TPICE, 4e ch., 20 mars 2002, n° T-21/99
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Dansk Rorindustri A/S
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mengozzi
Juges :
Mme Tiili, M. Moura Ramos
Avocats :
Mes Dyekjær-Hansen, Hegh, Karhula Lauridsen.
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),
Faits à l'origine du litige
1. La requérante est une société danoise, connue également sous le nom de Starpipe, produisant des conduites destinées au chauffage urbain.
2. Dans les systèmes de chauffage urbain, l'eau chauffée dans un site central est acheminée, par des conduites souterraines, vers les locaux à chauffer. Étant donné que la température de l'eau (ou de la vapeur) transportée est très élevée, les conduites doivent être calorifugées pour assurer une distribution économique et sans risque. Les conduites utilisées sont précalorifugées et, à cette fin, sont généralement constituées d'un tube d'acier enveloppé d'un tube de plastique, avec une couche de mousse isolante entre les deux.
3. Les conduites de chauffage urbain font l'objet d'un commerce important entre les États membres. Les plus grands marchés nationaux de l'Union européenne sont l'Allemagne, avec 40 % de la consommation communautaire, et le Danemark, avec 20 %. Avec 50 % de la capacité de fabrication de l'Union européenne, le Danemark est le principal centre de production de l'Union qui approvisionne tous les États membres où est utilisé le chauffage urbain.
4. Par une plainte datée du 18 janvier 1995, l'entreprise suédoise Powerpipe AB a signalé à la Commission que les autres fabricants et fournisseurs de conduites de chauffage urbain s'étaient réparti le marché européen dans le cadre d'une entente et qu'ils avaient pris des mesures concertées pour nuire à son activité, ou confiner cette activité au marché suédois, ou encore l'évincer purement et simplement du secteur.
5. Le 28 juin 1995, agissant en vertu d'une décision de la Commission du 12 juin 1995, des fonctionnaires de cette dernière et des représentants des autorités de la concurrence des États membres concernés ont procédé, simultanément et sans préavis, à des vérifications dans dix entreprises ou associations présentes dans le secteur du chauffage urbain, y inclus la requérante.
6. Ensuite, la Commission a adressé des demandes de renseignements à la requérante et à la plupart des entreprises concernées par les faits litigieux, en vertu de l'article 11 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204).
7. Le 20 mars 1997, la Commission a adressé une communication des griefs à la requérante et aux autres entreprises concernées. Ensuite, une audition des entreprises concernées a eu lieu les 24 et 25 novembre 1997.
8. Le 21 octobre 1998, la Commission a adopté la décision 1999-60-CE, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV-35.691-E-4 -Conduites précalorifugées) (JO 1999, L. 24, p. 1), rectifiée avant sa publication par une décision du 6 novembre 1998 [C(1998) 3415 final] (ci-après la "décision" ou la "décision attaquée") constatant la participation de diverses entreprises, et, notamment, de la requérante, à un ensemble d'accords et de pratiques concertées au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) (ci-après l'"entente").
9. Selon la décision, un accord a été conclu, à la fin de l'année 1990, entre les quatre producteurs danois de conduites de chauffage urbain sur le principe d'une coopération générale sur leur marché national. Cet accord aurait réuni la requérante ainsi qu'ABB IC Moller A-S, la filiale danoise du groupe helvético-suédois ABB Asea Brown Boveri Ltd (ci-après "ABB"), Lögstör Rör A-S (ci-après "Lögstör") et Tarco Energi A-S (ci-après "Tarco") (ci-après, les quatre pris ensemble, les "producteurs danois"). L'une des premières mesures aurait consisté à coordonner une augmentation des prix tant pour le marché danois que pour les marchés à l'exportation. Aux fins de partager le marché danois, des quotas auraient été fixés puis appliqués et contrôlés par un "groupe de contact" réunissant les responsables des ventes des entreprises concernées. Pour chaque projet commercial (ci-après un "projet"), l'entreprise à laquelle le groupe de contact avait attribué le projet aurait informé les autres participants du prix qu'elle avait l'intention de proposer et ces derniers auraient alors fait une offre plus élevée de façon à protéger le fournisseur désigné par l'entente.
10. Selon la décision, deux producteurs allemands, le groupe Henss-Isoplus (ci-après "Henss-Isoplus") et Pan-Isovit GmbH, se sont joints aux réunions régulières des producteurs danois à partir de l'automne de 1991. Dans le cadre de ces réunions se seraient tenues des négociations en vue de la répartition du marché allemand. Celles-ci auraient abouti, en août 1993, à des accords fixant des quotas de vente pour chaque entreprise participante.
11. Toujours selon la décision, il a été convenu d'un accord entre tous ces producteurs, en 1994, afin de fixer des quotas pour l'ensemble du marché européen. Cette entente européenne aurait comporté une structure à deux niveaux. Le "club des directeurs", réunissant les présidents ou les directeurs généraux des entreprises participant à l'entente, aurait attribué des quotas à chacune de ces entreprises tant sur l'ensemble du marché que sur chacun des marchés nationaux, notamment l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, la Finlande, l'Italie, les Pays-Bas et la Suède. Pour certains marchés nationaux, un "groupe de contact" aurait été institué, composé de responsables locaux des ventes, qui se seraient vu confier la tâche de gérer les accords en attribuant les projets et en coordonnant les soumissions aux appels d'offres.
12. En ce qui concerne le marché allemand, la décision mentionne que, à la suite d'une réunion des six principaux producteurs européens (ABB, Henss-Isoplus, Lögstör, Pan-Isovit, Tarco et la requérante) et de Brugg Rohrsysteme GmbH (ci-après "Brugg") le 18 août 1994, une première réunion du groupe de contact pour l'Allemagne s'est tenue le 7 octobre 1994. Les réunions de ce groupe se seraient poursuivies longtemps après les vérifications de la Commission, à la fin de juin 1995, bien que, à partir de ce moment-là, elles se soient tenues à l'extérieur de l'Union européenne, à Zurich. Les réunions à Zurich se seraient poursuivies jusqu'au 25 mars 1996.
13. Comme élément de l'entente, la décision cite, notamment, l'adoption et la mise en œuvre de mesures concertées visant à éliminer la seule entreprise importante à ne pas en faire partie, Powerpipe. La Commission précise que certains participants à l'entente ont recruté des "salariés-clés" de Powerpipe et ont fait comprendre à cette dernière qu'elle devait se retirer du marché allemand. À la suite de l'attribution à Powerpipe d'un important projet allemand, en mars 1995, une réunion se serait tenue à Düsseldorf, à laquelle auraient participé les six producteurs susvisés et Brugg. Selon la Commission, il a été décidé, lors de cette réunion, d'instituer un boycottage collectif des clients et des fournisseurs de Powerpipe. Ce boycottage aurait ensuite été mis en œuvre.
14. Dans la décision, la Commission expose les motifs pour lesquels non seulement l'arrangement exprès de partage des marchés conclu entre les producteurs danois à la fin de 1990, mais également les arrangements conclus à compter d'octobre1991, visés ensemble, peuvent être considérés comme formant un "accord" prohibé par l'article 85, paragraphe 1, du traité. De plus, la Commission souligne que les ententes "danoise" et "européenne" ne constituaient que l'expression d'une seule entente qui a débuté au Danemark, mais qui avait, dès le départ, pour objectif, à plus long terme, d'étendre le contrôle des participants à tout le marché. Selon la Commission, l'accord continu entre producteurs a eu un effet sensible sur le commerce entre États membres.
15. Pour ces motifs, la décision a pour dispositif :
"Article premier
ABB Asea Brown Boveri Ltd, Brugg Rohrsysteme GmbH, Dansk Rorindustri A-S, le groupe Henss-Isoplus, KE KELIT Kunststoffwerk GmbH, Oy KWH Tech AB, Lögstör Rör A-S, Pan-Isovit GmbH, Sigma Tecnologie di rivestimento SrL et Tarco Energi A-S ont enfreint les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité, en participant, de la manière et dans la mesure indiquées dans la motivation à un ensemble d'accords et de pratiques concertées qui a été mis en place, vers novembre ou décembre 1990, entre les quatre producteurs danois, qui a ensuite été étendu à d'autres marchés nationaux, auquel se sont ralliées Pan-Isovit et Henss-Isoplus, et qui a fini par constituer, fin 1994, une entente générale couvrant l'ensemble du Marché commun.
La durée de l'infraction était la suivante :
- dans le cas [...] [de] Dansk Ror [...] : plus ou moins à partir de novembre-décembre 1990, et au moins jusqu'en mars ou avril 1996,
[...]
Les principales caractéristiques de l'entente étaient :
- la répartition entre producteurs des différents marchés nationaux, puis de l'ensemble du marché européen, grâce à un système de quotas,
- l'attribution de marchés nationaux à certains producteurs et l'organisation du retrait des autres producteurs,
- la fixation des prix du produit et de chaque projet,
- l'attribution de projets à des producteurs désignés à cet effet et la manipulation des procédures de soumission, afin que les marchés en question soient attribués à ces producteurs,
- pour protéger l'entente de la concurrence de la seule entreprise importante à ne pas en faire partie, Powerpipe AB, l'adoption et la mise en œuvre de mesures concertées visant à entraver son activité commerciale, à nuire à la bonne marche de ses affaires ou à l'évincer purement et simplement du marché.
[...]
Article 3
Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises énumérées à l'article 1er, en raison de l'infraction constatée audit article:
[...].
c) Dansk Rorindustri A-S, une amende de 1 475 000 écus
[...]"
16. La décision a été notifiée à la requérante par lettre du 12 novembre 1998, reçue par celle-ci le lendemain.
Procédure et conclusions des parties
17. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 janvier 1999, la requérante a introduit le présent recours.
18. Sept des neuf autres entreprises tenues pour responsables de l'infraction ont également introduit un recours contre la décision (affaires T-9-99, T-15-99, T-16-99, T-17-99, T-23-99, T-28-99 et T-31-99).
19. À la suite de sa consultation du dossier administratif de la Commission déposé au greffe, la requérante a déposé des observations le 20 juin 2000.
20. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, au titre des mesures d'organisation de la procédure, a demandé aux parties de répondre à des questions écrites et de produire certains documents. Les parties ont déféré à ces demandes.
21. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 25 octobre 2000.
22. La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler l'article 1er de la décision attaquée, pour autant qu'il lui impute:
- d'avoir participé à un ensemble d'accords et de pratiques concertées de façon ininterrompue à partir de novembre ou décembre 1990, et au moins jusqu'en mars ou avril 1996,
- d'avoir adopté et mis en œuvre, avec les autres producteurs, des mesures concertées visant à entraver l'activité commerciale de Powerpipe, à nuire à la bonne marche des affaires de cette dernière ou à évincer celle-ci purement et simplement du marché;
- réduire le montant de l'amende infligée à la requérante;
- condamner la défenderesse aux dépens.
23. La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours;
- condamner la requérante aux dépens.
Sur la demande de mesures d'instruction
24. Conformément à l'article 68 du règlement de procédure du Tribunal, la requérante a demandé, dans ses observations du 20 juin 2000, que son directeur, son administrateur délégué et le président de son conseil d'administration soient entendus, premièrement, sur le point de savoir si elle a participé à la réunion du 24 mars 1995 à Düsseldorf, deuxièmement, sur le point de savoir si elle a, en refusant de participer au rachat de Powerpipe lors de la réunion du 5 mai 1995 à Budapest, retiré sa participation aux actions dirigées contre Powerpipe et, troisièmement, sur l'objet réel de la réunion tenue lors d'un congrès à Stockholm, du 11 au 13 juin 1995.
25. Le Tribunal estime, toutefois, que la requérante n'a pas apporté une justification suffisante pour procéder à l'audition des témoins demandés. En effet, en l'absence de nouveaux éléments de fait qui se seraient révélés après l'adoption de la décision attaquée, et eu égard au fait que les témoins invoqués sont des personnes faisant partie de la direction ou du conseil d'administration de la requérante, les témoignages demandés ne peuvent apporter aucun élément que la requérante n'ait pas pu avancer dans sa requête ou sa réplique.
26. Pour ces raisons, le Tribunal n'a pas donné suite à la demande de témoignages.
Sur le fond
27. La requérante invoque, en substance, trois moyens. Le premier moyen est tiré d'erreurs de fait et de droit dans l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Le deuxième moyen est tiré de la violation de principes généraux dans le déroulement de la procédure administrative. Le troisième moyen est tiré de la violation de principes généraux et d'erreurs de fait dans la détermination du montant de l'amende.
I - Sur le moyen tiré d'erreurs de fait et de droit dans l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité
A - Sur la qualification de l'entente d'unique et continue
1. Arguments des parties
28. En ce qui concerne le début de l'entente, la requérante précise encore qu'il n'est pas exact d'avancer qu'elle a participé aux réunions préparatoires en 1988 et 1989. Elle n'y aurait participé qu'à partir de la fin de 1990.
29. La requérante fait valoir que la reprise de l'entente à partir de 1994, après la cessation des activités de cette dernière en octobre 1993, ne peut être qualifiée de poursuite d'une même infraction à caractère durable. En effet, il s'agirait de deux périodes distinctes qui se distinguaient non seulement par leur extension géographique, la première période concernant pour l'essentiel une entente limitée au marché danois, mais aussi par la nature et l'importance de l'entente. Or, la responsabilité pour la participation à une entente globale et durable ne pourrait être établie que lorsqu'il y a une infraction dont la continuité dans le temps et l'homogénéité ont été démontrées.
30. Sur ce point, il ressortirait de la communication des griefs que l'entente a cessé durant une période de six mois. Au cours de la procédure administrative, la requérante n'aurait reçu aucune notification de ce que la Commission envisageait de modifier son appréciation des faits afin de considérer qu'il y avait eu une entente continue.
31. La requérante fait remarquer que l'entente entre les producteurs danois a cessé, en ce qui concerne le Danemark, vers le milieu de l'année 1993 et, en ce qui concerne l'Allemagne, en octobre 1993. Quant au marché allemand, la requérante affirme que, en ce qui concerne les discussions sur les prix, les réunions n'ont pas donné de résultats tandis que, en ce qui concerne le régime de quotas, faute d'accord, il n'y a eu que des discussions isolées. Contrairement à ce que souligne la défenderesse, les motifs des participants pour mettre fin à leur entente n'auraient pas de pertinence pour déterminer s'il y a eu une cessation de l'entente.
32. Selon la requérante, l'entente n'a été réactivée qu'à la fin de l'été de 1994. Après la déliquescence de l'entente en octobre 1993, la requérante n'aurait pas participé aux contacts bilatéraux et trilatéraux qui ont par la suite eu lieu entre certaines entreprises et aurait recommencé à participer uniquement dans la mesure où elle a été convoquée à des réunions. Ensuite, elle n'aurait pas pris part et n'aurait pas été invitée aux réunions du 3 mai et du 9 mai 1994, à l'occasion desquelles les accords sur les prix et le système de quotas concernant l'Allemagne avaient été rétablis. La requérante aurait été mise devant le fait accompli.
33. La défenderesse fait valoir qu'il s'agit effectivement d'une entente continue. En effet, les activités de l'entente qui se sont poursuivies à partir de l'année 1994 n'auraient pas été d'une nature différente des activités antérieures. De plus, l'objectif final aurait été, dès le départ, d'étendre le contrôle à tout le marché.
34. En ce qui concerne la prétendue cessation de l'entente entre octobre 1993 et la fin de l'été 1994, la Commission, dans la décision, ne reconnaîtrait pas que les activités collusoires avaient entièrement "cessé" en automne 1993. La décision mentionnerait six mois pendant lesquels les arrangements ont été "suspendus"; il serait signalé aussi que les réunions entre tous les principaux participants ont été suspendues mais que les réunions bilatérales visant à poursuivre les activités de l'entente ont continué durant cette période. En tout état de cause, il ressortirait de la décision que, lors de la fixation de la durée de l'infraction à cinq ans, la Commission a pris en considération la suspension de l'entente entre la fin de 1993 et le début de 1994.
35. Selon la défenderesse, déjà à partir du mois de mars 1994, les réunions plénières entre les six producteurs ont repris, avec la participation des directeurs généraux et des responsables des ventes. En effet, la requérante n'aurait pas contesté sa participation aux réunions préliminaires des 7 mars et 15 avril 1994 sur la reprise de l'entente. Il serait, dès lors, sans importance d'avancer que la requérante n'aurait pas assisté aux réunions suivantes de mai 1994. Comme la suite de l'affaire a montré que la requérante avait décidé de rester membre de l'entente, le degré d'enthousiasme dont elle avait fait preuve pour la reprise des pratiques anticoncurrentielles serait sans importance pour calculer la durée de l'entente.
36. Enfin, en ce qui concerne la qualification juridique de la période au cours de laquelle l'entente a été suspendue, il n'y aurait pas de divergence entre la communication des griefs et la décision.
2. Appréciation du Tribunal
37. Selon l'article 1er, deuxième alinéa, de la décision, la durée de l'infraction reprochée à la requérante s'étend "plus ou moins à partir de novembre-décembre 1990, et au moins jusqu'en mars ou avril 1996".
38. De plus, au considérant 153, quatrième alinéa, de la décision, la Commission "estime devoir conclure que la durée de la participation des diverses entreprises à l'infraction a été la suivante: a) ABB, Lögstör, Tarco et [la requérante]: début vers le mois de novembre 1990, puis extension progressive à toute la Communauté et maintien au moins jusqu'en mars ou avril 1996, en retranchant une période maximale de six mois, d'octobre 1993 à mars 1994 environ, pendant laquelle les arrangements ont été suspendus".
39. Il s'ensuit que la décision ne reproche pas à la requérante d'avoir participé à l'infraction avant novembre 1990. La requérante ne saurait donc reprocher à la Commission d'avoir commis une erreur dans l'appréciation des faits pendant la période 1988-1989.
40. En ce qui concerne la période de commission de l'infraction reprochée à la requérante, il y a lieu de comprendre le présent moyen dans le sens qu'il contient des griefs portant, premièrement, sur la période de suspension de l'entente et sur le moment de la reprise de la participation de la requérante à l'entente, deuxièmement, sur la qualification de l'entente d'unique et continue et, troisièmement, sur l'absence d'une indication, dans la communication des griefs, selon laquelle la Commission envisageait de retenir, à l'égard de la requérante, la participation à une entente continue.
- Sur la période de suspension de l'entente
41. Il y a lieu de constater que la requérante ne conteste pas avoir participé à l'entente, en ce qui concerne le marché danois, jusqu'au milieu de l'année 1993. En ce qui concerne le marché allemand, la requérante reconnaît avoir participé à des réunions jusqu'en septembre 1993, bien qu'elle nie que, en ce qui concerne les quotas, ces réunions aient abouti à un accord.
42. À cet égard, il convient de préciser qu'on ne saurait tirer de la déliquescence de l'entente danoise, vers avril 1993, la conclusion selon laquelle la requérante aurait, à cette époque, cessé de participer à des activités anticoncurrentielles dans le secteur du chauffage urbain. En effet, même si, à partir de mars ou avril 1993, les prix sur le marché danois ont commencé à baisser et les arrangements sur l'attribution des projets n'étaient plus respectés, il y a lieu de constater que la requérante a participé, avec les autres producteurs danois, Henss-Isoplus et Pan-Isovit, à des négociations sur la répartition du marché allemand qui ont abouti à un accord de principe, en août 1993.
43. En effet, il convient d'observer que la thèse d'ABB, figurant dans sa réponse du 4 juin 1996 à la demande de renseignements du 13 mars 1996 (ci-après la "réponse d'ABB"), selon laquelle les entreprises s'étaient accordées, en août 1993, sur le partage du marché allemand, même si les parts de marché exactes de chaque participant faisaient encore l'objet d'une négociation qui se poursuivait d'une réunion à l'autre, est confirmée non seulement par les indications des parts de marché pour 1994 figurant dans une note d'ABB IC Moller du 19 août 1993 (annexe 53 de la communication des griefs), mais également par une note du 18 août 1993 provenant de Pan-Isovit (annexe 52 de la communication des griefs) et par un document proposé, à l'époque, par ABB (ci-après la "proposition d'ABB"), figurant à l'annexe 7 des observations de Lögstör sur la communication des griefs, qui démontrent, dans leur ensemble, que, en août et en septembre 1993, une négociation se poursuivait sur une attribution des parts de marché en Allemagne.
44. D'une part, l'existence d'une telle négociation est confirmée par la note du 18 août 1993 susvisée, établie par Pan-Isovit pour sa société-mère et relative à une visite effectuée chez Lögstör, le 3 août 1993, dont il ressort que Pan-Isovit a été informée de ce que Lögstör était "en principe intéressée par des accords sur les prix mais uniquement si [sa] part de marché [...] [était] adéquate" et du fait que "Lögstör s'efforçait, en accord avec ABB, de mettre Tarco sous contrôle au Danemark et en Allemagne".
45. D'autre part, il est confirmé par la proposition d'ABB que, en ce qui concerne la répartition du marché, il ne restait à discuter, en septembre 1993, que du montant des quotas individuels. À cet égard, il convient d'observer que la proposition d'ABB, portant sur un système de partage du marché allemand basé sur un audit concernant les recettes, sur des paiements à effectuer en cas de dépassement des quotas attribués et sur un barème de prix commun, a été reçue par Lögstör, selon les observations de cette dernière sur la communication des griefs, en septembre 1993 et était soutenue par Pan-Isovit et Henss-Isoplus. En ce qui concerne les parts de marché, il y a lieu d'observer que les pourcentages cités dans cette proposition correspondent aux chiffres figurant dans la note d'ABB IC Moller, susvisée ("26" pour Pan-Isovit, "25" pour ABB Isolrohr, "12" pour Lögstör, "4" pour la requérante), sauf pour Tarco et Henss-Isoplus, auxquelles sont attribués, dans ce document, respectivement "17" et "16", tandis que la proposition d'ABB mentionne "17,7 %" et "15,3 %". Or, en ce qui concerne l'augmentation de la part de Tarco, il convient de noter qu'il est déclaré par ABB, dans sa réponse, que les chiffres figurant dans la note d'ABB IC Moller pour 1994 "reflètent l'accord conclu lors de la réunion du 18 août [1993] en vertu duquel ces parts de marché seraient maintenues pour 1994, avec de légers ajustements à la suite des discussions lors de cette réunion" et que, lors de la réunion du 8 ou du 9 septembre 1993, "l'objet de la réunion semble avoir été la poursuite de la négociation des allocations de parts de marché à la suite du rapport [d'un cabinet d'audit suisse]: Tarco a apparemment insisté pour se voir attribuer 18 % du marché allemand". Eu égard à la concordance entre les déclarations d'ABB, d'une part, et l'augmentation de la part de Tarco proposée par ABB, Pan-Isovit et Henss-Isoplus en septembre 1993 par rapport à la part mentionnée en août 1993, dans la note d'ABB IC Moller, d'autre part, il y a lieu de conclure que, au terme des réunions tenues aux mois d'août et de septembre 1993, il existait un accord visant à se répartir le marché allemand, même si la discussion sur les quotas se poursuivait encore.
46. En effet, la succession de réunions lors desquelles les entreprises se sont rencontrées pour discuter de la répartition des parts de marché n'aurait pas été possible s'il n'y avait pas eu, à l'époque, une volonté commune, parmi les participants à ces réunions, de se répartir les ventes sur le marché allemand par la voie d'une attribution de parts de marché à chaque opérateur.
47. En ce qui concerne la participation de la requérante à cet accord, il convient d'observer que celle-ci ne conteste pas avoir été présente lors des réunions du 30 juin 1993 à Copenhague et du 18 ou 19 août 1993 à Zurich.
48. Or, selon une jurisprudence bien établie, dès lors qu'une entreprise participe, même sans y prendre une part active, à des réunions entre entreprises ayant un objet anticoncurrentiel et qu'elle ne se distancie pas publiquement du contenu de celles-ci, donnant ainsi à penser aux autres participants qu'elle souscrit au résultat des réunions et qu'elle s'y conformera, il peut être considéré comme établi qu'elle participe à l'entente résultant desdites réunions (voir arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals-Commission, T-7-89, Rec. p. II-1711, point 232, du 10 mars 1992, Solvay-Commission, T-12-89, Rec. p. II-907, point 98, et du 6 avril 1995, Tréfileurope-Commission, T-141-89, Rec. p. II-791, points 85 et 86).
49. Dans ces circonstances, la Commission a correctement déduit de la participation de la requérante à la réunion du 18 ou du 19 août 1993 son accord, au moins, sur le principe d'une répartition du marché allemand.
50. Puis, en ce qui concerne la période suivant la déliquescence de l'accord sur la répartition du marché allemand, en septembre ou octobre 1993, il convient de préciser que la Commission elle-même a reconnu, dans la décision, que, pendant une certaine période, les activités anticoncurrentielles sur le marché n'ont pas été significatives et n'ont pas pu, en tout état de cause, être démontrées.
51. En effet, la Commission a affirmé, au considérant 52 de la décision, qu'il y a eu, à cette époque, en quelques mois, une baisse des prix de 20 % sur les principaux marchés nationaux. La Commission a observé que les producteurs ont, toutefois, continué à se réunir, même si, pendant un certain temps, les réunions multilatérales ont été remplacées par des contacts bi et trilatéraux. Selon la Commission, il semble très probable qu'ABB ait, lors de ces contacts, cherché à négocier un nouvel arrangement, afin de ramener l'"ordre" sur ces marchés (considérant 52, cinquième alinéa, de la décision). Selon la décision, une série de réunions bilatérales a eu lieu à cette époque au sujet desquelles aucun détail ne serait disponible (considérant 52, septième alinéa, de la décision).
52. Ensuite, la Commission a relevé, au considérant 53 de la décision, que les réunions entre les six producteurs ont repris les 7 mars, 15 avril et 3 mai 1994. Au cours des réunions de mars et d'avril, les discussions auraient notamment porté sur des augmentations de prix, mais elles ne semblent pas avoir abouti. Néanmoins, après la réunion du 3 mai 1994, à laquelle ont participé ABB, Henss-Isoplus, Lögstör et Pan-Isovit, un barème de prix aurait été établi qui devait servir de base pour l'ensemble des livraisons sur le marché allemand (considérant 54, premier alinéa, de la décision). Selon la Commission, il est probable que, lors d'une réunion entre les six plus grandes entreprises et Brugg, le 18 août 1994, il a été convenu d'élaborer un nouveau barème commun et de limiter les rabais à un certain niveau (considérant 56, troisième alinéa, de la décision).
53. Il en résulte que, en ce qui concerne la période débutant après septembre ou octobre 1993, la Commission a reconnu que, même si les contacts entre les entreprises se sont poursuivis, il n'y a pas de preuve d'un accord ou d'une pratique concertée au sens de l'article 85 du traité jusqu'à la négociation sur une augmentation des prix pour le marché allemand. Quant à cette dernière négociation, il est reconnu, dans la décision, qu'elle n'a abouti à un accord qu'à la suite de la réunion du 3 mai 1994.
54. De même, la Commission a considéré, dans la partie de la décision relative à l'appréciation juridique des faits, qu'il y a eu une "suspension" des arrangements de l'entente. D'abord, lors de l'appréciation de la nature de l'infraction en l'espèce, la Commission a reconnu que, même s'il y avait une continuité entre les ententes danoise et européenne de sorte qu'il s'agissait d'une infraction unique et continue, les arrangements ont été suspendus pendant une courte période (considérant 145, troisième alinéa, de la décision). Plus précisément, la Commission a mentionné, à cet égard, au considérant 141, troisième alinéa, de la décision, que, en ce qui concerne la période allant de septembre 1993 à mars 1994, "[t]oute interruption pouvait être considérée comme une suspension des arrangements et relations habituels: les producteurs n'ont pas tardé à reconnaître qu'une lutte de pouvoir prolongée était contraire à leur intérêts et à retourner à la table des négociations". Également lors de l'appréciation de la durée de l'infraction, la Commission a constaté que "[p]endant les six mois qui se sont écoulés entre octobre 1993 et mars 1994, on peut considérer que les arrangements ont été suspendus, même si (au dire d'ABB) les réunions bilatérales et trilatérales se sont poursuivies" et que, "[d]ès le mois de mai 1994, la collusion était rétablie en Allemagne avec l'application du barème pour toute l'Europe" (considérant 152, premier alinéa, de la décision).
55. La prise en compte par la Commission d'une période de suspension de l'entente est confirmée dans le cadre du calcul du montant de l'amende imposée à la requérante. En effet, il ressort du considérant 178, deuxième alinéa, de la décision que la durée retenue lors de la détermination du montant de l'amende est identique à celle retenue pour ABB et Lögstör. Or, en ce qui concerne ABB, il est précisé, au considérant 170 de la décision, que le fait que les arrangements ont été suspendus "entre la fin de 1993 et le début de 1994" fait partie, avec les circonstances selon lesquelles les arrangements ont été, au début, incomplets et ont eu un effet limité en dehors du marché danois et avec le fait que les arrangements n'ont atteint leur forme la plus achevée qu'avec l'entente européenne constituée en 1994 ou 1995, des facteurs dont la Commission a tenu compte pour fixer à 1,4 le facteur de majoration de l'amende pour une infraction qui a duré plus de cinq ans.
56. Dans ce contexte, la requérante ne saurait prétendre que la Commission lui a reproché, dans la décision, d'avoir participé à une activité anticoncurrentielle pour la période allant d'octobre 1993 jusqu'à mars 1994. Dès lors, les arguments de la requérante portant sur la période de suspension de l'entente doivent être rejetés.
- Sur la reprise de la participation de la requérante à l'entente
57. Il convient de constater que, contrairement à ce que prétend la Commission, il ne ressort pas des éléments de preuves indiquées par celle-ci, à savoir les réponses de Tarco du 31 mai 1996 et de Lögstör du 25 avril 1996 à la demande de renseignements de la Commission du 13 mars 1996 (ci-après, respectivement, la "réponse de Tarco" et la "réponse de Lögstör"), que la requérante ait assisté aux réunions des 7 mars et 15 avril 1994. D'une part, en ce qui concerne la réponse de Tarco, il convient d'observer que, en ce qui concerne la réunion du 7 mars 1994, il y est question d'une réunion de "plusieurs directeurs généraux et directeurs de vente pour l'Allemagne". Or, alors que Tarco observe, au même endroit, que cette réunion comprenait comme participants "probablement" des représentants d'ABB, de Lögstör, de Pan-Isovit et d'elle-même et qu'un représentant de Henss-Isoplus devait participer, mais n'en avait pas été capable, elle y ajoute ne pas pouvoir confirmer si la requérante a été représentée. Ensuite, en ce qui concerne les participants à la réunion du 15 avril 1994, la réponse de Tarco mentionne uniquement "plusieurs directeurs généraux et directeurs de vente pour l'Allemagne", sans identifier ces participants. D'autre part, en ce qui concerne le tableau de voyages professionnels effectués par le directeur des ventes de Lögstör, annexé par cette dernière à sa réponse, il y a lieu de constater que celui-ci ne fait que confirmer la représentation de Lögstör à une réunion du 15 avril 1994, sans identifier les autres participants. Il s'ensuit que la Commission n'a apporté aucun élément de preuve pouvant étayer la présence de la requérante lors des deux réunions en question.
58. De plus, il est constant que la requérante n'a pas été présente lors de la réunion du 3 mai 1994.
59. Ensuite, en ce qui concerne la réunion du 18 août 1994, pour laquelle la requérante ne conteste pas sa présence, il convient d'observer que dans la lettre d'invitation à cette réunion, envoyée le 10 juin 1994 à M. Henss et aux directeurs de la requérante, d'ABB, de Lögstör, de Pan-Isovit et de Tarco (annexe 56 de la communication des griefs), le coordinateur de l'entente a mentionné ce qui suit: "[É]tant donné que la liste du 9 mai 1994 est incomplète en ce qui concerne certains postes et que, de ce fait, les comparaisons d'offres ont entraîné des confrontations et des différences d'interprétation importantes, je me permets de compléter les postes manquants par la liste ci-jointe." À la lumière de la réponse d'ABB, selon laquelle il existait un barème de prix qui, à la suite d'une réunion du 3 mai 1994 à Hanovre, devait être utilisé pour toutes les livraisons aux fournisseurs allemands, il faut conclure que, lors de l'organisation de la réunion du 18 août 1994, il a été envisagé de continuer la discussion sur une liste de prix devant être appliqués lors des soumissions d'offres et dont la mise en œuvre avait déjà débuté, quoique de manière problématique. Il s'avère, d'ailleurs, que l'existence d'une telle liste est confirmée par Tarco dans sa réponse.
60. À cet égard, il y a lieu de remarquer que, selon la réponse d'ABB, des mesures visant à "améliorer" le niveau de prix en Allemagne ont été discutées lors de la réunion du 18 août 1994. D'après ABB, ces mesures auraient pu comprendre la fourniture de nouveaux barèmes de prix au coordinateur de l'entente aux fins de l'établissement d'un nouveau barème de prix commun ainsi qu'un accord en vertu duquel les rabais sur les prix de barème ne dépasseraient pas un maximum convenu avant la fin de 1994 et en vertu duquel les prix du barème seraient imposés à partir du 1er janvier 1995, bien que, sur ce dernier point, l'accord ait pu être conclu également lors d'une réunion ultérieure (réponse d'ABB). Or, même si l'affirmation d'ABB sur le contenu de la réunion du 18 août 1994 n'est pas confirmée par d'autres participants à l'entente, il y a lieu de constater, eu égard aux conclusions devant être tirées de l'invitation à cette réunion, que la discussion du 18 août 1994 a complété sinon confirmé le barème de prix commun convenu au mois de mai 1994.
61. Eu égard à la référence faite au barème de prix dans la lettre d'invitation reçue par la requérante pour la réunion du 18 août 1994 et à sa présence lors de cette dernière réunion, il y a lieu d'observer que la Commission a établi, à suffisance de droit, la participation de la requérante à un accord sur les prix à partir du mois d'août 1994.
62. Toutefois, en ce qui concerne la période allant d'avril à août 1994, il y a lieu de constater que la Commission a commis une erreur dans la détermination de la durée de l'infraction reprochée à la requérante. En effet, en l'absence d'éléments de preuve susceptibles d'établir directement la durée d'une infraction, le principe de sécurité juridique impose que la Commission invoque, au moins, des éléments de preuve qui se rapportent à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon qu'il puisse être raisonnablement admis que cette infraction s'est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises (arrêt du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger-Commission, T-43-92, Rec. p. II-441, point 79). Or, eu égard à la suspension des activités anticoncurrentielles d'octobre 1993 jusqu'à mars 1994, reconnue par la Commission elle-même, et à défaut de preuves établissant la participation de la requérante à des activités anticoncurrentielles pour la période d'avril à août 1994, la Commission ne peut lui reprocher d'avoir repris sa participation à l'entente en cause avant août 1994.
63. Partant, il y a lieu d'accueillir le grief de la requérante dans la mesure où celle-ci conteste avoir participé à l'entente pour la période allant d'avril à août 1994.
- Sur la qualification d'entente unique et continue
64. Eu égard au fait qu'une suspension des activités de l'entente a été prise en compte, dans l'appréciation de la durée de l'entente, la requérante ne saurait tirer argument du fait que la Commission a qualifié l'entente en cause d'infraction unique et continue.
65. En effet, il convient d'observer que la Commission, dans la mesure où elle a qualifié l'entente en cause d'infraction unique et continue, a rejeté l'argument avancé au cours de la procédure administrative, selon lequel les ententes "danoise" et "européenne" auraient constitué deux infractions totalement distinctes et indépendantes l'une de l'autre. Dans ce contexte, la Commission a souligné qu'il existait, dès le départ de l'entente au Danemark, un objectif à plus long terme visant à étendre le contrôle à tout le marché (considérant 140, troisième alinéa, de la décision), que, pour la période allant de septembre 1993 à mars 1994, toute interruption pouvait être considérée comme une suspension des arrangements et relations habituels (considérant 141, troisième alinéa, de la décision) et qu'il y avait une continuité évidente en termes de méthodes et de pratiques entre le nouvel accord conclu à la fin de 1994 pour tout le marché européen et les arrangements antérieurs (considérant 142, premier alinéa, de la décision).
66. Il s'ensuit que la Commission, en considérant, dans la décision, que l'entente européenne construite à partir de la fin de 1994 n'a été qu'une continuation de l'entente antérieure entre les producteurs sur le marché du chauffage urbain, n'a pas retenu, à l'égard de la requérante, une participation ininterrompue à une entente pour toute la période allant de novembre 1990 à mars 1996. Cette interprétation s'impose d'autant plus que la Commission a reconnu expressément que, "s'il s'agit bien d'une infraction unique et continue, son intensité et ses effets ont varié dans le temps sur toute la période en cause: elle s'est progressivement étendue (en dépit d'une courte période pendant laquelle les arrangements ont été suspendus), des arrangements affectant tout d'abord le Danemark en 1991, à d'autres marchés, jusqu'à constituer, vers 1994, une entente paneuropéenne couvrant la quasi-totalité des échanges du produit en cause" (considérant 145, troisième alinéa, de la décision).
67. En ce qui concerne le caractère unique de l'entente, il convient d'observer encore que, bien qu'il s'agisse d'une entente qui s'est étendue à partir d'une coopération entre les producteurs danois concernant leur seul marché national à une coopération réunissant d'autres producteurs et couvrant l'ensemble du Marché commun, cette coopération a toujours poursuivi le but unique de contrôler le marché du chauffage urbain. Il ressort, en effet, de l'accord convenu, en novembre 1990, sur la coordination d'une augmentation des prix pour les marchés à l'exportation, tel qu'évoqué aux considérants 31 et 38 de la décision et non contesté par la requérante, que, dès le début, l'entente entre les producteurs danois a dépassé le cadre du seul marché danois.
68. En outre, la Commission a correctement établi, au considérant 142 de la décision, la continuité évidente, en termes de méthodes et de pratiques, entre l'accord conclu à la fin de 1994 pour tout le marché européen et les arrangements antérieurs. D'une part, il ressort de l'ensemble des preuves que les producteurs ont appliqué, tant en ce qui concerne l'entente en vigueur à partir de 1994 que l'entente antérieure, un accord sur les prix complété par un système de quotas mis en œuvre par un mécanisme d'attribution de projets à chacun des participants. D'autre part, il est constant que l'entente européenne a été gérée par une structure de réunions à deux niveaux identique à celle mise en place avant 1994.
69. Par conséquent, les arguments de la requérante concernant le caractère continu et unique de l'infraction doivent être rejetés.
- Sur la qualification de l'entente dans la communication des griefs
70. Selon la jurisprudence, la communication des griefs doit contenir un exposé des griefs libellé dans des termes suffisamment clairs, seraient-ils sommaires, pour permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés par la Commission. Ce n'est, en effet, qu'à cette condition que la communication des griefs peut remplir la fonction qui lui est attribuée par les règlements communautaires et qui consiste à fournir tous les éléments nécessaires aux entreprises et associations d'entreprises pour qu'elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission n'adopte une décision définitive (arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö ea-Commission, C-89-85, C-104-85, C-114-85, C-116-85, C-117-85 et C-125-85 à C-129-85, Rec. p. I-1307, point 42, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mo och Domsjö-Commission, T-352-94, Rec. p. II-1989, point 63).
71. Comme la durée de l'infraction figure parmi les éléments à prendre en considération lors de la fixation du montant de l'amende conformément à l'article 15, paragraphe 2, dernier alinéa, du règlement n° 17, la Commission doit indiquer, lorsqu'elle envisage d'infliger des amendes, en tant qu'élément essentiel, la durée retenue par elle sur la base des informations dont elle dispose au moment de l'élaboration de la communication des griefs. La Commission peut étendre la période ainsi indiquée si des informations supplémentaires recueillies au cours de la procédure administrative le justifient, pourvu que les entreprises aient eu l'occasion de s'expliquer à cet égard (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française ea-Commission, 100-80 à 103-80, Rec. p. 1825, point 15).
72. En l'espèce, il convient de constater que la Commission a exposé, aux pages 57 et 58 de sa communication des griefs, son opinion sur la nature continue de l'infraction en cause. Dans ce cadre, la Commission a affirmé qu'il y a eu une suspension des activités de l'entente, au cours d'une période de six mois, et qu'il y a eu une continuité évidente, quant aux méthodes et à la structure de l'entente, entre l'accord convenu à la fin de 1994 et les accords antérieurs. Au même endroit, la Commission a signalé que, eu égard au dessein commun d'éliminer la concurrence dans le secteur du chauffage urbain, poursuivi avec constance par les producteurs, leur comportement a constitué une infraction continue à l'article 85, paragraphe 1, du traité.
73. De plus, il y a lieu de constater que la durée de la période retenue à l'encontre de la requérante dans la communication des griefs correspond à celle retenue par la décision, c'est-à-dire plus ou moins à partir de novembre ou décembre 1990 jusqu'en mars ou avril 1996, sous réserve de la période de suspension de six mois. En effet, la Commission a mentionné, à la page 61 de sa communication des griefs, qu'elle envisageait de constater, en ce qui concerne la requérante, une participation plus ou moins à partir de novembre 1990 au Danemark, puis une extension progressive à toute l'Union européenne et un maintien au moins jusqu'en mars ou avril 1996, sous la réserve éventuelle d'une période de suspension des activités d'octobre 1993 à mars 1994 environ.
74. Il ressort donc de la communication des griefs que la requérante a été en mesure, lors de la procédure administrative, de faire connaître son point de vue tant sur la durée de l'infraction reprochée à son égard que sur le caractère continu et unique d'une telle infraction.
75. Par conséquent, il y a lieu de rejeter l'argument de la requérante selon lequel la Commission aurait omis de lui reprocher, dans sa communication des griefs, d'avoir participé à une entente continue.
76. Il résulte de tout ce qui précède que le grief avancé par la requérante doit être accueilli dans la mesure où elle reproche à la Commission d'avoir retenu sa participation à l'entente entre avril et août 1994. Le grief doit être rejeté pour le surplus.
B - Sur les actions concertées contre Powerpipe et la coopération au sein de l'European Heating Pipe Manufacturers Association
1. Arguments des parties
77. La requérante conteste avoir été impliquée dans des activités illégales en ce qui concerne Powerpipe ou l'association professionnelle European Heating Pipe Manufacturers Association (ci-après l'"EuHP").
78. En tant que critique générale, la requérante fait observer que la Commission n'a pas apprécié le rôle de chacun des participants dans l'entente, notamment la mesure dans laquelle chaque participant a implicitement donné son accord aux activités des autres participants. La requérante conteste le point de vue de la Commission selon lequel "il n'est pas nécessaire, pour établir la matérialité d'un accord, que chaque participant présumé ait pris part à tous les aspects et à toutes les manifestations de l'entente, y ait consenti de manière expresse ou même ait eu connaissance de leur existence, pendant toute la durée de son adhésion au système commun".
79. Selon la requérante, une entreprise participant à une entente ne peut être rendue responsable de toute action susceptible de contribuer à restreindre la concurrence sur le marché simplement parce que cette activité est exercée par des entreprises participant également à l'entente. Pour que la responsabilité d'un participant à une entente puisse être engagée pour des activités poursuivies par d'autres participants, il faudrait au minimum démontrer que les activités en cause s'inscrivent dans les limites de l'entente à laquelle l'entreprise a adhéré. En effet, une entreprise pourrait être tenue pour responsable d'une entente globale même s'il est établi qu'elle n'a participé directement qu'à un ou plusieurs des éléments constitutifs de cette entente à condition que cette entreprise ait su, ou ait nécessairement dû savoir, d'une part, que la collusion à laquelle elle participait s'inscrivait dans un plan global et, d'autre part, que ce plan global recouvrait l'ensemble des éléments constitutifs de l'entente. Une entreprise qui n'a pas connaissance des activités exercées par d'autres participants en dehors des objectifs et moyens "officiels" de l'entente et qui n'a pas spécifiquement donné son approbation à ces activités ne pourrait en être rendue responsable.
80. En l'espèce, la requérante ne conteste pas qu'il y a eu un plan commun en ce qui concerne les activités de l'entente relatives à la répartition du marché et aux accords sur les prix. En revanche, il ne serait pas démontré qu'un tel plan se soit étendu jusqu'à couvrir une activité étrangère aux activités communes des participants à l'entente, telle que les actions concertées contre Powerpipe. Il n'y aurait également pas de preuve que tous les participants à l'entente aient considéré comme partie intégrante d'un plan commun l'idée d'utiliser à des fins illicites la coopération, au sein de l'EuHP, en matière de normes qualitatives. Le fait que certains participants à l'entente aient, à l'insu de la requérante et contre sa volonté, étendu le plan commun de l'entente afin d'y englober les actions contre Powerpipe et/ou la coopération en matière de normes qualitatives ne saurait en soi fonder une responsabilité dans le chef de la requérante. De telles actions n'auraient présenté aucun lien de connexité avec les autres activités communes des participants à l'entente tel que la requérante aurait pu prévoir que les autres participants s'y impliqueraient. De toute façon, une connaissance éventuelle, abstraite et non spécifique d'une politique agressive des autres participants ne pourrait rendre la requérante responsable d'une infraction au droit de la concurrence du simple fait qu'elle aurait omis de se départir de sa passivité.
81. En ce qui concerne les actions prises à l'encontre de Powerpipe, la requérante conteste qu'elle y était impliquée d'une quelconque manière ou qu'elle en a eu une connaissance précise. Dans sa plainte à la Commission, Powerpipe n'aurait, par ailleurs, nullement mentionné la requérante comme participant aux différentes mesures dirigées contre elle.
82. D'abord, la requérante n'aurait pas eu connaissance des tentatives de rachat de Powerpipe et des actions de débauchage de salariés entreprises par d'autres producteurs, ni des menaces proférées à l'encontre de Powerpipe dans le cadre du projet de Neubrandenburg, avant d'en être informées grâce à la procédure entamée par la Commission.
83. En ce qui concerne le projet de Leipzig-Lippendorf, la requérante reconnaît que son offre de 33 millions de marks allemands (DEM) n'a pas été une offre concurrentielle pouvant être prise en considération par VEAG, le client lançant l'appel d'offres correspondant à ce projet. Toutefois, le motif du prix élevé de son offre aurait été le fait qu'elle considérait la commande comme trop importante pour être en mesure d'y répondre avec succès. En outre, même dans l'hypothèse où il y aurait eu une finalité anticoncurrentielle, l'objectif de son offre n'aurait pas été de gêner Powerpipe, mais plutôt d'assurer le succès de l'entreprise choisie au sein de l'entente pour remporter le marché. La requérante aurait en plus ignoré que, postérieurement au stade de la présélection, VEAG avait invité Powerpipe à soumettre également une offre, "en dehors" de la procédure d'appel d'offres.
84. S'agissant de la réunion du 24 mars 1995, la requérante précise, dans son mémoire en réplique, qu'elle n'a pas été représentée lors de cette réunion. Ayant examiné de près la situation, la requérante aurait constaté que sa direction était entièrement occupée ce jour-là par une réunion du conseil d'administration. Son chef à l'exportation, M. Jönsson, ne serait entré en service chez elle que le 20 juin 1995 et n'aurait donc pas pu participer à la réunion du 24 mars 1995. La Commission aurait fondé sa supposition de la présence de la requérante à cette réunion sur des informations émanant d'autres entreprises qui ne sont pas cohérentes et qui ont été données sous réserve. En ce qui concerne une note rédigée à l'occasion de cette réunion par un des participants, la requérante ne détiendrait aucun document interne susceptible de confirmer ou de démentir son contenu. La requérante n'aurait pas été au courant des actions contre Powerpipe mises en œuvre ultérieurement par certains autres producteurs.
85. En outre, la requérante se serait désengagée des actions d'autres entreprises concernant Powerpipe. La requérante aurait refusé de coopérer, d'abord, lors d'une réunion du 5 mai 1995 à Budapest, au cours de laquelle Henss-Isoplus avait insisté sur l'achat de Powerpipe. Une autre occasion lors de laquelle la requérante se serait désengagée de toutes formes d'accords auxquels elle est censée avoir adhéré du fait de sa passivité, le 24 mars 1995, aurait été son refus de "racheter", en octobre 1995, malgré l'insistance de Henss-Isoplus, son ancien agent sur le marché tchèque, qui avait été engagé par Powerpipe. Elle aurait donc manifesté un comportement de renonciation tel qu'on ne saurait la rendre responsable des actions de boycottage contre Powerpipe.
86. Selon la requérante, le seul document l'impliquant dans les mesures prises à l'encontre de Powerpipe serait la phrase "Powerpipe Guerre totale" ("Powerpipe Total War") inscrite dans une note de juin 1995, rédigée par son directeur à propos d'un entretien avec son administrateur délégué. Or, cette note se rapporterait à tout un ensemble d'autres faits et transcrirait les différentes informations et impressions recueillies par l'administrateur délégué lors de sa participation à une exposition à Stockholm. Dans ce contexte, la phrase pourrait aussi bien être entendue comme une information sur ce que l'administrateur délégué avait entendu, à savoir que Powerpipe était particulièrement agressive sur les marchés allemand et danois et que Powerpipe et ABB se livraient une guerre sans merci. Il s'agirait d'une orientation dénuée de tout ancrage concret et non d'une invitation à des actions communes. Il n'y aurait aucune preuve que la requérante a eu connaissance, autrement que de manière superficielle, de la "guerre" menée par certains producteurs contre Powerpipe, ou, à plus forte raison, y a donné son soutien ou son assistance directe. En effet, une remarque jetée sur le papier à propos d'un ouï-dire, révélant un aspect de l'action menée par d'autres entreprises, ne pourrait être considérée comme une information fiable impliquant la requérante.
87. Quant à la coopération au sein de l'EuHP, la décision contiendrait des considérants donnant à penser que la Commission est d'avis que cette coopération impliquait une restriction illégale de la concurrence. La Commission s'appuierait sur le fait qu'ABB a "avoué" que le maintien des normes qualitatives au sein de l'EuHP poursuivait un objectif illicite et sur quelques documents isolés accréditant l'idée que certains membres s'étaient faite de l'association. Or, selon la requérante, il n'y a aucune preuve dans le dossier que la coopération au sein de l'EuHP sur les normes qualitatives ait eu une finalité anticoncurrentielle ni que la requérante ait été consciente de ce que certains participants à l'entente prêtaient au travail de l'EuHP une telle finalité. Par ailleurs, l'EuHP n'aurait jamais fixé les normes qualitatives mais se serait référée aux normes de qualité fixées par le CEN.
88. Quant au fait, mentionné dans le considérant 116 de la décision, selon lequel c'était l'EuHP qui avait été chargée d'envoyer des informations sur les augmentations de prix à venir au début de 1995, il conviendrait de préciser que lesdites informations se référaient à l'augmentation des matières premières et pourraient donc s'expliquer autrement que par le fait que "l'entente a voulu préparer le marché à des augmentations de 15 à 30 %", comme le prétend la décision.
89. En tout état de cause, la décision manquerait de cohérence interne dans la mesure où son dispositif, tel que rectifié, ne contiendrait plus de référence à l'allégation contenue dans ses considérants 113 à 116 ainsi que dans la communication des griefs selon laquelle les producteurs avaient eu recours à des normes qualitatives pour maintenir les prix à la hausse et pour retarder l'introduction d'une nouvelle technologie.
90. Enfin, la requérante conteste l'utilisation par la Commission, comme moyens de preuve, d'"aveux" d'autres participants à l'entente. De tels aveux sembleraient avoir été la cause principale du fait que la requérante a été reconnue coupable de l'ensemble des faits incriminés en rapport avec le boycottage de Powerpipe. Or, les aveux de participants à l'entente devraient être écartés en tant que moyens de preuve vis-à-vis d'autres participants dans la mesure où ces aveux, en l'absence de toute autre preuve autonome, prêtent à l'entente des motifs qui correspondent en réalité uniquement aux intentions et stratégies à long terme des entreprises qui ont avoué. Quant à la remarque de la défenderesse selon laquelle les moyens de preuve indirects se montrent nécessaires lorsque les participants à une entente se sont efforcés de détruire les preuves de leurs activités, la requérante affirme qu'elle n'a pas déployé de tels efforts.
91. La défenderesse soutient que la participation de la requérante aux actions dirigées contre Powerpipe est prouvée par sa présence à la réunion du 24 mars 1995 ainsi que par la note relative à la "Guerre totale" de juin 1995. En ce qui concerne la réunion du 24 mars 1995, la requérante aurait encore reconnu, dans sa requête, qu'elle y a été représentée. De plus, il n'existerait aucune indication selon laquelle la requérante se serait activement dissociée des actions dirigées contre Powerpipe ou aurait cherché à en empêcher la mise en œuvre. Le fait qu'elle n'ait pas participé à la mise en œuvre concrète de ces actions ne démontrerait pas qu'elle s'en était dissociée.
92. En ce qui concerne la coopération au sein de l'EuHP, il faudrait préciser que cette coopération n'a pas été comprise dans l'infraction. Les éléments relatifs à l'EuHP auraient été inclus dans la décision étant donné qu'ils contribuent à faire la lumière sur les activités collusoires illicites. Néanmoins, la référence au considérant 2 de la décision à la coopération relative aux normes de qualité serait fondée sur une erreur.
93. Ensuite, la défenderesse conteste qu'elle n'aurait pas apprécié le rôle de chacun des participants dans l'entente, étant donné que cette appréciation transparaîtrait clairement de l'exposé des faits et de l'appréciation juridique de la décision. En tout état de cause, même si la requérante n'a pas connu tous les détails des actions dirigées contre Powerpipe, elle aurait su que l'entente menait une politique très agressive à l'égard de cette entreprise et ne se serait jamais dissociée de cette politique.
94. Enfin, la défenderesse observe que, dans une affaire où les participants ont déployé des efforts pour détruire ou éliminer les preuves de leurs activités illicites, il peut être nécessaire qu'une partie au moins des circonstances de fait soit prouvée indirectement, c'est-à-dire par des conclusions tirées de faits établis. Dans ce contexte, les aveux d'autres entreprises pourraient être utilisés comme preuves à condition qu'il s'agisse d'informations fiables corroborées par les autres éléments du dossier.
2. Appréciation du Tribunal
95. Il convient d'examiner, d'abord, les arguments de la requérante relatifs à sa participation aux actions concertées contre Powerpipe et à la coopération au sein de l'EuHP, pour aborder, ensuite, ses griefs généraux relatifs à l'appréciation, en tant que moyens de preuve, des déclarations d'autres entreprises ainsi qu'à l'établissement de sa participation à l'entente globale.
- Sur les actions concertées contre Powerpipe
96. Il convient de préciser, d'abord, que, en ce qui concerne les actions concertées contre Powerpipe, la Commission, dans la décision, ne reproche pas à la requérante d'avoir été impliquée, avant 1995, dans le plan stratégique visant à éliminer Powerpipe ni dans le recrutement de salariés-clés de cette dernière, ni d'avoir été impliquée dans les menaces à l'encontre de celle-ci lors de la soumission pour le projet de Neubrandenburg.
97. En ce qui concerne le comportement de la requérante lors de l'attribution du projet de Leipzig-Lippendorf, il convient d'observer que les conclusions de la Commission se basent sur les résultats de la réunion du 24 mars 1995 tenue à Düsseldorf.
98. À cet égard, il convient de constater, d'abord, que la requérante ne conteste pas qu'il y a eu un accord, au sein de l'entente, selon lequel le projet de Leipzig-Lippendorf était destiné à ABB, à Henss-Isoplus et à Pan-Isovit.
99. Ensuite, il ressort des notes prises par Tarco relatives à la réunion du 24 mars 1995 (annexe 143 de la communication des griefs) que le fait que Powerpipe a obtenu le projet de Leipzig-Lippendorf a donné lieu à la discussion d'une série de mesures. Selon ces notes:
"[Powerpipe] a apparemment décroché le [projet de] Leipzig-Lippendorf.
- Aucun producteur ne devra fournir le moindre produit à L-L, IKR, Mannesmann-Seiffert, VEAG.
- Toutes les demandes de renseignement relatives au projet doivent être communiquées à [X].
- Aucun de nos sous-traitants ne devra travailler pour [Powerpipe]; dans le cas contraire, il sera mis fin à toute collaboration.
- Nous essaierons d'empêcher [Powerpipe] de se fournir en plastiques par exemple, etc.
- L'EuHP cherchera à déterminer si nous pouvons nous plaindre de l'attribution du contrat à une entreprise non qualifiée."
100. Le caractère anticoncurrentiel des mesures discutées lors de cette réunion est encore confirmé par la déclaration de Lögstör, dans ses observations sur la communication des griefs, selon laquelle Henss a insisté sur la question des "actions collectives" contre Powerpipe.
101. Quant à la participation de la requérante à la réunion du 24 mars 1995, il convient d'indiquer que la Commission l'a correctement déduite de l'annexe 2 de la réponse de Brugg du 9 août 1996 à la demande de renseignements du 9 juillet 1996 (ci-après la "réponse de Brugg"). Il convient d'observer que la requérante, dans sa requête, a expressément reconnu avoir été représentée lors de la réunion du 24 mars 1995, à un niveau subordonné, par son chef à l'exportation.
102. À cet égard, il convient de rejeter l'affirmation de la requérante, avancée dans sa réplique, selon laquelle elle n'avait pas eu de représentant lors de cette réunion. En effet, aucun élément avancé par la requérante, à ce propos, n'est à même de révoquer la conclusion devant être tirée du document soumis par Brugg.
103. D'une part, il n'est pas pertinent de savoir que, à la même date que celle de la réunion de Düsseldorf, il y a eu une réunion du conseil d'administration de la requérante. En effet, la liste des participants à cette dernière réunion, annexée à la réplique, n'est pas de nature à contredire l'affirmation par Brugg de la présence d'un représentant de la requérante lors de la réunion à Düsseldorf. Il y a lieu de préciser, à cet égard, qu'il s'agissait, à Düsseldorf, d'une réunion du groupe de contact allemand. Même si Tarco, au cours de la procédure administrative, a qualifié cette réunion de réunion au niveau des directeurs, la Commission a expliqué clairement, au considérant 100 de la décision, qu'il s'agissait d'une réunion du groupe de contact allemand, comme cela est confirmé par ABB (réponse complémentaire du 13 août 1996 à la demande de renseignements du 13 mars 1996), Brugg (observations sur la communication des griefs) et Henss (réponse complémentaire de Henss du 10 octobre 1996 à la demande de renseignements du 13 mars 1996, annexe 8). En outre, il y a lieu d'observer que la requérante a reconnu, au cours de la procédure administrative, qu'elle était représentée, lors des réunions du groupe de contact allemand, par M. Jespersen (annexe G à la réponse de la requérante du 23 mai 1996 à la demande de renseignements de la Commission du 13 mars 1996). À cet égard, les entreprises ayant précisé l'identité des participants aux réunions du groupe de contact allemand ont mentionné, en ce qui concerne le représentant de la requérante, "Jens Jespersen et, par la suite, Stig J[ö]nsson" (réponse d'ABB), "J[ö]n[s]son" (réponse complémentaire de Henss du 10 octobre 1996, annexe 7) et "J[ö]ns[so]n" (réponse de Pan-Isovit du 17 juin 1996 à la demande de renseignements du 13 mars 1996). Or, il y a lieu de constater que ni M. Jespersen ni M. Jönsson ne figuraient parmi les participants à la réunion du conseil d'administration de la requérante, le 24 mars 1995.
104. D'autre part, la requérante ne saurait tirer un argument susceptible de réfuter la conclusion de la Commission du fait que Brugg a mentionné, pour la réunion du 24 mars 1995 du groupe de contact, la présence, pour la requérante, de M. Jönsson, alors que ce dernier ne serait entré au service de la requérante que le 20 juin 1995. À cet égard, il suffit d'observer, sans qu'il y ait besoin de s'exprimer sur la présence ou non de M. Jönsson à cette réunion, que la Commission, en reconnaissant que la requérante était représentée lors de la réunion du 24 mars 1995, ne s'est pas exprimée sur l'identité de la personne ayant représenté la requérante.
105. Ensuite, il convient de rappeler que la participation d'une entreprise à une réunion dont l'objet est manifestement anticoncurrentiel, sans qu'elle se soit distanciée publiquement de son contenu, donne à penser aux autres participants qu'elle souscrit au résultat de la réunion et qu'elle s'y conformera (voir la jurisprudence citée au point 48 ci-dessus). Dans de telles circonstances, il suffit qu'une concertation illicite ait été évoquée dans la réunion à laquelle participe l'entreprise en question pour établir la participation de cette dernière à la concertation en cause.
106. Étant donné que des mesures anticoncurrentielles ont été évoquées lors de la réunion du 24 mars 1995, toutes les entreprises ayant participé à cette réunion sans avoir pris leurs distances publiquement doivent être considérées comme ayant participé à l'accord constitué par de telles mesures.
107. Quant à la requérante, force est de constater qu'elle n'a apporté aucune preuve selon laquelle elle se serait distanciée des mesures communes prises à l'encontre de Powerpipe. En effet, la requérante s'appuie, à ce propos, d'une part, sur son comportement vis-à-vis des tentatives de rachat de Powerpipe telles que proposées, notamment, lors de la réunion du 5 mai 1995 et, d'autre part, sur son refus de coopérer au débauchage de membres du personnel de celle-ci, en octobre 1995. Or, à supposer même que de tels comportements de sa part soient établis, ces comportements, à la lumière du comportement global de la requérante, ne peuvent être interprétés comme une prise de distance vis-à-vis des mesures communes évoquées lors de la réunion du 24 mars 1995, étant donné qu'il s'agit, dans les deux cas, d'aspects de l'entente qui ne sont pas reprochés à la requérante. En tout état de cause, eu égard à l'insistance d'autres producteurs afin de prendre de mesures à l'encontre de Powerpipe, telle que reconnue par la requérante, notamment en ce qui concerne la réunion du 5 mai 1995, la présence de celle-ci dans une enceinte au sein de laquelle des mesures concertées contre Powerpipe n'ont pas cessé de faire l'objet des discussions démontre qu'il n'existait certainement pas, à cette époque, une distanciation de sa part vis-à-vis de telles mesures.
108. À cet égard, il convient d'observer qu'une entreprise ayant participé à une infraction multiforme aux règles de la concurrence par des comportements qui lui sont propres, qui relèvent des notions d'accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité et qui visent à contribuer à la réalisation de l'infraction dans son ensemble peut être également responsable des comportements mis en œuvre par d'autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction, lorsqu'il est établi que l'entreprise en question connaît les comportements infractionnels des autres participants, ou qu'elle peut raisonnablement les prévoir et qu'elle est prête à en accepter le risque (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Commission-Anic Partecipazioni, C-49-92 P, Rec. p. I-4125, point 203).
109. Dans ce cadre, il y a lieu de relever que la note prise par la requérante en juin 1995, figurant en annexe 164 de la communication des griefs et mentionnant "Powerpipe 'Guerre totale", même si elle n'exprime pas une position agressive de la requérante vis-à-vis de Powerpipe, ne peut être interprétée autrement que comme une confirmation du fait que la requérante était bien au courant des mesures agressives prises à l'encontre de Powerpipe par, au moins, d'autres membres de l'entente, d'autant plus que la requérante elle-même reconnaît avoir été exposée, avant juin 1995, à l'insistance agressive d'autres producteurs afin de prendre de mesures à l'encontre de Powerpipe, notamment lors de la réunion du 5 mai 1995. En outre, eu égard aux actions concertées contre Powerpipe évoquées lors des réunions du 24 mars et du 5 mai 1995 et à la déclaration d'Oy KWH Tech AB, selon laquelle un boycottage de Powerpipe faisait l'objet de la réunion du 27 juin 1995 à Stockholm (lettre d'Oy KWH Tech du 29 novembre 1996 à la Commission), il n'est guère crédible d'avancer que, lors de cette réunion à Stockholm, à laquelle se réfère la note mentionnant "Powerpipe Guerre totale", un comportement agressif de la part de Powerpipe aurait été discuté sans qu'il y ait été question d'une réaction concertée des autres entreprises contre cette dernière, comme le prétend la requérante, ainsi que Lögstör dans ses observations sur la communication des griefs.
110. Il s'ensuit que la Commission a établi, à juste titre, la participation de la requérante à un accord visant à nuire à Powerpipe, dès lors que la requérante est restée en défaut de prouver sa distanciation vis-à-vis du résultat de la réunion du 24 mars 1995.
111. Dans ces circonstances, il n'est pas pertinent de savoir si l'offre soumise par la requérante pour le projet de Leipzig-Lippendorf doit être considérée comme un acte visant à nuire à Powerpipe. En tout état de cause, il ressort du document figurant en annexe 70 de la communication des griefs, trouvé dans les locaux de la requérante, que celle-ci avait connaissance de l'accord convenu au sein de l'entente visant à attribuer le projet au consortium issu de l'entente, de sorte que, en présentant une offre d'un montant élevé, elle a agi en conformité avec l'accord convenu au sein de l'entente.
112. Il n'est pas non plus pertinent, enfin, d'avancer que Powerpipe n'aurait pas mentionné la requérante au sujet du boycottage évoqué dans sa plainte, étant donné que cette plainte, datant du 18 janvier 1995, est antérieure aux mesures de boycottage évoquées ci-dessus.
113. Dès lors, les arguments de la requérante doivent être rejetés pour autant qu'ils concernent les actions concertées contre Powerpipe.
- Sur la coopération au sein de l'EuHP
114. Il convient d'observer que les parties se trouvent en désaccord sur la question de savoir si, dans la décision, il est reproché effectivement à la requérante d'avoir participé à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité consistant à utiliser, au sein de l'EuHP, les normes de qualité pour maintenir les prix à un certain niveau et retarder l'introduction de nouvelles technologies plus économiques.
115. À cet égard, il y a lieu de constater qu'une telle pratique est mentionnée parmi les caractéristiques de l'infraction en cause telles que citées au considérant 2 de la décision. Dans la suite de la décision, la Commission évoque, aux considérants 113 à 115, en examinant le rôle de l'EuHP dans l'entente, l'intention d'ABB d'utiliser les normes de qualité comme moyen de s'opposer à l'exploitation par Lögstör d'un processus de fabrication en continu permettant une réduction des coûts de production et, partant, des prix. En outre, il est mentionné, parmi les restrictions de concurrence générées par l'entente, au considérant 147, dernier tiret, de la décision: "exploiter les normes pour empêcher ou retarder l'arrivée de nouvelles techniques susceptibles d'entraîner des baisses de prix (les membres de l'EuHP)".
116. Toutefois, force est de constater que la coopération relative aux normes de qualité ne figure pas parmi les principales caractéristiques de l'entente citées à l'article 1er, troisième alinéa, du dispositif de la décision attaquée telle que rectifiée. Il convient d'observer, à cet égard, que la version danoise de la décision qui a été notifiée à la requérante, le 21 octobre 1998, contenait effectivement, dans son dispositif, un passage citant la coopération relative aux normes de qualité parmi les principales caractéristiques de l'entente. Or, la Commission, en ayant précisément écarté ce passage du dispositif, par décision rectificative du 6 novembre 1998, a clairement indiqué son intention de ne pas retenir cette coopération comme faisant partie de l'infraction reprochée à la requérante.
117. Même si une certaine incohérence continue d'exister dans la mesure où la coopération relative aux normes de qualité ne figure pas, dans le dispositif de la décision, parmi les caractéristiques de l'infraction en cause, mais est, toutefois, décrite, à plusieurs reprises, dans ses considérants, il ne reste aucun doute, à la suite de la clarification apportée par la rectification susvisée, sur le fait que la Commission ne reproche pas à la requérante d'avoir commis une infraction à l'article 85 du traité en participant à une coopération relative aux normes de qualité.
118. Par conséquent, les arguments de la requérante doivent être rejetés pour autant qu'ils concernent la coopération relative aux normes de qualité au sein de l'EuHP.
- Sur l'appréciation des déclarations d'autres entreprises en tant que preuves
119. Il convient d'observer que la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir, en l'absence de toute autre preuve autonome, écarté, comme moyens de preuve, les aveux d'autres entreprises ayant participé à l'entente, étant donné que, selon la requérante, ces aveux ne constituent que la preuve de la participation et des intentions de l'entreprise ayant avoué.
120. À cet égard, il convient de rappeler la jurisprudence du Tribunal selon laquelle la déclaration d'une autre entreprise inculpée d'avoir participé à une entente, dont l'exactitude est contestée par plusieurs autres entreprises inculpées, ne peut être considérée comme constituant une preuve suffisante sans être étayée par d'autres éléments de preuve (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Enso-Gutzeit-Commission, T-337-94, Rec. p. II-1571, point 91).
121. En ce qui concerne les déclarations d'ABB relatives à la finalité anticoncurrentielle de l'EuHP, il suffit de constater que la Commission, dans la décision, ne reproche pas à la requérante d'avoir commis une infraction à l'article 85 du traité en participant à une coopération au sein de l'EuHP.
122. En ce qui concerne les déclarations d'autres entreprises relatives aux actions concertées contre Powerpipe, il y a lieu d'observer que la Commission, afin de conclure à l'évocation, lors de la réunion du 24 mars 1995, des mesures visant à boycotter Powerpipe, s'appuie, au considérant 100 de la décision, sur les notes prises par Tarco sur cette réunion, figurant en annexe 143 de la communication des griefs, telles que confirmées par la déclaration de Lögstör, dans ses observations sur la communication des griefs. À cet égard, la Commission ne s'est donc pas basée sur la seule déclaration d'une autre entreprise ayant participé à l'infraction, d'autant plus que les mesures évoquées lors de la réunion du 24 mars 1995 trouvent leur confirmation dans les événements témoignant de tentatives d'empêcher les livraisons à Powerpipe, tels qu'évoqués aux considérants 101 à 107 de la décision et basés sur de nombreux documents trouvés dans les locaux des entreprises, notamment le document figurant en annexe 164 de la communication des griefs, trouvé chez la requérante.
123. Quant à la participation de la requérante à la réunion du 24 mars 1995, il est vrai que la Commission l'a déduite de la déclaration de Brugg, dans l'annexe 2 de sa réponse. Il convient d'observer, toutefois, que l'exactitude de cette déclaration n'a pas été mise en cause, au cours de la procédure administrative, ni par d'autres entreprises ni par la requérante elle-même. Par ailleurs, lors de la procédure contentieuse, dans sa requête, la requérante a encore confirmé avoir été présente lors de la réunion en question. Étant donné qu'il ressort des déclarations concordantes de plusieurs participants à l'entente que la réunion du 24 mars 1995 faisait partie de la série de réunions du groupe de contact allemand et que la participation de la requérante aux réunions du groupe de contact allemand est confirmée, tant par la requérante elle-même que par d'autres entreprises (voir point 101 ci-dessus), la Commission était en droit de s'appuyer, en ce qui concerne la participation de la requérante à la réunion en question, sur une déclaration de Brugg qui n'était contestée, à l'époque, par aucune entreprise à qui il était reproché d'avoir participé à ladite réunion.
124. Étant donné que la requérante n'appuie ses griefs relatifs à l'appréciation des déclarations des autres participants à l'entente sur aucun autre aspect concret de l'infraction reprochée, il convient donc de rejeter ces griefs.
- Sur la participation de la requérante à l'entente globale
125. D'abord, en ce qui concerne les actions concertées contre Powerpipe, il y a lieu d'observer, ainsi que cela a été constaté, aux points 96 à 113 ci-dessus, que la Commission a correctement établi la participation de la requérante à cet aspect de l'infraction, sur la base de sa présence lors de la réunion du 24 mars 1995. Eu égard à cette participation à cette réunion ainsi qu'au déroulement de la réunion du 5 mai 1995, tel qu'évoqué par la requérante et à la note mentionnant la "Guerre totale", il ne saurait être contesté que la requérante savait qu'une politique agressive contre Powerpipe s'inscrivait dans les activités visant à contrôler le marché du chauffage urbain menées par l'entente, de sorte que la requérante doit être considérée comme responsable des actions concertées contre Powerpipe, même si elle n'a pas participé directement à leur mise en œuvre.
126. Quant à la coopération au sein de l'EuHP, il suffit de renvoyer aux points 114 à 118 ci-dessus, où il est constaté que cette coopération ne fait pas partie des éléments de l'infraction reprochée à la requérante.
127. Il s'ensuit que la requérante ne saurait prétendre que la Commission a commis une erreur de droit dans la démonstration de sa participation aux aspects de l'entente qui lui sont reprochés. Par ailleurs, il y a lieu de rappeler, outre la jurisprudence citée au point 108 ci-dessus, qu'une entreprise peut être tenue pour responsable d'une entente globale même s'il est établi qu'elle n'a participé directement qu'à un ou plusieurs des éléments constitutifs de cette entente, dès lors qu'elle savait, ou devait nécessairement savoir, d'une part, que la collusion à laquelle elle participait s'inscrivait dans un plan global et, d'autre part, que ce plan global recouvrait l'ensemble des éléments constitutifs de l'entente (voir arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Buchmann-Commission, T-295-94, Rec. p. II-813, point 121, et Gruber + Weber-Commission, T-310-94, Rec. p. II-1043, point 140).
128. Quant à l'affirmation de la Commission, au considérant 134 de la décision, selon laquelle il n'est pas nécessaire, pour établir la matérialité d'un accord, que chaque participant présumé ait pris part à tous les aspects et à toutes les manifestations de l'entente, y ait consenti de manière expresse ou même ait eu connaissance de leur existence, pendant toute la durée de son adhésion au système commun, il convient d'observer que ce passage, eu égard à sa position dans la décision, ne peut être lu autrement que dans le cadre d'une clarification des conditions sous lesquelles une entente peut être considérée, d'après la Commission, comme une infraction unique et continue, sans concerner, toutefois, la question de l'imputation de la responsabilité pour une telle infraction aux entreprises ayant participé à celle-ci.
129. En effet, le passage visé fait partie des considérations exposées sous le titre "Accords et pratiques concertées", dans lesquelles la Commission a, d'abord, exposé son interprétation des notions d'accord et de pratique concertée (considérants 129 et 130 de la décision) et, ensuite, expliqué les raisons pour lesquelles elle s'estimait en droit de conclure à l'existence d'une infraction unique et continue, sans qu'il soit besoin de qualifier l'infraction en la faisant entrer dans une seule des deux catégories d'accord ou de pratique concertée (considérants 131 à 133 de la décision). Par la suite, la Commission a observé, au considérant 134 de la décision, qu'il se peut qu'il n'ait pas existé un consensus sur tous les éléments de l'entente, que les aspects de l'entente ne soient pas tous réglés dans le cadre d'un accord formel et que les participants soient impliqués dans l'entente à différents degrés, mais qu'aucun de ces éléments n'empêche un tel arrangement de constituer un accord ou une pratique concertée au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité lorsque les parties s'entendent en vue d'un objectif unique, commun et permanent. Avant le passage visé, il est encore noté que de nouveaux membres peuvent se rallier à l'entente et d'anciens membres la quitter, le cas échéant, sans que l'entente doive être considérée, à chaque modification de sa composition, comme un nouvel accord.
130. Cette interprétation de la décision est confirmée, par ailleurs, par le considérant 148, sous b), de la décision, où il est mentionné expressément ce qui suit:
"[L]a Commission ne prétend nullement que chacun des destinataires de la présente décision ait participé à tous les volets des arrangements anticoncurrentiels décrits ni qu'il l'ait fait pendant toute la durée de l'infraction [...] [L]e rôle de chaque participant et son degré d'implication sont exposés en détail dans la présente décision."
131. Par conséquent, il y a lieu de conclure que la Commission a correctement établi la participation de la requérante à l'infraction en cause.
132. Il résulte de tout ce qui précède que le grief concernant les actions concertées contre Powerpipe et la coopération au sein de l'EuHP doit être rejeté dans sa totalité.
C - Sur les effets de l'entente
1. Arguments des parties
133. La requérante conteste que l'entente ait fixé des prix à un niveau supérieur au niveau pouvant être déterminé par la libre concurrence et qu'elle ait conduit à une stagnation technologique. À cet égard, il faudrait relever qu'avant et pendant une partie de la période pertinente il y a eu des ventes à des prix de dumping destructeurs au regard de la viabilité d'autres entreprises et à même d'entraîner une réduction du nombre des opérateurs sur le marché aboutissant, à terme, à une situation d'oligopole.
134. La requérante souligne que les effets de l'infraction font partie des paramètres servant à la fixation du niveau de l'amende. Or, la Commission n'aurait pas démontré que l'entente a entraîné une augmentation des prix supérieure à la couverture des coûts réels des entreprises ainsi qu'à une contribution raisonnable et nécessaire à leur équilibre financier. Quant à la hausse des prix pouvant être observée au cours de la période allant de 1994 à 1996, celle-ci n'aurait pas été due à l'entente, mais à l'expansion concomitante des marchés allemand et de l'Europe de l'Est, d'une part, et à l'augmentation des prix des matières premières, d'autre part.
135. La défenderesse fait observer qu'elle a démontré dans la décision ainsi que dans la communication des griefs que l'entente a effectivement entraîné une hausse des prix. Ainsi, l'entente aurait permis à ses membres d'obtenir des prix supérieurs à ceux qui auraient été pratiqués dans des conditions de libre concurrence. Bien qu'il soit vrai que la Commission n'a pas procédé à des analyses approfondies des effets de l'entente sur le niveau général des prix, de telles analyses n'auraient toutefois pas été nécessaires étant donné que l'entente avait pour principal objectif de se partager le marché.
136. La conclusion de la requérante semblerait s'appuyer indirectement sur le raisonnement selon lequel l'entente était justifiée et nécessaire du fait qu'une situation d'oligopole aurait constitué la seule alternative. Or, le risque allégué d'oligopole ne saurait en aucun cas justifier le recours à des méthodes illicites.
2. Appréciation du Tribunal
137. Selon une jurisprudence constante, aux fins de l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, la prise en considération des effets concrets d'un accord est superflue, dès lors qu'il apparaît que celui-ci a eu pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun (arrêts de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig-Commission, 56-64 et 58-64, Rec. p. 429, 496; Commission-Anic Partecipazioni, précité, point 99, et du 8 juillet 1999, Hüls-Commission, C-199-92 P, Rec. p. I-4287, point 178; arrêt du Tribunal du 23 février 1994, CB et Europay-Commission, T-39-92 et T-40-92, Rec. p. II-49, point 87).
138. En l'espèce, il est constant que la requérante a participé à un ensemble d'accords relatifs au marché danois qui ont ensuite été étendus au marché européen et qui avaient pour but de substituer une coopération sur le plan des prix ainsi qu'un partage des marchés et une répartition des offres lors des adjudications aux risques de la concurrence.
139. Dans un tel cas, l'absence, dans la décision, de toute analyse détaillée des effets de l'accord sur le plan de la concurrence ne constitue donc pas un vice de la décision susceptible d'entraîner son annulation.
140. En tout état de cause, à supposer même que l'entente n'ait pas eu d'incidences directes sur le niveau des prix, il y a lieu d'observer qu'elle a, toutefois, limité la concurrence entre ses membres et ainsi éliminé les pressions qui incitent les entreprises, dans des circonstances normales, à innover soit en matière de développement des produits, soit en matière de processus de production.
141. Pour ces raisons, le moyen doit être rejeté.
II - Sur le moyen tiré de la violation de principes généraux dans le déroulement de la procédure administrative
A - Arguments des parties
142. La requérante soutient que la Commission a porté atteinte au principe d'égalité de traitement et à l'exigence d'une procédure équitable dans la mesure où elle a uniquement averti ABB de ne pas continuer l'infraction, alors qu'une petite entreprise telle que la requérante était moins en mesure qu'ABB de discerner la gravité et les conséquences de l'entente, notamment de sa poursuite.
143. Ce vice de forme aurait eu une importance concrète, dans la mesure où la Commission aurait, lors de la prise en compte de la poursuite de l'entente pour le calcul du montant des amendes, ignoré le fait que les participants à l'entente autres qu'ABB, notamment la requérante, n'avaient pas reçu un tel avertissement.
144. En pratiquant une différence de traitement quant aux possibilités de discerner les conséquences d'une éventuelle poursuite de l'infraction, la Commission aurait également enfreint ses obligations d'assurer une procédure égale et équitable et, ce faisant, violé les droits fondamentaux que le juge communautaire est appelé à protéger conformément aux traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi qu'aux accords internationaux, dont la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales (CEDH). Les exigences d'un procès équitable s'imposeraient à la Commission dans le cadre du traitement d'un dossier, indépendamment du fait que la Commission soit ou non un "tribunal" au sens de la CEDH.
145. Selon la requérante, l'atteinte ainsi portée au principe d'égalité de traitement devrait aboutir à l'annulation de la décision, dans la mesure où la Commission l'a rendue responsable d'avoir poursuivi l'infraction après qu'ABB a reçu un avertissement, ou, à titre subsidiaire, à une diminution du montant de l'amende.
146. La défenderesse fait valoir qu'il n'y a eu ni vice de forme ni violation des droits fondamentaux pour lesquels la décision devrait être annulée ou le montant de l'amende diminué. De par les vérifications, la requérante aurait été au courant du fait qu'il y avait une infraction manifeste aux règles de la concurrence, ce qui serait confirmé par les tentatives de dissimulation des activités de l'entente par la poursuite des réunions à Zurich. L'avertissement adressé à ABB aurait été dû à des circonstances particulières, notamment le risque que la plaignante fasse faillite si les membres de l'entente poursuivaient leur action. Ensuite, aucune importance juridique n'aurait été attribuée à l'avertissement donné à ABB, ni pour l'appréciation des agissements illicites, ni pour la fixation du montant de l'amende.
B - Appréciation du Tribunal
147. Il convient de constater que la Commission a exposé, au considérant 108 de la décision, dans la partie consacrée au "maintien de l'entente après les vérifications", ce qui suit:
"ABB avait été informée, à un niveau élevé dans le groupe, par la direction générale de la concurrence, le 4 juillet 1995, que la preuve de sa participation à une infraction très grave avait été obtenue durant les vérifications.
À cette époque, les conséquences du maintien de l'entente avaient été expliquées et à coup sûr comprises."
148. À cet égard, il y a lieu d'observer, d'abord, que la Commission n'est pas tenue, au cours d'une enquête en application du règlement n° 17, d'avertir les entreprises concernées de l'illégalité de leur comportement ni des conséquences d'une poursuite de celui-ci.
149. Toutefois, il y a lieu de remarquer que, pour une entreprise participant à une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la réception d'un avertissement exprès de la part de la Commission peut avoir des conséquences quant à l'appréciation de son comportement pour la détermination du montant de l'amende. En effet, un tel avertissement, dans la mesure où il informe une entreprise du déroulement d'une enquête par l'administration communautaire chargée de la concurrence, est susceptible d'inciter l'entreprise en question à mettre fin au comportement visé par l'enquête, ce qui peut conduire à une réduction de la durée de l'infraction, élément dont la Commission doit tenir compte lors de la détermination du montant de l'amende conformément à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.
150. Il convient de relever que le fait d'avertir une entreprise de l'illégalité de son comportement peut également avoir des conséquences juridiques dans la mesure où la Commission, lors la prise en compte de circonstances atténuantes ou aggravantes, fait dépendre son appréciation, soit de la cessation, soit de la poursuite de l'infraction par l'entreprise concernée, de la circonstance selon laquelle celle-ci a ou non été avertie.
151. Toutefois, en l'espèce, il est constant que, le 29 juin 1995, la Commission a effectué des vérifications auprès de la plupart des entreprises impliquées dans la procédure ayant abouti à la décision attaquée, notamment auprès de la requérante. Il s'ensuit que la requérante a dû être consciente du fait que la Commission était en train de mener une enquête dans le cadre de l'application des règles communautaires de la concurrence.
152. En outre, il ressort de la décision que la Commission n'a pas pris en compte, lors de l'appréciation de la poursuite de l'infraction après les vérifications en tant que circonstance aggravante, la circonstance selon laquelle les entreprises ont, ou non, été expressément averties.
153. À cet égard, il convient de préciser que, en ce qui concerne l'avertissement exprès reçu par ABB, la décision mentionne, parmi les circonstances aggravantes à retenir pour cette dernière, "le fait qu'elle ait poursuivi une infraction aussi nette et indiscutable après les vérifications après avoir été avertie, à un niveau élevé, par la direction générale de la concurrence des conséquences d'un tel comportement" (considérant 171 de la décision). Or, il ressort de ce passage que la Commission ne s'est pas appuyée, lors de la prise en compte des circonstances aggravantes, sur l'avertissement d'ABB à haut niveau, mais sur la poursuite délibérée par celle-ci d'une infraction évidente après les vérifications. En effet, l'interprétation selon laquelle, dans ce contexte, la mention de l'avertissement d'ABB ne vise qu'à confirmer le fait que cette entreprise, lors de la poursuite de son infraction, avait connaissance, même à haut niveau, de ce que son comportement était contraire aux règles de la concurrence est corroborée, d'une part, par le fait qu'il est souligné encore, au considérant 169 de la décision, que les mesures prises par ABB pour assurer le maintien de l'entente pendant neuf mois encore après les vérifications ont été prises au plus haut niveau de la direction de son groupe et, d'autre part, par la constatation selon laquelle, pour d'autres entreprises, comme la requérante, la poursuite de l'infraction après les vérifications a également été prise en compte en tant que circonstance aggravante.
154. Dans ces conditions, la requérante ne saurait invoquer avoir été soumise à un traitement inégal.
155. Quant à la violation du principe d'une procédure équitable, il y a lieu de rappeler que, même si, selon une jurisprudence constante, la Commission n'est pas un "tribunal" au sens de l'article 6 de la CEDH (arrêt de la Cour du 29 octobre 1980, Van Landewyck-Commission, 209-78 à 215-78 et 218-78, Rec. p. 3125, point 81; arrêt Musique diffusion française ea-Commission, précité, point 7; arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Shell-Commission, T-11-89, Rec. p. II-757, point 39), il n'en reste pas moins que la Commission est tenue de respecter les principes généraux de droit communautaire au cours de la procédure administrative (arrêts Musique diffusion française ea-Commission, précité, point 8; arrêt Shell-Commission, précité, point 39).
156. Néanmoins, étant donné que la requérante, pour établir son grief relatif à la violation des exigences d'une procédure équitable, se limite à reprendre l'argument tiré d'un traitement inégal, ce grief doit également être rejeté.
157. Partant, le moyen ne peut être accueilli.
III - Sur le moyen tiré de la violation de principes généraux et d'erreurs de fait dans la détermination du montant de l'amende
A - Sur la violation du principe de non-rétroactivité
1. Arguments des parties
158. La requérante soutient que les lignes directrices pour le calcul du montant des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C. 9, p. 3) (ci-après les "nouvelles lignes directrices" ou les "lignes directrices") ne sauraient être appliquées avec effet rétroactif, étant donné qu'un principe fondamental de tout État de droit interdit que des dispositions pénales plus rigoureuses soient appliquées rétroactivement.
159. Selon la requérante, les nouvelles lignes directrices auraient un caractère plus rigoureux par rapport à la base juridique pour le calcul du montant des amendes établie dans le cadre du règlement n° 17 et de la jurisprudence. En appliquant les lignes directrices, la Commission n'aurait pas calculé la limite de 10 % du chiffre d'affaires par rapport au chiffre d'affaires de la requérante à l'intérieur de l'Union européenne, mais par rapport à son chiffre d'affaires mondial, de telle sorte qu'il n'y avait plus de place pour l'appréciation de circonstances atténuantes.
160. L'argument de la défenderesse selon lequel la Commission a la possibilité d'augmenter le niveau des amendes si cela est nécessaire pour assurer l'efficacité de la politique communautaire de la concurrence ne serait pas pertinent, étant donné que ce pouvoir vise une situation autre que celle du caractère plus rigoureux d'une mesure spécifique s'adressant à une partie.
161. La défenderesse conteste qu'il soit question d'une application rétroactive d'une mesure plus rigoureuse. En effet, les lignes directrices, en fixant des critères pour assurer la transparence dans le calcul du montant des amendes, auraient prévu uniquement des critères utilisés antérieurement par la Commission et acceptés par le juge communautaire.
2. Appréciation du Tribunal
162. Il convient d'observer que le principe de non-rétroactivité des dispositions pénales est un principe commun à tous les ordres juridiques des États membres, consacré également par l'article 7 de la CEDH, et fait partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect (arrêt de la Cour du 10 juillet 1984, Kirk, 63-83, Rec. p. 2689, point 22).
163. Même s'il ressort de l'article 15, paragraphe 4, du règlement n° 17 que les décisions de la Commission infligeant des amendes pour violation du droit de la concurrence n'ont pas un caractère pénal (arrêt du 6 octobre 1994, Tetra Pak-Commission, T-83-91, Rec. p. II-755, point 235), il n'en reste pas moins que la Commission est tenue de respecter les principes généraux du droit communautaire, et notamment celui de non-rétroactivité, dans toute procédure administrative susceptible d'aboutir à des sanctions en application des règles de la concurrence du traité (voir par analogie arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin-Commission, 322-81, Rec. p. 3461, point 7).
164. Ce respect exige que les sanctions infligées à une entreprise pour une infraction aux règles de la concurrence correspondent à celles qui étaient fixées à l'époque où l'infraction a été commise.
165. À cet égard, il y a lieu de préciser que les sanctions pouvant être imposées par la Commission pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence sont définies par l'article 15 du règlement n° 17, adopté antérieurement à la date à laquelle l'infraction a été commise. Or, d'une part, il convient de rappeler que la Commission n'a pas le pouvoir de modifier le règlement n° 17 ou de s'en écarter, fût-ce par des règles de nature générale qu'elle s'impose à elle-même. D'autre part, s'il est constant que la Commission a déterminé le montant de l'amende imposée à la requérante conformément à la méthode générale pour le calcul du montant des amendes annoncée dans les lignes directrices, il y a lieu de constater que, ce faisant, elle est restée dans le cadre des sanctions définies par l'article 15 du règlement n° 17.
166. En effet, aux termes de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, "[l]a Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d'entreprises des amendes de mille écus au moins et de un million d'écus au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence [...] elles commettent une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, [...] du traité". Il est prévu, dans la même disposition, que, "[p]our déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci".
167. Or, les lignes directrices disposent, au point 1, premier alinéa, que, pour le calcul du montant des amendes, le montant de base est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, seuls critères retenus à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.
168. Selon les lignes directrices, la Commission prend comme point de départ, dans le calcul du montant des amendes, un montant déterminé en fonction de la gravité de l'infraction (ci-après le "point de départ général"). L'évaluation de la gravité de l'infraction doit prendre en considération la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché lorsqu'il est mesurable et l'étendue du marché géographique concerné (point 1 A, premier alinéa). Dans ce cadre, les infractions sont classées en trois catégories, à savoir les "infractions peu graves", pour lesquelles le montant des amendes envisageable est compris entre 1 000 et 1 million d'écus, les "infractions graves", pour lesquelles le montant des amendes envisageable peut varier entre 1 million et 20 millions d'écus et les "infractions très graves" pour lesquelles le montant des amendes envisageable va au-delà de 20 millions d'écus (point 1 A, deuxième alinéa, premier à troisième tirets). À l'intérieur de chacune de ces catégories, et notamment pour les catégories dites "graves" et "très graves", l'échelle des sanctions retenues permettra de différencier le traitement qu'il convient d'appliquer aux entreprises selon la nature des infractions commises (point 1 A, troisième alinéa). Il est, en outre, nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l'infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l'amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa).
169. Ensuite, il peut être tenu compte du fait que les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps d'infrastructures suffisantes pour posséder des connaissances "juridico-économiques" qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence (point 1 A, cinquième alinéa).
170. À l'intérieur de chacune des trois catégories retenues ci-dessus, il peut convenir de pondérer, dans certains cas, le point de départ général, afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu'il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d'une infraction de même nature et d'adapter en conséquence le point de départ général selon le caractère spécifique de chaque entreprise (ci-après le "point de départ spécifique") (point 1 A, sixième alinéa).
171. Quant au facteur relatif à la durée de l'infraction, les lignes directrices établissent une distinction entre les infractions de courte durée (en général inférieures à un an), pour lesquelles le montant retenu pour la gravité ne devrait pas être majoré, les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré jusqu'à 50 %, et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré pour chaque année de 10 % (point 1 B, premier alinéa, premier à troisième tirets).
172. Ensuite, les lignes directrices citent, à titre d'exemple, une liste de circonstances aggravantes et atténuantes qui peuvent être prises en considération pour augmenter ou diminuer le montant de base, puis se réfèrent à la communication concernant la non-imposition d'amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C. 207, p. 4, ci-après la "communication sur la coopération").
173. En tant que remarque générale, il est précisé que le résultat final du calcul du montant de l'amende selon ce schéma (montant de base affecté des pourcentages d'aggravation et d'atténuation) ne peut en aucun cas dépasser 10 % du chiffre d'affaires mondial des entreprises conformément à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 [point 5, sous a)]. De plus, les lignes directrices prévoient qu'il convient, selon les circonstances, après avoir effectué les calculs décrits ci-dessus, de prendre en considération certaines données objectives telles que le contexte économique spécifique, l'avantage économique ou financier éventuellement acquis par les auteurs de l'infraction, les caractéristiques propres des entreprises en cause ainsi que leur capacité contributive réelle dans un contexte social particulier pour adapter, in fine, le montant des amendes envisagé [point 5, sous b)].
174. Il s'ensuit que, suivant la méthode énoncée dans les lignes directrices, le calcul du montant des amendes continue d'être effectué en fonction des deux critères mentionnés dans l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, à savoir la gravité de l'infraction et la durée de celle-ci, tout en respectant la limite maximale par rapport au chiffre d'affaires de chaque entreprise, établie par la même disposition.
175. Par conséquent, les lignes directrices ne peuvent être considérées comme allant au-delà du cadre juridique des sanctions tel que défini par cette disposition.
176. Le changement qu'entraîneraient les lignes directrices par rapport à la pratique administrative existante de la Commission ne constitue pas non plus une altération du cadre juridique déterminant le montant des amendes pouvant être infligées, contraire au principe général de la non-rétroactivité des dispositions pénales.
177. En effet, d'une part, la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, étant donné que celui-ci est, uniquement, défini dans le règlement n° 17.
178. D'autre part, au regard de la marge d'appréciation laissée par le règlement n° 17 à la Commission, l'introduction par celle-ci d'une nouvelle méthode de calcul du montant des amendes, pouvant entraîner, dans certains cas, une augmentation du montant des amendes, sans pour autant excéder la limite maximale fixée par le même règlement, ne peut être considérée comme une aggravation, avec effet rétroactif, des amendes telles qu'elles sont juridiquement prévues par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 contraire aux principes de légalité et de sécurité juridique.
179. Il est sans pertinence, à cet égard, d'avancer que le calcul du montant des amendes suivant la méthode exposée dans les lignes directrices, notamment à partir d'un montant déterminé, en principe, en fonction de la gravité de l'infraction, peut amener la Commission à infliger des amendes plus élevées que dans sa pratique antérieure. En effet, selon une jurisprudence bien établie, la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO ea-Commission, C-137-95 P, Rec. p. I-1611, point 54; arrêt de la Cour du 17 juillet 1997, Ferriere Nord-Commission, C-219-95 P, Rec. p. I-4411, point 33; voir également arrêt Buchmann-Commission, précité, point 163). En outre, il ressort d'une jurisprudence constante que la Commission dispose, dans le cadre du règlement n° 17, d'une marge d'appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d'orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de la concurrence (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli-Commission, T-150-89, Rec. p. II-1165, point 59, du 11 décembre 1996, Van Megen Sports-Commission, T-49-95, Rec. p. II-1799, point 53, et du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn-Commission, T-229-94, Rec. p. II-1689, point 127).
180. De plus, il ressort de la jurisprudence que le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d'un certain niveau à certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau dans les limites indiquées au règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de la concurrence (arrêt Musique diffusion française ea-Commission, précité, point 109; arrêt Solvay-Commission, précité, point 309; arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Europa Carton-Commission, T-304-94, Rec. p. II-869, point 89). L'application efficace des règles communautaires de la concurrence exige au contraire que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (arrêt Musique diffusion française ea-Commission, précité, point 109).
181. Enfin, dans la mesure où la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir pris en considération son chiffre d'affaires dans l'Union européenne lors de l'application de la limite de 10 % du chiffre d'affaires prévue par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, il convient de rappeler la jurisprudence constante selon laquelle le chiffre d'affaires visé à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 s'entend comme étant relatif au chiffre d'affaires global de l'entreprise concernée, qui donne seul une indication approximative de l'importance et de l'influence de celle-ci sur le marché (arrêt Musique diffusion française ea-Commission, précité, point 119; arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Cockerill-Sambre-Commission, T-144-89, Rec. p. II-947, point 98, et du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger-Commission, T-43-92, Rec. p. II-441, point 160). Dans le respect de la limite fixée par la disposition susvisée du règlement n° 17, la Commission peut fixer l'amende à partir du chiffre d'affaires de son choix, en termes d'assiette géographique et de produits concernés.
182. Pour toutes ces raisons, le grief tiré d'une violation du principe de non-rétroactivité doit être rejeté.
B - Sur la violation des principes d'égalité de traitement et de proportionnalité
1. Arguments des parties
183. La requérante expose que la Commission, en lui infligeant une amende, n'a pas respecté le principe fondamental selon lequel les amendes doivent être proportionnelles à la gravité de l'infraction. En infligeant des amendes particulièrement élevées à des entreprises de petite taille comme la requérante, la Commission aurait désavantagé la requérante et les autres participants à l'entente de moindre importance par rapport à ABB. Par conséquent, la requérante soutient également que la Commission, lors du calcul du montant de l'amende, a violé le principe d'égalité de traitement.
184. À cet égard, la requérante fait observer, d'abord, que la Commission a pris comme point de départ général du calcul du montant de l'amende le même montant de 20 millions d'écus, pour toutes les entreprises, quels que soient leur taille, leur rôle dans l'entente et leur capacité à supporter l'amende. Selon la requérante, l'application d'un montant unique aurait abouti à un résultat qui ne concorde pas avec le degré de gravité de l'infraction, notamment la culpabilité imputable à chaque entreprise en particulier et l'importance de l'infraction.
185. Même si le point de départ du calcul de l'amende a fait l'objet d'un ajustement vers le bas en ce qui concerne la requérante (avec un point de départ spécifique de 5 millions d'écus) et d'un ajustement vers le haut en ce qui concerne ABB (avec un point de départ spécifique de 50 millions d'écus), ces montants témoigneraient d'un jugement plus modéré à l'égard d'ABB qu'à l'égard de la requérante, compte tenu des différences de taille et de chiffre d'affaires des entreprises concernées.
186. La requérante souligne que, en ce qui concerne ABB, l'amende n'est pas infligée à ABB IC Moller, mais à ABB en tant que groupe. Par rapport à ABB, l'amende se situerait ainsi à un niveau qui pouvait être supporté par les réserves financières de l'entreprise. Selon la requérante, ABB est sortie gagnante de l'affaire, dans la mesure où ABB IC Moller a été renforcée dans la position dominante qu'elle détenait déjà auparavant sur le marché concerné.
187. En utilisant cette méthode de calcul, la Commission aurait enfreint le principe qui sous-tend la limite de 10 % du chiffre d'affaires fixée dans le règlement n° 17, suivant lequel une petite entreprise ne devrait pas se voir infliger une amende proportionnellement plus élevée que l'amende infligée à une grande entreprise. Le Tribunal devrait fixer l'amende de telle manière que, calculée en pourcentage du chiffre d'affaires de la requérante, l'amende soit moins élevée que le pourcentage du chiffre d'affaires qui a servi aux fins du calcul de l'amende d'ABB.
188. Ensuite, la Commission n'aurait pas respecté son obligation de prendre en considération le chiffre d'affaires de l'entreprise et donc l'incidence que revêt l'amende sur les finances ultérieures de l'entreprise et sa capacité de survie. Pour la requérante, en effet, l'amende infligée entraînerait le risque de déstabiliser ses finances dans une mesure telle que sa survie en serait menacée. À cet égard, la requérante précise que son résultat net en 1997 était déficitaire. D'ailleurs, même si la gravité de l'infraction devait être établie en fonction d'un nombre d'éléments tels que les circonstances particulières de l'affaire et le caractère dissuasif des amendes, ces éléments incluraient naturellement la taille de l'entreprise et, par là-même, son chiffre d'affaires.
189. Enfin, la requérante fait observer que la qualification de l'infraction d'infraction particulièrement grave aurait été possible uniquement parce que la Commission qualifie l'infraction en ce sens qu'elle est censée avoir eu un caractère continu au cours de l'ensemble de la période considérée. Sur ce point, la Commission aurait dû prendre en considération le fait qu'il ne s'agissait pas d'une entente continue, mais qu'il existait bien deux périodes distinctes pendant lesquelles la requérante a participé à l'infraction.
190. La défenderesse conteste que l'amende infligée à la requérante soit contraire au principe de proportionnalité. Il n'y aurait pas lieu de réduire le montant de l'amende même si le Tribunal estime que certains éléments ne sont pas suffisamment élucidés ou établis dans la décision. À cet égard, la défenderesse souligne que les éléments essentiels de la présente affaire, qui ne sont pas contestés par la requérante, à savoir sa participation aux activités collusoires qui portaient sur la répartition des marchés, les accords de prix et la manipulation des procédures de soumission, correspondent à des infractions considérées dans la jurisprudence comme particulièrement graves et qui suffisent à elles seules à justifier le montant de l'amende.
191. La défenderesse fait remarquer qu'elle ne comprend pas le point de vue de la requérante, selon lequel le montant de l'amende aurait été calculé en utilisant le même point de départ général, fixé à 20 millions d'écus, quels que soient la taille, le rôle dans l'entente et la capacité à supporter l'amende des entreprises concernées. En effet, la décision, après avoir donné les raisons pour lesquelles l'infraction en cause devait être qualifiée d'infraction très grave pour laquelle le montant envisageable de l'amende est égal ou supérieur à 20 millions d'écus, aurait exposé les éléments pertinents pour la détermination des points de départ spécifiques pour les amendes, en mentionnant notamment la taille des entreprises concernées. Compte tenu de la situation particulière de la requérante, notamment de son poids sur le marché et de l'effet de son comportement sur la concurrence, la Commission aurait ainsi fixé son point de départ spécifique à 5 millions d'écus. Ce montant aurait ensuite été pondéré en fonction de la durée de l'infraction, ce qui aurait abouti à un montant de base de 7 millions d'écus, qui aurait ensuite été ajusté en fonction des circonstances aggravantes ou atténuantes. Enfin, sur la base de la communication sur la coopération, la Commission aurait pris position sur une éventuelle réduction de l'amende en raison de la coopération de l'entreprise avec la Commission.
192. Selon la défenderesse, le calcul du montant de l'amende a bien tenu compte de la culpabilité de chacune des entreprises ainsi que de l'importance de l'infraction. De toute façon, la jurisprudence, en affirmant qu'il convient de tenir compte d'un grand nombre d'éléments dont le caractère et l'importance varient selon le type d'infraction en cause et les circonstances particulières de l'infraction concernée et en identifiant les éléments qui peuvent être pris en compte, n'exigerait pas que certains éléments, en dehors de la gravité et de la durée de l'infraction, doivent être pris en considération.
193. Ensuite, la défenderesse conteste l'allégation selon laquelle la gradation entre les entreprises effectuée lors du calcul du montant de l'amende aurait été l'expression d'un jugement plus favorable à l'égard d'ABB qu'à l'égard de la requérante. En effet, cette dernière ne se serait pas vu infliger une amende proportionnellement plus lourde que les autres membres de l'entente. La Commission aurait différencié les points de départ en tenant compte notamment de la taille des entreprises. De toute façon, même si l'amende infligée aux entreprises les plus importantes était d'un niveau trop faible, cela ne donnerait à la requérante aucun droit à une réduction de son amende.
194. Il ne serait pas correct, par ailleurs, d'avancer que les petites entreprises jouissent d'une protection particulière outre celle qui réside déjà dans la limitation de 10 % du chiffre d'affaires fixée dans l'article 15 du règlement n° 17.
195. Quant à l'allégation selon laquelle la Commission aurait dû tenir compte du chiffre d'affaires de l'entreprise et donc de l'incidence que revêt l'amende sur la situation financière de cette dernière, il faudrait rappeler que les amendes ne doivent pas être déterminées en fonction du chiffre d'affaires des entreprises. En revanche, la gravité des infractions devrait être fixée en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes. Il ressortirait de la décision que la Commission a tenu compte des effets dissuasifs de l'amende, de la capacité économique de la requérante à causer un dommage important à la concurrence, de l'effet réel sur la concurrence et du comportement de la requérante. La Commission ne serait pas tenue de tenir compte de la situation financière déficitaire d'une entreprise.
196. En ce qui concerne l'argument portant sur la durée de l'infraction, la défenderesse fait observer que, lors du calcul du montant de l'amende, la gravité de l'infraction est à apprécier indépendamment de la durée. En l'espèce, la durée de l'infraction aurait été prise en compte, conformément aux lignes directrices, après la prise en considération de la gravité de l'infraction, pour déterminer une éventuelle majoration de l'amende. À cet égard, il faudrait souligner encore qu'il s'agissait en effet d'une entente continue.
2. Appréciation du Tribunal
197. Les arguments de la requérante doivent être compris, en substance, en ce sens qu'elle fait valoir que la détermination du montant de son amende en fonction de la gravité de l'infraction, à partir d'un point de départ général de 20 millions d'écus, a conduit, dans son cas, à une amende proportionnellement plus lourde que celle imposée à une entreprise plus grande telle qu'ABB. Ensuite, elle conteste également l'appréciation de la détermination de la durée de sa participation dans la mesure où la Commission lui reproche d'avoir participé à une infraction continue.
- Sur la détermination du montant de l'amende en fonction de la gravité de l'infraction
198. Tout d'abord, il convient de préciser que la Commission n'est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes en fonction de la gravité de l'infraction, d'effectuer le calcul à partir de montants basés sur le chiffre d'affaires des entreprises concernées.
199. À cet égard, il convient de rappeler la jurisprudence bien établie selon laquelle la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (voir la jurisprudence citée au point 179 ci-dessus).
200. Parmi les éléments d'appréciation de la gravité d'une infraction peuvent, selon le cas, figurer le volume et la valeur des produits faisant l'objet de l'infraction ainsi que la taille et la puissance économique de l'entreprise et, partant, l'influence que celle-ci a pu exercer sur le marché. Il s'ensuit, d'une part, qu'il est loisible, en vue de la détermination du montant de l'amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d'affaires global de l'entreprise, qui constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de la taille de celle-ci et de sa puissance économique que de la part de ce chiffre qui provient des produits faisant l'objet de l'infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l'ampleur de celle-ci. Il en résulte, d'autre part, qu'il ne faut attribuer ni à l'un ni à l'autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d'appréciation et que la fixation du montant des amendes ne peut être le résultat d'un simple calcul basé sur le chiffre d'affaires global (arrêt Musique diffusion française ea-Commission, précité, points 120 et 121; arrêts du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen-Commission, T-77-92, Rec. p. II-549, point 94, et du 14 mai 1998, SCA Holding-Commission, T-327-94, Rec. p. II-1373, point 176).
201. En effet, il ressort de la jurisprudence que la Commission est en droit de calculer le montant d'une amende en fonction de la gravité de l'infraction et sans tenir compte des divers chiffres d'affaires des entreprises concernées. Ainsi, le juge communautaire a constaté la licéité d'une méthode de calcul selon laquelle la Commission détermine d'abord le montant global des amendes à imposer, pour répartir ensuite ce total entre les entreprises concernées, selon leurs activités dans le secteur concerné (arrêt de la Cour du 8 novembre 1983, IAZ ea-Commission, 96-82 à 102-82, 104-82, 105-82, 108-82 et 110-82, Rec. p. 3369, points 48 à 53) ou selon leur niveau de participation, leur rôle dans l'entente et leur importance respective sur le marché, calculée sur la base de la part de marché moyenne au cours d'une période de référence.
202. Étant donné que la Commission n'est pas tenue d'effectuer le calcul du montant de l'amende à partir de montants basés sur le chiffre d'affaires des entreprises concernées, elle n'est pas non plus tenue d'assurer, au cas où des amendes sont imposées à plusieurs entreprises impliquées dans une même infraction, que les montants finals des amendes auxquels son calcul aboutit pour les entreprises concernées traduisent toute différenciation entre celles-ci quant à leur chiffre d'affaires global ou leur chiffre d'affaires sur le marché du produit en cause.
203. À cet égard, il y a lieu de préciser que l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 n'exige pas non plus que, au cas où des amendes sont imposées à plusieurs entreprises impliquées dans une même infraction, le montant de l'amende infligée à une entreprise de petite ou de moyenne taille ne soit pas supérieur, en pourcentage du chiffre d'affaires, à ceux des amendes infligées aux entreprises plus grandes. En effet, il ressort de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 que, tant pour les entreprises de petite ou de moyenne taille que pour les entreprises de taille supérieure, il y a lieu de prendre en considération, pour déterminer le montant de l'amende, la gravité et la durée de l'infraction. Dans la mesure où la Commission impose, aux entreprises impliquées dans une même infraction, des amendes justifiées, pour chacune d'elles, par rapport à la gravité et à la durée de l'infraction, il ne saurait être reproché à la Commission que, pour certaines d'entre elles, le montant de l'amende soit supérieur, par rapport au chiffre d'affaires, à celui d'autres entreprises.
204. Contrairement à ce que prétend la requérante, une autre interprétation ne peut être déduite de la limite maximale de 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, imposée par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.
205. Par ailleurs, la limite maximale imposée par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, en exigeant que l'amende qui sera finalement imposée à une entreprise soit réduite au cas où elle dépasse 10 % de son chiffre d'affaires, indépendamment des opérations de calcul intermédiaires destinées à prendre en compte la gravité et la durée de l'infraction, n'interdit pas à la Commission de se référer, au cours de son calcul, à un montant intermédiaire dépassant 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée, pour autant que l'amende finalement imposée à cette entreprise ne dépasse pas cette limite.
206. Ensuite, en ce qui concerne le niveau de l'amende infligée à la requérante, il y a lieu d'observer, d'abord, que la Commission a estimé qu'il s'agissait, en l'espèce, d'une infraction très grave, pour laquelle l'amende normalement imposable est d'au moins 20 millions d'écus (considérant 165 de la décision).
207. Puis, afin de tenir compte de la disparité dans la taille des entreprises ayant pris part à l'infraction, la Commission a divisé les entreprises en quatre catégories selon leur importance dans le marché de la Communauté, sous réserve d'ajustements destinés à tenir compte de la nécessité d'assurer une dissuasion effective (considérant 166, deuxième à quatrième alinéa, de la décision). Il ressort des considérants 168 à 183 de la décision que les quatre catégories se sont vu imposer, dans l'ordre d'importance, pour le calcul du montant des amendes, des points de départ spécifiques de 20, 10, 5 et 1 millions d'écus.
208. En ce qui concerne la détermination des points de départ spécifiques pour chacune des catégories, la Commission a expliqué, à la suite d'une question posée par le Tribunal, que ces montants reflètent l'importance de chaque entreprise dans le secteur des conduites précalorifugées compte tenu de sa taille et de son poids par rapport à ABB et dans le contexte de l'entente. À cette fin, la Commission a tenu compte non seulement de leur chiffre d'affaires sur le marché concerné, mais également de l'importance relative que les membres de l'entente attribuaient à chacun d'eux, comme cela ressort des quotas convenus au sein de l'entente, figurant en annexe 60 de la communication des griefs, et des résultats obtenus et envisagés en 1995, figurant en annexes 169 à 171 de la communication des griefs.
209. De plus, la Commission a encore augmenté le point de départ pour le calcul du montant de l'amende à imposer à ABB, jusqu'à 50 millions d'écus, afin de tenir compte de sa position en tant qu'un des principaux groupes européens (considérant 168 de la décision).
210. Dans ce contexte, il convient d'estimer, eu égard à l'ensemble des facteurs pertinents pris en considération dans la fixation des points de départ spécifiques, que la différence entre le point de départ retenu pour la requérante, d'une part, et le point de départ retenu pour ABB, d'autre part, est objectivement justifiée. Étant donné que la Commission n'est pas tenue d'assurer que les montants finals des amendes auxquelles son calcul aboutit pour les entreprises concernées traduisent toute différence entre celles-ci quant à leur chiffres d'affaires, la requérante ne saurait reprocher à la Commission de s'être vu imposer un point de départ qui a conduit à une amende finale supérieure, en pourcentage de chiffre d'affaires global, à l'amende imposée à ABB.
211. Quant au prétendu risque que l'amende constitue pour la survie de l'entreprise, il suffit d'observer que, selon une jurisprudence constante, la Commission n'est pas obligée, lors de la détermination du montant de l'amende, de tenir compte de la situation financière déficitaire d'une entreprise intéressée, étant donné que la reconnaissance d'une telle obligation reviendrait à procurer un avantage concurrentiel injustifié aux entreprises les moins adaptées aux conditions du marché (arrêt IAZ ea-Commission, précité, points 54 et 55; arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Fiskeby Board-Commission, T-319-94, Rec. p. II-1331, points 75 et 76, et Enso Española-Commission, T-348-94, Rec. p. II-1875, point 316).
212. Pour toutes ces raisons, les arguments de la requérante doivent être rejetés dans la mesure où ils sont relatifs à l'appréciation de la gravité de l'infraction dans le cadre de la détermination du montant de l'amende.
- Sur la détermination du montant de l'amende en fonction de la durée de l'infraction
213. Dans la mesure où la requérante fait valoir que la Commission n'aurait pu retenir, à son égard, une participation à une entente continue, il y a lieu de renvoyer aux points 64 à 69 ci-dessus, où il a été estimé que la Commission a correctement reproché à la requérante d'avoir participé à une infraction unique et continue sans pour autant retenir, à son égard, une participation ininterrompue pour toute la période allant de novembre 1990 à mars 1996.
214. Toutefois, en ce qui concerne la période de suspension des activités anticoncurrentielles, il a été constaté, au point 62 ci-dessus, que la Commission a commis une erreur dans la mesure où elle a reproché à la requérante une participation à l'entente pour la période comprise entre avril et août 1994.
215. Il convient de rappeler que, lors de l'appréciation de la durée pour le calcul du montant de l'amende à infliger à la requérante, la Commission a pris en considération la participation de celle-ci de plus de cinq ans ainsi que la suspension des arrangements entre 1993 et le début de 1994 pour fixer à 1,4 le facteur de majoration du point de départ de son amende (voir le point 55 ci-dessus).
216. Par conséquent, eu égard à la période de quelques mois pour laquelle la participation de la requérante n'est pas établie, le Tribunal, statuant dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction au sens des articles 172 du traité CE (devenu article 229 CE) et 17 du règlement n° 17, estime justifié de porter le facteur de majoration relatif à la durée de l'infraction reprochée à la requérante à 1,35.
C - Sur l'appréciation erronée des circonstances aggravantes
1. Arguments des parties
217. La requérante soutient que l'amende doit être réduite dans la mesure où la Commission a pris en considération la poursuite de l'infraction après les vérifications sans distinguer sa situation de celle d'ABB, qui a poursuivi l'infraction en dépit d'un avertissement exprès de la part de la Commission. La Commission n'aurait pas respecté le principe affirmé par les lignes directrices, suivant lequel il doit être tenu compte du fait que les grandes entreprises disposent la plupart du temps de connaissances et d'infrastructures "juridico-économiques" qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence. En revanche, au lieu de considérer de façon plus indulgente le cas d'une petite entreprise comme la requérante, la Commission aurait favorisé ABB en l'avertissant après les vérifications.
218. La défenderesse rétorque que la décision a précisément tenu compte du fait que les grandes entreprises disposent de connaissances et d'infrastructures "juridico-économiques" qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence. De toute façon, la requérante n'aurait pas dû éprouver le moindre doute au sujet de l'illégalité et des conséquences de l'entente en cause. La tentative de dissimulation des activités de l'entente démontrerait d'ailleurs que les participants savaient que leur entente était illicite.
2. Appréciation du Tribunal
219. Il convient d'observer qu'une majoration de 20 % de l'amende a été imposée à la requérante pour la "poursuite délibérée d'une infraction aussi manifeste encore après l'enquête" (considérant 179 de la décision).
220. Or, la requérante ne conteste pas avoir poursuivi sa participation à l'entente après les vérifications de la Commission.
221. Ainsi que le Tribunal l'a relevé, aux points 147 à 155 ci-dessus, la requérante ne saurait prétendre avoir été défavorisée par rapport à ABB, étant donné que la Commission n'a pas pris en compte, lors de l'appréciation de la poursuite de l'infraction après les vérifications, la circonstance selon laquelle les entreprises ont, ou non, été expressément averties.
222. Partant, le grief tiré d'une appréciation erronée des circonstances aggravantes doit être rejeté.
D - Sur le défaut de prise en compte de certaines circonstances atténuantes
1. Arguments des parties
223. La requérante expose que la Commission devait prendre en considération, dans l'appréciation de la gravité de l'infraction, le rôle subalterne, passif et en partie forcé qu'elle a joué dans l'entente. Par conséquent, la décision aurait affirmé à tort que sa participation ne présentait "aucun caractère particulier". En effet, la requérante n'aurait jamais pris l'initiative d'une quelconque mesure restrictive de la concurrence, n'aurait pas participé activement à la mise en œuvre et à la planification de l'entente sur le marché allemand et n'aurait pas non plus participé à toutes les réunions au cours desquelles l'entente avait été discutée.
224. Sa participation aurait été essentiellement inspirée par la crainte de subir des représailles de la part des principaux protagonistes du marché. Les problèmes par rapport au droit de la concurrence lui auraient été cachés par le fait qu'une grande entreprise multinationale comme ABB aurait insisté pour la création de l'entente. Le fait que l'entente a cessé immédiatement après qu'ABB IC Moller a reçu du siège général d'ABB à Zurich l'ordre d'arrêter l'entente témoignerait de la circonstance selon laquelle les autres participants ont aveuglement suivi ABB. Le manque d'attention prêtée aux aspects condamnables de l'entente s'expliquerait également par le fait que la législation danoise ne prévoyait, jusqu'en janvier 1998, aucune interdiction des ententes sur les prix comparable à l'article 85 du traité.
225. Enfin, la Commission aurait dû tenir compte du fait que la requérante doit déjà faire face à des demandes de dommages-intérêts considérables émanant de clients danois, notamment de centrales de chauffage urbain et de municipalités. De ce fait, la requérante se trouverait doublement sanctionnée par rapport aux entreprises ayant des activités sur des marchés où la perspective d'être confronté à des demandes d'indemnisation est moindre. Le principe d'égalité de traitement exigerait que la Commission, ayant pris en considération l'indemnité qu'ABB a versée à Powerpipe, tienne compte également des demandes d'indemnisation auxquelles la requérante se trouve confrontée.
226. La défenderesse estime, d'abord, que la requérante n'a pas démontré qu'elle a joué un rôle particulièrement passif dans l'entente. Étant donné qu'elle ne conteste pas avoir participé aux activités de l'entente, il ne serait pas pertinent d'avancer qu'elle n'a pas participé à l'ensemble des réunions, ce qui est d'ailleurs reconnu par la Commission. La Commission n'aurait pas non plus soutenu que la requérante a compté parmi les chefs de file de l'entente.
227. En outre, la thèse selon laquelle la requérante a été obligée d'adhérer à l'entente serait contredite par le fait qu'elle fait partie des fondateurs de l'entente. Par ailleurs, elle n'aurait jamais pris des mesures pour informer les autorités des activités de l'entente.
228. Quant aux demandes de dommages-intérêts menaçant la requérante, la Commission n'aurait pas pu en tenir compte, ne serait-ce que pour la raison que celles-ci ont été notifiées après l'adoption de la décision. De plus, les demandes de dommages-intérêts annoncées concerneraient l'ensemble des membres de l'entente.
2. Appréciation du Tribunal
229. Il convient de constater que, en l'espèce, la Commission a pu légitimement considérer qu'aucune circonstance atténuante ne devait être reconnue à la requérante.
230. D'abord, la requérante ne saurait soutenir que son rôle subalterne et passif dans l'entente aurait dû conduire à une réduction du montant de son amende. En effet, en alléguant qu'elle n'a pas joué un rôle actif, elle ne fait valoir que l'absence d'une circonstance aggravante. Or, il ressort des considérants 171, 176 et 179, troisième alinéa, de la décision que, en ce qui concerne les entreprises qui ont joué un rôle actif dans l'entente, la Commission a tenu compte d'un tel rôle en tant que circonstance aggravante entraînant une majoration du montant de leur amende.
231. Quant aux pressions dont aurait souffert la requérante, il convient d'observer qu'une entreprise qui participe avec d'autres à des activités anticoncurrentielles ne peut se prévaloir du fait qu'elle y participerait sous la contrainte des autres participants. En effet, elle aurait pu dénoncer les pressions dont elle faisait l'objet aux autorités compétentes et introduire auprès de la Commission une plainte en application de l'article 3 du règlement n° 17 plutôt que de participer aux activités en question (voir arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Hüls-Commission, T-9-89, Rec. p. II-499, points 123 et 128; arrêt Tréfileurope-Commission, précité, point 58). En tout état de cause, la requérante ne saurait reprocher à la Commission d'avoir méconnu de telles pressions, étant donné que, lors de la détermination du montant de l'amende à imposer à ABB, les pressions que celle-ci a exercées sur les autres entreprises afin de les persuader de rallier l'entente ont été considérées comme un élément conduisant à une augmentation de son amende.
232. Dans la mesure où la requérante s'appuie sur l'absence, dans la législation danoise, d'une interdiction de certaines ententes, il suffit d'observer qu'il s'agissait, en l'espèce, d'une infraction composée d'accords sur les prix et sur la répartition du marché dont l'incompatibilité avec les règles de la concurrence est explicitement affirmée par l'article 85, paragraphe 1, sous a) et c), du traité et consacrée par une jurisprudence constante. Dans ces circonstances la requérante aurait dû avoir connaissance de l'illégalité de ses comportements.
233. Enfin, quant aux menaces de demandes de dommages-intérêts évoquées par la requérante, il suffit d'observer que, étant donné que celles-ci sont nées après l'adoption de la décision, la Commission n'aurait pas pu, en tout état de cause, en tenir compte.
234. Il s'ensuit que le grief tiré du défaut de prise en compte de certaines circonstances atténuantes doit être rejeté.
E - Sur l'application erronée de la communication sur la coopération
1. Arguments des parties
235. La requérante reproche à la Commission de lui avoir accordé une réduction de seulement 20 % de l'amende alors que des réductions sensiblement plus élevées auraient été accordées à d'autres entreprises pouvant être considérées comme les principaux protagonistes de l'entente. La requérante aurait eu droit, au minimum, à la réduction de 30 % accordée à Tarco et à ABB pour avoir participé loyalement à l'établissement des faits.
236. En effet, la requérante n'aurait pas soustrait de documents à charge lors des vérifications et aurait répondu loyalement aux questions que la Commission lui a posées au titre de l'article 11 du règlement n° 17. Le fait qu'elle ne s'est pas empressée de fournir des aveux ne saurait être utilisé comme fondement d'un refus de lui accorder une réduction de l'amende. Si certaines autres entreprises ont été à même d'apporter de nouvelles informations et de nouveaux documents dans le cadre de leurs aveux, ce serait dû au fait que des documents révélateurs avaient été cachés à la Commission au cours des vérifications. Or, la requérante serait à présent confrontée à un grand nombre d'informations constituant pour elle des éléments nouveaux, notamment en ce qui concerne les réunions bilatérales et les actions auxquelles elle n'a pas participé. En principe, elle devrait donc bénéficier d'une réduction plus importante que les entreprises qui ont, dans leurs "aveux", fourni des documents qu'elles avaient dissimulés lors des contrôles et qui ont accablé la Commission de considérations confuses sans pertinence au regard de l'affaire.
237. Sur ce point, la requérante ajoute que la Commission a signalé, à un stade plutôt tardif de la procédure, qu'elle appliquerait avec effet rétroactif sa communication sur la coopération. Une entreprise comme la requérante, qui ne disposait pas des mêmes ressources juridiques et financières que, par exemple, ABB, n'aurait pas eu la possibilité de prévoir l'effet négatif que la Commission attacherait à la conduite discrète de la requérante au cours de l'enquête.
238. La défenderesse fait observer que, pour apprécier la réduction des amendes, elle a tenu compte de la mesure dans laquelle les informations reçues des différents membres de l'entente ont contribué à établir la matérialité des faits pertinents. Comme cela est mentionné au considérant 180 de la décision, la requérante se serait située à la frontière entre la coopération active avec la Commission et le simple fait d'admettre ce qui ne pouvait être nié dans ses réponses aux demandes de renseignements qui lui ont été adressées. La Commission n'aurait donc pas reçu de la requérante des informations qui ont contribué à élucider l'affaire. La requérante ne saurait exiger une réduction de son amende au seul motif qu'elle a fait preuve d'un comportement "discret", étant donné que l'objectif d'une réduction est que la Commission obtienne des informations susceptibles de contribuer à l'établissement des faits ou des aveux propres à faciliter son travail.
239. Dans la mesure où la requérante revient, dans son mémoire en réplique, sur des aveux qu'elle a faits précédemment concernant sa participation à la réunion du 24 mars 1995, la défenderesse demande la diminution de la réduction de l'amende qui lui a été accordée pour sa collaboration. En effet, bien que la requérante ait eu accès aux renseignements fournis par les autres participants concernant la participation aux réunions du groupe de contact allemand, elle n'aurait pas contesté cet élément lors de la procédure administrative.
2. Appréciation du Tribunal
240. Il convient d'observer, au préalable, que la Commission, dans sa communication sur la coopération, a défini les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec elle au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées de l'amende ou bénéficier d'une réduction du montant de l'amende qu'elles auraient autrement dû acquitter (voir point A 3 de la communication sur la coopération).
241. Il y a lieu d'observer que le cas de la requérante tombe sous le point D de la communication sur la coopération, aux termes duquel "[l]orsqu'une entreprise coopère sans que les conditions exposées aux [points] B et C soient toutes réunies, elle bénéficie d'une réduction de 10 à 50 % de l'amende qui lui aurait été infligée en l'absence de coopération". Cette communication précise:
"Tel peut notamment être le cas si:
- avant l'envoi d'une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d'autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l'existence de l'infraction commise,
- après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu'elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations."
242. Force est de constater que la requérante n'a pas démontré que la Commission, ayant reconnu qu'elle n'a pas contesté la matérialité des faits sur lesquels elle fonde ses allégations (considérant 180, troisième alinéa, de la décision), aurait dû lui accorder une réduction supérieure à celle de 20 % dont elle a bénéficié.
243. À cet égard, il y a lieu de relever que la requérante, à la suite de la réception de la demande de renseignements de la Commission du 13 mars 1996, s'est limitée à répondre aux questions qui lui étaient adressées, sans communiquer à la Commission des informations supplémentaires susceptibles d'aider celle-ci dans la poursuite de son enquête.
244. Quant à la comparaison avec les comportements ayant donné lieu aux réductions de 30 % accordées à d'autres entreprises impliquées dans la même entente, il ressort du dossier que, contrairement à la requérante, ces autres entreprises ont fourni à la Commission des informations importantes complétant les preuves que celle-ci avait pu obtenir lors des vérifications. Or, il y a lieu de constater, comme cela est confirmé par les preuves écrites mentionnées dans la décision et dans le présent arrêt, que les aspects essentiels de l'entente, en particulier en ce qui concerne la participation de la requérante, n'ont pas été révélés par des informations ou des documents produits par la requérante après les vérifications, mais par d'autres éléments de preuve, dont notamment des documents fournis par ces autres entreprises.
245. Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché à la Commission d'avoir accordé une réduction plus importante à ces autres entreprises. En effet, selon une jurisprudence constante, une réduction du montant de l'amende au titre d'une coopération au cours de la procédure administrative n'est justifiée que si le comportement de l'entreprise incriminée a permis à la Commission de constater une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d'y mettre fin (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, SCA Holding-Commission, C-297-98 P, Rec. p. I-10101, point 36; arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, ICI-Commission, T-13-89, Rec. p. II-1021, point 393, Gruber + Weber-Commission, précité, point 271, et du 14 mai 1998, BPB de Eendracht-Commission, T-311-94, Rec. p. II-1129, point 325). Or, il ressort du dossier que, en tout état de cause, la coopération de la requérante n'a pas présenté la même utilité, pour l'enquête de la Commission, que celle offerte par les entreprises qui se sont vu accorder une réduction de 30 % du montant de leur amende.
246. À cet égard, la requérante ne saurait prétendre avoir droit à la réduction de 30 % accordée à certaines autres entreprises en alléguant que celles-ci ont fourni à la Commission, à la suite de la réception des demandes de renseignements, des informations sans pertinence pour l'enquête ou, encore, des informations ayant pu être communiquées lors des vérifications. En effet, à supposer même que cette allégation soit correcte, ce qui n'est pas établi, et que la Commission ait donc accordé une réduction trop élevée à ces autres entreprises, il doit être rappelé que le respect du principe d'égalité de traitement doit se concilier avec le respect du principe de légalité selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d'autrui (arrêt SCA Holding-Commission, précité, point 160, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof-Commission, T-347-94, Rec. p. II-1751, point 334).
247. Quant à la capacité de la requérante à prévoir l'application de la communication sur la coopération, il suffit d'observer que la requérante ne fait que répéter son argument tiré d'un prétendu traitement inégal par rapport à ABB, qui doit être rejeté, pour les raisons exposées aux points 147 à 154 ci-dessus.
248. Dans ces circonstances, la Commission n'a commis aucune erreur de droit ou de fait dans l'application de la communication sur la coopération. Dès lors, le grief doit être rejeté.
249. Enfin, en ce qui concerne la demande de la Commission de diminuer la réduction accordée dans la décision à la requérante, il y a lieu d'observer que, même s'il est vrai que la requérante a contesté, pour la première fois, au cours de la procédure devant le Tribunal, sa participation à la réunion du 24 mars 1995 à Düsseldorf, il faut constater que, au cours de la procédure administrative, elle a tout de même contesté sa participation aux mesures concertées contre Powerpipe et n'a pas expressément admis qu'elle était présente lors de ladite réunion. Dans ces circonstances, le Tribunal estime qu'il n'y a pas lieu de donner suite à la demande de la partie défenderesse.
IV - Conclusions
250. Il résulte de tout ce qui précède, notamment du point 62 ci-dessus, que la Commission a commis une erreur d'appréciation dans la mesure où elle a reproché à la requérante une participation à l'entente pour la période comprise entre avril et août 1994. Sur ce point, la décision doit être annulée.
251. Ainsi qu'il a été statué au point 216 ci-dessus, en ce qui concerne l'amende à infliger à la requérante, il convient de porter à 1,35 le taux d'augmentation du point de départ du calcul du montant de cette amende en fonction de la durée de sa participation. Toutefois, eu égard aux opérations de calcul qui s'imposent en fonction des circonstances aggravantes et de l'application de la communication sur la coopération ainsi qu'à la limite de 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par l'entreprise concernée, prévue par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, le Tribunal constate que le montant de l'amende qu'il convient d'infliger à la requérante est identique au montant retenu par l'article 3, sous c), de la décision. Étant donné qu'il n'y a, donc, pas lieu de réduire l'amende infligée à la requérante, il convient de rejeter le recours pour le surplus.
Sur les dépens
252. Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, ce dernier peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le recours n'ayant été que très partiellement accueilli, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la requérante supportera ses propres dépens ainsi que 90 % des dépens exposés par la Commission, et que la Commission supportera 10 % de ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre)
déclare et arrête:
1) L'article 1er de la décision 1999-60-CE de la Commission, du 21 octobre 1998, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV-35.691-E-4 -Conduites précalorifugées), est annulé en ce qu'il constate que la requérante a enfreint les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité en participant à l'infraction visée par cet article durant la période allant d'avril à août 1994.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) La requérante supportera ses propres dépens et 90 % des dépens exposés par la Commission.
4) La Commission supportera 10 % de ses propres dépens.