CA Douai, 2e ch., 1 février 2001, n° 1994-06710
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cabour (SA), Becquet (ès qual.), Nord Distribution Automobile (SA), Automobiles Peugeot (SA), Automobiles Citroën (SA)
Défendeur :
Arnor "Soco" (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gondran de Robert
Conseillers :
Mme Schneider, M. Testut
Avoués :
SCP le Marc'Hadour Pouille-Groulez, SCP Carlier-Regnier, SCP Levasseur-Castille-Lambert
Avocats :
Mes Doury, Charlet, Brulard, de Roux
I - DONNEES DEVANT LA COUR
LE CONTEXTE DE L'AFFAIRE
La société SA Cabour, concessionnaire exclusif Citroën à Douai, et la société SA Nord Distribution Automobile, concessionnaire exclusif Peugeot à Douai, estimant que l'activité de la société SARL Arnor exerçant sous l'enseigne "Soco", qui vendait des véhicules neufs des marques Citroën et Peugeot notamment alors qu'elle n'appartenait à aucun réseau de distribution d'un constructeur automobile, présentait un caractère illicite et était constitutive pour l'essentiel d'une concurrence déloyale à leur égard, par acte du 14 avril 1994, ont assigné cette société devant le tribunal de commerce de Douai, afin de la voir interdire de poursuivre son activité et la voir condamner à leur verser des dommages-intérêts.
Le Traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne a défini les règles communes sur la concurrence entre entreprises notamment dans son article 85, devenu l'article 81, ci-après "l'article 81 (ex 85)", dans la version consolidée du Traité résultant de la rédaction de l'article 12 du Traité d'Amsterdam du 2 octobre 1997 applicable depuis le 1er mai 1999,
L'article 81 (ex 85) du Traité paragraphe 1 déclare "incompatible avec le marché commun tous accords entre entreprises (...) qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun".
Le paragraphe 2 du même article dispose que les accords interdits en vertu du paragraphe précédent sont nuls de plein droit.
Son paragraphe 3 prévoit que les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables à des accords entre entreprises de nature à produire des effets économiques jugés favorables. Ces dérogations peuvent être individuelles accord par accord, ou catégorielles, catégorie d'accords par catégorie d'accords;
Les concessionnaires Citroën et Peugeot fondaient alors leurs actions sur le règlement de la Commission n° 123-85 du 12 décembre 1984 (ci-après "le règlement n° 123-85-CEE"), concernant l'application de l'article 85 paragraphe 3 du Traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne "à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles". Ce règlement n° 123-85 CEE, toujours pris en application du règlement n° 19-65 du Conseil en date du 2 mars 1965, a été suivi du règlement de la Commission n° 1475-95 du 28 juin 1995 applicable jusqu'au 30 septembre 2002 (ci-après "le règlement n° 1475-95-CE") qui l'a remplacé à compter du 1er octobre 1995. Les accords déjà en vigueur à cette date et remplissant les conditions prévues par le règlement n° 123-85-CEE ont continué à bénéficier de l'exemption pour la période du 1er octobre 1995 au 30 septembre 1996.
Les concessionnaires Citroën et Peugeot ont fait alors valoir, en particulier, que la société Arnor aurait admis s'approvisionner auprès d'une entreprise de location de véhicules, ce qui démontrerait le caractère illicite de l'approvisionnement, les véhicules vendus par un concessionnaire pour les besoins d'un loueur de véhicules étant ainsi détournés de leur destination.
La société Arnor, pour sa part, a répondu, en premier lieu, avoir toujours affirmé être un simple revendeur, de sorte qu'il ne pouvait y avoir aucun risque de confusion avec les intermédiaires mandatés par écrit, et encore moins avec les concessionnaires agréés, en second lieu, que ces derniers n'ont pas prouvé la licéité des réseaux de distribution qui seraient concurrencés de façon déloyale, enfin que rien ne peut lui être reproché quant aux conditions d'approvisionnement et de commercialisation des véhicules en question, en particulier concernant la prétendue irrégularité des approvisionnements.
LA DECISION ATTAQUEE
Par jugement du 16 juin 1994, le tribunal de commerce de Douai a :
- dit que les contrats de concession exclusive Peugeot et Citroën produits aux débats par les sociétés concessionnaires étaient incompatibles avec le règlement CEE 123-85 du 12 décembre 1984 et étaient donc inopposables à la société Arnor;
- dit que cette dernière, qui s'était approvisionnée de façon régulière, ne pouvait être considérée comme ayant violé les contrats de concession;
- dit que les sociétés concessionnaires ne démontraient pas l'existence d'un préjudice du chef des prétendus agissements déloyaux de la société;
- débouté les sociétés concessionnaires de l'ensemble de leurs demandes;
- condamné ces sociétés à payer conjointement à la société Arnor la somme de 15.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile
- débouté la société Arnor de sa demande de dommages et intérêts, et de ses autres demandes;
- condamné les sociétés concessionnaires aux dépens.
LA PROCEDURE EN APPEL
Les concessionnaires Peugeot et Citroën ont fait appel le 25 juillet 1994.
Les constructeurs Peugeot et Citroën sont intervenus à l'instance le 27 mars 1995 spontanément, pour défendre les droits qu'ils estimaient avoir licitement concédés à leurs distributeurs et dont ces derniers se prévalaient vis-à-vis des tiers.
Par arrêt avant dire droit en date du 20 juin 1996, auquel il convient de se référer pour notamment la procédure antérieure, la Cour de céans a décidé, en application de l'article 177 du Traité instituant la Communauté Economique Européenne, de soumettre à la Cour de Justice des Communautés Européennes en substance les 3 questions préjudicielles suivantes, tout en ordonnant en attente, un sursis à statuer et la réserve des dépens :
1re question : le règlement n° 123-85 doit-il être interprété en ce sens que l'exemption qu'il accorde s'applique à un contrat :
- qui ne précise pas les justifications objectives permettant aux parties contractantes de s'affranchir de l'obligation de non-concurrence (1re branche relative aux justifications objectives)
- qui interdit au distributeur de vendre des véhicules neufs de toute autre marque, même dans les locaux commerciaux distincts de ceux dans lesquels les produits contractuels sont offerts (2e branche relative aux ventes de véhicules d'autres marques)
- qui impose au distributeur un objectif déterminé de vente défini par le constructeur et qui est sanctionné, s'il n'est pas atteint, par une modification du territoire concédé, par le retrait de l'exclusivité d'implantation ou par la résiliation du contrat de concession (3e branche relative aux objectifs déterminés de vente) ?
2e question : les réponses aux 2e et 3e branches de la première question valent-elles également pour les dispositions correspondantes au règlement n° 1475-95 ?
3e question : l'interdiction posée par "l'article 85, paragraphe 1, du Traité" s'applique-t-elle à un contrat de concession d'automobiles où celui-ci ne bénéficie pas de l'exemption par catégorie ?
La Cour de Justice des Communautés Européennes, dans son arrêt du 30 avril 1998 a répondu à ces questions, après les avoir considérées, contrairement aux points de vue du Gouvernement français, de la Commission et des constructeurs Peugeot et Citroën, recevables et pertinentes.
LES PRETENTIONS DES SOCIETES CONCESSIONNAIRES PEUGEOT ET CITROËN
Les sociétés Cabour et Nord Distribution Automobile, dans le dernier état de leurs conclusions du 14 décembre 1999, abandonnant leurs prétentions antérieures visant à voir condamner la société Arnor pour concurrence déloyale, sollicitent voir la Cour :
* leur donner acte de leur désistement d'appel pur et simple,
* débouter la société Arnor de ses demandes incidentes et la condamner à leur payer une somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et aux dépens
* la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction.
LES PRETENTIONS DES CONSTRUCTEURS PEUGEOT ET CITROËN
Dans le dernier état de leurs conclusions en date du 6 octobre 2000, abandonnant également leurs prétentions antérieures au prononcé de l'arrêt du 30 avril 1998 visant à voir déclarer les contrats de concession conformes aux règles de droit communautaire de la concurrence et opposables aux tiers, les sociétés Automobiles Peugeot SA et Automobile Citroën SA, sollicitent voir la Cour :
* leur donner acte de leur désistement d'appel pur et simple,
* constater l'absence d'un quelconque comportement fautif de leur part,
déclarer mal fondées les demandes reconventionnelles présentées de façon incidente par la société Arnor,
* condamner la société Arnor au paiement de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
* la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction.
LES PRETENTIONS DE LA SOCIETE ARNOR
Dans le dernier état de ses conclusions en date du 4 septembre 2000, reprenant pour l'essentiel les prétentions présentées dans ses conclusions du 11 mars 1999, elle demande voir la Cour :
Vu les dispositions de l'article 85 du Traité de Rome,
Vu les dispositions des articles 1382 et suivants du Code Civil,
Vu les dispositions des articles 1202 et suivants du Code Civil,
Vu les dispositions des articles 232 et suivants, 394 et suivants et 548 du nouveau code de procédure civile
* débouter les sociétés Cabour, Nord Distribution Automobile, Peugeot SA et Citroën SA de l'intégralité de leurs demandes
confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Douai en date du 16 juin 1994 en ce qu'il a débouté les sociétés Cabour et Nord Distribution Automobile de l'intégralité de leurs demandes;
* la recevant (la société Arnor) en son appel incident,
Vu le redressement judiciaire de la société Nord Distribution Automobiles,
condamner in solidum les sociétés Cabour, Peugeot SA et Citroën SA au paiement d'une somme provisionnelle de 1.500.000 FF à titre de dommages et intérêts compte tenu du préjudice par elle subi,
désigner un expert aux fins de déterminer l'exact et entier préjudice par elle subi du fait de la procédure diligentée à son encontre et en particulier de son impact commercial et financier,
* condamner in solidum les sociétés Cabour, Peugeot SA et Citroën SA à lui payer une somme de 150.000 FF en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens avec distraction.
II - ARGUMENTATION DE LA COUR
Chaque partie a pu disposer d'un temps suffisant pour faire prévaloir au mieux ses droits. Il ne convient pas de déclarer tardives les conclusions des constructeurs Peugeot et Citroën en date du 6 octobre 2000, d'autant que la Cour a autorisé les parties à déposer une note en délibéré.
En application des dispositions des articles 548 et suivants et des articles 394 et suivants du nouveau code de procédure civile, notamment de l'article 401 dudit Code, il n'y a pas lieu de se contenter purement et simplement de recevoir les désistements des sociétés Cabour, Nord Distribution Automobiles, Peugeot SA et Citroën SA, la société Arnor ayant présenté dès le 11 mars 1999, avant que les autres parties ne déposent des conclusions à la suite de l'arrêt du 30 avril 1998, des conclusions comportant ses demandes incidentes. Il incombe de prendre acte de leurs désistements, mais en maintenant l'examen des demandes incidentes présentées par la société Arnor.
L'article 81 (ex 85) du Traité et la réglementation subséquente produisent des effets directs dans les relations entre les personnes privées et engendrent directement des droits subjectifs entre elles dans leurs relations réciproques que la Cour de céans, en sa qualité de juge communautaire doit sauvegarder (voir CJCE, 28 février 1991, Delimitis, C-234-89, Rec. p. I-935, point 45)
L'article 1er du règlement n°123-85 ainsi que l'article 1er du règlement n° 1475-95 qui l'a remplacé, exemptent de l'interdiction visée à l'article 81 (ex 85) paragraphe 1 du Traité les accords par lesquels un fournisseur (constructeur) charge un revendeur agréé (concessionnaire) de promouvoir la distribution des produits contractuels dans un territoire déterminé et s'engage à lui réserver, dans le cadre de ce territoire, l'approvisionnement en véhicules et en pièces de rechange.
Il y a lieu d'appliquer à l'ensemble des données de la cause, en vertu du principe de la primauté du droit communautaire, l'interprétation du Traité telle qu'énoncée par la Cour de Justice des Communautés Européennes dans ses réponses apportées en son arrêt du 30 avril 1998, en prenant compte du contexte économique et juridique dans le cadre duquel s'insère la présente affaire. (voir CJCE, 30 avril 1998 Cabour, C-230-96, ci-après "Cabour").
A- SUR LA VALIDITE DES CLAUSES CONTRACTUELLES QUI NE PRECISENT PAS EN DETAIL LES JUSTIFICATIONS OBJECTIVES PERMETTANT DE RETABLIR LA CONCURRENCE ENTRE LES PARTIES
A-1 LES CLAUSES LITIGIEUSES
Le contrat Citroën prévoit dans son article 11, 2.2.3, la clause suivante :
"Il est expressément convenu que le Concessionnaire (la société Cabour) qui sera fondé, en raison de l'existence des justifications objectives qu'il aura préalablement démontrées au Constructeur, à s'intéresser à la vente de véhicules neufs d'une marque autre que Citroën ou à conclure avec des tiers des accords de distribution ou de service de vente et d'après-vente pour des produits concurrents des produits contractuels, sera entièrement libéré de la clause de non-concurrence stipulée pour ces activités à l'article 2.2.1 ci-dessus; en contrepartie de cette libération, le Constructeur sera fondé à modifier les limites du territoire et/ou à retirer au Concessionnaire son exclusivité d'implantation (...)"
Quant au contrat Peugeot, il dispose dans son article II-2, c :
"Il est expressément convenu que le Concessionnaire (la société Nord Distribution Automobile) pour les justifications objectives qu'il aura démontrées au Constructeur, à s'intéresser à la vente, au placement, à l'exploitation de véhicules de(s) marques autre(s) que celle(s) des véhicules neufs visés par le présent contrat, ou à l'activité d'atelier agréé d'une marque de produit ou de service autre que celle(s) visée(s) à l'article 1 du présent contrat, sera entièrement libéré de la clause de non-concurrence stipulée au sous-paragraphe a - ci-dessus; en contrepartie de cette libération, le Constructeur sera fondé à modifier les limites de la "Zone de Première Responsabilité "définie au paragraphe 1° ci-dessus et/ou à retirer au Concessionnaire son exclusivité d'implantation (...) ".
A-2 LA REGLEMENTATION APPLICABLE
L'article 5, paragraphes 2 et 3 du règlement n° 123-85-CEE est ainsi libellé :
"2. : Lorsque le distributeur a assumé des obligations pour améliorer la structure de la distribution et du service de vente et d'après-vente, l'exemption de l'article 3, points 3 et 5 (non-concurrence pour véhicules et autres produits concurrents des produits contractuels) s'applique aux engagements de ne pas vendre des véhicules automobiles neufs autres que ceux de la gamme visée par l'accord, ou de ne pas en faire l'objet d'un accord de distribution et de service de vente et d'après-vente, à condition :
1) que les parties :
a) conviennent que le fournisseur (constructeur) consente à libérer le distributeur (concessionnaire) des obligations visées à l'article 3, points 3 et 5, si le distributeur démontre l'existence de justifications objectives; (...)
b) ne conviennent au profit du fournisseur une réserve de ne conclure des accords de distribution et de service portant sur des produits contractuels avec d'autres entreprises déterminées exerçant leur activité à l'intérieur du territoire convenu, ou de modifier le territoire convenu, que dans le cas où le fournisseur démontre l'existence de justifications objectives; (...)
3. Une partie ne peut opposer des justifications objectives déterminées au sens du présent article, qui auront été précisées en détail lors de la conclusion de l'accord, que si elles sont appliquées sans discrimination dans des cas comparables à des entreprises du réseau de distribution.
A-3 LA VALIDITE DES CLAUSES CONTRACTUELLES
Il résulte des éléments ci-dessus :
- que l'exemption de l'engagement de ne pas vendre de véhicules neufs autres que ceux de la gamme contractuelle et de ne pas conclure à leur sujet des accords de distribution et de service de vente et d'après-vente est subordonnée à la condition que les parties prévoient la possibilité de s'affranchir de leurs obligations respectives par la preuve de l'existence de justifications objectives;
- que les dispositions en question se limitent à poser le principe selon lequel les parties doivent prévoir dans leur contrat la possibilité de se libérer de l'obligation de non-concurrence par la preuve de telles justifications objectives, sans pour autant exiger que le contrat contienne une liste exhaustive des justifications susceptibles d'être invoquées;
- que l'exemption accordée par le règlement s'applique à une clause d'un contrat de concession exclusive qui se limite à prévoir que les parties peuvent invoquer, pour se libérer de leurs obligations de non-concurrence respectives, des justifications objectives, sans préciser en quoi celles-ci peuvent consister (Cabour précité, page 8, points 26 à 28).
- que les clauses litigieuses des contrats des concessions Peugeot et Citroën, en définitive, sont régulières.
B- SUR LA NON-VALIDITE DE CLAUSES CONTRACTUELLES QUI RESTREIGNENT LA VENTE DE VEHICULES D'AUTRES MARQUES, MÊME DANS DES LOCAUX DISTINCTS
B-1 LES CLAUSES LITIGIEUSES
La clause limitative de concurrence contenue dans le contrat de concession Peugeot dispose (article II,2°,b) :
"Dans le cas où le concessionnaire (la société Nord Distribution Automobile") - et/ou ses principaux dirigeants si ledit concessionnaire est une personne morale - envisagerait de s'intéresser à la vente, au placement, à l'exploitation de véhicules (sous-entendu "neufs") de(s) marque(s) autre(s) que celle(s) des véhicules dont il assure la distribution aux termes du présent contrat, ou à l'activité d'atelier agréé d'une marque de produit ou de service autre que celle(s) visée(s) à l'article I du présent contrat, il devra en prévenir le Constructeur et lui démontrer les justifications objectives correspondantes, par lettre recommandée avec avis de réception au moins six mois à l'avance ".
Le contrat de concession Citroën prévoit dans son article III,2.2.2 :
"Dans le cas où le concessionnaire (la société Cabour) envisagerait de s'intéresser à la vente de véhicules neufs d'une marque autre que Citroën, ou de conclure avec des tiers des accords de distribution ou de service de vente et d'après-vente pour des produits concurrents des Produits Contractuels, il devra en prévenir le Constructeur et lui démontrer l'existence de justifications objectives qui n'existaient pas au moment de la conclusion du Contrat, par lettre recommandée avec avis de réception au moins six mois à l'avance. "
B-2 LA REGLEMENTATION APPLICABLE
Le règlement n° 123-85-CEE
Conformément à l'article 3, point 3, du règlement n° 123-85 l'exemption accordée au titre de l'article 81 (ex 85) paragraphe 3, du Traité s'applique lorsque l'engagement décrit à l'article 1er est lié à celui du distributeur "de ne pas vendre des véhicules automobiles neufs concurrents des produits contractuels et de ne pas vendre dans des exploitations commerciales dans lesquelles sont offerts des produits contractuels des véhicules automobiles neufs offerts par d'autres que le constructeur. "
Ce règlement réserve au constructeur la possibilité d'imposer au distributeur de ne pas vendre des véhicules neufs concurrents des produits contractuels et de ne pas vendre des véhicules neufs offerts par d'autres constructeurs dans des exploitations commerciales dans lesquelles sont offerts des produits contractuels.
Compte tenu du principe général d'interdiction des ententes anticoncurrentielles édicté à l'article 81 (ex 85), paragraphe 1, du Traité, les dispositions à caractère dérogatoire insérées dans un règlement d'exemption par catégorie ne sauraient faire l'objet d'une interprétation extensive et ne peuvent être interprétées de façon à étendre les effets du règlement au-delà de ce qui est nécessaire à la protection des intérêts qu'elles visent à garantir.
Dès lors, la dérogation visée à l'article 3, point 3, du règlement ne couvre pas l'obligation éventuellement imposée au concessionnaire de ne pas vendre de véhicules neufs offerts par d'autres que le constructeur dans des locaux commerciaux autres que ceux dans lesquels sont offerts les produits contractuels.
Cette interprétation s'impose même si le distributeur peut invoquer des justifications objectives, prévues à l'article 5, paragraphe 2. En effet, la possibilité pour le distributeur d'invoquer des justifications objectives permet uniquement aux distributeurs, en présence de motifs justifiés, de vendre des véhicules automobiles d'une autre marque, mais non concurrents, même dans les locaux où sont vendus les produits contractuels. Elle ne peut pas, en revanche, être interprétée en ce sens qu'il faut démontrer l'existence de justifications objectives pour pouvoir vendre des véhicules fournis par d'autres que le constructeur dans des locaux commerciaux différents de ceux dans lesquels les produits contractuels sont vendus.
L'exemption accordée par le règlement ne s'applique pas, en définitive, à une clause contractuelle qui interdit, sauf en présence de justifications objectives, au distributeur de vendre des véhicules neufs de toute autre marque, même dans des locaux commerciaux distincts de ceux dans lesquels les produits contractuels sont offerts. (Cabour, précité page 8, points 29 à 33).
Le règlement n° 1475-95-CE
En application de l'article 3, point 3, du règlement n° 1475-95, l'exemption continue à s'appliquer à l'obligation de ne pas vendre de véhicules automobiles neufs offerts par d'autres que le constructeur dans les mêmes locaux commerciaux, mais il est précisé que la vente de véhicules neufs d'une autre marque est autorisée si elle est effectuée "dans des locaux de vente séparés soumis à une gestion distincte, sous une forme d'entité juridique distincte et de manière telle qu'une confusion de marques soit exclue".
B-3 LA NON-VALIDITE DES CLAUSES CONTRACTUELLES
Les clauses litigieuses des contrats de concession Peugeot et Citroën permettent aux concessionnaires d'obtenir des constructeurs, dans les seuls locaux où sont vendus les produits contractuels, l'autorisation exceptionnelle, que ceux-ci peuvent leur allouer s'ils démontrent des justifications objectives n'existant pas au moment de la conclusion du contrat, de vendre des véhicules automobiles neufs d'autres marques que les leurs, à condition que ces véhicules ne soient pas concurrents.
Elles excluent toute possibilité pour les concessionnaires de vendre, dans des locaux commerciaux distincts, des véhicules automobiles concurrents et non concurrents, autres que les produits contractuels. A ce titre, ces clauses ne peuvent bénéficier du régime d'exception.
C- SUR LA VALIDITE DES CLAUSES CONTRACTUELLES QUI N'IMPOSENT QUE D'ATTEINDRE DES OBJECTIFS DE VENTES
C-1 LES CLAUSES LITIGIEUSES
Le contrat de concession Peugeot dispose dans son article III :
En contrepartie de la concession qui lui est accordée, le concessionnaire (la société Nord Distribution Automobile) s'engage à faire ses meilleurs efforts pour vendre au cours de la période du 1/01/1911 au 31/12/1991, 1.400 véhicules neufs visés par le présent contrat, qu'il aura préalablement acquis directement auprès du constructeur (...)
Il est convenu que le constructeur se réserve la faculté soit de modifier la zone de première responsabilité du concessionnaire et/ou de lui retirer son exclusivité d'implantation soit de résilier le contrat de concession si l'une et l'autre des hypothèses suivantes se réalise :
- si l'objectif de vente clientèle du concessionnaire défini au paragraphe 1 du présent article est réalisé à moins de 90 % des 7/11es au 31 août de la période annuelle en cours
- si le pourcentage de pénétration globale des véhicules neufs visés par le présent contrat calculé comme indiqué ci-dessous, dans la zone de première responsabilité confiée au Concessionnaire et appréciée au 31 juillet de la période annuelle en cours, pour les sept mois écoulés, se trouve être inférieur par rapport aux pourcentages de pénétration globale desdits véhicules neufs dans la France métropolitaine et dans la Direction Régionale du Constructeur à la quelle ledit Concessionnaire est rattaché :
* de plus de 45 % si la zone de première responsabilité confiée au Concessionnaire est située à Paris, dans l'un des trois départements limitrophes (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne) ou dans une agglomération où plus de deux Concessionnaires du Constructeur sont implantés;
* de plus de 30 % si la zone de première responsabilité confiée au Concessionnaire est située dans l'un des autres départements de la Région Parisienne (Essonne, Seine-et-Marne, Val d'Oise, Yvelines), soit dans une agglomération d'un département autre que ceux de la Région Parisienne, dans laquelle agglomération sont implantés deux Concessionnaires du Constructeur;
* de plus de 15 % si la zone de première responsabilité confiée au concessionnaire est située ailleurs (...);
La clause relative aux objectifs de vente et de livraison du contrat Citroën, contenue dans son article III, prévoit :
Le concessionnaire (la société Cabour) s'engage à faire ses meilleurs efforts pour vendre et livrer au cours de chaque période annuelle les quantités de véhicules neufs Citroën qu'il aura préalablement acquis directement auprès du constructeur, arrêtées de commun accord entre les deux parties et à défaut entre elles, par le constructeur à partir de critères tels que le concessionnaire ne fasse pas l'objet d'un traitement inéquitable ou discriminatoire (...)
Le constructeur pourra sans avoir à verser d'indemnité moyennant un préavis de 3 mois :
* modifier le territoire concédé par l'amputation du ou des cantons dans lesquels le taux de pénétration Citroën se révélerait égal ou inférieur à 60 % du taux de pénétration Citroën dans l'ensemble du territoire ou dans l'ensemble de la France à l'issue d'une période de 12 mois;
* modifier le territoire et/ou retirer l'exclusivité d'implantation ou résilier le contrat de concession si le taux de pénétration Citroën dans l'ensemble du territoire se révélerait inférieur ou égal à 60 % du taux de pénétration dans l'ensemble de la France à l'issue d'une période de 12 mois ".
C-2 LA REGLEMENTATION APPLICABLE
Le règlement n° 123-85-CEE
L'article 4, paragraphe 1, point 3, du règlement n° 123-85 prévoit que l'exemption couvre également l'engagement par lequel le distributeur s'oblige "à s'efforcer d'écouler dans une période déterminée à l'intérieur du territoire convenu un nombre minimal de produits contractuels, que le fournisseur fixe à partir d'estimations prévisionnelles des ventes du distributeur, si les parties ne se mettent pas d'accord à ce sujet".
L'article 5, paragraphes 2 et 4, du règlement n° 123-85 est ainsi libellé :
"2. Lorsque le distributeur a assumé des obligations. pour améliorer la structure de la distribution et du service de vente et d'après-vente, l'exemption de l'article 3, points 3 et 5, s'applique aux engagements de ne pas vendre des véhicules automobiles neufs autres que ceux de la gamme visée par l'accord, ou de ne pas en faire l'objet d'un accord de distribution et de service de vente et d'après-vente, à condition : (...)
2/- que la durée de l'accord soit d'au moins quatre ans ou que le délai de résiliation ordinaire de l'accord conclu pour une période indéterminée soit d'au moins un an pour les deux parties, à moins :
- que le fournisseur soit tenu de verser une indemnité appropriée en vertu de la loi ou d'une convention particulière, s'il est mis fin à l'accord,
ou
- qu'il s'agisse de l'entrée du distributeur dans le réseau et de la première durée convenue de l'accord ou de la première possibilité de résiliation ordinaire
3/- que chaque partie s'engage à informer l'autre au moins six mois avant la cessation de l'accord qu'elle ne désire pas proroger un accord conclu pour une période déterminée (...)
4. Les conditions d'exemption prévues par le présent article ne préjugent pas du droit d'une partie d'exercer la résiliation extraordinaire de l'accord."
Il en résulte, d'une part, que la possibilité de fixer des objectifs de vente est expressément prévue par le règlement n° 123-85 et, d'autre part, que l'obligation imposée au concessionnaire d'atteindre un tel objectif ne doit consister qu'en une simple obligation de moyens.
Il convient de souligner que l'article 5, paragraphe 2 dudit règlement prévoit les délais de résiliation du contrat et que le paragraphe 4 du même article accorde aux parties la possibilité de procéder à la résiliation extraordinaire de l'accord.
Il en résulte que ce règlement n'interdit pas de prévoir, dans l'hypothèse où le concessionnaire n'atteint pas l'objectif de vente visé en raison d'une violation de son obligation de moyens, des sanctions pouvant aller jusqu'à la résiliation de l'accord.
Le règlement doit dès lors être interprété en ce sens que l'exemption par lui accordée s'applique à une clause contractuelle qui impose au distributeur un objet déterminé de vente et qui prévoit des sanctions, pouvant aller jusqu'à la résiliation du contrat dans l'hypothèse où cet objectif n'est pas atteint, à condition toutefois que la fixation de l'objectif de vente constitue l'expression d'une simple obligation de moyens. (Cabour précité, page 8, points 35 à 38).
Le règlement n° 1475-95-CE
L'article 4 paragraphe 1, point 3 du règlement n° 1475-95-CE prévoit que ne fait pas obstacle à l'exemption l'engagement par lequel le distributeur s'oblige "à s'efforcer d'écouler pendant une période déterminée à l'intérieur du territoire convenu un nombre minimal de produits contractuels, fixé par les parties de commun accord ou, en cas de désaccord sur le nombre minimal de produits contractuels à écouler annuellement, par un tiers expert, en tenant compte notamment des ventes précédemment réalisés dans ce territoire ainsi que des estimations prévisionnelles de ventes pour ce territoire et au niveau national ".
L'article 5, paragraphes 2 et 3, du règlement n°1475-95 dispose :
"2. Lorsque le distributeur a assumé des obligations visées à l'article 4, paragraphe 1, pour améliorer la structure de la distribution et du service de vente et d'après-vente, l'exemption s'applique à condition que (...)
2/ la durée de l'accord soit d'au moins cinq ans ou que le délai de résiliation ordinaire de l'accord conclu pour une période indéterminée soit d'au moins deux ans pour les deux parties; ce délai est réduit à un an au moins :
- lorsque le fournisseur est tenu de verser une indemnité appropriée en vertu de la loi ou d'une convention particulière, s'il est mis fin à l'accord;
ou
- lorsqu'il s'agit de l'entrée du distributeur dans le réseau et de la première durée convenue de l'accord ou de la première possibilité de résiliation ordinaire;
3/ Chaque partie s'engage à informer au moins six mois avant la cessation de l'accord qu'elle ne désire pas proroger un accord conclu pour une période déterminée.
3. Les conditions d'exemption prévues aux paragraphes 1 et 2 ne préjugent pas :
- du droit du fournisseur de résilier l'accord moyennant un préavis d'au moins un an en cas de nécessité de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle du réseau,
- du droit d'une partie d'exercer la résiliation extraordinaire de l'accord en raison d'un manquement de l'autre partie à une de ses obligations essentielles,
Dans chaque cas, les parties doivent, en cas de désaccord, accepter un système de règlement rapide du litige, tel le recours à un tiers expert ou à un arbitre, sans préjudice du droit des parties de saisir le tribunal compétent, conformément aux dispositions du droit national applicable ".
L'article 4, paragraphe 1, point 3, du règlement n° 1475-85 impose, ainsi, une condition supplémentaire par rapport au même point du règlement n° 123-85. En effet, pour relever de la disposition en cause, la fixation des objectifs de vente doit non seulement ne constituer que l'expression d'une simple obligation de moyens, mais elle doit en plus intervenir d'un commun accord entre les parties ou, en cas de désaccord, par un tiers expert.
Il en résulte également, dans le cadre de ce règlement, que la fixation des objectifs de vente ne peut avoir lieu unilatéralement par le constructeur.
C-3 LA VALIDITE DES CLAUSES CONTRACTUELLES
N'arrêtant que des objectifs de vente, c'est-à-dire que de simples obligations de moyens et non de résultats, les clauses contractuelles litigieuses sont conformes aux règlements, dès lors qu'aucune information n'a été recueillie par la Cour lui permettant de considérer que les objectifs fixés ne sont pas raisonnables ou pas équitables, compte tenu en particulier des estimations provisionnelles relatives aux territoires concédés ou aux périodes retenues, ou que ces objectifs aient pu être opposés et maintenus aux concessionnaires de façon unilatérale.
S'agissant des sanctions pouvant découler du fait que des objectifs de vente ne seraient pas atteints, les clauses contractuelles litigieuses sont conformes aux règlements, dès lors qu'aucune information n'a été recueillie par la Cour lui permettant de considérer que l'exercice du droit de résiliation de la part du constructeur pourrait être a priori disproportionné ou discriminatoire.
D- LES CONSEQUENCES, RELATIVES ET NON-EXCLUSIVES, DE LA NON-VALIDITE DES CLAUSES DE NON-CONCURRENCE MULTI-MARQUES SUR LES RAPPORTS ENTRE LES PARTIES EN PRESENCE
D-1 LE REGLEMENT D'EXEMPTION PAR CATEGORIE : UN SIMPLE CADRE JURIDIQUE
Un règlement d'exemption par catégorie n'a pas pour effet direct de rendre nul un accord qui ne remplirait pas les conditions d'exemption.
La définition d'une catégorie ne constitue qu'un cadre et ne signifie pas que les accords y entrant soient tous passibles de l'interdiction. Elle n'implique pas davantage qu'un accord relevant de la catégorie exemptée, mais ne répondant pas à toutes les conditions de ladite définition doive nécessairement tomber sous l'interdiction. Les règlements d'exemption par catégorie ne créent aucune présomption de droit relativement à l'interprétation à donner de l'article 81 (ex 85) paragraphe 1 du Traité. Destinés à exempter de l'interdiction des accords et pratiques concertées par catégories, ils ne peuvent avoir pour conséquence de précipiter d'abord, fût-ce implicitement, sous l'interdiction de l'article 81 (ex 85) paragraphe 1, les catégories qu'ils se proposent de favoriser et de présumer réunies de plein droit au détriment de quelque accord que ce soit, les conditions dudit article (voir CJCE, 13 juillet 1966, Italie - 32-65, Rec. p. 563, 590 et 591).
Les règlements 123-85-CEE et 1475-95-CE se limitent à donner aux opérateurs économiques du secteur des véhicules automobiles certaines possibilités leur permettant, malgré la présence de clauses d'exclusivité et de non-concurrence, dans leurs accords de distribution et de service de vente et d'après-vente, de faire échapper ceux-ci à l'interdiction de l'article 81 (ex 85) paragraphe 1 du Traité. Ces dispositions n'imposent toutefois pas aux opérateurs économiques de faire usage de cette possibilité. Elles n'ont pas non plus pour effet de modifier le contenu de tel ou tel, accord ou le rendre nul lorsque toutes les conditions du règlement ne sont pas remplies. Lorsqu'un accord ne remplit pas toutes les conditions posées par ce règlement, les parties contractantes peuvent, soit demander à la Commission une décision d'exemption individuelle, soit établir que l'accord en question n'est pas pour d'autres motifs incompatible avec l'interdiction de l'article 81 (ex 85) paragraphe 1 (voir CJCE, 18 décembre 1986, VAG-France, C-10-86, Rec. p. 4084, point 12).
Plus précisément, ces règlements n'établissent pas de prescriptions contraignantes affectant directement la validité ou le contenu de clauses contractuelles ou obligeant les parties contractantes à adapter le contenu de leur contrat, mais se limitent à donner aux opérateurs économiques du secteur des véhicules automobiles certaines possibilités leur permettant, malgré la présence de certains types de clauses d'exclusivité et de non-concurrence, dans leurs accords de distribution et de service en vente et d'après-vente, de faire échapper ceux-ci à l'interdiction de l'article 81 (ex 85) paragraphe 1 (VAG France précité ci-dessus et voir aussi CJCE 15 février 1996, Grand Garage Albigeois, C-226-94, Rec. p. I-651, point 15).
D-2 LA NULLITE DES CLAUSES LITIGIEUSES POUR IMPACT ECONOMIQUE PORTANT UNE ATTEINTE SENSIBLE A LA CONCURRENCE
Lorsque des clauses contractuelles ne remplissent pas toutes les conditions prévues par un règlement d'exemption, elles ne tombent sous l'interdiction de l'article 81 (ex 85) paragraphe 1 du Traité que si de façon cumulée, d'une part, elles ont pour objet ou pour effet de restreindre de manière sensible la concurrence à l'intérieur du marché commun et, d'autre part, elles sont de nature à affecter le commerce entre les Etat membres.
Il appartient à la Cour de céans, juridiction nationale de renvoi, de déterminer, sur la base de l'ensemble des données dont elle dispose et en tenant compte du contexte économique et juridique dans le cadre duquel les accords de concession s'insèrent, si, en l'occurrence, ces conditions sont remplies. (Cabour précité, page 8, points 49, 50 et 52).
L'impact de ces clauses ne saurait être isolé des circonstances de fait ou de droit ayant pour conséquence qu'elles ont pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Dans ce contexte, l'existence de contrats similaires est une circonstance qui, avec d'autres, peut former un ensemble constitutif du contexte économique et juridique dans lequel elles doivent être appréciées (voir CJCE, 12 décembre 1967, Brasserie de Haecht, C-23-67, Rec. p. 525).
En conséquence, il incombe de rechercher indépendamment des règlements d'exemption, si les clauses litigieuses sont ou non restrictives de la concurrence et si elles sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres.
L'atteinte au commerce entre Etats
L'atteinte au commerce entre Etats membres doit être considéré comme étant effectif lorsque, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, on peut envisager avec un degré de probabilité suffisant que les clauses litigieuses peuvent exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre Etats membres, et ce dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation du marché unique (voir CJCE, 30 juin 1966, Société Technique Minière C-56-65 Rec. p. 260).
Il est indéniable que les réseaux de distribution verticale de PSA Peugeot Citroën représentent de l'ordre de 10 % du marché dans l'Union Européenne mais près du double (plus de 25 %) au sein du seul marché français et il n'est pas démenti que tous leurs concessionnaires sont liés par des clauses contractuelles semblables aux clauses litigieuses. Or de telles pratiques restrictives de la concurrence qui s'étendent à l'ensemble du territoire d'un Etat membre, ont, par leur nature même, pour effet de consolider les cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique du marché commun voulue par le Traité. (voir CJCE, 11 juillet 1985, Remia C-42-84, Rec. p. 2545, point 22).
Et l'objet anti-concurrentiel
Pour déterminer si une clause précise a un objet anti-concurrentiel, il convient d'examiner sa fonction dans le contexte des rapports contractuels dans lesquels elle s'inscrit (voir CJCE, 28 mars 1984, Cram, C-29-83 et 30-83, Rec. p. 1679).
N'ont pas normalement un objet anti-concurrentiel les clauses nécessaires pour qu'un contrat, ne portant en soi pas atteinte à la concurrence, puisse remplir pleinement la fonction juridico-économique qui le caractérise (voir CJCE, 15 décembre 1994, DLG, C-250-92, Rec. p. 5644, points 14 à 16).
En l'occurrence, il n'était pas nécessaire pour réaliser l'objectif des contrats de concession d'y insérer des clauses qui privent le concessionnaire de toute possibilité de vendre des véhicules neufs fournis par des personnes autres que le constructeur même dans des locaux commerciaux séparés de ceux dans lesquels sont vendus les produits contractuels. Le seul objectif en fait de ces clauses est de promouvoir la vente de produits contractuels au moyen d'une limitation de l'autonomie commerciale des concessionnaires. Elle empêche ces derniers de mener une vie de distributeur parallèle et aux autres constructeurs d'accéder à un nombre plus important de distributeurs.
En définitive, par l'application combinée des paragraphes 1 et 2 de l'article 81 (ex 85) du Traité, dès lors que les clauses litigieuses anti-multimarques ont pour objet vérifié, compte tenu du contexte économique et juridique, de restreindre la concurrence à l'intérieur du marché commun et sont de nature à affecter de manière sensible le commerce entre les Etats membres, leurs nullités de plein droit doivent être constatées.
D-3 LA NULLITE DES CONTRATS DE CONCESSION PEUGEOT ET CITROËN A COMPTER DU 1ER OCTOBRE 1996
La nullité absolue prévue par l'article 81 (ex 85) paragraphe 2 du Traité s'applique de plein droit aux seuls éléments de l'accord frappés par l'interdiction, ou à l'accord dans son ensemble si ces éléments n'apparaissent pas séparables de l'accord lui-même (Société Technique Minière précité, page 20, et voir aussi CJCE, 13 juillet 1966, Consten et Grundig, C-56-64 et 58-64, Rec. p. 498).
Les conséquences de la nullité de plein droit des clauses contractuelles incompatibles avec l'article 81 (ex 85), paragraphe 1, pour tous les éléments de l'accord ou pour d'autres obligations qui en découlent, ne relèvent pas du droit communautaire. Il appartient à chaque juridiction nationale d'apprécier, ici aussi, en vertu du droit national applicable, la portée et les conséquences, pour l'ensemble des relations contractuelles, d'une éventuelle nullité de certaines clauses contractuelles en vertu de l'article 81 (ex 85), paragraphe 2. (VAG France précité, page 19, points 14 et 15).
En effet, la nullité de plein droit prévue à l'article 81 (ex 85), paragraphe 2, ne vise que les dispositions contractuelles incompatibles avec l'article 81 (ex 85), paragraphe 1. Les conséquences de cette nullité pour tous autres éléments de l'accord ne relèvent pas du droit communautaire mais sont à apprécier par la juridiction nationale selon son propre droit (voir CJCE, 14 décembre 1983, Société de vente de Ciments et Bétons de l'Est, C-319-82, Rec. p. 4173, points 11 et 12).
Toutefois, en ce qui concerne le règlement n° 1495-95-CE, applicable selon son propre article 7 à tous les accords de concession à compter au plus tard du 1er octobre 1996, la solution à adopter s'impose par application automatique d'une de ses clauses dites "clauses noires". En effet, son article 6, paragraphe 1, point 3 dispose que "l'exception ne s'applique pas, dès lors (...) que, à l'égard de véhicules automobiles à trois roues et plus (...) les parties conviennent de restrictions de concurrence qui ne sont pas expressément exemptées (...)". En l'absence de l'exemption et eu égard aux développements analysés plus haut relatifs à l'objet anti-concurrentiel des clauses litigieuses, valables également pour les contrats de concession Peugeot et Citroën eux-mêmes, dont il n'est même pas invoqué qu'ils aient été modifiés sur les points litigieux, ces derniers dans leur ensemble sont atteints de nullité de plein droit à compter du 1er octobre 1996.
Pour sa part, le règlement n° 123-85-CEE, applicable au plus tard jusqu'au 30 septembre 1996, ne peut être considéré comme nul. Il n'existe pas d'abord de réglementation communautaire expresse pour constater sa nullité. En outre, parmi les distributeurs principaux, moins d'un sur quatre met en vente plus d'une seule marque, tant il est avéré que la structure de marché du côté de l'offre et de la demande rend peu intéressante sur le plan financier, en raison de facteurs très variés, la liberté laissée aux concessionnaires de vendre des véhicules automobiles neufs offerts par des entreprises autres que leurs constructeurs respectifs. Enfin, la Cour ne dispose d'aucun élément lui permettant d'avoir la preuve que la commune intention des parties aurait pu être de considérer les clauses litigieuses de non-concurrence inter-marques dans l'économie générale des contrats de concession comme déterminantes ou essentielles,
D-4 LES CONSEQUENCES SUR LES RAPPORTS ENTRE LES PARTIES PRESENTES EN APPEL
Il convient de rappeler que les dispositions de ces règlements d'exemption ne sauraient directement affecter les droits et obligations des tiers par rapport aux contrats conclus entre les constructeurs automobiles et leurs concessionnaires, et notamment ceux des négociants indépendants (Grand Garage Albigeois précité, page 19, point 19).
Toutefois, une fois vérifiée la nullité des contrats de concession Peugeot et Citroën à compter du 1er octobre 1996, ces derniers deviennent nécessairement, sans analyse complémentaire, inopposables à un revendeur non agréé et ne peuvent, en conséquence, servir de fondement à une action en concurrence déloyale dirigée contre lui, ainsi que la Cour de céans l'avait relevé dans son arrêt du 20 juin 1996 et que la Cour de Justice des Communautés Européennes a confirmé en considérant recevables toutes les questions qui lui avaient été posées à titre préjudiciel (voir aussi CJCE, 25 septembre 1971, Beguelin, C-22-71, rec. p. 949, point 29).
Pour la période antérieure au 1er octobre 1996, il convient de constater qu'il y a eu une évolution de la jurisprudence française ces dernières années qui, partant de ce que le simple fait pour un revendeur non agréé d'offrir des produits contractuels devait être retenu comme fautif, est parvenue à considérer, sous l'influence des arrêts prononcés par la Cour de Justice des Communautés Européennes, qu'un commerçant indépendant hors réseau, négociant ou mandataire, ne commet plus de faute pouvant servir de fondement à un acte de concurrence déloyale dès lors qu'il n'est pas apporté la preuve de ce que ses approvisionnements auprès de ses fournisseurs sont illicites.
La société Arnor, en conséquence, est recevable et fondée aujourd'hui à faire valoir que l'action dirigée contre elle en 1994 et à laquelle se sont joints les constructeurs Peugeot et Citroën en 1995 ne pouvait aboutir.
Pour autant, son action en demande de provision sur dommages et intérêts et en expertise ne saurait prospérer, pour carence de sa part, que la Cour ne saurait suppléer conformément à l'article 146 du nouveau code de procédure civile, dans l'administration d'un début de preuve d'un lien de causalité entre l'action judiciaire initiée non fondée et l'existence d'un préjudice économique.
Ainsi par exemple la société Arnor, alors qu'elle affirme que les retombées médiatiques négatives du procès ont affecté ses résultats dès la mi-1994, présente, sans commentaire, des documents dont il ressort que la vente de véhicules Peugeot et Citroën a été plus importante en 1994 (179 sur les 245 véhicules automobiles vendus dans l'année) qu'en 1993 (149 sur 226) et que malgré tout, l'exercice en 1993 a été clos avec un déficit de 21.388 francs alors qu'il a progressé jusqu'à 336.270 francs en 1994. Elle ne justifie pas davantage de l'existence d'un préjudice ne serait-ce qu'éventuel à compter du 1er octobre 1996, reconnaissant elle-même qu'elle a vendu son fonds de commerce après une assemblée générale du 19 décembre 1996 et que depuis son activité s'est réduite jusqu'à ne consister pour le principal qu'à procéder à sa liquidation.
Compte tenu des circonstances, en particulier de ce que l'action engagée contre elle n'est pas fondée, l'équité commande, en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, que les autres parties soient condamnées solidairement à lui payer une indemnité procédurale d'appel, non comprises dans les dépens, de 100.000 francs.
Les entiers dépens, de première instance et d'appel, y compris ceux exposés devant la Cour de Justice des Communautés Européennes, doivent être mis solidairement à la charge également de la SA Cabour, de la SA Nord Distribution Automobile, de la SA Automobiles Peugeot et de la SA Automobiles Citroën, avec droit de recouvrement direct contre eux, au bénéfice de l'avoué de la SARL Arnor, pour ceux des frais dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision préalable, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
III - DECISION DE LA COUR
Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR : 1°) Donne acte à la SA Cabour, à la Sa Nord Distribution Automobile, à la SA Automobiles Peugeot, à la SA Automobiles Citroën de leur désistement d'appel. 2°) Réforme le jugement du 16 juin 1994 et y ajoute en ce que les contrats des sociétés concessionnaires Peugeot et Citroën étaient opposables à la SARL Arnor jusqu'au 30 septembre 1996. Le confirme pour le surplus attaqué. 3°) Condamne solidairement la SA Cabour, la SA Nord Distribution Automobile, la SA Automobiles Peugeot et la SA Automobiles Citroën : - à payer à la société Arnor la somme de 100.000 francs à titre d'indemnité procédurale d'appel; - à payer les dépens d'appel, frais exposés devant la Cour de Justice des Communautés Européennes compris, avec distraction au profit de la SCP Carlier Regnier, avoués associés; 4°) Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.