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Décisions

CCE, 5 décembre 2001, n° 2002-759

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Brasseries luxembourgeoises

CCE n° 2002-759

5 décembre 2001

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté européenne, vu le règlement n° 17 du Conseil du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (1), modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 1216-1999 (2), et notamment son article 15, paragraphe 2, vu la décision de la Commission du 29 septembre 2000 d'ouvrir la procédure dans cette affaire, après avoir donné aux entreprises concernées l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission, conformément à l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17 du Conseil et à l'article 2 du règlement (CE) n° 2842-98 de la Commission du 22 décembre 1998 relatif à l'audition dans certaines procédures fondées sur les articles 85 et 86 du traité CE (3), après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, vu le rapport final du conseiller-auditeur dans la présente affaire, considérant ce qui suit :

1. FAITS

1.1. OBJET ET ORIGINE DE L'AFFAIRE

(1) La présente affaire concerne un accord (ci-après dénommé "la convention") conclu le 8 octobre 1985 entre cinq entreprises de brasserie établies au Luxembourg, en vue d'assurer le respect et la protection réciproque des "clauses de bière" dont bénéficient ces brasseries auprès des débits de boissons luxembourgeois. Par "clause de bière" ou "clause de brasserie", il convient d'entendre une clause d'exclusivité d'achat de certains types de bières conclue par un débitant auprès d'une brasserie, en contrepartie de divers avantages financiers qui lui sont accordés par cette dernière.

(2) Le texte de la convention (4) a été communiqué à la Commission, le 16 février 2000, par Interbrew SA (Interbrew). Lorsqu'elle a informé la Commission de l'existence de la convention, Interbrew a confirmé qu'elle avait donné l'instruction à ses filiales, Brasserie de Diekirch et Brasseries Réunies Mousel et Clausen de mettre fin à toute mise en œuvre de celle-ci. Elle a également invoqué la communication de la Commission concernant la non-imposition d'amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (5).

1.2. ENTREPRISES CONCERNÉES

(3) Toutes les principales entreprises de brasserie établies au Luxembourg étaient parties à la convention.

Il s'agissait des entreprises suivantes.

a) La SA Brasserie Nationale-Bofferding (Bofferding). En 1999, son chiffre d'affaires a atteint [30- 50] (6) millions d'euros et sa production de bière a été de [120 000-180 000] hectolitres, dont [50 000- 70 000] hectolitres ont été écoulés dans le secteur Horeca (7) au Luxembourg (8).

b) La SA Brasserie de Diekirch (Diekirch). En 1999, son chiffre d'affaires était de 12,8 millions d'euros et elle a produit 141 600 hectolitres de bière, dont [40 000-50 000] hectolitres ont été vendus dans le secteur Horeca au Luxembourg (9).

c) Brasseries Réunies de Luxembourg Mousel et Clausen SA (Mousel), qui a réalisé un chiffre d'affaires de 11,4 millions d'euros en 1999 et produit 108 000 hectolitres de bière, dont [40 000-50 000] hectolitres ont été vendus dans le secteur Horeca au Luxembourg (10).

d) La Brasserie De Wiltz (Wiltz), qui avait un chiffre d'affaires de 2,3 millions d'euros en 1999 et a produit [20 000-30 000] hectolitres de bière, dont [0-10 000] hectolitres destinés au secteur Horeca au Luxembourg (11).

e) La Brasserie Battin (Battin), qui a produit [10 000-20 000] hectolitres de bière en 1999 en réalisant un chiffre d'affaires de 1,8 million d'euros, ses ventes au cours de la même année dans le secteur Horeca luxembourgeois s'élevant à [0-10 000] hectolitres (12).

(4) Le 27 septembre 1999, Interbrew a pris le contrôle de Mousel via la société holding BM Investments.

Par cette opération, Interbrew a également acquis le contrôle exclusif de Diekirch. En effet, depuis janvier 1986, Interbrew et Mousel détenaient chacune entre [.] % et [.] % du capital de Diekirch.

Enfin, le 28 juillet 2000, Diekirch est devenue une filiale à [.] % de Mousel, cette dernière ayant acheté les actions détenues dans Diekirch par Interbrew. À cette occasion, Mousel a également modifié sa raison sociale, pour devenir Brasserie de Luxembourg Mousel-Diekirch SA (Brasserie de Luxembourg).

1.3. SECTEUR HORECA AU LUXEMBOURG

(5) Selon les estimations des parties, le volume total des ventes de bière au Luxembourg s'élevait à environ 490 000 hectolitres en 1999 [320 000 hectolitres produits par les parties (13) et environ 168 000 hectolitres importés (14)]. D'après les parties, le secteur Horeca représentait à lui seul environ 207 000 hectolitres, soit plus de 40 % du total des ventes. Dans ce secteur, les parties ont écoulé environ 162 000 hectolitres de leur propre production en 1999 (15), et environ 45 000 hectolitres de bière ont été importés (16), dont environ 18 000 hectolitres par les parties ou leurs filiales de distribution (17). Par conséquent, environ 75 % du volume de bière vendue dans le secteur Horeca luxembourgeois en 1999 a été produit par les parties et, compte tenu de leur distribution de bières importées, plus de 85 % des ventes totales dans ce secteur étaient sous leur contrôle.

(6) Quant aux débits de boissons situés au Luxembourg, la plupart des parties estiment leur nombre entre 3 500 et 3 800 (18). Sur ce total, plus de 2 100 sont liés aux cinq brasseries signataires par une clause d'exclusivité d'achat. Le nombre de débits liés à chaque brasserie a évolué comme suit de 1990 à 1999 :

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1.4. DISPOSITIONS DE LA CONVENTION

(7) La convention conclue le 8 octobre 1985 par les cinq entreprises de brasserie concernées "a pour but de prévenir et de régler les conflits qui, au Grand-Duché, peuvent se présenter en ce qui concerne le respect et la protection réciproque des clauses de brasserie dites clauses de bière" (article 1er).

(8) L'article 2 de la convention précise que par clause de bière il faut entendre "toute convention écrite, quelle que soit sa validité juridique, et/ou sa durée, et/ou son opposabilité, par laquelle une des brasseries contractantes a convenu avec un débitant que celui-ci s'approvisionnera en exclusivité en bières luxembourgeoises de propre fabrication ou fabriquées sous licence par une brasserie luxembourgeoise et/ou vendues par une brasserie luxembourgeoise pour une durée déterminée et/ou pour une quantité déterminée de bière".

(9) Par ailleurs, selon le compte rendu de la réunion de la fédération des brasseurs luxembourgeois du 7 octobre 1986 (19), tel que modifié par le compte rendu de la réunion du 2 décembre 1986 (20), les parties sont convenues d'une interprétation plus large du terme "clause de bière" que dans l'article 2 de la convention. Selon ces comptes rendus, diffusés par la fédération, "[.] il est convenu d'admettre et d'assimiler à la "clause bière" :

- l'opération consistant à prendre un bail et à participer financièrement à l'équipement d'un café

- sans qu'une "clause bière" soit expressément mentionnée, par exemple la brasserie X prend en bail un immeuble et participe financièrement à la mise en valeur de l'immeuble suivant sa destination, mais ne conclut pas ou n'arrive pas à conclure une obligation avec le propriétaire,

- la reprise par une brasserie d'un droit de cabaretage (21), sans qu'une clause bière soit expressément mentionnée.

Ces deux interprétations font partie intégrante des dispositions existant en ce domaine."

Cette interprétation est confirmée par une lettre du 23 octobre 1991 adressée par Wiltz à la fédération des brasseurs luxembourgeois (22) : "[.] les brasseurs conviennent d'admettre et d'assimiler à la "clause bière" :

- l'opération consistant à prendre un bail,

- la mise à disposition par une brasserie à quelque titre que ce soit, d'un droit de cabaretage."

Il est également à signaler que chacun de ces comptes rendus de réunion souligne le caractère confidentiel de ces interprétations de la convention. En outre, le compte rendu de la réunion du 7 octobre 1986 constate que les brasseurs sont convenus de ne pas évoquer les documents d'interprétation de la convention et "[.] d'effectuer les opérations en rapport avec la clause bière sans s'y référer".

(10) L'article 3 de la convention énumère les différentes catégories de débitants pouvant être soumis au respect d'une clause de bière. Celles-ci comprennent les exploitants de débits de boissons, de pensions de famille, de campings et de tout autre point de vente de bière, ainsi que les dépositaires de bière.

(11) L'article 4 stipule que "les brasseries soussignées s'interdisent à elles-mêmes et s'engagent à interdire strictement à leurs dépositaires toute vente de bière dans un débit garanti aux termes de la présente convention à l'une des autres brasseries signataires".

(12) En outre, l'article 4 précise qu'en cas de récidive du dépositaire il sera procédé de la manière suivante : "la brasserie contractante fera constater le débit des bières de la brasserie concurrente auprès de son client et lui signifiera à toutes fins utiles la convention d'approvisionnement. Elle signifiera également cette convention au dépositaire et le mettra en demeure de s'abstenir de toutes fournitures de bières. En même temps, elle demandera à la brasserie concurrente de convoquer son dépositaire et de le sommer en due forme à cesser toutes fournitures au client lié par contrat à son collègue, ceci pour éviter toute complicité de la brasserie concurrente avec son dépositaire dans ses agissements."

(13) Par l'article 5 de la convention, chaque brasserie contractante s'engage "avant de conclure et/ou de faire une fourniture de bière à un débitant approvisionné antérieurement par l'autre brasserie à s'informer au préalable auprès de celle-ci au sujet de l'existence d'une "clause de bière" en sa faveur". La brasserie qui aura négligé d'introduire une demande d'information préalable sera redevable à la brasserie qui fournit le débitant d'une amende d'un montant égal à la valeur de 100 hectolitres de bière "Pils" (article 6).

(14) Dans le cas où, malgré des engagements qui lui auraient été signalés, une brasserie signataire contracterait avec un débitant déjà approvisionné par une autre brasserie contractante, ou livrerait ses bières à ce débitant, l'article 7 de la convention prévoit que la nouvelle brasserie contractante sera redevable à l'ancien fournisseur d'une indemnité égale à la valeur de 750 hectolitres de bière "Pils", sans préjudice d'une indemnité complémentaire à fixer par arbitrage.

(15) Dans le cas de contestations ou de litiges, il est prévu qu'à la demande de l'une des brasseries le directeur de la fédération des brasseurs luxembourgeois convoquera les parties en vue d'une conciliation et qu'à défaut d'arrangement amiable le différend fera l'objet d'une procédure d'arbitrage (articles 8 et 9).

(16) L'article 11 de la convention prévoit que, en cas de fusion d'une des brasseries contractantes avec une brasserie étrangère ou en cas de participation prépondérante permettant à une brasserie étrangère de gérer une brasserie contractante, la convention pourra être dénoncée à tout moment à l'égard de la brasserie étrangère. Il en sera de même dans le cas d'une coopération d'une des brasseries contractantes avec une brasserie étrangère qui permettrait la distribution de bières étrangères auprès des débitants luxembourgeois.

(17) Selon l'article 12 de la convention, celle-ci est conclue pour une durée indéterminée. En dehors des cas prévus par l'article 11, la convention ne peut être dénoncée par les brasseries signataires que moyennant une lettre recommandée avec un préavis de douze mois. Il est également à signaler que la convention a été précédée de plusieurs autres conventions successives depuis 1938, qui avaient le même objet et impliquaient essentiellement les mêmes parties (23).

(18) La convention est complétée par une déclaration d'intention, signée également le 8 octobre 1985 par les cinq brasseries contractantes (24), qui précise que Battin "ne contrevient pas à l'article 2 [.] en distribuant les bières de son concédant la Bitburger Brauerei Th. Simon, RFA, selon les formes et modalités de distribution actuellement pratiquées". La déclaration précise que "si, à l'avenir, une modification, soit des formes et modalités de cette distribution, soit une augmentation sensible de volume venait à troubler l'équilibre actuel de la distribution, [.] la présente convention pourra être dénoncée à tout moment à l'égard de la Brasserie Battin".

(19) Enfin, le 2 décembre 1986, la convention a été à nouveau complétée par une deuxième déclaration d'intention (25) qui stipule que les brasseries signataires "déclarent vouloir réserver la priorité pour le démarchage et la conclusion d'une clause d'approvisionnement à une de leurs consoeurs luxembourgeoises dans le cas où des indications écrites de la brasserie qui détient le contrat font présumer qu'un de ses clients [.] est démarché et s'apprête à conclure une convention d'approvisionnement avec une brasserie étrangère". En outre, cette déclaration prévoit un mécanisme de compensation lorsque, grâce à ce système de priorité, une brasserie contractante réussit à conclure un contrat d'approvisionnement avec l'ancien client d'une autre brasserie contractante. Dans ce cas, la brasserie concluant le contrat d'approvisionnement offrira en échange à la brasserie qui détenait antérieurement le contrat un de ses clients se trouvant dans une position semblable.

1.5. MISE EN OEUVRE DE LA CONVENTION

(20) Les documents à la disposition de la Commission démontrent que toutes les parties, à l'exception de Wiltz, ont appliqué l'article 5 de la convention (obligation de s'informer sur l'existence d'une clause de bière avant de fournir un débit) (26). À titre d'exemple, on peut citer :

a) l'échange de correspondance entre Bofferding et Diekirch, en avril 1989 (27), au sujet de l'existence d'une clause de brasserie pour un débit de boissons situé à Differdange ;

b) la lettre du 20 mai 1996 (28) de Bofferding à Diekirch pour s'informer de l'existence éventuelle d'une clause de bière pour un débit de boissons situé à Rosport ;

c) la lettre du 7 février 1997 (29) adressée par Bofferding à Mousel, en vue d'obtenir confirmation que le débit de boissons [nom du débit] n'était plus soumis à une clause de bière et la réponse positive du 21 février 1997 (30) ;

d) la réponse de Battin à la demande de renseignements de la Commission (31), dans laquelle cette brasserie reconnaît s'être informée deux ou trois fois auprès d'une autre brasserie pour établir si un client était lié par un contrat et "[.] qu'une réponse par télécopieur de la brasserie concernée nous donnait alors les renseignements désirés et nous indiquait notre voie à suivre" ;

e) la réponse de Bofferding à la demande de renseignements de la Commission (32), dans laquelle cette brasserie précise que "[.] la règle de l'information préalable a été dans la majorité des cas appliquée".

(21) En ce qui concerne la mise en œuvre des articles 8 et 9 de la convention, relatifs à la conciliation et à l'arbitrage, Diekirch fait état, pour sa part, de quatre litiges (33) avec Bofferding concernant l'existence ou l'applicabilité d'une clause de bière en faveur de l'une ou l'autre de ces deux brasseries. Ces litiges se sont déroulés au cours des périodes suivantes :

a) de décembre 1992 à août 1996 (affaire [nom du débit] à Kayl) ;

b) de janvier à août 1996 (affaire [nom du débitant]) ;

c) de juin à août 1996 (affaire [nom du débit] à Differdange) ;

d) de novembre 1993 à avril 1998 (affaire [nom du débit] à Diekirch).

(22) Bofferding confirme le recours à l'article 8 de la convention dans le cadre du litige [nom du débitant] (34), en précisant que celui-ci s'est conclu en octobre 1996, sur la base d'un arrangement prévoyant un échange de débits entre les deux brasseries.

(23) Mousel a également fourni le compte rendu d'une réunion de la fédération des brasseurs luxembourgeois, tenue le 29 mars 1988 (35), qui se réfère à l'article 5 de la convention et fait état, dans le contexte d'un litige entre deux brasseurs, de l'intervention du directeur de la fédération en vue de la recherche d'un compromis.

(24) La correspondance échangée entre les parties à l'occasion de ces litiges contient de nombreux rappels des obligations imposées par la convention, et notamment de la sanction prévue par l'article 7 en cas de non-respect de l'article 4 (garantie des clauses de bière). Par exemple, dans sa lettre du 30 juillet 1996 (36), Diekirch reproche à Bofferding d'avoir fait de la publicité à l'extérieur de [nom du débit] à Diekirch, un débit lié à Diekirch. La lettre poursuit "Votre manière d'agir est manifestement contraire à la convention inter-brasseries. En application de l'article 7 de ladite convention, nous vous invitons à nous faire parvenir au reçu de la présente l'indemnité prévue de 750 hls × 4 590 = 3 442 500 francs". Le 5 juin 1996 (37), Diekirch accuse Bofferding d'un "flagrant non-respect [.] de la convention inter- brasseries" concernant un café à Differdange et réclame le paiement de "l'indemnité prévue à l'article 7 de ladite convention". Enfin, dans sa lettre au directeur de la Fédération des brasseurs luxembourgeois du 16 avril 1996 (38), relative au café "Am Chalet" à Wahlhausen, Bofferding insiste "sur l'application des sanctions prévues dans l'accord inter-brasseries" contre Diekirch.

(25) Il importe également de signaler que, lors d'une réunion de conciliation entre des représentants de Bofferding et de Diekirch le 19 mars 1996, en présence du directeur de la Fédération des brasseurs luxembourgeois, celui-ci a déclaré selon les termes du compte rendu qui a été établi à l'issue de cette réunion (39) : "[.] même si les dispositions inter-brasseries n'ont pas de valeur juridique, il y a l'esprit qu'on y a mis et qui domine. Il s'agit d'éviter un déchirement entre brasseries et, surtout, une condamnation qui s'en suivrait par la juridiction et l'arrivée massive des brasseries étrangères sur notre marché."

(26) Enfin, il convient de constater qu'aucune des brasseries signataires n'a formellement dénoncé la convention (40) avant l'envoi de la communication des griefs de la Commission le 2 octobre 2000.

2. OBSERVATIONS DES PARTIES

(27) Suite à la communication du texte de la convention par Interbrew (41), la Commission a adressé des demandes de renseignements aux parties et à la fédération des brasseurs luxembourgeois. Le 29 septembre 2000, la Commission a adopté une communication des griefs à l'encontre des quatre entreprises destinataires de la présente décision. Toutes les parties sauf Battin ont présenté des observations écrites en réponse aux griefs de la Commission. Une audition s'est tenue le 13 mars 2001, lors de laquelle Bofferding et Wiltz ont présenté des observations orales. Les principales observations des parties se résument comme suit.

2.1. ABSENCE D'OBJET RESTRICTIF DE LA CONCURRENCE

2.1.1. DISPOSITIONS RELATIVES AU RESPECT RÉCIPROQUE DES CLAUSES DE BIÈRE PAR LES BRASSERIES SIGNATAIRES DE LA CONVENTION

(28) Bofferding et Wiltz soulignent que le but de la convention était de "prévenir et de régler les conflits" relatifs au respect et à la protection réciproque des clauses de bière (article 1er de la convention). Elles soutiennent notamment que la convention avait pour but de régler certains problèmes soulevés par la jurisprudence luxembourgeoise en matière d'application de ces clauses (considérants 30 à 33).

(29) Bofferding et Wiltz admettent néanmoins que la convention s'applique également à certaines relations brasseur-débitant où un contrat de fourniture ou une clause de bière fait entièrement défaut, lorsque la brasserie se borne à financer l'équipement d'un débit ou à prendre un droit de cabaretage, sans conclure de contrat avec le débitant ou sans lui imposer une clause d'achat exclusif (42). Bofferding expose que la convention a été modifiée en ce sens à la demande du directeur-juriste de Diekirch. Celui-ci aurait craint que Bofferding n'investisse dans un café avec bail et ne fasse conclure le contrat d'exclusivité avec la brasserie allemande Binding, avec laquelle elle avait de bonnes relations. Bofferding ajoute qu'elle n'avait pas l'intention d'agir de cette façon et que cette disposition n'a jamais été appliquée.

(30) Quant à l'application de la convention aux contrats de fourniture comprenant une clause de bière au sens de l'article 2, il convient d'opérer une distinction entre deux situations. La première concerne des contrats qui étaient invalides en vertu d'un courant jurisprudentiel luxembourgeois, lui- même inspiré d'une jurisprudence française. En effet, à l'époque de la conclusion de la convention, les tribunaux luxembourgeois annulaient les clauses de bière pour cause d'indétermination des quantités ou des prix, c'est-à-dire quand les quantités à livrer par le brasseur ou les prix à payer par le débitant n'étaient ni déterminés, ni déterminables. Selon Bofferding, suite à un revirement de la jurisprudence française le 1er décembre 1995 (43), l'argument de l'indétermination des quantités ou des prix n'a plus guère été plaidé au Luxembourg et une décision de première instance intervenue en mars 1996 (44) a entériné le revirement français. En raison de cette jurisprudence antérieure, un débitant peu scrupuleux qui avait obtenu des avantages financiers d'une première brasserie, à laquelle il était lié par une clause de bière, pouvait dissimuler l'existence de cette clause et signer un deuxième contrat avec une brasserie différente, à moindres frais. Le débitant savait que la première brasserie ne pouvait pas se faire rembourser, son contrat étant nul. Selon les parties, c'était uniquement pour éviter des litiges résultant de cette jurisprudence que la convention s'appliquait à toute clause de bière "[.] quelle que soit sa validité juridique, et/ou sa durée, et/ou son opposabilité [.]" (article 2 de la convention). Par conséquent, elles estiment que cette expression n'ajoutait rien aux obligations des parties.

(31) Bofferding ajoute qu'en tout état de cause les articles 8 et 9 de la convention, relatifs à la conciliation et à l'arbitrage, prévalaient sur l'article 2 dans cette première situation. En cas de litige, ces articles auraient assuré l'application des règles de droit, y compris celles relatives à la validité des clauses de bière. Enfin, Bofferding affirme que, lorsqu'elle appliquait le système d'information préalable prévu par l'article 5, elle demandait à voir une copie de toute clause de bière qui lui était opposée par une autre brasserie et qu'elle ne respectait que les contrats exclusifs en cours et valides (sous réserve de la question de l'indétermination des quantités et des prix).

(32) La deuxième situation concerne les contrats de fourniture valides au regard du droit civil luxembourgeois. En ce qui concerne ces contrats, Bofferding explique que la jurisprudence luxembourgeoise posait - et continue de poser - d'autres problèmes. Tout d'abord, une brasserie qui conclut une clause de bière avec un débitant déjà lié à une autre brasserie par une clause de bière valide - par exemple, parce que le débitant dissimule l'existence de cette clause - s'exposerait à une action en tierce complicité. En effet, la brasserie se rend complice de la violation du premier contrat par le débitant et est responsable in solidum avec celui-ci. De plus, les brasseries luxembourgeoises ne disposeraient pas de remèdes juridictionnels efficaces pour assurer le respect de leurs clauses de bière. En particulier, le code civil luxembourgeois ne prévoirait que le paiement de dommages-intérêts pour remédier à la violation de ces contrats et ne permettrait pas, en général, au brasseur de faire respecter le contrat par une demande en exécution. La procédure en référé ne fournirait pas non plus un instrument efficace et une assignation au fond impliquerait une procédure pouvant durer au moins trois ans.

(33) Pour ces contrats de fourniture valides, Bofferding estime que, s'il y a restriction de concurrence, celle-ci résulte uniquement de l'engagement d'achat exclusif par le débitant contenu dans ces contrats, et non pas de la convention. Selon cette partie, il n'existait aucune protection après l'expiration d'une clause de bière et le débitant pouvait toujours rompre son contrat et en assumer les conséquences. Elle ajoute que ni le but, ni l'effet des règles de concurrence ne peuvent être de faciliter la violation des contrats.

(34) Par ailleurs, Bofferding estime que la convention ne saurait constituer une infraction " par objet", les restrictions de concurrence par objet étant généralement limitées aux accords sur les prix ou aux partages de territoire absolus. Elle avance, en outre, que la Commission ne pouvait conclure à l'existence d'une restriction par objet sans étudier le contexte juridique et économique de la convention, ainsi que le comportement des parties. Elle s'appuie, à cet égard, sur les arrêts IAZ (45) et Volkswagen (46).

2.1.2. DISPOSITIONS VISANT LES BRASSERIES ÉTRANGÈRES (PARTIES TIERCES À LA CONVENTION)

(35) En ce qui concerne les articles 11 et 12 de la convention visant les brasseurs étrangers, Bofferding observe que ceux-ci sont restés lettre morte. Elle estime que la remarque du directeur de la fédération des brasseurs luxembourgeois (47) à propos des brasseurs étrangers n'a pas d'importance et n'engage que lui-même.

(36) Wiltz se demande comment les brasseries signataires auraient pu se réserver la priorité de démarchage par la procédure de consultation, étant donné qu'un contrat de bière se conclut entre une brasserie et un débitant et que ce dernier reste libre de se vendre au plus offrant, que ce soit une brasserie luxembourgeoise ou étrangère.

(37) Wiltz soutient en outre que l'article 11, qui permet la dénonciation de la convention à l'encontre d'une partie qui fusionne ou coopère avec un brasseur étranger, n'a pas d'effet sur la concurrence, étant donné qu'il constitue une faculté et non pas une obligation. Comme Bofferding, elle estime que la remarque du directeur de la Fédération des brasseurs luxembourgeois est sans pertinence.

2.2. ABSENCE D'UNE RESTRICTION DE CONCURRENCE SENSIBLE

(38) Bofferding estime qu'en tout état de cause la Commission n'a pas établi le caractère sensible des prétendues restrictions de concurrence et qu'elle a négligé de définir le marché pertinent, d'analyser la structure du marché ainsi que la position des parties sur ce marché.

(39) Bofferding et Wiltz se prévalent également de la communication de la Commission concernant les accords d'importance mineure qui ne sont pas visés par les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne (48) (communication de minimis) et notamment de son point 19, dont il résulte que la Commission n'appliquera pas l'article 85, paragraphe 1, du traité aux accords entre petites et moyennes entreprises (PME). En outre, Bofferding affirme que la réserve prévue par le point 20 de la communication de minimis, qui permet à la Commission d'intervenir néanmoins à l'égard des accords entre PME, lorsque ceux-ci entravent de manière significative la concurrence dans une partie substantielle du marché en cause, ne s'applique pas en l'espèce.

2.3. MISE EN OEUVRE DE LA CONVENTION

(40) Bofferding prétend que la mise en œuvre de la convention s'est limitée à la règle de l'information préalable, ainsi qu'à un seul cas de conciliation et que les dispositions visant les brasseurs étrangers n'ont pas été appliquées.

(41) Wiltz soutient qu'elle n'a appliqué aucune disposition de la convention et constate que l'article 11 n'a pas été appliqué contre Diekirch et Mousel, malgré leur coopération avec Interbrew.

2.4. ABSENCE D'EFFETS

(42) Bofferding estime que la convention n'a eu aucun effet, que ce soit sur la concurrence entre les parties ou sur le commerce entre États membres. En ce qui concerne les effets réels, elle s'appuie notamment sur la fluctuation des parts de marché de certaines brasseries signataires et l'augmentation des importations durant la période couverte par la convention, ainsi que le niveau relativement élevé des importations comparé à la situation dans d'autres États membres. Wiltz observe, d'une part, qu'entre 1989 et 1998 les importations de bière au Luxembourg ont augmenté de 200 % et, d'autre part, que, malgré la convention, Interbrew a bien pénétré le marché luxembourgeois.

(43) S'agissant des effets potentiels sur le commerce interétatique, Bofferding estime que, pour qu'un accord dont l'exécution se limite au territoire d'un seul État membre puisse affecter le commerce interétatique, il faut qu'il y ait des répercussions sur les prix ou qu'il renforce un cloisonnement national. Elle affirme que la Commission ne peut pas se limiter à faire référence à l'objet de la convention ou à la part des ventes des parties dans le secteur concerné. Enfin, elle considère que la Commission n'a pas démontré comment les restrictions convenues entre les brasseries vis-à-vis des débitants pourraient affecter le commerce entre États membres.

3. APPRÉCIATION JURIDIQUE

3.1. INFRACTION À L'ARTICLE 81, PARAGRAPHE 1, DU TRAITÉ

(44) L'article 81, paragraphe 1, du traité dispose que "sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises [.] qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, et notamment ceux qui consistent à [.] répartir les marchés [.]".

3.1.1. ACCORD ENTRE ENTREPRISES

(45) La convention est un accord au sens de l'article 81, paragraphe 1, du traité.

(46) Les cinq entreprises signataires de la convention mentionnées au considérant 3 (dont deux ont entre-temps fusionné) sont des entreprises au sens de l'article 81, paragraphe 1, du traité.

3.1.2. RESTRICTION DE CONCURRENCE PAR OBJET

(47) La convention a pour objet, en premier lieu, de restreindre la concurrence entre les brasseries signataires, par le maintien de leurs clientèles respectives dans le secteur Horeca au Luxembourg. C'est ce qui résulte des articles 4 et 5 de la convention, ainsi que des articles 6 et 7 qui prévoient des sanctions en cas de violation de ces dispositions (considérants 48 à 66). En outre, la convention vise à entraver la pénétration du secteur Horeca luxembourgeois par les brasseries étrangères. Ce second objet restrictif de la concurrence ressort en particulier de la deuxième déclaration annexée à la convention (considérants 67 à 73).

3.1.2.1. Restriction de la concurrence entre les brasseries luxembourgeoises

(48) L'article 4 de la convention interdit strictement à chaque brasserie signataire et à ses dépositaires de fournir de la bière aux débits "garantis" aux autres brasseries luxembourgeoises (49). La Commission exposera tout d'abord que cette interdiction s'applique à trois cas de figure et comporte une restriction de concurrence dans chacun de ces cas :

1) absence d'un contrat de fourniture ou d'une clause de bière (considérants 50 et 51) ;

2) existence d'une clause de bière invalide ou inopposable (considérants 52 à 55) ;

3) existence d'une clause de bière valide (considérants 56 à 58).

La Commission soutiendra ensuite que les restrictions de concurrence en cause doivent être qualifiées de restrictions par objet, et ce malgré le contexte juridique dans lequel celles-ci doivent - selon les parties - être placées (considérants 59 à 63).

(49) L'article 5 de la convention relatif à la procédure d'information préalable doit être lu en combinaison avec l'article 4 dans la mesure où il vise à assurer l'application effective de ce dernier (considérant 64).

1. Absence d'un contrat de fourniture ou d'une clause de bière

(50) L'interdiction de l'article 4 s'applique dans ce cas quand une brasserie signataire finance l'équipement d'un débit ou prend un droit de cabaretage, mais ne conclut pas de contrat avec le débitant ou ne lui impose pas de clause d'achat exclusif (50). Dans cette situation, la restriction de concurrence est évidente : la convention empêche un débitant qui est fourni par une brasserie luxembourgeoise, sans être lié par une clause d'achat exclusif, de s'approvisionner auprès d'autres brasseries luxembourgeoises. Ainsi, d'une part, la première brasserie maintient sa clientèle et, d'autre part, la liberté d'action du débitant et des brasseries tierces est limitée.

(51) La Commission considère que le motif allégué par Bofferding pour l'application de la convention à ce premier cas de figure n'est pas convaincant (51). D'abord, il est difficile de voir l'intérêt pour Diekirch d'étendre la protection de la convention à des contrats financés par son concurrent, Bofferding, et conclus par une brasserie étrangère, Binding. Ensuite, la modification semble peu adaptée au but allégué : au lieu de traiter expressément les transactions impliquant une brasserie tierce, elle élargit la définition d'une clause de bière de manière plus générale. Enfin, et en tout état de cause, les justifications avancées par Bofferding tenant à l'impact de la jurisprudence ne couvrent manifestement pas ce premier cas de figure.

2. Existence d'une clause de bière invalide ou inopposable

(52) L'interdiction de l'article 4 s'applique également quand une brasserie signataire conclut une clause d'achat exclusif qui n'est pas valide ou opposable en droit ["quelle que soit sa validité juridique, et/ou sa durée, et/ou son opposabilité" (52)]. Dans ce cas, la convention va au-delà des restrictions imposées par la loi dans la mesure où elle oblige les parties à respecter des clauses de bière qui, soit ne sont pas valides au regard des règles du droit civil national ou du droit de la concurrence, soit sont inopposables, par exemple en raison d'une violation des obligations contractuelles du brasseur envers le débitant. Ainsi, les parties réduisent leur liberté d'action et s'accordent des avantages, en termes de maintien de leur clientèle et de sécurité juridique, qu'ils n'obtiendraient pas dans des conditions normales de concurrence.

(53) Il est tout d'abord inexact d'affirmer, comme le fait Bofferding (53), que l'article 2 n'ajoute rien aux obligations légales des parties. Au contraire, si la convention oblige les parties à respecter des contrats d'achat exclusif invalides en vertu de la jurisprudence luxembourgeoise de l'époque, elle va clairement au-delà des obligations résultant du droit civil tel qu'interprété par les tribunaux nationaux. Par ailleurs, Bofferding se contredit lorsqu'elle affirme, d'une part, que le seul but de l'article 2 était de surmonter le problème de l'annulation des contrats posé par la jurisprudence et, d'autre part, qu'en cas de litige les clauses relatives à la conciliation et à l'arbitrage prévalaient sur cet article et donc que les règles du droit auraient été applicables, y compris celles sur la validité des contrats (54).

(54) De plus, le courant jurisprudentiel qui menait à l'annulation des contrats pour cause d'indétermination des prix ou des quantités n'existe plus au Luxembourg depuis mars 1996 (55). Or, les parties n'ont pas pour autant mis fin à la convention à cette date.

(55) En outre, contrairement aux observations des parties (56), l'expression "quelle que soit sa validité juridique, et/ou sa durée, et/ou son opposabilité" ne concerne pas uniquement les contrats invalides en raison de l'indétermination des prix ou des quantités à livrer. En effet, cette expression générale étend la garantie de l'article 4 à des contrats qui seraient invalides ou inopposables également pour d'autres motifs. Par exemple, l'avocat de Bofferding s'est prévalu de l'applicabilité de la convention (57) dans un litige qui concernait la résiliation anticipée d'une clause de bière par le débitant (58) et non pas son invalidité pour cause d'indétermination des prix ou des quantités. Ainsi, l'affirmation de Bofferding selon laquelle elle n'appliquait la convention qu'aux seuls contrats en cours et valides en droit (sous réserve de la question de l'indétermination des prix ou des quantités) (59) est démentie. En tout état de cause, le fait que l'une des parties à un accord choisisse unilatéralement de limiter sa mise en œuvre à certains cas de figure n'affecte pas l'interprétation de cet accord. Si les parties visaient uniquement le problème posé par ce courant jurisprudentiel, elles auraient pu employer une expression mieux adaptée.

3. Existence d'une clause de bière valide

(56) L'article 4 s'applique également à des clauses de bière qui sont valides et opposables en droit. Même dans ce cas, la convention est plus restrictive que les règles du droit civil national. En premier lieu, l'interdiction imposée aux brasseries signataires par l'article 4 est plus large que l'obligation de non-concurrence imposée à certains débitants. En effet, il s'avère que les clauses de bière conclues par certaines parties (60) ont été rédigées en conformité avec le règlement (CEE) n° 1984-83 de la Commission du 22 juin 1983 concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords d'achat exclusif (61), modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 1582-97 (62), et notamment son article 7, paragraphe 1. Dès lors, l'obligation imposée au débitant de ne pas distribuer des bières offertes par des brasseurs tiers se limite aux bières du même type que celles livrées par le brasseur contractant. L'article 4 de la convention est plus restrictif dans la mesure où il interdit "toute vente de bière dans un débit garanti [.] à l'une des autres brasseries signataires", le type de bière concerné étant indifférent. Par conséquent, aux termes de son contrat, le débitant était libre d'acheter auprès de brasseurs tiers les types de bière non précisés dans ce contrat, mais la convention empêchait les autres brasseries luxembourgeoises de lui fournir ces autres types de bière.

(57) En deuxième lieu, la convention interdit complètement toute fourniture à un débit garanti à une autre brasserie signataire, alors que la sanction prévue par le droit civil pour de telles fournitures se limite - aux dires des parties - au paiement de dommages-intérêts (63). Pour diverses raisons, qu'il s'agisse d'une dégradation de la qualité des prestations du premier brasseur contractant, ou d'un besoin de nouveaux équipements, de produits ou de services que ce brasseur ne peut pas ou ne veut pas lui offrir, il est possible qu'un débitant souhaite rompre son contrat pour s'approvisionner auprès d'un brasseur concurrent, en assumant avec ce dernier les conséquences financières. Or, la convention rend inopérante cette possibilité d'arbitrage par les débitants, étant donné qu'elle interdit aux brasseries concurrentes d'approvisionner le débitant en cause. Elle sert donc à préserver des relations brasseur-débitant inefficaces.

(58) Ainsi, il est inexact d'affirmer, comme le fait Bofferding (64), que la restriction de concurrence résulte uniquement du contrat d'achat exclusif ou qu'il s'agit d'employer les règles communautaires de la concurrence pour faciliter la violation des contrats. Au contraire, il s'agit d'empêcher des entreprises concurrentes de s'imposer des restrictions qui vont au-delà des règles du droit civil. Il est de jurisprudence constante que si la concurrence dans un secteur est déjà limitée par une législation nationale - par exemple, par la règle de tierce complicité qui sanctionne un brasseur qui fournit un débitant en violation d'une clause de bière valable - cela ne saurait justifier une entente qui impose des restrictions et des sanctions supplémentaires (65).

(59) Que la convention comporte des restrictions de concurrence par objet résulte, en premier lieu, du fait, non contesté par les parties, qu'elle s'applique même dans des cas où aucun contrat de fourniture ou clause de bière n'existe et ne peut donc faire l'objet d'un quelconque litige (considérant 50).

(60) En deuxième lieu, il convient de rappeler que la convention du 8 octobre 1985 a été précédée de plusieurs autres accords entre brasseurs luxembourgeois (66), par exemple la convention du 1er septembre 1966 impliquant toutes les entreprises concernées par la présente affaire, ainsi que les conventions du 13 juin 1975 et du 28 avril 1983 impliquant Bofferding et Mousel. Ces conventions antérieures obligeaient déjà les brasseries signataires au respect total de leurs clientèles respectives, sans se référer à une clause d'achat exclusif, ni faire état par ailleurs d'aucun problème d'insécurité juridique. L'interprétation de la convention ne peut pas être entièrement dissociée de ce contexte historique, qui est de nature à mettre en doute le motif d'insécurité juridique avancé par les parties pour justifier la convention de 1985.

(61) En troisième lieu,l'appréciation de l'objet d'un accord au regard de l'article 81, paragraphe 1, du traité ne dépend pas des intentions subjectives des parties. Si l'accord est manifestement de nature à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence, il constitue une restriction par objet, même à supposer que les parties visaient d'autres objectifs légitimes (67).

(62) En quatrième lieu, la Commission souligne que le problème de l'insécurité juridique évoqué par les parties ne se limite pas aux contrats de fourniture de bière au Luxembourg. Selon les règles du droit civil national applicables, ce type de problème affecte divers types de contrats dans divers secteurs industriels et dans différents États membres. Il fait partie de l'ensemble des risques commerciaux auxquels les entreprises doivent faire face. Chaque entreprise doit affronter ces risques de manière autonome. Ce problème ne justifie pas une entente dont le bénéfice est réservé aux entreprises nationales et, dès lors, ne mérite pas une dérogation à l'article 81, paragraphe 1, du traité, qui constitue une disposition d'ordre public (68).

(63) Pour conclure au sujet de l'article 4 de la convention, la Commission estime qu'en réfutant tous les arguments des parties elle a tenu compte, à la demande des parties, du contexte juridique, même si elle n'en a pas l'obligation lorsqu'il s'agit "[.] d'un accord comportant des restrictions patentes de la concurrence comme la fixation des prix, la répartition du marché ou le contrôle des débouchés [.]" (69). La Commission relève, par ailleurs, que le directeur de la fédération des brasseurs luxembourgeois, auquel la convention réserve un rôle central en cas de litige, a explicitement reconnu l'invalidité juridique de la convention. En effet, lors d'une réunion de conciliation entre Bofferding et Diekirch, il a observé que " [.] même si les dispositions inter-brasseries n'ont pas de valeur juridique, il y a l'esprit qu'on y a mis et qui domine" (70).

(64) L'article 5 de la convention prévoit une procédure de consultation entre brasseries signataires avant toute fourniture à un nouveau débit et renforce ainsi la restriction de concurrence de l'article 4 en assurant son application effective. En effet, aucune demande d'un nouveau client ne pourra être satisfaite avant que le brasseur signataire ne se soit assuré que ce client n'est pas lié auprès de l'un des autres brasseurs contractants.

(65) En réalité, le seul moyen dont disposaient les parties pour faire respecter l'interdiction énoncée à l'article 4 et, le cas échéant, déclencher les procédures de conciliation et d'arbitrage prévues aux articles 8 et 9, était de s'informer mutuellement sur l'existence d'une clause de bière avant de fournir un nouveau débit. Le rôle central de l'article 5 comme instrument de mise en œuvre de la convention ressort clairement du compte rendu de la réunion de la fédération des brasseurs luxembourgeois du 29 mars 1988, où le directeur souligne l'importance de respecter cet article dans le contexte d'un litige opposant deux parties à la convention (71). Par ailleurs, Bofferding a bien précisé que "[.] la règle de l'information préalable a été dans la majorité des cas appliquée" (72).

(66) La Commission observe enfin que les indemnités et amendes prévues par les articles 6 et 7 de la convention (73) constituent des sanctions "privées", qui visent à renforcer les obligations imposées par les articles 4 et 5 de la convention. Encore une fois, ces sanctions vont au-delà des remèdes prévus par le droit civil en cas de rupture par un débitant d'une clause de bière. En effet, elles s'ajoutent aux dommages-intérêts qui seraient payables par la partie défenderesse dans une action en tierce complicité. Même si ces sanctions n'ont pas été appliquées, elles ont bien été invoquées par les parties à plusieurs reprises (74).

3.1.2.2. Restriction de concurrence entre brasseries luxembourgeoises et étrangères

(67) La convention a un deuxième objet restrictif de la concurrence : celui d'entraver la pénétration du secteur Horeca luxembourgeois par les brasseries étrangères. Ainsi, lorsqu'un débit lié à l'une des parties est démarché par un brasseur étranger, la deuxième déclaration annexée à la convention (75) prévoit, tout d'abord, une consultation entre les parties afin de réserver la priorité de démarchage à l'une des "consoeurs luxembourgeoises" puis, dans le cas où ce démarchage aboutirait, un mécanisme compensatoire d'échange de débits entre les deux parties concernées. Cette collusion entre les parties vise à éviter la conclusion par des brasseurs étrangers de contrats exclusifs avec les débitants luxembourgeois.

(68) Cet objet est confirmé par les remarques du directeur de la fédération des brasseurs luxembourgeois rapportées dans le compte rendu de la réunion de conciliation du 19 mars 1996 (76) "Il s'agit d'éviter [.] l'arrivée massive des brasseries étrangères sur notre marché". Bien que ces remarques n'engagent pas les parties, elles ont été prononcées lors d'une réunion relative à l'application de la convention. Dès lors, il y a lieu d'en tenir compte aux fins d'interpréter celle-ci.

(69)Ce deuxième objet de la convention ne peut pas être dissocié du premier dans la mesure où une restriction de la pénétration du secteur Horeca luxembourgeois par les brasseurs étrangers contribue à préserver la stabilité des rapports entre les signataires de la convention.Comme la Cour de justice l'a déjà constaté, dans le cas d'un marché perméable aux importations, les membres d'une entente nationale ne peuvent assurer son efficacité que s'ils se protègent contre la concurrence étrangère (77). En l'espèce, les dispositions défensives sont de deux types. Premièrement, la procédure de consultation et de priorité de démarchage sert à contrer les efforts de démarchage des brasseurs étrangers. Deuxièmement, ces dispositions sont renforcées par l'article 11, ainsi que par la première déclaration annexée, concernant la distribution d'une bière étrangère par Battin (78), qui dissuadent les parties de toute coopération avec des brasseries étrangères et leur permettent d'exclure ces dernières des avantages de la convention.

(70) Ce lien étroit entre les deux objets de la convention s'exprime en particulier à deux endroits dans la convention. En premier lieu, le système de consultation et de priorité de démarchage est assorti d'un mécanisme de compensation entre les parties, afin de rééquilibrer le nombre de débits liés à chacune. En deuxième lieu, la déclaration concernant la distribution de bières étrangères par Battin vise à préserver "l'équilibre actuel de la distribution", ce qui indique que les parties estimaient que le secteur concerné bénéficiait d'un certain équilibre qui méritait d'être protégé.

(71) En ce qui concerne l'observation de Wiltz relative à la prétendue inefficacité du système de priorité de démarchage (79), la Commission rappelle, en premier lieu, que l'efficacité d'un accord n'est pas une condition de l'applicabilité de l'article 81, paragraphe 1, du traité. En deuxième lieu, elle observe qu'indépendamment de la liberté des débitants cette procédure de consultation servait à avertir les parties des projets de démarchage des brasseurs étrangers et leur permettait d'y réagir. Elles n'auraient pas bénéficié de cet avantage dans des conditions de concurrence normales.

(72)D'autres dispositions de la convention renforcent ce deuxième objet restrictif. Ainsi l'article 11, en prévoyant la possibilité de dénoncer la convention à l'égard d'une brasserie contractante qui coopérerait avec une brasserie étrangère, vise à décourager toute coopération qui provoquerait une augmentation des importations de produits concurrents. Malgré l'observation de Wiltz (80), la Commission estime que cette disposition, bien qu'elle ne constitue pas une restriction en elle-même, est susceptible d'exercer une influence dissuasive sur le comportement des parties. Ainsi, toute partie qui envisage une coopération avec une brasserie étrangère sait que cela pourrait mener à son exclusion des avantages de la convention.

(73) De même, la première déclaration annexée à la convention concernant la distribution d'une bière étrangère par Battin (81) réserve aux parties le droit de dénoncer la convention à l'égard de cette brasserie si sa distribution de bière étrangère se modifiait de manière à "troubler l'équilibre actuel de la distribution". Cette déclaration démontre l'intention des parties de contrôler la distribution de bières étrangères dans le secteur Horeca luxembourgeois.

3.1.3. RESTRICTION DE CONCURRENCE SENSIBLE

(74) Bofferding observe que la Commission n'a pas établi le caractère sensible des restrictions de concurrence (82). À cet égard, il convient de rappeler, premièrement, que les parties ont limité la portée de la convention au secteur Horeca luxembourgeois. Cela indique qu'elles considéraient que leur position dans ce secteur était suffisamment importante et que les conditions de concurrence y étaient suffisamment différentes des autres secteurs et des pays limitrophes pour assurer l'efficacité de la convention.

(75) Deuxièmement, compte tenu de leur propre production et de leur distribution de bières importées, les parties contrôlent environ 85 % des ventes de bière dans le secteur concerné (83). En outre, plus de la moitié des débits de boissons luxembourgeois leur est lié par une clause de bière (84). Dès lors, la Commission conclut que la convention était susceptible de restreindre la concurrence dans ce secteur de manière sensible.

(76) Quant à l'observation de Bofferding relative à la définition du marché pertinent (85), la Commission rappelle que la prise en compte du contexte économique ainsi que de la structure du marché concerné n'est pas nécessaire dans le cas d'un accord comportant des restrictions patentes de la concurrence comme la répartition du marché (86).

3.1.4. AFFECTATION SENSIBLE DU COMMERCE ENTRE ÉTATS MEMBRES

(77) Il est de jurisprudence constante qu'un accord entre entreprises, pour être susceptible d'affecter le commerce entre États membres, doit, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres, dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre États (87).

(78) Or, la convention est susceptible d'exercer une telle influence sur les courants d'échanges entre le Luxembourg et d'autres États membres. L'un des objets de la convention est précisément de restreindre la pénétration du secteur Horeca luxembourgeois par des brasseries établies dans les autres États membres(88). À cette fin, elle prévoit un dispositif défensif qui réserve la priorité de démarchage aux brasseries signataires (89), ainsi qu'une clause visant à limiter la coopération avec des brasseries étrangères (90). L'objet est donc de préserver le statu quo en ce qui concerne le commerce de bière à partir des autres États membres vers le secteur Horeca luxembourgeois et ainsi de cloisonner le territoire national. À cet égard, il faut rappeler que toutes les principales entreprises de brasserie luxembourgeoises ont participé à la convention et que celles-ci contrôlent environ 85 % des ventes de bière dans le secteur Horeca au Luxembourg (91).

(79) En ce qui concerne les observations de Bofferding et de Wiltz relatives à l'absence d'effets réels (92), la commission rappelle que l'article 81, paragraphe 1, du traité n'exige pas qu'il soit établi qu'un accord ait eu pour effet d'influencer sensiblement les échanges entre États membres, mais requiert qu'un accord soit de nature à avoir un tel effet(93). Or, la commission ne soutient pas que la Convention ait produit des effets réels sur le commerce entre États membres. Elle maintient toutefois qu'au regard des dispositions de la convention et de la position des parties dans le secteur Horeca luxembourgeois, la convention était susceptible d'affecter sensiblement ce commerce.

(80) Quant aux observations de Bofferding relatives à l'absence d'effets potentiels sur le commerce entre États membres (94), la Commission rappelle tout d'abord que le fait qu'une entente n'ait pour objet que la commercialisation des produits dans un seul État membre ne suffit pas pour exclure que le commerce entre États membres puisse être affecté(95). En l'espèce, elle considère que, compte tenu des dispositions de la convention visant les brasseurs étrangers, l'effet potentiel de cloisonnement du territoire national est clairement établi(96).

(81) En ce qui concerne l'effet potentiel sur le commerce interétatique des restrictions entre brasseries signataires vis-à-vis des débitants, il y a lieu de rappeler, en premier lieu, que l'article 81, paragraphe 1, du traité n'exige nullement que toute clause d'un accord, prise isolément, puisse affecter le commerce interétatique : il faut plutôt examiner les effets de l'accord dans son ensemble(97). En second lieu, il est impossible de dissocier les restrictions de la Convention qui visent le maintien des clientèles des parties de celles qui visent à entraver la pénétration des brasseurs étrangers. Comme cela a été exposé plus haut (98), ces deux types de restrictions sont interdépendantes. Enfin, compte tenu du fait que les restrictions entre brasseurs signataires vis-à-vis des débitants ont pour objet de maintenir la clientèle des parties, ces restrictions confèrent aux parties un avantage dont les brasseurs étrangers sont exclus. Cette discrimination en faveur des brasseurs nationaux est également susceptible d'influencer le commerce vers ce secteur à partir des autres États membres.

3.1.5. LA COMMUNICATION DE MINIMIS

(82) Contrairement aux observations des parties (99), la Commission considère que celles-ci ne peuvent pas se prévaloir de la communication de minimis, et ceci pour deux raisons. Tout d'abord, la convention ne peut pas être considérée comme un accord entre PME, étant donné que Diekirch et Mousel ne remplissent pas les conditions de la recommandation de la Commission du 3 avril 1996 concernant la définition des petites et moyennes entreprises (100). En effet, afin de bénéficier de cette définition, une entreprise ne doit pas être détenue à hauteur de 25 % ou plus du capital par une entreprise ne correspondant pas à la définition d'une PME. Or, le groupe Interbrew détient une participation d'au moins [.] % dans le capital de Diekirch depuis janvier 1986, c'est-à-dire pendant toute la durée de la convention hormis les trois premiers mois, ainsi qu'une participation d'au moins [.] % dans le capital de Mousel depuis septembre 1999. Lorsque des PME concluent un accord restrictif de la concurrence avec des entreprises plus importantes, cet accord ne peut pas bénéficier de la dérogation prévue par le point 19 de la communication de minimis.

(83) Ensuite, en ce qui concerne les seuils d'applicabilité prévus par le point 9 de la communication de minimis, il faut rappeler que, selon le point 11 de cette communication, l'applicabilité de l'article 81, paragraphe 1, du traité n'est pas exclue en dessous de ces seuils lorsqu'il s'agit d'un accord horizontal ayant pour objet de répartir les marchés. Dans ce cas, la Commission réserve son droit d'intervenir, notamment si l'accord porte atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur. Or, comme cela a été démontré ci-dessus, l'un des objets de la convention est de cloisonner le territoire luxembourgeois, ce qui est contraire aux principes du marché commun.

(84) Par ailleurs, et sans préjudice des observations du considérant 82, ce droit d'intervention est également réservé pour les accords entre PME qui "entravent de manière significative la concurrence dans une partie substantielle du marché en cause" (101). Or, les restrictions prévues par la convention (partage de clientèle et cloisonnement du territoire national) sont, de par leur nature, significatives. En outre, le secteur concerné par la convention, comprenant tout le territoire du Luxembourg, constitue une partie substantielle du marché en cause, quelle que soit la délimitation géographique de ce marché. Par conséquent, la Commission estime qu'elle est en droit d'intervenir à l'égard de la convention.

(85) Pour résumer, la convention a pour objet de restreindre la concurrence dans le secteur Horeca de la bière au Luxembourg et elle est susceptible d'affecter sensiblement le commerce entre États membres. Elle est donc visée par l'interdiction édictée à l'article 81, paragraphe 1, du traité.

3.2. DURÉE DE L'INFRACTION

(86) La convention a été conclue le 8 octobre 1985. Selon son article 12, elle a été conclue pour une durée indéterminée et ne pouvait être dénoncée par les parties que moyennant un préavis de douze mois (102). Suite à l'envoi de la communication des griefs dans la présente affaire en octobre 2000, toutes les parties sauf Battin ont informé la Commission qu'elles avaient formellement dénoncé la convention par courrier aux autres parties. La convention est donc restée formellement en vigueur jusqu'en octobre 2000. Cependant, Interbrew a informé la Commission le 16 février 2000 qu'elle avait donné instruction à ses filiales Mousel et Diekirch de mettre fin à la mise en œuvre de la convention. Par conséquent, au bénéfice de toutes les parties, la Commission conclut que l'infraction a cessé à cette date. Elle a donc duré plus de quatorze ans.

3.3. DESTINATAIRES DE LA PRÉSENTE DÉCISION

(87) Il convient d'adresser la présente décision aux entreprises directement impliquées dans l'infraction, c'est-à-dire les parties à la convention. Cependant, suite à l'absorption de Diekirch par Mousel (103) et à la modification de la raison sociale de cette dernière, la décision sera adressée à Brasserie de Luxembourg Mousel-Diekirch pour autant qu'elle vise Diekirch et Mousel.

3.4. APPLICATIONDE L'ARTICLE 15, PARAGRAPHE 2, DU RÈGLEMENT n° 17

(88) En vertu de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission peut infliger des amendes, dans les limites définies par cet article, lorsque de propos délibéré ou par négligence, des entreprises ont commis une infraction aux dispositions de l'article 81, paragraphe 1, du traité.

3.4.1. IMPOSITION D'UNE AMENDE

(89) Une infraction aux règles de concurrence communautaires est considérée comme étant commise de propos délibéré si les intéressés sont conscients que l'acte en question a pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence. Il importe peu qu'ils aient en outre conscience d'enfreindre une disposition du traité (104). Or, en ce qui concerne les dispositions visant les brasseurs étrangers, la Commission considère que les parties ne pouvaient ignorer leur objet restrictif. D'ailleurs, aucune justification n'a été avancée par les parties quant à ces dispositions. Quant aux restrictions de concurrence entre les brasseries signataires résultant du respect réciproque des clauses de bière, il est possible que lors de la conclusion de la convention et jusqu'en mars 1996, les parties aient pu être motivées par l'insécurité juridique créée par la jurisprudence luxembourgeoise sur l'indétermination des prix ou des quantités (105). Cependant, cette motivation a disparu en mars 1996, date du revirement de la jurisprudence.

(90) Par conséquent, la Commission conclut que les parties ont commis l'infraction de propos délibéré, même si le courant jurisprudentiel luxembourgeois a pu créer un doute sur le caractère infractionnel de certaines clauses pendant une certaine période.

3.4.2. MONTANT DE L'AMENDE

(91) Pour déterminer le montant de l'amende, la Commission doit prendre en compte tous les éléments pertinents et, notamment, la gravité et la durée de l'infraction.

3.4.2.1. Gravité de l'infraction

(92) En ce qui concerne la gravité de l'infraction, la Commission tient compte de sa nature, de son impact concret sur le marché lorsqu'il est mesurable et de l'étendue du marché géographique concerné. En l'espèce, l'infraction vise à maintenir les clientèles et par conséquent les parts de marché des principales entreprises de brasserie établies au Luxembourg, ainsi qu'à restreindre la pénétration du secteur Horeca luxembourgeois par les brasseries étrangères. Elle constitue donc l'une des infractions les plus graves à l'article 81, paragraphe 1, du traité. Toutefois, la portée de l'infraction est limitée au secteur Horeca et aux seuls débits liés aux parties par une clause d'achat exclusif (106). Par ailleurs, les éléments de preuve à la disposition de la Commission ne permettent pas de conclure que la restriction visant les brasseurs étrangers a été mise en œuvre. Enfin, la convention ne s'applique qu'au Luxembourg. Or, le territoire de cet État membre est relativement peu étendu et il constitue le marché le moins important de la Communauté en ce qui concerne le volume total de bière consommée.

(93) Par conséquent, la Commission qualifie l'infraction de grave.

(94) Il est en outre nécessaire de prendre en compte la capacité économique effective des entreprises à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, tout en déterminant le montant de l'amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif.

(95) Lorsqu'il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises concernées, il convient de pondérer le montant déterminé afin de tenir compte du poids spécifique du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence. Or, les ventes respectives de Wiltz et de Battin dans le secteur Horeca luxembourgeois sont plus de dix fois inférieures à celles de Bofferding, qui ne représentent à leur tour que 60 % des ventes de Brasserie de Luxembourg dans ce secteur (107). Dès lors, il y a lieu de diviser les entreprises concernées en trois groupes en fonction de l'importance de leurs ventes dans le secteur concerné et de fixer le montant retenu pour la gravité pour chaque groupe comme suit :

a) Premier groupe :

Brasserie de Luxembourg : 500 000 euros ;

b) Deuxième groupe :

Bofferding : 250 000 euros ;

c) Troisième groupe :

Wiltz : 15 000 euros,

Battin : 15 000 euros.

(96) Par ailleurs, la Commission relève que Brasserie de Luxembourg appartient au groupe Interbrew, l'un des premiers groupes brassicoles au monde. Afin d'assurer à l'amende un effet suffisamment dissuasif et de tenir compte du fait que les grandes entreprises disposent de connaissances et d'infrastructures juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence, la Commission estime qu'il y a lieu de majorer d'un facteur de trois le montant déterminé au considérant 95 pour cette entreprise. Le montant retenu pour la gravité pour Brasserie de Luxembourg est donc de 1 500 000 euros.

3.4.2.2. Durée de l'infraction

(97) L'infraction a duré plus de quatorze ans (108). Elle a donc été de longue durée. La Commission estime que cela justifie une majoration du montant de départ de 100 %.

(98) Le montant de base des amendes résultant de la gravité et de la durée de l'infraction est donc fixé à :

a) Brasserie de Luxembourg : 3 000 000 d'euros ;

b) Bofferding : 500 000 euros ;

c) Wiltz : 30 000 euros ;

d) Battin : 30 000 euros.

3.4.2.3. Circonstances aggravantes et atténuantes

(99) La Commission estime qu'il n'y a pas de circonstances aggravantes dans la présente affaire.

(100) En ce qui concerne les circonstances atténuantes, le courant jurisprudentiel luxembourgeois qui mettait en cause la validité de certaines clauses de bière a pu créer un doute à l'époque de la conclusion de la convention et jusqu'en mars 1996 (date du revirement de la jurisprudence) sur le caractère infractionnel des restrictions relatives au respect réciproque des clauses de bière. Par conséquent, il convient de réduire l'amende imposée à chaque entreprise de 20 %. (101) Compte tenu de l'ensemble des éléments énumérés aux considérants 91 à 100, le montant des amendes est fixé comme suit :

a) Brasserie de Luxembourg : 2 400 000 euros ;

b) Bofferding : 400 000 euros ;

c) Wiltz : 24 000 euros ;

d) Battin : 24 000 euros.

3.4.3. COMMUNICATION DE LA COMMISSION CONCERNANT LA NON-IMPOSITION D'AMENDES OU LA RÉDUCTION DE LEUR MONTANT

(102) Brasserie de Luxembourg (anciennement Mousel et Diekirch) et sa société mère, Interbrew, se prévalent de l'application de la communication de la Commission concernant la non-imposition des amendes ou la réduction de leur montant et affirment qu'elles remplissent les conditions pour bénéficier d'une réduction d'au moins 75 % de l'amende et pouvant aller jusqu'à la non-imposition totale d'amende, en vertu du titre B de cette communication.

(103) En premier lieu, Interbrew a informé la Commission de l'existence de la convention avant que la Commission ne procède à une vérification et avant qu'elle ne dispose d'autres informations sur cette entente (109).

(104) En deuxième lieu, en faisant parvenir le texte de la convention à la Commission, Interbrew a été la première entreprise à fournir des éléments déterminants pour prouver l'existence de l'entente.

(105) En troisième lieu, Diekirch et Mousel ont mis fin à leur participation à l'activité illicite avant que la Commission n'en soit informée. En effet, lorsqu'elle a informé la Commission de l'existence de la convention, Interbrew a également confirmé qu'elle avait pris les mesures nécessaires pour que ses filiales mettent fin à sa mise en œuvre.

(106) En quatrième lieu, Interbrew a fourni à la Commission toutes les preuves dont disposaient ses filiales Mousel et Diekirch relatives à la convention, allant au-delà des informations exigées par les demandes de renseignements de la Commission. Elle a, en outre, maintenu une coopération permanente et totale au cours de l'enquête et n'a pas contesté la matérialité des faits reprochés aux entreprises participantes dans la communication des griefs.

(107) Enfin, il n'y a aucune indication qu'Interbrew ou ses filiales aient contraint une autre entreprise à participer à l'entente ou qu'elles aient joué un rôle d'initiation ou un rôle déterminant dans l'activité illicite.

(108) Par conséquent, la Commission considère que Brasserie de Luxembourg remplit les conditions énoncées au titre B de la communication de la Commission concernant la non-imposition des amendes ou la réduction de leur montant et, partant, qu'il convient de ne pas imposer d'amende à cette entreprise.

3.4.4. MONTANT FINAL DES AMENDES

(109) Compte tenu de ce qui précède, les amendes imposées en vertu de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 sont les suivantes :

a) Bofferding : 400 000 euros ;

b) Wiltz : 24 000 euros ;

c) Battin : 24 000 euros,

A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION :

Article premier

Brasserie de Diekirch, Brasseries Réunies de Luxembourg Mousel et Clausen, Brasserie Nationale-Bofferding, Brasserie de Wiltz et Brasserie Battin ont enfreint l'article 81, paragraphe 1, du traité en concluant un accord qui avait pour objet de maintenir leurs clientèles respectives dans le secteur Horeca luxembourgeois et d'entraver la pénétration de ce secteur par des brasseurs étrangers.

L'infraction a duré d'octobre 1985 à février 2000.

Article 2

Les amendes suivantes sont infligées :

1) Brasserie Nationale-Bofferding 400 000 euros ;

2) Brasserie de Wiltz 24 000 euros ;

3) Brasserie Battin 24 000 euros.

Article 3

Les amendes infligées sont payables dans un délai de trois mois à compter de la date de notification de la présente décision, au compte bancaire suivant :

Compte n° 642-0029000-95

Commission européenne

Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (BBVA)

IBAN Code : BE76 6420 0290 0095

SWIFT Code : BBVABEBB

Avenue des Arts 43

B-1040 Bruxelles.

À l'issue de ce délai, des intérêts seront automatiquement dus au taux appliqué par la Banque centrale européenne à ses principales opérations de refinancement au premier jour du mois au cours duquel la présente décision a été arrêtée, majorée de 3,5 points de pourcentage.

Article 4

Sont destinataires de la présente décision :

1) Brasserie de Luxembourg Mousel-Diekirch SA, 2, rue de la Tour Jacob, L-1831 Luxembourg ;

2) SA Brasserie Nationale-Bofferding, 2, boulevard J.F. Kennedy, L-4901 Bascharage ;

3) Brasserie de Wiltz, 14, rue Joseph Simon, L-9550 Wiltz ;

4) Brasserie Battin, 22, boulevard J.F. Kennedy, L-4170 Esch/Alzette.

La présente décision forme titre exécutoire, conformément à l'article 256 du traité.

(1) JO 13 du 21.2.1962, p. 204/62.

(2) JO L. 148 du 15.6.1999, p. 5.

(3) JO L. 354 du 30.12.1998, p. 18.

(4) Document n° 37 800, p. 15.

(5) JO C 207 du 18.7.1996, p. 4.

(6) Les informations indiquées ainsi sont considérées comme des secrets d'affaires par la partie concernée.

(7) Hôtels, restaurants, cafés.

(8) Source : réponses de Bofferding du 13 mars 2000 et du 10 mai 2000.

(9) Source : réponses de Diekirch du 8 mars 2000 et du 3 mai 2000.

(10) Source : réponses de Mousel du 8 mars 2000 et du 3 mai 2000.

(11) Source : réponses de Wiltz du 8 mars 2000 et du 2 mai 2000.

(12) Source : réponses de Battin du 10 mars 2000 et du 9 mai 2000.

(13) Source : réponses des parties citées dans les notes 7 à 12 de bas de page.

(14) Source : réponse de Bofferding du 10 mai 2000 (document n° 37 800, p. 680 et 681).

(15) Chiffres indiqués au considérant 3.

(16) Sources : réponse de Bofferding du 10 mai 2000 (document n° 37 800, p. 680), confirmée par la réponse de Diekirch du 2 août 2000 (document n° 37 800, p. 1109) et celle de Wiltz du 2 mai 2000 (document n° 37 800, p. 693).

(17) Source : estimation fournie par Bofferding dans sa réponse du 3 avril 2001 aux questions de la Commission suite à l'audition du 13 mars 2001.

(18) Source : réponses des parties citées dans les notes 7 à 12 et réponse de la Fédération des brasseurs luxembourgeois du 22 mai 2000 (document n° 37 800, p. 699). Une seule partie, Battin, a estimé le nombre de débits au Luxembourg à environ 2 200.

(19) Document n° 37 800, p. 616.

(20) Document n° 37 800, p. 620.

(21) Une licence de débit de boissons.

(22) Document n° 37 800, p. 628.

(23) Source : Lettre des avocats d'Interbrew du 23 mars 2000 (document n° 37 800, p. 476).

(24) Document n° 37 800, p. 20.

(25) Document n° 37 800, p. 21.

(26) Considérant 13.

(27) Document n° 37 800, p. 249.

(28) Document n° 37 800, p. 449.

(29) Document n° 37 800, p. 131.

(30) Document n° 37 800, p. 132.

(31) Réponse de Battin du 10 mars 2000.

(32) Réponse de Bofferding du 13 mars 2000.

(33) Réponse de Diekirch du 13 mars 2000.

(34) Réponse de Bofferding du 13 mars.2000.

(35) Document n° 37 800, p. 70.

(36) Document n° 37 800, p. 216.

(37) Document n° 37 800, p. 252.

(38) Document n° 37 800, p. 337.

(39) Document n° 37 800, p. 339.

(40) Considérant 17 relatif à la procédure de dénonciation de la convention.

(41) Considérant 2.

(42) Considérant 9.

(43) Décisions de la Cour de cassation du 1er décembre 1995 dans les affaires Compagnie atlantique de téléphone contre Sunaco, Cofratel contre Bechtel France, Vassali contre Gagnaire et société Le Montparnasse contre GST Alcatel Bretagne, Gazette du Palais du 8.12.1995.

(44) Jugement commercial II n° 180-96 du Tribunal d'arrondissement de Luxembourg du 6 mars 1996 dans l'affaire Brasserie Nationale contre Jacoby.

(45) Arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a. contre Commission, affaires jointes 96-102, 104, 105, 108 et 110-82, Recueil p. 3369, points 23 à 25.

(46) Arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 6 juillet 2000, Volkswagen contre Commission, T-62-98, Recueil p. II-2707, point 178.

(47) Considérant 25.

(48) JO C 372 du 9.12.1997, p. 13.

(49) Considérant 11.

(50) Considérant 9, interprétation convenue entre les parties lors des réunions du 7 octobre 1986 et du 2 décembre 1986.

(51) Considérant 29.

(52) Considérant 8.

(53) Considérant 30.

(54) Considérant 31.

(55) Considérant 30.

(56) Considérant 30.

(57) Lettre de l'avocat de Bofferding du 19 août 1996, document n° 37 800, p. 324.

(58) Document n° 37 800, p. 406.

(59) Considérant 31.

(60) Voir, par exemple, les contrats d'achat exclusif de Bofferding, documents n° 37 800, p. 126 et p. 145, l'avenant de contrat de Diekirch de décembre 1988, document n° 37 800, p. 199, ainsi que le contrat de fourniture de Diekirch, document n° 37 800, p. 342.

(61) JO L. 173 du 30.6.1983, p. 5.

(62) JO L. 214 du 6.8.1997, p. 27.

(63) Considérant 32.

(64) Considérant 33.

(65) Arrêt de la Cour de justice du 10 décembre 1985, Stichting Sigarettenindustrie e.a. contre Commission, affaires jointes 240, 241, 242, 261, 262, 268 et 269-82, Recueil p. 3831.

(66) Considérant 17.

(67) Arrêt IAZ précité, point 25.

(68) Arrêt de la Cour de justice du 1er juin 1999, Eco Swiss China Time contre Benetton International, C-126-97, Recueil p. I-3055, point 39.

(69) Arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a. contre Commision, T-374-94, Recueil p. II-3141, point 136.

(70) Considérant 25.

(71) Considérant 23.

(72) Considérant 20.

(73) Considérants 13 et 14.

(74) Exemples cités au considérant 24.

(75) Considérant 19.

(76) Considérant 25.

(77) Arrêt de la Cour de justice du 11 juillet 1989, SC Belasco e.a. contre Commission, 246-86, Recueil p. 2117, point 34.

(78) Considérant 18.

(79) Considérant 36.

(80) Considérant 37.

(81) Considérant 18.

(82) Considérant 38.

(83) Considérant 5.

(84) Considérant 6.

(85) Considérant 38.

(86) Arrêt European Night Services précité, point 136.

(87) Arrêt de la Cour de justice du 11 juillet 1985, Remia e.a. contre Commission, 42-84, Recueil p. 2545, point 22.

(88) Considérants 67 à 73.

(89) Considérant 19.

(90) Considérant 16.

(91) Considérant 5.

(92) Considérant 42.

(93) Arrêt de la Cour de justice du 1er février 1978, Miller International Schallplatten contre Commission, 19-77, Recueil p. 131, point 15 et arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a. contre Commission, affaires jointes T-202, 204 et 207-98 (non encore publié au Recueil), point 84.

(94) Considérant 43.

(95) Arrêt Belasco précité.

(96) Considérant 78.

(97) Arrêt de la Cour de justice du 25 février 1986, Windsurfing International contre Commission, 193-83, Recueil p. 611, point 96.

(98) Considérants 69 et 70.

(99) Considérant 39.

(100) JO L. 107 du 30.4.1996, p. 4.

(101) Point 20 de la communication de minimis.

(102) Considérant 17.

(103) Considérant 4.

(104) Arrêt Miller précité, point 18, et l'arrêt Tate & Lyle précité, point 127.

(105) Considérant 30.

(106) Considérant 6.

(107) Considérant 3.

(108) Considérant 86.

(109) Considérant 2.