CJCE, 6e ch., 30 avril 1998, n° C-230/96
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Cabour (SA), Nord Distribution Automobile (SA)
Défendeur :
Arnor "Soco" (SARL), Automobiles Peugeot (SA), Automobiles Citroën (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Ragnemalm
Avocat général :
M. Tesauro
Juges :
MM. Schintgen (rapporteur), Mancini, Kapteyn, Hirsch
Avocats :
Mes Bednarski, Demolin, Brulard, Troncoso Ferrer, de Roux, Hutin, Loesch
LA COUR (sixième chambre),
1. Par arrêt du 20 juin 1996, parvenu à la Cour le 8 juillet suivant, la Cour d'appel de Douai a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, trois questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE ainsi que de certaines dispositions des règlements (CEE) n° 123-85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles (JO 1985, L. 15, p. 16), et (CE) n° 1475-95 de la Commission, du 28 juin 1995 (JO L. 145, p. 25).
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une action en concurrence déloyale intentée par Cabour SA (ci-après "Cabour") et Nord Distribution Automobile SA (ci-après "Nord Distribution Automobile"), soutenues par Automobiles Peugeot SA (ci-après "Peugeot") et Automobiles Citroën SA (ci-après "Citroën"), à l'encontre d'Arnor "SOCO" SARL (ci-après "Arnor").
Le litige au principal
3. Cabour et Nord Distribution Automobile sont respectivement concessionnaires exclusifs des marques automobiles Citroën et Peugeot à Douai. Estimant qu'Arnor, qui n'appartient à aucun réseau de distribution d'un constructeur automobile, s'était rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et de publicité illégale et mensongère en vendant également des véhicules neufs de ces marques, Cabour et Nord Distribution Automobile ont saisi le Tribunal de commerce de Douai afin d'obtenir la condamnation d'Arnor à leur verser des dommages-intérêts et l'interdiction de la poursuite de ses activités.
4. Par jugement du 16 juin 1994, le Tribunal de commerce de Douai a débouté les demandeurs au principal, au motif que les contrats de concession exclusive Peugeot et Citroën étaient incompatibles avec le règlement n° 123-85, en sorte qu'ils étaient inopposables à Arnor.
5. Cabour et Nord Distribution Automobile ont interjeté appel de ce jugement, en soutenant que les actes de concurrence déloyale prétendument commis par Arnor pouvaient être sanctionnés par le droit national.
6. Arnor a répliqué que l'action en concurrence déloyale devait être rejetée puisque les sociétés concessionnaires n'avaient pas établi que leur réseau de distribution était licite au regard du droit communautaire.
7. Considérant que la solution du litige pendant devant elle dépendait de l'interprétation du droit communautaire, la Cour d'appel de Douai a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
"1) Le règlement n° 123-85 de la Commission des Communautés européennes du 12 décembre 1984 pris en application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE peut-il être interprété en ce sens que bénéficie de l'exemption conférée par son article 1er un contrat de concession exclusive liant un constructeur d'automobiles à un concessionnaire lorsque ce contrat :
a) ne précise pas en détail les 'justifications objectives' visées par l'article 5, paragraphe 2, point 1, sous a) et b), et par le paragraphe 3 dudit article de ce règlement ;
b) exclut, sauf démonstration de justifications objectives n'existant pas au moment de la conclusion du contrat, toute possibilité pour le concessionnaire de vendre des véhicules automobiles neufs offerts par d'autres que le constructeur, même dans des exploitations commerciales distinctes de celles où sont offerts des produits contractuels, cette stipulation devant être rapportée à l'interprétation des dispositions des articles 3, point 3, et 5, paragraphe 2, du règlement ;
c) prévoit un objectif de vente selon lequel le concessionnaire s'engage à faire ses meilleurs efforts pour vendre au cours de chaque période annuelle une quantité de véhicules contractuels qui, à défaut d'être précisée d'accord entre les parties, est fixée par le constructeur à partir d'estimations prévisionnelles qu'il établit ou de critères qu'il détermine, et précise que, si l'objectif de vente n'est pas réalisé à 90 % des 7/11e au 31 août de la période annuelle en cours et si le " pourcentage de pénétration globale " des véhicules contractuels dans le territoire concédé, apprécié au 31 juillet de la période annuelle en cours, est inférieur de 15 % à 45 %, suivant la localisation de ce territoire, par rapport au pourcentage national de pénétration pour les mêmes véhicules, le constructeur peut, avec un préavis de trois ou six mois, modifier le territoire concédé et/ou retirer au concessionnaire l'exclusivité d'implantation, ou résilier le contrat de concession, ces stipulations devant être rapportées à l'interprétation des dispositions de l'article 4, paragraphe 1, point 3, et de l'article 5, paragraphe 2, points 2 et 3, du règlement ?
2) Le règlement n° 1475-95 de la Commission des Communautés européennes du 28 juin 1995 remplaçant le règlement n° 123-85 précité peut-il être interprété en ce sens que bénéficie de l'exemption conférée par son article 1er un contrat de concession exclusive qui comporte des clauses telles que visées à la première question, sous b) et c), au regard, respectivement, des dispositions de l'article 3, point 3, et de l'article 4, paragraphe 1, point 3, du règlement n° 1475-95 en liaison avec l'article 5, paragraphe 2, points 2 et 3, et paragraphe 3 ?
3) Dès lors que les règlements n° 123-85 et 1475-95 ne pourraient être interprétés comme faisant bénéficier de l'exemption qu'ils prévoient des contrats de concession tels qu'évoqués aux deux premières questions, l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE doit-il être interprété en ce sens qu'un réseau de distribution exclusive d'un constructeur automobile qui reposerait, pour tout le territoire d'un État membre, sur de tels contrats de concession tomberait sous le coup de la prohibition qu'il énonce ?".
Le cadre réglementaire
8. L'article 1er du règlement n° 123-85 ainsi que l'article 1er du règlement n° 1475-95, qui a remplacé le règlement n° 123-85 à partir du 1er octobre 1995, exemptent de l'interdiction visée à l'article 85, paragraphe 1, du traité les accords par lesquels un fournisseur charge un revendeur agréé de promouvoir la distribution des produits contractuels dans un territoire déterminé et s'engage à lui réserver, dans le cadre de ce territoire, l'approvisionnement en véhicules et en pièces de rechange.
9. Conformément à l'article 3, point 3, du règlement n° 123-85, l'exemption accordée au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité s'applique également lorsque l'engagement décrit à l'article 1er est lié à celui du distributeur "de ne pas vendre des véhicules automobiles neufs concurrents des produits contractuels et de ne pas vendre dans des exploitations commerciales dans lesquelles sont offerts des produits contractuels des véhicules automobiles neufs offerts par d'autres que le constructeur ".
10. L'article 4, paragraphe 1, point 3, du même règlement prévoit que l'exemption couvre également l'engagement par lequel le distributeur s'oblige à "s'efforcer d'écouler dans une période déterminée à l'intérieur du territoire convenu un nombre minimal de produits contractuels, que le fournisseur fixe à partir d'estimations prévisionnelles des ventes du distributeur, si les parties ne se mettent pas d'accord à ce sujet ".
11. L'article 5, paragraphes 2, 3 et 4, du règlement n° 123-85 est ainsi libellé :
"2. Lorsque le distributeur a assumé des obligations ... pour améliorer la structure de la distribution et du service de vente et d'après-vente, l'exemption de l'article 3, points 3 et 5, s'applique aux engagements de ne pas vendre des véhicules automobiles neufs autres que ceux de la gamme visée par l'accord, ou de ne pas en faire l'objet d'un accord de distribution et de service de vente et d'après-vente, à condition :
1) que les parties :
a) conviennent que le fournisseur consente à libérer le distributeur des obligations visées à l'article 3, points 3 et 5, si le distributeur démontre l'existence de justifications objectives ;
b) ne conviennent au profit du fournisseur une réserve de ne conclure des accords de distribution et de service portant sur des produits contractuels avec d'autres entreprises déterminées exerçant leur activité à l'intérieur du territoire convenu, ou de modifier le territoire convenu, que dans le cas où le fournisseur démontre l'existence de justifications objectives ;
2) que la durée de l'accord soit d'au moins quatre ans ou que le délai de résiliation ordinaire de l'accord conclu pour une période indéterminée soit d'au moins un an pour les deux parties, à moins :
- que le fournisseur soit tenu de verser une indemnité appropriée en vertu de la loi ou d'une convention particulière, s'il est mis fin à l'accord,
ou
- qu'il s'agisse de l'entrée du distributeur dans le réseau et de la première durée convenue de l'accord ou de la première possibilité de résiliation ordinaire;
3) que chaque partie s'engage à informer l'autre au moins six mois avant la cessation de l'accord qu'elle ne désire pas proroger un accord conclu pour une période déterminée.
3. Une partie ne peut opposer des justifications objectives déterminées au sens du présent article, qui auront été précisées en détail lors de la conclusion de l'accord, que si elles sont appliquées sans discrimination dans des cas comparables à des entreprises du réseau de distribution.
4. Les conditions d'exemption prévues par le présent article ne préjugent pas du droit d'une partie d'exercer la résiliation extraordinaire de l'accord ".
12. Le libellé des articles correspondants du règlement n° 1475-95 diffère de celui du règlement n° 123-85.
13. Ainsi, en application de l'article 3, point 3, du règlement n° 1475-95, l'exemption continue à s'appliquer à l'obligation de ne pas vendre de véhicules automobiles neufs offerts par d'autres que le constructeur dans les mêmes locaux commerciaux, mais il est précisé que la vente de véhicules neufs d'une autre marque est autorisée si elle est effectuée " dans des locaux de vente séparés soumis à une gestion distincte, sous une forme d'entité juridique distincte et de manière telle qu'une confusion de marques soit exclue ".
14. L'article 4, paragraphe 1, point 3, du même règlement prévoit que ne fait pas obstacle à l'exemption l'engagement par lequel le distributeur s'oblige "à s'efforcer d'écouler pendant une période déterminée à l'intérieur du territoire convenu un nombre minimal de produits contractuels, fixé par les parties de commun accord ou, en cas de désaccord sur le nombre minimal de produits contractuels à écouler annuellement, par un tiers expert, en tenant compte notamment des ventes précédemment réalisées dans ce territoire ainsi que des estimations prévisionnelles de ventes pour ce territoire et au niveau national ".
15. L'article 5, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1475-95 dispose :
"2. Lorsque le distributeur a assumé des obligations visées à l'article 4, paragraphe 1, pour améliorer la structure de la distribution et du service de vente et d'après-vente, l'exemption s'applique à condition que :
...
2) la durée de l'accord soit d'au moins cinq ans ou que le délai de résiliation ordinaire de l'accord conclu pour une période indéterminée soit d'au moins deux ans pour les deux parties; ce délai est réduit à un an au moins :
- lorsque le fournisseur est tenu de verser une indemnité appropriée en vertu de la loi ou d'une convention particulière, s'il est mis fin à l'accord
ou
- lorsqu'il s'agit de l'entrée du distributeur dans le réseau et de la première durée convenue de l'accord ou de la première possibilité de résiliation ordinaire ;
3) chaque partie s'engage à informer au moins six mois avant la cessation de l'accord qu'elle ne désire pas proroger un accord conclu pour une période déterminée.
3. Les conditions d'exemption prévues aux paragraphes 1 et 2 ne préjugent pas :
- du droit du fournisseur de résilier l'accord moyennant un préavis d'au moins un an en cas de nécessité de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle du réseau,
- du droit d'une partie d'exercer la résiliation extraordinaire de l'accord en raison d'un manquement de l'autre partie à une de ses obligations essentielles.
Dans chaque cas, les parties doivent, en cas de désaccord, accepter un système de règlement rapide du litige, tel le recours à un tiers expert ou à un arbitre, sans préjudice du droit des parties de saisir le Tribunal compétent conformément aux dispositions du droit national applicable ".
Sur la recevabilité
16. Le gouvernement français, la Commission ainsi que Peugeot et Citroën ont mis en doute la pertinence des questions pour la solution du litige au principal au regard des arrêts du 15 février 1996, Grand garage albigeois e.a. (C-226-94, Rec. p. I-651), et Nissan France e.a. (C-309-94, Rec. p. I-677), dont il résulte que, si le règlement n° 123-85 concerne les rapports contractuels entre les fournisseurs et leurs distributeurs agréés, il n'a pas, en revanche, pour fonction de réglementer l'activité des tiers pouvant intervenir sur le marché en dehors du circuit des accords de distribution.
17. Cette même conclusion vaudrait en l'occurrence, l'affaire au principal concernant non pas un litige entre un fournisseur et son distributeur, mais une action intentée par des concessionnaires agréés contre un revendeur indépendant des réseaux officiels.
18. Le gouvernement français ajoute que, en tout état de cause, il n'y a pas lieu de répondre à la deuxième question, relative à l'interprétation du règlement n° 1475-95, étant donné que les faits à l'origine de l'arrêt de renvoi se sont produits sous l'empire du seul règlement n° 123-85.
19. En ce qui concerne l'interprétation des dispositions du règlement n° 123-85, la Cour d'appel de Douai estime que la compatibilité des clauses critiquées par la défenderesse au principal avec ce règlement conditionne l'issue du litige dont elle est saisie. En premier lieu, le jugement frappé d'appel aurait examiné ce problème pour aboutir à un constat d'incompatibilité des clauses avec le règlement. En second lieu, la question de savoir si la situation des concessionnaires est juridiquement protégée à l'égard des revendeurs non agréés pourrait être déterminante quant à l'opposabilité des contrats de concession exclusive aux tiers. En l'absence d'une telle situation protégée, une action en concurrence déloyale ne prospérerait en effet que difficilement.
20. S'agissant des dispositions du règlement n° 1475-95, la Cour d'appel de Douai estime l'interprétation de ce dernier nécessaire puisque l'action en concurrence déloyale ne tend pas seulement à la réparation du préjudice subi à l'époque de l'applicabilité du règlement n° 123-85, mais également à l'interdiction de l'action du revendeur indépendant pour la période postérieure à l'entrée en vigueur du règlement n° 1475-95.
21. En vue de statuer sur la recevabilité des questions, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il appartient aux seules juridictions nationales, qui sont saisies du litige et doivent assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour. Le rejet d'une demande formée par une juridiction nationale n'est possible que s'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation sollicitée du droit communautaire n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal (voir, notamment, arrêt du 26 octobre 1995, Furlanis, C-143-94, Rec. p. I-3633, point 12). Mais tel n'est pas le cas dans l'espèce au principal.
22. En effet, d'une part, la juridiction de renvoi a expliqué à suffisance que, même si les contrats de concession exclusive de véhicules automobiles sont inopposables aux tiers en vertu des arrêts Grand garage albigeois e.a. et Nissan France e.a., précités, le sort d'une action en concurrence déloyale dans son droit national peut dépendre de la validité desdits contrats au regard du règlement n° 123-85.
23. D'autre part, la nécessité d'ordonner éventuellement à la défenderesse au principal de cesser ses activités pour le futur suffit à justifier l'interprétation des dispositions pertinentes du règlement n° 1475-95 (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 1997, Eurotunnel e.a., C-408-95, non encore publié au Recueil, point 24).
24. Dans ces conditions, il y a lieu de répondre aux questions posées par la juridiction nationale.
Sur la première question
25. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si le règlement n° 123-85 doit être interprété en ce sens que l'exemption qu'il accorde s'applique à un contrat qui, d'abord, ne précise pas les justifications objectives permettant aux parties contractantes de s'affranchir de l'obligation de non-concurrence, ensuite, interdit au distributeur de vendre des véhicules neufs de toute autre marque, même dans des locaux commerciaux distincts de ceux dans lesquels les produits contractuels sont offerts et, enfin, impose au distributeur un objectif déterminé de vente défini par le constructeur et qui est sanctionné, s'il n'est pas atteint, par une modification du territoire concédé, par le retrait de l'exclusivité d'implantation ou par la résiliation du contrat de concession.
26. S'agissant de la première branche de cette question, il convient de rappeler que, aux termes de l'article 5, paragraphe 2, point 1, sous a) et b), du règlement n° 123-85, l'exemption de l'engagement de ne pas vendre de véhicules neufs autres que ceux de la gamme contractuelle et de ne pas conclure à leur sujet des accords de distribution et de service de vente et d'après-vente est subordonnée à la condition que les parties prévoient la possibilité de s'affranchir de leurs obligations respectives par la preuve de l'existence de justifications objectives.
27. Ainsi que l'a à juste titre souligné M. l'avocat général au point 22 de ses conclusions, les dispositions en question se limitent à poser le principe selon lequel les parties doivent prévoir dans leur contrat la possibilité de se libérer de l'obligation de non-concurrence par la preuve de telles justifications objectives, sans pour autant exiger que le contrat contienne une liste exhaustive des justifications susceptibles d'être invoquées.
28. L'article 5, paragraphe 2, point 1, sous a) et b), du règlement n° 123-85 doit donc être interprété en ce sens que l'exemption accordée par le règlement s'applique à une clause d'un contrat de concession exclusive qui se limite à prévoir que les parties peuvent invoquer, pour se libérer de leurs obligations de non-concurrence respectives, des justifications objectives, sans préciser en quoi celles-ci peuvent consister.
29. S'agissant de la deuxième branche de la première question, il y a lieu de rappeler que l'article 3, point 3, du règlement n° 123-85 réserve au constructeur la possibilité d'imposer au distributeur de ne pas vendre des véhicules neufs concurrents des produits contractuels et de ne pas vendre des véhicules neufs offerts par d'autres constructeurs dans des exploitations commerciales dans lesquelles sont offerts des produits contractuels.
30. Or, compte tenu du principe général d'interdiction des ententes anticoncurrentielles édicté à l'article 85, paragraphe 1, du traité, les dispositions à caractère dérogatoire insérées dans un règlement d'exemption par catégorie ne sauraient faire l'objet d'une interprétation extensive et ne peuvent être interprétées de façon à étendre les effets du règlement au-delà de ce qui est nécessaire à la protection des intérêts qu'elles visent à garantir (arrêt du 24 octobre 1995, Bayerische Motorenwerke, C-70-93, Rec. p. I-3439, point 28).
31. Dès lors, la dérogation visée à l'article 3, point 3, du règlement ne couvre pas l'obligation éventuellement imposée au concessionnaire de ne pas vendre de véhicules neufs offerts par d'autres que le constructeur dans des locaux commerciaux autres que ceux dans lesquels sont offerts les produits contractuels.
32. Cette interprétation s'impose même si le distributeur peut invoquer des justifications objectives, prévues à l'article 5, paragraphe 2. En effet, ainsi que l'a à juste titre souligné M. l'avocat général au point 25 de ses conclusions, la possibilité pour le distributeur d'invoquer des justifications objectives permet uniquement aux distributeurs, en présence de motifs justifiés, de vendre des véhicules automobiles d'une autre marque, mais non concurrents, même dans les locaux où sont vendus les produits contractuels. Elle ne peut pas, en revanche, être interprétée en ce sens qu'il faut démontrer l'existence de justifications objectives pour pouvoir vendre des véhicules fournis par d'autres que le constructeur dans des locaux commerciaux différents de ceux dans lesquels les produits contractuels sont vendus.
33. Les articles 3, point 3, et 5, paragraphe 2, du règlement n° 123-85 doivent donc être interprétés en ce sens que l'exemption accordée par le règlement ne s'applique pas à une clause contractuelle qui interdit, sauf en présence de justifications objectives, au distributeur de vendre des véhicules neufs de toute autre marque, même dans des locaux commerciaux distincts de ceux dans lesquels les produits contractuels sont offerts.
34. S'agissant de la troisième branche de la première question, il convient de rappeler que l'article 4, paragraphe 1, point 3, du règlement n° 123-85 permet aux constructeurs d'imposer aux distributeurs de s'efforcer d'écouler à l'intérieur du territoire convenu un nombre minimal de produits contractuels.
35. Il en résulte, d'une part, que la possibilité de fixer des objectifs de vente est expressément prévue par le règlement n° 123-85 et, d'autre part, que l'obligation imposée au concessionnaire d'atteindre un tel objectif ne doit consister qu'en une simple obligation de moyens.
36. Il convient encore de rappeler que l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 123-85 prévoit les délais de résiliation du contrat et que le paragraphe 4 du même article accorde aux parties la possibilité de procéder à la résiliation extraordinaire de l'accord.
37. Il en résulte que le règlement n° 123-85 n'interdit pas de prévoir, dans l'hypothèse où le concessionnaire n'atteint pas l'objectif de vente visé en raison d'une violation de son obligation de moyens, des sanctions pouvant aller jusqu'à la résiliation de l'accord.
38. Les articles 4, paragraphe 1, point 3, et 5, paragraphe 2, points 2 et 3, du règlement n° 123-85 doivent dès lors être interprétés en ce sens que l'exemption accordée par le règlement s'applique à une clause contractuelle qui impose au distributeur un objectif déterminé de vente et qui prévoit des sanctions, pouvant aller jusqu'à la résiliation du contrat dans l'hypothèse où cet objectif n'est pas atteint, à condition toutefois que la fixation de l'objectif de vente constitue l'expression d'une simple obligation de moyens.
Sur la deuxième question
39. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande en substance si les réponses aux deuxième et troisième branches de la première question valent également pour les dispositions correspondantes du règlement n° 1475-95.
40. S'agissant de la première branche de cette question, il suffit de rappeler que l'article 3, point 3, du règlement n° 1475-95 prévoit expressément que l'exemption s'applique à l'obligation de ne vendre des véhicules automobiles neufs d'une autre marque que dans des locaux de vente séparés soumis à une gestion distincte, sous une forme d'entité juridique distincte et de manière telle qu'une confusion de marques soit exclue.
41. Les articles 3, point 3, et 5, paragraphe 2, du règlement n° 1475-95 doivent donc être interprétés en ce sens que l'exemption accordée par le règlement ne s'applique pas à une clause contractuelle qui interdit, sauf en présence de justifications objectives, au distributeur de vendre des véhicules neufs d'autres marques, même dans des locaux commerciaux distincts de ceux dans lesquels les produits contractuels sont offerts.
42. S'agissant de la seconde branche de la deuxième question, il convient de relever d'abord que, si l'article 5, paragraphe 3, du règlement n° 1475-95 prévoit, à l'instar de l'article 5, paragraphe 4, du règlement n° 123-85, le droit d'une partie d'exercer la résiliation extraordinaire de l'accord, l'article du nouveau règlement précise expressément que ce droit naît en raison d'un manquement de l'autre partie à l'une de ses obligations essentielles.
43. Il y a lieu de rappeler ensuite que l'article 4, paragraphe 1, point 3, du règlement n° 1475-95 impose une condition supplémentaire par rapport au même point du règlement n° 123-85. En effet, pour relever de la disposition en cause, la fixation des objectifs de vente doit non seulement ne constituer que l'expression d'une simple obligation de moyens, mais elle doit en plus intervenir d'un commun accord entre les parties ou, en cas de désaccord, par un tiers expert.
44. Il en résulte que, dans le cadre du règlement n° 1475-95, la fixation des objectifs de vente ne peut avoir lieu unilatéralement par le constructeur.
45. Les articles 4, paragraphe 1, point 3, et 5, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1475-95 doivent dès lors être interprétés en ce sens que l'exemption accordée par le règlement s'applique à une clause contractuelle qui impose au distributeur un objectif déterminé de vente et qui prévoit des sanctions, pouvant aller jusqu'à la résiliation du contrat dans l'hypothèse où cet objectif n'est pas atteint, à condition toutefois que la fixation de l'objectif de vente constitue l'expression d'une simple obligation de moyens et que cette fixation ait eu lieu d'un commun accord entre les parties ou, en cas de désaccord, par un tiers expert.
Sur la troisième question
46. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'interdiction posée par l'article 85, paragraphe 1, du traité s'applique à un contrat de concession d'automobiles dans l'hypothèse où celui-ci ne bénéficie pas de l'exemption par catégorie.
47. A cet égard, il convient de rappeler que le règlement n° 123-85 tout comme le règlement n° 1475-95, en tant que règlements d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, se limitent à donner aux opérateurs économiques du secteur des véhicules automobiles certaines possibilités leur permettant, malgré la présence de certains types de clauses d'exclusivité et de non-concurrence, dans leurs accords de distribution et de services de vente et d'après-vente, de faire échapper ceux-ci à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1. Les dispositions des règlements d'exemption n'imposent toutefois pas aux opérateurs économiques de faire usage de ces possibilités. Elles n'ont pas non plus pour effet de modifier le contenu d'un tel accord ou de le rendre nul lorsque toutes les conditions desdits règlements ne sont pas remplies (voir arrêt du 18 décembre 1986, VAG France, 10-86, Rec. p. 4071, point 12).
48. Lorsqu'un accord ne remplit pas toutes les conditions prévues par un règlement d'exemption, il ne tombe sous l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, que s'il a pour objet ou pour effet de restreindre de manière sensible la concurrence à l'intérieur du Marché commun et s'il est de nature à affecter le commerce entre les États membres (voir arrêts du 30 juin 1966, La Technique minière, 56-65, Rec. p. 337, et du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56-64 et 58-64, Rec. p. 429).
49. Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer, sur la base de l'ensemble des données dont elle dispose et en tenant compte du contexte économique et juridique dans le cadre duquel l'accord s'insère, si, dans l'affaire dont elle est saisie, ces conditions sont remplies.
50. A cet égard, il y a lieu de rappeler qu'un accord ne peut être isolé des circonstances de fait ou de droit ayant pour conséquence qu'il a pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Dans ce contexte, l'existence de contrats similaires est une circonstance qui, avec d'autres, peut former un ensemble constitutif du contexte économique et juridique dans lequel le contrat doit être apprécié (voir arrêt du 12 décembre 1967, Brasserie de Haecht, 23-67, Rec. p. 525).
51. Dans l'hypothèse où la juridiction de renvoi constate la nullité d'une ou de plusieurs clauses contractuelles, il convient d'ajouter que, selon la jurisprudence de la Cour (voir arrêt VAG France, précité, point 14), les conséquences de la nullité de plein droit des clauses contractuelles incompatibles avec l'article 85, paragraphe 1, pour tous les autres éléments de l'accord ou pour d'autres obligations qui en découlent, ne relèvent pas du droit communautaire. Il appartient donc également à la juridiction de renvoi d'apprécier, en vertu du droit national applicable, la portée et les conséquences, pour l'ensemble des relations contractuelles, d'une éventuelle nullité de certaines clauses contractuelles en vertu de l'article 85, paragraphe 2.
52. Il y a dès lors lieu de répondre à la troisième question que l'interdiction posée par l'article 85, paragraphe 1, du traité s'applique à des clauses qui s'insèrent dans un contrat de concession d'automobiles dans l'hypothèse où celles-ci ne bénéficient pas de l'exemption par catégorie si, compte tenu du contexte économique et juridique, ces clauses ont pour objet ou pour effet de restreindre de manière sensible la concurrence à l'intérieur du Marché commun et si elles sont de nature à affecter le commerce entre les États membres.
Sur les dépens
53. Les frais exposés par le gouvernement français et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par la Cour d'appel de Douai, par arrêt du 20 juin 1996, dit pour droit :
1) L'article 5, paragraphe 2, point 1, sous a) et b), du règlement (CEE) n° 123-85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles, doit être interprété en ce sens que l'exemption accordée par le règlement s'applique à une clause d'un contrat de concession exclusive qui se limite à prévoir que les parties peuvent invoquer, pour se libérer de leurs obligations de non-concurrence respectives, des justifications objectives, sans préciser en quoi celles-ci peuvent consister. Les articles 3, point 3, et 5, paragraphe 2, du règlement n° 123-85 doivent être interprétés en ce sens que l'exemption accordée par le règlement ne s'applique pas à une clause contractuelle qui interdit, sauf en présence de justifications objectives, au distributeur de vendre des véhicules neufs de toute autre marque, même dans des locaux commerciaux distincts de ceux dans lesquels les produits contractuels sont offerts. Les articles 4, paragraphe 1, point 3, et 5, paragraphe 2, points 2 et 3, du règlement n° 123-85 doivent dès lors être interprétés en ce sens que l'exemption accordée par le règlement s'applique à une clause contractuelle qui impose au distributeur un objectif déterminé de vente et qui prévoit des sanctions, pouvant aller jusqu'à la résiliation du contrat dans l'hypothèse où cet objectif n'est pas atteint, à condition toutefois que la fixation de l'objectif de vente constitue l'expression d'une simple obligation de moyens.
2) Les articles 3, point 3, et 5, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1475-95 de la Commission, du 28 juin 1995, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles, doivent être interprétés en ce sens que l'exemption accordée par le règlement ne s'applique pas à une clause contractuelle qui interdit, sauf en présence de justifications objectives, au distributeur de vendre des véhicules neufs d'autres marques, même dans des locaux commerciaux distincts de ceux dans lesquels les produits contractuels sont offerts. Les articles 4, paragraphe 1, point 3, et 5, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1475-95 doivent être interprétés en ce sens que l'exemption accordée par le règlement s'applique à une clause contractuelle qui impose au distributeur un objectif déterminé de vente et qui prévoit des sanctions, pouvant aller jusqu'à la résiliation du contrat dans l'hypothèse où cet objectif n'est pas atteint, à condition toutefois que la fixation de l'objectif de vente constitue l'expression d'une simple obligation de moyens et que cette fixation ait eu lieu d'un commun accord entre les parties ou, en cas de désaccord, par un tiers expert.
3) L'interdiction posée par l'article 85, paragraphe 1, du traité s'applique à des clauses qui s'insèrent dans un contrat de concession d'automobiles dans l'hypothèse où celles-ci ne bénéficient pas de l'exemption par catégorie si, compte tenu du contexte économique et juridique, ces clauses ont pour objet ou pour effet de restreindre de manière sensible la concurrence à l'intérieur du Marché commun et si elles sont de nature à affecter le commerce entre les Etats membres.