du fait de s'être vu imposer une obligation d'achat de bière qu'ils considèrent, contrairement à la position de la Commission exprimée dans la décision attaquée, comme contraire à l'article 85 du traité.

37. Le recours est, partant, recevable.

Sur le fond

38. Il convient de rappeler que le contrôle exercé par le juge communautaire sur les appréciations économiques complexes effectuées par la Commission dans l'exercice du pouvoir d'appréciation que lui confère l'article 85, paragraphe 3, du traité, à l'égard de chacune des quatre conditions qu'il contient, doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l'exactitude matérielle des faits, de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir (arrêts de la Cour du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission, 142/84 et 156/84, Rec. p. 4487, point 62, et du Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T-213/95 et T-18/96, Rec. p. II-1739, point 190).

39. Les requérants critiquent différentes appréciations portées par la Commission dans la décision attaquée, à savoir celles relatives à la spécification de l'obligation d'achat par type de bière, à la compensation des écarts de prix, à l'existence d'autres restrictions et à la possibilité d'accorder une exemption individuelle dont les conditions ne sont respectées que postérieurement à la conclusion de l'accord exempté.

1. Sur la spécification de l'obligation d'achat par type de bière

40. La Commission a relevé dans la décision attaquée (considérant 42) que l'obligation d'achat de bière prévue par les contrats en cause porte sur les types de bière indiqués dans l'annexe du bail. Elle constate que cette spécification du lien par type de bière ne satisfait pas aux conditions de l'article 6 du règlement n° 1984/83, selon lequel ne sont visés par l'exemption par catégorie que les accords visant "certaines bières ou certaines bières et boissons spécifiés à l'accord", donc prévoyant une spécification par marque ou par dénomination. Elle conclut que les contrats en cause ne peuvent pas bénéficier de l'exemption par catégorie en question (considérants 147 à 149 de la décision attaquée).

41. Dans le cadre de l'analyse du possible octroi d'une exemption individuelle, elle constate, au considérant 153 de la décision attaquée, au titre de considérations générales au sujet de la vérification de la condition tirée de l'amélioration de ladistribution, que la spécification du lien par type devrait permettre de mettre en œuvre les accords d'achat de bière exclusif au Royaume- Uni plus efficacement que la spécification prévue dans le règlement n° 1984/83 parce qu'elle permettrait plus facilement d'ajouter des marques de brasseurs étrangers ou nouveaux aux barèmes de prix en ce que le consentement de tous les débitants ne serait pas exigé. Cette remarque serait particulièrement fondée en l'espèce, en raison du nombre élevé de bières livrées par Whitbread à ses débitants liés et de la fréquence avec laquelle ce brasseur ajoute ou remplace une bière sur son barème, y compris de marque étrangère.

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

42. Les requérants critiquent le constat fait par la Commission au considérant 153 de la décision attaquée, selon lequel la spécification du lien par type de bière, par opposition à des marques ou dénominations, permet plus facilement d'ajouter les marques de brasseurs étrangers ou nouveaux aux barèmes de prix parce que cela n'exige pas le consentement de tous les débitants.

43. Même si, du fait de la spécification du lien par type de bière, il est plus facile pour les brasseurs d'ajouter de nouvelles marques sur leurs listes de prix, les requérants estiment que cela leur permet également d'imposer des limites aux débitants souhaitant acheter de telles bières lorsque celles-ci peuvent être distinguées de celles couvertes par l'obligation d'achat. Ainsi, l'effet de cloisonnement serait fortement accru.

44. Or, les brasseurs étrangers ou nouveaux seraient dans l'impossibilité d'accéder de manière indépendante au marché du Royaume-Uni. Les bières étrangères seraient produites et/ou commercialisées sous licence par des grands brasseurs britanniques. Cette manière uniquement indirecte d'accès au marché générerait pour les nouveaux venus des frais supérieurs à ceux qu'ils devraient supporter s'ils pouvaient accéder au marché par un autre moyen. Par ailleurs, le grand brasseur établi pourrait décider librement s'il souhaite consentir une licence et il risquerait de refuser de le faire s'il croit que le nouveau produit est susceptible de concurrencer sa propre gamme de produits.

45. Ils estiment qu'il est peu vraisemblable que les brasseurs proposent aux établissements liés à eux de la bière d'un autre brasseur qui concurrencerait leurs propres produits.

46. La Commission conteste le bien-fondé de l'argumentation des requérants.

Appréciation du Tribunal

47. Il y a lieu de relever, à titre principal, que le considérant 153 de la décision attaquée décrit un des arguments que la Commission a recensé, aux considérants 150 à 154 de ladite décision, en vue de parvenir à la conclusion que les accords encause entraînent une amélioration de la distribution. Or, les arguments autres que celui exposé au considérant 153 susvisé, notamment celui tiré de ce que les accords en cause facilitent sensiblement l'installation, la modernisation, l'entretien et l'exploitation des débits de boissons (considérant 150 de la décision attaquée) et celui tiré de ce que ces mêmes accords incitent le revendeur à consacrer toutes les ressources à sa disposition à la vente des marchandises désignées dans le contrat, et impliquent une coopération de longue durée entre les parties, qui leur permet d'améliorer la qualité des produits et du service à la clientèle fournis par le revendeur et permettent une organisation rentable de la production et de la distribution, donc une adaptation du nombre et des caractéristiques des débits de boissons aux souhaits de la clientèle (considérant 151 de la décision attaquée), n'ont pas été critiqués par les requérants. Donc, à supposer que leur critique de l'argument exposé au considérant 153 de la décision attaquée soit accueillie, il ne serait pas pour autant établi que les accords en cause n'entraînent pas une amélioration de la distribution. La critique en question n'est donc pas, à elle seule, de nature à établir qu'une des conditions d'octroi de l'exemption individuelle n'est pas respectée. Elle est donc dépourvue de pertinence.

48. Subsidiairement, en ce qui concerne le bien-fondé de la critique, il convient d'observer, en premier lieu, que, du point de vue de l'accès des brasseurs étrangers ou nouveaux sur le marché britannique de la bière à consommer sur place, l'avantage que la Commission a déduit de la spécification du lien par type de bière, à savoir de permettre d'ajouter plus facilement les marques de brasseurs étrangers ou nouveaux aux barèmes de prix parce que cela n'exige pas le consentement de tous les débitants, n'est pas sérieusement mis en cause par la circonstance qu'il implique, en contrepartie, que des obligations d'achat exclusif plus larges pèsent sur les débitants liés. Certes, dans le régime prévu par le règlement n° 1984/83, l'obligation d'achat ne porte que sur certaines bières ou certaines bières et boissons spécifiées dans l'accord (arrêt de la Cour du 28 février 1991, Delimitis, C-234/89, Rec. p. I-935, point 36). Elle ne concerne donc pas les bières qui relèvent du même type, mais seulement les autres marques de bière que celles spécifiées dans l'accord. Il est donc concevable que le débitant lié puisse s'approvisionner en bières relevant du même type que celui auquel appartiennent les marques spécifiées dans l'accord auprès d'entreprises tierces et que celles-ci puissent ainsi avoir accès au marché par l'entremise des débitants liés. Cette possibilité est toutefois purement théorique. En effet, l'article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1984/83 autorise expressément le fournisseur à imposer au revendeur l'obligation de ne pas distribuer dans le débit de boissons désigné dans l'accord des bières et autres boissons offertes par des entreprises tierces qui sont du même type que les bières ou boissons livrées en vertu de l'accord.

49. Dans le régime, défini par le règlement n° 1984/83, donnant droit au bénéfice d'une exemption par catégorie, qui impose une spécification par marque de bière, le fournisseur est donc en droit et, en pratique, ne manquera pas d'interdire à ses débitants liés de s'approvisionner auprès de tiers en bières du même type que celui auquel appartiennent les marques spécifiées dans l'accord. Les débitants liés en vertu d'accords exemptés sur la base du règlement n° 1984/83, qui prévoient donc une spécification par marque de bière, ne sont donc, en fait, pas libres de conclure directement des contrats d'approvisionnement avec des brasseurs étrangers ou nouveaux. Du point de vue de l'accès des brasseurs étrangers ou nouveaux sur le marché pertinent, il est donc indifférent que les accords prévoient, conformément au régime prévu par le règlement n° 1984/83, une spécification du lien par marque de bière ou, comme dans les accords en cause, une spécification du lien par type de bière. La Commission constate à juste titre, au considérant 153 de la décision attaquée, qu'en tout état de cause le débitant lié, même dans le cadre d'un accord exempté sur la base du règlement n° 1984/83, n'est pas en mesure d'ajouter de sa propre initiative des marques de bière, du fait que le brasseur a le droit d'interdire la vente par le débitant lié d'autres marques de bière du même type dans son débit. Il s'ensuit que le débitant lié, qu'il ait conclu un accord exempté par le règlement n° 1984/83 ou un des accords en cause, ne peut avoir une influence positive ou négative sur le degré de fermeture du marché britannique de la bière à consommer sur place.

50. Partant, contrairement à l'allégation des requérants, la spécification du lien par type de bière n'amplifie pas le cloisonnement du marché. Il s'ensuit aussi que la critique des requérants, tirée du caractère prétendument moins satisfaisant de la voie d'accès uniquement indirecte au marché favorisée par ladite spécification par rapport à celle, directe, qui serait favorisée par la spécification du lien par marque de bière, n'est pas fondée. En effet, en cas de spécification du lien par marque de bière, les brasseurs étrangers ou nouveaux ne pourront pas, en pratique, en raison de l'article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1984/83, vendre directement aux débitants liés des bières relevant du même type que celui auquel appartiennent les marques spécifiées dans l'accord d'achat exclusif. La spécification du lien par marque ne favorise donc pas, en pratique, une voie d'accès plus directe au marché pertinent que ne le fait la spécification du lien par type.

51. En deuxième lieu, la spécification du lien par type de bière favorise l'accès de brasseurs étrangers ou nouveaux sur le marché d'une façon plus efficace que la spécification par marque de bière prévue par le règlement n° 1984/83. En effet, ainsi que le relève à juste titre la Commission au considérant 153 de la décision attaquée, elle permet d'ajouter aux barèmes de prix les marques de brasseurs étrangers ou nouveaux relevant d'un des types de bière prévus par l'accord d'achat exclusif de bière sans que cela exige l'accord de tous les débitants liés. En revanche, la spécification du lien par marque de bière ne permet l'accès de brasseurs étrangers ou nouveaux sur le marché pertinent que dans des conditions beaucoup plus difficiles. Ceux-ci sont, en effet, contraints, en pratique, en raison du droit conféré par l'article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1984/83 au brasseur-bailleur, outre de recevoir l'autorisation de ce dernier de pouvoir vendre leurs bières à ses débitants liés, de recevoir le consentement individuel de chaque débitant lié.

52. En troisième lieu, les requérants ne contestent pas le constat auquel la Commission est parvenu au considérant 173 de la décision attaquée, à savoir que Whitbread a, sur la base de la spécification du lien par type de bière, introduit dans une mesure importante des marques de bière concurrentes dans ses établissements loués. Il résulte dudit considérant que, pour la période 1994- 1998, Whitbread a, en moyenne, introduit trois marques de bière à la pression dans ses établissements loués chaque année, que ces marques comprennent les bières de type ale telles que Fullers London Pride, Greene King IPA et Adnams et que Whitbread a également inclus dans sa gamme environ 30 bières en bouteille d'autres marques, y compris Budweiser, Hoegaarden Grand Cru et Leffe Blonde.

53. L'allégation très générale des requérants, selon laquelle les brasseurs britanniques n'introduisent pas de marques de bière appartenant à des brasseurs étrangers ou concurrents, sauf s'il s'agit d'un type de bière différent, est donc contredite par ce constat circonstancié.

54. Il s'ensuit que les requérants n'ont pas établi que le constat, auquel la Commission est parvenue au considérant 153 de la décision attaquée, selon lequel l'avantage théorique présenté par la spécification du lien par type de bière se concrétise dans la pratique de Whitbread, au vu du nombre élevé de bières livrées par Whitbread à ses débitants liés et de la fréquence avec laquelle ce brasseur ajoute ou remplace une bière sur son barème, y compris de marque étrangère, est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

55. La contestation relative à l'appréciation par la Commission de la spécification du lien par type de bière doit donc être rejetée.

2. Sur la compensation des écarts de prix

56. Dans la décision attaquée, la Commission s'est demandé, dans le cadre de l'examen des conditions prévues par l'article 85, paragraphe 3, du traité, si l'amélioration de la distribution, qui lui paraissait à première vue acquise, n'est pas mise en cause par le fait que les débitants liés se sont vu facturer des prix plus importants que les débitants non liés. À cet égard, elle a conclu que cette discrimination par les prix existe effectivement, mais a estimé que celle-ci est compensée par l'existence d'avantages qui ne profitent qu'aux débitants liés.

57. Les requérants critiquent les deux éléments du raisonnement de la Commission. D'une part, les écarts de prix subis par les débitants liés seraient plus importants que ceux admis par la Commission. D'autre part, les avantages compensant ces écarts de prix seraient moins importants que ceux retenus par la Commission dans la décision attaquée.

Sur les écarts de prix

58. La Commission a précisé, au considérant 160 de la décision attaquée, que des remises sont accordées à tous les opérateurs du marché britannique des boissons à consommer sur place qui n'ont pas conclu d'accord prévoyant une obligation d'achat exclusif et qui s'approvisionnent auprès de Whitbread, à savoir: grossistes, chaînes de débits de boissons, autres brasseurs et débitants indépendants individuels. De plus, les remises accordées aux grossistes, aux débits gérés directement par le brasseur, aux chaînes de débits de boissons et aux autres brasseurs seraient, en moyenne, plus élevées que celles dont bénéficient les débitants indépendants individuels.

59. Elle n'a, toutefois, tenu compte dans l'appréciation de ces remises, dans le cadre de la comparaison opérée avec la situation des débitants liés à Whitbread, que de celles accordées aux débitants indépendants individuels. Cette limitation du domaine du contrôle est justifiée par référence à l'article 14, sous c), 2, du règlement n° 1984/83. Cet article dispose que la Commission peut retirer le bénéfice de l'application de ce règlement si elle constate que, dans un cas déterminé, un accord exempté en vertu de ce règlement a cependant certains effets qui sont incompatibles avec les conditions prévues par l'article 85, paragraphe 3, du traité, et notamment lorsque le fournisseur sans raison objectivement justifiée applique à l'égard d'un revendeur lié par l'engagement d'achat exclusif des prix moins favorables que ceux qu'il applique à d'autres revendeurs "se situant au même stade de la distribution".

60. La Commission a observé à cet égard, au considérant 162 de la décision attaquée, que, des différentes catégories de concurrents des débitants liés cités ci-dessus, seuls les débitants indépendants individuels sont des revendeurs situés au même stade de la distribution que les débitants liés, soit, en l'espèce, au stade de la vente au détail, et achètent directement leur bière auprès de Whitbread aux conditions du marché. Les débitants indépendants ont donc été considérés comme constituant le groupe de référence.

61. Elle a, partant, calculé l'écart entre le prix payé par les débitants liés et le prix moyen payé par les débitants indépendants individuels, qu'elle a repris dans le tableau n° 3 inséré dans le considérant 93 de la décision attaquée et duquel il résulte que cet écart, qui était en 1990/1991 de 21 livres sterling (GBP) par baril de bière, a augmenté progressivement pour atteindre 40 GBP par baril en 1996/1997.

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

62. Les requérants soutiennent que l'écart de prix moyen retenu par la Commission n'aurait aucun rapport avec les réalités du marché, qui serait caractérisé par l'existence d'un faible nombre de grossistes et par le fait que les brasseurs, dont Whitbread, agissent en tant que grossistes envers les débitants non liés en leur accordant d'importantes remises, dont il n'aurait pas été tenu compte d'une façon suffisante.

63. Ils critiquent le fait que la Commission n'a retenu, dans le cadre de la détermination du groupe de référence, que les débitants indépendants individuels et non les chaînes de débits de boissons, qui représentent pourtant 20 % du marché de détail, ainsi que les débits gérés par des brasseurs et les clubs, qui tous constituent des concurrents directs des établissements liés à Whitbread.

64. Par ailleurs, les chiffres retenus par la Commission, à partir de cet échantillon excessivement restreint, ne correspondraient pas aux réductions réelles proposées par les principaux brasseurs et, notamment, par Whitbread, aux établissements non liés. En réalité, ces derniers pourraient obtenir des réductions de 85,53 GBP par baril et l'écart de prix moyen par baril serait de 60 GBP. La Commission aurait négligé de prendre en considération les preuves fournies par les requérants au cours de la procédure administrative.

65. La Commission et Whitbread considèrent que les arguments des requérants ne sont pas fondés.

Appréciation du Tribunal

66. Il y a lieu de relever, à titre liminaire, que la Commission a, au considérant 20 de la décision attaquée, tenu compte de la faiblesse du rôle des grossistes non-brasseurs sur le marché britannique en constatant que ceux-ci ne représentaient en 1995/1996 que 6 % environ de la distribution, contre 5 % en 1985. Elle a déduit de ce constat, au considérant 123 de la décision attaquée, qu'il est difficile pour un brasseur étranger, ou pour un nouveau brasseur, de pénétrer sur le marché de façon indépendante. Cet élément a, avec d'autres, amené la Commission à conclure, au considérant 127 de la décision attaquée, que le marché britannique de la bière à consommer sur place était fermé, fait non contesté en l'espèce.

67. Selon les requérants, cette faiblesse du rôle des grossistes non-brasseurs et, corrélativement, la position de force des brasseurs nationaux dans le commerce de gros ont une incidence importante sur le prix de la bière, en raison du fait que les brasseurs, agissant en tant que grossistes envers les débitants non liés, accordent à ces derniers des remises dont l'importance a été sous-évaluée par la Commission.

68. À cet égard, les requérants exposent, en premier lieu, que la définition du groupe de référence retenu par la Commission est trop restrictive, puisqu'elle aurait dû englober, outre les débitants indépendants individuels, les chaînes de débits de boissons, les débits gérés par des brasseurs et les clubs.

69. Il convient, toutefois, de constater que les débits indépendants individuels qui constituent le groupe de référence retenu sont les seuls opérateurs qui se situent au même stade de la distribution que les débitants liés à Whitbread, situation qui, partant, permet d'opérer une comparaison fiable avec ces derniers.

70. Il est constant que les remises accordées par Whitbread sont d'autant plus importantes que la quantité achetée de bière par le revendeur est importante. Or, de ce point de vue, seuls les débitants indépendants individuels se trouvent dans une situation comparable à celle des débitants liés à Whitbread, puisqu'ils sont, comme ces derniers, des détaillants qui s'approvisionnent individuellement auprès de Whitbread. En revanche, l'approvisionnement en bière produite par Whitbread des débits gérés par des chaînes de débits de boissons ou par des brasseries autres que Whitbread s'effectue de manière globale, pour l'ensemble de ces chaînes ou brasseries. Il s'ensuit que les quantités de bière ainsi commandées sont beaucoup plus importantes que celles commandées par des débitants indépendants individuels et que, partant, les réductions de prix accordées par Whitbread à la suite de ces commandes globales sont plus élevées que celles accordées pour les commandes de débitants indépendants individuels.

71. Il s'ensuit que la Commission n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation en écartant du groupe de référence les débits gérés par des chaînes de débits de boissons ou des brasseurs.

72. En ce qui concerne la troisième catégorie d'établissement envisagée par les requérants, à savoir les clubs, il y a lieu de constater qu'il résulte du considérant 162 de la décision attaquée que les réductions de prix accordées aux clubs non liés ont été prises en considération au même titre que celles accordées aux débitants indépendants individuels. Ces clubs font donc partie du groupe de référence. En revanche, ceux qui sont liés à un brasseur, par hypothèse, autre que Whitbread, présentent, avec les débits gérés par des chaînes de débits de boissons ou des brasseries, la caractéristique commune qu'ils ne procèdent pas eux-mêmes, d'une façon individuelle, à leur approvisionnement en bière produite par Whitbread, mais que celui-ci est effectué, d'une manière globale, à un stade antérieur de la distribution par la brasserie à laquelle ils sont liés. Du point de vue de leur approvisionnement en bière produite par Whitbread, et donc des éventuelles remises de prix accordées, ces clubs ne se situent donc pas au même stade de la distribution que les débits liés à Whitbread et ne peuvent pas, dès lors, figurer dans le groupe de référence destiné à permettre une comparaison fiable avec la situation des débitants susvisés. De plus, ainsi que la Commission le précise au considérant 161 de la décision attaquée, les clubs ne constituent des concurrents directs des débitants liés que dans une mesure limitée du fait d'un accès restreint.

73. Il s'ensuit que la Commission n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en écartant du groupe de référence les clubs liés.

74. Les requérants soutiennent, en deuxième lieu, que l'écart de prix retenu par la Commission ne correspondrait pas aux réductions réelles proposées par Whitbread.

75. À cet égard, il convient d'observer qu'il résulte du considérant 53 de la décision attaquée que la Commission a calculé l'écart de prix en se servant, commedocument de référence, du rapport établi en mai 1995 par l'Office of Fair Trading (ci-après l'"OFT") à la suite de l'enquête de celui-ci sur la politique de prix pratiquée par les brasseurs au niveau du commerce de gros, rapport encore complété par les résultats d'autres enquêtes. Il découle de l'annexe 5 du mémoire en intervention de Whitbread que, dans le cadre de la préparation dudit rapport, l'OFT a procédé à de multiples vérifications auprès de Whitbread ayant pour objet la détermination des écarts de prix. Il apparaît finalement, au vu de l'annexe 4 de ce mémoire en intervention, que cette question a aussi fait l'objet, au cours de la phase administrative préparant l'adoption de la décision attaquée, de plusieurs demandes de renseignements de la Commission faisant suite à la vérification que celle-ci a effectuée dans les locaux de Whitbread les 17 et 18 mars 1997 et d'une réunion entre des représentants de la Commission et Whitbread le 16 décembre 1997.

76. Les écarts de prix mentionnés au tableau n° 3 figurant au considérant 93 de la décision attaquée ont été déterminés sur la base d'une enquête minutieuse menée par la Commission.

77. Les requérants contestent le bien-fondé de cette conclusion en soutenant que les débits non liés pouvaient obtenir des réductions de 85,53 GBP par baril de bière et que l'écart de prix moyen par baril était en réalité de 60 GBP.

78. La première allégation repose sur une offre que Whitbread a soumise en novembre 1997 à un débit de boissons dont la vente annuelle de bière dépasse l'équivalent de 400 barils de bière et que l'avocat des requérants a communiquée à la Commission par courrier du 26 février 1998. Il y a lieu de constater que, indépendamment de la question de savoir si un tel débit de boissons est comparable, en termes de quantité de bière vendue, aux débits liés à Whitbread et aux débits indépendants individuels, le chiffre de 85,53 GBP exprime le chiffre brut d'une réduction de prix. Or, l'écart de prix, tel que défini par la Commission au considérant 54 de la décision attaquée, exprime la différence entre les réductions accordées par Whitbread à des débits indépendants individuels et celles accordées à ses débits liés. De plus, les réductions de prix consenties aux débits indépendants individuels qui ont été retenues en vue du calcul de l'écart de prix sont des valeurs moyennes déterminées sur la base des réductions de prix accordées à l'ensemble des débits indépendants individuels approvisionnés par Whitbread. L'argument des requérants n'est donc pas fondé.

79. La seconde allégation formulée au point 4.16 de la requête et tirée de ce que l'écart de prix moyen par baril est en réalité de 60 GBP ne fait l'objet d'aucune explication ou commencement de preuve. Elle avait déjà été formulée dans le cadre des observations présentées le 27 octobre 1997 par l'avocat des requérants au nom de trois débitants liés, dont le requérant M. Shaw au sujet de la communication de la Commission au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17. Le seul élément qui aurait, le cas échéant, pu être considérécomme un indice est constitué par des questionnaires remplis par les trois débitants en cause, dans lesquels ceux-ci ont noté quelles étaient, selon eux, les remises de prix consenties à leurs concurrents.

80. Les données fournies par les débitants susvisés ne peuvent être considérées comme des éléments de preuve. En effet, il s'agit de simples allégations non justifiées, qui n'émanent que de trois débitants liés sur un total de presque 2 000. En outre, les remises de prix indiquées par les intéressés sont des chiffres bruts, qui n'expriment pas l'écart de prix tel que défini par la Commission au considérant 54 de la décision attaquée.

81. Faute de justification suffisante la seconde allégation doit donc aussi être rejetée.

82. La contestation relative à l'appréciation par la Commission des écarts de prix doit donc être rejetée.

Sur l'existence d'avantages compensatoires

83. La Commission a examiné dans la décision attaquée la question de savoir si l'écart de prix subi par les débits liés était compensé par des avantages spécifiques ne profitant qu'à ces derniers.À cet égard, elle a constaté, aux considérants 57 à 93 de la décision attaquée, l'existence de quatre avantages, qu'elle a évalués, à savoir un loyer moins important dû par les débits liés (prime locative), des services professionnels, des avantages en termes d'approvisionnement et des dépenses d'investissement.

84. Elle a synthétisé ces données dans le tableau n° 3 figurant au considérant 93 de la décision attaquée, duquel il résulte que les avantages compensatoires sont moins importants que l'écart de prix au cours des exercices concernant la période allant de 1990 à 1994, mais plus importants au cours des exercices récents, jusqu'en 1997.

85.Les requérants critiquent les appréciations faites par la Commission en ce qui concerne la prime locative, les services professionnels, les avantages en termes d'approvisionnement et les dépenses d'investissement. Ils contestent, en outre, les appréciations de la Commission sur la perspective d'un bénéfice pour le débitant lié en cas de cession du bail.Ils considèrent finalement que la Commission aurait dû vérifier l'existence d'avantages compensatoires au niveau individuel.

Sur la prime locative

86. La Commission a relevé dans la décision attaquée, aux considérants 57 à 66, que la prime locative résulte de la comparaison entre le loyer payé pour un débit lié et les coûts correspondants supportés par un exploitant de débit non lié. Si, à la suite de cette comparaison, les coûts précités sont supérieurs au loyer payé par les débits liés, il constitue un avantage pour ces derniers qui est de nature à compenser l'écart de prix évoqué précédemment.

87. La Commission a recensé les différentes méthodes permettant de déterminer la prime locative et a finalement retenu celle qui consiste à calculer la différence entre le ratio loyer/chiffre d'affaires pour les débits liés et le ratio loyer/chiffre d'affaires pour les débits non liés. À cet égard, elle s'est fondée sur les prémisses suivantes:

- en ce qui concerne les débits de boissons non liés, le loyer est évalué à 15 % du chiffre d'affaires;

- en ce qui concerne les débits de boissons liés, le loyer est égal à 12,72 % du chiffre d'affaires.

88. La Commission a indiqué que ce chiffre de 12,72 % est tiré des documents internes de Whitbread établis, principalement, aux fins des négociations à mener pour le calcul du loyer ou sa révision et a été fixé à partir d'un échantillon de 30 débits de boissons. Elle a précisé que Whitbread l'a informée que le ratio moyen loyer/chiffre d'affaires pour la totalité des débits de boissons de Whitbread s'élève à 12,19 %.

89. La Commission s'est référée (pour les exercices 1992/1993 à 1996/1997) aux données transmises par Whitbread relatives au revenu locatif et au nombre de barils fournis concernant les débits loués dans le cadre des baux notifiés, ces données ayant été complétées par un certain nombre d'estimations de la Commission établies sur la base des renseignements fournis.

90. Sur la base de ces prémisses, elle a calculé la prime locative de la façon suivante: après avoir déterminé le montant représentant les 15 % du chiffre d'affaires des débits de boissons liés, elle a soustrait de ce montant celui constitué par les 12,72 % du chiffre d'affaires en question, puis a divisé le résultat de cette soustraction par le nombre total de barils vendus par Whitbread à ses débits liés.

91. Les résultats de ce calcul figurent au tableau n° 3 inséré dans le considérant 93 de la décision attaquée. Il apparaît ainsi que la prime locative était, respectivement, en 1990/1991 de 9 GBP par baril, en 1991/1992 de 11 GBP par baril, en 1992/1993 de 15 GBP par baril, en 1993/1994 de 15 GBP par baril, en 1994/1995 de 16 GBP par baril, en 1995/1996 de 17 GBP par baril et en 1996/1997 de 19 GBP par baril. La prime locative constitue l'avantage compensatoire le plus important.

- Exposé sommaire de l'argumentation des parties

92. Les requérants critiquent le fait que, dans le cadre du calcul de la prime locative, la Commission se soit entièrement fondée sur les données fournies par Whitbread. Or, il serait évident que, pour les besoins des négociations à mener pour le calcul du loyer ou de sa révision, un propriétaire fixerait à son maximum le chiffre d'affaires potentiel d'un débit de boissons, de manière à obtenir un loyer aussi élevé que possible. Le chiffre d'affaires potentiel ayant été fixé à un niveau élevé,il ne serait pas étonnant que Whitbread puisse faire état d'un ratio loyer/chiffre d'affaires inférieur au ratio national loyer/chiffre d'affaires, relatif aux établissements non liés, qui serait de 15 %.

93. De plus, la Commission aurait pris en compte dans la décision attaquée le chiffre d'affaires total de Whitbread dans le secteur de la location de débits de boissons. Or, selon les requérants, ce chiffre inclut de nombreux éléments liés à sa qualité de brasseur et de grossiste, de sorte qu'il serait différent et supérieur au chiffre d'affaires de la vente au détail réalisé par les débitants liés à Whitbread. À cet égard, les requérants signalent que, dans la décision 1999/473/CE de la Commission, du 16 juin 1999, relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE (affaire IV/36.081/F3 - Bass) (JO L 186, p. 1, ci-après la "décision Bass"), la prime locative était calculée à partir d'une estimation du chiffre d'affaires de la vente au détail réalisé par les débitants liés. Aucune circonstance particulière ne justifierait, en l'espèce, une approche différente.

94. Les requérants critiquent encore le fait que la Commission n'a pas, ou pas suffisamment, tenu compte de la circonstance que les baux en question ne permettent pas de révision du loyer à la baisse. En effet, la valeur locative des débits de boissons aurait subi une baisse significative au cours de la période allant de 1989 à 1994, en raison, d'une part, de la récession et, d'autre part, du fait que les conditions commerciales dont bénéficiaient les débitants liés seraient devenues de plus en plus défavorables par rapport à celles faites aux débitants non liés.

95. La Commission et Whitbread considèrent que les arguments des requérants ne sont pas fondés.

- Appréciation du Tribunal

96. Les critiques des requérants portent, d'une part, sur la méthode de détermination du chiffre d'affaires servant de base de calcul de la prime locative et, d'autre part, sur l'insuffisante prise en considération de la pratique de la "révision des loyers uniquement à la hausse".

97. En ce qui concerne, en premier lieu, la méthode de détermination du chiffre d'affaires, les requérants font valoir que la Commission se serait fondée sur des estimations unilatérales de Whitbread qui seraient peu fiables.

98. Il y a lieu de relever qu'il résulte du considérant 58 de la décision attaquée que l'estimation du chiffre d'affaires total réalisé par un établissement lié a été faite en se fondant sur l'hypothèse d'un loyer égal à 12,72 % du chiffre d'affaires. Il a donc été déterminé à partir du loyer, sur la base d'un ratio estimé loyer/chiffre d'affaires.

99. Il résulte de la décision attaquée, ainsi que de la réponse donnée par la Commission à la question écrite posée par le Tribunal, que ce ratio n'a pas été repris de Whitbread sans autre vérification de la Commission.

100. En réalité, la Commission a demandé, conformément à l'article 14, paragraphe 1, du règlement n° 17, à avoir accès aux livres de Whitbread. Dans le cadre de cette vérification, effectuée dans l'un des bureaux régionaux de Whitbread, elle a, parmi les dossiers concernant près de 350 établissements liés, sélectionné un échantillon de 30 débits, représentatif des établissements liés à Whitbread. Elle a pris connaissance, pour chacun de ces débits, du volume de bière vendue fournie par Whitbread, des prix de vente pratiqués pour cette bière, du loyer payé et du pourcentage du chiffre d'affaires représenté par la vente d'articles autres que la bière de Whitbread, et notamment les vins, les spiritueux, le tabac et les denrées alimentaires. Sur la base de ces éléments, elle est parvenue à la conclusion que le loyer représente en moyenne 12,72 % du chiffre d'affaires de ces débits.

101. Il s'ensuit que le ratio en question est le fruit de vérifications et de calculs opérés par la Commission. Il est certes vrai que celle-ci s'est en partie fondée sur des documents internes de Whitbread. Contrairement à ce qu'affirment les requérants, ces documents n'ont pas directement pour objet le chiffre d'affaires d'un débit de boissons, mais portent sur des éléments factuels très spécifiques et divers, en l'occurrence le volume de bière fournie par Whitbread, les prix de vente pratiqués pour cette bière, le loyer payé et le pourcentage du chiffre d'affaires représenté par la vente d'articles autres que la bière de Whitbread, dont la véracité et la crédibilité ne peuvent pas être mises en cause à première vue. Il n'en irait autrement qu'en cas de fraude, que les requérants n'allèguent pas et qui, d'ailleurs, n'est pas vraisemblable au regard du nombre et de la complexité des paramètres en cause.

102. Le caractère réel et le sérieux des calculs de la Commission sont d'ailleurs attestés par le fait que celle-ci parvient, en ce qui concerne l'échantillon choisi, à un ratio loyer/chiffre d'affaires plus important, en l'occurrence 12,72 %, donc moins favorable à Whitbread, que celui qui avait été calculé par celle-ci pour la totalité de ses débits de boissons liés, à savoir 12,19 %.

103. Il convient d'ajouter que les requérants ne soutiennent pas que les ratios loyer/chiffres d'affaires des débits loués par eux sont plus élevés que celui retenu par la Commission, qui constitue une moyenne.

104.Il n'est donc pas établi que la Commission s'est en l'espèce fondée sur un chiffre d'affaires potentiel exagéré.

105. Il résulte aussi de ce qui précède que le ratio en question a été établi à partir de données relatives à la vente de bière de Whitbread. Il ne se fonde donc pas, contrairement à l'allégation des requérants, sur le chiffre d'affaires de Whitbread dans le secteur de la location de débits de boissons.

106. La méthode d'évaluation du chiffre d'affaires des débits de boissons utilisée en l'espèce par la Commission est donc identique à celle qu'elle a utilisée dans le cadre de la décision Bass. Dans celle-ci, il a été précisé (considérant 65, note enbas de page n° 15) que les documents internes de Bass, dont le ratio loyer/chiffre d'affaires des débits liés à cette brasserie a été déduit, avaient pour objet une évaluation détaillée des activités de chaque débit de boissons et comportaient donc un très grand nombre de chiffres qui pouvaient servir de données de référence.

107. En ce qui concerne, en deuxième lieu, l'insuffisante prise en considération de la pratique de la "révision des loyers uniquement à la hausse", il y a lieu de relever, à titre liminaire, que la Commission a pris soin d'analyser l'incidence de cette pratique au considérant 52 de la décision attaquée. Elle y constate que cette pratique concerne divers types d'immeubles à usage commercial et pas uniquement les débits de boissons. Elle considère que celle-ci encourage les investissements immobiliers parce qu'elle permet d'assurer un certain niveau de revenus locatifs et qu'en son absence le niveau du loyer pourrait être plus élevé à la signature du bail de manière à compenser les éventuelles variations à la baisse des revenus locatifs. Ces appréciations n'ont pas fait l'objet de critiques de la part des requérants.

108. Ceux-ci soutiennent que la pratique en question n'a pas été prise en considération dans le cadre de l'évaluation de la prime locative. À cet égard, il convient d'observer que la prime locative a été évaluée pour chacun des exercices concernant la période allant de 1990 à 1997 et qu'il a été tenu compte à cette fin, ainsi qu'il résulte du considérant 58 de la décision attaquée, du loyer perçu par Whitbread pour chaque exercice. L'appréciation de la Commission est donc fondée sur le loyer annuel effectif, avec, le cas échéant, les augmentations dont il a pu faire l'objet à la suite de la mise en œuvre de la clause de révision. La pratique en question a donc été prise en considération dans le cadre de l'évaluation de la prime locative.

109. La contestation relative à l'appréciation par la Commission de la prime locative n'est donc pas fondée.

Sur les services professionnels

110. La Commission a exposé aux considérants 67 à 77 de la décision attaquée les critères selon lesquels elle a procédé à l'évaluation des services professionnels dont bénéficient les débitants liés à Whitbread, et qui constituent, avec la prime locative, un avantage de nature à compenser l'écart de prix.

- Exposé sommaire de l'argumentation des parties

111. Premièrement, en se référant au considérant 68 de la décision attaquée, les requérants critiquent le fait que la Commission a comparé les services fournis par Whitbread en matière de gestion aux débits liés avec ceux fournis aux seuls débitants indépendants individuels, en excluant les débits gérés par des chaînes de débits de boissons ou des brasseries et les clubs, qui sont pourtant des concurrents directs des débits liés à Whitbread.

112. Deuxièmement, le travail que les cadres de Whitbread auraient consacré à des services de soutien aux débits liés, mentionné au considérant 69 de la décision attaquée, consisterait en fait à veiller au respect des obligations incombant aux débitants liés en vertu de leur bail, ainsi qu'il résulterait des considérants 71 et 72 de la décision attaquée. À cet égard, la Commission aurait omis de déduire du coût de la fourniture de ces services celui généré par le travail du personnel de Whitbread de surveillance des contrats de bail et le contrôle du respect de l'obligation d'achat de bière. De plus, elle aurait omis, d'une part, d'examiner les compétences et l'expérience de ce personnel et, d'autre part, de sélectionner un échantillon d'exploitants représentatifs des débitants liés afin de déterminer les avantages dont ils bénéficient effectivement.

113. Troisièmement, la plupart des services en matière de gestion fournis aux débitants liés seraient également fournis aux clients non liés, ainsi qu'il ressortirait du considérant 73 de la décision attaquée. Les requérants estiment qu'il n'aurait donc pas dû être tenu compte de ces services ou que le niveau des services équivalents fournis aux établissements non liés aurait dû être examiné, ce qui semble ne pas avoir été fait.

114. La Commission et Whitbread considèrent que les arguments des requérants ne sont pas fondés.

- Appréciation du Tribunal

115. En ce qui concerne, en premier lieu, la critique relative au considérant 68 de la décision attaquée, il y a lieu de préciser que celui-ci a pour objet d'exposer une méthode d'évaluation de la valeur des services professionnels proposée par Whitbread. Cette méthode consiste à calculer le coût supporté par Whitbread pour la fourniture de services gratuits aux débitants liés et à comparer ce coût avec celui des services fournis par Whitbread aux débitants indépendants individuels. Elle a été acceptée par la Commission au considérant 77 de la décision attaquée.

116. Les requérants estiment que cette méthode omet de tenir compte des services professionnels fournis, outre aux débitants indépendants individuels, aux débits appartenant à des chaînes de débits de boissons, aux clubs, avec lesquels les débitants liés à Whitbread sont en concurrence.

117. Les requérants reprennent donc, au sujet de l'évaluation des services professionnels, un argument déjà présenté au sujet de l'évaluation de l'écart de prix.

118. En réponse à cet argument, il a été constaté ci-dessus que la Commission n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en considérant que le groupe de référence retenu pour le calcul de l'écart de prix devait uniquement être composé des débitants indépendants individuels. En effet, seuls ces derniers se trouvent dansune situation comparable à celle des débitants liés à Whitbread, puisqu'ils sont les seuls se trouvant au même stade de la distribution que les débitants liés.

119. Or, si le groupe de référence retenu pour le calcul de l'écart de prix ne peut, à juste titre, être composé que des débitants indépendants individuels, celui devant servir à la détermination d'avantages compensant cet écart doit être identique dans sa composition afin d'assurer la fiabilité du raisonnement.

120. La critique visant le considérant 68 de la décision attaquée doit donc être rejetée.

121. En ce qui concerne, en deuxième lieu, la critique relative au considérant 69 de la décision attaquée, il y a lieu de relever que ce dernier a pour objet d'exposer une deuxième méthode d'évaluation des services professionnels proposée par Whitbread. Celle-ci repose sur une estimation du nombre de jours par an que les cadres de Whitbread ont consacrés à des services de soutien aux débitants. Elle a été acceptée sous certaines réserves par la Commission au considérant 74 de la décision attaquée.

122. Les requérants prétendent qu'avec cette méthode la Commission omet de tenir compte du fait que le temps consacré par les cadres de Whitbread à la situation des débitants sert aussi, dans une large mesure, au contrôle du respect par les débitants liés de leurs obligations contractuelles envers Whitbread. Les requérants estiment que cette activité ne profite pas aux débitants liés.

123. Il y a lieu de relever que la Commission a précisé au considérant 74 de la décision attaquée, en réponse à des observations similaires faites au cours de la procédure administrative, que la base de calcul en ce qui concerne l'évaluation des services professionnels ne consiste pas dans le montant total des frais de personnel entraînés par la fourniture de ces services, mais dans l'estimation faite par Whitbread, en pourcentage de la durée totale du travail, du temps consacré par ses salariés à des travaux servant directement les intérêts des débitants liés. Ainsi, les deux services les plus importants de Whitbread, le service chargé de la prospection commerciale et le service immobilier, consacrent, respectivement, 78 et 55 % de leur temps de travail total à la fourniture de services de soutien aux débitants liés.

124. Il s'ensuit que la méthode d'évaluation des services professionnels tient compte de la critique exprimée par les requérants.

125. Ceux-ci affirment encore que la Commission s'est fondée sur des appréciations unilatérales de Whitbread sans vérifier la réalité et la qualité des avantages allégués.

126. Ce grief est dénué de tout fondement. D'abord, il convient de préciser que, si l'évaluation des services professionnels faite par la Commission se fonde sur des éléments fournis par Whitbread, ceux-ci résultent toutefois de documents nombreux et précis, à savoir, ainsi qu'il résulte du considérant 74 de la décision attaquée, desrapports relatifs aux visites réalisées par le service de la prospection commerciale, de janvier à novembre 1997, dans les 30 débits de boissons qui avaient été sélectionnés par les services de la Commission pour le calcul de la prime locative, sur les comptes rendus des enquêtes trimestrielles et annuelles relatives aux "budgets-temps" du service immobilier de Whitbread, sur des exemples de "fiches de présence" rendues et sur des définitions de poste destinées à tous les débitants liés de Whitbread. La Commission n'a donc pas basé son appréciation sur celle de Whitbread, mais sur le recoupement de nombreux documents, certes internes à Whitbread, mais dont la crédibilité n'est pas douteuse, eu égard notamment à leur précision.

127. Ensuite, la Commission a pris soin de préciser, au considérant 77 de la décision attaquée, que, afin de réduire au minimum la marge d'erreur possible, elle a fondé son appréciation de la valeur de cet avantage compensatoire sur une base légèrement inférieure à celle qui est indiquée par Whitbread. Ainsi, le montant des bénéfices est réduit de 10 % et les données chiffrées du tableau n° 3, reproduit au considérant 93 de la décision attaquée, relatives aux services professionnels tiennent compte de cette réduction.

128. En ce qui concerne, en troisième lieu, la critique relative au considérant 73 de la décision attaquée, il convient de relever que celui-ci résume une observation faite par certains débitants liés au cours de la procédure administrative selon laquelle le service d'entretien des caves offert par Whitbread aux débitants liés était aussi offert à des débits non liés.

129. Les requérants se fondent sur ce constat pour affirmer que la plupart des services en matière de gestion fournis aux débitants liés sont également fournis aux clients non liés.

130. Tout d'abord, il y a lieu de constater, en ce qui concerne le service d'entretien des caves offert par Whitbread, qu'il résulte des considérants 74 et 77 de la décision attaquée que ce service n'a pas été inclus dans le calcul de l'avantage compensatoire que les débitants liés retirent des services professionnels. Selon les explications fournies par la Commission au point 17 du mémoire en défense, cette exclusion s'expliquerait précisément par le fait que le service en question profite également à des débits non liés et ne constitue donc pas un avantage exclusif des débitants liés. Ensuite, les requérants n'indiquent pas quels autres services profiteraient également aux clients non liés et devraient pour cette raison être exclus dans le cadre de l'appréciation des services professionnels.

131. La contestation de l'appréciation par la Commission des services professionnels fournis par Whitbread à ses débits liés doit donc être rejetée.

Sur les avantages dans le domaine de l'approvisionnement

132. La Commission a exposé aux considérants 78 à 86 de la décision attaquée les critères selon lesquels elle a procédé à l'évaluation d'avantages dans le domaine de l'approvisionnement, qui consistent en la possibilité pour les débits liés de Whitbread d'obtenir des produits ou des services divers (gaz, assurances, cartes de crédit, verrerie, chips et fruits à coque, aliments congelés et surgelés, économiseurs d'eau, produits de boucherie, lutte contre les parasites, etc.) offerts par des fournisseurs tiers avec qui Whitbread a négocié des conditions qu'elle prétend avantageuses. La possibilité susvisée constitue, avec la prime locative et les services professionnels, un avantage de nature à compenser l'écart de prix.

- Exposé sommaire de l'argumentation des parties

133. Les requérants observent que l'appréciation de la Commission, au considérant 85 de la décision attaquée, concernant les avantages en termes d'approvisionnement est uniquement fondée sur les 152 réponses faites par des débitants liés, sur un total de 4 291 exploitants liés, dans le cadre d'un sondage de Whitbread. Les requérants estiment que ces 152 débitants, soit 3,5 % seulement de la totalité des débitants liés, ne constituent pas un échantillon représentatif desdits débitants. Le nombre limité de réponses permettrait de conclure que la valeur du soutien en cause est insignifiante.

134. La Commission et Whitbread considèrent que les arguments des requérants ne sont pas fondés.

- Appréciation du Tribunal

135. Au considérant 85 de la décision attaquée, la Commission a rappelé les résultats d'un sondage récent réalisé auprès de 155 débitants liés sur le 1997 Buying Guide (guide d'achat pour l'année 1997), qui regroupe les offres faites par Whitbread en matière d'approvisionnement, et invitant ces débitants à donner une note allant de 1 à 5. Sur les 155 locataires interrogés, 37 (soit 24 %) ont donné la meilleure note, 49 (soit 32 %) la note 2, 42 (soit 24 %) la note 3, 13 (soit 8 %) la note 4 et seulement 11 (soit 7 %) la plus mauvaise note, en l'occurrence le chiffre 5. Trois débitants n'ont pas répondu.

136. En premier lieu, en ce qui concerne la pertinence du sondage, il apparaît que le résultat de ce dernier présente, nonobstant le caractère limité de l'échantillon interrogé, une certaine signification, puisque la quasi-totalité des débitants liés interrogés, soit 98 %, ont accepté de répondre et que 56 % d'entre eux ont attribué aux offres de Whitbread la note 1 ou 2, donc une note pouvant être considérée au minimum comme bonne, 80 % la note 1, 2 ou 3, donc une note susceptible d'être qualifiée au minimum de satisfaisante, et seulement 20 % la note 4 ou 5 correspondant à l'expression d'une insatisfaction. Compte tenu de la très forte participation des débitants liés interrogés et de l'appréciation très positive exprimée par ceux- ci sur la qualité des offres proposées par Whitbread, il ne peut êtrevalablement déduit du faible nombre de participants au sondage un indice quant à une appréciation négative de ces offres par les débitants liés.

137. En deuxième lieu, il convient de replacer le passage du considérant 85 de la décision attaquée afférent au sondage incriminé dans son contexte.

138. D'une part, celui-ci ne constitue qu'un des arguments par lesquels la Commission répond, dans le cadre de l'appréciation de la réalité et de l'importance des avantages en matière d'approvisionnement allégués par Whitbread, à l'observation faite par de nombreux débitants liés au cours de la procédure administrative, selon laquelle il est possible pour un débitant lié d'obtenir, par lui-même, des offres plus avantageuses que celles qui sont négociées par Whitbread, et ce, le cas échéant, auprès du même fournisseur.

139. En effet, cette objection n'est pas, selon la Commission, de nature à faire considérer que les offres en matière d'approvisionnement faites par Whitbread ne constituent pas un avantage pouvant compenser l'écart de prix. À cette fin, elle expose, outre la référence au sondage incriminé, trois autres arguments. D'abord, comme les offres en matière d'approvisionnement proposées par Whitbread à ses débitants liés ont initialement été négociées pour les établissements gérés par ladite brasserie elle-même, leur communication aux débitants liés permet à ces derniers d'accéder à une liste de fournisseurs qui ont fait leurs preuves en approvisionnant l'important parc d'établissements en gérance de Whitbread (considérant 86 de la décision attaquée). Ensuite, les offres négociées par l'intermédiaire de Whitbread permettent au débitant lié de disposer d'un point de référence constituant un avantage en soi pour entamer des négociations (considérant 83 de la décision attaquée). Enfin, de nombreux débitants liés ont en fait accepté l'offre de Whitbread: 1 010 pour les aliments congelés et surgelés, 988 pour les assurances, 842 pour le GPL (achats en grande quantité), 384 pour les cartes de crédit et de débit, 251 pour la verrerie, 177 pour le gaz, 158 pour les chips et fruits à coques et 239 pour les produits de boucherie (considérant 85 de la décision attaquée). Il existe donc des indications objectives démontrant l'intérêt manifesté par les débitants liés pour les offres de Whitbread.

140. Il convient de constater que ces trois arguments n'ont pas fait l'objet de critiques de la part des requérants.

141. D'autre part, la Commission a relativisé la conclusion de Whitbread quant à l'importance des avantages en matière d'approvisionnement dont bénéficient les débitants liés et a tenu compte de l'objection de ces derniers quant à la possibilité pour les débitants liés de recevoir des offres plus avantageuses que celles qui sont négociées par Whitbread. En effet, afin de réduire au minimum la marge d'erreur possible, elle a retenu une valeur de l'"avantage compensatoire" correspondant à celle indiquée par Whitbread diminuée de 25 % (considérant 86 de la décision attaquée).

142. La contestation de l'appréciation portée par la Commission sur les avantages consentis par Whitbread aux débitants liés en matière d'approvisionnement doit donc être rejetée.

Sur les dépenses d'investissement

143. La Commission a exposé aux considérants 87 à 92 de la décision attaquée les critères selon lesquels elle a procédé à l'évaluation de l'avantage consistant dans les investissements réalisés par Whitbread dans les débits loués. Ils constituent, avec la prime locative, les services professionnels et les avantages dans le domaine de l'approvisionnement, un autre avantage de nature à compenser l'écart de prix.

- Exposé sommaire de l'argumentation des parties

144. Les requérants prétendent que les investissements réalisés par Whitbread dans les débits loués ne constituent pas pour les débitants liés un avantage qui soit de nature à compenser l'écart de prix. À cet effet, ils exposent que, lorsque Whitbread procède à des améliorations, le loyer est augmenté afin d'assurer le financement et le remboursement du coût de cette amélioration. L'investissement serait donc en réalité financé par le débitant lié. En outre, l'augmentation du loyer continuerait à peser sur le débitant lié longtemps après le remboursement du coût que représentait l'investissement.

145. La Commission et Whitbread considèrent que les arguments des requérants ne sont pas fondés.

- Appréciation du Tribunal

146. Il résulte du considérant 88 de la décision attaquée que la quasi-totalité des débitants liés ont fait valoir au cours de la procédure administrative que les investissements réalisés par Whitbread dans les débits liés entraînent une augmentation du loyer qui s'applique, sans possibilité de diminution, jusqu'à la fin du bail, qui peut avoir une durée de 20 ans.

147. En réaction à cette objection, reprise par les requérants, la Commission a, antérieurement à l'adoption de la décision attaquée, revérifié si et dans quelle mesure les dépenses d'investissement constituent effectivement un avantage compensatoire de l'écart de prix.

148. Au considérant 87 de la décision attaquée, la commission a exposé une méthode d'évaluation de l'avantage lié aux dépenses d'investissement tenant compte de l'augmentation du loyer. Dans le cadre de cette méthode, l'avantage est calculé en soustrayant du montant de ces dépenses l'augmentation moyenne du loyer en résultant pendant une période de cinq ans.

149. En réponse aux critiques de certains débitants liés tirées de ce que ce calcul ne tient compte que des augmentations de loyer pendant une période de cinq ans suivant la dépense, alors que le bail peut durer jusqu'à vingt ans, la Commission a répondu à juste titre, au considérant 90 de la décision attaquée, que, s'il est évidemment exact que l'augmentation de loyer s'applique pendant plus de cinq ans, cela vaut aussi pour l'avantage que retire le débitant lié de l'investissement.

150. La Commission a néanmoins pris soin de revérifier la réalité de l'avantage en cause en recourant à deux autres méthodes d'évaluation. Une première méthode a consisté, en substance, à comparer le coût que l'augmentation de loyer représente, sur la durée, pour les débitants liés, par rapport au coût que représentent pour Whitbread les investissements réalisés au début des travaux. Sur la base de ce calcul, la Commission a constaté, au considérant 91 de la décision attaquée, que les dépenses d'investissement constituent, nonobstant l'augmentation du loyer, un avantage pendant seize ans, donc jusqu'à l'expiration du bail dans presque tous les cas.

151. Une seconde méthode, exposée au considérant 92 de la décision attaquée, a, en substance, pour objet de confronter le montant des dépenses d'investissement avec l'augmentation estimée du bénéfice du débitant lié après paiement du loyer, donc en tenant compte de l'augmentation du loyer résultant des dépenses d'investissement. Sur la base de cette méthode, la Commission a aussi conclu à l'existence d'un avantage.

152. Il s'ensuit que les trois méthodes d'évaluation utilisées ont permis de conclure que les dépenses d'investissement réalisées par Whitbread au profit des débitants liés constituent un avantage pour ces derniers même si elles s'accompagnent d'augmentations de loyer.

153. Cette conclusion s'explique par une double circonstance, mise en évidence par les deux méthodes de calcul complémentaires de la Commission. D'une part, ainsi qu'il résulte de la première de ces méthodes, les dépenses d'investissement de Whitbread présentent pour le débitant lié l'avantage qu'il ne doit pas lui-même supporter les coûts de l'investissement, qui, selon les conclusions de la Commission, dépassent l'augmentation du loyer. D'autre part, ainsi qu'il découle de la seconde de ces méthodes, ces dépenses permettent au débitant lié de profiter d'une augmentation prolongée de ses bénéfices qui, selon les conclusions de la Commission, dépassent aussi l'augmentation du loyer.

154. La Commission a donc pleinement tenu compte, dans la décision attaquée, des critiques formulées par les requérants.

155. La contestation de l'appréciation par la Commission des dépenses d'investissement de Whitbread au profit de ses débits liés doit donc être rejetée.

Sur la perspective d'un bénéfice pour le débitant lié en cas de cession du bail

156. La Commission a exposé au considérant 39 de la décision attaquée, dans le cadre de la présentation générale des accords faisant l'objet de celle-ci, que le bail de 20 ans se distingue des deux autres contrats types notifiés, à savoir le bail de cinq ans et le bail de préretraite, notamment par le fait que le débitant lié ne peut céder le bail au cours des trois premières années du contrat et, passé ce délai, s'il souhaite en faire la cession, il doit, si Whitbread l'exige, le céder aux conditions du marché à une personne désignée par cette entreprise, à l'exclusion des brasseurs. Elle a ajouté qu'environ 640 cessions ont eu lieu au cours de la période allant de mars 1994 à août 1998 et, bien souvent, les débitants liés ont réalisé un bénéfice à cette occasion. Sur 91 cessions effectuées dans les six mois précédant août 1998, Whitbread aurait été informée à 56 reprises de l'existence du bénéfice réalisé par le débitant lié, étant observé que ce dernier n'est pas obligé de l'en informer. Le bénéfice moyen pour ces 56 débitants aurait été de 59 000 GBP.

- Exposé sommaire de l'argumentation des parties

157. Les requérants contestent la réalité du bénéfice moyen de 59 000 GBP relevé par la Commission. Premièrement, le nombre de cessions retenu pour parvenir à cette conclusion serait trop restreint. La Commission aurait dû examiner les cessions intervenues au cours de toute la période visée par l'exemption proposée, c'est-à-dire depuis 1990. Deuxièmement, les chiffres cités par la Commission ne traduiraient pas la réalité contractuelle du point de vue du débitant lié, en ne tenant pas compte du nombre des baux ayant cessé prématurément par arrêt de l'exploitation ou auxquels il a été mis fin d'une autre manière au cours de la période considérée et des observations des débitants liés formulées au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17. Troisièmement, les chiffres ne tiendraient pas compte du fait qu'une partie importante, voire, dans certains cas, l'intégralité de ce bénéfice, ne serait pas liée au bail, mais, d'une part, à la valeur des installations et des équipements commerciaux du débitant lié et, d'autre part, à la notoriété dont jouit le débitant lié.

158. La Commission et Whitbread considèrent que les griefs des requérants ne sont pas fondés.

- Appréciation du Tribunal

159. Il convient de relever que les motifs critiqués de la décision attaquée ont été exposés dans le cadre de la présentation générale des accords qui constituent l'objet de la décision. Ils n'ont été repris ni dans l'analyse factuelle des dispositions restrictives de ces accords (considérants 42 à 94 de la décision attaquée), ni surtout dans le cadre des considérations juridiques par lesquelles la Commission a justifié en l'espèce l'octroi d'une exemption individuelle (considérants 150 à 178 de la décision attaquée). Dans ces circonstances, à supposer même qu'ils soient entachésd'une erreur manifeste d'appréciation, celle-ci n'aurait pas pour effet de mettre en cause le bien-fondé du dispositif de la décision attaquée.

160. L'argumentation des requérants doit donc être rejetée.

Sur l'obligation de vérifier l'existence d'avantages compensatoires au niveau individuel

- Exposé sommaire de l'argumentation des parties

161. Les requérants reprochent à la Commission d'avoir reconnu l'existence d'avantages compensatoires en tenant compte de la moyenne des débitants liés au lieu d'analyser l'existence de ces avantages par rapport à la situation de chaque débitant lié, considéré isolément.

162. La Commission et Whitbread considèrent que l'argumentation des requérants n'est pas fondée.

- Appréciation du Tribunal

163. Il y a lieu d'observer que l'appréciation critiquée des avantages compensatoires était effectuée dans le cadre de l'examen de l'octroi d'une exemption individuelle, après le constat de la contribution significative du réseau de contrats de Whitbread à la fermeture du marché en cause. Cette appréciation devait donc s'inscrire dans le même cadre d'analyse, celui de l'effet des contrats notifiés sur le fonctionnement du marché, partant sur la situation des débitants liés, pris dans leur ensemble, et non sur chaque débitant considéré isolément. Du point de vue de l'octroi de l'exemption individuelle, il n'est pas pertinent de savoir que les avantages engendrés par les contrats notifiés ne compensent pas entièrement l'écart de prix subi par tel ou tel débitant lié, si cette compensation a lieu pour la moyenne des débitants liés et qu'elle est donc de nature à produire un effet sur le marché en général.

164. En tout état de cause, ainsi que la Commission le relève à juste titre, cette argumentation des requérants est inopérante, étant donné qu'aucun d'entre eux n'a apporté un indice tendant à démontrer que l'appréciation des avantages compensatoires figurant au tableau n° 3 de la décision attaquée ne reflète pas sa propre situation.

Sur l'existence d'autres restrictions

165. La Commission a analysé, dans la décision attaquée, l'effet sur la concurrence de l'obligation d'achat exclusif et de l'obligation de non-concurrence (notamment aux considérants 102 à 138 et 143 à 178) contenues dans les baux types notifiés. Elle s'est interrogée aussi (considérants 139 à 142 de la décision attaquée) sur la question de savoir si certaines autres clauses de ces baux types sont de nature àproduire un effet restrictif sur la concurrence et a répondu, au terme d'une brève analyse, par la négative. Parmi ces clauses, elle a analysé celle portant sur l'interdiction d'installer des appareils de divertissement sans l'assentiment de Whitbread.

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

166. Les requérants critiquent le fait que la Commission se réfère dans la décision attaquée uniquement à l'obligation d'achat exclusif et à l'obligation de non-concurrence, et omet ainsi de tenir compte de restrictions supplémentaires imposées aux débitants dans le bail, à savoir, premièrement, l'existence d'un lien par type de bière, par opposition à une spécification par marque de bière, deuxièmement, ce qu'ils qualifient de lien en matière d'assurance, troisièmement, ce qu'ils qualifient de "lien à l'extérieur des locaux" et, quatrièmement, l'interdiction d'exercer d'autres activités lucratives dans les locaux, notamment l'interdiction d'installer des appareils de divertissement sans l'assentiment de Whitbread. En ce qui concerne cette dernière clause, ils contestent la conclusion de la Commission (considérant 140 de la décision attaquée) selon laquelle cette clause n'est pas restrictive.

167. La Commission et Whitbread considèrent, respectivement, que les griefs formulés par les requérants sont irrecevables et non fondés.

Appréciation du Tribunal

168. Premièrement, en ce qui concerne le prétendu défaut de prise en considération du fait que les contrats types imposent un lien par type de bière, il suffit de relever que la Commission a expressément pris position sur cette spécification du lien par type de bière en concluant, au considérant 153 de la décision attaquée, que celle-ci devrait permettre une mise en œuvre plus efficace des accords d'achat de bière exclusif au Royaume-Uni que ne le permettrait une spécification par marque de bière. En outre, les requérants ont précisément contesté cette appréciation au point 4.11 de leur requête, critique qui a déjà été rejetée par le Tribunal.

169. L'argument n'est donc pas fondé.

170. Deuxièmement, en ce qui concerne le prétendu lien en matière d'assurance, il y a lieu d'observer que les requérants se limitent dans leur requête à exposer ce qui suit:

"La Commission a omis de tenir compte de restrictions supplémentaires ou additionnelles imposées dans le bail telles que:

[...]

2) l'obligation au niveau de l'assurance; [...]"

171. Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l'article 19, premier alinéa, du statut de la Cour, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l'article 46, premier alinéa, du même statut, et de l'article 44, paragraphe 1, sous c) et d), du règlement de procédure du Tribunal, la requête doit, notamment, contenir l'objet du litige, les conclusions et un exposé sommaire des moyens invoqués. Indépendamment de toute question de terminologie, ces éléments doivent être suffisamment clairs et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans avoir à solliciter d'autres informations. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu'un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit, sur lesquels celui-ci se fonde, ressortent, à tout le moins sommairement, mais d'une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (arrêt du Tribunal du 24 février 2000, ADT Projekt/Commission, T-145/98, Rec. p. II-387, points 65 et 66). Des exigences analogues sont requises lorsqu'un grief est invoqué au soutien d'un moyen (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T-352/94, Rec. p. II-1989, points 333 et 334).

172. Eu égard au caractère extrêmement laconique et sommaire de la présentation du grief en question, qui ne permet pas de déterminer la clause du bail visée et de connaître les raisons de fait et de droit pour lesquelles les requérants estiment que cette clause présente un caractère restrictif, celui-ci est irrecevable.

173. Cette conclusion n'est pas mise en cause par la circonstance que les requérants indiquent, au stade de la réplique, que la restriction visée concernerait le fait que "l'immeuble est assuré par le bailleur aux frais du locataire (clause 3(iv)), de sorte qu'on est en présence d'une obligation indirecte au niveau de l'assurance".

174. En effet, l'énonciation du grief dans la réplique ne saurait remédier à la méconnaissance des dispositions susvisées. De plus, la clause mentionnée, à savoir l'article 3, sous iv), du contrat type, n'a pas le contenu allégué par les requérants. En tout état de cause, les observations complémentaires des requérants reproduites ci-dessus ne permettent pas, en raison de leur caractère lacunaire et sommaire, de connaître les raisons de fait et de droit pour lesquelles la clause en question serait restrictive.

175. Troisièmement, en ce qui concerne le prétendu effet du lien à l'extérieur des locaux, il y a lieu d'observer que les requérants se limitent dans leur requête à exposer ce qui suit:

"La Commission a omis de tenir compte de restrictions supplémentaires ou additionnelles imposées dans le bail telles que:

[...]

3) l'effet [du] lien même à l'extérieur des locaux."

176. Ce grief étant également présenté d'une façon extrêmement laconique et sommaire, de sorte qu'il n'est pas possible de déterminer la clause du bail visée et de connaître les raisons de fait et de droit pour lesquelles les requérants estiment que cette clause présente un caractère restrictif, il est aussi irrecevable.

177. Quatrièmement, les requérants exposent dans leur requête ce qui suit:

"La Commission a omis de tenir compte de restrictions supplémentaires ou additionnelles imposées dans le bail telles que:

[...]

4) l'interdiction d'exercer d'autres activités lucratives dans les locaux (voir, par exemple, point 5.2 ci-dessus)."

178. Les requérants se réfèrent ainsi à la restriction relative à l'installation de machines de divertissement et exposent que celle-ci doit être considérée comme ayant pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence, puisqu'elle fonctionnerait comme une "limitation illégale de droits secondaires".

179. À cet égard, il convient d'observer d'abord que, exception faite d'une référence à la réglementation relative à l'installation de machines de divertissement, les requérants n'indiquent pas les clauses du bail qu'ils visent en évoquant l'interdiction d'exercer d'autres activités lucratives dans les locaux loués. Sous réserve de la référence à la réglementation concernant l'installation de machines de divertissement, la formulation du grief ne répond pas aux exigences de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure. Il est donc, dans cette mesure, partiellement irrecevable.

180. Au considérant 38 de la décision attaquée, la Commission a précisé qu'un débitant lié n'est pas autorisé à installer des appareils de divertissement dans l'établissement sans l'autorisation de Whitbread, qui ne peut néanmoins s'y opposer sans raison valable dans le cas d'un bail de 20 ans.

181. La Commission a affirmé, au considérant 140 de la décision attaquée, que cette clause n'est pas restrictive eu égard à l'incidence de ces machines sur le style de l'établissement. Au soutien de cette affirmation, elle a fait référence au considérant 52 de la communication relative aux règlements (CEE) n° 1983/83 et n° 1984/83 de la Commission du 22 juin 1983 concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories respectivement d'accords de distribution exclusive et d'accords d'achat exclusif (JO 1984, C 101, p. 2).

182. Il en résulte que l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 1984/83 n'est, selon la Commission, pas mise en cause par la circonstance que l'installationde jeux automatiques dans les débits de boissons loués est soumise à l'approbation du bailleur. Celui-ci pourrait, en effet, valablement refuser cette installation pour des raisons tenant au style de l'établissement ou limiter son autorisation à certains types de jeux automatiques.

183. À cet égard, il y a lieu d'observer que la clause du bail concernée, qui n'interdit pas purement et simplement l'installation d'appareils de divertissement, mais se limite à la soumettre à l'assentiment préalable de Whitbread, relève du droit du bailleur de contrôler l'usage auquel sont destinés les lieux loués. Or, il n'est pas contestable que l'exploitation d'appareils de divertissement est de nature à modifier le style d'un débit de boissons et de ce fait à influer, le cas échéant de façon importante, sur sa valeur, c'est-à-dire à avoir des répercussions sensibles sur le patrimoine du bailleur.

184. Il résulte par ailleurs du considérant 38 de la décision attaquée, qui n'est pas critiqué par les requérants, que Whitbread accepterait naturellement l'installation d'appareils de divertissement dans les établissements loués à la condition que le fournisseur de ces appareils soit choisi dans une liste de fournisseurs agréés et que l'agrément correspondant soit accordé sur la base de critères qualitatifs objectifs, tels que le niveau de service et la solidité financière.

185. La clause concernée est donc mise en œuvre d'une façon telle qu'elle n'empêche pas le débitant lié de procéder à l'installation de tels appareils, ce dernier étant seulement astreint à choisir un fournisseur sur la base de critères qualitatifs objectifs.

186. Dans ces circonstances, la clause concernée ne peut pas être considérée comme une "limitation illégale de droits secondaires" et, plus généralement, comme ayant pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence.

187. Le grief doit donc être rejeté.

Sur le moyen tiré du défaut de compétence de la Commission pour accorder, sur la base de l'article 85, paragraphe 3, du traité, une exemption individuelle dont les conditions ne sont respectées que postérieurement à la conclusion de l'accord exempté

188. Dans la décision attaquée, la Commission a relevé, au considérant 182, que les baux types sont des accords au sens de l'article 4, paragraphe 2, point 1, du règlement n° 17 en ce sens que "n'y participent que des entreprises ressortissant à un seul État membre et [qu'ils] ne concernent ni l'importation ni l'exportation entre États membres". Elle en a déduit qu'ils peuvent donner lieu à l'application de l'article 6 du règlement n° 17 qui prévoit que la règle selon laquelle l'exemption ne peut produire d'effet qu'à compter du jour de la notification ne vaut pas pour de tels accords.

189. Elle a observé, au considérant 167 de la décision attaquée, que, pour juger du respect des conditions de l'article 85, paragraphe 3, du traité, et plus particulièrement lorsqu'une exemption à effet rétroactif est demandée, elle ne peut porter une appréciation globale sur toute la période considérée, mais doit examiner si lesdites conditions sont satisfaites à tout moment. Du fait que les accords notifiés sont des baux types correspondant à plusieurs centaines d'accords individuels, qu'il s'agit de données complexes et que peu de données sont disponibles sur une base autre qu'annuelle, elle a estimé qu'il est raisonnable de limiter son appréciation à la question de savoir si les conditions de l'article 85, paragraphe 3, du traité, sont satisfaites chaque année.

190. Elle a constaté, au considérant 168 de la décision attaquée, qu'il ressort du tableau n° 3, figurant au considérant 93 de ladite décision, que depuis l'exercice 1994/1995 les compensations quantifiables l'emportent largement sur l'écart de prix. Elle a reconnu, en revanche, que pour les exercices 1990/1991, 1991/1992, 1992/1993 et 1993/1994 l'écart de prix n'a pas été totalement compensé, le désavantage ayant été de l'ordre de 3 à 6 GBP par baril.

191. Elle a cependant observé, au même considérant 168, que les chiffres susvisés ne permettent pas, en eux-mêmes, de conclure que le débitant lié moyen a été sensiblement défavorisé par rapport à ses concurrents pendant chacune de ces années d'absence de compensation de l'écart de prix. En effet, ces chiffres ne représenteraient qu'entre 1 et 3 % du prix de la bière et il existerait des compensations "non quantifiables", comme le fait que les risques ne sont pas les mêmes pour le débitant lié et pour le débitant indépendant.

192. À cet égard, la Commission fait référence au considérant 94 de la décision attaquée, dans lequel elle a exposé que, outre les "avantages compensatoires" quantifiables, Whitbread a accepté, dans plusieurs centaines de cas, de terminer le bail pour des raisons liées aux conditions personnelles ou commerciales du débitant. Dans un petit nombre de cas, Whitbread aurait consenti une réduction du loyer. Ces éléments de "partenariat" et un loyer inférieur à celui d'un débit de boissons non lié corroboreraient l'assertion selon laquelle les débitants liés supportent un risque différent de celui auquel sont exposés les débitants non liés.

193. La Commission a estimé, au considérant 169 de la décision attaquée, que, pour toute la durée des baux types, rien ne permet d'affirmer que les améliorations de la distribution engendrées par les contrats types, n'ont pas été obtenues. Cette conclusion serait confirmée par le fait qu'au cours de la période comprise entre 1991 et 1997, qui inclurait la plus longue phase de récession qu'ait connue l'économie britannique, le pourcentage de créances irrécupérables aurait été en moyenne trois fois moins élevé pour les débitants liés à Whitbread que pour les débitants indépendants clients de la brasserie.

194. Après avoir rappelé que les baux types de Whitbread satisfont aux conditions de l'article 85, paragraphe 3, du traité, depuis la date de la première introduction del'un des accords notifiés sur le marché, à savoir le 1er janvier 1990, elle a conclu que la décision attaquée devait s'appliquer à compter du 1er janvier 1990.

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

195. Les requérants estiment que la Commission n'avait pas compétence pour accorder, rétrospectivement, une exemption sur la base de faits autres que ceux existant à la date de la signature des contrats de location individuels. Pour apprécier l'effet anticoncurrentiel d'une obligation d'achat de bière au vu de l'article 85, paragraphe 3, du traité, il conviendrait de se placer au moment de la naissance de cette obligation. La compatibilité de cette dernière avec l'article 85, paragraphe 1, du traité ainsi que la possibilité d'octroyer une exemption sur le fondement du paragraphe 3 dudit article ne pourraient être déterminées qu'à ce moment. Le fait d'admettre qu'un accord contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité, et donc nul, a priori, sur la base de l'article 85, paragraphe 2, du traité, puisse faire l'objet d'une exemption sur le fondement du paragraphe 3 dudit article, en raison de circonstances postérieures à la date de sa conclusion, serait, premièrement, contraire à l'obligation d'interpréter l'article 85, paragraphe 3, du traité, qui constitue un texte dérogatoire, de façon stricte. Deuxièmement, il aurait pour effet de priver l'article 85, paragraphe 2, du traité de sa fonction de sanction en cas d'infraction. Troisièmement, il serait source d'insécurité juridique pour les parties et les tiers, des accords a priori non valables pouvant, en raison de circonstances postérieures à leur conclusion, devenir valables.

196. Il conviendrait donc de se placer au moment de la conclusion des baux pour apprécier l'existence d'avantages compensatoires. Or, les requérants soulignent que la Commission admet dans la décision attaquée que, entre 1990 et 1994, donc à l'époque à laquelle la majorité des baux de 20 ans ont été conclus par Whitbread, les chiffres relatifs aux avantages compensatoires, reproduits au tableau n° 3 inséré dans le considérant 93 de la décision attaquée, étaient négatifs, à savoir de 3 à 6 GBP par baril, même si l'on se fonde sur les chiffres généreux fournis par Whitbread.

197. Les requérants ajoutent que la Commission n'a pas suffisamment justifié l'octroi d'une exemption individuelle, étant observé qu'il résulte de la décision attaquée que, pendant quatre années, sur les sept couvertes par l'analyse de la Commission, les avantages consentis par Whitbread à ses débitants liés n'ont pas compensé l'écart de prix subi par ces derniers.

198. Dans leur réplique, ils contestent l'allégation de la Commission selon laquelle le fait d'être un débitant lié plutôt qu'un exploitant de débit de boissons indépendant constitue un avantage non quantifiable, pouvant compenser l'écart de prix net retenu pour les exercices concernant la période allant de 1990 à 1994. À cet égard,ils contestent l'affirmation de la Commission selon laquelle un débitant lié court moins de risques que le propriétaire d'un débit de boissons indépendant. En effet, ce dernier serait très probablement en mesure de réaliser avec le temps un bénéfice équivalant au capital investi, qui ne serait donc pas mis en péril. En revanche, un débitant lié serait contraint de subir un bail de 20 ans avec des révisions du loyer uniquement à la hausse, ainsi qu'une obligation d'achat de bière que le bailleur peut appliquer au détriment du débitant lié, et serait exposé au risque que les améliorations apportées aux locaux soient perdues sans aucune compensation.

199. La Commission et Whitbread considèrent que l'argumentation des requérants n'est pas fondée.

Appréciation du Tribunal

200. Au stade de la requête, les requérants constatent qu'il résulte du tableau n° 3 de la décision attaquée que, au cours des exercices 1990/1991, 1991/1992, 1992/1993 et 1993/1994, qui correspondraient, selon les requérants, à la période durant laquelle la majorité des baux appartenant à la catégorie des baux types notifiés ont été conclus, l'écart de prix n'a pas été compensé par les avantages consentis par Whitbread aux débitant liés, la tendance ne s'inversant qu'à partir de l'exercice 1994/1995. Ils relèvent également que la Commission a accordé l'exemption individuelle en raison du fait que les avantages compensatoires, une fois quantifiés, sont supérieurs à l'écart de prix. Ils en déduisent que la Commission a exempté les baux pour un fait qui n'existait pas au moment où la plupart des baux notifiés ont été conclus.

201. Or, selon les requérants, la possibilité d'octroyer une exemption individuelle sur le fondement de l'article 85, paragraphe 3, du traité s'apprécie au jour de la conclusion de cet accord. Si l'accord ne respecte pas les conditions de cet article au jour de sa conclusion, il serait nul en application de l'article 81, paragraphe 2, du traité. Cette nullité serait acquise d'une façon définitive et ne pourrait plus être remise en cause par la survenance de circonstances postérieures qui, si elles avaient existé au jour de la conclusion de l'accord, auraient permis d'accorder une exemption individuelle.

202. Il s'ensuit que les requérants reprochent à la Commission d'avoir exempté les contrats en prenant en compte des circonstances qui n'existaient pas au moment de leur conclusion et évoquent l'existence d'une exemption "avec effet rétroactif". La "rétroactivité" qui est ainsi critiquée par les requérants ne doit pas être confondue avec celle qui est évoquée dans la décision attaquée, à savoir le fait que ladite décision d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité a pris effet, conformément aux articles 4, paragraphe 2, point 1, et 6, paragraphe 2, du règlement n° 17, à une date antérieure à la notification des contrats en cause, élément qui n'est pas contesté.

203. Ce grief des requérants repose sur la prémisse que la Commission a considéré que les conditions d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité n'ont été réunies qu'à partir de l'exercice 1994/1995 et que, en particulier, l'appréciation de la Commission se serait fondée exclusivement sur les données chiffrées figurant au tableau n° 3 inséré dans le considérant 93 de la décision attaquée, donc sur le rapport entre l'écart de prix et les avantages compensatoires y mentionnés, tableau faisant apparaître que la mesure de l'écart de prix ne devient inférieure à celle des avantages qu'à partir de l'exercice 1994/1995.

204. En réalité, la Commission ne s'est pas uniquement fondée sur le tableau en question, mais a développé une argumentation ayant pour objet de démontrer que les conditions de l'article 85, paragraphe 3, du traité, et plus particulièrement celle de l'existence d'une amélioration de la distribution, étaient respectées même au cours des exercices 1990/1991, 1991/1992, 1992/1993 et 1993/1994, pendant lesquels l'écart de prix n'était pas totalement compensé par les avantages consentis par Whitbread à ses débitants liés, le désavantage étant de l'ordre de 3 à 6 GBP par baril.

205. À cet égard, elle a exposé, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, au considérant 168 de la décision attaquée, que les chiffres susvisés ne permettent pas, en eux-mêmes, d'affirmer que le débitant lié a été sensiblement défavorisé par rapport à ses concurrents au cours de chacun des exercices précités. Cette conclusion est fondée sur le double argument que ces chiffres représentent seulement entre 1 et 3 % du prix de la bière et qu'il existe des compensations "non quantifiables", comme le fait que les risques ne sont pas les mêmes pour le débitant lié et pour le débitant indépendant.

206. S'agissant de cette dernière affirmation, la Commission a opéré, au considérant 168 de la décision attaquée, un renvoi au considérant 94 de celle-ci. Dans ce dernier, elle a exposé deux éléments venant au soutien de cette affirmation. D'une part, Whitbread aurait, dans des centaines de cas, accepté de terminer le bail pour des raisons liées aux conditions personnelles ou commerciales du débitant et, dans un petit nombre de cas, elle aurait consenti une réduction du loyer. D'autre part, la Commission a rappelé l'existence pour les débits liés d'un loyer inférieur à celui des débits de boissons non liés.

207. L'existence de cette argumentation ôte toute pertinence au raisonnement des requérants, tel que formulé par eux au stade de la requête, fondé sur le fait que la Commission a elle-même considéré dans la décision attaquée que les avantages procurés par les contrats notifiés, qui justifiaient l'octroi d'une exemption individuelle, n'ont pas existé pendant toute la période couverte par l'exemption.

208. Au stade de la réplique, les requérants ont pour la première fois contesté l'argumentation en cause de la Commission. Ils ont, en effet, mis en doutel'affirmation selon laquelle un débitant lié court moins de risques que le propriétaire d'un débit indépendant.

209. Il convient de constater, en premier lieu, que cette contestation ne porte que sur un des deux arguments sur lesquels la Commission a fondé son appréciation selon laquelle, d'une part, les baux types ont satisfait aux conditions de l'article 85, paragraphe 3, du traité pendant toute la période couverte par la décision attaquée, y compris celle s'étendant du 1er janvier 1990, date à partir de laquelle l'exemption a été accordée, au 28 février 1994, date de clôture de l'exercice 1993/1994 (voir tableau n° 3 inséré dans le considérant 93 de la décision attaquée) et, d'autre part, le fait que, au cours de cette dernière période, l'écart de prix n'était pas totalement compensé ne permettait pas, en lui-même, de conclure que le débitant lié moyen a été sensiblement défavorisé par rapport à ses concurrents tout au long de ladite période (considérants 168 et 184 de la décision attaquée).

210. La contestation des requérants ne porte donc pas sur l'autre argument que la Commission a mis en avant, à savoir que l'écart de prix subsistant après la prise en considération des avantages compensatoires quantifiables ne représentait, pour la période allant du 1er janvier 1990 au 28 février 1994, qu'entre 1 et 3 % du prix de la bière.

211. Cet argument trouve son origine dans le raisonnement développé par la Commission au considérant 159 de la décision attaquée, que les requérants ne contestent pas non plus, selon lequel une discrimination injustifiée par les prix n'a d'incidence négative sensible sur la compétitivité du débitant lié que pour autant qu'elle soit significative et dure longtemps.

212. Son bien-fondé est attesté par le constat, non critiqué par les requérants, fait par la Commission au considérant 169 de la décision attaquée, que, au cours de la période comprise entre 1991 et 1997, qui inclut la plus longue période de récession qu'ait connue l'économie britannique, le pourcentage de créances irrécupérables a été en moyenne trois fois moins élevé pour les débitants liés de Whitbread que pour les débitants indépendants clients de la brasserie.

213. Il convient de relever, en deuxième lieu, que la contestation des requérants relative au second argument présenté par la Commission vise uniquement un exemple illustrant celui-ci. En effet, l'affirmation incriminée selon laquelle les risques sont moins élevés pour le débitant lié que pour le débitant indépendant, n'est formulée, au considérant 168 de la décision attaquée, qu'à titre d'exemple de compensation "non quantifiable".

214. Par ailleurs, la Commission prend soin de relever d'autres exemples de compensations "non quantifiables", dont l'existence n'est pas contestée par les requérants. Ainsi, il est fait référence, au considérant 94 de la décision attaquée, à la circonstance que Whitbread a accepté, dans plusieurs centaines de cas, de terminer le bail pour des raisons liées aux conditions personnelles ou commercialesdu débitant et, dans un plus petit nombre de cas, une réduction du loyer. Il est de même observé, au considérant 150 de la décision attaquée, que la location d'un local à un loyer convenu, comme dans le cadre des baux types de Whitbread, eu égard en particulier au système restrictif d'octroi de licence en vigueur au Royaume-Uni, permet à un débitant lié d'exploiter un local et donc de faire une entrée à peu de frais sur le marché de la vente de bière à consommer sur place.

215. Il y a lieu d'observer, en troisième lieu, que l'appréciation contestée de la Commission, donc l'existence d'un risque commercial moindre pour les débitants liés, repose sur deux constatations, à savoir, d'une part, l'existence d'éléments de "partenariat", l'acceptation assez souple par Whitbread de cessions de bail et de réductions de loyer et, d'autre part, l'existence au profit des débits liés d'un loyer inférieur à celui des débits de boissons non liés.

216. Le premier élément, c'est-à-dire l'existence d'éléments de "partenariat", n'a pas fait l'objet d'une contestation spécifique par les requérants.

217. Le second élément, en l'occurrence l'existence d'une prime locative en faveur des débits liés, a certes fait l'objet d'une contestation. Celle-ci a toutefois été considérée par le Tribunal comme non fondée.

218. Dans ces conditions, sur la base de ces prémisses, respectivement, non contestées et non contestables, la Commission a pu conclure, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, que les débitants liés supportent un risque moindre que celui auquel sont exposés les débitants non liés.

219. Cette conclusion n'est pas mise en cause par l'affirmation des requérants selon laquelle un débitant indépendant est en mesure de réaliser avec le temps un bénéfice équivalent au capital investi, alors que le débitant lié est contraint de subir un bail de longue durée, avec des révisions du loyer uniquement à la hausse et une obligation d'achat de bière et doit supporter le risque de perdre sans compensation les améliorations apportées aux locaux.

220. En effet, cette affirmation, qui tend à mettre en doute la profitabilité, voire la viabilité, des débits liés, est contredite par le constat, fait au considérant 169 de la décision attaquée et non contesté par les requérants, que, au cours de la période comprise entre 1991 et 1997, donc incluant en grande partie les exercices 1990/1991, 1991/1992, 1992/1993 et 1993/1994, qui correspondent à la plus longue phase de récession qu'ait connue l'économie britannique, le pourcentage de créances irrécupérables a été en moyenne trois fois moins élevé pour les débitants liés de Whitbread que pour les débitants indépendants clients de la brasserie.

221. Il s'ensuit que les requérants n'ont pas démontré que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant, aux considérants 168 et 184 de la décision attaquée, que les baux types satisfont aux conditions de l'article 85,paragraphe 3, du traité depuis le 1er janvier 1990, ce qui englobe les exercices 1990/1991, 1991/1992, 1992/1993 et 1993/1994.

222. Le moyen doit donc être rejeté.

223. Il s'ensuit que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

224. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la partie défenderesse.

225. En vertu de l'article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure, la partie intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) Les requérants supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission.

3) La partie intervenante supportera ses propres dépens.