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CCE, 20 juin 2001, n° 2002-405

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

PO/Michelin

CCE n° 2002-405

20 juin 2001

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté européenne, vu le règlement n° 17 du Conseil du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité(1), modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 1216-1999(2), et notamment son article 3, paragraphe 1, et son article 15, paragraphe 2, vu la décision de la Commission du 28 juin 1999 d'ouvrir la procédure dans cette affaire, après avoir donné aux entreprises intéressées l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission, conformément à l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17 et au règlement (CE) n° 2842-98 de la Commission du 22 décembre 1998 relatif à l'audition dans certaines procédures fondées sur les articles 85 et 86 du traité CE(3), après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, considérant ce qui suit:

I. LES FAITS

A. L'ENTREPRISE EN CAUSE

(1) Le Groupe Michelin, avec un chiffre d'affaires net de 13,763 milliards d'euros en 1999 (90,28 milliards de francs français) et une part de marché mondial (toutes catégories de pneumatiques confondues) supérieure à 18 %, est en concurrence avec le groupe japonais Bridgestone et l'alliance Goodyear/Sumitomo pour le leadership mondial dans le domaine du pneumatique. Dans la Communauté, Michelin occupe de loin la première place, avec une part de marché (environ 32 %) presque deux fois supérieure à celle de son concurrent le plus proche: Goodyear/Sumitomo. En France, le fabricant occupe une position nettement prépondérante, avec des parts de marché estimées à [...](4) du total (tous pneumatiques confondus).

B. LA PROCÉDURE

(2) En mai 1996, la Commission a ouvert un dossier de procédure d'office à l'encontre de Michelin. Elle disposait d'éléments lui permettant de soupçonner cette entreprise d'exploiter abusivement sa position dominante sur le marché français du pneumatique de remplacement pour véhicules poids lourd, en imposant aux revendeurs des conditions commerciales inéquitables, fondées notamment sur un système complexe de rabais fidélisants et visant à se les attacher étroitement. Des demandes de renseignements détaillées ont été adressées à plusieurs reprises à Michelin, à ses concurrents ainsi qu'à des revendeurs et des importateurs de pneumatiques. Des vérifications au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 ont en outre été conduites chez Michelin en juin 1997 en France. Le 28 juin 1999, la Commission a adressé une communication des griefs à Michelin. L'audition des parties (Michelin ainsi que la partie intéressée la société Bandag Inc.) a eu lieu le 20 décembre 1999.

C. LE PRODUIT

(3) L'industrie du pneumatique englobe la production d'enveloppes intérieures et extérieures, ainsi que la rénovation de la bande de roulement des pneumatiques usagés. Il ne sera question, dans la présente décision, que de la fabrication des enveloppes extérieures et de la rénovation des bandes de roulement des pneumatiques usagés.

(4) Pour la compréhension de ce qu'est un pneumatique, il convient d'opérer trois distinctions majeures:

1. LES DIFFÉRENTS TYPES DE PNEUMATIQUES

(5) Tout d'abord, il convient de distinguer, selon les véhicules auxquels ils sont destinés, plusieurs catégories de pneumatiques:

- pneumatiques légers pour voitures de tourisme,

- pneumatiques pour camionnettes de livraison et camions légers,

- pneumatiques lourds pour camions et autobus,

- pneumatiques pour tracteurs agricoles, engins de construction routière et de terrassement, aéronefs, etc.

(6) Chacune de ces catégories de pneumatiques comprend elle-même un grand nombre de types, qui diffèrent en qualité, en profil et en dimension. Le choix d'un pneumatique est déterminé par la catégorie de véhicule et l'usage auquel il est destiné. Il n'existe pas d'interchangeabilité entre les pneus pour voitures de tourisme et les pneus pour camions et autobus. En outre, il existe des différences majeures entre la structure de la demande des acheteurs de pneus pour voitures de tourisme et celle des acheteurs de pneus pour camions. En effet, une part importante et croissante de la distribution tourisme est assurée par les canaux des centres d'entretien et de vidange, des centres autos et de la grande distribution, qui n'ont qu'une très faible activité "poids lourd". Les pneus poids lourd, quant à eux, restent majoritairement distribués par des négociants spécialistes.

(7) La différence entre ces catégories de pneumatiques s'exprime aussi dans leur prix à l'unité. Pour les dimensions les plus courantes, le prix des pneumatiques pour camions et autobus est plus de cinq fois supérieur à celui des pneumatiques "tourisme". Il convient par ailleurs de souligner l'absence de substituabilité de l'offre entre les pneumatiques pour camions et autobus et les autres catégories. Selon Michelin, "les moyens à mettre en œuvre pour concevoir et produire les pneumatiques pour camions et autobus sont radicalement différents de ceux requis pour la fabrication des autres types de pneus"(5) (types de machines-outils, ateliers spécifiques, mélanges de gommes, propriétés requises, normes à respecter).

2. LE PNEUMATIQUE NEUF

(8) Ensuite, le marché des pneumatiques se divise en deux secteurs, par le type de consommateur visé, qu'il convient de distinguer clairement, à savoir le marché du pneu de premier équipement et celui du pneu de remplacement.

(9) La vente des pneus de premier équipement (dits aussi "de première monte") s'effectue sans intermédiaire, directement du producteur de pneumatiques au constructeur automobile. En revanche, sur le marché du pneu de remplacement, la vente au consommateur final s'opère principalement par l'intermédiaire d'un grand nombre d'entreprises commerciales spécialisées. Ainsi, la distribution des pneus poids lourd se fait principalement via des négociants spécialistes du pneu. La présence de ces revendeurs intermédiaires, qui sont approvisionnés par les fabricants, par des grossistes ou par des importateurs officiels, différencie nettement le marché du pneu de remplacement de celui des pneus de première monte.

3. LE PNEUMATIQUE RECHAPÉ

(10) Enfin, les besoins en pneus pour camions et autobus ne sont pas couverts uniquement par l'offre de pneumatiques neufs, puisque lorsque les carcasses des pneumatiques usagés sont encore en bon état, il est possible de les pourvoir d'une nouvelle bande de roulement: il s'agit de l'opération de rechapage. Dans certains cas, l'opération de rénovation peut être répétée. Elle peut être effectuée par les fabricants de pneus eux-mêmes (en France, Michelin est la principale entreprise de rechapage de pneumatiques poids lourd), mais aussi et surtout par un grand nombre d'entreprises spécialisées.

(11) Il existe deux techniques de rechapage: le procédé de rechapage à chaud et le procédé de rechapage à froid.

(12) Le rechapage à chaud (ou en moule) consiste en la pose d'une nouvelle bande de roulement sur la carcasse du pneumatique, qui est ensuite moulé en usine et à chaud. Ce procédé, qui permet de remplacer la bande de roulement, nécessite la maîtrise des techniques et outils de fabrication du pneumatique neuf et n'est, à ce titre, utilisé que par des entreprises à caractère industriel. Il implique par ailleurs un système élaboré de collecte de carcasses, des contraintes de transport résultant de leur centralisation ainsi que des temps de traitement relativement longs. En 1995, le rechapage à chaud représentait 47 % des opérations de rechapage en Europe de l'Ouest(6), mais ce chiffre est en déclin progressif au profit du rechapage à froid.

(13) Le rechapage à froid, consiste en la pose d'une bande de roulement prémoulée, provenant d'un fournisseur extérieur, sur la carcasse du pneumatique. Ce procédé est utilisé dans de petits ateliers exploités par des négociants spécialistes ou des rechapeurs indépendants. En 1995, le rechapage à froid représentait 53 % des opérations de rechapage en Europe de l'Ouest.

(14) De par les caractéristiques des techniques mises en œuvre, les deux procédés décrits s'adressent généralement à des clientèles différentes. Le procédé du rechapage à chaud s'adresse majoritairement à une clientèle composée de négociants spécialistes et de grossistes (qui jouent un rôle d'intermédiaires vis-à-vis de l'utilisateur final), alors que le procédé de rechapage à froid s'adresse prioritairement à une clientèle composée principalement et directement d'utilisateurs finals.

(15) Malgré les différences qui caractérisent les deux techniques de rechapage, les produits obtenus sont parfaitement substituables du point de vue de l'utilisateur. Un négociant en pneumatiques peut donc recourir également aux deux techniques. On doit noter par ailleurs que, quoique requérant un équipement plus coûteux que la technique à froid, le rechapage à chaud n'est pas l'apanage des manufacturiers et qu'il est pratiqué par nombre d'entreprises indépendantes de taille moyenne. En outre, il importe de signaler que dans les études de marché sur le rechapage, la distinction chaud/froid n'est jamais prise en compte dans la mesure où elle n'emporte de conséquences ni sur le prix ni sur le jeu de la concurrence. Cette dernière joue d'ailleurs, en Europe, entre des entreprises utilisant des techniques différentes.

(16) Au total, les pneumatiques actuellement utilisés par les entreprises de transport établies en Europe et notamment en France, se composent d'un nombre à peu près égal de pneus neufs et de pneus rechapés. Toutefois, ces chiffres varient considérablement en fonction des pays. À titre d'exemple, en Finlande les pneus rechapés représentent 74,3 % des pneus annuellement vendus, tandis qu'en Espagne ce pourcentage est de seulement de 37,3 %.

(17) Du point de vue des caractéristiques du produit et de l'usage auquel il est destiné, malgré les progrès réalisés par les rechapeurs au cours des années 80 et 90, des différences appréciables subsistent entre les pneus neufs et les pneus rechapés. Pour la plupart des usagers et des distributeurs, l'utilisation d'un pneu dont la bande de roulement a été renouvelée implique une fiabilité moindre dont il convient de tenir compte. Pour cette raison, les transporteurs excluent souvent la monte de tels pneus sur les roues directionnelles des véhicules moteurs et/ou évitent de les utiliser pour les transports longue distance ou l'acheminement de marchandises très périssables. Par ailleurs, certains manufacturiers - dont Michelin - ainsi que la plupart des revendeurs, continuent à recommander, encore aujourd'hui, certaines de ces précautions. C'est une des raisons qui explique que le prix des pneus rechapés soit très nettement inférieur à celui des pneus neufs.

(18) En effet, le prix des pneumatiques rechapés (en dépit d'un kilométrage utile comparable en cas de bonne utilisation) est normalement inférieur d'environ 50 % au prix d'un pneu neuf. Seuls les pneus neufs dits de "troisième ligne" résistent mieux à la comparabilité en termes de prix, bien qu'ils restent plus onéreux. Il s'agit de pneus de moindre qualité, pour la plupart importés d'Asie, d'Europe centrale et orientale ou vendus sous des marques dites private brands (pneus fabriqués pour des marques dites "distributeurs"). Généralement non rechapables, ces pneus ont connu un certain essor au début des années 90, lors de la crise qui a frappé l'ensemble du secteur. Ils ne constituent qu'une part minoritaire du total des pneus neufs poids lourd sur le marché français (selon des documents recueillis chez Michelin, [...] des ventes totales, [...] selon les autres manufacturiers, [...] entre 3 et 6 %).

D. LE MARCHÉ DU PNEUMATIQUE

(19) On analysera successivement les principales caractéristiques du marché du pneumatique, avant de détailler les spécificités du marché du rechapage. Une attention particulière sera portée au marché français du pneumatique poids lourd de remplacement, puisque c'est sur ce marché que les comportements litigieux ont été identifiés.

(20) D'une manière générale, l'industrie du pneumatique est caractérisée par une forte concentration, tant au niveau mondial qu'au niveau européen. Six groupes - en 1997 - (Michelin, Bridgestone, Goodyear, Continental, Sumitomo et Pirelli), présents dans de nombreux pays, contrôlent plus de 72 % des ventes mondiales de pneus et plus de 86 % des ventes européennes.

(21) Au plan mondial, deux fabricants, les groupes Michelin (France) et Bridgestone (Japon) étaient jusqu'à présent en lutte constante pour le leadership, avec des ventes se situant en 1997 entre 18 et 20 % du total des pneumatiques vendus. Goodyear (USA) suivait de près avec 15 % du marché. Déjà plus loin, Continental (Allemagne), Sumitomo/Dunlop (Japon) et Pirelli (Italie), contrôlaient respectivement 8 %, 6 % et 5 % du marché.

(22) Cette situation s'est modifiée, en 1999, avec la fusion des groupes Goodyear et Sumitomo, qui propulse ce nouvel ensemble au premier rang du peloton de tête, avec des parts de marché cumulées supérieures à 21 %.

(23) La répartition des parts de marché n'est pas uniforme dans le monde: chacun des trois acteurs principaux, Michelin, Bridgestone et Goodyear a une présence prépondérante sur son marché "domestique".

(24) Ainsi, en Europe occidentale, les six leaders mondiaux se classent dans un ordre légèrement différent. Le tableau 1 ci-dessous permet de constater que la concentration sur le marché européen est encore plus forte qu'au niveau mondial et que le Groupe Michelin s'affirme comme le leader européen incontesté, avec une part de marché très supérieure à celles de Continental et Goodyear, qui arrivaient respectivement aux second et troisième rangs avant l'annonce de l'alliance Goodyear/Sumitomo. Cette dernière opération place le nouvel ensemble au second rang, bien qu'il reste loin derrière Michelin, sa part de marché cumulée restant inférieure de 10 points de pourcentage à celle du fabricant français.

(25) Parmi les autres concurrents, outre quelques petits producteurs européens [par exemple: Vredestein (NL), Nokian (SF), Trelleborg (S), Marangoni (IT)], sont présents sur le marché un certain nombre de producteurs d'Asie du Sud-Est et d'Europe centrale et orientale, qui écoulent une partie de leur production en Europe de l'Ouest. Le volume de ces ventes par rapport à celles des six grands n'est toutefois pas significatif. Ainsi, les ventes réalisées par Yokohama ou Toyo représentent au plus 1 % du marché respectivement.

<EMPLACEMENT TABLEAU>

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(26) La structure de l'offre dans la Communauté n'est pas homogène et varie considérablement selon les États membres. Les parts de marché du Groupe Michelin sont par exemple très variables en Europe: [...] en Espagne, en Italie et aux Pays-Bas, [...] en France et en Finlande, elles se situent autour de [...] en Allemagne et au Royaume-Uni par exemple. En France, où le fabricant jouit d'un prestige historique particulier, le poids de Michelin en termes de parts de marché ([...] toutes catégories confondues), est particulièrement important et très supérieur à ses positions dans le reste de la Communauté.

(27) Dans l'ensemble de l'Europe, il existe environ 120 usines productrices de pneus. Michelin, qui en possède 30, en totalise plus du double de son concurrent le plus proche. En France, 5 entreprises possèdent des unités de production. Sur un total de 19 unités, Michelin en contrôle 11, ce qui représente, en termes de capacité de production française, plus de 50 % du total. L'entreprise Pneumatiques Kléber, également contrôlée par Michelin, en possède encore 2. Les autres unités se répartissent comme suit: Bridgestone/Firestone et Goodyear possèdent chacun 1 usine, alors que Continental et Dunlop (Sumitomo) possèdent chacun 2 usines. Parmi ces 19 manufactures, 5 seulement produisent des pneus pour poids lourd, 4 d'entre elles appartenant à Michelin et l'autre étant la propriété de Dunlop.

(28) Cette concentration horizontale s'accompagne d'une intégration verticale forte. Les fabricants de pneumatiques contrôlent de plus en plus les circuits de distribution. Ce mouvement, qui s'est amorcé au Royaume-Uni dans les années 70, s'est étendu à la France au début des années 90.

(29) Enfin, depuis une décennie environ, une offre de pneus neufs bon marché et de qualité médiocre, dits "de troisième ligne" s'est développée. Ces pneus ont néanmoins connu un développement limité et représentent moins de 10 % des pneumatiques neufs au remplacement. À l'origine, les pneumatiques de troisième ligne étaient fabriqués uniquement par des entreprises de pays d'Asie du Sud-Est et d'Europe Centrale et Orientale. Depuis quelques années cependant, les grands fabricants de pneus ont aussi investi ce segment, souvent via le rachat de certaines de ces entreprises. C'est le cas notamment de Michelin (Taurus et Stomil), mais aussi de Continental (Barum) et de Goodyear (Debica). Il s'agit ainsi de faire face à la demande d'une clientèle pour laquelle le prix devient un critère déterminant lors de l'achat d'un pneumatique.

(30) Du point de vue de la demande, il convient de relever l'importance des négociants spécialistes dans la distribution de pneus en Europe. En 1995, les distributeurs spécialisés représentaient 70 % des ventes de pneus de remplacement pour véhicules automobiles. Les concessionnaires automobiles et les garages suivaient avec 18,9 % des ventes, suivis par les supermarchés, 7,1 % puis les stations services avec 4 %. Cette domination de la distribution spécialisée est encore plus forte en ce qui concerne les pneumatiques poids lourd. La vente aux professionnels de la route demeure largement dominée par les négociants spécialistes, capables de leur fournir les services et conseil personnalisés. Le choix, le montage et le suivi de la vie des pneumatiques poids lourd font en effet appel à de nombreuses considérations techniques.

(31) De plus en plus, les manufacturiers s'engagent directement dans la distribution des pneumatiques, par le biais notamment des réseaux intégrés et des franchises. Ces canaux de distribution offrent en effet un plus gros potentiel de promotion des marques que les négociants indépendants. En retour, la crainte de voir la distribution contrôlée de façon croissante par les concurrents conduit les manufacturiers à s'engager davantage encore dans cette voie.

(32) Si la distribution des pneus de remplacement est d'une manière générale très atomisée, il existe d'importantes différences entre les marchés des pneus tourisme et des pneus poids lourd. La distribution "tourisme" est très diversifiée et s'effectue principalement via les centres-auto (31 %), les réseaux de constructeurs automobiles (26 %) et les négociants spécialistes du pneu.

(33) En revanche, en ce qui concerne le pneu poids lourd, les négociants spécialistes, qu'ils soient indépendants ou regroupés en réseaux, distribuent 75 à 85 % des enveloppes sur le marché des pneus neufs au remplacement, puisque les centres auto et la grande distribution notamment sont quasiment absents de ce marché. Les 15 à 25 % restants sont livrés directement, en exécution de marchés publics mais aussi à quelques grandes flottes ou via les achats directs des garagistes et concessionnaires de marques de poids lourd. Il faut aussi signaler qu'une partie des livraisons prennent la forme de contrats d'entretien ou de service complet pneu ("entretien kilométrage") conclus entre les manufacturiers et les transporteurs indépendants. Michelin, dans un document interne de 1996, affirme que les spécialistes du pneu réalisent [...] des ventes au remplacement. Le reste serait distribué via des ventes directes aux utilisateurs [...], des concessionnaires de marques poids lourd [...] et des contrats d'entretien [...].

(34) D'après les meilleures estimations de la Commission, les négociants spécialistes français contrôlent environ 2225 points de vente, dont environ 500 appartiennent à des réseaux intégrés contrôlés par des fabricants de pneus. Michelin possède, de loin, le réseau le plus important. En effet, le fabricant français a créé un réseau européen sous la dénomination Euromaster, dont le holding se trouve au Pays-Bas et qui compte plus de 1200 points de vente répartis dans huit pays. Bien que le réseau soit contrôlé par Michelin, il ne s'agit pas à proprement parler d'une enseigne de vente puisque Euromaster commercialise des marques concurrentes en sus des produits Michelin. Le réseau possède en France environ 330 points de vente, dont plus de 240 distribuent des pneus poids lourd. Sumitomo/Dunlop contrôle quant à lui directement 120 points de vente (via Vulco, précédemment Pneu Holding), alors que Bridgestone/Firestone en possède 26 (via les enseignes Gay, Métifiot et Maxi-pneu). En termes de part de marché, l'importance des réseaux des manufacturiers est encore plus grande. Ces derniers contrôlent plus de 30 % du marché des pneus neufs de remplacement poids lourd. Les parts de marché se répartissent comme suit: [...] pour Euromaster, [...] pour Vulco et [...] pour Bridgestone/Firestone.

(35) Par ailleurs, les fabricants, notamment Michelin, ont essayé ces dernières années de garder un contact le plus étroit possible avec les distributeurs demeurés indépendants. À cette fin, on a vu se développer des réseaux ou des "clubs", formés par des revendeurs indépendants auxquels un manufacturier accorde certains avantages spécifiques en échange de nombreux engagements, consistant principalement à mettre en avant les marques du fabricant. Ces réseaux sont parfois qualifiés de "franchises douces". En France, l'exemple le plus significatif en est le réseau formé par les signataires de la "Convention bilatérale de coopération professionnelle et d'assistance technique", plus connue sous le nom de "Club des amis Michelin", qui regroupe 163 adhérents et 375 points de vente et qui représente, selon Michelin, [...] du marché des pneus neufs de remplacement poids lourd et [...] du marché des pneus rechapés. Les autres clubs ou réseaux appartenant à des manufacturiers, d'importance nettement inférieure, sont respectivement: le Réseau BF Partner, qui compterait à ce jour entre [...] et [...] adhérents; Vulcopneu +, avec environ [...] adhérents; Sempérit ([...] adhérents) et le Réseau Pneu expert, le plus récemment constitué, qui a été introduit en 1997 en France par Continental.

(36) Face à cette entrée massive des manufacturiers dans la distribution, certains revendeurs indépendants ont essayé de se regrouper. Ils ne sont néanmoins pas toujours parvenus à s'organiser pour créer de véritables chaînes standardisées, capables de concurrencer avec succès les réseaux des manufacturiers ou leurs différents clubs. D'après l'enquête de la Commission, réalisée en 1997, les regroupements d'indépendants les plus importants sont respectivement Arc en Ciel qui contrôle avec [...] points de vente en France regroupés sous la même enseigne, [...] du marché poids lourd; le groupement d'achat Seda-Point S, qui avec [...] adhérents contrôlerait [...] du marché; enfin PAP dont les [...] adhérents contrôleraient environ [...]. Ce dernier ensemble ne constitue pas à proprement parler un groupement mais plutôt un "syndicat professionnel". Aucun de ces groupements n'a à ce jour été reconnu en tant que tel par Michelin, de telle sorte que leurs membres ne peuvent pas jouir, vis-à-vis du leader du marché, des conditions plus favorables de l'achat groupé. À leurs côtés enfin, se développent des groupes régionaux tels DK ([...] points de vente), Ayme ([...]) ou Vaysse ([...]).

(37) En définitive, la répartition des différentes formes de distribution de pneumatiques (tous types confondus) sur le marché français se présentait comme suit en 1996: réseaux intégrés (manufacturiers): 25,52 %; réseaux indépendants: 17 %; groupement d'achats (indépendants): 34 %; autres indépendants: 23,48 %. On remarque donc qu'environ 75 % de la distribution de pneumatiques en France est aujourd'hui encore, formellement au moins, indépendante des manufacturiers.

(38) La structure de la demande varie toutefois nettement selon les États membres considérés. Si dans certains pays (Royaume-Uni, Allemagne) la distribution des pneumatiques est très concentrée, elle demeure plus atomisée dans d'autres pays (Italie, Espagne, Portugal). En fait, si les négociants spécialistes indépendants dominent dans les pays où les chaînes (réseaux intégrés, centres de vidange, dits "fast-fit") sont historiquement peu développées, notamment du fait de marchés jugés jusqu'ici trop étroits, on assiste toutefois à une forte croissance des chaînes intégrées de service rapide. En fait, si les parts de marché des négociants spécialistes et des chaînes devaient encore croître au-delà de l'an 2000, cette croissance devrait bénéficier principalement aux chaînes intégrées, les détaillants spécialistes indépendants risquant à long terme d'être de plus en plus exclus du marché.

Les chiffres du marché poids lourd

(39) D'une manière générale, en ce qui concerne la Communauté, l'analyse de diverses sources statistiques permet d'estimer que les ventes totales de pneumatiques poids lourd toutes catégories confondues (y compris les enveloppes rechapées) se situaient aux alentours de 15,5 millions d'unités. Le tableau 3 ci-dessous, trouvé chez Michelin et concernant l'année 1995, assez représentative, donne une bonne estimation d'ensemble de la situation:

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(40) Parmi ces 15,5 millions d'unités, les pneumatiques de première monte correspondent environ à 14 % du total, c'est-à-dire à 2,25 millions. Le marché européen global du remplacement est donc de 13,3 millions environ. Le marché du rechapé représentant à l'intérieur de celui-ci approximativement 48 % des ventes.

(41) Étant donné les spécificités qui caractérisent le marché français du pneumatique de remplacement pour poids lourd, il convient de présenter quelques données sur son évolution.

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(42) Sur la période considérée, le marché total du pneumatique poids lourd représente en moyenne 2,5 millions d'enveloppes, qui correspondent à 14,2 % de pneumatiques en première monte, 45,3 % de pneumatiques neufs au remplacement et 40,5 % de pneumatiques rechapés.

(43) Sur le marché du remplacement qui totalise en moyenne 2,15 millions d'enveloppes, les ventes se répartissent en 1,14 millions de pneumatiques neufs et un peu plus de un million de pneumatiques rechapés. La part du rechapé peut donc être évaluée à 47,2 % en moyenne.

Spécificités du rechapage

(44) Selon les estimations de Michelin, près de [...] carcasses de pneumatiques poids lourd ont été rechapées en 1995 en Europe de l'Ouest. On relève une croissance généralisée du segment du rechapage à froid et une régression de celui du rechapage à chaud. Ainsi, en France, la part du rechapage à chaud était de 82 % en 1992, pour environ 75 % seulement aujourd'hui.

(45) Au niveau communautaire, la structure de l'offre varie aussi considérablement selon les États membres. Les deux acteurs principaux sur le marché sont Bandag et Michelin, qui opèrent dans la plupart des pays, mais de façon différente. Michelin utilise principalement le procédé de rechapage à chaud et dispose de quelques grandes usines de rechapage en Europe, dont deux en France (Clermont-Ferrand et Avalon). En revanche, Bandag a mis sur pied un réseau de franchisés qui procèdent au rechapage à froid. Avec environ 1500000 carcasses rechapées annuellement, Michelin détiendrait près de [...] du marché européen, le réseau de franchisés Bandag en contrôlant quant à lui environ [...].

(46) Toutefois, le poids des deux concurrents varie sensiblement selon les pays. En France surtout, caractérisée par la présence traditionnelle de Michelin et de sa filiale Pneu Laurent spécialisée dans le rechapage, les parts de marché conjointes de ces derniers dépassent régulièrement [...]. Le réseau de franchisés Bandag, second sur le marché, n'en détiendrait que [...].

(47) Un usager peut s'approvisionner en pneumatiques poids lourd rechapés de différentes manières. Soit il fournit sa propre carcasse à un négociant spécialiste, à un franchisé ou à un rechapeur industriel et la récupère une fois rechapée (rechapage dit "nominatif"), soit il fournit une carcasse et achète en même temps un pneu rechapé issu d'une autre carcasse (rechapage dit "échange standard"), soit enfin il achète directement un pneu rechapé, sans mise à disposition d'une quelconque carcasse. En France, à la différence d'autres États membres, le rechapage nominatif est une pratique très largement majoritaire (selon les estimations des manufacturiers, il représenterait entre 75 et 90 % des pneus rechapés).

(48) Pour cette raison, l'activité de rechapage n'est généralement pas perçue en France comme une activité de vente, mais comme une activité de prestation de services, voire une prestation de "service après-vente". Une majorité des transporteurs calculent en effet le coût d'un pneu poids lourd sur la base du prix d'achat, du kilométrage parcouru et de la valeur résiduelle de la carcasse lors d'une éventuelle revente. Pour calculer le prix de revient d'un pneumatique de camion ou d'autobus, on tient par conséquent normalement compte des différentes "vies" de ce pneu: une première vie en tant que pneu "neuf" puis une ou parfois deux vies en tant que pneu "rénové". Le prix d'un pneu rénové étant très inférieur à celui d'un pneu neuf, le rechapage fait baisser le prix de revient total du pneumatique par kilomètre, calculé sur sa durée de vie maximale. Il en résulte notamment sur le plan pratique que le transporteur veut avoir la certitude de recevoir en retour, après rechapage, les carcasses des pneumatiques qu'il a achetés à l'état neuf et qu'il estime avoir utilisé dans des conditions optimales au cours de leur première vie. Il considère que les carcasses en bon état restent sa propriété et ne les confie à une entreprise de rechapage qu'en spécifiant le numéro de matrice pressé sur le flanc du pneu. Il peut ainsi vérifier qu'il reçoit en retour, après rénovation, ses propres pneumatiques et non pas d'autres pneus susceptibles de présenter des vices insoupçonnés.

(49) Il en résulte que la demande pour des pneumatiques rechapés ou pour le service de rechapage provient, en définitive, des transporteurs. Cela dit, les négociants spécialistes distributeurs de pneus poids lourd sont, dans la plupart des cas, chargés d'agir en tant qu'intermédiaires entre le rechapeur et le transporteur.

E. LA POLITIQUE COMMERCIALE DE MICHELIN

(50) Il convient de mettre en évidence les éléments de la politique commerciale conduite par Michelin en France de 1980 jusqu'en 1998 inclus, puisque après le 31 décembre 1998, les engagements pris par Michelin auprès de la Commission ont mis fin au caractère abusif de cette politique commerciale. L'analyse portera sur chacun des trois éléments qui la composaient, à savoir:

1) les "Conditions Générales de Prix France aux Revendeurs Professionnels", qui constituent la colonne vertébrale de la politique commerciale de Michelin. (Par commodité seront incluses dans cette catégorie les "Conventions de coopération commerciale" individuelles qui ne sont qu'un prolongement des conditions générales);

2) la "Convention pour le Rendement Optimum des Pneumatiques Poids Lourd Michelin" ("Convention PRO"), à laquelle peuvent adhérer, sous certaines conditions, les revendeurs de pneus poids lourd souhaitant obtenir des rabais ou des avantages supplémentaires;

3) la "Convention de Coopération Professionnelle et d'Assistance service"(dite "Club des amis Michelin"), réservée à un nombre restreint de revendeurs souhaitant s'engager dans un partenariat plus étroit avec Michelin.

1. LES CONDITIONS GÉNÉRALES DE PRIX FRANCE AUX REVENDEURS PROFESSIONNELS

(51) Les "Conditions Générales de Prix France aux Revendeurs Professionnels", destinées aux revendeurs professionnels, établissaient, entre autres, les conditions de vente et le prix d'une grande partie des pneumatiques Michelin destinés au marché de remplacement, notamment: pneumatiques tourisme, camionnette, manutention, poids lourd, travaux publics, agricole, petit génie civil et rechapage.

(52) Ces conditions organisaient un système tarifaire qui comprenait, d'une part, un prix "tarif" intitulé "Barème de facturation" (barème net facturé, sans remises ni rabais) et, d'autre part, un ensemble très complexe de remises ou de ristournes qui jusqu'en 1997 n'étaient, dans la plupart des cas, payées que le dernier jour de février de l'année suivant l'exercice concerné.

(53) Ce n'est qu'en 1997, après l'entrée en vigueur d'une loi française sur la revente à perte (loi française du 1er juillet 1996 prohibant les reventes à perte) que Michelin a décidé de modifier sensiblement sa politique commerciale. À partir de ce moment, l'essentiel des ristournes et/ou rémunérations versées auparavant à la fin du mois février de l'année suivant la période de référence, ont été "remontées sur facture". On analysera successivement le système existant jusqu'à 1996 inclus, puis le système établi à compter de 1997.

Le système de rappels de 1980 à 1996

Généralités

(54) Avant 1997, les "Conditions générales" de Michelin présentaient un système complexe de rappels qui couvraient une année de facturation qui commençait le 1er janvier, pour se terminer le 31 décembre et n'étaient payés pour la plupart que le dernier jour de février de l'année civile suivant l'exercice en question.

(55) Le revendeur payait donc les pneus neufs ou rechapés chez Michelin au prix figurant sur le "barème de facturation" officiel de Michelin. Dans la plupart des cas, ce montant devait être payé dans un délai de "30 jours fin mois de facturation". En revanche, le montant des "rappels" obtenus n'était perçu qu'à la fin du mois de février de l'année suivante, c'est à dire jusqu'à 13 mois après la date de la transaction en cause.

Les différents "Rappels"

(56) Les "rappels" ou remises prévues par les "Conditions générales" étaient divisés en trois catégories: les rappels quantitatifs, les rappels pour la qualité du service du revendeur aux utilisateurs ("Prime de Service") et les rappels en fonction des efforts de vente d'articles neufs ("Prime de Progrès"). En outre, les revendeurs dépassant pendant deux exercices consécutifs un plafond déterminé de chiffre d'affaires "Michelin" obtenaient le droit de négocier une "Convention de coopération commerciale" (dite "Convention individuelle") ouvrant droit à des rabais supplémentaires.

Les rappels quantitatifs

(57) Le montant des rappels quantitatifs dépendait du chiffre d'affaires réalisé par le revendeur avec Michelin, au cours de l'année de facturation et toutes catégories de pneumatiques confondues, exception faite des catégories "Gros Génie Civil" et du rechapage. Les conditions comprenaient donc une "grille" dans laquelle figuraient les pourcentages déductibles du prix "tarif" pour l'ensemble du chiffre d'affaires réalisé. À titre d'exemple, en 1995 ces pourcentages de remise allaient de 7,5 % pour un chiffre d'affaires de 9000 francs français (FRF) à 13 % pour un chiffre d'affaires de plus de 22 millions de FRF.

(58) Les catégories "Gros Génie Civil" et "Pneus rechapés", avaient chacune leur propre "grille". À titre d'exemple en 1995, les rabais allaient, dans le cas du rechapage, de 2 % pour un chiffre d'affaires de plus de 7000 FRF à 6 % pour des achats dépassant 3,92 millions de FRF.

(59) Ce n'est qu'en 1995 et 1996 que les conditions générales prévoyaient, sous certaines conditions, trois avances sur rappel quantitatif versées respectivement en mai, septembre et décembre de l'exercice en cours et correspondant, à titre provisoire, à 5 % du chiffre d'affaires "Poids lourd + Travaux Publics + Manutention + Petit Génie Civil" réalisé pour chacune des périodes correspondantes.

La "Prime de Service"

(60) La "Prime de Service" était une incitation complémentaire proposée par Michelin au négociant spécialiste, "pour l'amélioration de son équipement et de son service après-vente". En réalité, le degré de coopération et les services offerts à Michelin étaient aussi largement pris en considération lors de la fixation du taux(8).

(61) Pour être éligible à l'obtention de cette prime, un chiffre d'affaires annuel minimum devait avoir été réalisé avec Michelin, au cours de l'année. Ce chiffre allait de 160000 FRF en 1980 à 205000 FRF en 1985. Il était ensuite de 50000 FRF et passait à 45000 FRF en 1995 et 1996.

(62) Le taux de la prime, fixé au début de l'année par convention annuelle avec le revendeur dans un document intitulé "Prime de service", était fonction du respect d'engagements pris par le revendeur dans une série de domaines. Chaque engagement correspondait à un certain nombre de points et le dépassement de certains seuils de points ouvrait droit à une prime correspondant à un pourcentage du chiffre d'affaires toutes catégories confondues réalisé avec Michelin France. Ce pourcentage allait de 0 à 1,5 % de 1980 à 1991, et de 0 à 2,25 % de 1992 à 1996.

(63) De 1980 à 1995, les engagements à respecter par les revendeurs ont évolué sensiblement, tant en ce qui concerne leur nombre (toujours entre 10 et 13 rubriques permettant d'obtenir des points) que leur contenu. Ceci dit, la plupart des critères concernaient des services rendus à la clientèle ou des connaissances sur les produits. Ainsi, parmi les critères permettant d'augmenter le taux de la prime, on retrouvait la formation du personnel, la possession d'un outillage, de véhicules et de connaissances déterminés, la qualité des installations, etc. Toutefois on trouvait aussi des critères dont le bénéficiaire principal était Michelin. Il convient de mettre en exergue trois d'entre eux:

(64) Service produits nouveaux: En 1980 et jusqu'à 1987, l'engagement consistait à "diffuser à la clientèle les produits nouveaux de la Marque" et à "se fournir en produits nouveaux à raison de, suivant le type et la dimension considérée: moins de 30 %: 0 points, de 30 à 50 %: 1 point, plus de 50 %: 2 points". De 1987 à 1990, l'engagement changeait et consistait à se fournir dans ces produits nouveaux dans une proportion: inférieure (0 points), égale (1 point) ou supérieure (2 points) à la part régionale prévue de ces produits. À partir de 1990, l'engagement prenait la forme d'une "contribution positive au lancement des nouveaux produits Michelin: connaissance et argumentation sur lesdits produits: 2 points. Mise en valeur de la publicité sur le lieu de vente: 1 point".

(65) Renseignements sur le marché: De 1980 à 1987 l'engagement consistait à fournir un maximum d'informations à Michelin ("le fournisseur") pour l'orientation de ses fabrications, relatives notamment au comportement des différents types de produit, aux rendements kilométriques, etc., ceci chaque année (1 point) ou chaque trimestre (2 points). De 1987 à 1992, Michelin exigeait en plus, au titre de cette rubrique, des "statistiques sur ses ventes par produits, connaissance du marché local". À partir de 1992, le revendeur devait fournir des informations pertinentes sur ses statistiques, des prévisions de vente par produits (2 points) et des renseignements techniques sur ses produits avec rendements et références (2 points) ou informations non chiffrées (1 point). Certains revendeurs consultés ont confirmé que des statistiques mentionnant les quantités vendues et la position de Michelin par rapport à ses concurrents leurs étaient demandées.

(66) Rechapage: De 1980 à 1987 le revendeur obtenait des points s'il disposait d'un véhicule utilitaire d'intervention sur les poids lourd (1 point) et de connaissances lui permettant de procéder au tri des carcasses (2 points). De 1987 à 1992, s'il disposait de connaissances et de moyens permettant de procéder régulièrement au tri des carcasses Michelin en vue de leur rechapage et de leur recreusage (technique qui consiste à retracer l'empreinte de la bande de roulement) éventuel, il obtenait de 0 à 2 points. À partir de 1992, il obtenait 1 point s'il faisait la promotion du recreusage et 1 point s'il faisait systématiquement rechaper les carcasses Michelin chez Michelin. En 1996, seule la réalisation systématique du premier rechapage des carcasses Michelin chez Michelin était exigée.

Rappels en fonction des efforts de vente d'articles neufs ("Prime de progrès")

(67) Deux rappels composaient cette catégorie, à savoir la prime de progrès et la prime de cadence. Cependant, cette dernière ne s'appliquant pas aux pneus poids lourd, il n'en sera pas fait mention.

(68) La prime de progrès visait à récompenser les revendeurs qui acceptaient en début d'année de s'engager par écrit à dépasser une "base minimum, fixée d'un commun accord, fonction de l'activité antérieure et des perspectives d'avenir" et qui réussissaient à la dépasser. Dans ce contexte, la base était proposée tous les ans et faisait l'objet d'une négociation avec le revendeur.

(69) Michelin employait la formule suivante pour calculer la remise:

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(70) Dans cette formule, "C" est le chiffre d'affaires poids lourd, "R" les réalisations effectives en nombre d'enveloppes au cours de l'année et "B" la "base" (engagement d'achat en nombre d'enveloppes). "T" est quant à lui un taux qui augmentait progressivement en fonction des engagements d'achat des revendeurs en nombre d'enveloppes. Les rappels susceptibles d'être obtenus, ainsi que les mécanismes de calcul de ces rappels ont évolué sensiblement dans les dernières années.

(71) De 1980 à 1984, ce taux allait de 2,5 % pour un engagement de 30 à 1 499 enveloppes à 15 % pour un engagement de plus de 8 500 enveloppes, avec 6 échelons différents. En 1985, le taux minimum du rappel passait à 5 %, le nombre d'échelons passant à 5. Enfin de 1986 à 1994 le taux minimum devenait encore plus important et passait à 7,5 % alors que les échelons étaient réduits à 4: de 30 à 999 enveloppes: 7,5 % du dépassement de la base, de 1 000 à 2 699 enveloppes: 10 % du dépassement de la base, de 2 700 à 8 499 enveloppes: 12,5 % du dépassement de la base, 8 500 et plus: 15 % du dépassement de la base, ces dépassements étant plafonnés à 25 % de la base.

(72) En 1995 et 1996, le mécanisme de calcul de la prime a changé sensiblement. On retrouvait seulement 2 échelons mais surtout, à partir d'un dépassement supérieur ou égal à 20 % de la base, un taux de rappel s'appliquait à la totalité du chiffre d'affaires réalisé. Ainsi:

- de 30 à 999 enveloppes: 12 % du dépassement de la base si le progrès est inférieur à 20 % de la base et 2 % du chiffre d'affaires total poids lourd neuf si le progrès est égal ou supérieur à 20 % de la base;

- plus de 1 000 enveloppes: 15 % du dépassement de la base si le progrès est inférieur à 20 % de la base et 2,5 % du chiffre d'affaires total poids lourd neuf si le progrès est égal ou supérieur à 20 % de la base.

(73) Par ailleurs, si le revendeur n'arrivait à réaliser que des achats équivalant à la "base", il recevait tout de même une remise de 0,5 % du total des pneus achetés.

(74) Pour bien comprendre le fonctionnement de cette prime, deux de ses caractéristiques doivent être mises en exergue:

a) l'élément clé de cette prime et l'un des éléments clés dans la discussion des engagements annuels était la détermination de la "base", car l'ampleur de son dépassement déterminait le niveau maximum de rémunération envisageable. L'intérêt des revendeurs était donc de la voir fixer à un niveau minimum, afin de l'atteindre facilement. L'intérêt de Michelin était au contraire de la fixer au niveau le plus élevé possible, pour en maximiser l'effet incitatif;

b) les primes étaient convenues en début d'année, en considération de la situation du revendeur, de telle sorte qu'en cas de changement dans le contrôle de la société en cours d'année (vente, acquisition, fusion, etc.), les engagements devenaient caducs et les primes devaient être renégociées en fonction de la situation nouvelle. En outre, vers la fin de décembre, une indexation de cette base à la baisse pouvait avoir lieu. Elle était déterminée unilatéralement par Michelin et pouvait varier d'une catégorie de produits à l'autre. Elle servait aussi à calculer les coefficients réducteurs à appliquer pour le calcul des bases de l'année suivante. Par ailleurs, dans certains cas exceptionnels, le paiement de la prime pouvait être accordé même lorsque la base n'était pas atteinte (notamment en cas de pénurie du produit ayant empêché les livraisons ou bien en cas d'appartenance du revendeur au "Club des amis").

Les conditions spécifiques des signataires des "Conventions de coopération commerciale"

(75) Les revendeurs ayant réalisé avec Michelin France un chiffre d'affaires dépassant le chiffre maximum prévu dans le tableau I fourni par Michelin consacré aux rappels quantitatifs (par exemple: 24 millions de FRF de 1991 à 1994 et 22 millions en 1995 et 1996) pouvaient signer une Convention de Coopération Commerciale (communément appelée "Convention individuelle") avec Michelin. À partir de 1993, s'ils achetaient plus de 1000 enveloppes Poids Lourd, Travaux Publics et/ou Petit Génie Civil, ils signaient deux conventions individuelles: une convention "Tourisme et Camionnette" et une convention dite "Produits industriels". Ces conventions ne se substituaient pas aux Conditions générales mais les complétaient. Entre 16 et 18 revendeurs importants, selon Michelin, ont signé ce type de conventions de 1993 à 1996, dont 11 à 13 des conventions "Produits industriels".

(76) Les principaux engagements pris lors de la signature de ces conventions étaient les suivants: assurer l'information technique et le service après-vente des produits Michelin; CContribuer au lancement des nouveaux produits Michelin; faire connaître leurs prévisions d'achat et de vente mensuelles ou trimestrielles à Michelin et s'approvisionner régulièrement en produits Michelin. Les avantages reçus en contrepartie étaient loin d'être négligeables:

- une prolongation des tableaux correspondant aux rappels quantitatifs (pouvant entraîner une différence allant jusqu'à 2 % du chiffre d'affaires);

- un système spécifique et favorable de calcul de la prime de progrès.

(77) Une échelle spécifique impliquant un encadrement de la prime entre un seuil et un plafond était d'application. Ainsi, généralement les revendeurs pouvaient obtenir une prime de progrès de 1 % (seuil) du chiffre d'affaires annuel (Poids Lourd/Travaux Publics/Petit Génie Civil) par le simple fait d'atteindre la base, jusqu'à un maximum de 3 % s'ils dépassaient cette base de 15 % (plafond).

(78) À titre d'exemple, en 1996, un engagement situé entre 1 000 et 8 999 enveloppes permet d'obtenir une prime allant de 1 % (minimum) si la base est atteinte à 2,5 % (maximum) si elle est dépassée de 15 %. Un engagement sur plus de 9 000 enveloppes permettait d'obtenir jusqu'à 3 % supplémentaire pour un dépassement de 15 % de la base.

(79) À partir de 1993, une prime supplémentaire d'aide aux produits industriels de 1 % du chiffre d'affaires "neuf" Poids Lourd, Manutention, Travaux Publics, Petit Génie Civil, réalisé avec Michelin pouvait être obtenue si la base Poids Lourd était atteinte, ainsi que:

- un crédit supplémentaire pour paiement (10, 20 ou 30 jours en plus),

- le versement d'une partie du rappel de fin d'année le premier jour ouvré du mois de janvier de l'année suivante, au lieu du dernier jour du mois de février.

Le système de ristournes en 1997 et 1998

(80) À partir de 1997, Michelin a modifié sensiblement ses conditions commerciales à l'égard des revendeurs et a éliminé certaines des pratiques abusives qui ont caractérisé son comportement jusqu'à cette date. De nouvelles modifications ont encore été faites en 1998. Les raisons de tels changements, opérés en tout état de cause après l'ouverture de son enquête par la Commission, sont à rechercher pour partie dans la modification de la législation française interdisant la revente à perte, ainsi que dans la profonde restructuration du Groupe Michelin fin 1996.

Le nouveau système de rappels

(81) Des conditions commerciales différentes et indépendantes ont été établies pour chacune des cinq catégories de produits suivantes: (1) Tourisme/camionnette, (2) Poids lourd - Travaux publics, (3) Génie Civil - Manutention, (4) Agricole, (5) Deux-roues, avec, à l'intérieur de chacune de ces catégories, des conditions différentes accordées aux revendeurs ayant droit, du fait de leur volume d'achats (plus de 2500 enveloppes dans la catégorie Poids Lourd/Travaux Publics/Génie Civil), à la signature d'une convention commerciale individuelle.

a) Conditions générales

(82) En ce qui concerne le secteur Poids Lourd, les enveloppes neuves et rechapées étaient traitées différemment.

i) En ce qui concerne les pneus neufs poids lourd

(83) Les principales modifications étaient la disparition des Rappels quantitatifs, de la Prime de Service et de la Prime de Progrès, ainsi que l'apparition de nouvelles catégories: les "Remises sur facture", la "Prime pour objectif atteint", les "Rappels de fin d'année" ainsi qu'un "Rappel multiproduit".

(84) Remises sur facture: des remises sur facture étaient octroyées en fonction du nombre d'enveloppes neuves Poids Lourd/Travaux Publics/Petit Génie Civil achetées au cours de l'année précédente, de la moyenne des deux années précédentes ou encore la moyenne des trois années précédentes, selon la solution la plus favorable pour le revendeur, conformément au barème suivant:

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(85) Les revendeurs souhaitant obtenir des remises sur facture supérieures au taux déterminé dans le barème ci-dessus devaient signer un contrat d'objectif, fixé d'un commun accord avec Michelin et qui devait prendre en compte "le potentiel du revendeur et l'évolution prévue du marché". La remise sur facture susceptible d'être obtenue correspondait alors à la tranche dans laquelle se situait l'engagement pris par le revendeur.

(86) Ces "objectifs" devaient être réels et non pas sur- ou sous-estimés. Michelin proposait donc au revendeur un choix entre ses réalisations de l'année précédente ou celles correspondant à la moyenne des deux ou trois dernières années, majorées de "l'évolution de progrès prévue sur le marché". En 1997, ce progrès avait été fixé à 1 %, quelle que soit la région.

(87) Exceptionnellement, un choix différent pouvait être fait si les capacités d'achat du revendeur avaient été affectées (installation d'un concurrent dans la même zone, perte d'un client à fort potentiel, etc.). Exceptionnellement aussi, l'objectif de l'année en cours pouvait être égal aux réalisations de l'année précédente.

(88) Les revendeurs dont les achats en cours d'année leur permettaient de prétendre à un taux de remise supérieur au taux pratiqué au cours de l'année bénéficiaient d'une régularisation en fin d'année, versée fin février de l'année suivante et correspondant au différentiel de taux.

(89) Finalement, il convient de noter qu'en ce qui concerne les nouveaux revendeurs, la remise sur facture était fixée à 15 % du chiffre d'affaires, à moins que ceux-ci aient souhaité signer un contrat d'objectif. Dans ce cas, le taux de remise était déterminé en référence à l'objectif annuel.

(90) Prime pour objectif atteint: les revendeurs ayant signé un contrat d'objectif obtenaient en 1997 une prime de 2 % sur le chiffre d'affaires net annuel facturé, payée fin février si l'objectif était atteint. En 1998, cette prime avait été fixée à 1,5 %.

(91) Rappel de fin d'année: en fonction de la remise sur facture accordée initialement, ainsi que du chiffre d'affaires net facturé, un rappel était versé fin février, conformément au barème suivant:

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(92) "Rappel multiproduit": les revendeurs ayant un chiffre d'affaires pneumatiques, toutes catégories confondues, supérieur à 50 % de leur chiffre d'affaires total et ayant des réalisations significatives dans au moins 2 des 4 catégories suivantes: Tourisme/camionnette, Moto/scooter, Poids lourd, et Agricole, avaient droit à un rappel de fin d'année sur le chiffre d'affaires facturé en produits neufs (sauf Gros Génie Civil) et en produits rechapés selon une échelle allant de 1 % à 2,20 % en 1997 et de 1,5 % à 2,70 % en 1998.

ii) En ce qui concerne les pneus poids lourd rechapés

(93) Le système était simple et comprenait deux remises:

- une remise sur facture de 5 % appliquée à tous les produits rechapés;

- un rappel quantitatif de fin d'année, fonction du chiffre d'affaires net total rechapé (Camionnette, Poids lourd, Travaux Public, Agricole, Petit et Gros Génie Civil), augmentant progressivement de 1 % (à partir de 6500 FRF) jusqu'à 4 % (plus de 2500000 FRF) du chiffre d'affaires net total rechapés, suivant une grille de 16 échelons, avec des variations allant de 1 % au bas de l'échelle à 0,1 % en haut de celle-ci. Ce rappel avait été supprimé en 1998.

b) Les conventions commerciales

(94) Les revendeurs ayant signé une convention individuelle jouissaient de conditions similaires ainsi que d'un prolongement des barèmes en fonction des quantités achetées.

(95) Pour les pneus neufs poids lourd, le taux de remise sur facture et le rappel de fin d'année étaient par conséquent portés à:

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(96) En ce qui concerne les pneus rechapés, le taux de remise sur facture était porté à 6 % et le rappel de fin d'année, en 1997, jusqu'à 6 %. En outre, en 1998, les revendeurs signataires d'une convention avaient droit à un rappel de fin d'année de 1 % (base barème de facturation) s'ils réalisaient entre 2500 et 10000 enveloppes rechapées et de 1,5 % s'ils en réalisaient plus de 10000.

2. LA CONVENTION PRO ("CONVENTION POUR LE RENDEMENT OPTIMUM DES PNEUMATIQUES POIDS LOURD MICHELIN")

(97) Destinée exclusivement aux revendeurs achetant des enveloppes poids lourd neuves à Michelin France, la "Convention Pour le Rendement Optimum des pneumatiques poids lourd Michelin", créée en 1993, permettait aux revendeurs d'obtenir des remises supplémentaires. Pour ce faire, le revendeur devait souscrire à plusieurs obligations:

- signer avec Michelin un engagement de prime de progrès Poids Lourd pour l'année en cours;

- présenter au rechapage Michelin "nominatif" et "échange dépannage" les carcasses poids lourd Michelin arrivées à usure légale de retrait.

(98) En contrepartie, pour chaque carcasse Poids Lourd validée "bonne pour rechapage" par l'agence Michelin, le revendeur bénéficiait d'un versement de 45,65 ou 120 FRF en fonction du type de pneu concerné. Si les carcasses avaient en outre été recreusées puis remises en roulage, le revendeur percevait en sus 15,25 ou 40 FRF. Le revendeur pouvait donc obtenir un maximum de 160 FRF de remise, ce qui représentait un pourcentage de remise considérable (selon Bandag: 15 %; Michelin l'estime entre [...] et [...], à un niveau similaire à celui de la Prime de Service et de la Prime de progrès pris ensemble au regard du prix facturé au revendeur par Michelin pour un pneu rechapé). Finalement, l'importance de cette prime est mise en évidence par le fait qu'elle pesait en 1994, selon Michelin, [...] du total des remises Poids Lourd.

(99) Certaines conditions supplémentaires permettent de préciser la portée de cette Convention:

- le "bonus" maximal envisageable était fonction des réalisations du revendeur en pneus Michelin neufs, c'est-à-dire du nombre de pneus Poids Lourd achetés à Michelin au cours de l'année précédente. Ainsi, le nombre maximum des primes "PRO" était plafonné par le nombre de pneus Poids Lourd neufs achetés l'année précédente. À partir de 1997 en effet, le montant des primes accordées n'était en revanche plus plafonné par le nombre de pneus achetés l'année précédente, mais par le nombre de pneus que le revendeur s'était engagé à acheter pendant l'année en cours, dans son contrat d'objectif 1997;

- le calcul de la prime était effectué par point de vente (par revendeur à partir de 1997), une régularisation intervenant en fin d'année,

- la prime était payée sous forme de crédit à valoir sur les achats de pneumatiques poids lourd Michelin accordé au compte du revendeur. Les primes gagnées venaient donc en déduction de l'échéance du mois suivant.

(100) En 1998, la "Convention PRO" disparaît. Elle est remplacée par une clause figurant dans les "Conditions générales" et dénommée "Service Qualité Rechapage". À ce titre, le revendeur pouvait obtenir des primes pour chaque carcasse envoyée pour rechapage chez Michelin, sans aucun engagement ni plafonnement.

3. LA CONVENTION BILATÉRALE DE COOPÉRATION PROFESSIONNELLE ET D'ASSISTANCE SERVICE (LE "CLUB DES AMIS MICHELIN")

(101) Moyennant la signature d'une "Convention bilatérale de Coopération professionnelle et d'assistance service" et en échange de nombreux engagements, certains revendeurs peuvent obtenir des avantages économiques supplémentaires de la part de Michelin. L'ensemble des signataires forment ce qui dans la profession est connu sous le nom de "Club des amis Michelin".

(102) Ce "Club", apparu en 1990, regroupait déjà plus de 295 points de vente à la fin de 1991. Au mois d'avril 1997, plus de 163 spécialistes du pneumatique représentant 375 points de vente et plus de 20 % du marché des pneus neufs et rechapés poids lourd étaient parties à cette Convention. L'importance de cette dernière pour Michelin France s'explique en raison du fait que les membres du Club distribuent à eux seuls, en France, autant que l'ensemble des réseaux intégrés, toutes marques comprises ainsi qu'environ 30 % des pneus poids lourd Michelin.

Caractéristiques du "Club"

Philosophie

(103) Trois éléments constituent l'épine dorsale du Club: 1. État d'esprit/professionnalisme, 2. Confiance réciproque Michelin/Club et 3. Volume et "température" Michelin. Michelin est prêt à donner son soutien, notamment financier, aux membres du Club, afin qu'ils soient davantage performants et professionnels, mais en contrepartie, il faut que les membres "jouent le jeu" et coopèrent avec Michelin, ce qui implique notamment de garantir au fabricant un certain niveau en termes de volumes et de "température" Michelin (parts de marché).

Contribution de Michelin

(104) Michelin participe à l'effort financier du revendeur, via notamment une contribution aux investissements et à la formation ainsi que par une contribution financière à hauteur de 0,75 % du chiffre d'affaires Service Michelin annuel. Cette contribution liée au chiffre d'affaires Service est conditionnée à la réalisation d'un objectif précis, fixé avec le client en début d'année. Un revendeur affirme que cet objectif a été fixé en termes d'engagement d'achat. Les sommes en jeu sont très importantes. À titre d'exemple, elles ont représenté, en 1993, 0,9 % du chiffre d'affaires total des revendeurs appartenant au Club, c'est-à-dire 2,8 % de leur marge brute et/ou 24,9 % de leur résultat courant avant impôts, c'est-à-dire un quart du bénéfice des revendeurs appartenant au Club.

(105) Michelin accorde aussi d'autres avantages plus difficilement quantifiables mais dont l'importance est loin d'être négligeable:

- transfert de savoir-faire dans de nombreux domaines,

- accès prioritaire aux cours de formation (en fait 50 % des cours du Centre de Formation Michelin sont donnés à des membres du Club),

- proposition contractuelle de nouvelles activités faite en priorité aux spécialistes (sous-traitance en pneumatiques de flottes, chaîne de dépannage, par exemple),

- transmission de données sur l'évolution du marché,

- distribution exclusive du pneu tourisme BF Goodrich.

(106) L'ensemble assure aux revendeurs une situation financière plus aisée (les revendeurs du Club avaient une rentabilité moyenne en 1995 de 3,9 %, supérieure à la rentabilité moyenne des négociants spécialistes).

Engagements des membres

(107) Les contreparties exigées par Michelin en vue de l'entrée au Club sont considérables et surtout, elles accordent à Michelin un droit de regard sur les activités du spécialiste en demandant à ce dernier:

1. de communiquer annuellement à Michelin les bilans et compte de résultats (avec le détail des produits et charges), des statistiques sur les chiffres d'affaires et les prestations de service. Le bilan prévisionnel et les plans de trésorerie et de financement doivent aussi être communiqués, si nécessaire. Le revendeur doit aussi communiquer à Michelin l'identité de tous les détenteurs directs ou indirects du capital de l'entreprise et le tenir informé de tout événement de nature à affecter le contrôle par la société titulaire du fond de commerce et/ou de ses orientations stratégiques. Sur cette base, Michelin réalise des analyses financières individuelles des revendeurs "Club" et tient avec eux des réunions, proposant des solutions aux problèmes rencontrés. Cela permet à Michelin d'obtenir des statistiques et des tableaux reprenant les bilans consolidés des revendeurs "Club";

2. de permettre à Michelin d'effectuer une analyse de son ou ses points de vente dans plusieurs domaines: qualification et compétence du personnel; qualité des services et de l'argumentation; aménagement des points de vente. Cette analyse permettra la détermination d'un engagement annuel de progrès dans l'un ou plusieurs de ces domaines, ainsi que de tout "axe de progrès" proposé et accepté conjointement. La réalisation de cet engagement conditionnera le versement annuel d'une prime proportionnelle au chiffre d'affaires Services;

3. de mettre en avant la marque Michelin et notamment ses produits nouveaux, d'installer dans ses points de vente la publicité fournie (y compris panneaux lumineux et/ou un mât avec un drapeau) et la signalétique standard, ainsi que de réaliser des publicités participatives;

4. de "ne pas détourner la demande en Michelin des clients utilisateurs; Michelin se réserve le droit de faire effectuer des contrôles du respect de cette clause". Cet engagement figurait textuellement sur le texte des premières conventions et n'a été supprimé formellement qu'à partir de 1996. En fait, cette clause est le coeur même de la Convention, et se traduit par un engagement non écrit de fidélité en termes de "température" en produits Michelin, tant en ce qui concerne la gamme tourisme que la gamme poids lourd.

En effet, Michelin conditionne l'accès au Club au respect par le revendeur d'une certaine "température" Michelin: dans un document interne relatif au Club(9), il est affirmé à propos de la part de partenariat ou de marché du client: [...] et utilise clairement cette condition comme levier dans ses négociations commerciales, comme de nombreux documents collectés en inspection l'attestent;

5. de maintenir un stock en produits Michelin suffisant pour répondre immédiatement à la demande du client;

6. de communiquer à Michelin ses statistiques et prévisions de vente, catégorie par catégorie et toutes marques, ainsi que l'évolution des parts de marché Michelin;

7. de réaliser le premier rechapage des carcasses Poids Lourd, Génie Civil et Camionnette chez Michelin France. Cette obligation figurait dans une première version de 1991. Dans une deuxième version de 1993, elle disparaissait pour les camionnettes. Selon Michelin, cet engagement n'était pas sanctionnable et ne l'aurait jamais été. À partir d'octobre 1995, cette clause a été supprimée.

Il convient toutefois de signaler le cas d'un revendeur désireux de traiter activement avec des rechapeurs concurrents qui s'est plaint d'avoir été menacé de se voir refuser l'entrée au Club;

8. de participer activement aux programmes de dynamisation des points de vente, des poids lourds et du professionnalisme agricole, ainsi qu'à des programmes de formation professionnelle et, le cas échéant, participer à la chaîne de dépannage Poids Lourd et à d'autres services rendus aux transporteurs dans la mesure de ses possibilités.

(108) En cas de manquement du spécialiste à ses engagements, Michelin peut résilier la convention sans indemnité. Dans ce cas, le spécialiste doit retourner à Michelin tout manuel, document et copie remis en exécution de la convention. Dans une première version de cette dernière, début 1990, le revendeur devait en outre rembourser à Michelin, sur cinq ans et par fractions égales, l'intégralité des sommes perçues à titre de contribution financière. À partir de 1992 cette obligation devient plus ambiguë, le revendeur ne perdant plus que "tout droit aux contreparties prévues au titre des articles 1 à 7".

II. ANALYSE JURIDIQUE

A. LES MARCHÉS EN CAUSE

1. LES MARCHÉS DE PRODUITS

(109) Les producteurs et revendeurs, consultés par demandes de renseignements de la Commission, s'accordent tous pour affirmer que le marché des pneus pour poids lourd et autobus constitue un marché clairement distinct du marché des pneus destinés à d'autres catégories de véhicules. Ils confirment en outre les différences existant entre le marché de première monte et le marché de remplacement. Ces points ne feront donc pas l'objet d'une analyse plus approfondie (voir supra, considérants 3 à 48).

(110) On peut en revanche se demander si les pneus neufs de remplacement pour poids lourd constituent à eux seuls un marché pertinent (excluant donc les pneus rechapés) ou si au contraire les pneus rechapés doivent être inclus avec les pneus neufs dans un marché pertinent unique des pneumatiques au remplacement. Cette dernière hypothèse impliquerait qu'un rapport de concurrence significatif existe entre les deux types de pneumatiques.

(111) Dans sa décision 81-969-CEE(10) (affaire IV/29.491 Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin-"décision NBIM"), la Commission a défini comme pertinent le marché des pneus neufs au remplacement pour poids lourd. La Cour de justice des Communautés européennes a par la suite confirmé la conclusion de la Commission selon laquelle le marché des pneus neufs n'était pas soumis à une concurrence des pneus rechapés suffisante pour modifier de façon substantielle les conditions de la concurrence et la position dominante de Michelin sur le marché des pneus neufs. Cette analyse est encore valide, ce que Michelin a d'ailleurs confirmé lors de la phase d'enquête (en réponse aux demandes de renseignements de la Commission).

(112) La décision NBIM se limitant au marché du pneu neuf, ni la Commission ni la Cour de justice n'ont eu en revanche l'occasion de se prononcer sur le caractère pertinent ou non du marché des pneus rechapés, ce qui est nécessaire dans le cas d'espèce. À la lumière d'arguments identiques à ceux développés à l'appui de la définition du marché du neuf comme pertinent, il est clair que le marché des pneus rechapés n'est pas non plus soumis à une concurrence des pneus neufs susceptible de modifier les conditions de concurrence qui le caractérisent. Les marchés du pneu neuf et du pneu rechapé constituent donc deux marchés pertinents distincts. On rappellera les principaux éléments qui fondent une telle appréciation.

(113) En premier lieu, il existe une très nette différence de prix entre les pneumatiques neufs et les pneumatiques rechapés, ce qui témoigne de différences significatives entre ces produits. Dans leur grande majorité, les pneus neufs sont commercialisés à un prix largement supérieur à celui des pneus rechapés, le prix unitaire moyen de ces derniers étant équivalent environ à 50 % du prix d'une enveloppe neuve. Cette différence résulte non seulement de caractéristiques différentes, mais aussi - puisque le rechapage nominatif est la pratique majoritaire - de la non-valorisation de la carcasse lors de la facturation de l'opération, ce qui met en évidence le fonctionnement très différent des deux marchés comme on le verra ci-après.

(114) En second lieu, les structures respectives de l'offre et de la demande des deux produits sont tout sauf identiques. En ce qui concerne l'offre, les producteurs de pneus neufs sont en général bien distincts des rechapeurs, Michelin étant la seule entreprise à détenir une position forte sur les deux segments. Du point de vue de la demande, les clients des fabricants de pneus neufs sont majoritairement des négociants spécialistes, tandis que les clients des rechapeurs sont majoritairement les transporteurs, qui ne recourent aux négociants spécialistes qu'en tant qu'intermédiaires. Dans la grande majorité des cas, le rechapage prolonge en effet l'utilisation du pneu neuf par son propriétaire originel. L'entreprise de rechapage joue donc le rôle d'un prestataire qualifié de services qui n'entretient pas nécessairement de lien avec le secteur de la vente de pneumatiques. Si la médiation du revendeur est habituelle, elle n'est pas essentielle.

(115) En troisième lieu et surtout, le marché du rechapage se présente comme un marché secondaire de prestation de service "après-vente" vis-à-vis du marché des pneumatiques neufs. Il en résulte que les pneus neufs ne peuvent valablement se substituer aux pneus rechapés. En effet, l'opération de rechapage résultant précisément du souci de prolonger la vie d'un pneu afin de différer le rachat d'un pneu neuf, il est exclu qu'une véritable concurrence s'exerce entre le rechapage et l'achat d'un pneu neuf. Le fait qu'en France plus de 80 % des transporteurs recourent uniquement au rechapage nominatif, à l'exclusion du rechapage dit "complet" (achat d'une carcasse rechapée dont le transporteur n'était pas préalablement propriétaire) met en évidence à quel point le marché du rechapage est complémentaire et donc distinct du marché du pneu neuf. Cela est d'autant plus vrai que l'une des caractéristiques principales du marché poids lourd est qu'au contraire des acheteurs "tourisme", les transporteurs prennent systématiquement en compte le prix de revient kilométrique ("PRK"). Le rechapage fait partie d'une stratégie d'abaissement du coût de revient du pneu, ce qui exclut pratiquement qu'à ce stade d'usure de l'enveloppe, l'activité de rechapage soit en concurrence effective avec l'acte d'achat d'un pneu neuf.

(116) L'analyse montre enfin que, de par leurs caractéristiques propres et en termes d'usage par l'utilisateur final, les pneus neufs et les pneus rechapés ne sont pas non plus réellement substituables. En effet, les transporteurs évitent systématiquement de monter des pneus rechapés à l'avant de leurs véhicules moteurs (roues directionnelles) ou sur des camions effectuant des transports dangereux. Ces pratiques relèvent moins de considérations de stricte sécurité (si la plupart des négociants spécialistes reconnaissent une fiabilité moindre, ils s'accordent sur le fait qu'un rechapage de bonne qualité réduit le risque quasiment à zéro) que de la volonté, dans un contexte de pratique désormais généralisée du flux tendu, d'éviter tout incident de parcours susceptible de retarder une livraison. La situation qui prévalait en 1981, n'a donc pas significativement changé.

(117) De leur côté, les rechapeurs et les négociants en pneus rechapés ne considèrent pas non plus ces produits comme une réelle alternative aux pneus neufs, mais bien comme des produits complémentaires dans la mesure où, d'une part, dans l'exercice de leur activité commerciale, ils dépendent d'un approvisionnement régulier en pneus neufs qui ne peut être remplacé, ou tout au moins que de manière très insuffisante, par la fourniture de pneus rechapés et où, d'autre part, les pneus rechapés représentent un produit secondaire par rapport aux pneus de première monte ou de remplacement usagés, ces derniers constituant une "matière première" indispensable pour le rechapage.

(118) Il y a donc lieu de conclure que les marchés du pneumatique poids lourd neuf au remplacement d'une part et du pneumatique poids lourd rechapé d'autre part sont bien distincts. C'est donc bien sur ces deux marchés de référence que la présente décision analysera si Michelin est en position dominante.

2. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

(119) Le marché géographique en cause comprend le territoire sur lequel l'entreprise concernée est engagée dans la vente de biens et de services, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué des zones voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable.

Le marché des pneus neufs de remplacement

(120) Dans sa décision NBIM, la Commission avait conclu que le marché du pneumatique poids lourd au remplacement était un marché national. Cette appréciation prenait en compte le caractère limité des importations parallèles, l'organisation nationale des filiales de commercialisation et le fait que Michelin ne comptabilisait que les achats nationaux pour le calcul de ses remises. La justesse de cette analyse a été confirmée par la Cour de justice dans son arrêt du 9 novembre 1983 dans l'affaire 322-81, NV Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission(11) (ci-après dénommé "arrêt NBIM"), notamment au point 26 des motifs: "En pratique, les revendeurs établis aux Pays-Bas ne s'approvisionnent qu'auprès des fournisseurs exerçant leurs activités aux Pays-Bas. C'est donc à juste titre que la Commission a considéré que la concurrence à laquelle NBIM est exposée s'exerce principalement au niveau du marché néerlandais, et que c'est à ce niveau que les conditions objectives de concurrence sont similaires pour les opérateurs économiques".

(121) Michelin affirme aujourd'hui que le marché est devenu mondial. À l'appui de cette thèse, le constructeur invoque le fait que "la structure de la concurrence sur le marché du remplacement du pneumatique est mondiale: les principaux acteurs (...) se livrent une concurrence à l'échelle mondiale". Michelin souligne en outre que le groupe s'est réorganisé en 1996 en "lignes produit européennes" [les UOT(12)], qu'il existe désormais une réglementation européenne commune et enfin que "le caractère mondial du marché du pneumatique s'est confirmé au cours des dernières années marquées par des importations massives de pneumatiques en provenance d'Asie et d'Europe de l'Est".

(122) Le phénomène incontestable d'intensification des échanges qui a caractérisé les dix dernières années nécessitait sans doute un réexamen de la dimension géographique de la concurrence sur le marché de produit en cause. Au terme de ce réexamen, la Commission estime que malgré les arguments avancés par Michelin, les conditions de concurrence ne sont pas homogènes au niveau européen et que celles qui caractérisent le marché français diffèrent de manière appréciable des conditions prévalant sur les autres marchés de la Communauté.

(123) L'argument selon lequel les principaux fabricants mondiaux de pneumatiques se livrent une concurrence dans de très nombreux pays et dans l'ensemble de la Communauté ne permet en aucune manière de préjuger du caractère mondial du marché géographique en cause. Cette situation est en effet parfaitement compatible avec l'existence de conditions de concurrence sensiblement différentes selon les pays considérés. Cette situation caractérisait d'ailleurs déjà l'industrie du pneumatique à l'époque pour laquelle la Cour de justice a reconnu le caractère national du marché néerlandais du pneumatique neuf de remplacement.

(124) Ce qui compte en l'espèce, est bien plutôt de jauger la capacité réelle des revendeurs à s'approvisionner en dehors de leur territoire national, de même que les similitudes ou disparités qui peuvent être d'ailleurs rencontrées au niveau de la structure de l'offre.

Achat auprès de la filiale nationale et caractère limité des importations parallèles

(125) Or, lors de son enquête, par voie de demandes de renseignements, la Commission a notamment constaté que les grands manufacturiers organisent tous en 1997 la distribution et la commercialisation de leurs pneumatiques selon une logique nationale.Cette situation n'a donc pas évolué depuis la décision NBIM. Michelin lui-même reconnaît qu'il "exerce des activités sur les divers marchés nationaux de remplacement par l'intermédiaire de sociétés constituées conformément au droit national applicable et commercialement autonomes. (...) [...]". L'ensemble des manufacturiers confirme en outre que les revendeurs nationaux s'approvisionnent presque exclusivement auprès des filiales commerciales nationales. Michelin confirme lui-même que, bien qu'il leur soit possible de s'approvisionner auprès d'autres sources que la filiale nationale, "les revendeurs, du moins en ce qui concerne leur approvisionnement régulier, s'adressent généralement à la société Michelin établie dans leur pays".

(126) Il importe encore de rappeler que dans son arrêt NBIM, la Cour a considéré que le simple fait que les revendeurs s'approvisionnent de manière quasi-systématique auprès de la filiale nationale permettait de conclure au caractère national du marché. En partant du constat que "la politique commerciale des différentes filiales des groupes qui se font concurrence au niveau européen et même mondial est généralement adaptée aux conditions spécifiques de chaque marché", la Cour avait en effet conclu que c'était "à juste titre que la Commission a considéré que la concurrence à laquelle [Michelin était] exposée s'exerç[ait] principalement au niveau du marché néerlandais". La situation à cet égard n'a pas changé et vaut aujourd'hui pour la France.

(127) Les données recueillies par ailleurs attestent du caractère extrêmement limité des importations parallèles, et ce malgré le fort différentiel de prix qui existe entre les différents marchés nationaux au sein de la Communauté.À cet égard, l'un des plus gros importateurs de pneumatiques (la société Vandenban) explique ainsi, dans un article de presse fourni par Michelin "que son activité porte à 98 % sur des pneus tourisme, l'activité Poids Lourd étant laissée aux manufacturiers, les 2 % restant représentant des dépannages pour des clients fidèles".

(128) À cela plusieurs raisons:

1) raisons économiques:

même si le revendeur peut théoriquement se fournir auprès d'une filiale étrangère de Michelin, il n'a aucun intérêt économique à le faire car il paierait alors le prix tarif et ces achats ne rentreraient pas en compte dans le calcul des rabais par Michelin;

2) raisons historiques:

en France, le grossisme, système de distribution qui est favorable aux importations parallèles, est très peu développé. Il est en outre quasi-inexistant pour le marché du poids lourd. Du côté de l'offre aux détaillants ("sell-in"), il existe en effet des différences marquantes entre des pays où, compte tenu de l'inexistence du grossisme, les revendeurs sont en prise directe avec les manufacturiers (France, Italie, par exemple) et d'autres pays où le canal du grossisme a une importance forte (Pays-Bas, Allemagne);

3) raisons techniques:

l'élément technique est probablement le plus déterminant. Les revendeurs ont impérativement besoin d'un approvisionnement régulier et sûr dans l'ensemble de la gamme. Ces conditions ne sont aucunement garanties par le recours à des importateurs parallèles. Cette situation est d'autant moins surprenante que la revente de pneumatiques à des transporteurs professionnels est une activité très technique qui nécessite non seulement des connaissances techniques, mais aussi le suivi rigoureux d'un certain nombre de directives émises par le fabricant, surtout lorsque les pneus ont vocation, comme c'est systématiquement le cas pour les pneumatiques Michelin, à être recreusés et rechapés. Il est, dès lors, logique que les revendeurs s'approvisionnent exclusivement auprès des filiales nationales des fabricants, qui leur fournissent dans le même temps un certain nombre de documents et de conseils de montage et de suivi des pneumatiques.

(129) Par ailleurs, s'il est vrai que des achats de revendeurs à l'importation existent, ceux-ci sont sporadiques et minimes: ils sont complémentaires de l'approvisionnement national et ne pourraient en aucun cas s'y substituer. Ce point était une pierre de touche de la définition du marché géographique dans la décision 88-518-CEE de la Commission(13) (affaire IV/30.178 - Napier Brown - British Sugar).

(130) Ainsi, le caractère limité des importations parallèles et les achats massifs réalisés auprès des filiales nationales sont donc bien la preuve d'un marché géographique restreint au territoire français au sens de l'arrêt NBIM.

(131) En outre, une structure de l'offre différenciée entre les divers États membres ainsi que des différences de prix majeures sont des critères qui permettent également de conclure à des marchés nationaux séparés et notamment à l'existence du marché pertinent constitué par le territoire français.

Structure de l'offre différenciée

(132) À cet égard, on doit noter que les parts de marché de chacun des grands manufacturiers varient sensiblement selon les pays considérés.Le tableau 8 figurant ci-dessous illustre le cas de Michelin:

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(133) De telles variations nationales sont peu compatibles avec l'hypothèse d'un marché européen caractérisé par une concurrence homogène.Certes, de telles différences peuvent résulter d'implantations plus ou moins récentes et/ou de traditions nationales affectant encore le comportement des consommateurs. Si elle était confirmée, l'existence de tels phénomènes viendrait en l'occurrence conforter l'hypothèse selon laquelle le marché du pneumatique poids lourd au remplacement dans la Communauté est encore parcouru de lignes de partage nationales.

Différence sensible des prix

(134) Les différences sensibles qui ont caractérisé, sur toute la période de référence, le prix des pneumatiques selon le pays où ces derniers sont commercialisés confortent l'hypothèse du caractère national du marché géographique en cause.Michelin a fourni un ensemble de tableaux qui mettent en évidence des différences significatives de prix au sein de la Communauté. Ainsi, si l'on compare le prix, dans six États membres, de l'un des pneus le plus vendu dans une des dimensions les plus courantes (Michelin 315-80 R 22.5 XZA), on obtient le tableau suivant:

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(135) Ce tableau permet de constater qu'en 1993, par rapport au marché français les prix "barème de facturation" étaient plus bas [...] et [...], mais nettement plus élevés [...] et surtout [...]. Il est frappant que pour un même produit, la différence peut atteindre jusqu'à [...] dans le cas [...] et [...]. Depuis lors, ces différences se sont certes estompées, mais demeurent importantes. Par rapport au marché français les prix "barème" demeurent en 1996 plus bas [...] et [...] alors qu'ils sont demeurés plus élevés [...] et [...]. La différence entre les pays où le pneu était vendu le plus cher et le moins cher est encore de [...], en l'occurrence entre [...].

(136) Si on prend comme référence les prix "barème" déduction faite des remises sur facture, on obtient le tableau suivant, qui permet de constater que des différences significatives subsistent:

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(137) Enfin, si l'on compare les prix nets pratiqués par Michelin après remises maxima déduites, on obtient les chiffres suivants:

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(138) On constate qu'à partir de 1994 notamment, le prix était régulièrement et sensiblement plus élevé [...] que dans les autres pays de référence. À titre d'exemple, en 1994, le prix du pneumatique était environ [...] moins cher [...].

(139) Des variations significatives apparaissent nettement, même s'il convient d'utiliser ces chiffres avec prudence. Il est en effet extrêmement difficile d'établir des comparaisons précises. Outre que les fluctuations monétaires peuvent brouiller l'interprétation, les barèmes tarifs ne correspondent quasiment jamais au prix réellement payé et les remises varient en fonction de la situation spécifique de chaque revendeur. À cet égard, il est capital de signaler que les remises "après facture" sont proportionnellement nettement plus importantes en France que dans des pays comme les Pays-Bas, l'Allemagne ou l'Angleterre. Le fait que les chiffres ci-dessus tiennent compte des remises maxima après facture largement théoriques en ce qui concerne la France, puisque peu de revendeurs peuvent en bénéficier dans leur intégralité, a donc clairement pour effet de sous-estimer les prix français par rapport à ces pays.

(140) Bien que tous ces éléments constituent des indices forts de l'existence d'un marché national du pneumatique neuf de remplacement en France, les trois objections figurant ci-après ont été soulevées par Michelin.

(141) En premier lieu, l'importance des flux intra-communautaires de pneumatiques serait une preuve de la dimension communautaire du marché:

Michelin soutient ainsi dans sa réponse aux griefs que "plus de [...] du nombre total de pneus poids lourd neufs au remplacement vendus sur le marché français ne sont pas produits en France". Or les flux décrits par Michelin reflètent une organisation de la production à l'échelle européenne, ce qui n'exclut en aucune manière l'existence de marchés nationaux. Ce sont en effet les conditions de commercialisation qui déterminent en l'espèce la dimension du marché et les flux en question décrits par Michelin sont des flux réalisés entre usines de manufacturiers de pneumatiques, dont naturellement Michelin lui-même pour une grosse partie, et donc hors marché. En revanche, les importations parallèles sont quant à elles beaucoup plus limitées.

(142) En deuxième lieu, les transporteurs routiers pourraient aussi très facilement acheter leurs pneumatiques à l'étranger.

Selon Michelin, nonobstant le caractère national de la relation fabricant-distributeur, les utilisateurs finaux, c'est-à-dire les flottes de transports routiers, pourraient facilement s'affranchir de cette compartimentation en achetant directement les pneus auprès des négociants spécialistes des pays pratiquant les prix les plus bas. Ce scénario ne correspond aucunement à la réalité. Compte tenu des problèmes logistiques qu'une telle stratégie poserait d'une part, de la pression qui pèse sur les transporteurs en termes de cadence d'autre part, il paraît exclu que les flottes de transport soient susceptibles de s'approvisionner elles-mêmes à l'étranger, d'autant plus que la gestion des pneumatiques d'une flotte nécessite des connaissances techniques et un suivi rigoureux que rendraient impossible de telles pratiques.

(143) Il importe en effet de rappeler qu'à l'échelle d'un transporteur routier, a fortiori lorsqu'il s'agit d'une véritable flotte, la gestion des pneumatiques revêt un caractère très technique: évaluation du degré d'usure des pneumatiques et du moment où il convient d'intervenir, pratique de la permutation des pneumatiques pour homogénéiser leur usure et rallonger leur utilisation, etc. Il s'ensuit que pour un professionnel de la route, l'achat de pneumatiques est difficilement dissociable du service presté à cette occasion par le revendeur. En outre, l'intervention sur les pneumatiques devant se faire à des moments précis, on voit mal comment un transporteur pourrait envisager sérieusement de s'approvisionner à l'étranger et de stocker les pneus ainsi acquis.

(144) En effet plusieurs éléments militent à l'encontre de l'hypothèse soulevée par Michelin:

i) le suivi technique: de nombreux éléments du dossier montrent que le suivi technique constant de la flotte de pneumatiques est essentiel [...]. S'il est vrai qu'environ 20-25 % des trajets se font à vide en Europe, il est irréaliste (compte tenu de l'impératif de suivi technique régulier des pneus et de la nécessité de les entreposer) que les transporteurs s'approvisionnent à l'étranger au coup par coup;

ii) les problèmes linguistiques: les entreprises de transport étant pour la plupart des micro-entreprises (voir ci-après), les obstacles linguistiques qui peuvent gêner un commerce intra-communautaire ne sont pas négligeables, d'autant plus qu'un commerce de pneumatiques serait une activité annexe au transport routier et donc sans financement spécifique (exemple: formation aux langues étrangères et à la négociation dans ces mêmes langues);

iii) les politiques commerciales ciblées: le développement des contrats au forfait kilométrique va aussi à l'encontre de cette hypothèse;

iv) la structure du transport routier: celle-ci, en France, tend à démontrer que de toute manière, seule une part extrêmement limitée des transporteurs pourraient se permettre une telle démarche.

(145) Selon le rapport du groupe des sages sur le transport routier de marchandises au sein du marché unique (1994), en 1990, sur 37037 entreprises de transport de marchandises par route en France, 81,6 % avaient de 1 à 5 véhicules; 5,6 % de 6 à 10 véhicules et seulement 12,8 % avaient 11 véhicules ou plus. La proportion de petites entreprises a augmenté par rapport à 1985.

(146) Le même rapport indique: "La grande majorité des opérations de transport routier de marchandises se réalise sur les marchés locaux". Même dans les pays où les distances de transport sont les plus grandes [Italie], "50 % du fret est transporté sur des distances de moins de 50 km".

(147) En outre, une enquête de la Commission a confirmé qu'une politique de flotte avec un service et des prix spécifiques s'adresse précisément aux entreprises détenant un grand nombre de véhicules et est mise en place par la plupart des grands manufacturiers de pneumatiques. Ceux-ci témoignent du fait que cette politique (et donc les services associés) se limite à la France. Il est donc clair que même si certaines entreprises de transport avaient la tentation de pratiquer leurs achats à l'étranger, cette politique de ciblage "marketing", [...], les en préviendrait. D'ailleurs, il n'est pas exclu de considérer ce sous marché comme peut-être un marché pertinent au vu des caractéristiques de prix et de distribution qui lui sont spécifiques. Cependant, pour les besoins de la présente décision, ce point n'emportant pas de conséquences favorables ou défavorables pour Michelin, il n'est nul besoin d'en développer l'analyse.

(148) En troisième lieu, Michelin affirme enfin que le caractère mondial du marché du pneumatique s'est confirmé au cours des dernières années marquées par des importations massives de pneumatiques en provenance d'Asie et d'Europe de l'Est.

(149) Cet argument doit être réfuté pour deux raisons principales.

(150) Premièrement, les importations, invoquées par Michelin, concernent quasi-exclusivement les pneus dits de "troisième ligne"(15), qui n'entrent en concurrence que de manière très limitée avec les produits qui forment le coeur de la gamme Michelin. Deuxièmement, ces produits concernent nettement moins de 20 % des enveloppes de remplacement vendues en Europe. Les chiffres obtenus auprès d'Eurostat indiquent que les importations "hors UE" ne représentaient en 1996 que 6,2 % des ventes de pneus neufs poids lourd sur le marché français, (avec notamment la décomposition suivante: PECO: 2 %; Asie du Sud-Est dont Japon: 3,3 %).

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(151) Deuxièmement, il est loisible de noter que le marché français est le marché de loin le moins exposé à la pénétration des pneumatiques de troisième ligne (en prenant comme point de référence une moyenne communautaire à 16,5 % et un État membre comme les Pays-Bas avec une pénétration de 91,4 %), ce qui renforce encore le caractère particulièrement fermé du marché français.

(152)En conclusion, il apparaît clairement qu'aucun des arguments avancés par Michelin à l'appui de sa thèse n'est de nature à emporter la conviction. Dans le contexte spécifique de la présente affaire, il est donc toujours justifié de définir le marché géographique en cause, pour ce qui concerne les pneumatiques poids lourd neufs au remplacement, comme le marché national français.

Le marché des pneus rechapés

(153) Le marché du pneu rechapé se présente clairement comme un marché national, notamment en ce qui concerne la France.

(154) En premier lieu, la majorité des manufacturiers consultés par demandes de renseignements de la Commission affirment que le marché du pneu rechapé est un marché national. Au demeurant, Michelin confirme lui-même dans sa réponse à la Commission que le marché du rechapage est national, car c'est un marché de prestation de services, et donc un marché de proximité. Le marché du rechapage étant un marché de service et les services ne pouvant par définition être stockés, c'est d'un marché de proximité qu'il s'agit et donc au plus de dimension nationale.Même dans le cas du rechapage à chaud, où les rechapeurs ne disposent certes d'installations de rechapage à chaud que dans quelques pays, la gestion des enveloppes usagées se fera à l'échelle nationale, comme l'indique Michelin.

(155) D'autres facteurs viennent encore, s'il était besoin, renforcer cette constatation.

a) La structure de l'offre est marquée par son hétérogénéité au sein de la Communauté

(156)Des différences très nettes, que traduisent les parts de marché très différenciées des manufacturiers, marquent le paysage communautaire. Le marché français se distingue en particulier par la présence très nettement prépondérante de Michelin, qui détient, par exemple pour l'année 1995, près de [...] du marché, alors que Bandag, premier concurrent, détient moins de [...] de ce même marché. Dans les autres pays d'Europe occidentale en revanche, les rapports de concurrence avec les forces en présence sont différents et parfois au détriment de Michelin, comme en témoigne le tableau suivant:

<EMPLACEMENT TABLEAU>

b) Les différences affectant la structure de la demande au sein de la Communauté contribuent à individualiser fortement le marché français

(157)Les différences caractérisant la structure de la demande sur les marchés du rechapage au sein de la Communauté sont en effet marquées. Le caractère largement majoritaire en France des systèmes du rechapage à chaud et du rechapage nominatif contribue à cet égard à la forte individualisation du marché français. En effet, la technique à chaud implique l'utilisation d'installations industrielles de rechapage, des contraintes liées au transport des carcasses, des temps de traitement longs et surtout un système élaboré de collecte des carcasses. Dans ces conditions, la présence d'un intermédiaire (normalement le négociant spécialiste) entre le rechapeur et le transporteur est quasiment indispensable. En revanche, dans les pays où le rechapage "à froid" est largement répandu, c'est très souvent le négociant spécialiste ou le rechapeur qui effectuent eux mêmes le rechapage, de telle sorte que la relation entre le rechapeur et le transporteur est directe.

c) Le différentiel de prix entre les États membres est très fort

(158) Il existe des différences significatives en ce qui concerne les prix pratiqués dans les différents pays, que la Commission considère les barèmes de facturation fournis par Michelin ou bien les prix après remises, ce qui traduit l'absence d'homogénéité des conditions de concurrence en Europe.En témoigne par exemple la comparaison du prix d'un pneu rechapé très courant (Michelin 385-65 R 22.5 XZA) vendu à un revendeur dans six pays.

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(159) Par rapport au marché français, les différences de prix sont sensibles, tant en 1993 qu'en 1996. En 1993, les prix sont moins élevés [...], mais beaucoup plus élevés [...] et surtout [...]. La différence entre [...] est de quasiment [...] pour un même pneu. En 1996, la différence de prix entre un pneu rechapé [...] était de [...].

(160) Si la Commission considère le prix de ce même pneu, déduction faite des remises sur facture, le tableau suivant est obtenu:

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(161) Enfin, si on tient compte du prix net final, toutes remises déduites:

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(162) Encore ici, le prix final de revient payé par le revendeur est certainement inférieur, en fonction des remises et/ou avantages auxquels il a droit et qui varient sensiblement en fonction des États membres, ainsi que des engagements auxquels le revendeur décide de se soumettre. C'est le cas, par exemple, de la prime "PRO" ou "Convention Pour un Rendement Optimum des pneumatiques poids lourd Michelin", qui existe en France et en Espagne, mais pas en Allemagne ou au Royaume-Uni.

(163) Michelin lui même est au fait des différences de prix existant au niveau européen puisqu'il estime que [...] (affirmation d'un groupe de travail rechapage Michelin dans un document recueilli lors des inspections).

(164) L'analyse comparative des prix de rachat des carcasses Michelin par pays indique, elle aussi, des variations de prix considérables. De tableaux trouvés chez Michelin ont été extraites les données suivantes relatives à un type de pneu couramment soumis au rechapage:

<EMPLACEMENT TABLEAU>

Caractère limité des achats des négociants spécialistes hors de France

(165) En dépit de ce différentiel de prix, les achats des négociants spécialistes hors de France sont rarissimes pour deux raisons techniques et deux raisons commerciales:

(166) Deux raisons techniques:

- le rechapage en France étant essentiellement nominatif, les contraintes de délais impliquent le recours à des unités de rechapage peu distantes des acheteurs, de telle sorte que les revendeurs enverront rarement les carcasses en question à l'étranger,

- le prix d'un pneumatique rechapé étant plus faible que le prix d'un pneumatique neuf, le coût du transport des carcasses représente une proportion plus importante du coût final d'un pneumatique rechapé que ce qu'il représente pour un pneumatique neuf au remplacement. Ce coût peut s'avérer un obstacle sérieux au commerce intra-communautaire.

(167) Deux raisons commerciales:

- la collecte des carcasses par les rechapeurs à chaud, dont Michelin, s'organise essentiellement au niveau national,

- les conditions commerciales et le système de rappels mis en place par Michelin incitent fortement les négociants spécialistes à envoyer les carcasses à rechaper auprès de la filiale nationale de Michelin. Si le revendeur veut maximiser ses rabais, il a donc intérêt à ne pas diversifier ses achats et à faire rechaper ses carcasses chez le même rechapeur.

(168) En ce qui concerne les pneumatiques poids lourd rechapés, le marché géographique pertinent sera donc considéré comme le marché français.

(169) Compte tenu de l'importance du marché français pour les produits en cause, il s'agit bien d'une partie substantielle du marché commun au sens de l'article 82 du traité.

Conclusion sur les marchés pertinents

(170) Le pneumatique de remplacement pour véhicules poids lourd englobe deux marchés de produits pertinents, à savoir le marché du pneu neuf de remplacement et le marché du pneu rechapé.

(171) Pour chacun des deux marchés de produit définis, le marché géographique pertinent s'est révélé être le marché français, compte tenu notamment de l'absence de conditions de concurrence et de conditions commerciales homogènes sur les marchés nationaux et du caractère limité des achats de pneumatiques hors de France par les revendeurs.

B. LA POSITION DOMINANTE DE MICHELIN

(172) Dans son arrêt du 13 février 1979 dans l'affaire 85-76, Hoffmann-La Roche/Commission(16) la Cour de justice a défini la position dominante comme étant une "situation de puissance économique détenue par une entreprise, qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement des consommateurs". Selon la Cour, "l'existence d'une position dominante peut résulter de plusieurs facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants, mais parmi ces facteurs, l'existence de parts de marché d'une grande ampleur est hautement significative"(17).

(173) L'analyse successive de trois types de critères permet de conclure que Michelin détient sur les marchés en cause une position dominante. En premier lieu, un certain nombre d'indices structurels, au premier rang desquels la part de marché de Michelin, permettent d'établir ce diagnostic. L'analyse du comportement de Michelin sur les marchés en cause permet en second lieu de relever un certain nombre d'attitudes et de pratiques caractéristiques de la détention d'une position dominante. Le constat de la dépendance économique dans laquelle sont placés les négociants spécialistes vis-à-vis du partenaire obligatoire que représente Michelin vient enfin confirmer cette analyse.

1. LES INDICES STRUCTURELS DE LA POSITION DOMINANTE

(174) Depuis l'arrêt Hoffmann-La Roche, la Cour de justice considère que "des parts de marché extrêmement importantes démontrent par elles-mêmes la preuve de l'existence d'une position dominante"(18). Dans ce même arrêt, la Cour estime que si, par exemple, une entreprise détient 86 % de parts de marché (Vitamine B-2) ou même 75 % (Vitamine B-6 "95 % même diminué de 20 %"), elle est réputée en position dominante. Dans son arrêt du 3 juillet 1991 dans l'affaire C-62-86, AKZO Chemie BV/Commission(19), la Cour affirme qu'une part de marché de 50 % constitue par elle-même, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante.Ainsi, on lit: "S'agissant des parts de marché, la Cour a jugé que des parts extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante. Tel est le cas d'une part de marché de 50 % comme celle constatée en l'espèce"(20).

(175) Or, toutes les analyses convergent pour montrer que la part de marché de Michelin sur les deux marchés pertinents a toujours été, et ce sur plus de vingt ans, supérieure à ce seuil.

Le marché du pneu neuf de remplacement

(176) Le SNCP (Syndicat national du caoutchouc et des plastiques) attribuait à Michelin 58,9 % des parts de marché du pneu neuf de remplacement en 1995. Une publication de Marketline Ltd, un spécialiste du secteur, lui donnait 55 % de parts de marché. Michelin contestait ce point de vue pour ne s'arroger que [...] de ce marché. Ses concurrents estiment que cette part s'inscrit dans une fourchette de 51 à 65 %. En outre, des tableaux chiffrés internes de la direction commerciale de Michelin trouvés lors des inspections de 1997, démontrent une stabilité des parts de marché de Michelin entre [...]. Quel que soit le bien fondé de chacune de ces analyses, elles affirment toutes que Michelin a eu, sur toute la période de référence, une part de marché supérieure à [...](21) et sachant que, d'après le manufacturier lui-même, Michelin avait [...] de parts de marché au début des années 80, il est loisible d'en déduire que Michelin a toujours été en position dominante sur le marché français du pneu neuf de remplacement, cela depuis vingt ans, et qu'en outre ses parts de marché sont stables à un très haut niveau depuis le début de la décennie.

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(177) Le tableau ci-dessous reprend les données trouvées au sein de la direction commerciale du manufacturier lors de l'inspection:

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(178) En tout état de cause, l'ensemble des fabricants et les études consultés s'accordent à affirmer que Michelin détient une part de marché de 5 à 6 fois plus importante que celle de son concurrent le plus proche, Dunlop, qui contrôle à peine [...] du marché.

Le marché du pneu rechapé

(179) Selon Michelin lui-même, Michelin et sa filiale Pneu Laurent auraient eu des parts de marché toujours supérieures ou égales [...], et ce sans rupture de continuité de 1985 à 1996. Leurs concurrents les plus sérieux auraient été l'ensemble des franchisés de Bandag (présents uniquement sur le rechapage à froid) détenant au plus [...] du marché sur la période (et bien moins au début de la période), suivis de l'ensemble Dunlop-SEIA-Pneu Holding, qui détiendrait conjointement [...], puis de Goodyear, [...] et de Continental, détenant [...]. Au début de la période étudiée, Michelin aurait même atteint les [...] de parts de marché.

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(180) La détention d'une position dominante par Michelin sur le marché du pneu rechapé ne fait donc guère de doute puisque des parts extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante. En outre, cette situation de dominance est ancrée dans la durée et ne semble donc pas contestable.

2. LES AUTRES FACTEURS DE LA POSITION DOMINANTE DE MICHELIN

(181) Un certain nombre de caractéristiques de l'activité de Michelin permet de mieux appréhender les raisons de sa puissance sur les marchés en cause.

(182)L'avance technologique de Michelin est incontestable. Le manufacturier a lancé le pneu à carcasse radiale en 1948 et reste à ce jour le premier fabricant au monde de ce produit. Bien que les brevets originels relatifs au pneu à carcasse radiale aient expiré depuis quelques années et que des licences aient été concédées à d'autres producteurs à partir de 1956, Michelin dispose toujours d'un savoir-faire particulier dans ce domaine. Par ailleurs, depuis plusieurs années d'importants travaux de recherche sur le "pneu vert" ont été poursuivis, ce dernier étant commercialisé sous l'appellation "Energy".

(183) Cette avance technologique indiscutable résulte notamment des vastes investissements que Michelin a été en mesure de réaliser du fait de l'importance de ses moyens financiers. Il n'a cessé de mener une politique active de recherche et d'innovation.Ainsi, son budget de Recherche & Développement Technique (R & DT) s'élève à [...] de son chiffre d'affaires, ce qui est bien supérieur à ceux de ses concurrents les plus importants Les budgets R & DT de Goodyear, Bridgestone/Firestone, Continental, Pirelli et Dunlop(22) se montent respectivement à [...],[...],[...],[...] et [...].

(184) La marque Michelin est en mesure de proposer une gamme très étendue de pneumatiques, de sorte qu'un produit très différencié est offert et que des catégories de clients toujours plus nombreuses sont touchées. En France, cette gamme est plus importante que celles proposées par les autres fabricants et sa qualité et son prestige demeurent indiscutables.

(185) L'expression d'une demande spontanée de la part des gros transporteurs, enfin, témoigne du fait qu'une préférence pour les produits Michelin subsiste chez les transporteurs français. Cette attitude s'explique à plusieurs titres: l'avance considérable qui était celle de Michelin dans le passé; le poids important de cette marque dans l'équipement d'origine; l'efficacité de la force de vente sur le terrain et le taux de rechapabilité des carcasses, qui chez Michelin est souvent supérieur aux autres marques. Les distributeurs estiment que ce taux de demande spontanée est élevé en France. Michelin estime qu'il représente [...].

La présence très forte de Michelin sur des marchés adjacents

(186) La forte présence de Michelin sur des marchés adjacents joue en faveur du manufacturier tant sur le marché du remplacement que sur le marché des pneus rechapés. L'obstacle à la pénétration des concurrents sur les marchés pertinents est en effet loin d'être négligeable.

(187) Sur le marché des pneus neufs au remplacement, Michelin bénéficie à double titre d'une situation avantageuse par rapport à ses concurrents. En premier lieu, la très forte position du manufacturier sur le marché des pneumatiques poids lourd en équipement d'origine ("OE") lui bénéficie nécessairement. Il est en effet le fournisseur privilégié du constructeur automobile français de poids lourds Renault, leader sur le marché français.

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(188) Au niveau européen Michelin dispose d'une part de marché de [...], quatre fois supérieure à celle de son premier concurrent et presque six fois supérieure à celle de celui qui suit. Cette situation place incontestablement le manufacturier dans une situation extrêmement favorable, puisqu'on ne peut douter d'une tendance des utilisateurs, fût-elle limitée, à rester fidèle à la marque de pneumatiques montée à l'origine sur leurs véhicules.

(189) En second lieu, Michelin bénéficie d'une présence forte sur tous les marchés du pneumatique neuf au remplacement, ce qui n'est pas le cas des autres manufacturiers, comme le met en évidence le tableau ci-dessous:

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(190)Sur le marché du pneu rechapé Michelin a l'avantage considérable d'être le seul manufacturier à disposer à la fois d'une position très forte sur ce marché et sur celui du neuf. Michelin détient en effet en France environ [...] du marché du rechapage, très loin devant son premier concurrent, le réseau de franchisés Bandag, lui-même indépendant des autres manufacturiers. Michelin est donc le seul manufacturier à pouvoir proposer à grande échelle le rechapage "maison" de ses propres enveloppes. Cette situation revêt un intérêt considérable lorsqu'il s'agit d'analyser la puissance de marché du fabricant. En effet, Michelin base toute sa communication sur le fait que le pneu Michelin est conçu dès l'origine pour avoir quatre vies. Dès lors, quoique plus onéreux que la concurrence au moment de l'achat, le pneu Michelin aurait un Prix de Revient Kilométrique ("PRK") très compétitif. Cet argument de vente, qui s'appuie de manière centrale sur la promotion du rechapage par le fabricant en aval, contribue à augmenter la puissance de marché de Michelin.

L'omniprésence du service commercial et technique de Michelin sur le terrain

(191) Michelin dispose en France de près de 50 plates-formes logistiques et centres de proximité, auxquels sont rattachés plusieurs centaines de représentants technico-commerciaux, qui assurent une forte présence de Michelin chez les revendeurs.

(192) Si les concurrents de Michelin disposent aussi de forces de vente, celles-ci sont toutefois bien moins nombreuses et sensiblement moins structurées. La force de vente de Michelin opérant sur le secteur poids lourd regroupe plus de [...] agents(23), alors qu'aucun des manufacturiers concurrents ne dispose d'équipes dont l'effectif dépasse une quarantaine de personnes. Michelin peut donc défendre de manière optimale sa position sur le marché, sachant que ses concurrents ne sont pas en mesure de mener une action aussi intensive à l'égard des consommateurs finaux. En outre, il faut noter que [...].

Le poids très important de Michelin dans les circuits de distribution français

(193) Dans le secteur très atomisé de la distribution du pneumatique poids lourd, Michelin détient une position très forte, ainsi qu'on l'a vu dans la section précédente. Par l'entremise de son réseau de distribution intégré Euromaster, Michelin contrôle directement environ [...] points de vente sur les 2225 que compte le territoire français. Ce chiffre représente [...] des points de vente, mais [...] du total des points de vente faisant partie des réseaux intégrés appartenant aux manufacturiers. En effet, si Dunlop contrôle [...] points de vente, c'est-à-dire trois fois moins que Michelin, Bridgestone/Firestone n'en contrôle que [...], les autres fabricant en étant quant à eux dépourvus.

(194) La même situation prévaut en ce qui concerne les "clubs", dispositifs de partenariat renforcé avec certains négociants spécialistes mis en place par les manufacturiers. Avec un total de [...] adhérents couvrant [...] points de vente, le "Club des amis Michelin" représente une très large majorité de la totalité des points de vente membres d'un "club". L'addition des points de vente du réseau Euromaster des adhérents au Club correspond donc, grosso modo, à un tiers des points de vente en France.

(195) La puissance de marché que procure à Michelin ce contrôle plus ou moins direct de la distribution est clairement mise en évidence par la comparaison des parts de marché des constructeurs dans chacun des différents canaux de distribution. Ce tableau, trouvé chez Michelin et concernant toute l'Europe, permet de déduire que la situation est au moins identique, si ce n'est plus avantageuse, sur le marché français et ce à partir de deux arguments clefs:

- Michelin détient sur l'ensemble des marchés du pneumatique une position supérieure en France par comparaison aux autres États membres,

- Euromaster et le "Club" sont pour des raisons historiques plus développés sur le marché français qu'ailleurs en Europe.

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(196) L'ensemble de ces éléments relevant de l'analyse structurelle des marchés pertinents suffisent à eux seuls à démontrer la position dominante de Michelin. La possession de parts de marché très importantes, le bénéfice d'avantages comparatifs significatifs et la faiblesse des concurrents confèrent à Michelin une position de force qui lui permet une indépendance de comportement caractéristique de la position dominante.

Le comportement de Michelin constitue un indice fort de sa position dominante

(197) L'analyse détaillée de divers comportements adoptés par Michelin permet de conforter si besoin en était le diagnostic de position dominante qui résulte de l'observation des caractères structurels du marché.

La pratique de rabais de fidélité et d'un différentiel de prix net par rapport à la concurrence

(198) Le comportement commercial qui consiste à octroyer à une large échelle des rabais de fidélité payés très tardivement est lui aussi un indice clair de la position dominante détenue par Michelin. Le fait que les revendeurs aient accepté au moins jusqu'en 1997 de revendre à perte les pneumatiques Michelin dans l'attente des ristournes payées éventuellement en février de l'année suivante témoigne de la puissance de marché détenue par le manufacturier.

(199) Naturellement, cette pratique fera l'objet de développements ultérieurs en ce qu'elle est susceptible de constituer en tant que telle un abus. Toutefois, sa mention à titre d'indice contribuant à l'établissement de la position dominante se justifie. Dans son arrêt du 14 février 1978 dans l'affaire 27-76, United Brands/Commission, la Cour a en effet souligné la nécessité, pour déterminer une position dominante, d'analyser la situation concurrentielle du marché en cause en précisant que "ce faisant, il peut être utile de prendre éventuellement en considération des faits qui ont été évoqués à titre d'agissements abusifs sans devoir leur reconnaître nécessairement ce caractère(24)".

3. LA DÉPENDANCE DES NÉGOCIANTS SPÉCIALISTES VIS-À-VIS DE MICHELIN FAIT DE CE DERNIER UN PARTENAIRE OBLIGATOIRE

(200) Constitue enfin un troisième indice très sérieux de la détention par Michelin d'une position dominante le fait qu'il apparaît nettement que les négociants spécialistes sont placés malgré eux dans une situation de dépendance faisant de Michelin un partenaire obligatoire.

(201) Le ressentiment des négociants spécialistes indépendants vis-à-vis d'Euromaster, exprimé crûment(25) sans toutefois que ces revendeurs envisagent de se passer de Michelin, témoigne très clairement du fait qu'aucun revendeur soucieux de sa crédibilité ne peut envisager d'éliminer les pneus Michelin de son point de vente. Un revendeur qui n'offrirait pas de pneus neufs Michelin ou n'enverrait pas ses carcasses à rechaper chez Michelin ou Pneu Laurent (filiale de Michelin) risquerait d'affaiblir sa crédibilité commerciale.

(202) La nécessité pour un commerçant de disposer dans son assortiment d'un produit faisant l'objet d'une forte demande, comme c'est précisément le cas ici, institue immanquablement un lien de dépendance qui fait du fournisseur en question un partenaire obligatoire. Il importe, à cet égard, de rappeler que cette situation a été retenue par la Cour de justice dans son arrêt NBIM de 1983 comme un élément contribuant valablement à établir la position dominante de Michelin sur le marché néerlandais. La Cour affirmait en effet à l'époque qu'"un revendeur, établi aux Pays-Bas, ne saurait normalement se dispenser de vendre des pneus Michelin"(26).

(203) La plupart des négociants spécialistes ne vendent pas seulement des pneus poids lourd, mais offrent aussi un large éventail de pneus d'autres catégories, notamment "tourisme" et "camionnette", ainsi que des prestations de service "après-vente" liées au pneu. Or, ces revendeurs spécialistes ont perdu ces dernières années une part importante du marché du pneu "tourisme", ce produit étant vendu de plus en plus massivement via d'autres canaux de distribution (centres auto, hypermarchés, réseaux de constructeurs automobiles, etc.). Il en résulte que l'activité poids lourd prend une importance croissante dans leur chiffre d'affaires (selon la revue "Achat automobile actualité", elle correspond environ à 60 % de leur chiffre d'affaires) et devient primordiale pour leur survie.

(204) Il apparaît nettement que les négociants spécialistes sont placés malgré eux dans une situation de dépendance économique faisant de Michelin un partenaire obligatoire. Il est très improbable qu'un revendeur puisse ignorer Michelin sans mettre en danger sa crédibilité et son affaire. Compte tenu des parts de marché de la marque, du taux de demande spontanée (de 50 à 70 %, en France, selon les demandes de renseignements adressées aux négociants spécialistes par la Commission), il est incontestable qu'un revendeur ne pourrait raisonnablement faire l'économie de travailler avec Michelin. Cette évidence rejoint d'ailleurs le point de vue de la Cour dans l'affaire NBIM.

(205) À cela s'ajoute enfin qu'en général, les manufacturiers, suivant la voie ouverte par Michelin, investissent de plus en plus directement la distribution, moyennant soit le développement de rapports directs avec les utilisateurs finaux, soit surtout leur intégration verticale en réseaux de revendeurs. Si à cela on ajoute l'apparition de nouvelles filières de distribution (notamment les réseaux de fabricants de poids lourd), il s'avère que les négociants spécialistes indépendants sont en train de perdre des parts de marché dans la distribution des pneus poids lourd, leur "point fort" traditionnel.

(206) Ces trois éléments contribuent à ce que la concurrence entre les revendeurs soit très importante et les marges faibles (en 1995, la marge d'exploitation des négociants spécialistes français était par exemple, en moyenne, de 3,7 % de leur chiffre d'affaires) Soumis à cette pression, les revendeurs indépendants sont donc contraints d'obtenir lors de leurs achats en produits Michelin les meilleures conditions possibles, notamment en ce qui concerne le pneu poids lourd. Afin de préserver une compétitivité dont dépend probablement leur survie, les revendeurs n'hésitent pas à participer à la plupart des "programmes" ou "conventions" qui leur sont proposées si cela peut leur faire obtenir des ristournes ou des avantages économiques supplémentaires. Des variations très légères dans les taux de ristourne peuvent s'avérer fondamentales pour les revendeurs, qui feront de leur mieux pour maximiser ceux-ci.

(207) Michelin, dans sa réponse aux griefs, réfute la thèse selon laquelle il serait un partenaire obligatoire au motif, d'une part, que seulement 17 % des revendeurs interrogés auraient soutenu cette thèse, et que, d'autre part, sur [...] revendeurs inscrits sur les liste de Michelin, [...] n'avaient pas acheté de pneumatiques chez Michelin. À cela, il est loisible de répondre tout d'abord que, étant donné le panel interrogé où les revendeurs "Club" dominent, le taux spontané de déclaration de 17 % est très élevé, représentant un taux bien supérieur de revendeurs indépendants, et que le chiffre de 50 à 70 % de demande spontanée pour les produits Michelin est suffisamment convaincant. En outre, Michelin semble oublier que seulement [...] revendeurs ont une activité poids lourd et que d'avancer les chiffres de tout le secteur pneumatique (en l'occurrence [...] revendeurs, incluant donc les supermarchés) n'est en l'espèce pas du tout pertinent.

(208) L'ensemble des indices présentés ci-dessus contribue en définitive à établir sans ambiguïté que Michelin dispose, sur les marchés français des pneumatiques poids lourd au remplacement neufs et rechapés, d'une position dominante.

C. LE CARACTÈRE ABUSIF DE LA POLITIQUE COMMERCIALE DE MICHELIN

(209) L'abus de position dominante a été défini, par la Cour de justice dans son arrêt Hoffmann-La Roche, comme "une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite, précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence"(27).

(210) Il peut ainsi s'agir de pratiques ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d'éliminer des concurrents, ou de comportements qu'une entreprise ne pourrait adopter sans compromettre son propre intérêt sur un marché concurrentiel ou si elle ne disposait pas d'une puissance de domination sur le marché.

(211) La Cour de justice a indiqué les limites de cette notion, notamment en indiquant dans l'arrêt United Brands(28), que "s'il est exact que l'existence d'une position dominante ne saurait priver une entreprise se trouvant dans une telle position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont attaqués, et qu'il faut lui accorder, dans une mesure raisonnable, la faculté d'accomplir les actes qu'elle juge appropriés en vue de protéger sesdits intérêts, on ne peut admettre de tels comportements lorsqu'ils ont précisément pour objet de renforcer cette position dominante et d'en abuser".

(212) C'est exactement ce qui s'est produit dans le cas d'espèce.Michelin, jouissant depuis longtemps d'une position dominante en France, a cherché à exercer son influence de manière à garantir le maintien de son emprise sur le marché. En effet, les dernières décennies ont été marquées par un développement des concurrents de Michelin qui, ayant progressivement comblé leur retard, sont actuellement capables de présenter sur le marché des produits compétitifs en termes de qualité et prix. En France, son fief traditionnel, le fabricant a dû réagir afin de conserver sa position dominante. Cette réaction n'a en l'occurrence pas été fondée sur les moyens qui gouvernent une concurrence normale.

(213) En effet,depuis au moins le début des années 80 et jusqu'en 1998 inclus, Michelin a mené en France une politique commerciale et de prix à l'égard des revendeurs fondée sur un système complexe de remises, ristournes et/ou avantages financiers divers ayant pour principal objectif leur fidélisation et la conservation de ses parts de marché, ce qui doit être qualifié d'abusif au sens de l'article 82.

(214) La politique commerciale abusive de Michelin pour les deux marchés de produits pertinents (aussi bien donc pour le marché du pneu neuf de remplacement que pour le marché du rechapé) à l'égard des négociants spécialistes se composait sur la période étudiée de trois éléments, les "Conditions générales de Prix France aux Revendeurs Professionnels", (par commodité on inclura dans cette catégorie les "Conventions de coopération commerciale" individuelles qui ne sont qu'un prolongement des conditions générales), la "Convention pour le Rendement Optimum des Pneumatiques Poids Lourd Michelin" ("Convention PRO"), la "Convention de Coopération Professionnelle et d'Assistance Service" (dite "Club des amis Michelin").

1. LES CONDITIONS GÉNÉRALES DE PRIX FRANCE AUX REVENDEURS PROFESSIONNELS

(215) Ces conditions permettaient de bénéficier de rappels quantitatifs, de primes de service et de progrès et de signer éventuellement des conventions commerciales avec Michelin.

a) Les rappels quantitatifs

(216) Ces rappels prenaient la forme d'une ristourne annuelle en pourcentage sur la totalité du Chiffre d'affaires (Poids Lourd, tourisme et camionnette) réalisé avec Michelin France. Pour y être éligible, il suffisait d'atteindre les seuils de Chiffre d'affaires prévu par les grilles de rappel. La Cour de justice, dans la première affaire Michelin (arrêt "NBIM" précité) comme dans une jurisprudence constante et récente, condamne la simple pratique d'un rabais quantitatif pour une entreprise en position dominante dès lors qu'il dépasse un délai raisonnable de trois mois (ce qui est le cas en l'espèce) au motif qu'il n'est pas équivalent à une politique de concurrence normale par les prix.En effet, le simple fait d'acheter une quantité supplémentaire infime de produits Michelin fait bénéficier le revendeur d'un rabais sur la totalité du chiffre d'affaires réalisé avec Michelin et est donc supérieur à la juste rétribution marginale ou, autrement dit, linéaire de l'achat supplémentaire, ce qui produit à l'évidence un fort effet incitatif à l'achat. La Cour insiste sur le fait qu'un rabais ne peut que correspondre aux économies d'échelle réalisées par l'entreprise grâce aux achats supplémentaires induits des consommateurs.

(217) En outre, dans la mesure où ces rappels n'étaient payés qu'en février de l'année suivant l'achat des pneumatiques (pratique que Michelin est le seul à mettre en œuvre, puisque tous ses concurrents donnent tout de suite la plus grande part de leurs remises), les effets abusifs suivants se faisaient sentir:

Caractère inéquitable

(218) Du fait de l'intensité concurrentielle et de la faiblesse des marges dans le secteur (autour de 3,7 % d'après l'enquête de la Commission), les revendeurs ont été dans l'obligation de pratiquer la revente à perte dans l'attente du versement des rappels.En fait, le prix payé à Michelin était généralement supérieur au prix pratiqué par le revendeur à l'égard des utilisateurs finaux. Le revendeur vendait donc initialement "à perte". Ce n'est que lors du paiement des différents "bonus" et primes que ce dernier recouvrait ses coûts et restaurait une certaine marge de profitabilité.

(219) Le caractère inéquitable du système des rappels résultait donc de plusieurs éléments cumulatifs.

(220) En premier lieu, et contrairement à ce qu'invoque Michelin dans sa réponse aux griefs, les revendeurs se trouvaient placés dans l'impossibilité de connaître avec certitude le prix d'achat final des pneumatiques Michelin.Les ristournes s'appliquant à la totalité du chiffre d'affaires Michelin et n'étant calculées qu'environ un an après le début des premiers achats, il n'était pas possible pour les revendeurs de connaître avant les toutes dernières commandes à quel niveau se situerait le prix d'achat unitaire réel des pneumatiques, ce qui les plaçait dans une situation d'incertitude et d'insécurité les conduisant à minimiser les risques en réalisant de manière privilégiée leurs achats auprès de Michelin.

(221) Quand bien même un revendeur aurait envisagé de se diversifier fortement en faisant appel à d'autres fournisseurs, il lui aurait été difficile de fonder son choix sur des éléments chiffrés objectifs puisque l'incertitude globale sur le prix final des pneus Michelin empêchait toute comparaison sérieuse avec les prix pratiqués par les concurrents.

(222) En second lieu, ainsi qu'il vient d'être rappelé, les revendeurs se trouvaient jusqu'en 1995(29) au moins dans une obligation de fait de pratiquer la revente à perte sur les pneus Michelin, leur marge bénéficiaire sur ces produits n'étant restaurée qu'au moment du versement des rappels. Une telle précarité imposée aux négociants relève indubitablement d'un système inéquitable et permet de prendre la mesure de l'usage abusif que faisait Michelin de sa situation de partenaire obligatoire. Dans un contexte de concurrence non faussée entre les fournisseurs, on imagine difficilement que des revendeurs aient choisi spontanément de se placer dans une situation aussi périlleuse sur le plan commercial.

(223) En troisième lieu et compte tenu du caractère extrêmement tardif du versement des rappels, les revendeurs se trouvaient contraints de prendre vis-à-vis de Michelin des engagements quantitatifs (dans le cadre de la Prime de progrès) avant même d'avoir encaissé les rappels quantitatifs de l'année précédente. Le caractère inéquitable de cette situation résultait non seulement du fait que les revendeurs étaient placés dans une situation de faiblesse psychologique lors de la négociation, mais aussi du fait qu'ils n'étaient pas en mesure de s'appuyer, lors de celle-ci, sur une évaluation fiable de leurs prix de revient et donc de déterminer librement leur stratégie commerciale.Il est important de noter, à cet égard, que la plupart des concurrents accordent immédiatement la plus grande partie de leurs remises.

(224) En quatrième et dernier lieu, les revendeurs subissaient des charges de trésorerie indues dans la mesure où ils revendaient à perte durant le laps de temps qui s'écoulait entre l'achat des pneus à Michelin et le versement des rappels, ce qui les plaçait de manière injustifiée dans une situation débitrice sur le plan financier.

(225) Michelin, dans sa réponse aux griefs, rejette les troisième et quatrième points, en expliquant que"sauf pour un nouveau revendeur ... le système de rappels quantitatifs annuel fonctionnait comme si le fournisseur mettait à la disposition du revendeur en début d'année une somme importante que celui-ci pouvait utiliser à sa guise". Cet argument confirme que le système produisait des effets de revente à perte et de charge indue de trésorerie au moins dans le cas où le revendeur était dans sa première année d'exercice, mais surtout - et cela Michelin l'oublie également - dans les cas où le revendeur avait cessé d'acheter des produits Michelin et puis en rachetait ou bien encore si les ventes de l'année n+1 ne dépassaient pas celles de l'année n. La Commission ne peut partager l'opinion de Michelin selon laquelle une somme payée avec jusqu'à treize mois de retard peut être considérée comme "une somme importante d'argent mise à disposition d'un revendeur".

Caractère fidélisant

(226)Compte tenu de la longue période de référence (une année), la pression s'accroissait en faveur d'achats auprès de Michelin. Encore une fois, la faiblesse des marges incitait fortement à grappiller un rabais supplémentaire même s'il était faible, car il augmentait de toute manière directement la marge de l'entreprise.

(227) L'analyse détaillée des rappels quantitatifs mis en place par Michelin met en évidence que ce système de rabais, similaire à celui condamné par la Cour de justice en 1983, avait pour objet et pour effet de lier étroitement les revendeurs à Michelin et tendait, "par un avantage qui ne repose sur aucune justification économique qui le justifie, à enlever à l'acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d'approvisionnement" et par ce biais, "à barrer l'accès du marché aux concurrents"(30).

(228) On a vu que, jusqu'à fin 1996, la plupart des rappels ou ristournes étaient établis sur la base de l'année civile de facturation. La plupart des primes (rappels quantitatifs et prime de progrès, notamment) étaient accordées en fonction des quantités vendues au cours de l'année écoulée. Or, il est inhérent à tout système de ristournes accordées en fonction de quantités vendues au cours d'une période de référence relativement longue que la pression sur l'acheteur s'accroisse, à la fin de la période de référence, en faveur d'une réalisation du chiffre d'achats nécessaire afin d'obtenir l'avantage en jeu ou de ne pas subir la perte prévisible pour l'ensemble de la période.

(229)Compte tenu du caractère essentiel, pour la survie même du revendeur dans certains cas, de l'encaissement des rabais quantitatifs les plus élevés possibles (qui seuls lui permettaient de restaurer sa marge) et de la période extrêmement longue de cumul des commandes par Michelin, un revendeur ne pouvait pas prendre le risque à un moment donné de diversifier significativement sa gamme au détriment de Michelin car cela aurait pu mettre en cause sa capacité à franchir un seuil de rabais et donc affecter fortement l'ensemble du coût de revient des pneus Michelin achetés sur l'année. Cette fidélisation exerçait son effet tant sur les pneus neufs que sur les pneus rechapés.

(230) En ce qui concerne le neuf et si on prend 1995 à titre d'exemple, les taux de ristourne présentaient des variations à chaque franchissement de seuils de chiffre d'affaires, allant de 1 % au bas de l'échelle à 0,05 % en haut de l'échelle. Ainsi, à titre d'exemple, un revendeur réalisant un chiffre d'affaires de 9000 FRF avec Michelin recevait une ristourne de 7,50 % alors que s'il atteignait 15000 FRF, la ristourne augmentait déjà à 8,50 %. Or, ce qui accroissait considérablement la pression, c'est qu'une dernière commande de pneus poids lourd permettant d'arriver à l'échelle supérieure pouvait se répercuter sur la marge de bénéfice du revendeur pour les ventes de pneus neufs Michelin toutes catégories (sauf pneus rechapés et gros génie civil). Enfin, ici encore, il était relativement aisé, surtout au bas de l'échelle, de gravir des échelons supérieurs, compte tenu de leur nombre (47 en 1995). En haut de l'échelle, il convient en outre de noter l'intérêt que présentait, pour un revendeur, le dépassement du chiffre maximum prévu, dans la mesure où cela lui permettait de signer une "Convention commerciale" avec Michelin, avec tous les avantages que cela supposait.

(231) Michelin, à ce sujet, se limite à remarquer, dans sa réponse aux griefs, que dans les exemples ci-dessus mentionnés, "1 % de 15000 FRF ne représente que 150 FRF, [...] somme très modique". Or, à l'évidence, pour un revendeur qui en moyenne n'obtient qu'une marge de 3,7 %, 1 % de ristourne supplémentaire, sur la totalité des achats Michelin, est tout à fait considérable.

(232) Le fait, en ce qui concerne le "neuf", que le calcul des rappels quantitatifs se fasse en référence à l'ensemble du chiffre d'affaires Michelin toutes catégories confondues pourrait laisser croire, à première vue, qu'il existait une sorte d'"échappatoire" à la fidélisation sur le marché poids lourd. En effet, un revendeur soucieux d'atteindre un niveau supplémentaire déterminé de rabais sans passer une commande supplémentaire en pneus poids lourd aurait pu choisir d'acheter en contrepartie davantage de pneu Michelin "tourisme". En réalité, une telle hypothèse ne résiste pas de manière crédible à l'analyse.

(233) En premier lieu, compte tenu des différences de coût unitaire entre un pneumatique "tourisme" et un pneumatique poids lourd, une telle tentative de "compensation" aurait obligé le revendeur à acheter, à chiffre d'affaires égal, une quantité sensiblement plus importante d'enveloppes tourisme. En second lieu, les pneumatiques tourisme étant déjà comptabilisés dans le calcul des rabais quantitatifs, seul un achat additionnel de pneumatiques tourisme (en sus des achats "habituels" du revendeur) aurait été susceptible de compenser, pour l'obtention d'un rabais donné, l'absence d'une commande supplémentaire en poids lourd. Or, chaque revendeur a sa propre structure de clientèle et il serait peu réaliste de considérer qu'un revendeur peut modifier de manière significative (au moins à court terme) la proportion de ses ventes en pneumatiques respectivement "tourisme" et poids lourd. En d'autres termes, un revendeur ne pourrait pas décider soudainement de vendre plus de "tourisme" que de "poids lourd" car les marchés sont nettement distincts.

(234) Il résulte de ces considérations que la compensation en chiffre d'affaires via les ventes "tourisme" n'offrait pas une échappatoire crédible au revendeur. En tout état de cause, même si cette "échappatoire" existait, elle ne jouerait que de manière très limitée et en aucun cas elle ne permettrait de conclure que l'existence de rappels quantitatifs sur la totalité du chiffre d'affaires Michelin n'avait pas d'effet fidélisant sur le marché des pneumatiques poids lourd.

(235) En outre, il convient de noter, à titre accessoire, que Michelin déclare dans sa réponse à la communication des griefs(31) que "En début d'année, Michelin établissait avec chaque revendeur un tableau estimatif, par catégorie de produit, des rappels auxquels le revendeur avait droit pour l'exercice en cours". Il s'avérerait donc que bien que les rabais, contractuellement, s'appliquaient au chiffre d'affaires toutes catégories confondues, il n'en allait pas de même dans la pratique au regard même des remarques de Michelin.

(236) L'effet fidélisant s'exerçait de manière encore plus nette sur le rechapé puisque cette catégorie était dotée de son propre tableau de rappels: les variations du taux de la ristourne découlant d'une dernière commande de pneus rechapés sur un exercice se répercutaient sur la marge de bénéfice du revendeur sur la totalité des ventes de pneus rechapés de toute l'année. Il n'existait ici aucune échappatoire: dans ces circonstances, de faibles variations pouvaient déjà exercer une pression sensible sur les revendeurs et dans le cas d'espèce, elles n'étaient pas négligeables. À titre d'exemple, en 1995 les rappels quantitatifs présentent des variations de taux au passage des seuils de chiffres d'affaires qui vont de 2 % en bas de l'échelle à 0,1 % en haut de l'échelle. Ainsi, un revendeur qui réalisait un chiffre d'affaires de moins de 7000 FRF avec Michelin ne recevait aucune ristourne. Une ristourne de 2 % était acquise à partir de 7000 FRF et s'il atteignait 7400 FRF cette ristourne s'élevait déjà à 3 %, puis à 3,50 % à partir de 8000 FRF. En 1995 et 1996 par exemple, la grille comptait 18 échelons, ce qui permettait, notamment au bas de l'échelle, de gravir avec une certaine facilité des échelons supérieurs. Il s'agissait là encore d'une incitation à la réalisation d'achats supplémentaires.

(237) Il convient, à cet égard, de rappeler que dans l'affaire Michelin précitée (arrêt "NBIM"), la Cour de justice avait considéré qu'un écart de 0,2 à 0,4 % pouvait déjà exercer une pression suffisante sur le revendeur pour l'inciter à réaliser la totalité ou une partie importante de ses achats chez l'entreprise dominante, surtout en fin de période.

(238) Par ailleurs, d'après Michelin dans sa réponse aux griefs, la Cour, dans ce même arrêt, considérerait le manque de transparence du système de rabais comme une donnée cruciale pour définir le caractère abusif de la politique commerciale de Michelin Pays-Bas, ce qui du coup invaliderait le caractère abusif de la politique commerciale française au motif que "les rappels incriminés ne constitueraient pas des rabais de fidélité prohibés par la jurisprudence communautaire".

(239) La Commission estime que l'analyse de Michelin est erronée puisque la Cour ne considère pas le manque de transparence des rabais comme étant une condition indispensable pour qu'il y ait abus. Il convient en outre de souligner que le manque de transparence n'est pas un grief de la Commission en ce qui regarde le système des rappels quantitatifs. En l'espèce, ce qui est reproché au système des rappels quantitatifs est bien l'incertitude dans laquelle est placée le revendeur vis-à-vis du référentiel utilisé (le montant total final des ventes en produits Michelin sur une année) qui se traduit par une iniquité et un effet fidélisant. Il est aussi important de noter que la Commission estime, en revanche, que les Conditions générales de ventes prises dans leur ensemble constituent bien un système non-transparent puisque, comme il est indiqué ci-après, la Prime de service et la Prime de progrès donnent lieu à des attributions de points et à des définitions de "bases" qui ne reposent pas sur des éléments objectifs, mais subjectifs.

Caractère cloisonnant (et forclusion)

(240) Les rappels s'appliquaient exclusivement aux achats réalisés auprès de Michelin France et donc décourageaient les achats à l'étranger ou auprès d'importateurs. Inversement, le niveau élevé en France du barème de facturation avant rabais décourageait les achats en France de la part d'étrangers.

(241) L'effet de forclusion était particulièrement notable à l'égard des concurrents: Michelin grâce à ses parts de marché pouvait en quelque sorte amortir le coût de ces rabais, ses concurrents ne pouvant bien sûr pas en faire autant et devaient donc soit accepter un niveau de rentabilité plus faible soit renoncer à gagner du volume vendu.

(242)L'effet de cloisonnement opéré par le mode de calcul des rappels apparaît enfin clairement. Dans la mesure où ne pouvaient être pris en compte que les achats effectués auprès de Michelin France, le revendeur se trouvait contraint d'acheter essentiellement via ce canal de distribution, ce qui restreignait fortement la possibilité de s'approvisionner en pneus Michelin auprès de filiales étrangères du groupe et permettait ainsi au fabricant de contrôler le marché de manière étroite.

(243) Certes, un revendeur aurait pu théoriquement choisir d'effectuer tous ses achats dans un autre pays européen et jouir alors des conditions existant dans ce pays. Il aurait dû cependant assumer les coûts de transports engendrés par une telle décision et surtout renoncer à l'assistance technique de Michelin France, cruciale dans un marché aussi professionnel que celui des pneus poids lourd où le suivi permanent des clients et la capacité à dispenser des conseils techniques sont des éléments importants de la crédibilité du négociant.

(244) Les revendeurs pouvaient aussi envisager de s'approvisionner chez des importateurs, comme ce fut d'ailleurs le cas pour une partie limitée du marché. Toutefois cet approvisionnement a des limites car les importateurs ne peuvent pas toujours le garantir, surtout pour toute la gamme de pneus dont un revendeur a besoin. Les importateurs ne commercialisent en général que les dimensions les plus habituelles. Pour les autres, les revendeurs devaient donc inévitablement s'approvisionner chez Michelin. Or, ce dernier accordait la plupart des primes sur l'ensemble des catégories et, en tout cas, ne le faisait pas en fonction du type de pneu. Pour être compétitif, l'importateur aurait dû compenser non seulement le coût de transport, mais en plus le manque à gagner des revendeurs en primes sur toute la gamme de pneus Michelin, y compris ceux qui n'auraient pas été achetés chez lui.

(245) Les revendeurs des autres pays européens ne pouvaient quant à eux que très difficilement s'approvisionner en France, ce qui en outre était discriminatoire. En effet, d'une part l'existence du système de rabais avait pour conséquence que le tarif de vente au public et/ou après remises sur facture était plus élevé que celui qui est pratiqué dans les pays où le système de ristournes n'existe pas. Il en résultait une limitation certaine des exportations de pneus. D'autre part, les revendeurs des autres pays européens ne pouvaient pas bénéficier des rabais attribués aux revendeurs nationaux.

(246) Cette politique avait pour résultat de rendre difficiles les importations parallèles et de cloisonner les marchés, ce qui explique, d'une part, le niveau relativement faible de ces importations et, d'autre part, le maintien d'un marché national pour les pneus neufs de remplacement. Il en résultait un isolement du marché français qui permettait à Michelin d'exercer son influence prépondérante sur le marché français, sans risques d'influences externes.

(247) En ce qui concerne les pneus rechapés, les caractéristiques propres à ce marché rendaient plus difficile le fait que le revendeur décide de faire rechaper les carcasses qui lui sont confiées dans d'autres États membres. Ceci dit, dans les cas où cela aurait été possible (zones frontalières, par exemple) et où cette volonté aurait existé, le système mis en place par Michelin empêchait une telle pratique. En effet, le calcul des ristournes dans le cadre des rappels de fin d'année se faisait toujours en fonction des achats effectués auprès de la filiale française de Michelin, et les achats qui y étaient réalisés par les revendeurs étaient aussi comptabilisés afin de vérifier si le revendeur avait bien atteint les seuils d'accès à certains programmes. De ce fait, les revendeurs se trouvaient donc également fortement incités à ne pas diversifier leurs fournisseurs.

b) La Prime de service

(248) Cette prime avait les mêmes caractéristiques que les rappels quantitatifs à ceci près que des seuils de chiffre d'affaires minimum étaient imposés par Michelin. Le montant de la prime était lié au nombre de points obtenus au regard d'une grille d'évaluation concernant en principe la qualité du service.

(249) La prime de service revêtait un caractère inéquitable du fait de ses modalités de fixation. Elle exerçait en outre un effet fidélisant et relevait de la vente liée eu égard à certaines de ses clauses.

Caractère inéquitable

(250) L'octroi des points n'était pas exempt de subjectivité et laissait une marge discrétionnaire d'appréciation à Michelin. En outre, certains points étaient conditionnés par la transmission d'informations stratégiques très précises sur le marché (de 1980 à 1992), qui n'étaient pas dans l'intérêt du revendeur (pas de retour sous la forme d'études, par exemple).

(251) Ainsi qu'on l'a vu dans la section précédente décrivant le fonctionnement de la prime, Michelin avait la possibilité d'exercer via cette dernière une subjectivité qui pouvait avoir des conséquences sur le montant de la prime à octroyer. Cela permettait au représentant du fabricant d'exercer une pression forte sur le revendeur en vue des engagements à venir et lui donnait la possibilité, le cas échéant, d'utiliser le mécanisme de manière discriminatoire.

(252) En effet, certaines rubriques étaient, par leur nature même, d'appréciation subjective et/ou le nombre de points octroyé pouvait varier "suivant la qualité du service rendu"(32). Or, le bilan de la réalisation des points était réalisé par le représentant de Michelin, qui fixait aussi les engagements et les points correspondants à l'exercice en cours. La possibilité effective pour Michelin de diminuer de manière unilatérale, en cours d'année, la prime si des engagements n'étaient pas respectés est encore un élément qui permettait à Michelin de soumettre les conditions consenties aux revendeurs à son appréciation subjective. Le fait, avancé par Michelin, que cette possibilité aurait été exceptionnellement mise en œuvre n'enlèverait rien au caractère abusif de la pratique. En outre, certaines réponses de revendeurs aux demandes de renseignements envoyées sont claires: "L'évaluation est effectuée au bon vouloir de Michelin" ou encore: "Michelin peut, avec cette prime, faire ce qu'il veut. Nous avons subi (...) des changements unilatéraux". Un autre revendeur explique quant à lui avoir subi au titre de mesures de rétorsion la "diminution brutale de certaines primes: prime de service"(33).

(253)<stong>Au regard de la responsabilité particulière qui incombe à une entreprise en position dominante, une telle subjectivité et/ou marge discrétionnaire, source de discriminations difficilement évitables, doit être considérée comme abusive au sens de l'article 82 CE.

Caractère fidélisant

(254) Jusqu'en 1992, des points étaient octroyés si le revendeur respectait un pourcentage minimum d'approvisionnement en produits Michelin. Le respect de cet engagement exigé par Michelin dans le cadre de la Prime de Service renforçait fortement les liens entre Michelin et les revendeurs en exerçant un effet de fidélisation qui doit être considéré comme abusif. Au moins jusqu'en 1992 en effet, une rubrique "service produits nouveaux", prévoyait la possibilité pour le revendeur d'obtenir des points supplémentaires s'il se fournissait en produits nouveaux à hauteur d'un pourcentage déterminé par rapport à la part régionale de ces produits. Or, dans la mesure où l'obtention des points ne dépendait pas de quantités mais du respect d'un pourcentage déterminé par rapport à la part régionale de ces produits, on se trouve face à la variante d'une prime de fidélité qui doit être considérée abusive dès lors qu'elle est exigée par une entreprise en position dominante. Cette rubrique constituait en effet une incitation abusive à la promotion des nouveaux produits Michelin au détriment des produits concurrents. Le revendeur était peu susceptible de risquer une perte de deux points qui pouvait entraîner une réduction du montant total de sa prime annuelle. Il se trouvait donc contraint d'accepter dans la plupart des cas de respecter les pourcentages de part de marché régional indiqués par Michelin.

(255) Michelin fait remarquer, dans sa réponse aux griefs, que pour obtenir la prime maximale, il suffisait d'obtenir 31 points sur les 35 énumérés dans la fiche descriptive de la prime et que donc un revendeur aurait pu accepter la perte des points "abusifs" en question. La Commission souligne à cet égard que, encore en 1996, les points abusifs, "renseignements sur le marché", "services produits nouveaux", représentaient 5 points et pour ce qui est du rechapage et de l'aspect exclusif qui y était lié, 2 points en sus. Ainsi, donc il aurait été impossible à un revendeur d'obtenir le maximum de points sans enfreindre les règles de concurrence. Mais, en outre, de manière plus générale, d'une part, il était plus facile au revendeur de respecter ces points certes abusifs, mais peu coûteux, que d'améliorer la qualité des installations, l'équipement du point de vente, ou encore la disponibilité à la clientèle et que d'autre part, Michelin ne saurait défendre le caractère abusif de tel ou tel point en disant que par ailleurs d'autres ne le sont pas.

Effet de ventes liées et par sa nature même fidélisant

(256) Un point était octroyé si le revendeur s'engageait à faire systématiquement rechaper les carcasses Michelin chez Michelin. La prime de service était donc aussi un instrument permettant de réaliser des ventes liées, pratique abusive permettant à Michelin d'utiliser sa position dominante sur le marché du pneu neuf poids lourd afin de conforter sa position sur le marché voisin du rechapage.

(257) À partir de 1992, la Prime de Service accordait au revendeur un point supplémentaire s'il faisait systématiquement rechaper les carcasses Michelin chez ce dernier. À partir de 1996 c'était le cas "s'il réalise systématiquement le premier rechapage des carcasses Michelin chez Michelin". La perte éventuelle de ce point et la possible réduction du montant total de la prime annuelle qui pouvait en résulter faisait augmenter directement le coût unitaire de tous les pneus achetés à Michelin, puisque le revendeur ne perdait pas seulement la prime en relation aux pneus rechapés mais celle liée à l'ensemble de son chiffre d'affaires total avec Michelin.

(258) Le fabricant utilisait donc son poids dans le secteur du pneumatique en général et dans le marché du pneu neuf poids lourd en particulier comme un levier pour s'assurer d'être choisi comme rechapeur par les revendeurs. Ceux-ci ne pouvaient pas risquer de perdre une ristourne sur le total du chiffre d'affaires annuel avec Michelin en faisant appel à un rechapeur indépendant. Il ne faut pas oublier que l'achat de pneus neufs est une nécessité pour les revendeurs, que ces achats ont une importance considérable dans leur chiffre d'affaires et que les pneus poids lourd, marché où Michelin est dominant, représentent un pourcentage élevé de ce chiffre d'affaires. De ce fait, toute remise perdue sur ce marché revêt une importance vitale pour les revendeurs, a fortiori si, comme en l'espèce, elle affecte le total du chiffre d'affaires avec Michelin.

(259) La Prime de service a été supprimée en 1997.

c) La prime de progrès

(260) Cette prime, comme la Prime pour objectif atteint qui l'a remplacée en 1997 et 1998, était particulièrement abusive dans la mesure où pour l'obtenir, le revendeur devait accepter de s'engager sur un montant minimum d'achats (dit la base) qui correspond soit à la réalisation de l'année précédente soit à la moyenne des 2 ou 3 dernières années (avec des modulations de coefficients).

(261) L'esprit du système est résumé dans une circulaire à la force de vente Michelin de janvier 1995, qui affirme que [...].

(262) La pratique allait toutefois plus loin qu'une simple obligation de progression: le représentant de Michelin exerçait en effet un contrôle implicite sur la fixation des bases, en s'appuyant sur le schéma suivant (pour les pneus poids lourd):

- choix entre le niveau de réalisation de l'année précédente ou de la moyenne des 2 ou 3 dernières années. Parfois, la base signée l'année précédente était prise comme référence,

- affectation (au nombre de pneus) d'un coefficient régional uniforme, déterminé en fonction de la prévision de Michelin relative à l'évolution du marché. Les ambitions de Michelin sur un marché déterminé sont ici prises en considération, souvent en termes de parts de marché. À titre d'exemple, en 1994, ce coefficient a été globalement négatif sauf dans l'un des sept secteurs qui composent le marché français. En 1995 et 1996 il a été positif dans tous les secteurs; avec des variations sensibles en fonction des régions (de [...] en 1995),

- certaines années, en fin d'exercice, il y eut application d'un coefficient réducteur déterminé par Michelin. En ce qui concerne le pneu poids lourd, le coefficient réducteur a été de 2 % en 1992, 8 % en 1994, 0 % en 1994 et 1995 et 8 % en 1996,

- exceptionnellement, une correction des chiffres obtenus pour tenir compte d'éventuelles circonstances affectant les capacités d'achat du revendeur à la hausse ou à la baisse pouvait avoir lieu (par exemple en cas d'installation d'un distributeur concurrent dans la zone, d'acquisition ou de perte d'un client à fort potentiel, décision du revendeur de ne plus acheter à l'importation, etc.). Malgré la demande de la Commission, Michelin n'a pas pu fournir une liste avec les entreprises concernées et les faits qui ont été à l'origine des corrections en question.

(263) Cette prime individualisée correspond exactement à ce que la Cour a condamné dans l'arrêt Michelin précité. Une entreprise en position dominante ne peut imposer aux revendeurs de dépasser chaque année leurs résultats des années précédentes et accroître ainsi mécaniquement ses parts de marché grâce à cette même position dominante.

(264)Là encore, cette prime était inéquitable car il y a une obligation de progression des achats imposée par Michelin et une insécurité induite par la détermination individualisée de la base minimum. Elle était aussi fidélisante et cloisonnante dans la mesure où elle ne concernait que les achats réalisés auprès de Michelin France.

Caractère inéquitable

(265) La Prime de Progrès était inéquitable dans la mesure où malgré son caractère apparent de convention, elle constituait en fait une obligation de progression en pneus Michelin sur le marché qui était unilatéralement imposée par le fabricant.

(266) La Prime de Progrès ouvrait la possibilité d'obtenir des ristournes annuelles, conditionnées au dépassement d'un objectif individuel (la base) déterminé en fonction de la situation spécifique de chaque revendeur (notamment les réalisations antérieures). Il en résultait, par exemple, que deux revendeurs ayant acheté pour un exercice les mêmes quantités en valeur absolue pouvaient obtenir des ristournes très différentes, fonctions de la base initiale, de la méthode choisie lors du calcul de cette base par Michelin et du résultat de la négociation subséquente. Dans la mesure où les critères de fixation des bases n'étaient ni appliqués de manière uniforme, ni connus à l'avance par les revendeurs et eu égard à l'influence avérée de Michelin sur le choix définitif de la base, un tel système contenait un facteur très net d'insécurité et rendait possible une discrimination entre revendeurs que l'on doit qualifier d'inéquitable.

Caractère fidélisant

(267) La Prime de Progrès exerçait aussi un effet fortement fidélisant. Une fois l'objectif de progression fixé, il devenait en effet primordial pour le revendeur d'atteindre cet objectif, ce qui excluait de fait que le revendeur puisse faire le choix de se tourner de manière significative vers d'autres fournisseurs. En effet, les revendeurs qui s'étaient engagés à dépasser en fin d'année une "Base minimale" - des objectifs d'achat minimum - y étaient soumis à double titre. En premier lieu, en début d'année, car la base minimale comptait plusieurs échelons, de telle sorte que s'engager à acheter des quantités supérieures ouvrait droit à l'obtention de remises supérieures. En deuxième lieu, en fin d'année, pour dépasser le minimum fixé et pour le dépasser le plus largement possible (jusqu'à 25 %), car les remises à obtenir, certainement très importantes, l'étaient en fonction du dépassement de cette base.

(268) À partir de 1995, la pression s'exerçant en fin d'année augmente considérablement. En effet, par le seul fait d'atteindre la base, le revendeur s'assurait non seulement une remise de 0,5 % sur le total des pneus Poids Lourd/Travaux Public achetés, mais continuait aussi à percevoir des primes de 12 à 15 % sur les achats dépassant le minimum fixé dans la base. L'incitation à dépasser la base de 20 % était quant à elle encore plus forte car dans ce cas, le revendeur avait droit à des remises allant de 2 à 2,5 % de son chiffre d'affaires annuel total avec Michelin.

(269) Il convient de préciser que la pression subie en fin d'année par les revendeurs dont les volumes d'achat leur avaient permis de signer une Convention commerciale a été aussi très importante sur la période étudiée. Outre les échelons des rappels quantitatifs, la Prime de Progrès leur permettait d'obtenir des remises supplémentaires et progressives d'une importance certaine, du seul fait d'atteindre la base et surtout de la dépasser. Atteindre la base permettait d'obtenir 1 % du Chiffre d'affaires Poids Lourd/Travaux Publics/Manut/Petit Génie Civil au titre de "l'aide aux produits industriels(34)". Le dépassement de cette base ouvrait droit à des remises progressives allant jusqu'à 3 % du chiffre si la base était dépassée de 15 %.

(270) Michelin, dans sa réponse aux griefs, indique que l'effet fidélisant ne s'est pas traduit dans les faits en arguant du fait que "dans moins de 5 % des cas, la base convenue pour un exercice déterminé a été supérieure à la base et aux réalisations de l'exercice précédent". La Commission note, à cet égard, que Michelin incorpore ici les revendeurs tous pneumatiques confondus, ce qui fausse le calcul d'un quelconque ratio et ne permet pas à l'évidence d'invalider le caractère effectif de l'abus.

Effet cloisonnant

(271) La Prime de Progrès avait enfin, au même titre que les rappels quantitatifs, un effet fortement cloisonnant puisque ne rentraient dans la comptabilisation des achats effectués que ceux effectués auprès de Michelin France.

d) Les conventions commerciales

(272) Ces conventions étaient un prolongement du système des rappels quantitatifs et de la Prime de progrès avec des ristournes supplémentaires (plusieurs pour cents du chiffre d'affaires). Elles renforçaient le caractère abusif des autres primes avec en outre une clause de chiffre d'affaires minimum de 24 millions de FRF (entre 1991 et 1994) avec Michelin permettant à ce dernier de se garantir la coopération des revendeurs les plus importants.

(273) Les conventions individuelles de coopération commerciale ne représentaient, pour les plus gros revendeurs qui en étaient signataires, que le prolongement des échelles caractérisant les rappels quantitatifs la Prime de progrès. À cet égard elles avaient les mêmes caractéristiques abusives et la perspective même de pouvoir signer une convention commerciale contribuait à augmenter la pression exercée sur les gros revendeurs se situant au sommet des échelles de ristournes. Ces conventions doivent donc être aussi considérées comme abusives.

Impact additionnel du cumul des pratiques: le caractère abusif renforcé du "système" formé par les conditions générales de vente

(274) Au-delà du fait que chacun des éléments constitutifs des conditions générales de vente constituait individuellement une pratique abusive à plusieurs titres, il importe de souligner à quel point le cumul et l'interaction des différentes conditions contribuaient à renforcer leur impact et donc le caractère abusif du "système" considéré dans son ensemble. On reprendra ci-dessous chacun des griefs formulés pour montrer comment chacune des conditions y participait et comment leurs effet abusifs respectifs se combinaient et renforçaient l'efficacité des pratiques en cause.

(275) D'une manière générale, le simple fait que les effets conjugués du système aient obligé de fait les négociants spécialistes à "revendre à perte" les pneumatiques Michelin aux utilisateurs finaux, leur marge n'étant restaurée que lors du versement des diverses ristournes, primes et bonus, ceci parfois jusqu'à 13 mois après la date de transaction, prouve le caractère abusif du système au sens de l'article 82 du traité. Le fait que Michelin ait pu se permettre d'imposer une telle pratique révèle à quel point le fabricant était en mesure d'exploiter abusivement sa situation de partenaire obligatoire et de fausser la concurrence entre les fournisseurs.

(276) Cette situation plaçait les revendeurs face à des problèmes et des charges de trésorerie et se traduisait en revanche pour Michelin par une encaisse loin d'être négligeable, qui ne se justifiait par aucune prestation économique fournie en contrepartie. Cette fragilisation financière des revendeurs renforçait le caractère inéquitable des relations entretenues par Michelin avec les revendeurs.

(277) Dès lors, en jouant sur le fait que les revendeurs étaient devenus économiquement dépendants des ristournes versées postérieurement aux achats, Michelin était en mesure d'imposer, sous couvert de "conventions" certaines obligations de progression sur le marché qui correspondaient en réalité, vu la maturité de ce dernier, à la mise en place d'une relation de quasi-exclusivité.

(278) Le caractère inéquitable du système était aussi renforcé par la marge de subjectivité qui pouvait présider à la détermination du niveau de la Prime de progrès et de la Prime de Service et pouvait permettre à Michelin d'utiliser ces outils comme des moyens de pression. Les revendeurs se trouvaient fragilisés lors des négociations portant sur des engagements de réalisation qui avaient lieu avant que le versement de certaines ristournes ait été effectué. On doit en effet garder à l'esprit, par exemple, la possibilité théorique que Michelin avait de modifier le montant de certaines des primes en cours d'année ("Prime de Service").

(279) Par ailleurs, le système mis en place impliquait de par son fonctionnement d'ensemble une incertitude quant au prix net final du produit qui n'est pas acceptable lorsqu'elle est imposée par une entreprise en position dominante. En effet, la plupart des rappels étant conditionnels, le revendeur ne savait quel était le prix unitaire final que le dernier jour de février de l'année suivant celle de l'exercice en question.

(280) L'évolution du marché étant par définition aléatoire, le revendeur ne pouvait donc avoir de certitude ni sur les quantités qu'il était susceptible d'acheter au cours de l'année, ni sur la possibilité de réaliser ou non ses engagements. Le "surstockage" ne pouvait en aucune manière constituer une échappatoire, puisque le stockage de pneumatiques, produit volumineux et onéreux au regard des capacités financières des négociants spécialistes, représente une part importante du besoin de financement des négociants. Il est donc impensable qu'un négociant "surstocke" à long terme.

Les éléments abusifs du nouveau système (de 1997 à 1998 inclus)

En ce qui concerne les pneumatiques neufs poids lourd

(281) Le nouveau système mis en place par Michelin, à partir de l'année 1997, reposait essentiellement sur des remises sur facture d'une part et une prime d'objectif atteint d'autre part. Si les remises sur facture semblaient différer assez nettement de la pratique des rappels quantitatifs et exercer une pression moindre sur le revendeurs à ce titre, on verra qu'elles n'étaient cependant pas exemptes de tout caractère abusif. Quant à la nouvelle "Prime sur objectif atteint", elle se substituait en quelque sorte à la "Prime de Progrès" et tendait toujours à lier étroitement le revendeur au manufacturier de manière abusive.

i)Les remises sur facture

(282) Le système de remises sur facture tel qu'il se substituait à l'ancien système de rappels quantitatifs se présentait comme moindrement inéquitable et fidélisant dans la mesure où il octroyait "automatiquement" au revendeur une remise qui dépendait de ses réalisations antérieures, c'est-à-dire de l'année précédente, ou de la moyenne des deux ou encore des trois années précédentes, selon la solution la plus favorable aux revendeurs. Cette pratique doit néanmoins toujours être considérée comme abusive car elle exerçait un effet fidélisant à plusieurs titres.

(283) En premier lieu, dans la mesure où le montant des remises était proportionnel aux réalisations des années précédentes, il existait toujours un phénomène de fidélisation car tout achat supplémentaire en produits Michelin était susceptible de permettre au revendeur d'obtenir un taux de remise sur facture plus élevé l'année suivante.

(284) En second lieu, il faut souligner que dans le cas où les achats du revendeur pour l'année en cours lui auraient permis de prétendre à un taux de remise sur facture supérieur au taux pratiqué en cours d'année, alors ce revendeur bénéficiait d'une "régularisation de fin d'année" correspondant au différentiel de taux. L'effet de fidélisation jouait donc aussi à l'intérieur d'une même année.

(285) En troisième lieu, pour un niveau de remise sur facture déterminé (15 %, 16 % etc.), un "rappel de fin d'année" (à ne pas confondre avec la "régularisation de fin d'année") était versé, dont le taux variait de 0 % à 3 % en fonction du niveau de remise considéré et du chiffre d'affaires net facturé. Ainsi donc, à l'intérieur d'un même taux de remise sur facture, le rappel de fin d'année dépendait bien du niveau des ventes de produits Michelin sur l'année en cours. L'effet fidélisant était donc encore renforcé.

ii) La prime pour objectif atteint

(286)Cette nouvelle prime rendait possible l'obtention d'une prime correspondant à un pourcentage du chiffre d'affaires net annuel facturé de 2 % en 1997 et de 1,5 % en 1998 si l'objectif était atteint. Le fait d'atteindre cet objectif donnait droit en outre à l'obtention de la prime PRO (seulement pour l'année 1997).

(287) Or, on sait déjà qu'il est inhérent à tout système de ristournes accordées en fonction des quantités vendues au cours d'une période de référence relativement longue que la pression s'accroisse pour l'acheteur, à la fin de la période de référence, en faveur d'une réalisation du chiffre d'achats nécessaire à l'obtention de l'avantage. En effet, les variations du taux de ristourne en raison d'une dernière commande, fût-elle de faible importance, au cours d'une année pouvaient se répercuter sur la marge de bénéfice du revendeur pour les ventes de pneus Michelin poids lourd de toute l'année. Il en résultait une pression sensible pour réaliser les objectifs de vente de Michelin qui était susceptible d'empêcher les revendeurs de choisir à tout moment parmi les offres plus favorables et qui rendait plus difficile pour les concurrents l'accès au marché.

(288) Ceci d'autant plus que la quasi-totalité des éléments qui contribuaient à renforcer la pression sur les revendeurs au titre de la "Prime de Progrès" se retrouvaient ici aussi présents:

- les pourcentages de ristournes, toujours importants (2 % du chiffre d'affaires net facturé en 1997, 1,5 % en 1998),

- l'écart entre la position de Michelin et celle de ses principaux concurrents, restant lui aussi important,

- l'omniprésence des délégués de Michelin.

(289) Par ailleurs, le revendeur ne pouvait pas fixer librement son "objectif". Ce dernier était déterminé en fonction du "potentiel du revendeur" (c'est-à-dire de ses réalisations les années précédentes) et de l'évolution prévue du marché. En effet, Michelin proposait au revendeur un choix entre les réalisations de l'année précédente ou les moyennes des deux ou trois dernières années, majorées de l'"évolution de progrès" prévue sur le marché (1 % en 1997). Cela impliquait déjà un effet de fidélisation car il est clair que le revendeur ne pouvait pas, s'il souhaitait obtenir la prime, s'écarter des réalisations des années immédiatement antérieures. Ainsi, s'il était un client habituel de Michelin, il ne pouvait pas réduire de moitié ses achats, s'il désirait, par exemple, changer de fournisseur ou essayer d'autres produits. Il pouvait éventuellement réduire ses achats légèrement, mais jamais significativement.

(290) En l'occurrence, même cette dernière possibilité était difficile à concrétiser. Le système incitait en effet fortement le revendeur à choisir l'objectif le plus élevé parmi les trois possibilités qui lui étaient offertes, ce qui renforçait considérablement l'effet de fidélisation.

(291) En effet, il ne faut pas oublier que le taux de remise sur facture était certes déterminé en fonction des trois possibilités de définir la base de référence, mais aussi "selon la solution la plus favorable pour le revendeur". Pour le calcul de la remise, c'est donc l'option qui correspondait au nombre le plus élevé de pneumatiques achetés qui était retenue. Ainsi par exemple, si en 1996 un revendeur avait réussi à vendre 1084 enveloppes, sa moyenne de 1995/1996 étant de 945 et celle de 1996/1995/1994 de 868, c'était la première option, (1996, 1084 enveloppes) qui était automatiquement retenue.

(292) Si le revendeur signait un "contrat d'objectif" plus ambitieux lui permettant d'atteindre une nouvelle tranche de la grille, il pouvait obtenir une remise sur facture supérieure. Or, cette possibilité jouait dans les deux sens: si le revendeur visait un "objectif" inférieur au chiffre retenu, il risquait de voir sa "remise sur facture" diminuer, car il s'exposait au risque de descendre dans la grille. Dans l'exemple précédent, le choix d'une option différente (moyenne 1996/1995 ou 1996/1995/1994) aurait entraîné une perte de remise sur facture, qui serait tombée de 17 % à 16,50 %, car il y aurait eu descente effective dans la grille.

(293) Le revendeur risquait en outre d'obtenir un taux de rappel de fin d'année inférieur. Le taux de remise sur facture était en effet l'un des critères entrant en considération pour le calcul du taux de rappel de fin d'année. Ainsi en 1997, un revendeur dans la tranche de 16,50 % pouvait-il obtenir une remise de fin d'année allant de 1,5 % à 2,5 % tandis qu'un revendeur sur la tranche de 17 % pouvait obtenir un taux allant de 2 à 3 %.

(294) Il en résultait tout naturellement que le revendeur était conduit à choisir un "objectif" qui lui fasse si possible obtenir une remise sur facture supérieure et qui, en tout cas, ne lui fasse pas perdre la remise à laquelle il avait droit du fait de ses réalisations antérieures. Dans ces circonstances, le choix accordé au revendeur était fortement limité, conformément à l'intérêt de Michelin: le revendeur choisissait rarement un "objectif" inférieur au chiffre retenu pour le calcul de la remise sur facture. Or, ce chiffre est celui qui supposait le chiffre le plus élevé de réalisations avec Michelin.

(295) L'ensemble de ces considérations permet de conclure que la prime pour objectif atteint revêtait en elle même un caractère abusif au sens de l'article 82 du traité dans la mesure où elle était inéquitable et fidélisante.

En ce qui concerne les pneumatiques rechapés

(296)Michelin a conservé en 1997 la pratique des rappels quantitatifs, consistant en des remises progressives en fonction des achats réalisés au cours de l'année. La pratique était très similaire à celle existant antérieurement et, dans la mesure où les circonstances étaient presque identiques, elle doit être qualifiée de la même façon. Une telle pratique, imposée par une entreprise en position dominante, engendrait une pression sur les revendeurs, notamment en fin de période, susceptible de restreindre leur choix en ce qui concerne les sources d'approvisionnement et de freiner l'accès d'autres producteurs au marché, sans que cela repose sur une contrepartie économiquement justifiée. Ces rappels doivent donc être considérés comme abusifs au sens de l'article 82. En 1998, ces rappels quantitatifs de fin d'année ont été supprimés des conditions générales mais ont continué à s'appliquer dans le cadre des conventions commerciales.

2. LA CONVENTION PRO ("CONVENTION POUR LE RENDEMENT OPTIMUM DES PNEUMATIQUES POIDS LOURD MICHELIN")

(297) Créée en 1993, une prime était conditionnée à la signature d'une Convention PRO et au fait de disposer auparavant d'une prime de progrès (ou dès 1997 d'une prime d'objectif atteint). Elle comportait comme obligation de devoir présenter les carcasses Michelin au rechapage chez Michelin exclusivement. Pour chaque carcasse présentée, une prime unitaire était octroyée.

(298) Cette prime produisait donc manifestement un double effet de ventes liées: premièrement, Michelin utilisait sa position dominante sur le marché du neuf pour conforter sa position sur le rechapé. Deuxièmement, Michelin utilisait sa position dominante sur le marché du rechapé pour se renforcer sur le marché du neuf:

- pour obtenir la prime, il était obligatoire de signer une prime de progrès;

- le nombre des primes PRO était plafonné par le nombre de pneus neufs achetés.

(299) En outre, cette prime était cloisonnante puisqu'elle était plafonnée aux achats effectués en France et que, par ailleurs, le rechapage de carcasses hors de France, y compris auprès d'une filiale de Michelin, impliquait la perte de la prime PRO pour les carcasses en question.

Caractères abusifs de la Convention PRO

Des ventes "liées" ou "conditionnées"

(300) La Convention PRO exerçait un double effet anticoncurrentiel. En premier lieu, Michelin utilisait sa position dominante sur le marché du pneu neuf poids lourd comme un "levier" pour conserver et/ou conforter sa position sur le marché "voisin" du rechapage (voir considérants 301 à 303). En second lieu et inversement, il utilisait le marché du rechapage (où il est aussi largement dominant) pour renforcer sa position sur le marché des pneus neufs poids lourd (voir considérants 304 et suivants).

(301) Pour pouvoir bénéficier des rémunérations importantes découlant de la prime, le revendeur devait s'engager, entre autres, "à présenter chez Michelin pour rechapage les carcasses poids lourd de ses clients arrivées à usure légale de retrait" (Clause de la Convention PRO). Cette exclusivité, qui semble confirmée quand Michelin écrit "considérant que leur premier rechapage REMIX est le mieux à même de préserver les carcasses Poids Lourd Michelin et de leur faire retrouver les performances du pneu neuf", n'aurait pas existé dans la pratique et n'aurait pas été exigée par Michelin, comme il l'est souligné dans sa réponse aux griefs. Pourtant, il est indéniable que l'existence d'une telle clause incitait naturellement les revendeurs à envoyer toutes les carcasses chez Michelin, sans que cela corresponde à une prestation économique justifiée. Cela implique que d'autres entreprises, actives parfois exclusivement dans le secteur du rechapage, ont vu leur approvisionnement en carcasses Michelin sensiblement réduit. Michelin, dans sa réponse aux griefs, estime cependant que Michelin n'est parvenu à récupérer que "[...] des pneumatiques neufs vendus", mais aussi ajoute "en Europe". En effet, outre la difficulté de mesurer précisément ce chiffre, il serait impossible d'avoir un taux aussi bas sur le marché français puisque Michelin vend [...] des pneumatiques poids lourd en première monte, environ [...] en remplacement neuf en 1998 et rechape près de [...] du marché. À l'évidence, il est judicieux de constater que la France est un marché tout à fait singulier puisque Michelin rechape plus de pneumatiques qu'il n'en vend et que donc non seulement, Michelin doit avoir la capacité de récupérer la quasi-totalité de ses pneumatiques neufs pour le rechapage, mais aussi bon nombre des pneumatiques de ses concurrents. Cette singularité du marché français peut être justifiée par le caractère abusif de cette clause de "premier rechapage".

(302) Cette situation avait des répercussions particulièrement graves car les carcasses poids lourd Michelin, outre qu'elles représentent un pourcentage très important de l'ensemble des pneus lourds, représentent un pourcentage encore plus élevé du total des carcasses rechapables. En effet, si un bon nombre de pneus "bas de gamme" ne sont pas rechapables, les pneus Michelin ont au contraire, et à la différence d'une large partie des gammes concurrentes, été spécialement conçus pour être rechapés. Un engagement d'exclusivité peut donc rendre très difficile les efforts des concurrents de Michelin sur le marché du rechapage.

(303) Cela est d'autant plus grave que Michelin est déjà particulièrement puissant sur ce marché, avec des parts de marché de près de [...] alors que ses concurrents disposent de parts plusieurs fois inférieures et ne sont en général actifs que sur le marché du rechapage. De ce fait, ils ne pouvaient s'appuyer, à la différence de Michelin, sur leur activité pneu neuf pour soutenir ou renforcer leur activité de rechapage.

(304) Le second et dernier engagement que devait prendre le signataire de la Convention consistait à signer avec Michelin un engagement de prime de progrès Poids Lourd pour l'année en cours. Ainsi, afin d'obtenir des primes qui sont fonction du nombre des carcasses Michelin présentées au rechapage chez le fabricant, le revendeur devait donc s'engager à réaliser des achats de pneumatiques Poids Lourd Michelin neufs. Le fabricant utilisait donc le levier du rechapage pour garantir des ventes sur le marché du pneumatique neuf.

(305) Rappelons que la Prime de Progrès obligeait en effet le revendeur à s'engager à réaliser des achats de pneus poids lourd neufs sur des bases réalistes, "fonction de l'activité antérieure et des perspectives d'avenir", et présentait en outre, on l'a vu, de nombreux mécanismes tendant à lier et fidéliser le revendeur au manufacturier sur ce marché.

(306) Par ailleurs, la rémunération qu'il était possible d'obtenir dans le cadre de la Convention PRO était plafonnée par le nombre de pneus Poids Lourd et Travaux Publics achetés à Michelin au cours de l'année précédente, comme il l'était indiqué dans la convention PRO. De ce fait, si le revendeur avait acheté l'année précédente 1000 pneus neufs, il pouvait obtenir au maximum des bonus que pour 1000 pneus présentés au rechapage, et cela quelle que soit la quantité effectivement présentée. Ainsi, si le revendeur voulait obtenir les primes en question, il avait intérêt non seulement à acheter des pneus neufs Michelin, sans quoi il n'aurait pas eu droit à la prime, mais aussi à acheter au fabricant le plus grand nombre de pneus neufs possible. S'il le faisait, la contrepartie était énorme car il pouvait obtenir l'année suivante des ristournes considérables sur chaque pneu envoyé pour rechapage. Or, cela avait aussi pour conséquence un engagement "de progrès" plus important, et une liaison de plus en plus étroite avec Michelin.

(307) En revanche, s'il ne le faisait pas et si le revendeur désirait, en cours d'année, promouvoir un autre pneu neuf de remplacement et donc changer de fournisseur, il devait être conscient qu'il risquait de voir diminuer sa rémunération "PRO" dramatiquement l'année suivante, car le nombre de primes par carcasse était en tout état de cause limité au nombre de pneus neufs achetés l'année précédente. De ce fait, il était fortement mis sous pression pour continuer à se fournir en pneus neufs chez Michelin. Il en résultait une "cristallisation" dans la distribution des pneus neufs de remplacement.

(308) En outre, vers la fin de 1994, un "avenant" a été introduit dans la Convention, qui a eu l'effet de renforcer plus encore l'effet de levier produit. En effet, les revendeurs dont les achats Poids Lourd/Travaux Publics étaient en augmentation de plus de 25 % en 1994 par rapport à 1993 et qui avaient réalisé l'engagement commercial signé en début d'année ont bénéficié d'une "clause d'exception PRO". Cette dernière leur a permis de bénéficier de la prime PRO sur les carcasses rechapables remises en 1994 dans la limite du nombre de pneus Poids Lourd et Travaux Publics neufs achetés à Michelin pendant cette même année. Il devenait donc possible d'ignorer les limites imposées par les achats en pneus neufs l'année précédente et d'obtenir des primes supplémentaires, mais certaines conditions ne disparaissaient pas pour autant. Les "bonus" demeuraient limités aux achats en pneus neufs de l'année en cours et surtout, le revendeur devait augmenter sensiblement ses achats à Michelin en pneus poids lourd et respecter les engagements conclus. L'ensemble suppose donc une incitation renforcée qui assure en tout cas à Michelin l'insertion du revendeur dans l'engrenage de la Prime de progrès, sur la base, en plus, de volumes élevés.

(309) L'effet s'exerçait de manière similaire sur les nouveaux revendeurs, qui par définition n'avaient pas fait d'achats l'année précédente. Jusqu'à 1996, ces derniers n'avaient pas droit à cette prime. En 1996, Michelin a modifié la Convention et introduit une exception pour les nouveaux arrivants, de telle sorte qu'ils peuvent utiliser les achats prévus dans la prime de progrès comme base pour déterminer les montants maximaux à obtenir. Cela n'a pas modifié l'effet abusif produit puisque cette base était déjà par elle même, on l'a vu, une prime liant étroitement les revendeurs et qui avait pour objectif de cristalliser la position de Michelin.

(310) Dans la mesure où la prime avait pour objet le rechapage et était fonction du nombre de pneus rechapés présentés chez Michelin pendant l'année en cours, il ne paraît justifié ni de l'avoir conditionnée à un achat de pneus neufs, ni de l'avoir plafonnée au nombre de pneus neufs achetés l'année précédente ou l'année en cours. Michelin subordonnait en définitive la signature de la Convention à l'acceptation, par les revendeurs, d'obligations constituant des prestations supplémentaires dépourvues de lien avec l'objet du contrat, tant par leur nature qu'au regard des usages commerciaux. Cela caractérise donc une pratique abusive au sens de l'article 82, deuxième alinéa, point d), du traité.

(311) En 1998 au demeurant, la suppression des deux engagements susmentionnés a éliminé ces éléments abusifs du système, la Convention PRO étant remplacée par le "Service Qualité Carcasse".

Le cloisonnement des marchés

(312) On a déjà vu que la politique commerciale de Michelin, notamment le système des rappels de fin d'année, cloisonnait le marché français et incitait fortement les revendeurs à ne rechaper que chez Michelin France. La prime "PRO" renforçait cet effet de cloisonnement contraire à l'article 82 du traité. En effet, les ristournes obtenues au titre de la Convention PRO étaient calculées par rapport aux volumes d'achat de pneus neufs auprès de Michelin France. Pour obtenir ces primes, les revendeurs étaient obligés d'acheter en France des pneus neufs Michelin et de remettre à ce dernier les carcasses pour son rechapage. Il en résultait que tout achat à l'extérieur de pneus neufs était entravé, car la prime pour rechapage correspondant à ce volume était alors perdue. L'envoi à l'étranger pour rechapage de carcasses Michelin aurait abouti au même résultat car tout envoi à l'extérieur, y compris dans une filiale Michelin, impliquait une perte de la prime. L'envoi des pneus à l'extérieur était donc aussi rendu impossible.

(313) Si à cela on ajoute que les carcasses Michelin sont de loin les plus habituelles sur le marché ainsi que celles qui sont le plus aisément rechapables, on doit en conclure que le cloisonnement produit par cette politique était indiscutablement d'une importance significative.

(314) Michelin, dans sa réponse aux griefs, indique seulement à ce titre, que "dans le cadre de la PRO, il n'aurait pu fiscalement justifier l'octroi d'une prime pour l'envoi d'une carcasse à une société apparentée située à l'étranger". Michelin justifie donc le caractère cloisonnant de la prime par des obligations fiscales qui lui incombent. La Commission, sans avoir vérifié le bien-fondé fiscal d'une telle remarque, note qu'il est de la responsabilité d'une entreprise en position dominante de ne pas créer un système qui cloisonne les marchés nationaux, même si cela doit entraîner la suppression d'une prime à un niveau national.

3. LA "CONVENTION DE COOPÉRATION PROFESSIONNELLE ET D'ASSISTANCE SERVICE" (LE "CLUB DES AMIS MICHELIN")

(315)La convention Club avait pour but essentiel de s'attirer les revendeurs les plus, importants. Quoique l'obligation d'atteindre une certaine proportion de ses ventes en produits Michelin (dite "température") ne soit pas écrite dans les conventions, elle était bien réelle et est mise en évidence par les documents recueillis lors des inspections chez Michelin. Dans un document interne au Club, il est notamment écrit que [...]. Dans le même sens, d'autres documents mentionnent pour les poids lourds le seuil de [...] réalisés en produits Michelin.

(316) Outre l'effet inéquitable et de forclusion produit par ce critère de seuil, il faut citer également l'obligation "de ne pas détourner la demande - spontanée - en produits Michelin" qui était inscrite dans la Convention de Coopération jusqu'en octobre 1995.

Éléments abusifs du "Club"

(317) 1. Le "Club" a été utilisé par Michelin comme un instrument de cristallisation, sinon d'amélioration, de sa position sur le marché du pneu neuf de remplacement poids lourd. L'une des obligations formelles du revendeur est ainsi de "mettre en avant la marque Michelin" et de ne pas détourner la demande spontanée en pneus Michelin des clients des revendeurs. Sur certaines conventions "Club", Michelin affirme textuellement qu'il se réserve le droit de faire des contrôles du respect de cette clause. Si on considère que la demande spontanée en produits Michelin est très élevée, une telle obligation doit nécessairement être considérée abusive car elle vise directement à éliminer la concurrence des autres producteurs ainsi qu'à garantir le maintien de la position de Michelin et à limiter le degré de concurrence sur ce marché.

(318) La réalité est même plus grave car dans la pratique, cette clause s'est traduite par l'obligation pour le revendeur de garantir une certaine part de marché en produits Michelin (la "Température Michelin"), probablement à un niveau variable en fonction des revendeurs et des régions, mais certainement autour de [...] des ventes (pour le seul marché du pneu neuf). Les effets sont donc analogues à ceux d'une clause de fidélité: le revendeur peut jouir des nombreux avantages qu'entraîne l'appartenance au Club mais il se doit en contrepartie d'être fidèle à Michelin. Dans la mesure où Michelin détient une position dominante sur ce marché, une telle pratique, qui n'est certainement pas en rapport direct avec une économie réelle de coûts pour le fabricant, ne peut que faire obstacle au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché.

(319) De nombreux éléments permettent d'établir que la condition de température est centrale et que la part de marché Michelin considérée comme nécessaire se situe aux alentours de [...]. En premier lieu, il suffit de constater que la part de marché moyenne, en pneumatiques Michelin, des membres du Club en Europe est de [...], alors même que celle des négociants spécialistes indépendants n'est que de [...] et que celle du réseau Euromaster, pourtant contrôlé par Michelin, n'est que de [...]. En second lieu de nombreux documents trouvés chez Michelin témoignent implicitement de cette obligation de parts de marché pour rentrer (et rester) au Club(35). Michelin, lors de l'audition des parties, pourtant, estime que plus de 47 % des revendeurs Club ne rempliraient pas ces conditions de températures. Ce chiffre est pour le moins étrange, puisque si la moyenne des ventes correspond bien à la "température", il faudrait que 53 % des revendeurs dépassent largement leur température pour effacer le manque de "température" des 47 % de revendeurs mentionnés par Michelin.

(320) Cela est en outre d'autant plus grave que Michelin disposait déjà sur le marché d'un réseau intégré lui garantissant des parts de marché très importantes. L'addition des deux réseaux exerce en faveur de Michelin l'effet d'un "cliquet antirecul" lui garantissant la pérennité, voire l'augmentation de ses parts dans une grande partie de la distribution de pneus poids lourd en France (plus de [...] du total de la distribution des pneus neufs et plus de [...] de la distribution des pneus rechapés, toutes marques comprises), elle même fidélisée par Michelin pour une grande partie de ses ventes.

(321) 2. La volonté de Michelin d'obliger les membres du club à garantir une "température" Michelin est aussi mise en évidence par la clause de la convention relative à l'obligation de maintenir un stock en produits Michelin "suffisant pour répondre immédiatement à la demande du client". Il est en effet dit textuellement qu'une grille de stockage personnalisée pourra être établie "qui tiendra compte des segmentations: marché local, régional et national" et qui s'exprimera "en pourcentage". Il semble donc qu'une telle grille est établie en fonction des parts de marché de Michelin, ou tout au moins des parts que ce dernier souhaite obtenir. Cela ne peut qu'inciter les revendeurs à garantir à Michelin ces parts et à limiter l'accès au marché à des manufacturiers concurrents. Les revendeurs n'ont aucun intérêt en effet à conserver des stocks qu'ils ne peuvent ou ne souhaitent vendre. Ils n'achèteront donc pas de produits concurrents tant qu'ils détiendront des produits Michelin en stock. Du fait de cette clause, ils auront précisément toujours un stock de produits Michelin "à hauteur de la part de marché de Michelin", et non pas à la hauteur voulue. Il en résulte une barrière à l'entrée pour les autres manufacturiers et une cristallisation des parts du fabricant en question.

(322) 3.La convention "Club" lie les revendeurs par une série d'engagements qui octroient à Michelin un droit de regard exceptionnel sur les activités des adhérents et ne semblent en aucun cas être justifiés, si ce n'est par la volonté de Michelin de contrôler au plus près la distribution. Or, le comportement d'une entreprise en position dominante ayant pour objet ou pour effet de se lier étroitement les revendeurs sur le plan organisationnel et commercial ne peut qu'accroître la fidélisation, ce qui constitue un abus au sens de l'article 82 du traité.

(323) Il en est ainsi de l'obligation de communiquer à Michelin des informations financières détaillées ou de communiquer à Michelin l'identité de tous les détenteurs du capital de l'entreprise, ainsi que de tenir Michelin informé de toute circonstance de nature à affecter le contrôle de la société et ses orientations stratégiques. Tous les aspects financiers et les orientations stratégiques du revendeur deviennent en effet transparents pour Michelin, qui tient régulièrement des réunions avec les revendeurs pour discuter de leurs finances et leur fournir des conseils sur l'évolution financière de l'affaire.

(324) L'influence de Michelin sur l'organisation du revendeur ne s'arrête pas là. Le revendeur doit permettre à Michelin d'effectuer un "audit" du point de vente portant sur de nombreux domaines et surtout il doit accepter les "axes de progrès" proposés par Michelin, sous peine de ne pas obtenir les avantages financiers promis. Le revendeur doit en outre participer à des nombreux programmes de dynamisation - notamment des pneumatiques poids lourd - et utiliser la signalétique et la publicité Michelin. Son personnel est en outre formé au Centre de formation Michelin. L'évolution de l'affaire, sur tous les plans et notamment en termes d'investissements, est donc inévitablement influencée par la volonté de Michelin.

(325) Enfin, d'un point de vue commercial, l'obligation pour le revendeur de fournir à Michelin ses statistiques et prévisions de vente, catégorie par catégorie et toutes marques, ainsi que l'évolution des parts de marché du fabricant, accorde à ce dernier un "droit de regard" sur la politique commerciale du revendeur. Dans la mesure où Michelin dispose d'une importante force de vente chargée de recueillir ces informations, le revendeur ne pourra en aucun cas décider de vendre des produits concurrents sans que Michelin le sache. Or, le "Club" exige d'un esprit de partenariat ainsi que le respect des volumes et de la "température" Michelin.

(326) Il en découle une dépendance totale du revendeur vis-à-vis de Michelin qui exerce nécessairement un effet de fidélisation. Tout changement de politique commerciale et/ou stratégique pourrait entraîner des mesures de rétorsion de la part de Michelin. Les membres du Club partagent d'ailleurs le sentiment qu'une marche arrière n'est plus possible. Il serait en effet très difficile pour un membre du Club de renoncer, non seulement aux contributions financières, mais aussi à tout le savoir-faire obtenu à l'appui du manufacturier dominant. Pour les premiers signataires de la Convention, c'était même totalement impossible, du fait de l'obligation de rembourser l'intégralité des sommes perçues à titre de contribution financière. L'engagement pouvait donc aisément être qualifié d'engagement "à vie".

(327) Les avantages retirés par Michelin sont en revanche considérables. Vis-à-vis de la profession en général, le fabricant peut obtenir des statistiques fiables sur son évolution et celle du marché. Vis-à-vis des revendeurs individuels, il peut connaître à tout moment l'état financier de ses clients et peut en conséquence moduler sa pression commerciale ou l'octroi d'avantages financiers. Il peut aussi s'assurer qu'un revendeur demeure fidèle dans ses achats et qu'il n'envisage pas de rejoindre un autre réseau.

(328) Il en découle une liaison étroite du revendeur sur les plans financier, organisationnel et commercial, clairement abusive au sens de l'article 82 du traité.

(329) 4. Enfin et jusqu'en octobre 1995, la Convention de coopération professionnelle et d'assistance service exigeait textuellement l'engagement du spécialiste à faire effectuer le premier rechapage des carcasses Michelin Poids Lourd et Génie Civil par Michelin. Quoique Michelin affirme ne pas avoir exigé formellement le respect de cet engagement, il demeure que la grande majorité des rechapages des revendeurs Club ont été effectués par Michelin, y compris après 1996. Par ailleurs, on a vu à titre d'exemple que, dans un cas, Michelin a menacé de refuser l'entrée au Club aux revendeurs souhaitant travailler avec des rechapeurs concurrents.

(330) Il s'agit de pratiques d'exclusivité ayant des effets analogues à ceux des ventes liées et qui doivent à ce titre être considérées comme abusives au sens de l'article 82 du traité.

(331) En effet, les revendeurs sont mis sous pression pour envoyer leurs carcasses chez Michelin, car ils n'entendent pas mettre en danger leur "partenariat" avec Michelin et les avantages qui en découlent pour l'ensemble de leur l'activité pour des considérations liées au rechapage, activité au demeurant mineure par rapport au total de l'activité "pneumatiques". Il en résulte une limitation du choix du revendeur, qui ne pourra pas envoyer rechaper les carcasses Michelin chez d'autres rechapeurs, lesquels se voient donc opposer une barrière abusive à l'accès sur ce marché.

Arguments supplémentaires soulevés par Michelin

(332) Dans sa réponse aux griefs, Michelin soulève deux arguments d'ordre général à l'encontre des griefs de la Commission. L'entreprise Michelin affirme d'une part que ses parts de marchés se seraient effondrées sur 20 ans sur le marché des pneus neufs au remplacement, passant de [...] et auraient accusé un recul substantiel sur le marché du pneu rechapé et, d'autre part, que les prix des pneumatiques poids lourd ont chuté de plus de [...] en dix ans (compte tenu de l'inflation). Ces baisses seraient la preuve de l'absence de position dominante et d'un comportement abusif de la part de Michelin.

(333) La Commission remarque tout d'abord de manière liminaire que le Tribunal de première instance des Communautés européennes a souligné dans son arrêt du 8 octobre 1996 dans les affaires jointes T-24, 25, 26 et 28-93, Compagnie Maritime Belge de transports/Commission(36) que, "lorsqu'une ou plusieurs entreprises en position dominante mettent effectivement en œuvre une pratique dont l'objet est d'évincer un concurrent, la circonstance que le résultat escompté n'est pas atteint ne saurait suffire à écarter la qualification d'abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité". Si, en l'occurrence, l'effet escompté par l'entreprise en position dominante avait été d'accroître significativement ses parts de marché et qu'un tel effet ne se soit pas produit, la qualification d'abus ne serait pas remise en cause. En effet, même dans un tel cas, les pratiques en cause auraient pu contribuer à maintenir et à stabiliser les parts de marché de Michelin.

(334) Dans l'arrêt NBIM, la Cour de justice a, pour sa part, souligné qu'"une rentabilité temporairement nulle et même des pertes ne sont pas incompatibles avec une position dominante. De même, le fait que les prix pratiqués par NBIM ne sont ni abusifs, ni particulièrement élevés ne permet pas de conclure qu'il n'y a pas de position dominante".

(335) En outre, la détention d'une position dominante au sens de l'article 82 du traité doit être entendue pour la période où les faits abusifs ont été constatés. Or, sur la période en question, et même d'ailleurs au-delà, Michelin a toujours rempli les critères de parts de marché tels que définis par la Cour.

(336) Finalement, l'affirmation elle-même de Michelin est extrêmement contestable en fait. Pour ce qui concerne le marché du pneumatique rechapé, il est remarquable que sur une période aussi longue, de 1980 à nos jours, Michelin ait réussi à maintenir ses parts de marché à un niveau aussi élevé, ne cédant que [...] points de pourcentage de parts de marché en passant de [...] de ce marché. Cela alors même que les parts de marché de Michelin dans les autres États membres sont infiniment plus faibles. Pour ce qui concerne le marché du pneu de remplacement neuf, Michelin estime être passé de [...] de parts de marché. Or, d'après les informations même fournies par Michelin, les parts de marché du groupe Michelin auraient oscillé de 1990 à 1997 entre [...], mais avec une année 1990 à [...] et une année 1997 à [...]. Ces chiffres démontreraient à eux seuls la capacité de Michelin, tout au moins sur la décennie 1990, à maintenir ses parts de marché. Si Michelin a effectivement connu une baisse de parts de marché, celle-ci s'est produite essentiellement au cours des années 80 et n'est que la résultante de la fin de l'exclusivité de Michelin sur le pneumatique radial(37).

(337) S'agissant ensuite de la baisse des prix, Michelin affirme, et en cela prudemment, que les prix des pneumatiques poids lourd ont accusé une baisse de [...] sur la décennie, sans expliciter plus avant l'évolution propre à Michelin.

(338) Les données collectées auprès de l'office de statistiques français (l'INSEE) par la Commission, confirment que le marché français du pneu neuf au remplacement a connu une décrue en termes de prix. De l'indice 104 en 1991, les prix ont atteint l'indice 92 en 1998 hors inflation.

(339) Toutefois, l'INSEE attribue cette décrue à la baisse du prix du marché des hydrocarbures et du caoutchouc, composantes importantes du prix de fabrication d'un pneumatique, et l'estime similaire à d'autres marchés adjacents de l'automobile.

(340) Or, Michelin, malgré un marché en apparence morose, a su maintenir ses prix, voire les augmenter assez significativement sur certains types de pneumatiques Poids Lourd. Le tableau suivant [fondé sur les données(38) transmises par l'INSEE et par Michelin] démontre assez que Michelin a su maintenir ses prix alors que le marché s'effondrait.

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(341) Cependant, Michelin contestait, dans sa lettre du 25 juillet 2000, le bien-fondé de cette analyse en faisant valoir que les années 1991 à 1996 avaient été une période de rattrapage pour Michelin.

(342) Toutefois, d'après une demande de renseignements adressée à Michelin, il ressort que même si cette entreprise a bien subi une baisse de prix, cette baisse a été limitée à [...] hors inflation sur la période (en prenant en considération la gamme Poids lourd pondérée avec la remise moyenne escomptée aux revendeurs), et cette baisse met au mieux l'entreprise Michelin en ligne avec le marché.

(343) En définitive, Michelin aurait, comme le marché, incorporé la baisse du prix des composants tout en maintenant son différentiel de prix initial.

D. L'AFFECTATION DU COMMERCE ENTRE ÉTATS MEMBRES

(344) Dans son arrêt du 30 juin 1966 dans l'affaire 56-65, Société Technique Minière/Maschinenbau Ulm(39), la Cour de justice a établi que le commerce entre États membres est affecté par un comportement anticoncurrentiel chaque fois qu'il est: "de nature à fonder une prévision raisonnable permettant de faire craindre qu'il puisse exercer une influence éventuelle directe ou indirecte, actuelle ou potentielle sur les courants d'échange entre États membres, susceptible d'entraver la réalisation d'un marché unique entre lesdits États".

(345) La Cour de justice a en outre précisé, dans l'arrêt NBIM, que "lorsque le détenteur d'une position dominante barre l'accès au marché des concurrent, il est indifférent que ce comportement n'ait lieu que sur le territoire d'un seul État membre, dès lors qu'il est susceptible d'avoir des répercussions sur les courants commerciaux et sur la concurrence dans le marché commun(40)".

(346) Or, le système de ristournes appliqué par Michelin est susceptible d'affecter le commerce entre les États membres du fait que, par la création de liens solides entre le fournisseur en position dominante et les revendeurs, il limite la liberté d'achat de ces derniers. Tout le système de Michelin vise à accroître le rendement des revendeurs au seul profit de Michelin et donc à priver de commandes les autres fabricants. Ces derniers sont, pour une large part, établis à l'intérieur du marché commun et y possèdent des unités de production importantes où sont fabriqués les pneus lourds. Leurs possibilités de pénétration sur le marché français sont amoindries du fait que, à cause des liens créés par le système des conditions commerciales de Michelin entre les producteurs et les revendeurs, la part du marché de Michelin est en quelque sorte prédéterminée, de sorte que la pénétration d'autres producteurs sur le marché français des pneus poids lourd ne peut dépasser un pourcentage réduit. Le comportement litigieux de Michelin visant au maintien de sa part du marché est susceptible ainsi de restreindre le commerce entre les États membres d'une manière préjudiciable à la réalisation de l'objectif d'un marché unique, notamment en modifiant la structure de la concurrence à l'intérieur du marché commun.

(347) Les effets défavorables de ce système de rabais abusif sur le commerce entre États membres sont appréciables. Il apparaît clairement que même des rabais d'un faible niveau pourraient être considérés comme importants pour les revendeurs. En effet, les revendeurs se sont trouvés devant un choix inégal entre faire des efforts de vente pour les autres fabricants ou pour Michelin. Il n'était que naturel pour les revendeurs d'essayer d'augmenter leurs ventes de produits Michelin, forcément aux dépens des autres fabricants, étant donné que les primes qui étaient incertaines et individualisées pouvaient finalement être plus intéressantes que le rabais (connu d'avance) qui pouvait être obtenu auprès des autres fabricants. Ainsi, l'action de l'entreprise dominante a rendu sensiblement plus difficile la tâche des autres fabricants qui essayaient de vendre en France à partir d'autres États membres.

E. ARTICLE 3 DU RÈGLEMENT N° 17

(348) En vertu de l'article 3 du règlement n° 17, si la Commission constate, sur demande ou d'office, une infraction aux dispositions de l'article 81 ou de l'article 82 du traité, elle peut obliger par voie de décision les entreprises et associations d'entreprises intéressées à mettre fin à l'infraction constatée.

(349) La Commission doit donc inviter Michelin à mettre fin aux infractions décrites dans la section C si elle ne l'a pas encore fait et à s'abstenir dorénavant de tout accord ou de tout comportement qui pourrait avoir un objet ou un effet identique ou similaire.

(350) À cet égard, il faut noter que Michelin, au cours de l'année 1998 et à l'occasion d'échanges de courriers ou de réunions avec les services de la Commission, a discuté des engagements à prendre pour mettre fin aux infractions. Lors d'une réunion du 4 février 1999, Michelin a présenté les conventions amendées avec effet au 1er janvier 1999 pour tenir compte des remarques de la Commission et mettre fin aux abus.

F. ARTICLE 15 DU RÈGLEMENT N° 17

(351) En application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises des amendes pouvant aller jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires global réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, lorsque de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction aux dispositions de l'article 82 du traité. Pour déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci.

(352) Dans la présente affaire, il ressort clairement que Michelin a commis l'infraction de propos délibéré puisque Michelin, comme il est souligné ci-dessous au considérant 361 de la présente décision, avait déjà été condamné pour les mêmes pratiques par la Commission en 1981, décision qui avait été confirmée par la Cour de justice en 1983. En outre, Michelin dispose d'un service juridique vaste auquel le caractère infractionnel des pratiques ne pouvait échapper, notamment au moment même où les pratiques étaient sanctionnées par la Cour sur un marché géographique voisin.

(353) Dans la présente affaire, il convient de sanctionner par une amende le comportement de Michelin. Dans le but de déterminer le montant de l'amende, il faut prendre en considération la gravité de l'infraction, sa durée ainsi que l'existence éventuelle de circonstances aggravantes et/ou atténuantes.

1. GRAVITÉ DE L'INFRACTION

(354) Le comportement en cause, à savoir un système de rabais fidélisants semblable à ceux que la Commission et le juge communautaire ont systématiquement condamnés par le passé, est un grave abus de position dominante qui visait à éliminer ou, du moins, à empêcher la croissance des concurrents de Michelin sur les marchés français des pneumatiques poids lourd neufs de remplacement et rechapés. Un tel comportement doit être considéré comme une infraction grave au droit communautaire de la concurrence.

(355) La France est le seul pays de la Communauté où Michelin a une part de marché du pneumatique rechapé supérieure à celle du pneumatique neuf de remplacement. L'effet de ventes liées entre pneumatique neuf et rechapé que produit la conjonction de la prime de progrès et de la convention PRO peut au moins être considéré comme un des facteurs explicatifs de ce phénomène singulier.

(356) Le marché français est le marché où Michelin possède les parts de marché les plus importantes en comparaison avec les autres États membres. Cette situation pourrait être expliquée certainement par l'historique de la marque, mais notamment la puissance du Club des amis Michelin sur le marché français pourrait être également un phénomène explicatif. En effet, le résultat de la politique "Club" contribue certainement au maintien des parts de marché de Michelin auprès des "revendeurs Club", chez qui elles sont - logiquement - beaucoup plus élevées que chez les négociants spécialistes indépendants.

(357) Les infractions constatées sont situées sur une partie substantielle du marché commun et leurs effets, par le cloisonnement du marché commun qu'elles impliquent, s'étendent au-delà du marché pertinent qu'est le marché français.

(358) Pour ces motifs, le montant de l'amende infligée doit être fixé à 8 millions d'euros, étant donnée la gravité, l'ampleur et les effets de l'infraction considérée.

2. DURÉE DE L'INFRACTION

(359) L'infraction considérée s'est étendue sur une période supérieure ou égale à dix-neuf ans puisque la politique commerciale mise en cause est au moins en vigueur depuis l'année 1980 et que Michelin, ainsi qu'il est indiqué dans la section E, a accepté d'amender ses conventions avec effet au 1er janvier 1999. Cependant, la Commission ayant focalisé l'essentiel de ses recherches sur la période 1990-1999, il ne sera tenu compte que de la période s'étendant du 1er janvier 1990 au 31 décembre 1998 pour considérer la durée de l'infraction. La durée des abus telle que retenue aux fins de la présente décision est donc de neuf ans.

(360) Il résulte de ce qui précède que le montant de l'amende infligée en fonction de la gravité de l'infraction doit donc être majoré de 90 % afin de tenir compte de sa durée. Cela porte le montant de base de l'amende à 15,2 millions d'euros.

3. CIRCONSTANCES AGGRAVANTES

(361) Michelin a déjà été condamné par la Commission en 1981, condamnation confirmée par l'arrêt de la Cour de justice dans l'affaire NBIM(41), pour le même type d'abus de position dominante, à savoir un système de rabais fidélisants. La récidive est explicitement considérée par la communication de la Commission sur les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA(42) comme une circonstance aggravante susceptible d'entraîner un accroissement du montant de l'amende.

(362) Michelin estime que le fait que la Cour se soit prononcée sur un autre marché géographique invalide le caractère récidiviste des pratiques abusives de Michelin. La Commission estime, en revanche, qu'il est de la responsabilité d'une entreprise en position dominante condamnée par la Commission de cesser non seulement ses pratiques abusives sur le marché pertinent, mais aussi de conformer sa politique commerciale dans l'ensemble de la Communauté à la décision individuelle qui lui a été signifiée, ce que Michelin n'a pas fait, bien au contraire.

(363) Il y a donc lieu de constater que les abus commis par Michelin sur les marchés pertinents définis sont aggravés par le fait qu'ils constituent une récidive, ce qui justifie une augmentation du montant de base de l'amende de 50 %, c'est-à-dire de 7,6 millions d'euros.

4. CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES

(364) Ainsi qu'il est indiqué dans la section E, Michelin a présenté en février 1999 des amendements à sa politique commerciale qui prenaient effet au 1er janvier 1999 et avaient pour but de mettre fin à l'infraction. Ces amendements, réalisés effectivement avant même l'envoi à l'entreprise de la communication des griefs, ouvrent droit à des circonstances atténuantes, ce qui justifie une réduction du montant de base de l'amende de 20 %, c'est-à-dire de 3,04 millions d'euros.

5. MONTANT DE L'AMENDE

(365) Pour ces motifs, le montant de l'amende relative aux infractions constatées par la présente décision doit être de 19,76 millions d'euros,

A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:

Article premier

La Commission constate que sur une période s'étendant du 1er janvier 1990 au 31 décembre 1998, la Manufacture Française de Pneumatiques Michelin a enfreint l'article 82 du traité CE en appliquant des systèmes de rabais fidélisants aux revendeurs de pneumatiques neufs de remplacement ainsi que de pneumatiques rechapés pour camions et autobus en France.

Article 2

Pour l'infraction visée à l'article 1er, une amende de 19,76 millions d'euros est infligée à Michelin.

L'amende est payable dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, en euros, au compte bancaire suivant: Compte n° 642-0029000-95, Commission européenne, Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (BBVA), Code SWIFT: BBVABEBB, Code IBAN: BE 76 64 20 02 90 00 95, Avenue des Arts 43, B-1040 Bruxelles. Après l'expiration de ce délai, des intérêts sont automatiquement exigibles au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement au premier jour ouvrable du mois au cours duquel la présente décision a été arrêtée, majoré de 3,5 points de pourcentage, soit 8,05 %.

Article 3

Michelin s'abstient de répéter les comportements visés à l'article 1er, et s'abstient de tout comportement ayant un effet équivalent.

Article 4

La Manufacture française de Pneumatiques Michelin, F-63040 Clermont-Ferrand, est destinataire de la présente décision.

La présente décision forme titre exécutoire conformément à l'article 256 du traité CE.

(1) JO 13 du 21.2.1962, p. 204/62 (devenus respectivement les articles 81 et 82 du traité CE).

(2) JO L 148 du 15.6.1999, p. 5.

(3) JO L 354 du 30.12.1998, p. 18.

(4) Les secrets d'affaires sont supprimés dans le texte au moyen de crochets.

(5) Réponse de Michelin à la lettre article 11 du 3.12.1996.

(6) C'est-à-dire les pays membres de l'EEE plus la Suisse.

(7) Étude The World Tyre Industry, a new perspective to 2005, EIU, 1997.

(8) Il faut noter, par exemple, qu'entre les appréciations "bon" et "excellent", les points attribués varient du simple au double dans certains cas.

(9) Document [...].

(10) JO L 353 du 9.12.1981, p. 33.

(11) Recueil 1983, p. 3461.

(12) Unités Opérationnelles Tactiques.

(13) JO L 284 du 19.10.1988, p. 41.

(14) Réponse à la demande de renseignements du 3.12.1996.

(15) Il est à signaler que Michelin a pris le contrôle de certaines marques de troisième ligne (il s'agit de Taurus et de Stomil) pour suivre le phénomène.

(16) Recueil 1979, p. 461, point 38 des motifs.

(17) Point 39 des motifs.

(18) Point 56 des motifs, par exemple.

(19) Recueil 1991, p. I-3359.

(20) Point 60 des motifs.

(21) Michelin estime dans sa réponse à la demande de renseignements du 3.12.1996, dans un tableau reproduit au considérant 151 de la présente décision, avoir eu seulement [...] de parts de marché en 1993, mais cette affirmation est en contradiction avec les documents trouvés en inspection chez Michelin.

(22) Selon European Tyre Report 1996, European Rubber Journal, septembre 1996.

(23) Document de stratégie commerciale Michelin.

(24) Recueil 1978, p. 207, points 67 et 68 des motifs.

(25) Voir notamment la réponse d'un revendeur, et la réponse des revendeurs à la question 20 de la lettre du 27.10.1997.

(26) Arrêt précité (voir note 15), point 56 des motifs.

(27) Arrêt précité (note 25), point 91 des motifs.

(28) Voir note 32.

(29) Puisqu'à partir de 1996, Michelin offrait un échelonnement des paiements de rabais.

(30) Arrêt "NBIM" précité (voir note 15), point 73 des motifs.

(31) Communication des griefs, p. 122. NB: le texte "par catégorie de produit" est souligné par la Commission.

(32) Rappelons, par exemple, qu'entre les appréciations "bon" et "excellent", les points attribués varient du simple au double dans certains cas.

(33) Réponses à la demande de renseignements du 17.12.1997.

(34) À partir de 1993.

(35) Dans le compte rendu d'une réunion commerciale avec un client, le représentant de Michelin écrit: [...] (vérification du 12.6.1997). Dans un autre compte rendu, à propos d'une éventuelle entrée au Club, le représentant de Michelin écrit [...] (vérification du 12.6.1997). Dans le même sens, un document manuscrit du 30 janvier 1996 mentionne les seuils, en termes de part de marché, nécessaires pour une adhésion au Club: [...] (vérification du 12.6.1997). Enfin, face à l'intérêt que présente la poursuite des bonnes relations entretenues avec un revendeur stratégique, un représentant propose de faire preuve de magnanimité en [...] (...).

(36) Recueil 1996, p. II-1201.

(37) Michelin, en tant qu'inventeur de la technologie radiale, disposait d'un brevet le protégeant dans les années 70 et au début des années 80 de la concurrence d'autres manufacturiers.

(38) Il s'agit des prix catalogues Michelin aux négociants spécialistes.

(39) Recueil 1966, p. 337.

(40) Arrêt NBIM précité (voir note 15 de bas de page), point 103 des motifs.

(41) Voir note 15.

(42) JO C 9 du 14.1.1998, p. 3.