TPICE, 3e ch., 21 mars 2002, n° T-231/99
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Colin Joynson
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, Bass plc
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Azizi
Juges :
MM. Lenaerts, Jaeger
Avocats :
Mes Bedford, Ferdinand, Kelly, Oliver, Bonner-Evans, Malyn, Noble, Khan, Farquharson, Block, Green.
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),
Faits à l'origine du litige
1. Bass PLC (ci-après "Bass") est une société cotée à la Bourse de Londres. Le groupe Bass est un groupe international qui opère dans le domaine de l'hôtellerie, de l'hébergement de loisirs et de la fabrication de boissons, notamment de bière, en Europe, aux États-Unis et dans d'autres pays.
2. En juin 1996, le groupe Bass était propriétaire de quelque 4 182 débits de boissons au Royaume-Uni, dont 2 736 étaient gérés par un salarié du groupe et 1 446 étaient loués à des débitants. En mars 1997, le patrimoine locatif du groupe Bass comptait 1 430 débits de boissons, dont 106 situés en Écosse. Sur ces 1 430 débits, 1 186 étaient loués en vertu de baux types, 178 dans le cadre d'un bail à titre précaire (tenancy at will), 42 avec un bail de courte durée (foundation agreement), les 24 débits de boissons restants étant soit loués en vertu de contrats d'un autre type, soit inoccupés.
3. Au cours de l'année 1998, le groupe Bass a progressivement vendu une grande partie de son patrimoine locatif pour ne conserver qu'une vingtaine de débits de boissons.
4. Les relations contractuelles entre le groupe Bass et la majorité de ses débitants liés étaient régies par un bail type, en vertu duquel une des sociétés du groupe Bass mettait à la disposition du débitant lié un établissement titulaire d'une licence, avec les équipements et agencements nécessaires pour qu'il en assure l'exploitation, en contrepartie du paiement d'un loyer et de l'engagement d'acheter à Bass, ou à un fournisseur désigné par lui, les bières désignées dans le bail.
5. Dans le bail type était donc prévue une obligation d'achat exclusif et une obligation de non- concurrence.
6. L'obligation d'achat exclusif contraignait le débitant lié à acheter exclusivement auprès de son cocontractant ou d'une personne désignée par lui, les bières désignées dans le contrat, avec toutefois une possibilité d'acheter une bière provenant d'un autre brasseur en vertu d'une disposition de la réglementation nationale communément désignée "Guest Beer Provision".
7. L'obligation de non-concurrence interdisait au débitant lié de vendre ou de proposer à la vente dans son établissement ou d'apporter dans ledit établissement aux fins de la vente toute bière du même type que la bière désignée, mais non fournie par le cocontractant ou une personne désignée par celui-ci, ou toute autre bière à moins qu'il ne s'agisse d'une bière en bouteille, en boîte ou présentée dans un autre petit conditionnement, ou d'une bière à la pression si celle-ci se vendait habituellement sous cette forme ou si une demande suffisante de la clientèle du débit de boissons le justifiait.
Procédure administrative
8. En février 1995, l'Office of Fair Trading (ci-après l'"OFT") a ouvert une enquête, à la demande de la Commission, sur la politique de prix pratiquée par les brasseurs britanniques au niveau du commerce de gros. À la suite de cette enquête, qui a notamment porté sur Bass, l'OFT a adopté en mai 1995 un rapport intitulé "Enquête sur la politique de prix pratiquée par les brasseurs britanniques au niveau du commerce de gros" et publié un communiqué de presse concernant ce rapport le 16 mai 1995.
9. Le 11 juin 1996, Bass Holdings Ltd et The Bass Lease Company Ltd, filiales à 100 % de Bass, ont notifié, conformément à l'article 4 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), le bail type applicable à un débit de boissons titulaire d'une licence de vente de boissons alcooliques à consommer sur place,ouvert en Angleterre et au pays de Galles. Elles ont sollicité une attestation négative ou, à défaut, la confirmation par la Commission que les contrats pouvaient bénéficier de l'application du règlement (CEE) n° 1984/83 de la Commission, du 22 juin 1983, concernant l'application de l'article [81], paragraphe 3, du traité, à des catégories d'accords d'achat exclusif (JO L 173, p. 5), modifié par le règlement (CE) n° 1582/97 de la Commission, du 30 juillet 1997 (JO L 214, p. 27), ou d'une exemption individuelle, en vertu de l'article 81, paragraphe 3, CE, avec effet rétroactif à la date de conclusion des contrats. Le règlement n° 1984/83 contient, sous son titre II, des dispositions particulières relatives à des accords de fourniture de bière.
10. La Commission a complété les informations contenues dans la notification en effectuant une vérification sur place dans les locaux de Bass, conformément à l'article 14, paragraphe 2, du règlement n° 17, et en envoyant plusieurs demandes de renseignements. La Commission a notamment cherché à obtenir confirmation des données que Bass lui avait communiquées.
11. À la suite de la publication au Journal officiel des Communautés européennes, conformément à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, d'une communication, dans laquelle elle annonçait son intention d'accorder à Bass une exemption avec effet rétroactif en application de l'article 81, paragraphe 3, CE, la Commission a reçu vingt réponses de tiers intéressés. Seize réponses avaient été rédigées selon un modèle élaboré par un groupe d'action composé de débitants liés. La Commission a également reçu les observations de trois autres débitants liés et d'un comptable.
12. C'est dans ces conditions que la Commission a adopté la décision 1999/473/CE, du 16 juin 1999, relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE (affaire IV/36.081/F3 - Bass) (JO L 186, p. 1, ci-après la "décision attaquée"). Elle a décidé que le bail type notifié relève de l'article 81, paragraphe 1, CE, mais a déclaré cette disposition inapplicable sur la base de l'article 81, paragraphe 3, CE, avec effet du 1er mars 1991 au 31 décembre 2002.
13. M. C. Joynson exploitait, depuis juillet 1992 et en vertu d'un bail type, un débit de boissons situé à Bolton (Royaume-Uni), appartenant à Bass Holdings. Le contrat a pris fin lorsque cette dernière a vendu le débit de boissons en février 1998. Au cours de la procédure administrative, M. C. Joynson a présenté des observations en réponse à la communication de la Commission au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17.
Procédure et conclusions des parties
14. C'est dans ces circonstances que le requérant a introduit, le 12 octobre 1999, le présent recours.
15. Par ordonnance du 13 avril 2000, le président de la troisième chambre du Tribunal a accordé le bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite au requérant.
16. Par ordonnance du 4 juillet 2000, le président de la troisième chambre du Tribunal a admis Bass à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission.
17. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 26 avril 2001.
18. Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler la décision attaquée;
- condamner la Commission et Bass aux dépens.
19. La Commission, soutenue par Bass, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours comme non fondé;
- condamner le requérant aux dépens.
Sur la recevabilité
20. La Commission et Bass s'interrogent, respectivement, sur l'intérêt et la qualité pour agir du requérant.
1. Sur l'intérêt à agir
Arguments des parties
21. La Commission fait observer que le requérant a cessé en 1998 d'être un débitant lié à Bass. Elle relève que la requérant n'a pas rapporté la preuve qu'il a engagé devant les juridictions anglaises une action en indemnité contre Bass en raison de l'insertion par celle-ci dans le bail d'une obligation d'achat exclusif illégale. Elle s'interroge dès lors sur l'intérêt à agir du requérant.
22. Le requérant estime qu'il peut se prévaloir d'un intérêt suffisant à agir.
Appréciation du Tribunal
23. Il convient de rappeler qu'une personne physique ou morale doit justifier d'un intérêt né et actuel à l'annulation de l'acte attaqué (arrêt du Tribunal du 17 septembre 1992, NBV et NVB/Commission, T-138/89, Rec. p. II-2181, point 33).
24. Il résulte des pièces justificatives produites en cours de procédure par le requérant et des renseignements recueillis auprès de lui et de la partie intervenante que le requérant a engagé contre Bass un recours en indemnité devant les juridictions anglaises ayant pour objet la réparation du dommage prétendument subi du fait de s'être vu imposer dans le bail type, lequel a été exempté par la Commission dans la décision attaquée, des obligations contraires à l'article 81 CE, et que ce recours est pendant.
25. Le requérant conserve donc un intérêt matériel et moral à la résolution du présent litige nonobstant la résiliation du bail.
2. Sur la qualité pour agir du requérant
Arguments des parties
26. Bass estime que le principe de sécurité juridique empêche le requérant de mettre en cause la validité de la décision attaquée à l'égard de l'ensemble de ses débitants liés. Il incomberait au requérant de démontrer que la solution adoptée par la Commission n'est pas conciliable avec sa situation spécifique, ce qu'il n'aurait pas fait.
27. Le requérant considère qu'il a qualité pour agir.
Appréciation du Tribunal
28. Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d'une décision ne peuvent prétendre être concernés individuellement au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire (arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223, et du 23 mai 2000, Comité d'entreprise de la Société française de production e.a./Commission, C-106/98 P, Rec. p. I- 3659, point 39).
29. En l'espèce, le requérant a formé un recours en annulation contre la décision d'exemption d'un accord auquel il a été partie et au sujet duquel il soutient que ce dernier lui a imposé des prix discriminatoires et l'a ainsi empêché d'affronter la concurrence à armes égales. Il a également engagé devant les juridictions anglaises un recours en indemnité contre Bass en raison du fait qu'il s'est vu imposer, dans le cadre de l'accord exempté, des obligations contraires à l'article 81 CE. De plus, il a participé à la procédure administrative.
30. Eu égard à ces circonstances, qui attestent que la décision attaquée affecte la situation juridique personnelle du requérant, celui-ci se trouve dans une situation de fait qui l'individualise d'une manière analogue à celle du destinataire. Il est, partant, individuellement concerné au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE. Comme il n'est par ailleurs pas contesté, ni contestable, qu'il est aussi directement concerné par cette décision, son recours en annulation respecte les conditions de recevabilité définies par la disposition précitée.
31. Bass considère toutefois que le recours est néanmoins irrecevable au motif que le fait pour un cocontractant isolé de mettre en cause la validité de la décision d'exemption d'un accord type auquel il participe avec de nombreux opérateurs économiques violerait le principe de sécurité juridique.
32. À cet égard, il convient de rappeler que les justiciables tiennent du droit communautaire un droit à une protection juridictionnelle complète et effective (ordonnance du président de la Cour du 29 janvier 1997, Antonissen/Conseil et Commission, C-393/96 P(R), Rec. p. I-441, point 36) et qu'il a été prévu, dans le cadre du traité, de mettre en place un système de protection juridictionnelle complet à l'égard des actes des institutions communautaires susceptibles d'avoir des effets juridiques (arrêt de la Cour du 27 septembre 1988, Parlement/Conseil, 302/87, Rec. p. 5615, point 20).
33. Or, ce droit du justiciable serait vidé de sa substance s'il ne pouvait pas mettre en cause la validité d'un acte contre lequel il est pourtant, selon les conditions de l'article 230, quatrième alinéa, CE, recevable à former un recours en annulation, au motif que, cet acte affectant aussi de nombreuses autres personnes, le principe de sécurité juridique prohiberait sa mise en cause.
34. De plus, s'il était admis que le principe de sécurité juridique puisse mettre en échec le droit pour un cocontractant de former un recours en annulation contre la décision d'exemption d'un accord auquel il participe avec de nombreux autres opérateurs économiques, ce principe devrait également empêcher une juridiction nationale, saisie d'une affaire dans le cadre de laquelle ce cocontractant a mis en cause la validité de cette décision, de saisir la Cour, conformément à l'article 234 CE, d'un renvoi préjudiciel en appréciation de validité. En effet, les effets d'une déclaration d'invalidité de l'acte par la Cour à la suite d'une telle procédure sont semblables à ceux d'une décision d'annulation du Tribunal saisi d'un recours en annulation fondé sur l'article 230 CE. La thèse de Bass aurait donc pour effet, outre celui de limiter le système de protection juridictionnelle des particuliers, de permettre, sur la base du respect du principe de sécurité juridique, le maintien en vigueur d'actes illégaux.
35. L'argumentation de Bass doit donc être rejetée.
Sur le fond
36. Il convient de rappeler que le contrôle exercé par le juge communautaire sur les appréciations économiques complexes effectuées par la Commission dans l'exercice du pouvoir d'appréciation que lui confère l'article 81, paragraphe 3, CE à l'égard de chacune des quatre conditions qu'il contient doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l'exactitude matérielle des faits, de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir (arrêts de la Cour du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission, 142/84 et 156/84, Rec p. 4487, point 62, et du Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T-213/95 et T-18/96, Rec. p. II-1739, point 190).
37. Le requérant soutient que la décision attaquée est affectée par des erreurs manifestes d'appréciation et qu'elle n'est pas suffisamment motivée.
A - Sur le moyen tiré d'erreurs manifestes d'appréciation
38. Le requérant considère que la Commission a commis des erreurs manifestes d'appréciation en ce qui concerne l'insuffisante prise en considération de la rentabilité des débits liés à Bass et l'évaluation de l'écart de prix, de la prime locative et de certains autres avantages compensatoires.
1. Sur l'insuffisante prise en considération de l'effet des baux types sur la rentabilité des débits liés à Bass
39. Dans la décision attaquée, la Commission a considéré qu'un accord de distribution de bière entraîne généralement une amélioration de la distribution (considérants 168 à 172), mais elle a estimé qu'il convenait d'examiner si cet avantage peut se matérialiser lorsque le débitant lié subit des écarts de prix importants (considérant 173).
40. À cet effet, elle a noté que la discrimination par les prix était un élément important dans la justification économique d'une exemption en faveur d'accords d'achat exclusif. En effet, en premier lieu, un accord d'achat exclusif permettrait ce type de discrimination, puisque, pendant toute la durée de celui-ci, l'acheteur se verrait dans l'impossibilité de recourir à d'autres sources d'approvisionnement, contrairement aux autres clients du producteur (considérant 174 de la décision attaquée). En second lieu, en ce qui concerne la condition relative à l'amélioration de la distribution, la Commission a estimé qu'il pouvait s'avérer difficile pour une personne subissant une discrimination "nette" sensible sur les prix d'affronter la concurrence à armes égales (considérant 175 de la décision attaquée).
41. Elle a ajouté que l'idée que la discrimination par les prix puisse être incompatible avec l'article 81, paragraphe 3, CE, trouverait aussi une expression dans le règlement n° 1984/83. En effet, le considérant 21 de ce règlement prévoirait que si, dans des cas particuliers, les accords exemptés par l'effet de ce règlement ont cependant des effets incompatibles avec les dispositions de l'article 81, paragraphe 3, CE, la Commission peut retirer le bénéfice de l'exemption. En outre, l'article 14, sous c), 2), du règlement n° 1984/83 envisagerait expressément la discrimination injustifiée par les prix (considérant 175 de la décision attaquée).
42. Elle a précisé que l'application de ces considérations aux baux types signifie, dans le contexte du marché britannique de la bière à consommer sur place, que le débitant lié subissant des écarts de prix injustifiés pourrait ne pas être en mesure d'affronter la concurrence à armes égales. Toutes conditions égales par ailleurs, son activité serait moins lucrative que celle de ses concurrents, voire pas lucrative du tout (considérant 176 de la décision attaquée).
43. Elle a toutefois ajouté qu'une discrimination injustifiée par les prix n'a d'incidence négative sensible sur la compétitivité du débitant lié et n'affecte l'appréciation portée sur l'absence d'amélioration de la distribution que si elle est significative et dure longtemps (considérant 177 de la décision attaquée).
44. Sur la base de ces considérations, la Commission a évalué les écarts de prix subis par les débitants liés à Bass et a constaté que ceux-ci sont allés en s'accroissant au fil des ans (considérant 181 de la décision attaquée). Elle a toutefois accepté l'argument présenté par Bass selon lequel, afin de déterminer si les débitants liés pouvaient "survivre" sur le marché et, partant, s'il y avait amélioration de la distribution, il était nécessaire de tenir compte, outre des écarts de prix imposés aux débitants liés, des avantages spécifiques dont bénéficieraient ces derniers, à l'exclusion de leurs concurrents (considérants 182 et 183 de la décision attaquée). Procédant à cette comparaison entre écarts de prix et avantages compensatoires, la Commission a conclu que les avantages compensaient lesdits écarts et en a déduit, en faisant usage de la marge discrétionnaire dont elle dispose dans l'application de l'article 81, paragraphe 3, CE, que les baux types ont contribué à améliorer la distribution sur le marché britannique de la bière à consommer sur place (considérants 184 à 188 de la décision attaquée).
Arguments des parties
45. Le requérant fait valoir que, dans son analyse de la condition tirée de l'amélioration de la distribution, la Commission s'est uniquement interrogée sur les effets d'une éventuelle discrimination délibérée par les prix commise par Bass et non sur la question de savoir si, indépendamment de toute discrimination délibérée, le système des baux pratiqué par Bass empêche, pour des raisons structurelles, les débitants liés de gérer leurs activités de manière rentable, de manière aussi rentable que les revendeurs non liés situés au même niveau de distribution. En effet, conformément aux critères qu'elle a elle-même définis, la Commission aurait dû vérifier si, compte tenu de ce système, les débitants liés à Bass étaient en mesure d'affronter la concurrence à armes égales, voire de "survivre sur le marché", ou si, au contraire, leur activité était, toutes conditions égales par ailleurs, moins lucrative que celle de leurs concurrents, voire pas lucrative du tout.
46. La Commission et Bass considèrent que cette argumentation n'est pas fondée.
Appréciation du Tribunal
47. Il convient de relever que, au considérant 5 du règlement n° 1984/83, la Commission constate que les accords d'achat exclusif entraînent en général une amélioration de la distribution, puisqu'ils permettent au fournisseur de planifier la vente de ses produits de manière plus exacte et plus longtemps à l'avance et assurent au revendeur un approvisionnement régulier pendant la durée de l'accord, procurant ainsi aux entreprises intéressées la possibilité de limiter les risques de fluctuation du marché et de réduire leurs coûts de distribution.
48. Outre ces avantages communs à l'ensemble des accords d'achat exclusif, les contrats de fourniture de bière entraînent, du point de vue de l'amélioration de la distribution, certains avantages spécifiques, relevés à juste titre au considérant 15 du règlement n° 1984/83. En effet, les avantages économiques et financiers que le fournisseur accorde au revendeur facilitent sensiblement l'installation ou la modernisation de débits de boissons, ainsi que leur entretien et leur exploitation. L'obligation d'achat exclusif et l'interdiction de concurrence amènent le revendeur à concentrer ses efforts de vente sur les produits visés dans l'accord avec tous les moyens dont il dispose. De tels accords conduisent les parties contractantes à une coopération de longue durée qui leur permet d'améliorer la qualité des produits et du service à la clientèle fournis par le revendeur. Ils permettent une planification à long terme des ventes et donc une organisation rentable de la production et de la distribution. Enfin, sous la pression de la concurrence entre produits de marques différentes, les intéressés sont contraints d'adapter de façon permanente le nombre et les caractéristiques des débits de boissons aux souhaits de la clientèle.
49. Dans la décision attaquée, la Commission, tout en se référant à juste titre à ces avantages, ajoute que, eu égard au système restrictif d'octroi de licence en vigueur au Royaume-Uni, la location d'un local à un loyer convenu, comme dans le cadre des baux types de Bass, permet à un débitant lié d'exploiter un local et donc de faire une entrée à peu de frais sur le marché de la vente de bière à consommer sur place. Elle observe dans ce même ordre d'idées que ce système, grâce auquel un brasseur britannique donne à un opérateur indépendant la possibilité d'exploiter un établissement titulaire d'une licence lui appartenant, augmente le nombre d'options qui existent pour pénétrer sur le marché (considérant 168 de la décision attaquée).
50. Il s'ensuit que les baux types de Bass ont en principe pour effet d'améliorer la distribution. C'est en tenant compte de cette prémisse qu'il y a lieu d'apprécier la pertinence de la question soulevée par le requérant quant à l'influence du système des baux types de Bass sur la rentabilité des débits liés à ce brasseur. Cette question de la rentabilité n'est pertinente que dans la mesure où l'influence dénoncée serait de nature à faire obstacle à la réalisation des avantages recensés ci- dessus. Tel ne serait le cas que si la rentabilité des débits liés à Bass était à ce point faible que leur capacité de distribution de la bière serait mise en cause. En effet, tant que les débits liés ne sont pas sérieusement affectés dans leur capacité de distribuer la bière, les avantages en cause continuent d'exister. La rentabilité ne constitue donc un élément pertinent que dans la mesure où elle est de nature à mettre en cause cette capacité.
51. La Commission a donc, à juste titre, pris soin de ne prendre en considération la rentabilité des débits liés à Bass que dans la mesure où celle-ci serait à ce point faible qu'elle mettrait en cause la capacité des débitants liés de distribuer la bière. Elle a dès lors à bon droit souligné que, si une discrimination volontaire par les prix peut empêcher les débitants liés d'être en mesure d'affronter la concurrence à armes égales et, toutes conditions égales par ailleurs, rendre leur activité moins lucrative que celle de leurs concurrents, toute discrimination n'est pas, toutefois, à prendre en considération. En effet, ainsi qu'elle l'a relevé, au considérant 177 de la décision attaquée, seule une discrimination injustifiée, qui est sensible et dure longtemps et qui a donc une incidence négative notable sur la compétitivité du débitant lié, est de nature à affecter l'appréciation positive portée sur l'accord de fourniture de bière en termes d'amélioration de la distribution.
52. Il n'est donc pas pertinent de savoir si les débits liés à Bass présentent une rentabilité équivalente à celle de leurs concurrents.
53. Le fait que la rentabilité des débits liés ne soit pas nécessairement équivalente à celle de leurs concurrents constitue d'ailleurs en partie la prémisse de l'examen de l'octroi d'une exemption individuelle sur la base de l'article 81, paragraphe 3, CE. En effet, les baux types, caractérisés par la stipulation de clauses d'achat exclusif et de non-concurrence, empêchent par hypothèse les débitants liés de s'approvisionner librement sur le marché, et donc d'acquérir des bières du même type que celles visées par le contrat auprès d'autres fournisseurs et ce, le cas échéant, à des prix plus avantageux. Dans cette mesure, ils privent donc les débitants liés de possibilités d'améliorer leur rentabilité. Or, la Commission a tenu compte de cette circonstance en concluant, aux considérants 155 et 164 de la décision attaquée, que les obligations d'achat exclusif et de non- concurrence contenues dans les contrats litigieux ont un effet restrictif sur la concurrence et relèvent de l'article 81, paragraphe 1, CE.
54. Il s'ensuit que la Commission n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation en omettant de vérifier si les débits liés à Bass présentent une rentabilité équivalente à celle de leurs concurrents.
55. En ce qui concerne la seule question pertinente que pourrait, le cas échéant, soulever la rentabilité des débits liés à Bass, telle que définie au point 51 ci-dessus, c'est, à juste titre, que la Commission n'a envisagé que les effets d'une éventuelle discrimination délibérée par les prix commise par Bass et non une faiblesse de la rentabilité qui serait, indépendamment de toute discrimination délibérée par les prix, la conséquence du système des baux lui-même.
56. D'une part, cette position de la Commission repose sur le règlement n° 1984/83 auquel elle s'est référée à juste titre.
57. À cet égard, il convient de relever que les baux types de Bass n'ont pas pu bénéficier de l'exemption par catégorie définie par le règlement n° 1984/83, mais ont fait l'objet d'une exemption individuelle, en raison du fait qu'ils prévoient, contrairement aux conditions posées par l'article 6 du règlement, une spécification de l'obligation d'achat de bière par type de bière et non une spécification par la marque ou la dénomination (considérants 165 à 167 de la décision attaquée). L'exclusion du bénéfice de l'exemption par catégorie de contrats contenant un tel type de clause est justifiée au considérant 18 du règlement n° 1984/83, outre par le souci de préserver la liberté économique du revendeur, par celui de préserver l'accès d'autres fournisseurs à l'échelon de commerce de détail. Dans le cadre de l'appréciation des baux conclus par Bass en vue de l'octroi d'une exemption individuelle, la Commission a cependant relevé, au considérant 171 de la décision attaquée, que cette clause constitue, eu égard aux particularités du marché britannique de la bière à consommer sur place et du comportement spécifique de Bass, une possibilité de mettre en œuvre les accords d'achats exclusifs de bière au Royaume-Uni plus efficacement que ne le permet la spécification prévue par le règlement n° 1984/83 et qu'elle permet précisément de mieux préserver l'accès au marché de brasseurs étrangers ou nationaux que ne le fait la spécification de l'obligation d'achat de bière par la marque ou la dénomination exigée par le règlement n° 1984/83.
58. Le principal motif ayant justifié l'exclusion des contrats de fourniture de bière comportant une spécification de l'obligation d'achat par type de bière du bénéfice de l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 1984/83 aurait donc, en l'espèce, exigé le recours à cette clause. Il s'ensuit que les baux types de Bass ne satisfont pas aux conditions du règlement n° 1984/83 en raison uniquement d'une circonstance purement technique, qui n'empêche toutefois pas ces contrats de respecter l'esprit de ce règlement.
59. Dans ces circonstances, la Commission s'est à juste titre référée, dans le cadre de l'examen de la possibilité d'accorder une exemption individuelle, à la grille d'analyse fournie par le règlement.
60. Or, ce dernier envisage des hypothèses dans lesquelles des accords qui respectent en principe les conditions définies par ce règlement ont des effets incompatibles avec les dispositions de l'article 81, paragraphe 3, CE. Ces hypothèses englobent celle, analysée par la Commission, dans laquelle le fournisseur, sans raison objectivement justifiée, applique à l'égard d'un revendeur lié par l'engagement d'achat exclusif des prix moins favorables que ceux qu'il applique à d'autres revendeurs se situant au même stade de la distribution [article 14, sous c), 2), du règlement n° 1984/83].
61. C'est donc à juste titre que la Commission, s'inspirant de la grille d'analyse fournie par le règlement n° 1984/83, a pris en considération la question de la discrimination volontaire par les prix mentionnée par ce règlement.
62. En revanche, le règlement n° 1984/83 ne prévoit pas l'hypothèse de contrats de fourniture de bière qui, pour des raisons structurelles propres à ces contrats, procurent aux débitants liés une rentabilité à ce point faible qu'il y aurait lieu pour la Commission de retirer le bénéfice de l'exemption par catégorie. En effet, ledit règlement, en constatant les multiples avantages procurés par les accords d'achat exclusifs en général (considérants 5 à 7) et des contrats de fourniture de bière en particulier (considérants 14 à 17) présume nécessairement que ces accords et contrats n'ont pas, pour des raisons structurelles, pour effet de réduire la rentabilité des activités des revendeurs à un point tel que ces avantages soient mis en cause.
63. D'autre part, la position de la Commission repose sur des éléments propres au marché britannique de la bière à consommer sur place analysés dans la décision attaquée.
64. Il découle de la décision attaquée que l'opérateur économique qui se propose d'entrer au Royaume-Uni sur le marché de la vente de boissons alcooliques à consommer sur place au niveau du commerce de détail n'a pas uniquement la possibilité d'exploiter un débit appartenant à un brasseur. Il a aussi celle d'assumer la fonction de gérant d'un local qui appartient à un brasseur ou à une chaîne de débits de boissons et celle d'être le propriétaire de son propre débit, que celui-ci soit ou non lié à un brasseur en contrepartie d'un prêt avantageux (considérant 168 de la décision attaquée). Ces options ne sont pas purement théoriques, puisque les débits appartenant aux brasseurs et aux chaînes de débits de boissons, tenus par un de leurs salariés, ont distribué, en 1997, 25,5 % de la bière consommée dans les établissements servant des boissons à consommer sur place au Royaume-Uni [considérant 26 de la décision attaquée, tableau 2, colonnes b) et d)] et les débits indépendants individuels, qu'ils soient ou non liés à un brasseur en contrepartie d'un prêt avantageux, 53,1 % [considérant 26 de la décision attaquée, tableau 2, colonnes e) et f)]. Par ailleurs, selon les constatations de la Commission, les barrières à l'entrée au niveau du commerce de détail sont relativement limitées (considérant 36 de la décision attaquée).
65. Il s'ensuit qu'un opérateur qui se propose d'entrer sur le marché du commerce de détail des boissons alcooliques à consommer sur place n'est pas nécessairement contraint de conclure avec un brasseur un contrat de bail assorti d'une clause d'achat exclusif. Compte tenu de cette liberté de choix, il paraît exclu qu'un opérateur opte pour un tel mode d'exploitation si celui-ci l'empêche, pour des raisons structurelles, d'exercer son commerce dans des conditions de rentabilité suffisantes.
66. Une telle situation serait d'ailleurs manifestement contraire à l'intérêt des brasseurs. En effet, ainsi que la Commission le souligne à juste titre, si leurs débits réalisaient des profits insuffisants, ils ne trouveraient plus de débitants, ce qui mettrait en cause leur capacité de distribution.
67. Il n'est, partant, pas établi que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en se limitant à analyser les effets d'une éventuelle discrimination volontaire par les prix commise par Bass et en omettant d'examiner si le système de baux types de Bass empêche les débitants liés de gérer leurs activités de manière aussi rentable que leurs concurrents.
2. Sur l'évaluation de l'écart de prix
68. Le requérant critique, d'une part, la définition de l'écart de prix retenue par la Commission et, d'autre part, la définition du groupe de référence par rapport auquel cet écart a été mesuré.
a) Sur la définition de l'écart de prix
69. La Commission a relevé, au considérant 60 de la décision attaquée, que les exploitants de débits de boissons qui ne sont pas tenus par des obligations d'achat exclusif de bière envers une entreprise peuvent obtenir, au Royaume-Uni, des réductions pour la bière qu'ils achètent, alors que les exploitants de débits liés n'ont pas cette possibilité. À partir de ce constat, elle a défini, au considérant 61 de la décision attaquée, l'écart de prix comme étant la différence entre les réductions moyennes accordées par Bass en livres sterling (GBP) par baril à des exploitants de débits de boissons non liés et les réductions consenties aux débitants liés. Sur la base de cette définition, elle a déterminé que l'écart de prix, qui était en 1990/1991 de 19 GBP par baril, a augmenté progressivement pour atteindre 48 GBP par baril en 1996/1997 (considérant 108 de la décision attaquée, tableau 3).
- Arguments des parties
70. Le requérant critique le fait que l'écart de prix a été calculé par référence aux opérateurs non liés s'approvisionnant auprès de Bass. Cette méthode reposerait sur la prémisse que la condition tirée de l'amélioration de la distribution n'est mise en cause que si l'écart de prix a pour origine une discrimination volontaire par les prix pratiquée par Bass à l'encontre de ses débitants liés et non des raisons structurelles,qui empêchent les débitants liés à Bass d'avoir une rentabilité équivalente à celle de leurs concurrents.
71. Ainsi, outre les effets d'une discrimination par les prix par Bass, tout désavantage structurel causé par l'obligation d'achat exclusif devrait être examiné en vue de déterminer si les conditions de l'article 81, paragraphe 3, CE sont réunies.
72. La différence entre le prix, calculé avec les remises, facturé par Bass aux opérateurs non liés et le prix facturé à ses débitants liés ne refléterait donc pas l'écart de prix réel. Le requérant estime que l'écart de prix net est la différence entre le prix moyen auquel la bière est disponible sur le marché libre de manière générale et le prix auquel la bière est vendue par Bass à ses débitants liés. La raison en serait que les opérateurs non liés ne sont pas limités dans leur choix d'un fournisseur. La remise offerte d'une manière générale sur le marché libre, calculée à partir d'une combinaison caractéristique des ventes du produit en cause, aurait avoisiné les 37,5 GBP par baril en 1990/1991 pour s'élever à 65 GBP par baril en 1997/1998, selon les indications contenues dans un rapport du 8 octobre 1998 d'un expert-comptable engagé par le requérant.
73. La Commission et Bass considèrent que l'argumentation du requérant n'est pas fondée.
- Appréciation du Tribunal
74. L'argument du requérant suppose qu'il est pertinent d'apprécier, du point de vue de la condition tirée de l'amélioration de la distribution, si le système des baux types de Bass ne permet pas, pour des raisons structurelles, aux débitants liés d'avoir une rentabilité équivalente à celle de leurs concurrents.
75. Or, il a été démontré ci-dessus qu'il n'était pas nécessaire de procéder à cette appréciation et qu'il n'existait pas non plus, exception faite de l'hypothèse d'une discrimination volontaire par les prix, qui a été dûment analysée par la Commission, de motifs suffisants pour apprécier la seule question éventuellement pertinente, mais différente, de savoir si le système de baux types de Bass réduisait la rentabilité des débits liés à ce brasseur à un point tel que leur capacité de distribuer la bière était sérieusement affectée.
76. Il s'ensuit qu'il n'est pas établi que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne procédant pas à une évaluation de la différence entre le prix moyen auquel la bière est disponible sur le marché libre de manière générale et celui auquel la bière est vendue par Bass à ses débitants liés.
77. Il convient d'ajouter que l'allégation du requérant concernant la nécessaire comparaison entre le montant de la remise offerte d'une manière générale sur le marché libre, qui aurait avoisiné 37,5 GBP par baril en 1990/1991 et 65 GBP parbaril en 1997/1998, et l'écart de prix retenu par la Commission dans la décision attaquée (considérant 108, tableau 3), à savoir notamment pour 1990/1991 19 GBP par baril et pour 1996/1997, qui est l'exercice le plus récent mentionné dans la décision attaquée, 48 GBP par baril, est dépourvue de pertinence. Outre le fait que cette affirmation n'est pas solidement documentée, elle se heurte au fait que la Commission a reconnu, au considérant 62 de la décision attaquée, qu'il existe des remises plus importantes que celles qu'elle a retenues, qui constituent des moyennes. De plus, l'écart de prix, tel que défini au considérant 60 de la décision attaquée, est la différence entre les réductions accordées par Bass à des débitants indépendants individuels et celles consenties aux débits qui lui sont liés, alors que les chiffres avancés par le requérant concernent une remise calculée à partir des ventes effectuées par les différents brasseurs présents sur le marché.
b) Sur la détermination du groupe de référence
78. La Commission a précisé, au considérant 178 de la décision attaquée que des remises sont accordées à tous les opérateurs du marché britannique des boissons à consommer sur place qui n'ont pas conclu d'accord prévoyant une obligation d'achat exclusif et qui s'approvisionnent auprès de Bass, à savoir : grossistes, chaînes de débits de boissons, autres brasseurs et débitants indépendants individuels. De plus, les remises accordées aux grossistes, aux débits gérés directement par le brasseur, aux chaînes de débits de boissons et aux autres brasseurs seraient, en moyenne, plus élevées que celles dont bénéficient les débitants indépendants individuels.
79. Elle n'a, toutefois, tenu compte dans l'appréciation de ces remises, dans le cadre de la comparaison opérée avec la situation des débitants liés à Bass, que de celles accordées aux débitants indépendants individuels. Cette limitation du domaine de comparaison est justifiée par référence à l'article 14, sous c), 2), du règlement n° 1984/83, qui dispose que la Commission peut retirer le bénéfice de l'application de ce règlement si elle constate que, dans un cas déterminé, un accord exempté en vertu de ce règlement a cependant certains effets qui sont incompatibles avec les conditions prévues par l'article 81, paragraphe 3, CE, et notamment lorsque le fournisseur, sans raison objectivement justifiée, applique à l'égard d'un revendeur lié par l'engagement d'achat exclusif des prix moins favorables que ceux qu'il applique à d'autres revendeurs "se situant au même stade de la distribution".
80. La Commission a observé à cet égard, au considérant 180 de la décision attaquée, que, parmi les différentes catégories de concurrents des débitants liés cités ci-dessus, seuls les débitants indépendants individuels sont des revendeurs situés au même stade de la distribution que les débitants liés, soit, en l'espèce, au stade de la vente au détail, et achètent directement leur bière auprès de Bass aux conditions du marché. Les débitants indépendants ont donc été considérés par la Commission comme constituant le groupe de référence.
- Arguments des parties
81. Le requérant expose que la définition du groupe de référence est trop restrictive. Elle aurait dû englober l'ensemble des établissements non liés du marché britannique de la bière à consommer sur place, donc non seulement les débits indépendants individuels, mais aussi, notamment, les débits gérés par les brasseurs et les chaînes de débits de boissons.
82. La Commission et Bass considèrent que l'argument du requérant n'est pas fondé.
- Appréciation du Tribunal
83. Il a été relevé au point 61 ci-dessus que la Commission s'est à juste titre référée, dans le cadre de l'examen de la possibilité d'accorder une exemption individuelle, à la grille d'analyse fournie par le règlement n° 1984/83. L'article 14, sous c), 2), du règlement n° 1984/83 vise l'hypothèse, pertinente en l'espèce, du fournisseur qui applique sans raison objectivement justifiée à l'égard d'un revendeur lié par l'engagement d'achat exclusif des prix moins favorables que ceux qu'il applique à d'autres revendeurs. Dans cette disposition, il est précisé que les autres revendeurs sont ceux qui se situent au même stade de la distribution.
84. Or, en l'espèce, il convient de constater que les débitants indépendants individuels, qui constituent le groupe de référence retenu, sont les seuls opérateurs qui se situent au même stade de la distribution que les débitants liés à Bass, situation qui, partant, permet d'opérer une comparaison fiable avec ces derniers.
85. Il est constant que les remises accordées par Bass sont d'autant plus importantes que la quantité de bière achetée est importante. Or, de ce point de vue, seuls les débitants indépendants individuels se trouvent dans une situation comparable à celle des débitants liés à Bass, puisqu'ils sont, comme ces derniers, des détaillants qui s'approvisionnent individuellement auprès de Bass. En revanche, l'approvisionnement en bière, produite par Bass, des débits gérés par des chaînes de débits de boissons ou par des brasseries autres que Bass s'effectue de manière globale, pour l'ensemble de ces chaînes ou brasseries. Il s'ensuit que les quantités de bière ainsi commandées sont beaucoup plus importantes que celles commandées par des débitants indépendants individuels et que, partant, les réductions de prix accordées par Bass à la suite de ces commandes globales sont plus élevées que celles accordées sur les commandes de débitants indépendants individuels.
86. Il s'ensuit qu'il n'est pas établi que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en écartant du groupe de référence les établissements autres que les débits indépendants individuels et, notamment, les débits gérés par des chaînes de débits de boissons ou des brasseurs.
3. Sur le calcul de la prime locative
87. La Commission a relevé dans la décision attaquée, aux considérants 63 à 74, que la prime locative résulte de la comparaison entre le loyer payé pour un débit lié et les coûts correspondants supportés par un exploitant de débit non lié. Si, à la suite de cette comparaison, les coûts précités sont supérieurs au loyer payé par les débitants liés, ce dernier constitue un avantage pour ces derniers qui est de nature à compenser l'écart de prix évoqué précédemment.
88. La Commission a recensé les différentes méthodes permettant de déterminer la prime locative et a finalement retenu celle qui consiste à calculer la différence entre le ratio loyer/chiffre d'affaires pour les débits liés et le ratio loyer/chiffre d'affaires pour les débits non liés. À cet égard, elle s'est fondée sur les prémisses suivantes:
- en ce qui concerne les débits de boissons non liés, le loyer est évalué à 15 % du chiffre d'affaires;
- en ce qui concerne les débits de boissons liés, le loyer est égal à 11,36 % du chiffre d'affaires.
89. Sur la base de ces prémisses, elle a calculé la prime locative de la façon suivante: après avoir déterminé le montant représentant les 15 % du chiffre d'affaires des débits de boissons liés, elle a soustrait de ce montant celui constitué par les 11,36 % du chiffre d'affaires en question, puis a divisé le résultat de cette soustraction par le nombre total de barils vendus par Bass à ses débits liés.
90. Les résultats de ce calcul figurent au tableau 3 inséré dans le considérant 108 de la décision attaquée. Il apparaît ainsi que la prime locative était en 1990/1991 de 16 GBP par baril, en 1991/1992 de 15 GBP par baril, en 1992/1993 de 19 GBP par baril, en 1993/1994 de 23 GBP par baril, en 1994/1995 de 22 GBP par baril, en 1995/1996 de 22 GBP par baril et en 1996/1997 de 24 GBP par baril. La prime locative constitue l'avantage compensatoire le plus important.
91. Le requérant critique le calcul de la prime locative effectué par la Commission en ce qui concerne, d'une part, la méthode de calcul retenue, à savoir celle du ratio loyer/chiffre d'affaires et, d'autre part, la mise en œuvre de cette méthode, à savoir l'évaluation du loyer des débits non liés à 15 % du chiffre d'affaires.
a) Sur le grief tiré du choix de la méthode du ratio loyer/chiffre d'affaires
- Arguments des parties
92. Le requérant considère que le but de toute méthode d'évaluation d'une prime locative éventuelle est de déterminer si l'effet de l'écart de prix rend les activités des débitants liés de Bass, toutes conditions égales par ailleurs, moins lucratives, voire pas lucratives du tout par comparaison à d'autres revendeurs opérant au même niveau de distribution. La comparaison, qui est à la base de cette évaluation,devrait être faite entre la structure des coûts des activités des débitants liés à Bass et celle des coûts de l'activité d'un opérateur moyen non lié. Seule cette analyse permettrait de déterminer si le système des baux pratiqué par Bass empêche, pour des raisons structurelles, les débitants liés de gérer leurs activités de manière aussi rentable que les revendeurs non liés situés au même niveau de distribution.
93. Le requérant critique, à cet égard, la méthode d'évaluation de la prime locative retenue par la Commission, qui ignorerait l'ensemble des coûts supportés par les débitants liés, exception faite du loyer, et ne constituerait donc pas un critère pour déterminer la rentabilité.
94. Il met en avant les avantages de la méthode du ratio loyer/bénéfice net, en vertu de laquelle le loyer est évalué à 50 % du bénéfice net. Cette méthode permettrait d'analyser, toutes conditions égales par ailleurs, la rentabilité d'un même débit de boissons, envisagé en tant qu'établissement lié et en tant qu'établissement non lié. En effet, elle tiendrait nécessairement compte des différentes "structures de coûts" implicites dans les débits de boissons liés et non liés.
95. La Commission et Bass considèrent que l'argumentation du requérant n'est pas fondée.
- Appréciation du Tribunal
96. La critique par le requérant de la méthode d'évaluation de la prime locative retenue par la Commission dans la décision attaquée et sa proposition d'utilisation d'une autre méthode repose sur la prémisse que la méthode devant être retenue, qui est mise en œuvre dans le cadre de l'analyse de la condition tirée de l'amélioration de la distribution, prévue par l'article 81, paragraphe 3, CE, doit permettre de comparer la rentabilité des débits liés à Bass avec celle des établissements indépendants, comparaison qui amènera à la conclusion que les premiers ont une rentabilité inférieure aux seconds.
97. Cette argumentation du requérant suppose aussi qu'il soit pertinent d'apprécier, du point de vue de la condition tirée de l'amélioration de la distribution, si le système des baux types de Bass empêche, pour des raisons structurelles, les débitants liés d'avoir une rentabilité équivalente à celle de leurs concurrents.
98. Or, il a déjà été indiqué que, du point de vue de la condition susvisée, il n'était pas pertinent de procéder à cette appréciation et qu'il n'existait pas non plus, exception faite de l'hypothèse d'une discrimination volontaire par les prix, qui a été dûment analysée par la Commission, de motifs suffisants pour apprécier la seule question éventuellement pertinente, mais différente, de savoir si le système de baux types de Bass réduit la rentabilité des débits liés à ce brasseur à un point tel que leur capacité de distribuer la bière est sérieusement affectée.
99. La critique du requérant est donc dépourvue de pertinence.
100. Quant à l'argument du requérant selon lequel la méthode de remplacement proposée permet de mieux apprécier la rentabilité des débits liés à Bass parce qu'elle tient compte de la structure des coûts supportés par ces établissements, il y a lieu de relever que le requérant n'allègue et, à plus forte raison, n'établit pas que la structure des coûts des débits liés diffère de celle des débits non liés sur d'autres éléments que l'écart de prix et les avantages compensatoires retenus. Or, ces éléments ont été pris en considération par la Commission.
101. Il convient d'ajouter que le requérant n'établit pas quelle est la structure des coûts liés au fonctionnement du débit de boissons qu'il exploite.
102. De plus, la méthode préconisée par le requérant est plus difficile à mettre en œuvre que celle retenue par la Commission, qui a, à juste titre, exposé à cet égard, au considérant 71 de la décision attaquée, que sa méthode présente par rapport à celle du requérant, l'avantage qu'elle porte sur un plus petit nombre d'estimations de paramètres variables. En effet, la méthode proposée par le requérant est fondée sur les écarts d'un ratio moyen loyer/bénéfice net. Elle suppose donc en particulier l'évaluation du bénéfice net, qui suppose à son tour, outre celle du chiffre d'affaires, celle des coûts, qui doivent être soustraits du chiffre d'affaires pour déterminer le bénéfice net. En revanche, la méthode à laquelle la Commission a eu recours, qui se fonde sur un ratio loyer/chiffre d'affaires, ne nécessite pas une évaluation des coûts et peut donc être mise en œuvre d'une façon plus simple et plus sûre que celle proposée par le requérant.
103. L'argumentation du requérant doit donc être rejetée.
b) Sur le grief tiré de l'évaluation du loyer des débits non liés à 15 % du chiffre d'affaires
- Arguments des parties
104. Le requérant conteste le fait que les débits de boissons liés à Bass permettraient de dégager un ratio loyer/chiffre d'affaires de 15 % s'ils étaient libres de toute obligation. Il conteste, partant, l'existence d'une prime locative et, subsidiairement, que cette prime locative soit aussi importante que l'affirme la Commission.
105. En effet, il existerait des indices que l'évaluation retenue par la Commission pour les débits non liés d'un loyer égal à 15 % du chiffre d'affaires ne peut concerner que des débits de boissons particulièrement performants. Selon le requérant, cette estimation suppose que la quantité moyenne de barils vendus par ces débits soit très au-dessus de la moyenne. Un ratio loyer/chiffre d'affaires inférieur correspondrait simplement à une moindre valeur sur le marché.
106. À l'appui de cette thèse, le requérant renvoie, en premier lieu, à la décision 1999/474/CE de la Commission, du 16 juin 1999, relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE (Affaire IV/35.992/F3 - Scottish and Newcastle) (JO L 186, p. 28, ci-après la "décision Scottish and Newcastle"), par laquelle celle-ci a décidé, dans des circonstances et avec un raisonnement analogues à ceux de l'espèce, une exemption individuelle des contrats de fourniture de bière types établis par la société Scottish and Newcastle plc. Il résulte de cette décision que, en vue de se conformer à des obligations légales, Scottish and Newcastle a dû libérer, en l'espace de six semaines, 184 de ses débits de boissons liés de leurs obligations d'achat exclusif. Les loyers de ces établissements ont ensuite été renégociés. À la suite de cette renégociation, les débits en question auraient vu leur ratio loyer/chiffre d'affaires augmenter d'environ 2 %, passant de 12,59 %, lorsqu'ils étaient encore liés, à 14,6 %, après la suppression de l'obligation susvisée (considérant 71 de la décision Scottish and Newcastle), ce dernier chiffre étant inférieur à celui retenu par la Commission dans la décision attaquée.
107. Or, les débits de boissons liés à ce brasseur auraient réalisé des ventes dépassant la moyenne nationale de plus de 10 %, donc auraient été très performants. Au contraire, les débits liés à Bass réaliseraient des ventes inférieures à la moyenne nationale et seraient beaucoup moins performants que les débits liés à Scottish and Newcastle. Il serait donc peu crédible que la prime locative des premiers soit de 3,64 %.
108. Le requérant renvoie, en second lieu, aux rapports d'un expert-comptable, qui démontreraient qu'un loyer équivalant à 50 % du bénéfice net est égal à un loyer correspondant à 10,3 % du chiffre d'affaires pour un débit de boissons moyen vendant 325 barils de bière par an. Inversement, un loyer évalué à 15 % du chiffre d'affaires serait égal à 72 % du bénéfice net. Ces rapports mettraient sérieusement en doute la validité de l'assertion de la Commission selon laquelle le loyer d'un débit de boissons moyen non lié peut être égal à 15 % du chiffre d'affaires.
109. Le ratio loyer/chiffre d'affaires de 15 % ne constituerait donc un critère d'appréciation juste que si, en moyenne, le secteur des établissements non liés était composé de débits de boissons de qualité supérieure. Comme la quantité moyenne de barils vendus par les débits liés à Bass, y compris l'échantillon de 30 débits ayant servi de groupe de référence, serait inférieure à la moyenne, il aurait été nécessaire de retenir une marge bénéficiaire plus réduite et, comme référence pour l'évaluation du loyer, un pourcentage moins important du chiffre d'affaires. Le requérant soutient qu'une estimation convenable du loyer qui aurait dû être payé pour les 30 débits susvisés, dans l'hypothèse où ils n'auraient pas été liés, aurait permis de donner un résultat très inférieur à 15 %. Ainsi, la Commission aurait manifestement surestimé la prime locative. Il serait donc douteux que les débits de boissons de Bass bénéficient d'une prime locative représentant 3,64 % du chiffre d'affaires.
110. Le requérant soutient donc que, pour déterminer l'existence d'une prime locative en utilisant le ratio loyer/chiffre d'affaires, la Commission aurait dû comparer l'échantillon des 30 débits appartenant à Bass avec un échantillon équivalent de débits indépendants, comparables en termes de catégorie ou de qualité. Comme il n'existe pas de réseau de débits de boissons non liés appartenant à Bass, qui aurait été un élément de comparaison parfait, le meilleur élément de preuve aurait été la détermination par un expert du loyer, exprimé en pourcentage du chiffre d'affaires, que les 30 débits de boissons composant l'échantillon retenu par la Commission auraient payé, s'ils avaient été libérés de leurs obligations d'achat exclusif.
111. Le requérant ajoute que l'assertion de la Commission figurant au considérant 73, premier tiret, de la décision attaquée, selon laquelle les loyers applicables aux nouveaux baux conclus pour des établissements non liés se situaient souvent dans une fourchette de 15 à 18 % du chiffre d'affaires, ne concerne pas les loyers que les débits liés à Bass auraient payés s'ils avaient été libres de tout lien. Il ne résulterait pas davantage de cette assertion que des efforts ont été entrepris par la Commission pour s'assurer que les établissements choisis, sur la base desquels elle a fondé sa conclusion, sont comparables aux 30 débits liés à Bass en termes de qualité et de type.
112. Le requérant doute de la crédibilité du rapport de l'OFT, auquel se réfère la Commission dans la décision attaquée. En effet, ce rapport aurait été établi dans la précipitation et sur des bases peu solides. Cette conclusion résulterait d'un discours du directeur adjoint du service juridique de l'OFT de juin 1996.
113. La Commission et Bass considèrent que l'argumentation du requérant n'est pas fondée.
- Appréciation du Tribunal
114. À supposer que la méthode d'évaluation de la prime locative fondée sur le ratio loyer/chiffre d'affaires puisse être acceptée, le requérant relève que la Commission a retenu un loyer de référence des débits non liés égal à 15 % du chiffre d'affaires. Cette estimation ne pourrait concerner que des débits de boissons performants et il n'y aurait, du point de vue de la détermination du loyer sur le marché libre, pas de commune mesure entre un débit performant et un débit moins performant.
115. À cet égard, il convient d'observer que le fait que certains débits de boissons ont une performance moindre que d'autres peut, en substance, s'expliquer soit par une aptitude insuffisante du débitant à développer la performance que le débit pourrait raisonnablement atteindre, soit par des raisons structurelles indépendantes de la volonté du débitant, comme le fait que le débit est situé dans une région pauvre ou est de taille réduite.
116. La première circonstance à l'origine du défaut de performance n'exerce pas d'influence sur l'appréciation du loyer du débit de boissons et des conséquences qui doivent en être déduites du point de vue de l'application de l'article 81, paragraphe 3, CE. En effet, le loyer des établissements liés étant en l'occurrence fixé en fonction de la performance qu'un débitant normalement compétent doit pouvoir réaliser (considérant 69 de la décision attaquée), la Commission souligne à juste titre que, si un établissement est peu rentable parce que son débitant ne respecte pas ce standard raisonnable, il n'y a pas de raison d'en tirer des conséquences en ce qui concerne l'évaluation du loyer que ce débit pourrait engendrer sur le marché libre, et donc de la prime locative.
117. La seconde circonstance à l'origine de la différence de performance exerce une influence sur l'appréciation du loyer. Comme la fixation du loyer dépend de la performance du débitant, plus celle-ci est importante, plus celui-là sera élevé. Ces différences de performance entre les débits de boissons sont toutefois, à première vue, intégrées par la méthode retenue par la Commission, de sorte que, du point de vue de la détermination du loyer, les débits moins performants sont comparables à ceux qui sont plus performants. En effet, la Commission considère que le loyer d'un débit de boissons non lié équivaut à 15 % de son chiffre d'affaires. Il s'ensuit que plus le chiffre d'affaires est important, plus le montant nominal du loyer est élevé. Le loyer nominal d'un débit moins performant est donc moins élevé que celui d'un débit plus performant. Dans cette logique, la proportion entre le chiffre d'affaires et le loyer reste cependant fixe, quel que soit le niveau du premier.
118. Le requérant soutient toutefois que cette proportion ne doit pas rester fixe et doit évoluer suivant l'importance du chiffre d'affaires. L'évaluation d'un loyer égal à 15 % du chiffre d'affaires, telle que retenue par la Commission, ne s'appliquerait qu'aux débits très performants, dont ne relèveraient pas les débits liés à Bass.
119. À cet effet, il expose deux arguments.
120. S'agissant du premier argument, il se réfère à la décision Scottish and Newcastle, par laquelle la Commission a accordé, au terme d'un raisonnement analogue à celui employé dans la décision attaquée, une exemption individuelle aux baux types du brasseur britannique Scottish and Newcastle. Dans la décision concernant cette dernière brasserie, la Commission avait également évalué une prime locative et avait, à cette fin, retenu au sujet des débits de boissons non liés, comme dans la décision attaquée, un loyer correspondant à 15 % du chiffre d'affaires.
121. Elle a justifié cette estimation en précisant notamment, au considérant 71 de la décision Scottish and Newcastle, que cette brasserie l'avait informée, par lettre du 22 avril 1998, que, au cours de la même année, elle avait libéré de leurs obligations d'achat quelque 184 débits de boissons en l'espace de six semaines afin de se conformer aux dispositions des arrêtés relatifs à la bière, qui avaient été pris par les autorités du Royaume-Uni, situation ayant entraîné des négociations aux fins dela fixation de nouveaux loyers. À cet égard, la Commission a constaté que l'augmentation moyenne du loyer sur laquelle avaient débouché ces négociations avait été, par rapport au loyer antérieur applicable aux établissements liés, supérieure d'environ 18 %, de sorte que le ratio loyer/chiffre d'affaires était de l'ordre de 14,6 %. Elle a ajouté que le brasseur a estimé que, si la période des négociations avait été plus longue, le loyer aurait été plus élevé. Dans cette même décision elle a évalué, au considérant 65, le ratio loyer/chiffre d'affaires des débits liés à Scottish and Newcastle à 12,59 %.
122. Le requérant relève, d'une part, que le chiffre d'affaires des débits de Scottish and Newcastle est plus important que celui des débits appartenant à Bass et, d'autre part, que la prime locative pour les premiers débits cités n'était que de 2 % environ, soit égale à la différence entre 14,6 et 12,59 %. Il en déduit qu'elle était inférieure à celle retenue par la décision attaquée pour les débits liés à Bass, à savoir 3,64 %, soit la différence entre 15 et 11,36 %. Il en conclut qu'il est invraisemblable que les débits liés à Bass, dont le chiffre d'affaires est inférieur à celui des débits de Scottish and Newcastle, se voient reconnaître le bénéfice d'une prime locative plus importante que celle fixée en faveur des débits appartenant à cette dernière brasserie.
123. À cet égard, il convient de relever que l'exemple cité par le requérant présente l'intérêt de permettre la comparaison, au sujet des mêmes débits de boissons, entre le loyer dû à l'époque où ceux-ci étaient liés et celui dû lorsque ces mêmes débits sont ensuite devenus indépendants, étant observé que les loyers ont été négociés selon les conditions du marché libre. Cet exemple confirme l'existence d'une prime locative au profit des débits liés.
124. Il confirme de même, à première vue, la justesse de la conclusion de la Commission dans la décision Scottish and Newcastle et dans la décision attaquée de retenir une évaluation du loyer négocié sur le marché libre égal à 15 % du chiffre d'affaires. Il y a lieu d'observer à cet égard que la Commission a, nonobstant le fait que le loyer des débits libérés de Scottish and Newcastle représentait 14,6 % de leur chiffre d'affaires, retenu un ratio loyer/chiffre d'affaires de 15 %. Elle a en effet relevé, au considérant 71 de la décision Scottish and Newcastle, que le niveau des loyers aurait pu être plus important si la période de négociation, qui, en raison de circonstances spécifiques, avait été extrêmement limitée, avait été plus importante et elle a déduit ce ratio d'autres renseignements recueillis.
125. La pertinence de l'appréciation faite par la Commission dans la décision attaquée de retenir ce ratio loyer/chiffre d'affaires de 15 % pour les débits liés à Bass n'est pas mise en cause par la seule circonstance que ces débits sont moins performants que ceux de Scottish and Newcastle. En effet, sur la base du ratio en question, cette moindre performance, matérialisée par un chiffre d'affaires moins élevé, se traduit par un loyer nominal moins important. La méthode retenue par la Commission tient compte, à première vue, des variations du chiffre d'affaires. En revanche, la seule différence de performance entre les débits liés à Bass et ceux deScottish and Newcastle ne justifie pas à elle seule, outre une variation de la valeur nominale du loyer, une modification de la proportion entre le chiffre d'affaires et le loyer.
126. L'argument du requérant n'est donc pertinent que sur la base de la prémisse par lui avancée, à savoir que les débits à chiffre d'affaires moins important ne peuvent pas être comparés à ceux qui sont plus performants et que leur ratio loyer/chiffre d'affaires est inférieur. En revanche, cet argument n'apporte pas d'éléments de nature à établir le bien-fondé de cette prémisse.
127. Le premier argument est donc dépourvu de pertinence et doit, partant, être rejeté.
128. S'agissant du second argument, le requérant se réfère aux rapports d'un expert-comptable, qui expose qu'une évaluation du loyer à 15 % du chiffre d'affaires ne serait réaliste que pour des débits de boissons ayant un chiffre d'affaires très élevé. En effet, un loyer évalué de cette façon équivaudrait, pour un débit de boissons ayant un chiffre d'affaires très élevé correspondant à la vente de 375 barils de bière par an, à 54 % du bénéfice net, soit à un niveau qui correspond en substance au critère alternatif d'évaluation du loyer proposé par le requérant. En revanche, pour un débit de boissons ayant un chiffre d'affaires conforme à la moyenne, qui correspondrait à la vente de 325 barils de bière par an, le loyer représenterait déjà 72 % du bénéfice net et pour un débit ayant un faible chiffre d'affaires, correspondant par exemple à la vente de 275 barils de bière par an, le loyer ainsi évalué équivaudrait même à 108 % du bénéfice net. Le ratio loyer/chiffre d'affaires retenu de 15 % ne s'appliquerait donc qu'à des débits ayant un chiffre d'affaires très élevé, mais non à ceux qui, comme les débits liés à Bass, n'auraient qu'un faible chiffre d'affaires.
129. Cette position repose sur une estimation du bénéfice d'un débit de boissons donné réalisant un chiffre d'affaires déterminé. Elle suppose donc une évaluation délicate et complexe des coûts devant être déduits du chiffre d'affaires pour déterminer le bénéfice.
130. À cet égard, il convient de relever que l'expert a successivement établi deux rapports, dont le premier a été déposé au cours de la procédure administrative et le second conjointement à la requête (rapports du 1er mars 1998 et du 8 octobre 1999). Or, ces rapports présentent entre eux des incohérences importantes et inexpliquées, qui témoignent de la difficulté de procéder aux évaluations mentionnées ci-dessus.
131. Ainsi, dans le premier rapport, l'expert évalue à 94 000 GBP le bénéfice brut réalisé par un débit de boissons ayant un chiffre d'affaires correspondant à la vente de 260 barils de bière par an. Dans le deuxième rapport, il évalue à 87 700 GBP, donc à un montant inférieur à celui retenu par le premier rapport, le bénéfice brut réalisé par un débit de boissons ayant un chiffre d'affaires correspondant à la ventede 275 barils de bière par an [le montant de 87 700 GBP résulte de la soustraction des coûts de vente (89 700 GBP) du montant des ventes (177 400 GBP)]. De même, dans le premier rapport, le bénéfice brut réalisé par un débit de boissons ayant un chiffre d'affaires correspondant à la vente de 360 barils de bière par an est évalué à 134 000 GBP, alors que, dans le deuxième rapport, celui réalisé par un débit de boissons ayant un chiffre d'affaires supérieur correspondant par exemple à la vente de 375 barils de bière par an est évalué à un montant inférieur, soit 119 500 GBP, chiffre obtenu d'une façon identique à celle précitée.
132. De plus, il convient de constater que, dans le deuxième rapport, l'expert opère une distinction, dans l'évaluation des coûts, entre ceux considérés comme fixes, quel que soit le chiffre d'affaires du débit de boissons, estimés à 50 000 GBP, et ceux qui varieraient en fonction de l'importance du chiffre d'affaires du débit de boissons, estimés à 8 900 GBP pour un débit ayant un chiffre d'affaires correspondant à la vente de 275 barils de bière par an et à 12 100 GBP pour un débit ayant un chiffre d'affaires correspondant à la vente de 375 barils de bière par an.
133. Cette évaluation soulève des interrogations au sujet de la prise en considération adéquate des coûts relatifs au personnel. En effet, dans le premier rapport, ces coûts ont été estimés, pour un débit de boissons ayant un chiffre d'affaires correspondant à la vente de 310 barils de bière par an, à 24 500 GBP. De la même manière que dans le deuxième rapport, les coûts variables en fonction de l'importance du chiffre d'affaires ont été évalués dans une fourchette comprise entre 8 900 et 12 100 GBP et les coûts fixes à 50 000 GBP. Les coûts relatifs au personnel relèvent, dans le deuxième rapport, de la catégorie des coûts fixes. Or, la Commission souligne à juste titre qu'il ne paraît pas réaliste de considérer que les coûts relatifs au personnel sont identiques quelle que soit l'importance du débit de boissons, que ce dernier ait, ainsi que l'envisage le deuxième rapport, un chiffre d'affaires correspondant à la vente de 275 ou de 375 barils de bière par an.
134. La difficulté d'évaluer les coûts de fonctionnement d'un débit de boisson, considéré théoriquement, est illustrée par le premier rapport, dans lequel l'expert énumère 31 types de coûts différents. Le caractère délicat de cette opération est confirmé par le fait qu'il résulte des développements de l'expert que l'évaluation des coûts de fonctionnement s'effectue dans le cadre d'une marge d'appréciation assez importante. Selon l'expert, ces coûts peuvent être considérés comme représentant 27,5 à 35 % du chiffre d'affaires. Il convient de relever, à cet égard, que plus le ratio choisi des coûts de fonctionnement est important, plus le bénéfice net sera faible. Or, le loyer étant évalué par l'expert à 50 % du bénéfice net, il sera réputé d'autant plus faible que le ratio des coûts fixes sera important. Cette estimation du loyer à un niveau faible obligera ensuite de considérer que le ratio loyer/chiffre d'affaires est à son tour faible.
135. Ces conclusions sont illustrées par le fait que l'expert expose que, toutes conditions égales par ailleurs, un débit ayant un chiffre d'affaires faible correspondant à la vente de 260 barils de bière par an serait considéré comme dégageant un ratioloyer/chiffre d'affaires de 11 % seulement, si les coûts de fonctionnement sont estimés à 35 % du chiffre d'affaires. En revanche, le ratio serait de 14,4 %, et donc proche des conclusions de la décision attaquée, si les coûts susvisés sont estimés à 27,5 % du chiffre d'affaires.
136. Les conclusions de l'expert reposent donc sur des prémisses complexes, à savoir l'évaluation du bénéfice et donc des coûts générés par l'exploitation d'un débit de boissons, considéré théoriquement, qui, en raison de leur nombre et de leur complexité, ne permettent pas des déductions suffisamment sûres, ce qui est confirmé par les incohérences mentionnées ci- dessus.
137. Ces conclusions ne sont donc pas de nature à établir que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que les loyers des établissements non liés correspondent d'une façon générale à 15 % du chiffre d'affaires. Cette dernière estimation repose de surcroît sur des bases solides, énoncées au considérant 73 de la décision attaquée. En effet, la Commission y a relevé qu'il résulte des éléments de fait présentés à l'OFT que "les établissements non liés paient 2 à 3 points de pourcentage de leur chiffre d'affaires de plus pour leur loyer que les débitants liés à des brasseurs, soit entre 14 et 15 % de leur chiffre d'affaires". Elle a ajouté que cette circonstance a permis à l'OFT de prendre, pour son rapport, comme base de calcul de la prime locative, l'écart entre le loyer réel payé par les débitants liés et le loyer des débits non liés estimé à 14 % - 15 % du chiffre d'affaires.
138. Le requérant met en doute la crédibilité du rapport de l'OFT en se référant à un discours tenu, en juin 1996, par le directeur assistant du service juridique de cet organisme, dans lequel celui-ci avait précisé que l'OFT avait terminé l'étude en question en trois mois et que l'OFT était conscient que le résultat de l'enquête dépendait fortement de la nature des données obtenues et des affirmations tirées de leur interprétation.
139. Il convient de relever à cet égard que, dans le contexte dudit discours, l'observation du responsable précité ne se rapporte pas à la question de l'évaluation du loyer des établissements non liés mais à celle beaucoup plus générale de l'appréciation de l'effet sur la concurrence des contrats de fourniture de bière compte tenu de l'existence d'écarts de prix. L'observation visée n'est donc pas, en elle-même, de nature à faire douter des éléments de fait pris en compte par l'OFT et de la justesse des calculs effectués par cet organisme.
140. De plus, la Commission a pris soin, au considérant 73 de la décision attaquée, de recenser d'autres éléments confirmant les conclusions de l'OFT. Elle s'est, à cet égard, référée à une lettre de la société d'expertise immobilière Fleurets, Chartered Surveyors for Hotel and Licensed Property Valuers, à Bass du 28 septembre 1998, dont il ressort que les loyers applicables aux nouveaux baux conclus pour des établissements non liés se situent souvent dans une fourchette de 15 à 18 % duchiffre d'affaires. Elle a précisé, en outre, que cette conclusion corrobore les estimations fournies par d'autres experts à d'autres brasseurs nationaux.
141. Le requérant tente de mettre en doute la pertinence de ces éléments au motif qu'il ne serait pas établi que les débits de boissons ayant fait l'objet de cette évaluation sont comparables en termes de qualité et de type aux débits liés à Bass composant l'échantillon retenu par la Commission et sur la base duquel le loyer des débits liés à Bass a été évalué (considérant 65 de la décision attaquée).
142. Cette contestation repose sur la prémisse que seuls des débits ayant des performances équivalentes sont comparables et qu'un ratio loyer/chiffre d'affaires de 15 % ne peut s'appliquer qu'à des débits très performants. Or, ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, le requérant n'a pas été en mesure de présenter des indices convaincants au soutien de cette thèse.
143. Il n'est donc pas établi que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que le loyer des débits indépendants devait être évalué à 15 % du chiffre d'affaires.
144. Il s'ensuit qu'il n'est pas non plus établi que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en omettant de faire évaluer par expert le loyer, exprimé en pourcentage du chiffre d'affaires, généré par les débits liés à Bass composant l'échantillon retenu par l'institution, dans l'hypothèse où ceux-ci auraient été des débits de boissons indépendants.
145. L'argumentation du requérant doit donc être rejetée.
4. Sur l'évaluation d'autres avantages compensatoires
146. Dans les considérants 76 à 108 de la décision attaquée, la Commission a recensé et évalué, en plus de la prime locative, d'autres avantages qui seraient de nature à compenser l'écart de prix. Il s'agit des services à valeur ajoutée, des investissements, de l'entretien et des réparations, du support financier, du soutien opérationnel direct, de la contribution aux coûts d'installation et de développement, ainsi que des actions de promotion.
147. Le requérant critique, d'une part, le fait que la Commission a tenu compte d'avantages n'ayant pas pour base une obligation contractuelle de Bass et, d'autre part, l'appréciation de ces derniers par l'institution.
a) Sur l'argument tiré de ce que seuls les avantages offerts en vertu d'une obligation contractuelle auraient dû être pris en considération
- Arguments des parties
148. Le requérant considère qu'il n'aurait dû être tenu compte que des seuls avantages que Bass était contractuellement tenue d'offrir et non de ceux que Bass fournit unilatéralement. Il serait juridiquement erroné de faire arbitrairement peser sur les débitants liés l'ensemble ou une partie des coûts supportés par Bass pour fournir volontairement des services aux débitants liés. Ce ne serait que si Bass est contractuellement tenue d'offrir un avantage qu'il serait certain que les débitants liés reçoivent un avantage que d'autres revendeurs ne reçoivent pas.
149. La Commission et Bass considèrent que l'argumentation du requérant n'est pas fondée.
- Appréciation du Tribunal
150. Il convient de rappeler que le but de l'évaluation des avantages compensatoires était de déterminer si les améliorations de la distribution entraînées en principe par les baux types avaient pu se matérialiser nonobstant l'existence des écarts de prix supportés par les débitants liés. À cette fin, il importait de comparer de façon concrète la situation des débitants liés à Bass à celle des débitants indépendants individuels. Il s'ensuit qu'il y avait lieu de prendre en considération tous les avantages reçus exclusivement par les débitants liés. À cet égard, il n'était pas pertinent de savoir si ces avantages trouvaient leur source dans une obligation contractuelle précise ou étaient fournis volontairement par Bass dès lors qu'il était certain qu'ils étaient réellement procurés aux seuls débitants liés et qu'ils étaient quantifiables.
151. L'argument du requérant doit donc être rejeté.
b) Sur l'appréciation de certains avantages compensatoires
- Arguments des parties
152. Dans la requête, le requérant affirme contester la décision attaquée en ce qui concerne les services à valeur ajoutée, le système dit du "support franchise" et le bénéfice d'actions de promotion. Il ne précise pas toutefois la nature de ses critiques et se limite à un renvoi au rapport d'un professeur d'université joint en annexe.
153. Au stade de la réplique, le requérant conteste pour la première fois la décision attaquée en ce qui concerne les développements y figurant au sujet du soutien opérationnel direct.
- Appréciation du Tribunal
154. En ce qui concerne la recevabilité des griefs ayant pour objet les développements contenus dans la décision attaquée au sujet des services à valeur ajoutée, dusystème dit de "support franchise" et du bénéfice d'actions de promotion, il convient de rappeler que, en vertu de l'article 19, premier alinéa, du statut CE de la Cour et de l'article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la requête introductive d'instance doit contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. S'agissant d'un moyen d'ordre public, il peut être soulevé d'office par le Tribunal. Il convient de rappeler que cette indication comprenant un exposé sommaire des moyens invoqués doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l'appui. Des exigences analogues sont requises lorsqu'un grief est invoqué au soutien d'un moyen (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mo Och Domsjö/Commission, T-352/94, Rec. p. II-1989, point 333). Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu'un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit, sur lesquels celui-ci se fonde, ressortent, à tout le moins sommairement, mais d'une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 24 février 2000, ADT Projekt/Commission, T-145/98, Rec. p. II-387, point 66). Si le corps de la requête peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des extraits de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d'autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l'absence des éléments essentiels de l'argumentation en droit, qui, en vertu des dispositions ci-dessus rappelées, doivent figurer dans la requête (ordonnance du Tribunal du 21 mai 1999, Asia Motor France e.a./Commission, T-154/98, Rec. p. II-1703, point 49). En outre, il n' appartient pas au Tribunal de rechercher et d'identifier, dans les annexes, les moyens et arguments qu'il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale (arrêt du Tribunal du 7 novembre 1997, Cipeke/Commission, T-84/96, Rec. p. II-2081, point 34).
155. En l'espèce, les griefs précités n'ont pas été précisés, fût-ce brièvement, dans le corps même de la requête, mais ont fait l'objet d'un renvoi global à une annexe. Ils sont partant irrecevables.
156. En ce qui concerne la recevabilité du grief relatif au soutien opérationnel direct, présenté pour la première fois au stade de la réplique, il convient de rappeler qu'il ressort des dispositions combinées des articles 44, paragraphe 1, sous c), et 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal que la requête introductive d'instance doit indiquer l'objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués et que la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen qui constitue l'ampliation d'un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d'instance et présentant un lien étroit avec celui-ci, doit être déclaré recevable (voir, par exemple, l'arrêt du Tribunal du 20 septembre 1990, Hanning/Parlement, T-37/89, Rec. p. II-463, point 38). Une solution analogue s'impose pour un grief invoqué au soutien d'un moyen.
157. En l'espèce, le grief nouveau, tiré de la contestation de l'avantage compensatoire constitué par le soutien opérationnel direct, présenté d'ailleurs d'une façon très succincte, ne se fonde pas sur des éléments nouveaux qui se seraient révélés au cours de la procédure. Il ne constitue pas non plus une ampliation d'un grief énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d'instance et présentant un lien étroit avec celui-ci.
158. Il doit partant être déclaré irrecevable.
159. Il ressort de ce qui précède que le moyen doit être rejeté.
B - Sur le moyen tiré d'un défaut de motivation
Arguments des parties
160. Le requérant soutient que la Commission aurait motivé la décision attaquée d'une façon insuffisante.
161. Cette insuffisance de motivation concernerait, d'abord, le rejet par la Commission des observations faites par le requérant dans le cadre de la procédure administrative, en l'occurrence celles portant sur la nécessité de procéder à une comparaison entre la structure des coûts des débits de boissons liés et celle des débits de boissons non liés, et des éléments présentés par un expert-comptable au nom du requérant.
162. Elle aurait, ensuite, trait au raisonnement de la Commission en ce qui concerne l'évaluation de la prime locative et plus particulièrement l'évaluation du loyer des débits liés à Bass à 11,36 % du chiffre d'affaires. La Commission aurait, en premier lieu, omis de mentionner dans la décision attaquée, pour chacun des exercices de la période allant de 1990 à 1998, le chiffre d'affaires total de l'ensemble des débits liés à Bass, le nombre total de débitants liés et le revenu locatif total provenant de l'ensemble des établissements liés. En second lieu, elle n'aurait pas motivé son choix de la méthode du ratio loyer/chiffre d'affaires plutôt que celle du ratio loyer/bénéfice net.
Appréciation du Tribunal
163. Il convient de rappeler que, contrairement au moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation, qui porte sur la légalité au fond de la décision litigieuse et ne peut être examiné par le juge communautaire que s'il est invoqué par le requérant, le moyen pris d'un défaut ou d'une insuffisance de motivation, relève de la violation des formes substantielles, au sens de l'article 230 CE, et constitue un moyen d'ordre public qui doit être soulevé d'office par le juge communautaire (arrêt de la Cour du 30 mars 2000, VBA/Florimex e.a., C-265/97 P, Rec. p. I- 2061, point 114).
164. La motivation exigée par l'article 253 CE doit faire apparaître, d'une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l'autorité communautaire, auteur de l'acte incriminé, de façon à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et au juge communautaire d'exercer son contrôle (arrêt de la Cour du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C-156/98, Rec. p. I-6857, point 96).
165. L'exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires ou d'autres personnes concernées directement et individuellement par l'acte peuvent avoir à recevoir des explications (arrêt du Tribunal du 16 décembre 1999, Micro Leader Business/Commission, T-198/98, Rec. p. II-3989, point 40). Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 253 CE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt Allemagne/Commission, précité, point 97).
166. Il ne saurait en particulier être exigé de la Commission qu'elle discute tous les points de fait ou de droit qui auraient été traités au cours de la procédure administrative (arrêt de la Cour du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission, C-241/91 P et C-242/91 P, Rec. p. I-743, point 99). La Commission n'est pas obligée de prendre position sur tous les arguments que les intéressés invoquent à l'appui de leur demande, mais il suffit qu'elle expose les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l'économie de la décision (arrêt du Tribunal du 30 novembre 2000, Industrie des poudres sphériques/Commission, T-5/97, Rec. p. II-3755, point 199).
167. En ce qui concerne le prétendu défaut de motivation du rejet, dans le cadre de l'évaluation de la prime locative, des observations du requérant et de l'expert comptable par lui mandaté, présentées au cours de la procédure administrative, il convient de noter que ces observations ont, en substance, pour objet de critiquer le recours à la méthode du ratio loyer/chiffre d'affaires, retenue par la Commission, et de préconiser celle du ratio loyer/bénéfice net. À cet égard, il suffit de constater que la Commission examine, dans les considérants 68 à 72 de la décision attaquée, la pertinence des commentaires d'un expert-comptable et de quelques débitants liés "qui estiment qu'en pratique, les loyers sont déterminés par un expert en prenant comme base 50 % du bénéfice net" et qui font valoir "que l'hypothèse selon laquelle le loyer serait fondé à juste titre sur un pourcentage du chiffre d'affaires est fausse et que l'hypothèse d'un loyer des débits de boissons non liés égal à 15 % du chiffre d'affaires est, par conséquent, également erronée".
168. En réponse à ces observations, la Commission a contesté que le modèle présenté par le comptable corresponde bien aux usages sur le marché libre. Elle a noté que, si, dans le cadre des négociations sur le loyer ou son éventuelle révision, il est tenucompte du résultat futur, d'autres éléments, tels que le positionnement de l'établissement sur le marché et la gamme des produits, sont aussi pris en considération. Elle a relevé que le loyer contractuel négocié par les parties n'est pas automatiquement déterminé sur la base de 50 % du bénéfice net, mais peut varier, en fait, entre 40 et 60 % du bénéfice net. Elle a constaté que la méthode du ratio loyer/chiffre d'affaires présente des avantages pratiques par rapport à celle préconisée par le requérant. Elle a enfin noté que, si une comparaison des résultats des différentes méthodes est opérée, il ne serait pas anormal de constater qu'elles se recoupent dans leurs résultats.
169. Eu égard à cette motivation détaillée et même s'il est fait abstraction de la jurisprudence selon laquelle la Commission n'est pas tenue de discuter tous les points de fait ou de droit traités au cours de la procédure administrative et qu'il lui suffit d'exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l'économie de la décision, il ne saurait être valablement soutenu que la Commission a omis de tenir compte des observations du requérant et de l'expert-comptable.
170. En ce qui concerne l'évaluation de la prime locative, le requérant fait d'abord valoir une insuffisance de la motivation en ce qui concerne la méthode choisie en vue de procéder à cette évaluation. À cet égard, il convient de rappeler que la Commission a évoqué, au considérant 63 de la décision attaquée, trois méthodes d'évaluation possibles de cette prime, qu'elle a choisi la méthode du ratio loyer/chiffre d'affaires en raison du fait que cette méthode avait été adoptée par l'OFT et qu'elle a estimé pouvoir se fonder sur les travaux de cet organisme. Elle a ensuite détaillé, aux considérants 64 à 66 et 73 de la décision attaquée, la façon avec laquelle elle a appliqué cette méthode et a justifié, aux considérants 67 à 72 de la décision attaquée, le choix de ladite méthode au regard de la critique formulée par des débitants locataires et fondée sur la pertinence de la méthode basée sur un ratio loyer/bénéfice net.
171. Dans ces circonstances, et compte tenu aussi de ce qui a été précisé ci-dessus au sujet du grief tiré du défaut de prise en considération des observations présentées par le requérant au cours de la procédure administrative, qui avaient un objet similaire, il ne saurait être valablement soutenu que la Commission n'a pas motivé de façon suffisante son choix, pour le calcul de la prime locative, de la méthode basée sur le ratio loyer/chiffre d'affaires, au détriment de celle fondée sur le ratio loyer/bénéfice net.
172. Le requérant estime encore que la Commission n'a pas suffisamment motivé, au considérant 65 de la décision attaquée, son évaluation du loyer de référence des débits liés à Bass à hauteur de 11,36 % du chiffre d'affaires. Selon le requérant, une motivation adéquate sur ce point aurait impliqué une mention du chiffre d'affaires total des débiteurs liés à Bass, du nombre total de débitants liés et du revenu locatif total provenant de l'ensemble des établissements liés.
173. À cet égard, il convient de relever que la Commission a constaté, au considérant 65 de la décision attaquée, que le ratio de 11,36 % est tiré de documents internes de Bass, établis pour la plupart aux fins de la préparation des négociations sur les loyers ou leur révision, à partir d'un échantillon de 30 débits de boissons sélectionnés par la Commission. Cette dernière a précisé que ces documents comprenaient des estimations du chiffre d'affaires de chaque débit de boissons, à partir desquelles elle a calculé le ratio moyen loyer/chiffre d'affaires. Par cette motivation, la Commission a indiqué de façon certes sommaire, mais claire et cohérente, les critères sur la base desquels l'évaluation du ratio de 11,36 % a été effectuée. La motivation en question est donc suffisante.
174. Dans la mesure où le grief, présenté à l'appui du moyen tiré d'un défaut de motivation, vise à contester l'exactitude des motifs de la décision attaquée, il est dénué de pertinence. En effet, le défaut ou l'insuffisance de motivation constitue un moyen tiré de la violation des formes substantielles, distinct, en tant que tel, du moyen pris de l'inexactitude des motifs de la décision, dont le contrôle relève de l'examen du bien-fondé de cette décision (arrêt du Tribunal du 8 juillet 1999, Vlaamse Televisie Maatschapij/Commission, T-266/97, Rec. p. II- 2329, point 144).
175. Comme aucun des griefs présentés à l'appui du moyen tiré d'un défaut de motivation n'est fondé, le moyen en question doit être rejeté.
176. Il s'ensuit que le recours doit être rejeté dans son ensemble.
Sur les dépens
177. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la partie défenderesse.
178. En vertu de l'article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure, la partie intervenante supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre)
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) Le requérant supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission.
3) La partie intervenante supportera ses propres dépens.