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Décisions

TPICE, 4e ch., 20 mars 2002, n° T-23/99

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

LR AF 1998

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mengozzi

Juges :

Mme Tiili, M. Moura Ramos

Avocats :

Mes Waelbroeck, Peytz.

TPICE n° T-23/99

20 mars 2002

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

Faits à l'origine du litige

1. La société LR AF 1998 A/S, anciennement Lögstör Rör A/S, est une société danoise qui, à l'époque des faits, fabriquait et vendait des conduites précalorifugées, utilisées notamment dans le chauffage urbain.

2. Dans les systèmes de chauffage urbain, l'eau chauffée dans un site central est acheminée, par des conduites souterraines, vers les locaux à chauffer. Étant donné que la température de l'eau (ou de la vapeur) transportée est très élevée, les conduites doivent être calorifugées pour assurer une distribution économique et sans risque. Les conduites utilisées sont précalorifugées et, à cette fin, sont généralement constituées d'un tube d'acier enveloppé d'un tube de plastique, avec une couche de mousse isolante entre les deux.

3. Les conduites de chauffage urbain font l'objet d'un commerce important entre les États membres. Les plus grands marchés nationaux de l'Union européenne sont l'Allemagne, avec 40 % de la consommation communautaire, et le Danemark, avec 20 %. Avec 50 % de la capacité de fabrication de l'Union européenne, le Danemark est le principal centre de production de l'Union qui approvisionne tous les États membres où est utilisé le chauffage urbain.

4. Par une plainte datée du 18 janvier 1995, l'entreprise suédoise Powerpipe AB a signalé à la Commission que les autres fabricants et fournisseurs de conduites de chauffage urbain s'étaient réparti le marché européen dans le cadre d'une entente et qu'ils avaient pris des mesures concertées pour nuire à son activité, ou confiner cette activité au marché suédois, ou encore l'évincer purement et simplement du secteur.

5. Le 28 juin 1995, agissant en vertu d'une décision de la Commission du 12 juin 1995, des fonctionnaires de cette dernière et des représentants des autorités de la concurrence des États membres concernés ont procédé, simultanément et sans préavis, à des vérifications dans dix entreprises ou associations présentes dans le secteur du chauffage urbain, y inclus la requérante (ci-après les "vérifications").

6. Ensuite, la Commission a adressé des demandes de renseignements à la requérante et à la plupart des entreprises concernées par les faits litigieux, en vertu de l'article 11 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204).

7. Le 20 mars 1997, la Commission a adressé une communication des griefs à la requérante et aux autres entreprises concernées. Ensuite, une audition des entreprises concernées a eu lieu les 24 et 25 novembre 1997.

8. Le 21 octobre 1998, la Commission a adopté la décision 1999-60-CE, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV-35.691-E-4 - Conduites précalorifugées) (JO 1999, L 24, p. 1), rectifiée avant sa publication par une décision du 6 novembre 1998 [C(1998) 3415 final] (ci-après la "décision" ou la "décision attaquée") constatant la participation de diverses entreprises, et, notamment, de la requérante, à un ensemble d'accords et de pratiques concertées au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) (ci-après l'"entente").

9. Selon la décision, un accord a été conclu, à la fin de l'année 1990, entre les quatre producteurs de conduites de chauffage urbain danois sur le principe d'une coopération générale sur leur marché national. Cet accord aurait réuni la requérante ainsi qu'ABB IC Moller A/S, la filiale danoise du groupe helvético-suédois ABB Asea Brown Boveri Ltd (ci-après "ABB"), Dansk Rörindustri A/S, aussi connue sous le nom de Starpipe (ci-après "Dansk Rörindustri"), et Tarco Energi A/S (ci-après "Tarco") (ci-après, les quatre pris ensemble, les "producteurs danois"). L'une des premières mesures aurait consisté à coordonner une augmentation des prix tant pour le marché danois que pour les marchés à l'exportation. Aux fins de partager le marché danois, des quotas auraient été fixés puis appliqués et contrôlés par un "groupe de contact" réunissant les responsables des ventes des entreprises concernées. Pour chaque projet commercial (ci-après un "projet"), l'entreprise à laquelle le groupe de contact avait attribué le projet aurait informé les autres participants du prix qu'elle avait l'intention de proposer et ces derniers auraient alors fait une offre plus élevée de façon à protéger le fournisseur désigné par l'entente.

10. Selon la décision, deux producteurs allemands, le groupe Henss/Isoplus (ci-après "Henss/Isoplus") et Pan-Isovit GmbH, se sont joints aux réunions régulières des producteurs danois à partir de l'automne de 1991. Dans le cadre de ces réunions se seraient tenues des négociations en vue de la répartition du marché allemand. Celles-ci auraient abouti, en août 1993, à des accords fixant des quotas de vente pour chaque entreprise participante.

11. Toujours selon la décision, il a été convenu d'un accord entre tous ces producteurs, en 1994, afin de fixer des quotas pour l'ensemble du marché européen. Cette entente européenne aurait comporté une structure à deux niveaux. Le "club des directeurs", réunissant les présidents ou des directeurs généraux des entreprises participant à l'entente, aurait attribué des quotas à chaque entreprise tant sur l'ensemble du marché que sur chacun des marchés nationaux, notamment l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, la Finlande, l'Italie, les Pays-Bas et la Suède. Pour certains marchés nationaux, un "groupe de contact" aurait été institué, composé de responsables locaux des ventes, qui se seraient vu confier la tâche de gérer les accords en attribuant les projets et en coordonnant les soumissions aux appels d'offres.

12. En ce qui concerne le marché allemand, la décision mentionne que, à la suite d'une réunion des six principaux producteurs européens (ABB, Dansk Rörindustri, Henss/Isoplus, Pan-Isovit, Tarco et la requérante) et de Brugg Rohrsysteme GmbH (ci-après "Brugg") le 18 août 1994, une première réunion du groupe de contact pour l'Allemagne s'est tenue le 7 octobre 1994. Les réunions de ce groupe se seraient poursuivies longtemps après les vérifications de la Commission, à la fin de juin 1995, bien que, à partir de ce moment-là, elles se soient tenues à l'extérieur de l'Union européenne, à Zurich. Les réunions à Zurich se seraient poursuivies jusqu'au 25 mars 1996.

13. Comme élément de l'entente, la décision cite, notamment, l'adoption et la mise en œuvre de mesures concertées visant à éliminer la seule entreprise importante à ne pas en faire partie, Powerpipe. La Commission précise que certains participants à l'entente ont recruté des "salariés-clés" de Powerpipe et ont fait comprendre à cette dernière qu'elle devait se retirer du marché allemand. À la suite de l'attribution à Powerpipe d'un important projet allemand, en mars 1995, une réunion se serait tenue à Düsseldorf, à laquelle auraient participé les six producteurs susvisés et Brugg. Selon la Commission, il a été décidé, lors de cette réunion, d'instituer un boycottage collectif des clients et des fournisseurs de Powerpipe. Ce boycottage aurait ensuite été mis en œuvre.

14. Dans sa décision, la Commission expose les motifs pour lesquels non seulement l'arrangement exprès de partage des marchés conclu entre les producteurs danois à la fin de 1990, mais également les arrangements conclus à compter d'octobre 1991, visés ensemble, peuvent être considérés comme formant un "accord" prohibé par l'article 85, paragraphe 1, du traité. De plus, la Commission souligne que les ententes "danoise" et "européenne" ne constituaient que l'expression d'une seule entente qui a débuté au Danemark mais qui avait, dès le départ, l'objectif, à plus long terme, d'étendre le contrôle des participants à tout le marché. Selon la Commission, l'accord continu entre producteurs a eu un effet sensible sur le commerce entre États membres.

15. Pour ces motifs, la décision a pour dispositif:

"Article premier

ABB Asea Brown Boveri Ltd, Brugg Rohrsysteme GmbH, Dansk Rörindustri A/S, le groupe Henss/Isoplus, KE KELIT Kunststoffwerk GmbH, Oy KWH Tech AB, Lögstör Rör A/S, Pan-Isovit GmbH, Sigma Tecnologie di rivestimento Srl et Tarco Energi A/S ont enfreint les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité, en participant, de la manière et dans la mesure indiquées dans la motivation à un ensemble d'accords et de pratiques concertées qui a été mis en place, vers novembre ou décembre 1990, entre les quatre producteurs danois, qui a ensuite été étendu à d'autres marchés nationaux, auquel se sont ralliées Pan-Isovit et Henss/Isoplus, et qui a fini par constituer, fin 1994, une entente générale couvrant l'ensemble du Marché commun.

La durée de l'infraction était la suivante:

- dans le cas [...] [de] Lögstör [...]: plus ou moins à partir de novembre-décembre 1990, et au moins jusqu'en mars ou avril 1996,

[...]

Les principales caractéristiques de l'entente étaient:

- la répartition entre producteurs des différents marchés nationaux, puis de l'ensemble du marché européen, grâce à un système de quotas,

- l'attribution de marchés nationaux à certains producteurs et l'organisation du retrait des autres producteurs,

- la fixation des prix du produit et de chaque projet,

- l'attribution de projets à des producteurs désignés à cet effet et la manipulation des procédures de soumission, afin que les marchés en question soient attribués à ces producteurs,

- pour protéger l'entente de la concurrence de la seule entreprise importante à ne pas en faire partie, Powerpipe AB, l'adoption et la mise en œuvre de mesures concertées visant à entraver son activité commerciale, à nuire à la bonne marche de ses affaires ou à l'évincer purement et simplement du marché.

[...]

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises énumérées à l'article 1er, en raison de l'infraction constatée audit article:

[...].

g) [Lögstör], une amende de 8 900 000 écus;

[...]"

16. La décision a été notifiée à la requérante par lettre du 12 novembre 1998, reçue par celle-ci le lendemain.

Procédure et conclusions des parties

17. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 janvier 1999, la requérante a introduit le présent recours.

18. Sept des neuf autres entreprises tenues pour responsables de l'infraction ont également introduit un recours contre la décision (affaires T-9-99, T-15-99, T-16-99, T-17-99, T-21-99, T-28-99 et T-31-99).

19. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, au titre des mesures d'organisation de la procédure, a demandé aux parties de répondre à des questions écrites et de produire certains documents. Les parties ont déféré à ces demandes.

20. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 25 octobre 2000.

21. La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler la décision attaquée dans la mesure où elle lui est adressée;

- subsidiairement, réduire substantiellement le montant de son amende;

- condamner la défenderesse aux dépens.

22. La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours;

- condamner la requérante aux dépens.

Sur le fond

23. La requérante invoque, en substance, cinq moyens. Le premier moyen est tiré d'erreurs de fait dans l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Le deuxième moyen est tiré de la violation des droits de la défense. Le troisième moyen est tiré de la violation de principes généraux et d'erreurs de fait dans la détermination du montant de l'amende. Le quatrième moyen est tiré d'une violation de l'obligation de motivation dans la détermination du montant de l'amende. Enfin, le cinquième moyen est tiré d'un niveau excessif du taux d'intérêt appliqué à l'amende en cas de non-paiement immédiat.

I - Sur le premier moyen, tiré d'erreurs de fait dans l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité

A - Sur le mécanisme de compensations dans le cadre de l'entente danoise

1. Arguments des parties

24. La requérante fait observer que la Commission a commis une erreur en soutenant, au considérant 35 de sa décision, que, à la fin de l'année 1991, elle aurait participé à un mécanisme de compensations. À la demande de Tarco d'une compensation pour la part du marché que celle-ci avait perdue, la requérante aurait uniquement proposé de retirer, au profit de Tarco, une offre faite sur le marché islandais qu'elle savait être déjà refusée par le client islandais. Bien que d'autres mécanismes de compensation aient été discutés, la requérante n'aurait finalement effectué aucun paiement à Tarco. Cela démontrerait qu'elle n'avait pas l'intention de participer à un système de compensations et qu'elle n'y avait, de facto, pas participé.

25. La défenderesse fait observer que les explications données par la requérante sont insuffisantes, étant donné que celle-ci admet avoir discuté des compensations avec Tarco et proposé de se retirer d'une procédure d'adjudication. L'argument selon lequel aucune compensation monétaire n'aurait été payée ne contredirait pas l'analyse faite du système de compensations dans la décision.

2. Appréciation du Tribunal

26. Il convient d'observer que la Commission soutient, au considérant 35 de sa décision, que, en ce qui concerne l'entente sur le marché danois, il est incontestable qu'un mécanisme de compensations a été mis en œuvre à la fin de l'année 1991, mais que les modalités exactes de la compensation restent floues. À cet égard, la Commission renvoie, d'une part, aux déclarations de Tarco, selon laquelle les versements compensatoires se faisaient en argent liquide et au moyen de factures établies pour des livraisons fictives de conduites, et, d'autre part, à la réponse de la requérante du 2 octobre 1997 à la demande de renseignements du 26 août 1997, selon laquelle une demande de compensation de Tarco a été satisfaite en prenant en compte des commandes que la requérante avait déjà passées auprès de Tarco et par sa renonciation, au bénéfice de Tarco, à sa participation à un projet conjoint en Islande (considérant 35, deuxième alinéa, de la décision). Ensuite, la Commission a conclu que, quelle qu'ait été la procédure exacte du système de compensations en 1991, il a été convenu que, pour 1992, un nouveau système s'appliquerait, selon lequel les parts de marché en surplus des quotas feraient l'objet d'un "report" et seraient réaffectées aux producteurs n'atteignant pas le quota imparti (point 35, troisième alinéa, de la décision).

27. Force est de constater que la requérante reconnaît que, lors des discussions avec Tarco à la suite de la demande de cette dernière d'une compensation pour les projets perdus, elle a réussi à satisfaire à cette demande en déclarant qu'elle retirerait sa soumission pour un projet islandais.

28. Or, même si la requérante savait qu'elle allait, en tout état de cause, ne pas obtenir ce projet et même si, à la suite des discussions avec Tarco, aucun paiement n'a été effectué, il ne saurait être contesté que la requérante a renoncé à un projet au profit de Tarco pour satisfaire une demande de compensations qui se basait sur le mécanisme élaboré au sein de l'entente.

29. Par conséquent, la Commission a affirmé à juste titre que, même si les modalités exactes de la compensation restent floues, il est établi qu'un mécanisme de compensation a été mis en œuvre.

30. Dès lors, le grief avancé par la requérante doit être rejeté.

B - Sur l'existence d'une entente continue à partir de 1990 jusqu'à 1996

31. La requérante conteste avoir pris part à une infraction à l'article 85 du traité au cours d'une période continue "à partir de novembre-décembre 1990, et au moins jusqu'en mars ou avril 1996". Selon la requérante, il existait deux ententes séparées, la première limitée au marché danois, de janvier 1991 à avril 1993, et la seconde, s'étendant au marché européen, à partir de mars 1995 jusqu'en novembre ou décembre 1995, et complétée, en ce qui concerne le Danemark et l'Allemagne, par une coopération à partir de la fin de l'année 1994 et, d'une manière sporadique, jusqu'en mars 1996.

32. Il convient d'examiner, d'abord, les arguments relatifs à la participation de la requérante aux activités de l'entente, en dehors du marché danois, pour la période 1990-1993, ensuite, les arguments relatifs à la suspension de sa participation, en 1993, ainsi qu'à l'instauration d'une entente européenne, à partir de l'année 1994, et, enfin, les arguments relatifs à la durée et au caractère continu de l'entente.

1. Sur la participation à l'entente en dehors du marché danois pour la période 1990-1993

- Arguments des parties

33. La requérante fait observer que, si, au cours de la période 1991-1993, un certain nombre de tentatives ont été faites par les entreprises concernées pour aboutir à une coopération en Allemagne, ces tentatives n'ont pas été couronnées de succès et la concurrence n'a pas été faussée au cours de cette période. La requérante n'aurait souhaité aucun accord de répartition du marché parce qu'elle estimait qu'elle était à même d'augmenter sa part de marché. Lors des réunions auxquelles elle a assisté, elle aurait adopté une attitude passive, sans contracter le moindre engagement.

34. En premier lieu, la requérante n'aurait pas participé à un accord sur l'augmentation des prix pour 1991, y inclus les prix sur les marchés à l'exportation. Ce serait à tort que la Commission invoque, à cet égard, la note prise lors de la réunion du 22 novembre 1990 du sous-comité du conseil danois pour le chauffage urbain (association étrangère à l'entente), étant donné que les augmentations de prix annoncées par les producteurs à cette occasion avaient été décidées unilatéralement. En ce qui concerne les augmentations des prix de la requérante entrées en vigueur le 12 novembre 1990, cela serait démontré par le fait que les nouveaux prix avaient déjà été publiés, préalablement à cette réunion. Or, les producteurs n'auraient pas pu "coordonner" des augmentations de prix qui avaient déjà été décidées par chacun d'eux. La déclaration de Tarco en sens contraire, sur laquelle s'appuie également la Commission, serait erronée. Par ailleurs, la personne ayant signé cette déclaration n'aurait pas fait partie du personnel de Tarco à l'époque et n'aurait pas été présente à la réunion.

35. Au cours de la période 1991-1993, les seules infractions en dehors du marché danois auraient été constituées par un accord concernant l'Allemagne et visant à augmenter les barèmes de prix bruts à partir du 1er janvier 1992 et par un accord de coopération en Italie, le 14 octobre 1991, concernant le projet de Turin. L'accord sur les barèmes de prix bruts n'aurait été conclu qu'à la réunion du 10 décembre 1991. Lors de cette réunion, cependant, aucun accord n'aurait été conclu sur des barèmes de prix communs ni sur un programme de réunions mensuelles. L'accord sur les barèmes de prix bruts n'aurait probablement eu aucun effet direct sur le marché allemand, puisque la requérante y vendait par l'intermédiaire d'un distributeur indépendant qui fixait ses propres prix finals et puisque les augmentations de prix conformes aux barèmes étaient compensées par des rabais concédés par la requérante à son distributeur allemand. Quant au projet de Turin, il aurait été un exemple isolé de coopération, sans aucun effet sur le marché.

36. En second lieu, la requérante n'aurait pas participé à un accord concernant le partage du marché allemand pour 1994, comme l'affirme la Commission aux considérants 50 et 51 de la décision. Elle n'aurait aucun souvenir des réunions qui se seraient tenues à Copenhague le 30 juin 1993 et à Zurich le 18 ou le 19 août 1993, telles qu'elles sont décrites aux considérants 49 et 50 de la décision. Elle n'aurait pas non plus marqué son accord sur la rédaction d'un barème de prix uniforme ou sur l'élaboration d'un système de sanctions. Le document que la Commission a présenté comme preuve du contenu d'un tel accord, figurant à l'annexe 7 des observations de la requérante à la communication des griefs, ne serait qu'une proposition d'ABB qui aurait été présentée plus tard à la requérante (ci-après la "proposition d'ABB"). Le refus de la part de la requérante de signer un tel accord n'aurait pas été en contradiction avec son acceptation d'un audit diligenté par les membres de l'entente, effectué par des comptables suisses pour obtenir des chiffres sur la taille globale du marché allemand, ni avec le fait que Pan-Isovit avait l'impression que la requérante recherchait un accord. La requérante aurait, en effet, feint d'être intéressée par un accord à des conditions qu'elle savait inacceptables pour les entreprises allemandes de l'entente. Au cours d'une brève réunion, le 8 septembre 1993, à laquelle a assisté la requérante, elle aurait déclaré ne pas souhaiter conclure le moindre accord en ce qui concerne le marché allemand. Lors d'une réunion, le 29 septembre 1993, elle aurait de nouveau refusé d'accepter la proposition d'ABB. La requérante en conclut qu'elle n'a pas uniquement refusé d'accepter un accord de répartition du marché en Allemagne, mais, au contraire, fait échec aux tentatives de réaliser un tel accord.

37. Selon la requérante, sa seule participation à des réunions ayant un objet anticoncurrentiel ne pourrait entraîner une responsabilité en tant que participant à l'entente, étant donné qu'elle aurait expliqué aux autres participants, à de nombreuses occasions, qu'elle n'était pas intéressée par la poursuite de la coopération envisagée, prenant ainsi "publiquement" ses distances avec le contenu des discussions tenues lors des réunions. En outre, ces discussions n'auraient jamais abouti et n'auraient eu aucun effet sur le marché.

38. La défenderesse fait observer que, en ce qui concerne la coopération en dehors du Danemark entre 1991 et 1993, un accord exprès a été conclu, d'abord parmi les producteurs danois, sur une augmentation des prix à l'exportation au début de l'année 1991 et, ensuite, sur une augmentation des prix en Allemagne à partir de janvier 1992, sur la fixation des prix et le partage des projets en Italie et sur le régime de quotas en termes de parts de marché pour 1994. Ces accords ne pourraient être qualifiés d'événement isolés. En effet, la requérante a participé à de nombreuses réunions régulières dans le cadre d'une entente qui, à partir de l'automne 1991, aurait étendu la coopération formelle des producteurs danois au marché allemand.

- Appréciation du Tribunal

39. Selon une jurisprudence bien établie, dès lors qu'une entreprise participe, même sans y prendre une part active, à des réunions entre entreprises ayant un objet anticoncurrentiel et qu'elle ne se distancie pas publiquement du contenu de celles-ci, donnant ainsi à penser aux autres participants qu'elle souscrit au résultat des réunions et qu'elle s'y conformera, il peut être considéré comme établi qu'elle participe à l'entente résultant desdites réunions (voir arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7-89, Rec. p. II-1711, point 232, du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T-12-89, Rec. p. II-907, point 98, et du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T-141-89, Rec. p. II-791, points 85 et 86).

40. Dans ce contexte, il convient d'apprécier, en ce qui concerne la période d'octobre 1991 à octobre 1993, les preuves rassemblées par la Commission et les conclusions qu'elle en a tirées, aux considérants 38 et suivants de la décision.

41. En premier lieu, il y a lieu de constater que c'est à bon droit que la Commission a conclu, aux considérants 31, 38 et 135 de la décision, que la requérante a participé aux augmentations concertées par les producteurs danois de leurs prix sur les marchés à l'exportation.

42. En effet, la requérante ne conteste pas qu'elle a participé à la réunion du 22 novembre 1990, dont le compte rendu (annexe 19 de la communication des griefs) contient une liste d'augmentations de prix, mentionnant pour chaque producteur danois un ou deux pourcentages accompagnés d'une date, à la fois dans une colonne intitulée "Danemark" et dans une colonne intitulée "Exportation". La conclusion tirée par la Commission dudit document, selon laquelle les participants à cette réunion étaient convenus de coordonner une augmentation de leurs prix pour les marchés à l'exportation, est corroborée par la déclaration faite par Tarco selon laquelle les participants à cette réunion se sont mis d'accord sur des augmentations concertées de leurs listes de prix de base tant pour les ventes nationales que pour celles à l'exportation (réponse de Tarco du 26 avril 1996 à la demande de renseignements du 13 mars 1996, ci-après la "réponse de Tarco").

43. La requérante ne saurait contester la conclusion de la Commission en affirmant que l'augmentation des prix à l'exportation n'aurait pas été "convenue" lors de ladite réunion. En effet, il convient d'observer que la Commission s'est limitée à constater que les producteurs danois ont "coordonné" leurs augmentations de prix pour l'exportation, ce qui implique que les participants se sont mis d'accord, au moins, sur la façon dont seraient effectuées les augmentations de prix envisagées, sans requérir pour autant que les participants se sont accordés également, lors de la réunion en question, sur le principe ou sur le pourcentage exact des augmentations de prix. Or, il ressort du compte rendu de la réunion du 22 novembre 1990 que les participants ont, en tout état de cause, annoncé les dates auxquelles ils allaient procéder à une augmentation de prix ainsi que, le cas échéant, les gradations prévues pour cette augmentation. Dès lors, la Commission était en droit de constater une augmentation concertée des prix.

44. L'argument de la requérante selon lequel elle aurait déjà publié une liste de prix ayant subi une augmentation avant la réunion du comité du 22 novembre 1990 n'est pas pertinent. D'une part, en effet, la requérante n'a pas précisé dans quelle mesure la liste de prix publiée, en langue danoise, le 12 novembre 1990 s'appliquait également aux ventes à l'exportation, étant donné que, lors de la réunion du 22 novembre 1990, il a été estimé nécessaire de traiter les prix à l'exportation séparément des prix pour le marché danois. D'autre part, la date d'entrée en vigueur de cette liste (12 novembre 1990) correspond à une date mentionnée dans le compte rendu de la réunion du 22 novembre 1990 pour l'augmentation des prix de la requérante pour le marché danois, alors que toutes les augmentations de prix annoncées dans la colonne intitulée "Exportation" devaient entrer en vigueur à une date postérieure (le 1er décembre 1990 pour Dansk Rörindustri et le 1er janvier 1991 pour Tarco et la requérante). La requérante ne peut donc prétendre qu'elle a procédé à une augmentation des prix à l'exportation sans connaître l'intention des autres producteurs d'agir dans le même sens.

45. À cet égard, il y a lieu d'observer encore que, contrairement à ce que prétend la requérante, la valeur probante de la réponse de Tarco n'est aucunement affectée par le fait que la personne qui l'a signée n'ait pas été présente à la réunion du 22 novembre 1990, ni membre du personnel de Tarco à ce moment-là. Comme cette réponse a été donnée au nom de l'entreprise en tant que telle, elle est revêtue d'une crédibilité surpassant celle que pourrait avoir la réponse donnée par un membre de son personnel quelle que soit l'expérience ou l'opinion personnelles de ce dernier. Par ailleurs, les représentants de Tarco ont expressément mentionné, dans leur réponse, que celle-ci représente le résultat d'une investigation interne menée par l'entreprise.

46. En deuxième lieu, il est à noter que la requérante reconnaît avoir participé à un accord sur une augmentation des prix bruts en Allemagne à partir du 1er janvier 1992 et à un accord de coopération en octobre 1991, concernant le projet de Turin.

47. À cet égard, l'argument selon lequel les accords en question n'auraient pas eu d'effet sur le marché n'est pas pertinent. De même, l'argument selon lequel, à la suite de l'accord sur l'augmentation des prix bruts, il y aurait eu, sur le marché, une vive concurrence provoquant une baisse des prix est inopérant. En effet, aux fins de l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, la prise en considération des effets concrets d'un accord est superflue, dès lors qu'il apparaît que celui-ci a eu pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun (arrêts de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56-64 et 58-64, Rec. p. 429, 496, du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49-92 P, Rec. p. I-4125, point 99, et Hüls/Commission, C-199-92 P, Rec. p. I-4287, point 178; arrêt du Tribunal du 23 février 1994, CB et Europay/Commission, T-39-92 et T-40-92, Rec. p. II-49, point 87). Quant à l'accord sur l'augmentation des prix bruts en Allemagne, il y a lieu de relever que le fait qu'une entreprise participant avec d'autres à des réunions au cours desquelles sont prises des décisions en matière de prix ne respecte pas les prix fixés n'est pas de nature à infirmer l'objet anticoncurrentiel de ces réunions et, dès lors, la participation de l'entreprise intéressée aux ententes, mais tendrait tout au plus à démontrer qu'elle n'a pas mis en œuvre les accords en question (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission, T-148-89, Rec. p. II-1063, point 79).

48. Par ailleurs, la validité de la décision ne saurait être mise en doute en ce qui concerne l'accord sur l'augmentation des prix bruts en Allemagne par l'affirmation de la requérante selon laquelle cet accord n'aurait pas inclus tous les éléments mentionnés par la Commission au considérant 44, deuxième alinéa, de la décision. En effet, les éléments cruciaux de l'accord qui, selon la réponse d'ABB du 4 juin 1996 à la demande de renseignements du 13 mars 1996 (ci-après la "réponse d'ABB"), ont été décidés, en principe, lors d'une réunion du 9 ou du 10 octobre 1991 se retrouvent dans les brèves notes manuscrites relatives à la réunion du 10 décembre 1991, prises par la requérante (annexe 36 de la communication des griefs), qui font mention, notamment, de "Liste de prix minimaux pour les clients", de "Prix départ usine + 7 %", de "Réunion(s) mensuelle(s)" et de "Liste 13.1.92". Même si un accord a été conclu uniquement sur l'augmentation des prix bruts, cela n'invalide pas la décision, étant donné qu'il ressort de son considérant 137, troisième alinéa, que la Commission n'a retenu comme accord au sens de l'article 85 du traité, pour cette époque, que l'accord sur l'augmentation des prix en Allemagne à compter du 1er janvier 1992. De même, le fait qu'un tel accord a été conclu lors de la réunion du 10 décembre 1991 et non pas lors de celle du 9 ou du 10 octobre 1991 n'est pas de nature à invalider la conclusion que la Commission a tirée de cette succession de réunions et selon laquelle l'entente danoise, à laquelle participait la requérante à ce moment-là, a été complétée, à un certain moment en automne 1991, par un accord sur l'augmentation des prix bruts sur le marché allemand. Par ailleurs, il n'est pas contesté que cet accord qui a, en tout état de cause, été conclu, au plus tard, en décembre 1991, faisait déjà l'objet de discussion lors de la réunion du 9 ou du 10 octobre 1991.

49. En troisième lieu, il apparaît que la Commission a dûment établi que la requérante était partie, à la fin de l'année 1993, à un accord portant sur la répartition du marché allemand.

50. À ce sujet, il convient d'observer qu'ABB a reconnu que, à la suite d'un audit établissant les recettes de chaque producteur en 1992, les producteurs sont parvenus, le 18 août 1993, à un accord sur la répartition du marché allemand conformément aux parts obtenues en 1992, sur la préparation d'un nouveau barème uniforme et sur l'élaboration ultérieure d'un système de sanctions (réponse d'ABB). D'après ABB, une négociation sur l'attribution des parts de marché s'est poursuivie lors des réunions tenues, le 8 ou le 9 septembre 1993, à Copenhague et, par la suite, à Francfort (réponse d'ABB).

51. Or, force est de constater que, en ce qui concerne l'audit établissant les recettes de 1992, l'exposé d'ABB correspond aux conclusions qui doivent être tirées d'une note d'ABB IC Moller du 19 août 1993 (annexe 53 de la communication des griefs), présentant un tableau qui mentionne, pour les producteurs danois ainsi que pour Pan-Isovit et Henss/Isoplus, le chiffre d'affaires et la part de marché pour 1992 ainsi qu'un chiffre représentant la part de marché prévue pour 1994. Selon ABB, les données sur les chiffres d'affaires et les parts de marché des entreprises concernées auraient été fournies par un cabinet d'audit suisse (réponse d'ABB du 4 juin 1996). Or, la requérante, à la page 36 de ses observations sur la communication des griefs, a reconnu l'existence d'un audit des ventes effectué par un cabinet d'audit suisse. En ce qui concerne l'objet de cet audit, la crédibilité de l'explication donnée par ABB ne peut être mise en cause par l'affirmation de la requérante selon laquelle cette dernière aurait seulement demandé un audit des ventes de son distributeur en Allemagne afin de fournir des données fiables concernant la taille totale du marché allemand. En effet, il est difficilement envisageable qu'une entreprise collabore avec une société d'audit à laquelle elle procure ses chiffres de ventes dans le seul but de pouvoir, ensuite, déterminer sa propre part de marché par rapport au marché global, alors que les autres entreprises ayant accepté le même audit entendent que leur soient communiquées l'ensemble des informations relatives aux parts de marché.

52. Ensuite, en ce qui concerne la conclusion d'un accord de principe sur la répartition du marché, la thèse d'ABB, figurant dans sa réponse, selon laquelle les entreprises s'étaient accordées, en août 1993, sur le partage du marché allemand, même si les parts de marché exactes de chaque participant faisaient encore l'objet d'une négociation qui se poursuivait d'une réunion à l'autre, est confirmée non seulement par les indications des parts de marché pour 1994 dans la note d'ABB IC Moller, susvisée, mais également par une note du 18 août 1993 provenant de Pan-Isovit (annexe 52 de la communication des griefs) et par la proposition d'ABB, qui démontrent, dans leur ensemble, que, en août et en septembre 1993, une négociation se poursuivait sur une attribution des parts de marché en Allemagne.

53. D'une part, l'existence d'une telle négociation est confirmée par la note du 18 août 1993 susvisée, établie par Pan-Isovit pour sa société-mère et relative à une visite effectuée chez la requérante, le 3 août 1993, dont il ressort que Pan-Isovit a été informée de ce que la requérante était "en principe intéressée par des accords sur les prix mais uniquement si [sa] part de marché [...] [était] adéquate" et du fait qu'elle "s'efforç[ait], en accord avec ABB, de mettre Tarco sous contrôle au Danemark et en Allemagne".

54. D'autre part, il est confirmé par la proposition d'ABB que, en ce qui concerne la répartition du marché, il ne restait à discuter, en septembre 1993, que du montant des quotas individuels. À cet égard, il convient d'observer que la proposition d'ABB, portant sur un système de partage du marché allemand basé sur l'audit concernant les recettes, sur des paiements à effectuer en cas de dépassement des quotas attribués et sur un barème de prix commun, a été reçue par la requérante, selon les observations de cette dernière à la communication des griefs, en septembre 1993 et était soutenue par Pan-Isovit et Henss/Isoplus. En ce qui concerne les parts de marché, il y a lieu d'observer que les pourcentages cités dans cette proposition correspondent aux chiffres figurant dans la note d'ABB IC Moller, susvisée ("26" pour Pan-Isovit, "25" pour ABB Isolrohr, "12" pour la requérante, "4" pour Dansk Rörindustri/Starpipe), sauf pour Tarco et Henss/Isoplus, auxquelles sont attribués, dans ce dernier document, respectivement, "17" et "16" tandis que la proposition d'ABB mentionne "17,7 %" et "15,3 %". Or, en ce qui concerne l'augmentation de la part de Tarco, il convient de noter qu'il est déclaré par ABB, dans sa réponse, que les chiffres pour 1994 figurant dans la note d'ABB IC Moller "reflètent l'accord conclu lors de la réunion du 18 août [1993] en vertu duquel ces parts de marché seraient maintenues pour 1994, avec de légers ajustements à la suite des discussions lors de cette réunion" et que, lors de la réunion du 8 ou du 9 septembre 1993, "l'objet de la réunion semble avoir été la poursuite de la négociation des allocations de parts de marché à la suite du rapport du [cabinet d'audit suisse]: Tarco a apparemment insisté pour se voir attribuer 18 % du marché allemand". Eu égard à la concordance entre les déclarations d'ABB, d'une part, et l'augmentation de la part de Tarco proposée par ABB, Pan-Isovit et Henss/Isoplus en septembre 1993 par rapport à la part mentionnée en août 1993 dans la note d'ABB IC Moller, d'autre part, il y a lieu de conclure que, au terme des réunions tenues aux mois d'août et de septembre 1993, il existait un accord visant à se répartir le marché allemand, même si la discussion sur les quotas se poursuivait encore.

55. L'argument de la requérante selon lequel elle n'aurait pas accepté le système dans les termes contenus dans la proposition d'ABB est sans pertinence. En effet, la succession de réunions lors desquelles les entreprises se sont rencontrées pour discuter de la répartition des parts de marché n'aurait pas été possible s'il n'y avait pas eu, à l'époque, une volonté commune, parmi les participants à ces réunions, de restreindre les ventes sur le marché allemand par la voie d'une attribution de parts de marché à chaque opérateur.

56. Or, il est de jurisprudence constante que, pour qu'il y ait accord, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée (voir, par exemple, arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41-69, Rec. p. 661, point 112, du 29 octobre 1980, Van Landewyck/Commission, 209-78 à 215-78 et 218-78, Rec. p. 3125, point 86, arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 130; arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T-1-89, Rec. p. II-867, point 120).

57. Dans ces circonstances, la Commission a correctement déduit de la continuation de réunions sur l'attribution des parts de marché, en août et en septembre 1993, l'existence d'un accord entre les participants à ces réunions portant, au moins, sur le principe d'une répartition du marché allemand.

58. Il est vrai que la Commission n'a pas établi qu'un tel accord de principe a existé en ce qui concerne le système de paiements à effectuer en cas de dépassement des quotas attribués et en ce qui concerne le barème de prix commun. Toutefois, cela ne saurait invalider les conclusions de la décision, étant donné qu'il ressort de son considérant 137, troisième alinéa, que la Commission n'a retenu comme accord au sens de l'article 85 du traité, en août 1993, que l'accord sur le régime de quotas en termes de parts de marché.

59. Quant à la participation de la requérante à un tel accord de principe sur la répartition du marché allemand, il convient d'observer que, en ce qui concerne les réunions des 30 juin et 18 ou 19 août 1993, dont elle prétend n'avoir aucun souvenir, sa présence est attestée par ABB dans sa réponse tandis que, en ce qui concerne la réunion du 8 ou du 9 septembre 1993, elle a, elle-même, reconnu y avoir été présente.

60. À cet égard, il y a lieu de relever que, même si la requérante n'a pas été présente lors des réunions des 30 juin et 18 ou 19 août 1993, il ressort du dossier qu'elle était, néanmoins, impliquée dans la négociation dans le cadre duquel ces deux réunions se situaient. D'une part, en effet, il y a lieu de constater que la requérante, en donnant son acceptation, durant l'été de 1993, à un audit de ses ventes sur le marché allemand s'est conformée à la décision prise à cet égard lors de la réunion du 30 juin 1993. D'autre part, la requérante a reconnu que, lors d'une réunion avec ABB, en juin 1993, la répartition du marché allemand faisait l'objet d'une discussion au cours de laquelle elle a affirmé ne pas vouloir accepter une division dudit marché entre les entreprises allemandes, d'une part, et les entreprises danoises, d'autre part, inférieure à un rapport de "60-40" pour ce marché (observations sur la communication des griefs). Une division selon cet axe était, en même temps, envisagée par ABB, selon la note de cette dernière du 2 juillet 1993, préparant la réunion avec la requérante (annexe 48 de la communication des griefs), dans laquelle ABB affirme que la requérante voulait, en fait, une part de marché supérieure. Or, il ressort de ce dernier document ainsi que de la note de Pan-Isovit du 18 août 1993 que, même si, avant la réunion du 18 ou 19 août 1993, il n'y avait pas encore d'accord sur la répartition du marché allemand, la requérante faisait partie des entreprises qui cherchaient à en trouver un.

61. Dans ces circonstances, la requérante ne saurait échapper à sa responsabilité pour l'accord de principe sur la répartition du marché allemand en soutenant qu'elle aurait déclaré, lors de la réunion du 8 ou 9 septembre 1993, qu'elle ne souhaitait conclure aucun accord en Allemagne et qu'elle aurait refusé d'accepter, lors d'une réunion le 29 septembre 1993, la proposition d'ABB.

62. À cet égard, force est de constater que la position de la requérante au cours des réunions du 8 ou 9 et du 29 septembre 1993 n'a pas constitué une distanciation publique vis-à-vis de l'accord de principe sur la répartition du marché allemand qui a fait l'objet des négociations d'août et de septembre 1993. Il est vrai que, si, à la fin, l'accord sur la répartition du marché allemand n'a pas abouti à un accord écrit et a, consécutivement, entièrement échoué, cela est dû, principalement, au comportement de la requérante, ainsi que l'a reconnu ABB dans sa réponse. Néanmoins, dans la mesure où il existait, à un certain moment, un consensus sur le principe de la répartition du marché allemand, la requérante n'a pas suffisamment établi que, à ce moment-là, elle a pris une position qui aurait fait clairement savoir aux autres participants à la négociation qu'elle prenait ses distances vis-à-vis du principe d'une telle répartition. En effet, il résulte de l'ensemble des pièces, décrites aux points 52 à 54 ci-dessus, que, au cours des mois d'août et de septembre, d'autres participants, comme Pan-Isovit et ABB, n'ont pas compris la position prise par la requérante comme étant une distanciation vis-à-vis du principe d'une répartition du marché.

63. Or, en participant aux négociations qui ont eu lieu en août et en septembre 1993, notamment par sa présence à la réunion du 8 ou 9 septembre 1993, sans se distancier publiquement du contenu de celle-ci, la requérante a donné à penser aux autres participants qu'elle souscrivait aux résultats de la réunion et qu'elle s'y conformerait, de telle manière qu'il peut être considéré comme établi qu'elle a participé à l'accord résultant de ladite réunion (voir la jurisprudence citée au point 39 ci-dessus).

64. Étant donné que la Commission ne reproche pas à la requérante d'avoir souscrit à un accord, au sens de l'article 85 du traité, sur un système de paiements compensatoires et un barème de prix commun et ne soutient pas non plus que l'accord sur la répartition du marché allemand a été effectivement mis en pratique, il est vain, pour la requérante, de s'appuyer sur le fait qu'elle s'est opposée à la conclusion d'un accord écrit sur les paiements compensatoires et sur le barème de prix commun ainsi que sur la circonstance selon laquelle l'accord sur la répartition du marché n'a pas été mis en œuvre.

65. Il résulte de ce qui précède que, en ce qui concerne la période allant de novembre 1990 à septembre 1993, la Commission a établi à suffisance de droit la participation de la requérante aux accords sur l'augmentation des prix en dehors du Danemark en 1990, sur l'augmentation des prix en Allemagne à compter du 1er janvier 1992, sur la fixation des prix et le partage des projets en Italie et sur le régime de quotas en termes de parts de marché en août 1993.

66. Dès lors, les arguments de la requérante en ce qui concerne sa participation à des activités anticoncurrentielles, en dehors du marché danois, pour la période 1990-1993, doivent être rejetés.

2. Sur la suspension de la participation à l'entente en 1993 et la participation à l'entente à partir de 1994

- Arguments des parties

67. La requérante soutient qu'elle a quitté l'entente en avril 1993. Dès lors, la Commission affirmerait à tort que, à cette époque, "la chute des prix au Danemark a été la conséquence des rapports de force au sein de l'entente et non de la suppression de celle-ci". Son retrait de l'entente serait corroboré par plusieurs mémorandums internes d'ABB, qui évoquent son comportement "contraire à l'accord" et "agressif" ainsi que la forte altération de la répartition du marché danois à cause de sa revendication d'une part de marché plus élevée.

68. En ce qui concerne l'Allemagne avant 1994 et le Danemark du mois d'avril 1993 jusqu'à l'année 1994, l'importance des frictions au sein de l'entente alors que celles-ci ont eu pour effet que la requérante a abandonné l'entente en 1993 ne saurait être diminuée. En ce qui concerne la période allant de 1993 à 1994, la Commission n'aurait pas établi le moindre parallélisme de comportement sur le marché pertinent, qui était, au contraire, caractérisé par une guerre des prix.

69. La requérante ne conteste pas qu'elle a participé à des réunions occasionnelles en 1993 et en 1994. Ainsi, elle aurait participé à une réunion avec ABB, les 5 et 6 juillet 1993, au cours de laquelle elle aurait rejeté les propositions d'ABB visant à sa réintégration dans l'entente. Toutefois, une telle participation ne saurait constituer la preuve d'un comportement parallèle ininterrompu au cours de la période contestée. La participation de certaines entreprises concernées à des réunions occasionnelles en ce qui concerne le seul marché allemand serait dénuée de pertinence dans la mesure où toutes ces entreprises, et la requérante en particulier, avaient déterminé indépendamment leur attitude sur le marché pertinent. Il ne suffirait donc pas, pour établir une pratique concertée, que des contacts aient existé, au terme desquels des entreprises ne se seraient pas mises d'accord sur une répartition du marché. En effet, la situation sur le marché pertinent au cours des années précédant l'année 1995 démontrerait clairement qu'il n'y avait pas eu de comportement parallèle.

70. En ce qui concerne l'entente européenne, la requérante admet avoir été présente à la réunion du 3 mai 1994, au cours de laquelle les prix sur le marché allemand ont été discutés, mais elle conteste avoir utilisé un quelconque barème de prix à cette époque. Ensuite, elle ne se souviendrait pas avoir participé à la réunion du 18 août 1994 à Copenhague et n'aurait participé à une réunion multilatérale pour la première fois que le 30 septembre 1994. Néanmoins, la décision indiquerait à tort qu'il y avait un accord global sur le partage du marché européen dès l'automne de 1994. Ce ne serait qu'à partir du 20 mars 1995 qu'un arrangement final portant sur ce marché a été conclu et ce n'est qu'aux alentours de cette date qu'il y aurait eu des tentatives de mise en œuvre d'un tel accord. Quant au marché allemand, la première rencontre du groupe de contact, le 7 octobre 1994, n'aurait abouti à aucun accord. La première réunion au cours de laquelle il y aurait eu une attribution de projets individuels aux participants aurait été tenue en janvier 1995. Quant au marché danois, un accord formel de partage du marché ne serait même pas encore entré en vigueur en mars 1995.

71. Selon la défenderesse, la requérante n'a pas quitté l'entente en avril 1993. Tout au long de la durée de l'infraction, elle aurait continué à assister aux réunions régulières. En fait, toutes les menaces qu'elle a proférées auraient été destinées à se faire reconnaître un quota plus important par ABB. En plus, elle aurait assisté aux réunions d'août et de septembre 1993 et aurait accepté, au cours de l'automne de 1993 ou au début de 1994, de contribuer au salaire de la personne recrutée chez Powerpipe, à la suite d'une demande d'ABB.

72. Il serait vain que la requérante tente de démontrer que l'entente avait été suspendue en 1993-1994 puisque la Commission, dans la décision même, reconnaîtrait que, malgré la poursuite des contacts bilatéraux entre les participants à l'entente, les divers arrangements avaient été suspendus entre la fin de l'année 1993 et le début de l'année 1994.

- Appréciation du Tribunal

73. Les arguments de la requérante doivent être compris dans ce sens que, après son prétendu retrait de l'entente, en avril 1993, ce ne serait qu'à partir de mars 1995, à la suite de la conclusion d'un accord final sur la répartition du marché européen, qu'elle aurait pris part à un accord ou à une pratique concertée au sens de l'article 85 du traité.

74. En premier lieu, il convient d'observer que, contrairement à ce que prétend la requérante, il ne saurait être tiré de l'altération de l'entente danoise, vers le mois d'avril 1993, la conclusion selon laquelle elle aurait, à cette époque, cessé de participer à des activités anticoncurrentielles dans le secteur du chauffage urbain.

75. Il suffit de constater, à cet égard, que, même si, à partir de mars ou d'avril 1993, les prix sur le marché danois ont commencé à baisser et les arrangements sur l'attribution des projets n'étaient plus respectés, les producteurs danois ainsi que Pan-Isovit et Henss/Isoplus ont poursuivi des négociations sur la répartition du marché allemand lors des réunions du 30 juin 1993 à Copenhague, du 18 ou 19 août 1993 à Zurich et du 8 ou 9 septembre 1993 à Copenhague et à Francfort, qui ont abouti à un accord de principe, en août 1993, développé ensuite lors de réunions en septembre 1993. Ainsi que cela a été observé aux points 59 à 63 ci-dessus, la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante a participé à ces négociations, notamment par sa présence à la réunion du 8 ou 9 septembre 1993.

76. Dans ce contexte, la Commission a donc affirmé à juste titre, au considérant 37 de la décision, que, à cette époque, la chute des prix au Danemark a été la conséquence des rapports de force au sein de l'entente et non de la suppression de celle-ci.

77. En second lieu, pour ce qui concerne la période suivant l'altération de l'accord sur la répartition du marché allemand, en septembre ou octobre 1993, il convient de préciser que la Commission elle-même a reconnu, dans la décision, que, pendant une certaine période, les activités anticoncurrentielles sur le marché n'ont pas été significatives et n'ont pas pu, en tout état de cause, être démontrées.

78. En effet, la Commission a affirmé, au considérant 52 de sa décision, qu'il y a eu, à cette époque, en quelques mois, une baisse des prix de 20 % sur les principaux marchés nationaux. La Commission a observé que les producteurs ont, toutefois, continué à se réunir, même si, pendant un certain temps, les réunions multilatérales ont été remplacées par des contacts bi et trilatéraux. Selon la Commission, il semble très probable qu'ABB ait, lors de ces contacts, cherché à négocier un nouvel arrangement, afin de ramener l'"ordre" sur ces marchés (considérant 52, cinquième alinéa, de la décision). Selon la décision, la requérante s'est réunie avec ABB, les 28 janvier, 23 février et 11 mars 1994, ainsi qu'avec Tarco, les 8 janvier et 19 mars 1994 (considérant 52, sixième et septième alinéas). Néanmoins, en ce qui concerne cette série de réunions, aucun renseignement ne serait disponible, hormis l'affirmation de la requérante selon laquelle Tarco lui avait, sans succès, réclamé une compensation comme préalable aux "négociations de paix" (considérant 52, septième alinéa, de la décision).

79. Ensuite, la Commission a relevé, au considérant 53 de sa décision, que les réunions entre les six producteurs ont repris les 7 mars, 15 avril et 3 mai 1994. Au cours des réunions de mars et d'avril, les discussions auraient notamment porté sur des augmentations de prix, mais elles ne semblent pas avoir abouti. Néanmoins, après la réunion du 3 mai 1994, à laquelle ont participé la requérante, ABB, Henss et Pan-Isovit, un barème de prix aurait été établi qui devait servir de base pour l'ensemble des livraisons sur le marché allemand (considérant 54, premier alinéa, de la décision). Selon la Commission, il est probable que, lors d'une réunion entre les six plus grandes entreprises et Brugg, le 18 août 1994, il a été convenu d'élaborer un nouveau barème commun et de limiter les rabais à un certain niveau (considérant 56, troisième alinéa, de la décision).

80. Il en résulte que, en ce qui concerne la période débutant après septembre ou octobre 1993, la Commission a reconnu que, même si les contacts entre les entreprises se sont poursuivis, il n'y a pas de preuve d'un accord ou pratique concertée au sens de l'article 85 du traité jusqu'à la négociation sur une augmentation des prix pour le marché allemand. Quant à cette dernière négociation, il est reconnu, dans la décision, qu'elle n'a abouti à un accord qu'à la suite de la réunion du 3 mai 1994.

81. De même, la Commission a considéré, dans la partie de la décision relative à l'appréciation juridique des faits, qu'il y a eu une "suspension" des arrangements de l'entente. D'abord, lors de l'appréciation de la nature de l'infraction en l'espèce, la Commission a reconnu que, même s'il y avait une continuité entre les ententes danoise et européenne de sorte qu'il s'agissait d'une infraction unique et continue, les arrangements ont été suspendus pendant une courte période (considérant 145, troisième alinéa, de la décision). Plus précisément, la Commission a mentionné, à cet égard, au considérant 141, troisième alinéa, de la décision, que, en ce qui concerne la période allant de septembre 1993 à mars 1994, "[t]oute interruption pouvait être considérée comme une suspension des arrangements et relations habituels: les producteurs n'ont pas tardé à reconnaître qu'une lutte de pouvoir prolongée était contraire à leurs intérêts et à retourner à la table des négociations". Également lors de l'appréciation de la durée de l'infraction, la Commission a constaté que "[p]endant les six mois qui se sont écoulés entre octobre 1993 et mars 1994, on peut considérer que les arrangements ont été suspendus, même si (au dire d'ABB) les réunions bilatérales et trilatérales se sont poursuivies" et que "[d]ès le mois de mai 1994, la collusion était rétablie en Allemagne avec l'application du barème pour toute l'Europe" (considérant 152, premier alinéa, de la décision).

82. Dans ce contexte, la requérante ne saurait prétendre que la Commission lui a reproché, dans sa décision, d'avoir participé à une activité anticoncurrentielle pour la période suivant son refus de signer l'accord sur la répartition du marché allemand, à savoir depuis septembre-octobre 1993, jusqu'à mars 1994.

83. Puis, en ce qui concerne la reprise de l'entente, il convient d'observer que c'est à juste titre que la Commission a constaté que la requérante a participé à un accord sur un barème de prix pour le marché allemand, à la suite de la réunion tenue le 3 mai 1994 et, ensuite, dès l'automne 1994, à un accord sur un régime de quotas pour le marché européen.

84. D'abord, en ce qui concerne le barème de prix sur le marché allemand, il convient d'observer que, selon la réponse d'ABB, il existait un barème de prix qui, à la suite d'une réunion du 3 mai 1994 à Hanovre, devait être utilisé pour toutes les livraisons aux fournisseurs allemands. Cela est confirmé par la lettre du 10 juin 1994 par laquelle M. Henss et les directeurs de la requérante, d'ABB, de Dansk Rörindustri, de Pan-Isovit et de Tarco ont été invités par le coordinateur de l'entente à une réunion devant se tenir le 18 août 1994 (annexe 56 de la communication des griefs) et qui énonce:

"La réunion sur la situation du marché en RFA est maintenant fixée à la date suivante:

Jeudi 18 août 1994 à 11 heures [...]

Étant donné que la liste du 9 mai 1994 est incomplète en ce qui concerne certains postes et que, de ce fait, les comparaisons d'offres ont entraîné des confrontations et des différences d'interprétation importantes, je me permets de compléter les postes manquants par la liste ci-jointe."

85. Or, il ressort de cette lettre qu'il existait une liste de prix devant être appliqués lors des soumissions d'offres et dont la mise en œuvre avait déjà débuté, quoique de manière problématique. L'existence d'une telle liste est confirmée par Tarco, dans sa seconde réponse, datée du 31 mai 1996, à la demande de renseignement du 13 mars 1996, qui mentionne une liste de prix communiquée par le coordinateur de l'entente aux directeurs "probablement en mai 1994". Selon la réponse d'ABB, des mesures visant à "améliorer" le niveau de prix en Allemagne ont été discutées, ensuite, lors de la réunion du 18 août 1994 à Copenhague.

86. Quant à la participation de la requérante à cet accord sur un barème commun de prix, il convient d'observer que celle-ci reconnaît qu'elle était présente lors de la réunion du 3 mai 1994, au cours de laquelle la situation des prix sur le marché allemand a été discutée, et que, par la suite, un barème de prix lui a effectivement été envoyé. Par ailleurs, il doit être considéré comme établi que la requérante a participé à la réunion du 18 août 1994, même si elle prétend, devant le Tribunal, que son directeur de ventes avait eu l'intention d'y assister mais qu'il ne l'a finalement pas fait. En effet, force est de constater que la présence d'un représentant de la requérante à cette réunion a été confirmée non seulement par la requérante elle-même, à travers le tableau des voyages professionnels effectués par son directeur de ventes annexé à sa réponse du 25 avril 1996 à la demande de renseignements du 13 mars 1996, mais également par la réponse d'ABB et par Brugg (tableau figurant en annexe 2 de la réponse de Brugg du 9 août 1996 à la demande de renseignements). Or, eu égard à la lettre d'invitation pour la réunion du 18 août 1994, destinée à la requérante et mentionnant la liste de prix ayant été envoyée à celle-ci, la Commission a correctement déduit sa participation à l'accord sur le barème de prix de sa présence aux réunions des 3 mai et 18 août 1994.

87. Il convient de rappeler, à cet égard, que la requérante ne saurait invoquer le fait qu'elle n'a jamais appliqué un tel accord, étant donné que le seul fait qu'une entreprise, participant avec d'autres à des réunions au cours desquelles sont prises des décisions en matière de prix, ne respecte pas les prix fixés n'est pas de nature à infirmer l'objet anticoncurrentiel de ces réunions et, dès lors, la participation de l'entreprise intéressée à l'entente, mais tendrait, tout au plus, à démontrer qu'elle n'a pas mis en œuvre les accords en question (voir la jurisprudence précitée au point 47).

88. Ensuite, en ce qui concerne l'accord sur la répartition du marché européen, il convient de préciser que la requérante reconnaît que, lors de la réunion du 30 septembre, puis, lors d'autres réunions, les 12 octobre et 16 novembre 1994, une discussion a porté sur la répartition du marché européen, mais elle soutient qu'un accord n'a été trouvé qu'en mars 1995.

89. À cet égard, il y a lieu d'observer que la Commission a établi à suffisance de droit son affirmation selon laquelle, lors de la réunion du 30 septembre 1994, un accord de principe concernant l'instauration d'un régime de quotas globaux pour le marché européen a été conclu, des chiffres précis devant être fixés pour chaque marché national et leur mise en œuvre confiée, à un échelon inférieur, à des réunions des groupes de contact (considérant 59, quatrième alinéa, de la décision).

90. En effet, il convient de constater, d'abord, qu'ABB a reconnu, dans sa réponse, que le principe d'une répartition globale du marché européen a déjà été décidé lors de la réunion de septembre 1994, la répartition des parts individuelles ayant été décidée ultérieurement, lors de la réunion du 16 novembre 1994. Ensuite, en ce qui concerne la réunion du 30 septembre 1994, la requérante a reconnu, tout en soutenant qu'aucun accord n'y a été conclu et que celui-ci nécessitait la participation de Brugg et d'un autre producteur européen, KWH, qu'il existait un consensus pour continuer la procédure, qu'il y a été convenu que la requérante réfléchisse à la proposition d'ABB, qu'ABB visiterait toutes les entreprises, y compris KWH et Brugg, afin d'élaborer la solution finale et que les parts de marché seraient déterminées si, et au moment où, ABB parvenait à intégrer avec succès KWH dans l'accord. Or, il y a lieu de constater que cette affirmation de la requérante ne peut valoir réfutation de la conclusion que la Commission a tirée de la réponse d'ABB, selon laquelle les participants à la réunion du 30 septembre 1994 s'étaient mis d'accord sur le principe de la répartition du marché européen. En effet, en confiant à ABB la charge d'élaborer un accord avec toutes les entreprises impliquées, les participants à cette réunion ont démontré leur volonté commune de coordonner leur comportement sur le marché par une attribution de parts de marché à chaque opérateur, même si la fixation des parts de chacun était conditionnée par l'éventuelle attribution de parts de marché à Brugg et à KWH.

91. Par conséquent, la Commission était en droit d'affirmer que l'accord sur la répartition du marché européen a été conclu, dans son principe, lors de la réunion du 30 septembre 1994, même si la fixation des parts individuelles ne devait être décidée que plus tard. À cet égard, il convient encore d'observer que, en tout état de cause, la date du 20 mars 1995 ne saurait être retenue comme la date à laquelle l'attribution des parts du marché européen faisait, pour la première fois, l'objet d'un accord commun, étant donné que, d'après les déclarations concordantes d'ABB, dans sa réponse, et de Pan-Isovit (réponse de cette dernière du 17 juin 1996 à la demande de renseignements), un tel accord a été conclu lors de la réunion du 16 novembre 1994.

92. Il y a lieu d'observer, in fine, que, étant donné que la participation de la requérante à l'accord global de répartition du marché européen est établie par sa présence lors des réunions des 30 septembre, 12 octobre et 16 novembre 1994, il est inopérant de prétendre que cet accord n'a été mis en œuvre sur les divers marchés nationaux qu'ultérieurement, à la suite de la conclusion d'accords au sein des groupes de contact nationaux.

93. Il découle de ce qui précède que les arguments de la requérante doivent être rejetés dans la mesure où ils visent à contester le constat formulé dans la décision concernant la suspension de la participation de la requérante à l'entente à la fin de l'année 1993 et la reprise de sa participation à celle-ci à partir du début de l'année 1994.

94. Toutefois, il convient encore d'examiner la position de la requérante dans la mesure où elle conteste également l'appréciation de la durée et du caractère continu de l'infraction.

3. Sur la durée et le caractère continu de l'infraction reprochée à la requérante

- Arguments des parties

95. La requérante fait observer que, étant donné qu'il était question de deux ententes séparées, elle n'aurait pas pris part à une infraction à l'article 85 du traité au cours d'une période continue, "à partir de novembre-décembre 1990, et au moins jusqu'en mars ou avril 1996", soit pendant au total 5 ans et 5 mois. En revanche, il faudrait plutôt retenir une durée de 2 ans et 3 mois en ce qui concerne l'entente danoise initiale et, en ce qui concerne l'entente européenne postérieure, selon les pays, de 4 mois à 16 ou 18 mois au maximum, dans le cas de l'Allemagne.

96. Dans la mesure où la défenderesse soutient qu'elle a tenu compte du fait que "les arrangements, au départ, étaient incomplets et ont eu un effet limité en dehors du marché danois", il y aurait lieu de relever qu'une infraction définie moins extensivement aurait dû entraîner une appréciation moindre de la gravité de celle-ci plutôt qu'une réduction de sa durée.

97. La défenderesse fait observer que l'entente a bien constitué une infraction globale plutôt qu'une série d'arrangements multiples mais distincts, qui aurait duré jusqu'au printemps de 1996 et non jusqu'à l'automne de 1995 et aurait été, vers la fin, encore plus virulente qu'auparavant.

- Appréciation du Tribunal

98. Selon l'article 1er, deuxième alinéa, de la décision, la durée de l'infraction reprochée à la requérante s'étend "plus ou moins à partir de novembre-décembre 1990, et au moins jusqu'en mars ou avril 1996".

99. De plus, au considérant 153, quatrième alinéa, de la décision, la Commission "estime devoir conclure que la durée de la participation des diverses entreprises à l'infraction a été la suivante: a) ABB, [la requérante], Tarco et [Dansk Rörindustri]: début vers le mois de novembre 1990, puis extension progressive à toute la Communauté et maintien au moins jusqu'en mars ou avril 1996, en retranchant une période maximale de six mois, d'octobre 1993 à mars 1994 environ, pendant laquelle les arrangements ont été suspendus".

100. Il y a lieu d'estimer que la Commission a correctement calculé la durée de l'infraction reprochée à la requérante.

101. En premier lieu, il ne saurait être contesté que la participation de la requérante a débuté en "novembre-décembre 1990", sur le marché danois, et que cette dernière n'a mis fin à sa participation à l'entente européenne qu'"en mars ou avril 1996". D'une part, il a été établi, aux points 42 à 45 ci-dessus, que la requérante a pris part, en novembre 1990, aux augmentations de prix concertées lors d'une réunion le 22 novembre 1990. D'autre part, en ce qui concerne la fin de sa participation à l'entente, il suffit de constater que la requérante reconnaît avoir encore participé à une réunion du club des directeurs, le 4 mars 1996, et aux réunions du groupe de contact allemand jusqu'au 25 mars 1996.

102. En second lieu, c'est à tort que la requérante soutient que la Commission aurait dû constater l'existence de deux ententes séparées et aurait dû tenir compte du fait que sa participation à l'entente danoise aurait cessé en avril 1993 et que sa participation à l'entente européenne n'aurait commencé qu'à partir de mars 1995. En effet, il a été constaté, aux points 50 à 65 et 84 à 88 ci-dessus, que la requérante a encore pris part à un accord de principe sur la répartition du marché allemand en août ou en septembre 1993 et a participé, ensuite, à partir de mai 1994, à l'accord sur le barème commun de prix en Allemagne. Or, il ressort du considérant 153 de la décision que la Commission a précisément tenu compte, lors de l'appréciation de la durée de l'infraction reprochée à la requérante, de la suspension des arrangements de l'entente pendant une période allant d'octobre 1993 à mars 1994 environ.

103. Par ailleurs, la prise en compte par la Commission d'une période de suspension de l'entente est confirmée dans le cadre du calcul de l'amende imposée à la requérante. En effet, il ressort du considérant 175, troisième alinéa, de la décision que la durée retenue lors de la détermination de l'amende est identique à celle retenue pour ABB. Or, en ce qui concerne cette dernière, il est précisé, au considérant 170 de la décision, que le fait que les arrangements ont été suspendus "entre la fin de 1993 et le début de 1994" fait partie, ajouté aux circonstances selon lesquelles les arrangements ont été, au début, incomplets et ont eu un effet limité en dehors du marché danois et au fait que les arrangements n'ont atteint leur forme la plus achevée qu'avec l'entente européenne constituée en 1994-1995, des facteurs dont la Commission a tenu compte pour fixer à 1,4 le facteur de majoration de l'amende pour une infraction qui a duré plus de cinq ans.

104. Il convient d'observer, à cet égard, que le fait que la reprise de la participation de la requérante à l'entente doit être située en mai 1994 alors que la décision n'a tenu compte d'une suspension que jusqu'au mois de "mars 1994 environ" n'est pas de nature à invalider l'appréciation de la durée de l'infraction par la Commission, étant donné qu'il ressort du considérant 170 de la décision que, en tout état de cause, la suspension de l'entente pendant un certain nombre de mois n'a été qu'un facteur parmi d'autres pour déterminer les conséquences de la durée de l'infraction à retenir lors du calcul de l'amende, de sorte que lesdites conséquences n'ont pas dépendu du nombre précis de mois pendant lesquels les arrangements de l'entente ont été suspendus.

105. Eu égard au fait que la suspension des activités de l'entente a été prise en compte, dans l'appréciation de la durée de l'entente, la requérante ne saurait non plus tirer argument du fait que la Commission a qualifié l'entente en cause d'infraction unique et continue.

106. En effet, il convient d'observer que la Commission, dans la mesure où elle a qualifié l'entente en cause d'infraction unique et continue, a rejeté l'argument avancé au cours de la procédure administrative, notamment par la requérante, selon lequel les ententes "danoise" et "européenne" auraient constitué deux infractions totalement distinctes et indépendantes l'une de l'autre. Dans ce contexte, la Commission a souligné qu'il a existé, dès le départ de l'entente au Danemark, un objectif à plus long terme visant à étendre le contrôle à tout le marché (considérant 140, troisième alinéa, de la décision), que, pour la période de septembre 1993 à mars 1994, toute interruption pouvait être considérée comme une suspension des arrangements et relations habituels (considérant 141, troisième alinéa, de la décision) et qu'il y avait une continuité évidente en termes de méthodes et de pratiques entre le nouvel accord conclu à la fin de 1994 pour tout le marché européen et les arrangements antérieurs (considérant 142, premier alinéa, de la décision).

107. Il s'ensuit que la Commission, en considérant, dans sa décision, que l'entente européenne construite à partir de la fin de 1994 n'a été qu'une continuation de l'entente antérieure entre les producteurs sur le marché du chauffage urbain, n'a pas retenu, à l'égard de la requérante, une participation ininterrompue à une entente pour toute la période allant de novembre 1990 à mars 1996. Cette interprétation s'impose d'autant plus que la Commission a reconnu expressément que, "s'il s'agit bien d'une infraction unique et continue, son intensité et ses effets ont varié dans le temps sur toute la période en cause: elle s'est progressivement étendue (en dépit d'une courte période pendant laquelle les arrangements ont été suspendus), des arrangements affectant tout d'abord le Danemark en 1991 à d'autres marchés, jusqu'à constituer, vers 1994, une entente paneuropéenne couvrant la quasi-totalité des échanges du produit en cause" (considérant 145, troisième alinéa, de la décision).

108. Par conséquent, les arguments de la requérante concernant la durée et le caractère continu de l'infraction doivent être rejetés.

109. Dès lors, le grief concernant l'existence d'une entente continue à partir de 1990 jusqu'à 1996 doit être rejeté dans son ensemble.

C - Sur la participation à l'entente européenne en ce qui concerne le marché italien

1. Arguments des parties

110. La requérante reproche à la Commission d'avoir, à son égard, erronément pris en considération le marché italien, sur lequel elle n'était pas présente. Elle ne pourrait être tenue pour responsable des infractions commises, sur ce marché, par son distributeur local, Socologstor, étant donné qu'elle ne détiendrait qu'une participation de 49 % dans ce dernier.

111. À cet égard, il n'y aurait pas de raison de traiter la situation de Socologstor différemment de celle de KE KELIT Kunststoffwerk GmbH (ci-après "KE KELIT"), qui aurait également été distributeur de ses produits, mais à qui aurait été infligée une amende autonome. Même si la présence de la requérante à des réunions concernant le marché italien pouvait constituer une infraction aux règles de la concurrence, la Commission n'aurait pas démontré que la requérante a eu la possibilité d'imposer sa volonté à Socologstor afin de réaliser une quelconque restriction de la concurrence.

112. La défenderesse se réfère aux preuves relatives à l'attribution de quotas pour l'Italie à tous les producteurs, y inclus la requérante, ainsi qu'à la présence de celle-ci lors d'une réunion du groupe de contact pour l'Italie et lors d'une autre réunion concernant ce même pays, le 9 juin 1995. La requérante n'aurait pas pris la peine d'y assister si elle n'avait eu aucun intérêt réel en Italie. En outre, le fait que la Commission aurait eu la possibilité d'engager une procédure directement contre Socologstor ne saurait innocenter la requérante des actions commises par l'entente en Italie.

2. Appréciation du Tribunal

113. Il convient de constater que la requérante ne conteste pas avoir participé à la première réunion du groupe de contact pour l'Italie, le 21 mars 1995 à Milan, ainsi qu'à une autre réunion sur l'Italie, le 9 juin 1995 à Zurich.

114. Par ailleurs, il ressort de certaines notes obtenues par la Commission auprès des entreprises en cause que, en ce qui concerne le marché italien, la requérante était impliquée dans l'attribution de quotas et de projets (annexes 64, 111 et 188 de la communication des griefs), ce qui est encore confirmé par Pan-Isovit (réponse de cette dernière du 17 juin 1996 à la demande de renseignements).

115. Par conséquent, il y a lieu d'estimer que la Commission disposait de suffisamment d'éléments pour retenir que la participation de la requérante à l'entente européenne s'étendait également au marché italien, sans qu'il y ait besoin d'apprécier dans quelle mesure la requérante aurait pu contrôler le comportement de son distributeur sur ce marché.

116. Le grief avancé par la requérante doit donc être rejeté.

D - Sur la coopération relative aux normes de qualité

1. Arguments des parties

117. La requérante affirme qu'elle n'a pas participé à l'infraction reprochée aux producteurs de conduites consistant à utiliser les normes de qualité pour maintenir les prix à un certain niveau et pour retarder l'introduction de nouvelles technologies plus économiques. Au contraire, elle aurait été la victime d'un tel comportement, dirigé en premier lieu contre la technologie développée par elle.

118. À cet égard, la défenderesse soutiendrait à tort qu'une telle infraction ne fait pas partie du comportement sanctionné par la décision. En effet, bien qu'une telle infraction n'ait pas été incluse dans les "caractéristiques principales" de l'infraction, la décision énoncerait, dans son considérant 2, que ce comportement constitue une infraction séparée, imputée notamment à la requérante. Or, l'article 1er de la décision invoquerait explicitement la motivation développée par ailleurs dans la décision pour définir l'infraction en cause.

119. La défenderesse fait observer que la décision ne mentionne pas l'utilisation des normes de qualité, dans l'article 1er du dispositif, parmi les caractéristiques principales de l'infraction. La question de savoir si la requérante, en ayant une technologie plus efficace, a été victime de la coopération en ce qui concerne les normes de qualité serait à examiner lors de l'appréciation des circonstances atténuantes prises en compte pour la détermination du montant de l'amende.

2. Appréciation du Tribunal

120. Il y a lieu de constater que l'utilisation de normes de qualité afin de maintenir un certain niveau de prix et de retarder l'introduction de nouvelles technologies plus économiques est mentionnée parmi les caractéristiques de l'infraction en cause telles que citées au considérant 2 de la décision. Dans la suite de la décision, la Commission évoque, aux considérants 113 à 115, en examinant le rôle de l'association professionnelle "European District Heating Pipe Manufacturers Association" (ci-après l'"EuHP") dans l'entente, l'intention d'ABB d'utiliser les normes de qualité comme moyen de s'opposer à l'exploitation par la requérante d'un processus de fabrication en continu permettant une réduction des coûts de production et, partant, des prix. En outre, il est mentionné, parmi les restrictions de concurrence générées par l'entente, au considérant 147, dernier tiret, de la décision: "exploiter les normes pour empêcher ou retarder l'arrivée de nouvelles techniques susceptibles d'entraîner des baisses de prix (les membres de l'EuHP)".

121. Toutefois, force est de constater que la coopération relative aux normes de qualité ne figure pas parmi les principales caractéristiques de l'entente citées à l'article 1er, troisième alinéa, du dispositif de la décision attaquée telle que rectifiée. Il convient d'observer, à cet égard, que la version danoise de la décision qui a été notifiée à la requérante, le 21 octobre 1998, contenait effectivement, dans son dispositif, un passage citant la coopération relative aux normes de qualité parmi les principales caractéristiques de l'entente. Or, la Commission, en ayant précisément écarté ce passage du dispositif, par décision rectificative du 6 novembre 1998, a clairement indiqué son intention de ne pas retenir cette coopération comme faisant partie de l'infraction reprochée à la requérante.

122. Même si une certaine incohérence continue d'exister dans la mesure où la coopération relative aux normes de qualité ne figure pas, dans le dispositif de la décision, parmi les caractéristiques de l'infraction en cause mais est, toutefois, décrite, à plusieurs reprises, dans ses considérants, il ne reste aucun doute, à la suite de la clarification apportée par la rectification susvisée, sur le fait que la Commission ne reproche pas à la requérante d'avoir commis une infraction à l'article 85 du traité en participant à une coopération relative aux normes de qualité.

123. Par conséquent, la requérante ne saurait contester la validité de la décision en soutenant qu'elle n'a pas participé à une telle coopération.

124. Ce grief doit donc être rejeté.

E - Sur les actions concertées contre Powerpipe

1. Arguments des parties

125. La requérante conteste chacune des affirmations la concernant, contenues dans la décision, relatives à des actions concertées vis-à-vis de Powerpipe. Bien qu'elle ait été présente à des réunions au cours desquelles des actions contre Powerpipe ont fait l'objet de discussions, elle n'aurait pas mis en œuvre la moindre action concertée contre celle-ci.

126. À titre liminaire, la requérante précise que la réunion de Billund de juillet 1992 et le recrutement du directeur général de Powerpipe, entreprise suédoise, étaient antérieurs à l'adhésion de la Suède à l'Union européenne, le 1er janvier 1995. Par conséquent, ces faits ne seraient pertinents que dans la mesure où ils ont affecté la concurrence au sein de l'Union européenne. Or, un tel effet, pour autant qu'il ait existé, aurait été minime.

127. La requérante aurait bien été présente à la réunion de Billund, réunissant ABB, Powerpipe et elle-même, au cours de laquelle ABB a donné un avertissement à Powerpipe. Néanmoins, l'objet de cette réunion aurait été de discuter d'une vente possible de Powerpipe à ABB et/ou à la requérante et cette dernière se serait retirée des négociations avec ABB au moment où celle-ci a clairement indiqué son intention de fermer et de scinder Powerpipe.

128. En ce qui concerne le recrutement du directeur général de Powerpipe, il aurait été envisagé quelque temps d'ouvrir un bureau d'influence à Bruxelles, et la proposition d'ABB d'engager cette personne en commun pour ce poste aurait semblé un bon choix. Cette question n'aurait été soulevée à nouveau que plus tard, probablement au cours de l'automne de 1993 ou au début de l'année 1994. En fait, la requérante n'aurait appris son embauche qu'au moment où ABB lui a présenté la facture des coûts liés à celle-ci. La requérante aurait compris que la personne en question souhaitait quitter Powerpipe et avait elle-même contacté ABB. Ce serait dans ce contexte qu'elle a accepté de payer une partie des coûts liés à son engagement. Elle n'aurait pas été consciente d'une quelconque campagne d'ABB visant à débaucher d'autres salariés de Powerpipe et n'y aurait pas participé.

129. Elle ne conteste pas avoir contacté Powerpipe en 1994 afin de la convaincre de se retirer du projet Neubrandenburg, après que Henss a exercé de fortes pressions à ce sujet, et avoir suggéré à Powerpipe de trouver une solution amiable avec Henss/Isoplus. Néanmoins, elle n'aurait pas menacé Powerpipe d'une quelconque manière lors de cette conversation ou lors d'une seconde conversation téléphonique.

130. En ce qui concerne le projet de Leipzig-Lippendorf, la requérante expose que, malgré le fait qu'il était convenu dans le cadre de l'entente que ce projet devait être attribué aux trois producteurs allemands, elle avait décidé de tenter de l'obtenir. Elle précise qu'elle a toutefois dû ordonner à sa filiale allemande de retirer l'offre soumise dans le cadre de ce projet pour des conduites de 20 mètres et de la remplacer par une offre pour des conduites de 18 mètres. En effet, cette première offre aurait nécessité des investissements significatifs dans sa nouvelle unité de production qui n'auraient pas pu être rentables. Ce serait par erreur que la nouvelle offre n'a jamais été soumise. Comme l'auteur du projet aurait été perturbé par le retrait de la première offre, les négociations de la requérante avec celui-ci auraient ensuite été interrompues.

131. Quant à la réunion du 24 mars 1995, la requérante fait observer que, à ce moment-là, à sa connaissance, l'auteur du projet de Leipzig-Lippendorf n'avait pas encore décidé d'attribuer celui-ci à Powerpipe. La requérante n'aurait pas été présente au cours de la première partie de cette réunion, lors de laquelle une action collective contre Powerpipe pourrait avoir été discutée. Au cours de la partie de la réunion à laquelle elle a assisté, Henss aurait insisté sur la question d'actions collectives. La requérante aurait cependant invité le consortium des trois producteurs allemands à tenter plutôt de s'aligner sur le prix de Powerpipe et lui aurait même offert de fournir des conduites, en tant que sous-traitant. Les discussions se seraient en outre concentrées sur l'incapacité technique de Powerpipe à satisfaire à l'offre, en particulier dans les délais prévus. Au cours de la réunion, la requérante aurait suggéré à ABB d'expliquer à l'auteur du projet le préjudice déjà occasionné à l'image du chauffage urbain en général par le choix, lors du projet de Turin, d'un fournisseur insuffisamment qualifié. Les démarches entreprises par ABB auprès de l'auteur du projet n'auraient pas eu de succès, puisque le consortium n'aurait pas souhaité s'aligner sur le prix de Powerpipe. Ce ne serait qu'en avril 1995 que la requérante aurait appris que Powerpipe avait remporté le marché.

132. La requérante n'aurait mis en œuvre aucun accord contre Powerpipe. À sa connaissance, cela aurait été également le cas pour les autres producteurs, à l'exception d'ABB et d'Isoplus. Ces deux dernières entreprises auraient insisté, lors d'une réunion de l'EuHP, le 5 mai 1995, pour qu'une action concertée soit entreprise contre Powerpipe afin que celle-ci ait des difficultés à s'approvisionner. Comme la requérante ne fabriquait pas les équipements réclamés par le sous-traitant du projet Leipzig-Lippendorf, elle aurait déjà été incapable de les fournir. Il n'y aurait pas eu de confirmation d'un quelconque accord dirigé contre Powerpipe lors d'une réunion tenue le 13 juin 1995.

133. S'agissant du cas de Lymatex, sous-traitant de la requérante, cette dernière ne lui aurait en aucune manière ordonné de nuire à Powerpipe. À l'époque, Lymatex aurait accumulé un grand retard dans ses livraisons de fournitures de joints à la requérante tandis que cette dernière était dans l'obligation contractuelle de s'approvisionner auprès de Lymatex pour tous ses besoins en joints en 1995. Contrairement à ce qui est dit dans la décision, au considérant 102, la requérante aurait seulement insisté pour que Lymatex respecte ses obligations contractuelles envers elle. Un projet de lettre à Powerpipe aurait été adressé à la requérante à la propre initiative de Lymatex, apparemment afin de lui montrer que Lymatex s'efforçait de résoudre ses problèmes de livraisons, et n'aurait jamais fait l'objet de commentaires de la part de la requérante.

134. En outre, le problème qu'a eu Powerpipe dans l'exécution de ses obligations contractuelles aurait été dû à son propre comportement. En ce qui concerne le projet d'Århus Kommunale Væerker (ÅKV), Powerpipe aurait accepté un contrat irréaliste, qui lui aurait imposé l'obligation, impossible à exécuter, de fournir, notamment, des joints du même type que ceux de la requérante, et ce dans un bref délai. Ce serait en raison des déficiences de Powerpipe relatives à ces livraisons que l'auteur de ce projet a finalement annulé ledit contrat. La décision d'annuler ce contrat aurait donc été prise indépendamment de la décision de Lymatex de ne plus fournir Powerpipe. Cela serait corroboré par le fait que la décision d'annuler ces livraisons de Powerpipe a été prise le 10 mai 1995, donc le même jour que celui où Lymatex a informé Powerpipe qu'elle connaissait des problèmes de livraison temporaires et ne pouvait accepter de nouvelles commandes avant septembre 1995. Les motifs de l'annulation du contrat par le client n'auraient rien eu à voir avec le comportement de la requérante.

135. Par conséquent, la requérante n'aurait joué aucun rôle dans les tentatives d'éviction de Powerpipe du marché. Le fait qu'elle ait insisté pour obtenir des livraisons de Lymatex aurait été parfaitement légitime et les prétendues conséquences de cette attitude pour Powerpipe n'auraient pas été le résultat d'un quelconque comportement illégal.

136. La défenderesse fait observer que la requérante admet avoir assisté à une longue série de réunions où des mesures contre Powerpipe ont été débattues, notamment la réunion de juillet 1992 avec ABB et Powerpipe, au cours de laquelle cette dernière aurait été "avertie". Cet aveu suffirait pour l'impliquer dans les actions concertées contre Powerpipe. De plus, la requérante n'aurait pas apporté de preuves qui mettraient en doute les constatations énoncées dans les considérants 143 et 144 de la décision selon lesquels elle a pris part, de par sa présence lors de la réunion du 24 mars 1995, à un accord visant à nuire à Powerpipe.

2. Appréciation du Tribunal

137. Il y a lieu d'observer, en premier lieu, que la requérante ne parvient pas à invalider les constatations de la Commission en ce qui concerne sa collaboration au plan visant à éliminer Powerpipe et, en particulier, en ce qui concerne le recrutement de salariés-clés de Powerpipe.

138. En effet, la requérante ne conteste pas avoir assisté à la réunion de juillet 1992 à Billund, décrite au considérant 91 de la décision. En outre, il n'est pas contesté que la requérante a conclu et mis en œuvre son accord avec ABB destiné à débaucher le directeur général de Powerpipe et à partager les coûts liés à cette embauche.

139. À cet égard, l'explication de la requérante selon laquelle l'accord sur la contribution aux coûts d'embauche n'aurait pas visé à nuire à Powerpipe ne saurait être acceptée. Eu égard à l'avertissement donné par ABB à Powerpipe, déjà lors de sa rencontre avec celle-ci en juillet 1992, en présence de la requérante, cette dernière ne pouvait ignorer que l'intention d'ABB d'engager des salariés de Powerpipe s'inscrivait dans une stratégie visant à nuire à Powerpipe. En effet, il ressort de la note d'ABB du 2 juillet 1993, destinée à préparer une réunion que celle-ci devait tenir avec la requérante, que l'engagement de ce directeur général était considéré comme une "action commune à l'égard de Powerpipe" (annexe 48 de la communication des griefs). Or, la requérante a reconnu, au cours de la procédure administrative, qu'elle savait que la nomination de la personne en question pouvait être considérée comme une action négative à l'encontre de Powerpipe (déclaration de M. Bech figurant en annexe à la réponse de la requérante du 25 avril à la demande de renseignements du 13 mars 1996).

140. En tout état de cause, même si la requérante peut prétendre avoir, au début, accepté de participer aux coûts d'embauche dans le seul but de permettre l'ouverture d'un bureau d'influence, cette explication ne saurait justifier le fait qu'elle a accepté de payer la contribution envisagée à un moment où il était patent que la personne en question était engagée par ABB pour assumer d'autres fonctions que celles projetées.

141. En deuxième lieu, il n'est pas non plus contesté que, à l'époque où Powerpipe soumissionnait pour le projet Neubrandenburg, la requérante s'est accordée avec ABB et Henss pour exercer des pressions sur Powerpipe afin que cette dernière retire sa soumission. Même si la requérante n'a pas menacé elle-même Powerpipe lors de ses entretiens avec celle-ci, il est constant qu'elle a réagi selon la ligne de conduite mise au point avec d'autres participants à l'entente. En effet, la requérante admet que son directeur des ventes a confirmé à Powerpipe, à l'époque, qu'une certaine entente existait entre les opérateurs du secteur.

142. Quant aux pressions dont aurait souffert la requérante, il convient d'observer qu'une entreprise qui participe avec d'autres à des activités anticoncurrentielles ne peut se prévaloir du fait qu'elle y participerait sous la contrainte des autres participants. En effet, elle aurait pu dénoncer les pressions dont elle faisait l'objet aux autorités compétentes et introduire auprès de la Commission une plainte en application de l'article 3 du règlement n° 17 plutôt que de participer aux activités en question (voir arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Hüls/Commission, T-9-89, Rec. p. II-499, points 123 et 128, et Tréfileurope/Commission, précité, point 58).

143. En troisième lieu, en ce qui concerne l'attribution du projet Leipzig-Lippendorf, il convient d'observer que les conclusions de la Commission se basent sur les résultats de la réunion du 24 mars 1995 tenue à Düsseldorf.

144. À cet égard, il convient de constater, d'abord, que la requérante ne conteste pas qu'il y a eu un accord, au sein de l'entente, selon lequel le projet de Leipzig-Lippendorf était destiné à ABB, Henss/Isoplus et Pan-Isovit.

145. Dans ce contexte, la Commission était en droit de conclure, au considérant 99 de sa décision, que le retrait de l'offre présentée par la requérante pour ce projet s'expliquait, au moins en partie, par les pressions exercées par les autres producteurs. En effet, même si la requérante avait estimé que les investissements nécessités par sa première offre ne pouvaient pas être rentables, l'affirmation selon laquelle son omission de présenter une nouvelle offre s'expliquerait exclusivement par une "erreur" n'est pas crédible, étant donné qu'elle aurait dû savoir, eu égard à l'attribution du projet au sein de l'entente, qu'un tel comportement correspondait à l'attitude que les autres participants à l'entente attendaient d'elle.

146. Ensuite, il ressort des notes prises par Tarco relatives à la réunion du 24 mars 1995 (annexe 143 de la communication des griefs) que le fait que Powerpipe a obtenu le projet de Leipzig-Lippendorf a donné lieu à la discussion d'une série de mesures. Selon ces notes:

"[Powerpipe] a apparemment décroché le [projet] Leipzig-Lippendorf.

- Aucun producteur ne devra fournir le moindre produit à L-L, IKR, Mannesmann-Seiffert, VEAG.

- Toutes les demandes de renseignement relatives au projet doivent être communiquées à [X].

- Aucun de nos sous-traitants ne devra travailler pour [Powerpipe]; dans le cas contraire, il sera mis fin à toute collaboration.

- Nous essaierons d'empêcher [Powerpipe] de se fournir en plastiques par exemple, etc.

- L'EuHP cherchera à déterminer si nous pouvons nous plaindre de l'attribution du contrat à une entreprise non qualifiée."

147. Il convient de rappeler que la participation d'une entreprise à une réunion dont l'objet est manifestement anticoncurrentiel, sans qu'elle se soit distanciée publiquement de son contenu, donne à penser aux autres participants qu'elle souscrit au résultat de la réunion et qu'elle s'y conformera (voir la jurisprudence citée au point 39 ci-dessus). Dans de telles circonstances, il suffit qu'une concertation illicite ait été évoquée dans la réunion à laquelle participe l'entreprise en question pour établir la participation de cette dernière à la concertation en cause.

148. Étant donné que des mesures anticoncurrentielles ont été évoquées lors de la réunion du 24 mars 1995, toutes les entreprises ayant participé à cette réunion sans avoir pris leurs distances publiquement doivent être considérées comme ayant participé à l'accord, ou à la pratique concertée, constitué par de telles mesures.

149. À cet égard, la question de savoir si le projet de Leipzig-Lippendorf avait déjà été attribué à Powerpipe au moment de la réunion du 24 mars 1995 est sans pertinence. En effet, les mesures discutées lors de la réunion du 24 mars 1995 visaient, en toute hypothèse, le cas où Powerpipe obtiendrait ce contrat. En tout état de cause, même s'il est possible que le contrat entre VEAG, la société ayant lancé l'appel d'offres en cause, et Powerpipe n'ait été signé qu'après la date de ladite réunion, il ressort de la lettre de VEAG à l'entrepreneur général du projet du 21 mars 1995 (annexe 142 de la communication des griefs) ainsi que de la réponse de VEAG du 29 septembre 1995 à la demande de renseignements que la décision de l'organe d'adjudication en faveur de Powerpipe a été prise le 21 mars 1995, c'est-à-dire avant la réunion incriminée.

150. Par ailleurs, la requérante ne saurait soutenir aux fins d'échapper à sa responsabilité qu'elle n'a pas été présente lors de la partie de la réunion au cours de laquelle une action collective contre Powerpipe aurait, peut-être, été discutée. En effet, pour la partie à laquelle elle a assisté, la requérante admet que Henss a insisté sur la question des "actions collectives".

151. De plus, le comportement de la requérante lors de la réunion du 24 mars 1995 ne peut aucunement être compris comme une distanciation publique vis-à-vis de la décision de ne pas effectuer de livraisons à Powerpipe, étant donné que, eu égard au contexte, notamment à la situation de Powerpipe dans le projet ÅKV et aux problèmes de livraisons de Lymatex, elle a, au contraire, fait preuve d'une attitude soutenant cette décision.

152. D'une part, la requérante ne conteste pas avoir exprimé son mécontentement lorsqu'elle a découvert que Powerpipe, après avoir obtenu le projet ÅKV destiné, par l'entente, à ABB et à elle-même, a réussi à se fournir, dans le cadre de l'exécution de ce marché, auprès de la filiale suédoise de la requérante. Une telle attitude témoigne de la volonté de la requérante de faire en sorte que Powerpipe rencontre des problèmes d'approvisionnement dans l'exécution de ses projets.

153. D'autre part, il doit être considéré comme établi que la requérante est intervenue auprès de Lymatex pour que celle-ci retarde ses livraisons à Powerpipe. En effet, l'affirmation de Powerpipe, selon laquelle un membre du personnel de Lymatex lui a confirmé que la décision de ne pas la livrer avant septembre 1995 n'avait rien à voir avec les problèmes de production que Lymatex avait évoqués dans sa lettre du 10 mai 1995 à Powerpipe (annexe 153 de la communication des griefs), est confirmée par le fait qu'une version préparatoire de cette lettre (annexe 155 de la communication des griefs) se trouvait, lors des vérifications effectuées, notamment, par la Commission, le 28 juin 1995, dans le bureau du directeur de la requérante. Le fait que Lymatex a trouvé nécessaire d'informer la requérante sur sa réponse à la commande de Powerpipe avant même que cette réponse n'ait été envoyée à Powerpipe démontre que Lymatex a voulu donner à la requérante au moins la possibilité d'intervenir en ce qui concerne la réponse qu'elle envisageait de donner à cette commande. Or, eu égard à la décision prise lors de la réunion du 24 mars 1995 de ne pas livrer Powerpipe, la présence chez la requérante de la version préparatoire de la réponse de Lymatex ne peut être comprise autrement que comme une confirmation du fait que la requérante a eu des contacts avec Lymatex, le 10 mai 1995 ou avant, lors desquels elle a exprimé sa volonté de voir retarder les livraisons à Powerpipe. Cette conclusion n'est pas contredite par la constatation que Lymatex n'a pas annulé d'autres commandes de Powerpipe. Il y a d'ailleurs lieu de constater, à cet égard, que Lymatex n'a pas donné à la Commission une explication sincère sur l'envoi à la requérante d'un projet de sa réponse, en soutenant qu'il ne s'agissait pas d'un projet mais d'une copie de cette lettre à Powerpipe et qu'elle aurait uniquement voulu démontrer qu'elle faisait quelque chose pour respecter ses obligations contractuelles vis-à-vis de la requérante (annexe 157 de la communication des griefs), alors qu'il ressort clairement des indications sur la version de la lettre en possession de la requérante qu'il s'agissait d'une version préparatoire envoyée quelques heures avant que la version définitive de cette lettre ne soit expédiée à Powerpipe.

154. Étant donné qu'il a été suffisamment établi que la requérante ne s'est pas distanciée de la décision de boycottage prise lors de la réunion du 24 mars 1995, il est sans pertinence de déterminer dans quelle mesure le comportement de la requérante aurait été la cause directe des pertes que Powerpipe prétend avoir subies, notamment dans le cadre du projet d'ÅKV.

155. Il s'ensuit que la Commission a établi, à juste titre, la participation de la requérante à un accord visant à nuire à Powerpipe, dès lors que la requérante est restée en défaut de prouver sa distanciation vis-à-vis du résultat de la réunion en question.

156. Cette conclusion n'est pas mise en cause par l'argument de la requérante selon lequel elle n'aurait, en tout état de cause, pas été en mesure de mettre en œuvre un boycottage de Powerpipe, étant donné qu'elle ne fabriquait pas les équipements réclamés par le sous-traitant du projet en question.

157. En effet, un boycottage peut être imputé à une entreprise sans qu'il y ait besoin que celle-ci participe effectivement ou même puisse participer à sa mise en œuvre. La position contraire mènerait au résultat que les entreprises qui ont approuvé des mesures de boycottage, mais qui n'ont pas trouvé l'occasion d'adopter elles-mêmes une mesure pour le mettre en œuvre, échapperaient à toute forme de responsabilité pour leur participation à l'accord.

158. À cet égard, il convient d'observer qu'une entreprise ayant participé à une infraction multiforme aux règles de la concurrence par des comportements qui lui sont propres, qui relèvent des notions d'accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité et qui visent à contribuer à la réalisation de l'infraction dans son ensemble, peut être également responsable des comportements mis en œuvre par d'autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction, lorsqu'il est établi que l'entreprise en question connaît les comportements infractionnels des autres participants, ou qu'elle peut raisonnablement les prévoir et qu'elle est prête à en accepter le risque (voir, en ce sens, arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 203).

159. Or, de par la présence de la requérante lors de la réunion du 24 mars 1995, celle-ci a eu connaissance des mesures envisagées pour nuire à l'activité commerciale de Powerpipe. Du fait qu'elle ne s'est pas distanciée de telles mesures, elle a donné, à tous le moins, à penser aux autres participants à ladite réunion qu'elle souscrivait au résultat de celle-ci, qu'elle s'y conformerait et qu'elle était prête à en accepter le risque.

160. Enfin, dans la mesure où la Commission a évoqué des activités se situant en Suède avant l'accession de celle-ci à l'Union européenne, le 1er janvier 1995, il suffit d'observer que les mesures visant à nuire aux activités de Powerpipe pour lesquelles la requérante doit être tenue responsable ont été précipitées par l'entrée de Powerpipe sur le marché allemand et visaient, dès lors, dans leur origine, à l'empêcher de développer ses activités dans l'Union européenne. De plus, en acceptant de contribuer à l'embauche du directeur général de Powerpipe, la requérante a effectivement mis en œuvre, avant même le 1er janvier 1995, et dans le Marché commun, un accord visant à nuire aux activités de Powerpipe. Il s'ensuit que la Commission a pris en considération les activités anticoncurrentielles nées en Suède dans la mesure où elles ont effectivement affecté la concurrence à l'intérieur de l'Union européenne.

161. A cet égard, il est clairement mentionné au considérant 148 de la décision ce qui suit:

"[A]ux fins de la présente procédure, la Commission ne tiendra compte des agissements communs à l'encontre de Powerpipe avant l'adhésion de la Suède à la Communauté (au 1er [janvier] 1995) que dans la mesure où ils ont affecté la concurrence à l'intérieur de l'Union (entrée de Powerpipe sur le marché allemand) et où ils constituent une preuve indirecte de l'existence d'un projet constant de nuire à Powerpipe ou de l'évincer après cette date."

162. Il résulte de tout ce qui précède que le grief relatif aux actions concertées contre Powerpipe doit également être rejeté.

F - Sur la pression exercée par ABB

1. Arguments des parties

163. La requérante fait valoir que la Commission a sous-estimé la pression exercée par ABB à son égard, ce que conteste la défenderesse.

2. Appréciation du Tribunal

164. Il convient d'observer que, comme l'a fait remarquer la requérante, la Commission a évoqué, dans sa décision, à plusieurs reprises, le fait qu'ABB a exercé une pression considérable sur les autres entreprises du secteur afin de les convaincre de souscrire aux arrangements anticoncurrentiels en cause. De plus, la Commission a reconnu, lors de la détermination du montant de l'amende infligée à ABB, que celle-ci "a systématiquement exploité son pouvoir économique et ses ressources en tant que grande entreprise multinationale pour renforcer l'efficacité de l'entente et s'assurer que les autres entreprises obéiraient à ses volontés" (considérant 169 de la décision).

165. Quant à l'infraction reprochée à la requérante, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une entreprise qui participe à des activités anticoncurrentielles sous la contrainte d'autres participants ne peut se prévaloir de cette contrainte étant donné qu'elle aurait pu dénoncer les pressions dont elle faisait l'objet plutôt que de participer aux activités en question (voir la jurisprudence citée au point 142 ci-dessus).

166. Ce grief ne pouvant être accueilli, il convient donc de rejeter, dans son ensemble, le moyen tiré d'erreurs de fait dans l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

II - Sur le deuxième moyen, tiré d'une violation des droits de la défense

A - Sur l'accès au dossier

1. Arguments des parties

167. La requérante soutient que la Commission l'a dissuadée d'insister pour avoir accès au dossier. Ainsi, Pan-Isovit, qui, apparemment, l'a fait, aurait été pénalisée par une moindre réduction du montant de l'amende que d'autres au titre de sa coopération. La requérante aurait accepté de renoncer à une partie de ses droits, sous la pression, dans l'espoir qu'elle obtiendrait directement les documents relatifs à l'entente par ABB. Néanmoins, ABB ne lui aurait fourni qu'une sélection desdits documents, lesquels, de plus, n'auraient pas été complets. Dans ce contexte, la requérante fait valoir que le choix de la Commission de laisser aux entreprises concernées le soin d'assurer entre elles un échange adéquat des documents du dossier n'était pas une solution satisfaisante.

168. La défenderesse conteste avoir empêché les entreprises d'avoir accès au dossier et rappelle que la requérante a marqué son accord sur l'organisation d'un échange de documents entre les entreprises concernées. La réduction du montant de l'amende de Pan-Isovit n'aurait eu aucun rapport avec l'attitude de cette entreprise à l'égard de l'accès au dossier. Quant à ABB, il ne serait pas exact de dire que celle-ci n'a pas fourni une documentation complète.

2. Appréciation du Tribunal

169. L'accès au dossier dans les affaires de concurrence a pour objet de permettre aux destinataires d'une communication des griefs de prendre connaissance des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, afin qu'ils puissent se prononcer utilement, sur la base de ces éléments, sur les conclusions auxquelles la Commission est parvenue dans sa communication des griefs (arrêts de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C-185-95 P, Rec. p. I-8417, point 89, et du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C-51-92 P, Rec. p. I-4235, point 75; arrêts du Tribunal du 29 juin 1995, Solvay/Commission, T-30-91, Rec. p. II-1775, point 59, et ICI/Commission, T-36-91, Rec. p. II-1847, point 69). L'accès au dossier relève ainsi des garanties procédurales visant à protéger les droits de la défense et à assurer, en particulier, l'exercice effectif du droit d'être entendu, prévu aux articles 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17, et 2 du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 (JO 1963, 127, p. 2268) (arrêt du Tribunal du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T-65-89, Rec. p. II-389, point 30).

170. Selon une jurisprudence constante, la Commission est tenue, afin de permettre aux entreprises et associations d'entreprises en cause de se défendre utilement contre les griefs formulés contre elles dans la communication des griefs, de leur rendre accessible l'intégralité du dossier d'instruction, à l'exception des documents contenant des secrets d'affaires d'autres entreprises ou d'autres informations confidentielles et des documents internes de la Commission (arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, précité, point 54, et du 19 mai 1999, BASF Coatings/Commission, T-175-95, Rec. p. II-1581).

171. En effet, dans le cadre de la procédure contradictoire organisée par le règlement n° 17, il ne saurait appartenir à la seule Commission de décider quels sont les documents utiles à la défense (arrêts du 29 juin 1995, Solvay/Commission, précité, point 81, et ICI/Commission, précité, point 91). Eu égard au principe général d'égalité des armes, il ne saurait être admis que la Commission puisse décider seule d'utiliser ou non des documents contre les entreprises, alors que celles-ci n'y ont pas eu accès et n'ont donc pas pu prendre la décision correspondante de les utiliser ou non pour leur défense (arrêt du 29 juin 1995, Solvay/Commission, précité, point 83, et arrêt ICI/Commission, précité, point 93).

172. À la lumière de ces règles, il y a lieu de vérifier si, en l'espèce, la Commission a respecté son obligation de donner accès à l'intégralité du dossier d'instruction.

173. Tout d'abord, il y a lieu d'observer que la Commission a déclaré dans sa lettre du 20 mars 1997, jointe à la communication des griefs, notifiée à la requérante:

"En vue d'aider les entreprises à préparer leurs observations en ce qui concerne les griefs qui leur ont été adressés, la Commission peut leur permettre de consulter le dossier les concernant. En l'espèce, la Commission a joint à la communication des griefs toute la documentation pertinente, composée de l'ensemble de la correspondance pertinente échangée conformément à l'article 11 du règlement [n° 17]. Les références à des faits complètement étrangers à l'objet de l'affaire ont été effacées des documents joints à la communication des griefs.

Au cas où vous souhaiteriez examiner les pièces susceptibles d'être consultées et se rapportant à votre entreprise dans les bureaux de la Commission, ou si vous avez des questions en ce qui concerne la présente procédure, veuillez contacter [...] dans les trois semaines suivant la réception de la présente lettre."

174. La requérante a affirmé, à la suite d'une question écrite posée par le Tribunal, qu'elle a contacté la Commission, le 23 avril 1997, afin d'être autorisée à avoir accès à la totalité du dossier. Bien qu'il soit constant qu'un tel entretien téléphonique a eu lieu, les parties se trouvent en désaccord sur le contenu exact de celui-ci, notamment sur le point de savoir, d'une part, si la Commission a refusé une demande d'accès au dossier en déclarant, comme le soutient la requérante, que les entreprises "pour peu qu'elles souhaitent effectivement faire preuve de coopération, conviennent plutôt d'assurer elles-mêmes l'échange de copies" et, d'autre part, si la requérante a, finalement, demandé l'accès à la totalité du dossier. Il n'est pas contesté, toutefois, qu'il a été question, lors de cet entretien, d'un procédé d'échange de documents entre les entreprises concernées.

175. Il est constant que, en avril et en mai 1997, la Commission a suggéré aux entreprises destinataires de la communication des griefs d'organiser un échange de tous les documents saisis chez elles lors des vérifications. Il n'est pas contesté que toutes les entreprises concernées, à l'exception de Dansk Rörindustri, ont accepté d'effectuer un tel échange de documents. Par la suite, toutes les entreprises participant à l'échange de documents, dont la requérante, ont reçu de chacune des autres entreprises les documents saisis chez elle, accompagnés d'une liste établie soit par l'entreprise en cause, soit, dans les cas d'ABB et de Pan-Isovit, à leur demande, par la Commission. Quant aux documents saisis chez Dansk Rörindustri, une partie de ces documents a été communiquée aux autres entreprises, le 18 juin 1997, à la demande de la Commission, tandis qu'une autre partie a été envoyée par la Commission elle-même, le 24 septembre 1997.

176. Il est également constant que, postérieurement à l'entretien téléphonique du 23 avril 1997, la requérante n'a plus contacté les services de la Commission au sujet de l'accès au dossier.

177. Dans sa réponse à la question écrite du Tribunal, la requérante fait valoir qu'elle a déduit dudit entretien téléphonique qu'elle avait intérêt à ne pas demander à avoir accès à l'ensemble du dossier de la Commission sous peine de se voir reprocher, du fait de cette attitude, un manque de coopération au cours de la procédure administrative.

178. Force est de constater, toutefois, que la requérante n'apporte aucun élément de preuve d'un comportement de la Commission dont elle aurait raisonnablement pu déduire, à l'époque, que l'exercice de son droit d'accès au dossier de l'instruction aurait eu des conséquences sur l'appréciation ultérieure, lors du calcul du montant de l'amende, de son degré de coopération. Il est vrai qu'ABB, dans une lettre du 6 juin 1997 à la Commission, a lié sa proposition d'échange de documents à sa volonté de coopérer avec la Commission et que Tarco a affirmé, pour sa part, dans une lettre du 19 juin 1997 à la Commission, que, en participant à l'échange de documents, "[elle] continu[ait] à manifester [sa] volonté de coopération et [sa] coopération effective avec la Commission même si [elle] risqu[ait] de ne pas avoir accès à l'intégralité du dossier". Néanmoins, ces affirmations, tout en évoquant la volonté des entreprises concernées de maintenir leur coopération, ne se réfèrent pas à un comportement de la Commission ayant pu conduire à l'impression qu'une demande d'accès au dossier aurait entraîné une augmentation de l'amende. La requérante n'a pas prouvé non plus son affirmation, énoncée dans sa requête, selon laquelle c'est "sous [la] pression" qu'elle a accepté de ne pas insister pour avoir accès au dossier. Il en va de même, par ailleurs, pour son affirmation selon laquelle, pour Pan-Isovit, une demande d'accès au dossier aurait eu des répercussions dans l'appréciation de sa coopération lors du calcul du montant de l'amende.

179. Par conséquent, il y a lieu de conclure que la requérante n'a pas établi que la Commission avait fait pression pour qu'elle n'utilise pas la possibilité d'avoir accès à la totalité du dossier de l'instruction. En conséquence, il y a lieu de supposer que la requérante a entendu ne pas utiliser cette possibilité.

180. En tout état de cause, il convient d'estimer que la Commission, en ayant prévu et organisé l'accès au dossier dans ses locaux tel qu'annoncé dans sa lettre jointe à la communication des griefs, s'est acquittée de son obligation d'accorder aux entreprises, de sa propre initiative et sans attendre une démarche de la part de ces dernières, l'accès au dossier de l'instruction.

181. Dans ces circonstances, il ne saurait non plus être reproché à la Commission d'avoir voulu faciliter l'accès au dossier d'instruction en invitant les entreprises concernées à effectuer, entre elles et à travers leurs conseils, un échange des documents saisis chez chacune d'elles lors des vérifications.

182. Il convient d'observer, à cet égard, que la requérante ne saurait invoquer un défaut d'accès au dossier en raison du fait que, dans le cadre de cet échange de documents, ABB a envoyé des documents dans lesquels certains passages avaient été supprimés.

183. En effet, il ressort de la lettre du 4 juin 1997 envoyée par les conseils d'ABB aux conseils de la requérante qu'ABB avait "expurgé" ("redacted") quelques documents, car ceux-ci étaient des documents internes contenant des informations confidentielles. Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que, selon une jurisprudence constante, l'accès au dossier ne saurait s'étendre aux secrets d'affaires d'autres entreprises et aux autres informations confidentielles (voir point 170 ci-dessus). Or, si la requérante avait eu un quelconque doute en ce qui concerne la version de certains documents préparée par ABB ou par d'autres concurrents, notamment en ce qui concerne les informations supprimées par ABB dans certains documents, ou, encore, si elle avait eu un quelconque doute sur l'exhaustivité des listes de documents établies par ses concurrents, rien ne l'empêchait de contacter la Commission et, le cas échéant, d'utiliser son droit d'accès à la totalité du dossier de l'instruction dans les locaux de la Commission.

184. Il ressort de tout ce qui précède que la Commission, ayant suggéré aux entreprises concernées de faciliter l'accès aux documents par un échange de documents, tout en garantissant elle-même le droit d'accès au dossier d'instruction dans sa totalité, a dûment tenu compte des exigences énoncées dans la jurisprudence du Tribunal, selon laquelle un échange de documents entre les entreprises ne peut en aucun cas éliminer le devoir de la Commission de garantir elle-même, pendant l'instruction d'une infraction au droit de la concurrence, le respect des droits de la défense des entreprises concernées. En effet, la défense d'une entreprise ne peut pas dépendre de la bonne volonté d'une autre entreprise qui est censée être sa concurrente, contre laquelle des reproches similaires ont été soulevés par la Commission et dont les intérêts économiques et procéduraux sont souvent opposés (arrêt du 29 juin 1995, Solvay/Commission, précité, points 85 et 86, et arrêt ICI/Commission, précité, points 95 et 96).

185. Il s'ensuit que le grief tiré d'un défaut d'accès au dossier doit être rejeté.

B - Sur la violation du droit d'être entendu en ce qui concerne l'invocation de nouveaux moyens de preuve

1. Arguments des parties

186. La requérante reproche à la Commission d'avoir violé ses droits de la défense en ajoutant, après la communication des griefs, à deux reprises, des documents additionnels à l'appui de son accusation, par lettres du 22 mai et du 9 octobre 1997. La Commission n'aurait pas le droit de se fonder sur ces documents, puisqu'elle n'a pas indiqué clairement dans la communication des griefs qu'elle le ferait.

187. La défenderesse fait observer qu'aucune règle de procédure ne l'empêche de produire des preuves complémentaires après l'envoi de la communication des griefs. Dans les lettres en question, la Commission aurait expliqué que les documents annexés à celles-ci se référaient aux arguments avancés dans la communication des griefs ou dans les observations sur cette dernière. Comme ces lettres ont été expédiées bien avant l'audition, la requérante aurait eu toute possibilité d'y répondre et l'aurait d'ailleurs fait.

2. Appréciation du Tribunal

188. Il résulte d'une lecture combinée de l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17 et des articles 2 et 4 du règlement n° 99-63 que la Commission doit communiquer les griefs qu'elle fait valoir contre les entreprises et les associations intéressées et ne peut retenir dans ses décisions que les griefs au sujet desquels ces dernières ont eu l'occasion de faire connaître leur point de vue (arrêt CB et Europay/Commission, précité, point 47).

189. De même, le respect des droits de la défense, qui constitue un principe fondamental du droit communautaire et doit être observé en toutes circonstances, notamment dans toute procédure susceptible d'aboutir à des sanctions, même s'il s'agit d'une procédure administrative, exige que les entreprises et les associations d'entreprises concernées soient mises en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués par la Commission (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85-76, Rec. p. 461, point 11; arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission, T-11-89, Rec. p. II-757, point 39).

190. Toutefois, aucune disposition n'interdit à la Commission de communiquer aux parties, après l'envoi de la communication des griefs, de nouvelles pièces dont elle estime qu'elles soutiennent sa thèse, sous réserve de donner aux entreprises le temps nécessaire pour présenter leur point de vue à ce sujet(arrêt de la Cour du 25 octobre 1983, AEG/Commission, 107-82, Rec. p. 3151, point 29).

191. En ce qui concerne la lettre du 22 mai 1997, il y a lieu d'observer que la Commission y a signalé, pour les documents joints en annexes X1 à X9, leur portée au regard de la communication des griefs du 20 mars 1997, en indiquant la section de la communication des griefs concernée par chacun des documents. Il s'ensuit que la requérante a été suffisamment informée de la pertinence desdits documents par rapport aux griefs déjà communiqués.

192. En ce qui concerne les documents annexés à la lettre du 9 octobre 1997, il convient de préciser qu'il s'agit d'une série de documents complémentaires à la communication des griefs numérotés de 1 à 18 et d'une série de réponses données par certaines entreprises à la suite des demandes de renseignements, envoyées avec des tableaux indiquant, pour chaque document, le sujet concerné ainsi qu'une référence au passage pertinent de la communication des griefs et, le cas échéant, aux passages dans les observations à la communication des griefs de certaines entreprises.

193. Il s'ensuit que les lettres de la Commission du 22 mai et du 9 octobre 1997 n'ont pas introduit de nouveaux griefs, mais qu'elles citent certains documents qui constituent des preuves supplémentaires à l'appui de griefs exposés dans la communication prévue à cet effet.

194. Étant donné que la Commission a suffisamment précisé dans quelle mesure chacun des documents envoyés après la communication des griefs se rapportait à cette dernière et que, par ailleurs, la requérante ne soutient pas qu'elle n'aurait pas disposé du temps nécessaire pour présenter ses observations à leur égard, il convient de constater que la requérante a été en mesure de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués dans ces documents.

195. Pour ces raisons, le grief doit être rejeté dans la mesure où il concerne l'invocation de nouveaux moyens de preuve.

C - Sur la violation du droit d'être entendu en ce qui concerne l'application des lignes directrices pour le calcul du montant des amendes

1. Arguments des parties

196. Selon la requérante, la Commission a violé les droits de la défense en invoquant ses nouvelles lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3) (ci-après les "nouvelles lignes directrices" ou les "lignes directrices"). Bien que ces lignes directrices aient modifié fondamentalement les règles applicables jusqu'à présent, la Commission n'aurait pas donné la moindre indication, dans sa communication des griefs, laissant penser qu'elle appliquerait une nouvelle politique en ce qui concerne le calcul du montant des amendes. Or, il serait généralement considéré comme souhaitable que la Commission indique, dans la communication des griefs, les critères qu'elle a l'intention d'appliquer en ce qui concerne la détermination du montant de l'amende.

197. La défenderesse rappelle, quant à l'absence de toute mention du niveau de l'amende dans la communication des griefs, qu'il n'y a aucune obligation à cet égard.

2. Appréciation du Tribunal

198. Il convient d'observer, au préalable, qu'il n'est pas contesté que la Commission a déterminé l'amende imposée à la requérante conformément à la méthode générale pour le calcul du montant des amendes annoncée dans les lignes directrices.

199. Selon une jurisprudence constante, dès lors que la Commission indique expressément, dans sa communication des griefs, qu'elle va examiner s'il convient d'infliger des amendes aux entreprises concernées et qu'elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d'entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l'infraction supposée et le fait d'avoir commis celle-ci "de propos délibéré ou par négligence", elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises à être entendues. Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l'infraction, mais également contre le fait de se voir infliger une amende (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100-80 à 103-80, Rec. p. 1825, point 21).

200. Il s'ensuit que, en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, les droits de la défense des entreprises concernées sont garantis devant la Commission à travers la possibilité de faire des observations sur la durée, la gravité et le caractère anticoncurrentiel des faits reprochés. Par ailleurs, les entreprises bénéficient d'une garantie supplémentaire, en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, dans la mesure où le Tribunal statue avec une compétence de pleine juridiction et peut notamment supprimer ou réduire l'amende, en vertu de l'article 17 du règlement n° 17 (arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83-91, Rec. p. II-755, point 235).

201. À cet égard, il convient de constater que la Commission a expliqué, aux pages 53 et 54 de la communication des griefs envoyée à la requérante, la durée de l'infraction qu'elle envisageait de retenir à son égard.

202. Ensuite, la Commission a exposé, aux pages 57 et 58 de la communication des griefs, les raisons pour lesquelles elle estimait que la présente infraction était une infraction très grave ainsi que les éléments constituant des circonstances aggravantes, à savoir la manipulation des procédures de soumissions, la mise en œuvre agressive de l'entente afin d'assurer l'obéissance de tous les participants aux accords et d'exclure le seul concurrent important qui n'y participait pas et la poursuite de l'infraction après les vérifications.

203. Au même endroit, la Commission a précisé que, dans la détermination de l'amende à imposer à chaque entreprise individuelle, elle tiendrait compte, notamment, du rôle joué par chacune dans les pratiques anticoncurrentielles, de toutes les différences substantielles en ce qui concerne la durée de leur participation, de leur importance dans l'industrie du chauffage urbain, de leur chiffre d'affaires dans le secteur du chauffage urbain, de leur chiffre d'affaires global, le cas échéant, pour tenir compte de la taille et du pouvoir économique de l'entreprise en question et afin d'assurer un effet suffisamment dissuasif, et, enfin, de toutes les circonstances atténuantes.

204. Puis, à la page 58 de la communication des griefs, la Commission a remarqué, en ce qui concerne la requérante, que celle-ci avait joué un rôle de meneur dans l'entente, qu'elle était le deuxième plus grand producteur de conduites de chauffage urbain et qu'elle jouait un rôle actif dans toutes les activités de l'entente, même si celui-ci était subalterne par rapport à celui d'ABB.

205. Ce faisant, la Commission a indiqué, dans sa communication des griefs, les éléments de fait et de droit sur lesquels elle allait se baser dans le calcul du montant de l'amende à infliger à la requérante, de sorte que, à cet égard, le droit à être entendue de cette dernière a été dûment respecté.

206. Il convient d'observer que la Commission n'était pas obligée, dès lors qu'elle avait indiqué les éléments de fait et de droit sur lesquels elle baserait son calcul du montant des amendes, de préciser la manière dont elle se servirait de chacun de ces éléments pour la détermination du niveau de l'amende. En effet, donner des indications concernant le niveau des amendes envisagées, aussi longtemps que les entreprises n'ont pas été mises en mesure de faire valoir leurs observations sur les griefs retenus contre elles, reviendrait à anticiper de façon inappropriée la décision de la Commission (arrêts de la Cour Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 21, et du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322-81, Rec. p. 3461, point 19).

207. Par conséquent, la Commission n'était pas non plus tenue, au cours de la procédure administrative, de communiquer aux entreprises concernées son intention d'appliquer une nouvelle méthode de calcul du montant des amendes.

208. En particulier, la Commission n'était pas tenue d'indiquer, dans la communication des griefs, la possibilité d'un changement éventuel de sa politique en ce qui concerne le niveau des amendes, possibilité qui dépendait de considérations générales de politique de concurrence sans rapport direct avec les circonstances particulières des affaires en cause (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 22). En effet, la Commission n'a pas l'obligation de mettre des entreprises en garde en les prévenant de son intention d'augmenter le niveau général du montant des amendes (arrêt du 10 mars 1992, Solvay/Commission, précité, point 311).

209. Il s'ensuit que le droit d'être entendu de la requérante n'obligeait pas la Commission à lui annoncer son intention d'appliquer, à son cas, les nouvelles lignes directrices.

210. Pour toutes ces raisons, le grief relatif à la violation du droit d'être entendu doit également être rejeté en ce qui concerne l'application des lignes directrices pour le calcul du montant des amendes.

III - Sur le troisième moyen, tiré de la violation de principes généraux et d'erreurs de fait dans la détermination du montant de l'amende

A - Sur la violation du principe de non-rétroactivité

1. Arguments des parties

211. La requérante reproche à la Commission d'avoir violé le principe de non-rétroactivité en appliquant, à son cas, les nouvelles lignes directrices bien qu'elle ait coopéré avec la Commission sans connaître l'intention de cette dernière de modifier fondamentalement sa politique en matière d'amendes.

212. À cet égard, la requérante expose que les amendes prévues à l'article 15 du règlement n° 17 sont de nature pénale et, dès lors, sont couvertes par l'article 7, paragraphe 1, de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales (CEDH), interdisant d'infliger des peines plus sévères que celles qui étaient applicables au moment où l'infraction en cause a été commise. Il serait donc contraire à l'article 7, paragraphe 1, de la CEDH d'appliquer rétroactivement les nouvelles règles de droit que la Commission s'est imposées en ce qui concerne la détermination du montant de l'amende, et qui ont un caractère normatif et liant la Commission. Même si ces nouvelles règles ne devaient pas être considérées comme ayant un caractère normatif, mais comme constituant seulement un changement dans la pratique de la Commission, l'application des normes résultant d'un tel changement serait contraire aux principes contenus dans la disposition susvisée. Il ressortirait, notamment, de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme que ces principes s'appliquent également à des modifications jurisprudentielles.

213. La requérante reconnaît que la Commission a, normalement, le droit d'augmenter, sans avertissement préalable, le niveau général des amendes. Toutefois, dans le cas présent, la Commission aurait modifié radicalement sa politique et sa pratique en matière d'amendes, ce qui l'obligerait à offrir un avertissement préalable, en particulier lorsque, comme la requérante, une entreprise a volontairement fourni des éléments de preuve qui l'incriminaient, sans être consciente de ce changement radical.

214. Or, les lignes directrices mèneraient effectivement, en ce qui concerne des entreprises dans la situation de la requérante, à une augmentation systématique du niveau des amendes. En calculant le montant des amendes sur la base de montants déterminés dans l'absolu, les lignes directrices imposeraient une méthode de calcul qui frappe les petites et moyennes entreprises nettement plus fortement qu'un système où l'amende dépend totalement ou partiellement du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée.

215. La défenderesse rétorque que les nouvelles lignes directrices ne font qu'exposer le cadre dans lequel la Commission entend inscrire l'application de l'article 15 du règlement n° 17 et n'apportent aucune modification à ce cadre. En effet, la Commission aurait pu infliger exactement la même amende à la requérante sans jamais adopter les nouvelles lignes directrices.

216. De plus, les lignes directrices représenteraient un changement dans l'approche générale adoptée par la Commission lors du calcul du montant des amendes qui ne donnerait pas nécessairement lieu à une augmentation dans un cas concret. Même si les lignes directrices avaient pour objectif d'infliger des amendes d'un montant plus élevé, cela serait entièrement compatible avec la jurisprudence.

2. Appréciation du Tribunal

217. Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect (voir, notamment, avis de la Cour 2-94, du 28 mars 1996, Rec. p. I-1759, point 33, et arrêt de la Cour du 29 mai 1997, Kremzow, C-299-95, Rec. p. I-2629, point 14). À cet effet, le juge communautaire s'inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres, ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des Droits de l'Homme, auxquels les États membres ont coopéré et adhéré. La CEDH revêt, à cet égard, une signification particulière (arrêt Kremzow, précité, point 14; arrêt du Tribunal du 20 février 2001, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T-112-98, Rec. p. II-729, point 60). Par ailleurs, aux termes de l'article F, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne (devenu, après modification, article 6, paragraphe 2, UE), "l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la [CEDH] et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire".

218. Selon l'article 7, paragraphe 1, de la CEDH, "[n]ul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international" et "il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise".

219. Il convient d'observer que le principe de non-rétroactivité des dispositions pénales, consacré par l'article 7 de la CEDH comme un droit fondamental, est un principe commun à tous les ordres juridiques des États membres et fait partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect (arrêt de la Cour du 10 juillet 1984, Kirk, 63-83, Rec. p. 2689, point 22).

220. Même s'il ressort de l'article 15, paragraphe 4, du règlement n° 17 que les décisions de la Commission infligeant des amendes pour violation du droit de la concurrence n'ont pas un caractère pénal (arrêt Tetra Pak/Commission, précité, point 235), il n'en reste pas moins que la Commission est tenue de respecter les principes généraux du droit communautaire, et notamment celui de non-rétroactivité, dans toute procédure administrative susceptible d'aboutir à des sanctions en application des règles de la concurrence du traité (voir, par analogie, arrêt Michelin/Commission, précité, point 7).

221. Ce respect exige que les sanctions infligées à une entreprise pour une infraction aux règles de la concurrence correspondent à celles qui étaient fixées à l'époque où l'infraction a été commise.

222. À cet égard, il y a lieu de préciser que les sanctions pouvant être imposées par la Commission pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence sont définies par l'article 15 du règlement n° 17, adopté antérieurement à la date à laquelle l'infraction a commencé. Or, d'une part, il convient de rappeler que la Commission n'a pas le pouvoir de modifier le règlement n° 17 ou de s'en écarter, fût-ce par des règles de nature générale qu'elle s'impose à elle-même. D'autre part, s'il est constant que la Commission a déterminé le montant de l'amende imposée à la requérante conformément à la méthode générale pour le calcul du montant des amendes annoncée dans les lignes directrices, il y a lieu de constater que, ce faisant, elle est restée dans le cadre des sanctions définies par l'article 15 du règlement n° 17.

223. En effet, aux termes de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, "[l]a Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d'entreprises des amendes de mille unités de compte au moins et de un million d'unités de compte au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence [...] elles commettent une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, [...] du traité". Il est prévu, dans la même disposition, que "[p]our déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci".

224. Or, les lignes directrices disposent, au point 1, premier alinéa, que, pour le calcul du montant des amendes, le montant de base est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, seuls critères retenus à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

225. Selon les lignes directrices, la Commission prend comme point de départ, dans le calcul du montant des amendes, un montant déterminé en fonction de la gravité de l'infraction (ci-après le "point de départ général"). L'évaluation de la gravité de l'infraction doit prendre en considération la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché lorsqu'il est mesurable et l'étendue du marché géographique concerné (point 1 A, premier alinéa). Dans ce cadre, les infractions sont classées en trois catégories, à savoir les "infractions peu graves", pour lesquelles le montant des amendes envisageable est compris entre 1 000 et 1 million d'écus, les "infractions graves", pour lesquelles le montant des amendes envisageable peut varier entre 1 million et 20 millions d'écus, et les "infractions très graves", pour lesquelles le montant des amendes envisageable va au-delà de 20 millions d'écus (point 1 A, deuxième alinéa, premier à troisième tirets). À l'intérieur de chacune de ces catégories, et notamment pour les catégories dites "graves" et "très graves", l'échelle des sanctions retenues permet de différencier le traitement qu'il convient d'appliquer aux entreprises selon la nature des infractions commises (point 1 A, troisième alinéa). Il est, en outre, nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l'infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l'amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa).

226. Ensuite, il peut être tenu compte du fait que les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps d'infrastructures suffisantes pour posséder des connaissances juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence (point 1 A, cinquième alinéa).

227. À l'intérieur de chacune des trois catégories retenues ci-dessus, il peut convenir de pondérer, dans certains cas, le montant déterminé, afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu'il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d'une infraction de même nature et d'adapter en conséquence le point de départ général selon le caractère spécifique de chaque entreprise (ci-après le "point de départ spécifique") (point 1 A, sixième alinéa).

228. Quant au facteur relatif à la durée de l'infraction, les lignes directrices établissent une distinction entre les infractions de courte durée (en général inférieures à un an), pour lesquelles le montant retenu pour la gravité ne devrait pas être majoré, les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré jusqu'à 50 %, et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré pour chaque année de 10 % (point 1 B, premier alinéa, premier à troisième tirets).

229. Ensuite, les lignes directrices citent, à titre d'exemple, une liste de circonstances aggravantes et atténuantes qui peuvent être prises en considération pour augmenter ou diminuer le montant de base puis se réfèrent à la communication de la Commission du 18 juillet 1996 concernant la non-imposition d'amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO C 207, p. 4) (ci-après la "communication sur la coopération").

230. En tant que remarque générale, il est précisé que le résultat final du calcul du montant de l'amende selon ce schéma (montant de base affecté des pourcentages d'aggravation et d'atténuation) ne peut en aucun cas dépasser 10 % du chiffre d'affaires mondial des entreprises, conformément à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 [point 5, sous a)]. De plus, les lignes directrices prévoient qu'il convient, selon les circonstances, après avoir effectué les calculs décrits ci-dessus, de prendre en considération certaines données objectives telles que le contexte économique spécifique, l'avantage économique ou financier éventuellement acquis par les auteurs de l'infraction, les caractéristiques propres des entreprises en cause ainsi que leur capacité contributive réelle dans un contexte social particulier, pour adapter, in fine, le montant des amendes envisagé [point 5, sous b)].

231. Il s'ensuit que, suivant la méthode énoncée dans les lignes directrices, le calcul du montant des amendes continue d'être effectué en fonction des deux critères mentionnés dans l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, à savoir la gravité de l'infraction et la durée de celle-ci, tout en respectant la limite maximale par rapport au chiffre d'affaires de chaque entreprise, établie par la même disposition.

232. Par conséquent, les lignes directrices ne peuvent pas être considérées comme allant au-delà du cadre juridique des sanctions tel que défini par cette disposition.

233. Contrairement à ce que prétend la requérante, le changement qu'entraîneraient les lignes directrices par rapport à la pratique administrative existante de la Commission ne constitue pas non plus une altération du cadre juridique déterminant les amendes pouvant être infligées et, donc, n'est pas contraire aux principes contenus dans l'article 7, paragraphe 1, de la CEDH.

234. En effet, d'une part, la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, étant donné que celui-ci est, uniquement, défini dans le règlement n° 17.

235. D'autre part, au regard de la marge d'appréciation laissée par le règlement n° 17 à la Commission, l'introduction par celle-ci d'une nouvelle méthode de calcul des amendes, pouvant entraîner, dans certains cas, une augmentation du montant des amendes, sans pour autant excéder la limite maximale fixée par le même règlement, ne peut être considérée comme une aggravation, avec effet rétroactif, des amendes telles qu'elles sont juridiquement prévues par l'article 15 du règlement n° 17 contraire aux principes de légalité et de sécurité juridique.

236. Il est sans pertinence, à cet égard, d'avancer que le calcul du montant des amendes suivant la méthode exposée dans les lignes directrices, notamment à partir d'un montant déterminé, en principe, en fonction de la gravité de l'infraction, peut amener la Commission à infliger des amendes plus élevées que dans sa pratique antérieure. En effet, selon une jurisprudence bien établie, la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C-137-95 P, Rec. p. I-1611, point 54; arrêt de la Cour du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C-219-95 P, Rec. p. I-4411, point 33;voir également arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Buchmann/Commission, T-295-94, Rec. p. II-813, point 163). En outre, il ressort d'une jurisprudence constante que la Commission dispose, dans le cadre du règlement n° 17, d'une marge d'appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d'orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de la concurrence (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150-89, Rec. II-1165, point 59, du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49-95, Rec. II-1799, point 53, et du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T-229-94, Rec. p. II-1689, point 127).

237. De plus, il ressort de la jurisprudence que le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d'un certain niveau à certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau dans les limites indiquées au règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de concurrence (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 109; arrêt du 10 mars 1992, Solvay/Commission, précité, point 309; arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Europa Carton/Commission, T-304-94, Rec. p. II-869, point 89). L'application efficace des règles communautaires de la concurrence exige, au contraire, que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 109).

238. Pour toutes ces raisons, le grief tiré de la prétendue violation du principe de non-rétroactivité doit être rejeté.

B - Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime

1. Arguments des parties

239. La requérante soutient que l'application d'une nouvelle politique de calcul du montant des amendes, après qu'elle a volontairement fourni des éléments de preuve qui l'incriminent, est contraire au principe de protection de la confiance légitime. En effet, elle aurait eu le droit de se fier à la pratique de la Commission en matière de calcul du montant des amendes en vigueur à l'époque où elle a contacté la Commission. La marge d'appréciation de la Commission aurait été limitée, dans ces circonstances, par le fait que la requérante a coopéré avec elle sur la base de la méthode de calcul des amendes exposée dans la décision 94-601-CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C-33.833 - Carton) (JO L 243, p. 1, ci-après la "décision Carton"), et dans le projet de communication de la Commission concernant la non-imposition d'amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1995, C 341, p. 13, ci-après le "projet de communication sur la coopération"), invoqués à l'époque tant par la requérante que par la Commission.

240. Selon la défenderesse, il ressort de la jurisprudence que les contrevenants aux règles de concurrence n'ont pas "droit" à un niveau d'amende particulier. De plus, la requérante ne saurait soutenir qu'elle se serait fiée, lorsqu'elle a décidé de présenter des documents à la Commission, à la communication sur la coopération pour s'apercevoir, ensuite, que la politique en matière d'amendes avait été modifiée par les nouvelles lignes directrices. La Commission aurait, en effet, pleinement respecté le texte et l'esprit de cette communication en réduisant l'amende de 30 %. Étant donné que cette communication ne traite pas du calcul du montant de base de l'amende, elle n'aurait pu donner aux entreprises concernées un espoir quant au niveau de l'amende avant l'opération de réduction de son montant au titre de cette communication.

2. Appréciation du Tribunal

241. Il y a lieu d'observer que, en ce qui concerne la fixation des amendes pour infraction aux règles de concurrence, la Commission exerce son pouvoir dans les limites de la marge d'appréciation qui lui est octroyée par le règlement n° 17. Or, il est de jurisprudence constante que les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d'une situation existante pouvant être modifiée dans le cadre du pouvoir d'appréciation des institutions communautaires (voir arrêts de la Cour du 15 juillet 1982, Edeka, 245-81, Rec. p. 2745, point 27, et du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C-350-88, Rec. p. I-395, point 33).

242. Au contraire, la Commission est en droit d'élever le niveau général des amendes, dans les limites indiquées au règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de concurrence (voir la jurisprudence citée au point 237 ci-dessus).

243. Il s'ensuit que les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne peuvent acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement.

244. Quant à la confiance que la requérante aurait tirée de la décision Carton, notamment en ce qui concerne la réduction à opérer au titre de sa coopération au cours de la procédure administrative, il convient d'ajouter que le seul fait que la Commission ait accordé, dans sa pratique décisionnelle antérieure, un certain taux de réduction pour un comportement déterminé n'implique pas qu'elle est tenue d'accorder la même réduction proportionnelle lors de l'appréciation d'un comportement similaire dans le cadre d'une procédure administrative ultérieure (voir, en ce qui concerne une circonstance atténuante, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission, T-347-94, Rec. p. II-1751, point 368).

245. En tout état de cause, la Commission ne pouvait appliquer, en l'occurrence, la politique qui était la sienne à l'époque de l'adoption de la décision Carton puisque, depuis lors, elle a adopté sa communication sur la coopération, publiée le 18 juillet 1996. Depuis cette date, la Commission a fait naître chez les entreprises une confiance légitime dans l'application des critères énoncés dans cette communication qui l'oblige, désormais, à mettre en œuvre lesdits critères.

246. À cet égard, il y a lieu de souligner que la requérante n'a aucunement pu croire, au moment où elle a pris contact avec la Commission, que cette dernière appliquerait, à son cas, la méthode annoncée dans son projet de communication sur la coopération, étant donné qu'il ressort clairement de ce texte, publié au Journal officiel, qu'il s'agissait d'un projet. En effet, la Commission a fait accompagner ce texte d'une explication selon laquelle elle avait l'intention d'adopter une communication concernant la non-imposition ou la modération des amendes à l'égard des entreprises qui coopèrent avec elle dans l'instruction ou la poursuite des infractions et que, préalablement à cette adoption, elle invitait tous les intéressés à lui faire connaître leurs observations au sujet dudit projet. Un tel projet n'a pu avoir pour effet que d'avertir les entreprises concernées de ce que la Commission envisageait d'adopter une communication à ce sujet.

247. Pour autant que le raisonnement de la requérante s'appuie sur la supposition que la Commission n'a pas respecté la communication sur la coopération, son argumentation se confond avec celle s'appuyant sur une application erronée de ladite communication.

248. Il s'ensuit que le grief soulevé doit être écarté pour autant qu'il est tiré d'une violation du principe de protection de la confiance légitime.

C - Sur la violation des principes d'égalité de traitement et de proportionnalité et sur la légalité des lignes directrices

1. Arguments des parties

249. La requérante apporte plusieurs arguments pour fonder sa thèse selon laquelle la Commission lui a infligé une amende excessive et discriminatoire, violant, à la fois, le principe d'égalité de traitement et le principe de proportionnalité.

250. En premier lieu, en prenant comme point de départ du calcul du montant de l'amende, en fonction de la seule gravité de l'infraction, des montants abstraits, la Commission aurait commis une discrimination vis-à-vis des petites et moyennes entreprises. En effet, la Commission aurait classé les entreprises concernées en quatre catégories, selon leur taille. Le point de départ spécifique qu'elle a fixé pour ABB, entreprise de première catégorie, étant inférieur à 10 % du chiffre d'affaires de cette entreprise, la méthode de calcul aurait permis de donner plein effet à tous les facteurs pertinents pour la détermination du montant final de l'amende. En revanche, pour la requérante et les autres entreprises appartenant à la deuxième et à la troisième catégorie, ayant une taille moindre que celle d'ABB, les points de départ spécifiques auraient été si élevés que les effets desdits facteurs auraient été absorbés par la nécessité de descendre en dessous de la limite des 10 % du chiffre d'affaires, tel que cela est imposé par le règlement n° 17.

251. Par conséquent, la Commission aurait effectué une discrimination des petites et moyennes entreprises, contraire à sa politique générale consistant à traiter moins sévèrement des sociétés qui sont essentiellement actives dans le secteur couvert par l'infraction, par rapport aux multinationales qui sont actives, simultanément, dans de nombreux secteurs. Le comportement de la Commission serait également contraire à l'article 130, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 157, paragraphe 1, CE), selon lequel la Commission est tenue d'encourager un environnement favorable à l'initiative et au développement, notamment des petites et moyennes entreprises.

252. En second lieu, la méthode de calcul utilisée par la Commission aurait entraîné le fait que les entreprises de la deuxième et de la troisième catégorie se sont vu infliger des montants de base supérieurs à la limite du 10 % du chiffre d'affaires fixée par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Selon la requérante, cette limite ne peut être dépassée à aucun stade du calcul. S'il était loisible à la Commission de calculer le montant de l'amende à partir de montants de base dépassant cette limite de 10 %, toute correction apportée par la Commission au montant de l'amende serait purement illusoire et privée d'impact sur le montant final de l'amende, qui serait égal, en tout état de cause, à 10 % du chiffre d'affaires global.

253. Dans son mémoire en réplique, la requérante ajoute que le point 5, sous a), des lignes directrices énonce que "le résultat final du calcul de l'amende selon [le] schéma (montant de base affecté des pourcentages d'aggravation et de diminution)" ne peut en aucun cas excéder la limite de 10 % du chiffre d'affaires des entreprises. Les lignes directrices elles-mêmes ne permettraient donc aucun calcul dont le résultat excéderait la limite de 10 % du chiffre d'affaires.

254. La requérante fait observer que la Commission, afin de tenir compte de la limite de 10 % du chiffre d'affaires au stade du calcul de l'amende se situant après la prise en compte des circonstances atténuantes mais avant la réduction du montant au titre de la coopération, a réduit les amendes, pour les entreprises de la deuxième et de la troisième catégorie, au niveau le plus élevé légalement possible. Dans le cas de la requérante, l'amende qui avait été fixée avant la réduction pour sa coopération aurait été de 12 700 000 écus, c'est-à-dire exactement 10 % de son chiffre d'affaires.

255. En troisième lieu, la Commission aurait fixé le montant des amendes à un niveau qui ne traduit pas la taille individuelle des entreprises. En effet, alors que la Commission, dans sa pratique antérieure, aurait privilégié le chiffre d'affaires qui provient des produits faisant l'objet de l'infraction, elle aurait, dans le cas présent, réduit l'amende infligée à la requérante à 10 % du chiffre d'affaires global de cette dernière. Or, la Commission aurait l'obligation de prendre en compte, lors de la détermination du montant de l'amende, chacun de ces chiffres d'affaires afin de tenir compte de la taille et de la présence sur les différents marchés de l'entreprise concernée.

256. Sur ce point, la requérante fait encore observer que la Commission a méconnu la réalité de la situation de la requérante en la qualifiant d'entreprise essentiellement spécialisée dans le produit en cause, alors que, en réalité, son chiffre d'affaires sur le marché en cause ne représenterait que 36,8 % de son chiffre d'affaires global. En raison de cette appréciation erronée de la situation de la requérante, celle-ci se serait vu infliger une amende disproportionnée par rapport à son chiffre d'affaires sur le marché pertinent. La méthode de calcul utilisée aurait provoqué une discrimination de la requérante vis-à-vis des entreprises de la troisième catégorie, dans la mesure où la différence entre les amendes infligées à celles-ci et celle infligée à la requérante serait disproportionnée par rapport à leur différence de taille.

257. En quatrième lieu, en calculant le montant des amendes sur la base de montants plus élevés que le plafond légalement admissible, la Commission se serait privée de la possibilité de prendre en considération les autres facteurs devant être pris en compte pour évaluer la gravité de l'infraction. Ainsi, la Commission n'aurait pas calculé le montant des amendes en fonction du profit que chacune des entreprises concernées avait réalisé sur le marché pertinent, bien que la nécessité de tenir compte de ce facteur ait été reconnue dans la jurisprudence de la Cour ainsi que dans la propre pratique de la Commission et énoncée dans son XXIe Rapport sur la politique de concurrence. En effet, la Commission n'aurait pas pris en considération le fait que la requérante n'a pas réalisé de marge bénéficiaire excessive au cours de la durée de l'infraction alléguée. La requérante ne comprend pas comment les autres éléments sur lesquels la Commission s'est fondée pour déterminer le montant de l'amende pourraient refléter les avantages théoriques obtenus par chaque entreprise, comme le prétend la défenderesse.

258. En dernier lieu, l'amende serait disproportionnée, dans la mesure où la Commission n'aurait pas tenu compte de la capacité de la requérante à payer l'amende et aurait ainsi fixé celle-ci à un niveau tel qu'il menace la survie de la requérante. En revanche, dans sa pratique antérieure, la Commission aurait infligé, à plusieurs occasions, une amende d'un montant inférieur au niveau habituel en raison des difficultés financières rencontrées par les entreprises concernées. Dans ses lignes directrices, la Commission aurait, de plus, exposé son intention de prendre en considération la capacité contributive réelle des entreprises dans un contexte social particulier pour adapter le montant des amendes envisagé. Les entreprises tireraient de cette intention des attentes légitimes. À cet égard, la requérante expose qu'au cours des années 1997 et 1998 elle a subi de lourdes pertes, qui, associées à l'amende, ont entraîné une perte excédant la totalité de la valeur nette de ses fonds propres. Afin d'éviter la faillite et de se procurer les fonds pour payer l'amende, la requérante aurait dû vendre la plupart de ses activités industrielles et commerciales ainsi que le nom de "Lögstör Rör". Même si la requérante existe toujours en tant que personne morale, elle aurait donc été éliminée du marché en cause.

259. La requérante ajoute que l'objectif de la Commission, en fixant le montant des amendes, doit être de nature dissuasive et non de nature à éliminer des entreprises du marché pertinent et à nuire ainsi à la concurrence au sein du secteur en cause. Or, la fixation des amendes à un niveau aussi élevé pourrait entraîner la disparition du marché des deux principaux concurrents d'ABB, c'est-à-dire la requérante et Tarco.

260. Dans la mesure où la Commission s'est basée sur ses nouvelles lignes directrices lors du calcul du montant des amendes, afin de fixer le montant excessif et discriminatoire de l'amende, la requérante invoque l'illégalité de ces lignes directrices au regard de l'article 184 du traité CE (devenu article 241 CE). En effet, la Commission aurait déterminé, dans ses lignes directrices, des montants de base pour le calcul de l'amende tellement élevés qu'ils la privent de la marge d'appréciation qui lui est octroyée en vertu de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, pour prendre en considération tous les facteurs pertinents, y compris d'éventuelles circonstances atténuantes.

261. La défenderesse fait observer, d'abord, que l'allégation selon laquelle elle a pratiqué une discrimination dans la détermination des montants servant au calcul des amendes est dénuée de fondement.

262. L'utilisation d'un chiffre unique de 20 millions d'écus comme point de départ pour tous les contrevenants ne pourrait être considérée comme discriminatoire dans la mesure où ce montant aurait ensuite été modulé en fonction de chacun des contrevenants et de la gravité de leur participation à l'infraction. En effet, la Commission aurait expressément tenu compte de la disparité dans la taille et la capacité économique des entreprises en question, notamment, en augmentant le montant initial de l'amende à infliger à ABB. L'amende de 8,9 millions d'écus de la requérante, au lieu d'être fixée au plus haut niveau admissible, resterait au-dessous du plafond autorisé par le règlement n° 17.

263. De plus, même si ABB avait reçu un traitement indûment favorable par rapport à la requérante, cela ne devrait pas aboutir à une réduction du montant de l'amende infligée à la requérante, étant donné que nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d'autrui. En tout état de cause, la requérante ne pourrait invoquer le statut d'entreprise moyenne. Quant à l'article 130 du traité, eu égard à sa nature générale, il semblerait à peine concevable qu'une mesure puisse être annulée pour incompatibilité avec cette disposition.

264. Ensuite, la défenderesse conteste que les montants utilisés pour le calcul des amendes ne peuvent à aucun moment du calcul être supérieurs à 10 % du chiffre d'affaires. Ce qui importerait au regard de la limite fixée par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 serait uniquement le résultat final du calcul de l'amende et non les montants retenus en cours de calcul. La Commission aurait d'ailleurs pu utiliser un point de départ inférieur à 10 % du chiffre d'affaires qui aurait abouti au même montant final de l'amende. Rien n'empêcherait la Commission, au cas où l'application des critères des lignes directrices débouchait sur un montant supérieur à la limite maximale, de réduire le montant à une somme correspondant précisément à cette limite avant d'appliquer les critères contenus dans la communication sur la coopération. Dans la mesure où la requérante s'appuie, dans sa réplique, sur l'énoncé du point 5, sous a), des lignes directrices, cet argument serait nouveau et irrecevable en vertu de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.

265. Par ailleurs, l'interprétation de la limite de 10 % du chiffre d'affaires préconisée par la requérante serait infondée puisqu'elle entraînerait l'obligation de commencer le calcul à un niveau anormalement bas pour ne dépasser, à aucun moment dans le calcul, cette limite, ce qui pourrait conduire à la fixation d'un point de départ qui n'est plus conforme aux critères définis dans les lignes directrices. Selon cette méthode, l'ensemble du calcul devrait être fait à l'envers et le point de départ n'apparaîtrait clairement qu'à la fin de l'opération. Une telle méthode serait arbitraire et conduirait la Commission à ignorer les circonstances propres à chaque cas particulier.

266. La Commission serait en droit d'imposer une amende ne dépassant pas 10 % du chiffre d'affaires mondial d'une entreprise. Bien que la Commission ait souvent pris en considération le chiffre d'affaires sur le marché en cause comme point de départ du calcul du montant des amendes, elle n'aurait pas été obligée de suivre cette pratique antérieure. En effet, dans le calcul du montant de l'amende, il faudrait prendre en considération un grand nombre d'éléments et non attacher une importance disproportionnée à un chiffre d'affaires. De toute manière, la pratique antérieure de la Commission n'aurait pas été constante étant donné que des amendes auraient été déterminées également par référence à d'autres chiffres d'affaires que celui du marché en cause ou aux avantages obtenus par les auteurs de l'infraction.

267. En mentionnant que la requérante était spécialisée dans un seul produit, la décision n'aurait pas dit qu'elle ne fabriquait qu'un seul produit. Or, la description de la requérante comme entreprise essentiellement spécialisée dans un seul produit ne serait pas erronée étant donné que, selon les informations données par la requérante elle-même, les conduites précalorifugées représentaient, lorsque l'enquête a été effectuée, environ 80 % de son chiffre d'affaires mondial. D'ailleurs, la Commission se serait fondée sur cet élément uniquement pour différencier la requérante d'ABB et réduire son point de départ de l'amende de 20 à 10 millions d'écus.

268. Quant à la prise en compte d'avantages tirés de l'infraction, la Commission n'aurait aucune obligation de l'effectuer. Il serait généralement difficile de déterminer quels avantages chaque entreprise aurait retirés de sa participation à l'infraction, ce qui aurait notamment été le cas dans l'affaire sous examen. En tout état de cause, les autres éléments sur lesquels la Commission se fonde seraient censés refléter les avantages théoriques obtenus par chaque entreprise. Dans le cas d'une violation grave et délibérée de l'article 85 du traité, celle-ci pourrait être considérée comme étant d'une importance suffisamment grave pour que la Commission n'ait pas à accorder une importance particulière au montant réel des gains.

269. La Commission ne serait pas non plus obligée de tenir compte de la mauvaise situation financière d'une entreprise lorsqu'elle fixe le montant de l'amende, pour autant qu'elle reste au-dessous de la limite maximale imposée par le règlement n° 17. En l'espèce, la requérante n'aurait pas démontré que son existence aurait été menacée par l'amende, ni que la vente de ses activités aurait été rendue nécessaire par l'obligation de payer l'amende. Une telle mesure pourrait, en effet, avoir été prise pour de multiples raisons et ne pourrait pas, en tout état de cause, être assimilée à une élimination de l'entreprise du marché en cause.

270. Comme l'amende n'est ni excessive ni discriminatoire, la requérante n'aurait aucune raison de contester la légalité des lignes directrices. Il ne serait pas non plus exact d'avancer que la Commission, en adoptant les lignes directrices, se serait liée de telle sorte qu'elle n'aurait plus tenu compte des éventuelles circonstances atténuantes et du rôle joué par les différents participants à l'entente.

2. Appréciation du Tribunal

271. Il convient d'observer que la requérante a assorti ses arguments relatifs à une violation des principes d'égalité de traitement et de proportionnalité, d'une exception d'illégalité, conformément à l'article 184 du traité, à l'encontre des lignes directrices, pour autant que la Commission, dans l'adoption de celles-ci, s'est privée de sa marge discrétionnaire d'appréciation, octroyée par le règlement n° 17, notamment pour tenir compte de la taille individuelle des entreprises et du rôle joué par chacune d'elles dans une infraction. Il convient d'examiner, d'abord, cette exception d'illégalité.

- Sur l'exception d'illégalité des lignes directrices

272. À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'article 184 du traité est l'expression d'un principe général assurant à toute partie le droit de contester, en vue d'obtenir l'annulation d'une décision qui la concerne directement et individuellement, la validité des actes institutionnels antérieurs, qui, même s'ils n'ont pas la forme d'un règlement, constituent la base juridique de la décision litigieuse, si cette partie ne disposait pas du droit d'introduire, en vertu de l'article 173 du traité, un recours direct contre ces actes, dont elle subit ainsi les conséquences sans avoir été en mesure d'en demander l'annulation (arrêt de la Cour du 6 mars 1979, Simmenthal/Commission, 92-78, Rec. p. 777, points 39 et 40).

273. Étant donné que l'article 184 du traité n'a pas pour but de permettre à une partie de contester l'applicabilité de quelque acte de caractère général que ce soit à la faveur d'un recours quelconque, l'acte général dont l'illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l'espèce qui fait l'objet du recours et il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l'acte général en question (arrêts de la Cour du 31 mars 1965, Macchiorlati Dalmas e Figli/Haute Autorité, 21-64, Rec. p. 227, 245, et du 13 juillet 1966, Italie/Conseil et Commission, 32-65, Rec. p. 563, 594; arrêt du Tribunal du 26 octobre 1993, Reinarz/Commission, T-6-92 et T-52-92, Rec. p. II-1047, point 57).

274. En ce qui concerne les lignes directrices, il convient de relever que la Commission a annoncé, dans les premiers alinéas de celles-ci: "[L]es principes posés par les présentes lignes directrices devraient permettre d'assurer la transparence et le caractère objectif des décisions de la Commission tant à l'égard des entreprises qu'à l'égard de la Cour de justice, tout en affirmant la marge discrétionnaire laissée par le législateur à la Commission pour la fixation des amendes dans la limite de 10 % du chiffre d'affaires [...] des entreprises [et...] la nouvelle méthodologie applicable pour le montant de l'amende obéira dorénavant au schéma suivant". Il s'ensuit que, bien que les lignes directrices ne constituent pas le fondement juridique de la décision attaquée, cette dernière étant basée sur les articles 3 et 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, elles déterminent, de manière générale et abstraite, la méthodologie que la Commission s'est imposée aux fins de la détermination du montant des amendes infligées par la décision et assurent, par conséquent, la sécurité juridique des entreprises.

275. De plus, il est constant que la Commission a déterminé le montant de l'amende infligée à la requérante conformément à la méthode générale qu'elle s'est imposée dans ses lignes directrices (voir point 222 ci-dessus).

276. Par conséquent, il existe, en l'espèce, un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l'acte général constitué par les lignes directrices. Étant donné que la requérante n'était pas en mesure de demander l'annulation des lignes directrices, en tant qu'acte général, celles-ci peuvent faire l'objet d'une exception d'illégalité.

277. Dans ce contexte, il y a lieu d'observer que, ainsi que cela a été relevé aux points 223 à 232 ci-dessus, la Commission, en annonçant, dans ses lignes directrices, la méthode qu'elle envisage d'appliquer pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, est restée dans le cadre légal imposé par cette disposition.

278. Contrairement à ce que prétend la requérante, la Commission n'est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction en question, d'effectuer son calcul de l'amende à partir de montants basés sur le chiffre d'affaires des entreprises concernées, ni d'assurer, au cas où des amendes sont imposées à plusieurs entreprises impliquées dans une même infraction, que les montants finals des amendes auxquels son calcul aboutit pour les entreprises concernées traduisent toute différenciation entre celles-ci quant à leur chiffre d'affaires global ou leur chiffre d'affaires sur le marché du produit en cause.

279. À cet égard, il convient de rappeler la jurisprudence bien établie selon laquelle la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (voir la jurisprudence citée au point 236 ci-dessus).

280. Parmi les éléments d'appréciation de la gravité d'une infraction, peuvent, selon le cas, figurer le volume et la valeur des produits faisant l'objet de l'infraction ainsi que la taille et la puissance économique de l'entreprise et, partant, l'influence que celle-ci a pu exercer sur le marché. Il s'ensuit, d'une part, qu'il est loisible, en vue de la détermination du montant de l'amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d'affaires global de l'entreprise qui constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de la taille de celle-ci et de sa puissance économique que de la part de ce chiffre qui provient des produits faisant l'objet de l'infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l'ampleur de celle-ci. Il en résulte, d'autre part, qu'il ne faut attribuer ni à l'un ni à l'autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d'appréciation et que la fixation du montant des amendes ne peut être le résultat d'un simple calcul basé sur le chiffre d'affaires global (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, points 120 et 121; arrêts du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission, T-77-92, Rec. p. II-549, point 94, et du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T-327-94, Rec. p. II-1373, point 176).

281. En effet, il ressort de la jurisprudence que la Commission est en droit de calculer une amende en fonction de la gravité de l'infraction et sans tenir compte des divers chiffres d'affaires des entreprises concernées. Ainsi, le juge communautaire a constaté la licéité d'une méthode de calcul selon laquelle la Commission détermine d'abord le montant global des amendes à imposer, pour répartir ensuite ce total entre les entreprises concernées, selon leurs activités dans le secteur concerné (arrêt de la Cour du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission, 96-82 à 102-82, 104-82, 105-82, 108-82 et 110-82, Rec. p. 3369, points 48 à 53) ou selon leur niveau de participation, leur rôle dans l'entente et leur importance respective sur le marché, calculée sur la base de la part de marché moyenne au cours d'une période de référence.

282. Il s'ensuit que la Commission, en exposant, dans ses lignes directrices, une méthode de calcul du montant des amendes qui ne se base pas sur le chiffre d'affaires des entreprises concernées ne s'est pas écartée de l'interprétation donnée par la jurisprudence à l'article 15 du règlement n° 17.

283. Il convient d'observer, à cet égard, que, bien que les lignes directrices ne prévoient pas que le montant des amendes soit calculé en fonction du chiffre d'affaires global ou du chiffre d'affaires sur le marché du produit en cause des entreprises concernées, elles ne s'opposent pas à ce que de tels chiffres d'affaires soient pris en compte dans la détermination du montant de l'amende afin de respecter les principes généraux de droit communautaire et lorsque les circonstances l'exigent.

284. Il s'avère, en effet, que, dans l'application des lignes directrices, le chiffre d'affaires des entreprises concernées peut entrer en ligne de compte lors de la prise en considération de la capacité économique effective des auteurs de l'infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs et de la nécessité d'assurer à l'amende un caractère suffisamment dissuasif ou lors de la prise en considération du fait que les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps d'infrastructures suffisantes pour posséder des connaissances juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence (voir point 226 ci-dessus). Le chiffre d'affaires des entreprises concernées peut également entrer en ligne de compte lors de la détermination du poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu'il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d'une infraction de même nature (voir point 227 ci-dessus). De même, le chiffre d'affaires des entreprises peut donner une indication de l'avantage économique ou financier éventuellement acquis par les auteurs de l'infraction ou d'autres caractéristiques propres à ceux-ci qu'il convient, selon les circonstances, de prendre en considération (voir point 230 ci-dessus).

285. De plus, les lignes directrices disposent que le principe d'égalité de sanction pour un même comportement peut conduire, lorsque les circonstances l'exigent, à l'application de montants différenciés pour les entreprises concernées sans que cette différenciation obéisse à un calcul arithmétique (point 1 A, septième alinéa).

286. Contrairement à ce que prétend la requérante, les lignes directrices ne vont pas au-delà de ce que prévoit le règlement n° 17. La requérante prétend que ces lignes directrices permettent à la Commission d'imposer, en fonction de la gravité de l'infraction, un point de départ pour le calcul du montant de l'amende tellement élevé que, eu égard au fait que, selon l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, le montant de l'amende ne peut en aucun cas dépasser le plafond de 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée, il n'y a plus, dans certains cas, de possibilité pour d'autres facteurs, tels que la durée ou les circonstances atténuantes ou aggravantes, d'avoir encore un effet sur le niveau de l'amende.

287. À cet égard, il convient d'observer que l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, en disposant que la Commission peut infliger des amendes d'un montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, exige, en effet, que l'amende qui sera finalement imposée à une entreprise soit réduite au cas où elle dépasse 10 % de son chiffre d'affaires, indépendamment des opérations de calcul intermédiaires destinées à prendre en compte la gravité et la durée de l'infraction.

288. Par conséquent, l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 n'interdit pas à la Commission de se référer, au cours de son calcul, à un montant intermédiaire dépassant 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée, pour autant que le montant de l'amende finalement imposée à cette entreprise ne dépasse pas cette limite maximale.

289. Les lignes directrices vont, d'ailleurs, dans le même sens, en énonçant que "le résultat final du calcul de l'amende selon ce schéma (montant de base affecté des pourcentages d'aggravation et de diminution) ne peut en aucun cas dépasser 10 % du chiffre d'affaires mondial des entreprises conformément à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17" [point 5, sous a)].

290. Dans un cas où la Commission se réfère, lors de son calcul, à un montant intermédiaire dépassant 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée, il ne saurait lui être reproché le fait que certains facteurs pris en considération lors de son calcul ne se répercutent pas sur le montant final de l'amende, étant donné que cela est la conséquence de l'interdiction prévue par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 de ne pas dépasser 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée.

291. Pour autant que la requérante s'appuie sur l'illégalité des lignes directrices à l'égard du règlement n° 17, son exception doit donc être rejetée.

- Sur la violation du principe d'égalité de traitement

292. Il y a lieu d'observer que la requérante reproche à la Commission de lui avoir imposé, comme aux autres petites et moyennes entreprises, une amende qui, par rapport à l'amende imposée à ABB, n'aurait pas suffisamment tenu compte de son chiffre d'affaires et de sa taille.

293. À cet égard, il convient de rappeler que le principe d'égalité de traitement n'est violé, selon une jurisprudence constante, que lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêts de la Cour du 13 décembre 1984, Sermide, 106-83, Rec. p. 4209, point 28, et du 28 juin 1990, Hoche, C-174-89, Rec. p. I-2681, point 25; arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T-311-94, Rec. p. II-1129, point 309).

294. En l'espèce, il y a lieu d'observer que la Commission a estimé qu'il s'agissait, en l'espèce, d'une infraction très grave, pour laquelle l'amende normalement infligée est de 20 millions d'écus (considérant 165 de la décision).

295. Il convient d'observer, ensuite, que la Commission, afin de tenir compte de la disparité dans la taille des entreprises ayant pris part à l'infraction, a divisé les entreprises en quatre catégories selon leur importance dans le marché de la Communauté, sous réserve d'ajustements destinés à tenir compte de la nécessité d'assurer une dissuasion effective (considérant 166, deuxième à quatrième alinéa, de la décision). Il ressort des considérants 168 à 183 de la décision que les quatre catégories se sont vu imposer, dans l'ordre d'importance, pour le calcul du montant des amendes, des points de départ spécifiques de 20, 10, 5 et 1 millions d'écus.

296. En ce qui concerne la détermination des points de départ pour chacune des catégories, la Commission a expliqué, à la suite d'une question posée par le Tribunal, que ces montants reflètent l'importance de chaque entreprise dans le secteur des conduites précalorifugées compte tenu de sa taille et de son poids par rapport à ABB et dans le contexte de l'entente. À cette fin, la Commission a tenu compte non seulement de leur chiffre d'affaires sur le marché concerné, mais également de l'importance relative que les membres de l'entente attribuaient à chacun d'eux, comme cela ressort des quotas prévus au sein de l'entente, figurant en annexe 60 de la communication des griefs, et des résultats obtenus et envisagés en 1995, figurant en annexes 169 à 171 de la communication des griefs.

297. De plus, la Commission a encore augmenté le point de départ pour le calcul du montant de l'amende à imposer à ABB, jusqu'à 50 millions d'écus, afin de tenir compte de sa position en tant qu'un des principaux groupes européens (considérant 168 de la décision).

298. Dans ce contexte, il convient d'estimer, eu égard à l'ensemble des facteurs pertinents pris en considération dans la fixation des points de départ spécifiques, que la différence entre le point de départ retenu pour la requérante, d'une part, et le point de départ retenu pour ABB, d'autre part, est objectivement justifiée. Étant donné que la Commission n'est pas tenue d'assurer que les montants finals des amendes auxquels son calcul aboutit pour les entreprises concernées traduisent toute différence entre celles-ci quant à leur chiffres d'affaires, la requérante ne saurait reprocher à la Commission de s'être vue imposer un point de départ qui a conduit à une amende finale supérieure, en pourcentage de son chiffre d'affaires global, à l'amende imposée à ABB.

299. Par ailleurs, le Tribunal a déjà jugé que la Commission, dans la mesure où elle s'était appuyée, en l'espèce, dans la détermination du montant des amendes, sur le chiffre d'affaires d'une entreprise sur le marché concerné, n'est pas obligée de prendre en compte, pour apprécier la gravité de l'infraction, la relation existant entre le chiffre d'affaires global d'une entreprise et le chiffre d'affaires qui provient des produits faisant l'objet de l'infraction (arrêt SCA Holding/Commission, précité, point 184). Dès lors, la Commission n'est pas, a fortiori, obligée de déterminer le montant des amendes en fonction du chiffre d'affaires global des entreprises concernées dans une situation comme celle de la présente espèce, où elle a choisi de tenir compte d'un ensemble de facteurs pertinents pour apprécier la gravité et la durée de l'infraction et, notamment, pour déterminer les points de départ du calcul des amendes.

300. Dans la mesure où le point de départ retenu pour la requérante est objectivement différencié par rapport à celui retenu pour ABB, il ne saurait être reproché à la Commission le fait que certains facteurs pris en considération lors de son calcul ne se répercutent pas sur le montant final de l'amende infligée à celle-ci, étant donné que cela est la conséquence de l'interdiction prévue par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, de ne pas dépasser 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée (voir point 290 ci-dessus). Par ailleurs, en ce qui concerne la moindre gravité du rôle joué par la requérante dans l'infraction par rapport à celui d'ABB, il y a lieu d'observer que, comme il ressort du considérant 171 de la décision, le rôle particulier d'ABB a été pris en compte, en tant que circonstance aggravante, afin d'augmenter le montant de l'amende à infliger à cette dernière.

301. Il s'ensuit que la requérante n'a pas établi que la Commission lui aurait imposé une amende discriminatoire par rapport à l'amende imposée à ABB, ni que la Commission aurait, de manière générale, effectué une discrimination des petites et moyennes entreprises vis-à-vis d'une entreprise de grande taille comme ABB.

- Sur la violation du principe de proportionnalité

302. En ce qui concerne la violation du principe de proportionnalité, il convient d'observer que la requérante reproche à la Commission, en premier lieu, de n'avoir pas suffisamment tenu compte de son chiffre d'affaires sur le marché pertinent, ce qui aurait conduit cette dernière à lui infliger une amende discriminatoire par rapport aux amendes imposées aux entreprises de la troisième catégorie.

303. À cet égard, il suffit d'observer qu'il ressort de la décision ainsi que de l'explication donnée par la Commission à la suite d'une question écrite du Tribunal que celle-ci a tenu compte, dans la fixation des points de départ spécifiques pour le calcul du montant des amendes, d'un ensemble de facteurs reflétant l'importance de chaque entreprise dans le secteur des conduites précalorifugées, parmi lesquels a figuré le chiffre d'affaires réalisé sur le marché pertinent. Or, le seul fait que la Commission, dans ce contexte, ne s'est pas exclusivement basée sur le chiffre d'affaires sur le marché pertinent de chacune des entreprises, mais a pris en considération d'autres facteurs relatifs à l'importance des entreprises sur ce marché, ne saurait conduire à la conclusion que la Commission aurait imposé une amende disproportionnée. En effet, il ressort de la jurisprudence qu'il ne faut attribuer ni au chiffre d'affaires global d'une entreprise ni au chiffre qui provient des produits faisant l'objet de l'infraction une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d'appréciation (voir point 280 ci-dessus).

304. Dans ce contexte, on ne saurait conclure à une disproportion du montant de l'amende infligée à la requérante, étant donné que le point de départ de son amende est justifié à la lumière des critères retenus par la Commission pour l'appréciation de l'importance de chacune des entreprises sur le marché pertinent. Eu égard au quota attribué à la requérante dans le cadre de l'entente et aux résultats envisagés, tels qu'ils ressortent des annexes 60 et 169 à 171 de la communication des griefs, la Commission était en droit de lui imposer, à tout le moins, un point de départ deux fois plus élevé que celui imposé aux entreprises de la troisième catégorie.

305. À cet égard, la requérante ne saurait tirer un argument du fait que la Commission, au considérant 175 de sa décision, l'a qualifiée d'"entreprise spécialisée dans un seul produit". En effet, il ressort de ce passage qu'une telle qualification n'a eu pour objectif que de différencier, à la baisse, le point de départ de son amende par rapport au point de départ retenu pour ABB. La requérante n'a pas réussi à définir dans quelle mesure une telle qualification, à supposer qu'elle soit erronée, aurait pu la désavantager.

306. Dans la mesure où la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir pris en considération son chiffre d'affaires sur le marché pertinent lors de l'application de la limite de 10 % du chiffre d'affaires prévue par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, il convient de rappeler la jurisprudence constante selon laquelle le chiffre d'affaires visé à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 s'entend comme étant relatif au chiffre d'affaires global de l'entreprise concernée, qui donne seul une indication approximative de l'importance et de l'influence de celle-ci sur le marché (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 119; arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Cockerill-Sambre/Commission, T-144-89, Rec. p. II-947, point 98, et du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T-43-92, Rec. p. II-441, point 160). Dans le respect de la limite fixée par la disposition susvisée du règlement n° 17, la Commission peut fixer le montant de l'amende à partir du chiffre d'affaires de son choix, en termes d'assiette géographique et de produits concernés.

307. En deuxième lieu, la requérante ne saurait non plus invoquer une violation du principe de proportionnalité fondée sur le fait que la Commission n'aurait pas calculé le montant de son amende en fonction du profit qu'elle avait réalisé sur le marché pertinent. En effet, même si le profit que les entreprises ont pu tirer de leurs pratiques fait partie des éléments de nature à entrer dans l'appréciation de la gravité de l'infraction (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 129, et arrêt Deutsche Bahn/Commission, précité, point 127), et même si la Commission, dans la mesure où elle est capable d'estimer ce profit illicite, dispose de la possibilité de fixer les amendes à un tel niveau que celles-ci dépassent un tel profit, il ressort d'une jurisprudence bien établie que la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (voir point 236 ci-dessus). De même, la Commission a annoncé, dans ses lignes directrices, que l'avantage économique ou financier éventuellement acquis par les auteurs de l'infraction figure parmi les données objectives qu'il convient "selon les circonstances" de prendre en considération pour adapter le montant des amendes envisagé (voir point 230 ci-dessus). En tout état de cause, la Commission ayant fixé le point de départ pour l'amende à imposer à la requérante à partir d'un ensemble de facteurs reflétant l'importance de cette dernière sur le marché, il ne saurait être soutenu qu'elle a négligé les avantages que la requérante a pu tirer de l'infraction en question.

308. Quant à la capacité de la requérante à payer l'amende, il suffit d'observer que, selon une jurisprudence constante, la Commission n'est pas obligée, lors de la détermination du montant de l'amende, de tenir compte de la situation financière déficitaire d'une entreprise intéressée, étant donné que la reconnaissance d'une telle obligation reviendrait à procurer un avantage concurrentiel injustifié aux entreprises les moins adaptées aux conditions du marché (arrêt IAZ e.a./Commission, précité, points 54 et 55; arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Fiskeby Board/Commission, T-319-94, Rec. p. II-1331, points 75 et 76, et Enso Española/Commission, T-348-94, Rec. p. II-1875, point 316). De même, dans la mesure où les lignes directrices prévoient la prise en considération de la "capacité contributive réelle dans un contexte social particulier" pour adapter le montant des amendes envisagé, ce n'est qu'en indiquant qu'il convient de le faire "selon les circonstances" (voir point 230 ci-dessus).

309. Pour autant que la requérante s'appuie sur une violation du principe de proportionnalité, ses arguments doivent donc également être écartés.

310. Partant, le grief tiré d'une violation des principes d'égalité de traitement et de proportionnalité ainsi que d'illégalité des lignes directrices doit être rejeté dans son ensemble.

D - Sur l'appréciation erronée de la durée de l'infraction

1. Arguments des parties

311. Selon la requérante, la Commission n'a pas le droit de multiplier le montant intermédiaire de l'amende par 1,4 en raison d'une durée de l'entente prétendument égale à cinq ans, étant donné que, pour sa part, elle a pris part uniquement à une entente au Danemark d'une durée relativement brève, qu'elle a quittée en 1993, ainsi qu'à une brève entente, plus large, qui n'a duré que quelques mois avant que la coopération au sein de cette dernière ne se soit complètement altérée. Le fait qu'ABB ait reconnu l'existence d'une infraction continue ne saurait être pertinent pour le calcul de la durée de l'infraction la concernant.

312. De plus, le fait que "les arrangements, au départ, étaient incomplets et ont eu un effet limité en dehors du marché danois" aurait dû, également, être pris en compte lors de l'appréciation de la durée de l'entente.

313. La défenderesse fait remarquer que l'argument de la requérante revient à contester sa participation à une entente continue. En tout état de cause, en fixant la durée de l'infraction à cinq ans dans le considérant 170 de la décision, la Commission aurait tenu compte du caractère incomplet des arrangements en dehors du Danemark dans les premiers temps.

2. Appréciation du Tribunal

314. Ainsi que cela a été observé, aux points 99 à 109 ci-dessus, la Commission a correctement calculé la durée de l'infraction reprochée à la requérante.

315. En ce qui concerne la circonstance selon laquelle les arrangements au sein de l'entente ont été, au départ, incomplets et ont eu un effet limité en dehors du marché danois, il suffit de constater que la Commission en a suffisamment tenu compte, lors de l'appréciation de la durée de l'infraction reprochée à la requérante.

316. Dès lors, le grief doit être rejeté.

E - Sur l'application erronée des circonstances aggravantes

1. Arguments des parties

317. La requérante conteste l'augmentation du montant de base de l'amende de 30 % qui a été effectuée sur la base des circonstances aggravantes retenues par la Commission, notamment la poursuite délibérée de sa participation à l'infraction après les vérifications effectuées, notamment, par la Commission, et son prétendu rôle actif dans les représailles menées à l'encontre de Powerpipe. Ce faisant, la Commission n'aurait d'ailleurs démontré aucune des circonstances aggravantes énumérées au point 2 de ses propres lignes directrices.

318. La Commission aurait augmenté à tort le montant de l'amende pour la poursuite de l'infraction après les vérifications. En effet, la continuation des pratiques en question après le début de l'enquête de la Commission serait intrinsèque à toute infraction et ne saurait donc être considérée comme une circonstance aggravante. Cela serait confirmé par le fait que la pratique décisionnelle de la Commission ainsi que ses propres lignes directrices démontrent que l'absence d'une poursuite de l'infraction doit être prise en compte en tant que circonstance atténuante. Si la fin précoce d'une infraction peut être considérée comme une circonstance atténuante, il n'y aurait pas de raison de traiter la continuation de l'infraction après le début de l'enquête comme une circonstance aggravante.

319. En ce qui concerne les mesures concertées à l'encontre de Powerpipe, la requérante répète qu'elle n'a pas participé à la moindre action punitive contre Powerpipe.

320. La défenderesse fait observer que la liste des circonstances aggravantes figurant dans les lignes directrices n'est pas exhaustive. Dès lors, elle aurait été en droit de considérer la poursuite de l'infraction comme une circonstance aggravante, en particulier lorsqu'il s'agit d'infractions sérieuses au point qu'aucune personne avisée ne pourrait considérer ce comportement comme légal. Enfin, la responsabilité de la requérante pour les actions concertées menées contre Powerpipe aurait été démontrée dans la décision.

2. Appréciation du Tribunal

321. En premier lieu, il convient d'observer, en ce qui concerne la liste de circonstances aggravantes énumérées dans les lignes directrices, que ces dernières indiquent clairement qu'il ne s'agit que d'une liste donnée à titre d'exemple.

322. En ce qui concerne le rôle actif de la requérante dans les représailles menées contre Powerpipe, il suffit de rappeler qu'il est établi, ainsi que cela a été constaté aux points 139 à 164 ci-dessus, que la requérante a pris contact, dès juillet 1992, avec ABB afin de nuire aux activités de Powerpipe, qu'elle s'est entendue avec ABB, en 1993, sur le débauchage d'un salarié clé de cette entreprise et qu'elle s'est efforcée, à la suite à de la réunion du 24 mars 1995, en intervenant auprès d'un de ses fournisseurs, de faire retarder les livraisons de ce dernier à Powerpipe. Dans ces circonstances, la Commission était en droit de lui reprocher, en tant que circonstance aggravante, son rôle actif dans les représailles menées contre Powerpipe, le rôle majeur joué par ABB à ce sujet étant, par ailleurs, reconnu.

323. Il y a lieu d'observer, en second lieu, que la requérante ne conteste pas avoir poursuivi son infraction après les vérifications de la Commission.

324. Contrairement à ce que prétend la requérante, le fait que la cessation d'une infraction après les premières interventions de la Commission peut être retenue comme circonstance atténuante ne signifie pas que la poursuite d'une infraction dans une telle situation ne peut être considérée comme une circonstance aggravante. En effet, la réaction d'une entreprise à l'ouverture d'une enquête concernant ses activités ne peut être appréciée qu'en tenant compte du contexte particulier du cas d'espèce. Étant donné que la Commission ne peut donc être tenue, en règle générale, ni de retenir une poursuite de l'infraction comme une circonstance aggravante, ni de considérer la cessation d'une infraction comme une circonstance atténuante, la possibilité qu'elle qualifie une telle cessation, dans un cas particulier, de circonstance atténuante ne peut la priver de son pouvoir de retenir une telle poursuite, dans un autre cas, comme circonstance aggravante.

325. Partant, le grief ne peut être accueilli.

F - Sur le défaut de prise en compte de circonstances atténuantes

1. Arguments des parties

326. La requérante reproche à la Commission de n'avoir pas tenu compte de certains facteurs, qui, dans le passé, auraient systématiquement été considérés comme des circonstances atténuantes, notamment l'existence de pressions exercées sur une entreprise par une autre ou l'introduction dans l'entreprise d'une politique de mise en conformité avec le droit communautaire.

327. Premièrement, la Commission aurait dû prendre en considération le fait qu'elle est une entreprise familiale de taille moyenne, n'ayant donc pas le capital d'une entreprise faisant partie d'un groupe, ce qui aurait réduit sa capacité à payer l'amende.

328. Deuxièmement, la requérante aurait été constamment soumise à de fortes pressions de la part d'ABB, qui disposait du pouvoir et des ressources nécessaires pour dominer le secteur. De fait, ABB n'aurait jamais caché que son objectif à long terme était d'acquérir le contrôle de la requérante ou de nuire à celle-ci en raison de la menace constituée par sa technologie moins onéreuse. L'objectif de la requérante aurait, dès lors, été de ne pas contrarier ABB plutôt que de respecter une entente imposée par cette dernière. Les pressions exercées par ABB devraient donc être prises en considération comme circonstance atténuante au profit de la requérante.

329. Sur ce point, la requérante conteste l'argument de la défenderesse selon lequel il suffirait de prendre en considération ces circonstances dans l'appréciation de la gravité du comportement d'ABB. Dans l'évaluation individuelle de chaque entreprise, la Commission aurait été obligée de considérer l'effet matériel que la stratégie de pression d'ABB avait eu sur le comportement des entreprises et, donc, sur celui de la requérante. En tout état de cause, la décision aurait dû tenir compte du caractère relativement moins grave du rôle de la requérante par rapport à celui d'ABB, le chef de file de l'entente.

330. Troisièmement, la Commission aurait dû considérer le fait que la requérante disposait d'une technologie plus efficace lui permettant d'exercer une pression versle bas sur les prix. Elle aurait donc eu, à tout moment, plus d'intérêt à gagner des parts de marché qu'à geler sa situation sur le marché. Au sein de l'EuHP, elle aurait été victime d'une opposition à l'utilisation de sa nouvelle technologie économique.

331. Quant à l'argument de la défenderesse selon lequel le défaut d'introduction d'une plainte de sa part empêcherait de tenir compte de cette situation comme une circonstance atténuante, cet argument serait contredit par le texte même de la communication sur la coopération.

332. Quatrièmement, la participation de la requérante à l'entente n'aurait pu avoir que des effets minimes sur le marché, puisqu'elle avait atteint, en 1991 et 1992, des parts du marché au Danemark sensiblement supérieures aux parts qui lui étaient attribuées. Ainsi, la requérante se serait distanciée, dans la mesure requise par la jurisprudence, des pratiques de quota utilisées par les autres entreprises. Il conviendrait également de souligner que c'est la requérante qui a mis fin à la première entente au Danemark, dès avril 1993.

333. Cinquièmement, il serait à relever que, depuis la fin de l'année 1997, elle a quitté l'EuHP. Selon la requérante, la coopération au sein de l'EuHP aurait fait partie du comportement sanctionné par la décision. La Commission aurait dû prendre en considération les faits entourant son départ de l'EuHP lors de la fixation du montant de l'amende.

334. Enfin, la requérante aurait introduit un programme interne de mise en conformité avec le droit communautaire au printemps de 1997, impliquant la distribution d'un "manuel de conformité" ainsi que des conférences et des discussions à ce sujet avec son personnel danois et allemand.

335. La défenderesse affirme qu'aucune des circonstances énumérées dans la requête n'aurait dû être prise en considération en tant que circonstance atténuante.

2. Appréciation du Tribunal

336. Il convient d'observer que, en l'espèce, la Commission a pu légitimement considérer qu'aucune circonstance atténuante ne devait être reconnue à la requérante.

337. Tout d'abord, il y a lieu de relever que le seul fait que la Commission a considéré, dans sa pratique décisionnelle antérieure, que certains éléments constituaient des circonstances atténuantes aux fins de la détermination du montant de l'amende n'implique pas qu'elle soit obligée de porter la même appréciation dans une décision ultérieure (arrêt Mayr-Melnhof/Commission, précité, point 368).

338. Il convient d'observer, ensuite, que la circonstance selon laquelle la requérante constitue une entreprise familiale de taille moyenne ne peut aucunement constituer une circonstance atténuante. À supposer même qu'il y ait un lien entre le caractère familial de l'actionnariat d'une entreprise et sa solvabilité, ce qui n'est pas établi, il ressort d'une jurisprudence constante que la Commission n'est pas obligée de tenir compte de la situation financière déficitaire d'une entreprise intéressée, étant donné que la reconnaissance d'une telle obligation reviendrait à procurer un avantage concurrentiel injustifié aux entreprises les moins adaptées aux conditions du marché (voir point 308 ci-dessus).

339. Puis, en ce qui concerne les pressions exercées par ABB sur la requérante, il convient de rappeler que cette dernière aurait pu dénoncer les pressions dont elle faisait l'objet aux autorités compétentes et introduire auprès de la Commission une plainte en application de l'article 3 du règlement n° 17 plutôt que de participer à l'entente (voir point 142 ci-dessus). En tout état de cause, il ne saurait être reproché à la Commission d'avoir méconnu de telles pressions, étant donné que, lors de la détermination de l'amende à imposer à ABB, les pressions que celle-ci a exercées sur les autres entreprises afin de les persuader de rallier l'entente ont été considérées comme un élément conduisant à une augmentation de son amende.

340. Il en va de même des pressions que la requérante aurait subies de la part des autres entreprises participant à l'EuHP, en ce qui concerne l'utilisation de sa nouvelle technologie. Il y a lieu d'observer, à cet égard, que la requérante, de par la disponibilité d'une technologie permettant d'économiser les coûts, aurait précisément été dans une position plus forte pour s'opposer aux activités de l'entente et, au cas où celle-ci l'aurait empêchée d'utiliser sa technologie, pour déposer une plainte auprès de la Commission.

341. Il convient de souligner, d'ailleurs, que rien dans le texte de la communication sur la coopération, ni dans celui des lignes directrices, ne s'oppose à ce que, à défaut de l'introduction d'une plainte relative à des pressions exercées par des entreprises concurrentes, l'existence de telles pressions ne soit pas considérée comme étant une circonstance atténuante.

342. Enfin, la requérante ne saurait tirer un argument du fait que, dans le cadre de l'entente danoise, elle n'aurait pas toujours respecté l'attribution des quotas décidée au sein de l'entente. En effet, comme cela est évoqué aux considérants 36 et 37 de la décision, même si la requérante a menacé de quitter l'entente, elle n'a pas mis fin à sa participation à l'entente, mais a plutôt cherché, par ce biais, à obtenir une augmentation de son quota. Il convient d'observer, à cet égard, que la requérante a admis avoir soumis elle-même, à cette époque, des propositions pour une révision de la répartition des parts de marché (réponse de la requérante à la communication des griefs). Ensuite, en ce qui concerne son retrait de l'entente danoise, en avril 1993, il y lieu d'observer, ainsi qu'il a été constaté aux points 75 à 77 ci-dessus, que, postérieurement à l'affaiblissement de l'entente danoise, elle était encore impliquée dans les négociations concernant une répartition du marché allemand.

343. Dans ces circonstances, la Commission a pu légitimement considérer que le comportement de la requérante au sein de l'entente ne pouvait donner lieu à aucune circonstance atténuante.

344. Quant au retrait de la requérante de l'EuHP, au début de l'année 1997, il suffit d'observer que, étant donné que la Commission n'a pas retenu, à l'encontre de la requérante, la coopération au sein de l'EuHP comme un élément constitutif de l'infraction et a, en outre, établi la fin de l'infraction au printemps de 1996, elle ne devait pas accepter comme circonstance atténuante à l'égard de la requérante le retrait de cette dernière de l'EuHP, qui, de plus, date d'une période ultérieure à la période retenue pour l'infraction.

345. Enfin, il ne saurait être reproché à la Commission de n'avoir pas considéré, comme circonstance atténuante, la mise en œuvre par la requérante d'un programme interne de mise en conformité avec le droit communautaire. En effet, s'il est, certes, important que la requérante ait pris des mesures pour empêcher que de nouvelles infractions au droit communautaire de la concurrence soient commises à l'avenir par des membres de son personnel, ce fait ne change rien à la réalité de l'infraction qui a été constatée en l'espèce (arrêt du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, point 357). En outre, il ressort de la jurisprudence que, si la mise en œuvre d'un programme pour se conformer aux règles communautaires de la concurrence démontre la volonté de l'entreprise en cause de prévenir les infractions futures et constitue donc un élément permettant à la Commission de mieux accomplir sa mission consistant, notamment, à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens les entreprises, le seul fait que, dans certains cas, la Commission ait pris en considération, dans sa pratique décisionnelle antérieure, la mise en place d'un tel programme en tant que circonstance atténuante n'implique pas pour elle une obligation de procéder de la même façon dans un cas déterminé (arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Fiskeby Board/Commission, précité, point 83, et Mo och Domsjö/Commission, T-352-94, Rec. p. II-1989, point 417). Il en est d'autant plus ainsi lorsque l'infraction en cause constitue, comme dans le cas d'espèce, une violation manifeste de l'article 85, paragraphe 1, sous a) et c), du traité.

346. Pour toutes ces raisons, le grief doit donc être rejeté.

G - Sur l'application erronée de la communication sur la coopération

1. Arguments des parties

347. La requérante fait valoir, premièrement, que la réduction de 30 % de l'amende accordée en vertu du point D de la communication sur la coopération ne reflète pas suffisamment la valeur de sa coopération avec la Commission. Deuxièmement, elle estime que la Commission aurait dû appliquer, à son égard, les principes évoqués dans son projet de communication sur la coopération plutôt que les dispositions de la version définitive de cette communication. Troisièmement, aucune amende n'aurait dû lui être imposée pour des faits postérieurs à la date des vérifications.

348. En premier lieu, la Commission aurait dû tenir compte du fait que la requérante était la première entreprise à informer la presse qu'elle allait coopérer avec cette institution dans son enquête. La requérante aurait été la première entreprise à fournir à la Commission des renseignements et des éléments de preuve matériels, y compris les preuves de la continuation de l'entente après les vérifications, ce que celle-ci ignorait. Dans sa coopération systématique avec la Commission, la requérante se serait montrée souple, en renonçant à son droit d'accès au dossier et à son droit de ne pas s'accuser soi-même. La Commission ne pourrait fonder son refus de lui accorder une réduction supérieure sur le seul fait que la requérante n'avait commencé à coopérer que bien après le début de l'enquête, étant donné que le point D de la communication exige uniquement que la coopération se situe avant l'envoi de la communication des griefs.

349. Selon la requérante, sa coopération aurait dû entraîner une réduction de plus de 30 % de l'amende, étant donné que sa coopération serait allée bien au-delà de la seule attitude de non-contestation des faits, laquelle aurait mené, par exemple dans la décision Carton, à une réduction de 33 % de l'amende. En l'espèce, une simple attitude de non-contestation des faits aurait déjà mené pour KE KELIT à une réduction de 20 % de l'amende.

350. La requérante aurait pu s'attendre à une réduction analogue à celle accordée dans la décision Carton, à laquelle la Commission avait également fait référence lors du premier contact entre elle-même et cette dernière. Dans la décision 98-247-CECA de la Commission, du 21 janvier 1998, relative à une procédure d'application de l'article 65 du traité CECA (IV-35.814 - Extra d'alliage) (JO L 100, p. 55, ci-après la "décision Extra d'alliage"), des réductions de 40 % de l'amende auraient été accordées pour la production de preuves et, dans le cas de l'entreprise qui était la première à avoir fourni des éléments de preuve, aucune amende n'aurait été infligée.

351. En deuxième lieu, la Commission aurait dû appliquer les principes exprimés dans son projet de communication sur la coopération et non ceux exprimés dans la version définitive de la communication sur la coopération. En effet, comme cette version définitive n'avait pas encore été publiée, la requérante aurait pris la décision de coopérer avec la Commission sur la base du projet de communication sur la coopération et de la pratique antérieure de la Commission. Dans son projet de communication sur la coopération, la Commission aurait d'ailleurs déclaré qu'elle était consciente du fait que la communication créait des attentes légitimes sur lesquelles se fonderaient les entreprises souhaitant l'informer de l'existence d'une entente.

352. En vertu du projet de communication sur la coopération, une réduction d'au moins 50 % devrait être accordée si, après que la Commission a procédé à des vérifications, l'entreprise satisfait à trois critères, à savoir, premièrement, être la première à prêter sa coopération, deuxièmement, informer la Commission de manière extensive et maintenir une coopération permanente et, troisièmement, ne pas avoir contraint une autre entreprise à participer à l'entente ni avoir joué un rôle déterminant dans l'activité illicite. Ce projet de communication sur la coopération ne contiendrait donc pas la condition, figurant dans la version définitive, selon laquelle les vérifications n'ont pas dû permettre de donner une base suffisante pour justifier l'engagement d'une procédure en vue de l'adoption d'une décision. Le projet de communication sur la coopération refléterait, à cet égard, la pratique de la Commission existant à ce moment-là, illustrée notamment par la décision Carton, dans laquelle les entreprises se sont vu accorder des réductions s'élevant à deux tiers de l'amende pour avoir fourni des preuves qui avaient réduit la nécessité pour la Commission de s'appuyer sur des preuves indirectes et avoir influencé d'autres entreprises concernées qui, autrement, auraient peut-être continué à nier l'infraction.

353. Même si la Commission avait eu le droit d'appliquer sa communication dans sa version définitive et si elle avait pu considérer que la requérante entrait dans l'hypothèse décrite sous le point D de cette communication, il n'apparaîtrait pas clairement pour quelle raison elle n'a pas bénéficié de la réduction la plus élevée possible, c'est-à-dire de 50 %.

354. En troisième lieu, aucune amende n'aurait dû lui être infligée en ce qui concerne les activités illégales accomplies postérieurement aux vérifications, étant donné que c'était elle qui avait informé la Commission de telles activités, dont cette dernière admet qu'elle n'était pas consciente à l'époque. Tant le projet de communication sur la coopération que la version définitive, au point B, établiraient qu'une entreprise qui informe la Commission d'une entente dont celle-ci n'était pas consciente a droit à une réduction très importante, ou mieux encore, selon le projet de la communication, à ce qu'aucune amende ne lui soit infligée.

355. En l'espèce, la réduction de l'amende accordée à la requérante aurait été très limitée, puisque les faits révélés à la Commission avaient déjà entraîné une majoration de l'amende, une première fois en raison de l'augmentation de la durée de l'infraction et, une seconde fois, en raison, essentiellement, de l'augmentation de 30 % au titre de la gravité de l'infraction.

356. La défenderesse affirme qu'elle a exercé le pouvoir discrétionnaire dont elle dispose dans l'application de sa communication sur la coopération d'une manière légale et raisonnable. En effet, au titre du point D de ladite communication, l'aide apportée par la requérante n'aurait pas mérité plus qu'une réduction de 30 %, étant donné qu'elle n'a pas commencé sa coopération avant la réception d'une demande de renseignements. De plus, la requérante n'aurait pas avancé d'arguments pour démontrer que les points B ou C de cette communication étaient applicables. En tout état de cause, la Commission ne saurait s'écarter de sa communication finale, étant donné qu'elle doit respecter la politique qu'elle a elle-même annoncée publiquement.

357. Comme la Commission dispose d'une large marge discrétionnaire à cet égard, vu le grand nombre de facteurs à prendre en considération, la requérante n'aurait pu avoir aucune attente légitime par rapport à une réduction particulière accordée dans des affaires précédentes, telle la décision Carton. Le cas de la requérante ne serait pas non plus comparable aux cas des entreprises ayant bénéficié de réductions de 40 % dans la décision Extra d'alliage. Quant à l'argument tiré de la réduction de 20 % accordée à KE KELIT, il pourrait uniquement conduire à une augmentation de l'amende infligée à cette dernière.

358. En tout état de cause, la requérante ne pourrait se fonder sur le point B de la communication sur la coopération pour invoquer l'immunité en ce qui concerne les faits commis postérieurement à l'ouverture de l'enquête. En revanche, la poursuite de l'infraction dans ces conditions aurait été suffisamment choquante pour que la Commission ait été amenée à majorer le montant de l'amende à titre dissuasif.

2. Appréciation du Tribunal

359. Il y a lieu d'observer, au préalable, que la Commission, dans sa communication sur la coopération, a défini les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec elle au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées de l'amende ou bénéficier d'une réduction du montant de l'amende qu'elles auraient autrement dû acquitter (voir point A 3 de la communication sur la coopération).

360. Comme cela est mentionné au point E 3 de la communication sur la coopération, celle-ci a créé des attentes légitimes sur lesquelles se fondent les entreprises souhaitant informer la Commission de l'existence d'une entente. Eu égard à la confiance légitime que les entreprises souhaitant coopérer avec la Commission ont pu tirer de cette communication, la Commission était donc obligée de s'y conformer lors de l'appréciation, dans le cadre de la détermination du montant de l'amende imposée à la requérante, de sa coopération.

361. En revanche, la requérante ne saurait soutenir que la Commission aurait dû appliquer, à son cas, les critères annoncés dans son projet de communication. Ainsi que cela a été constaté, au point 246 ci-dessus, ce projet, en avertissant les entreprises que la Commission envisageait d'adopter une communication au sujet de la coopération des entreprises dans l'instruction ou la poursuite des infractions, ne pouvait fonder, en lui-même, une quelconque confiance en ce que les critères qui y sont contenus soient définitivement adoptés et ensuite appliqués. La solution contraire aurait l'effet indésirable de dissuader la Commission de publier desprojets de communication afin d'obtenir des observations de la part des opérateurs concernés.

362. Ensuite, en ce qui concerne l'application de la communication sur la coopération au cas de la requérante, il convient d'observer que celui-ci ne tombe pas dans le champ d'application du point B de cette communication, visant le cas où une entreprise a dénoncé une entente secrète à la Commission avant que celle-ci n'ait procédé à une vérification (cas pouvant amener à une réduction d'au moins 75 % du montant de l'amende), ni dans celui du point C de ladite communication, concernant une entreprise qui a dénoncé une entente secrète après que la Commission a procédé à une vérification sans que cette dernière ait pu donner une base suffisante pour justifier l'engagement de la procédure en vue de l'adoption d'une décision (cas pouvant amener à une réduction de 50 à 75 % du montant de l'amende).

363. En ce qui concerne le point D de la communication sur la coopération, il y a lieu de relever que, aux termes de cette disposition, "[l]orsqu'une entreprise coopère sans que les conditions exposées aux [points] B et C soient toutes réunies, elle bénéficie d'une réduction de 10 à 50 % de l'amende qui lui aurait été infligée en l'absence de coopération." Cette communication précise ce qui suit:

"Tel peut notamment être le cas si:

- avant l'envoi d'une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d'autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l'existence de l'infraction commise,

- après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu'elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations."

364. Force est de constater que la requérante n'a pas démontré que la Commission, ayant reconnu que la requérante lui a volontairement communiqué des preuves écrites qui ont notablement contribué à établir d'importants aspects de l'affaire, en particulier le fait que les membres de l'entente ont décidé de poursuivre celle-ci après l'enquête, ce que la Commission soupçonnait, mais sans en avoir la preuve (considérant 177 de la décision), aurait dû lui accorder une réduction supérieure à celle de 30 % dont elle a bénéficié.

365. En effet, il convient d'indiquer que la Commission a observé, au considérant 177 de sa décision, que les demandes de renseignements ont fourni à la requérante l'occasion de communiquer les preuves de l'infraction. À cet égard, il ressort de la décision que, en ce qui concerne la coopération offerte par ABB, la Commission a estimé que celle-ci ne saurait bénéficier d'un taux de réduction de 50 %, admissible en vertu du point D, étant donné qu'il a fallu attendre, pour qu'elle coopère, l'envoi des demandes de renseignements détaillées (considérant 174, troisième et quatrième alinéas). Il s'ensuit que la Commission n'était pas prête à accorder une réduction du montant de l'amende de 50 % lorsque l'entreprise en question ne lui a pas communiqué des informations avant la réception d'une demande de renseignements. Or, il est constant que la requérante n'a communiqué des documents à la Commission qu'après avoir reçu de celle-ci une telle demande de renseignements.

366. Quant à la comparaison du cas d'espèce avec la pratique antérieure de la Commission, il convient d'observer que le seul fait que la Commission ait accordé, dans sa pratique décisionnelle antérieure, un certain taux de réduction pour un comportement déterminé n'implique pas qu'elle est tenue d'accorder la même réduction proportionnelle lors de l'appréciation d'un comportement similaire dans le cadre d'une procédure administrative ultérieure (voir point 244 ci-dessus).

367. La requérante ne saurait non plus tirer un argument du fait que KE KELIT s'est vu accorder une réduction de 20 % du montant de son amende pour ne pas avoir contesté les faits qui lui sont reprochés. Même à supposer que la Commission ait accordé une réduction trop élevée de l'amende infligée à cette autre entreprise, il doit être rappelé que le respect du principe d'égalité de traitement doit se concilier avec le respect du principe de légalité selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d'autrui (arrêts SCA Holding/Commission, précité, point 160, et Mayr-Melnhof/Commission, précité, point 334).

368. En outre, la requérante ne saurait réclamer une réduction plus élevée en ce qui concerne la période débutant après l'ouverture de l'enquête, au cours de laquelle l'infraction a été poursuivie et à l'égard de laquelle la requérante a fourni des preuves à la Commission. Étant donné que cette poursuite de l'entente constitue un aspect indissociable de l'infraction, cette dernière n'a pu être considérée, lors de l'application de la communication sur la coopération, que dans son ensemble. Dès lors que la requérante ne remplissait pas les conditions d'application ni du point B, ni du point C de ladite communication, son comportement devait être apprécié au titre du point D.

369. Enfin, la Commission était en droit de tenir compte de la poursuite de l'infraction après les vérifications, en dehors du calcul de la durée de celle-ci, également en tant que circonstance aggravante, étant donné qu'un tel comportement témoignait de la détermination particulière des participants à l'entente à continuer leur infraction en dépit du risque de se voir imposer une sanction.

370. Dans ces circonstances, la Commission n'a commis aucune erreur de droit ou de fait dans l'application de sa communication sur la coopération. Dès lors, le grief doit être rejeté.

IV - Sur le quatrième moyen, tiré d'une violation de l'obligation de motivation lors de la détermination du montant de l'amende

A - Arguments des parties

371. La requérante reproche à la Commission d'avoir violé l'obligation de motivation en n'assurant pas la transparence de la méthode de calcul du montant de l'amende. La Commission n'aurait pas donné d'explications sur le fait que l'amende a été fixée sur la base de points de départ exprimés en montants absolus, indépendants du chiffre d'affaires des entreprises et supérieurs au niveau maximal légalement permis. Elle n'aurait pas donné d'explications sur son appréciation, quant aux petites et moyennes entreprises impliquées, de la gravité de l'infraction. En particulier, elle n'aurait pas expliqué comment elle avait pu s'écarter de sa pratique antérieure consistant à déterminer le montant des amendes proportionnellement au chiffre d'affaires sur le marché pertinent.

372. Selon la requérante, ce serait également en violation de l'obligation de motivation que la défenderesse a rétroactivement appliqué, sans aucune justification, ses nouvelles lignes directrices pour le calcul du montant des amendes.

373. De même, cette obligation serait violée dans la mesure où la Commission se serait écartée de sa pratique antérieure de clémence et de son projet de communication sur la coopération, exprimant notamment cette clémence, en appliquant plutôt une autre politique inscrite dans la version définitive de la communication sur la coopération.

374. De plus, la Commission aurait violé son obligation de motivation en ignorant toutes les circonstances atténuantes invoquées par la requérante. Même si la Commission n'était pas tenue de prendre en considération les circonstances énumérées par la requérante, elle aurait dû expliquer pourquoi elle avait ignoré ces facteurs.

375. La défenderesse fait remarquer que la requérante, dans son moyen sur l'obligation de motivation, présente simplement sous un autre aspect les arguments qu'elle a déjà développés en ce qui concerne une prétendue discrimination.

376. En tout état de cause, l'argument de la requérante relatif au prétendu défaut de motivation serait dénué de fondement, tant en ce qui concerne l'application "rétroactive" des nouvelles lignes directrices qu'en ce qui concerne la circonstance selon laquelle la Commission se serait écartée de son projet de communication sur la coopération. Enfin, dès lors que la Commission n'était pas obligée de traitercertaines circonstances comme des circonstances atténuantes, aucune motivation n'aurait été exigée sur ce point.

B - Appréciation du Tribunal

377. Il est de jurisprudence constante que la motivation exigée par l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE) doit faire apparaître, d'une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l'autorité communautaire, auteur de l'acte incriminé, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle. L'exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires ou d'autres personnes concernées directement et individuellement par l'acte peuvent avoir à recevoir des explications (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink's France, C-367-95 P, Rec. p. I-1719, point 63).

378. Pour ce qui est d'une décision infligeant des amendes à plusieurs entreprises pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la portée de l'obligation de motivation doit être, notamment, déterminée à la lumière du fait que la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO e.a./Commission, précitée, point 54).

379. En l'espèce, la Commission, dans sa décision, expose d'abord ses constatations générales concernant la gravité de l'infraction en question ainsi que les éléments particuliers de l'entente sur lesquels elle s'est basée pour conclure que, dans le présent cas, il s'agit d'une infraction très grave pour laquelle l'amende normalement imposable est d'au moins 20 millions d'écus (considérants 164 et 165 de la décision). Ensuite, elle explique que ce montant doit être modulé en tenant compte de la capacité économique effective des auteurs d'infraction à créer un dommage important à la concurrence et de la nécessité d'assurer un caractère suffisamment dissuasif à l'amende (considérant 166 de la décision). Puis, la Commission indique qu'elle a tenu compte, dans la détermination du montant de l'amende, des éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes ainsi que de la position de chaque entreprise au regard de la communication sur la coopération (considérant 167 de la décision).

380. En ce qui concerne l'amende à infliger à la requérante, la Commission explique ensuite, que, compte tenu de l'ordre d'importance de la requérante en tant que deuxième producteur européen de conduites précalorifugées, et pour refléter sa situation d'entreprise spécialisée dans un seul produit, le point de départ pour son amende sera ajusté à 10 millions d'écus, en raison de la gravité de l'infraction en ce qui la concerne (considérant 175, premier et deuxième alinéas, de la décision). Ensuite, la Commission expose la pondération de l'amende à infliger à la requérante en fonction de la durée de l'infraction (considérant 175, troisième alinéa, de la décision).

381. Puis, la Commission indique qu'il convient de majorer le montant de base de l'amende de la requérante en raison de la circonstance particulièrement aggravante constituée par la poursuite délibérée de sa participation à l'infraction après les vérifications ainsi que de la circonstance aggravante supplémentaire que représente le rôle actif de la requérante dans les représailles menées à l'encontre de Powerpipe, bien que sur un plan autre qu'ABB (considérant 176, premier et deuxième alinéas, de la décision). La Commission expose également qu'aucune circonstance atténuante ne saurait être retenue, en expliquant que, même si la requérante peut avoir subi des pressions de la part d'ABB à différents moments, elle en exagère beaucoup la portée en prétendant que cette dernière l'a entraînée contre son gré dans l'entente (considérant 176, troisième alinéa, de la décision). De plus, la Commission précise que, étant donné que le montant final calculé selon cette méthode ne peut en aucun cas dépasser 10 % du chiffre d'affaires mondial de la requérante, comme cela est prévu à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, l'amende sera de 12 700 000 écus, de manière à ne pas dépasser la limite autorisée (considérant 176, quatrième alinéa, de la décision).

382. Enfin, la Commission expose qu'en vertu de la communication sur la coopération la requérante se voit accorder une minoration de 30 % parce qu'elle a volontairement communiqué des preuves écrites qui ont notablement contribué à établir d'importants aspects de l'affaire, en particulier le fait que les membres de l'entente ont décidé de la poursuivre après l'enquête, ce que la Commission soupçonnait, mais sans en avoir la preuve (considérant 177 de la décision).

383. Il y a lieu de considérer que, interprétés à la lumière des allégations factuelles exposées à l'égard de chaque destinataire de la décision, les considérants 164 à 167 et 175 à 177 contiennent une indication suffisante et pertinente des éléments d'appréciation pris en considération pour déterminer la gravité et la durée de l'infraction commise par la requérante (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, KNP BT/Commission, C-248-98 P, Rec. p. I-9641, point 43).

384. Dans ces circonstances il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir motivé plus précisément les niveaux du montant de base et du montant final de l'amende imposée à la requérante ou du taux de réduction accordée pour sa coopération, d'autant plus que, sur ce dernier point, la décision a défini l'importance de sa coopération à la lumière du point D de la communication sur la coopération.

385. À supposer même que, en ce qui concerne le niveau de l'amende, la décision matérialise une augmentation sensible de ce niveau par rapport aux décisions précédentes, la Commission a développé le raisonnement l'amenant à fixer à un tel niveau le montant de l'amende de la requérante d'une manière tout à fait explicite(voir arrêt de la Cour du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission, 73-74, Rec. p. 1491, point 31).

386. La requérante ne saurait non plus reprocher à la Commission de ne pas avoir motivé son calcul de l'amende par rapport aux facteurs invoqués par celle-ci en tant que circonstances atténuantes.

387. En effet, dès lors que la Commission a expliqué, dans sa décision, qu'elle n'a pris en compte aucune circonstance atténuante à l'égard de la requérante, elle a fourni toutes les données nécessaires permettant à cette dernière de savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d'un vice permettant d'en contester la validité.

388. Par ailleurs, si la Commission est tenue, en vertu de l'article 190 du traité, de motiver ses décisions en mentionnant les éléments de fait dont dépend la justification de la décision et les considérations qui l'ont amenée à prendre celle-ci, cette disposition n'exige pas que la Commission discute tous les points de fait et de droit qui auraient été traités au cours de la procédure administrative (arrêts Michelin/Commission, précité, points 14 et 15, et Fiskeby Board/Commission, précité, point 127).

389. En tout état de cause, en ce qui concerne les pressions qu'a subies la requérante, la Commission a explicité, au considérant 176, troisième alinéa, de la décision, les raisons pour lesquelles elle n'en tenait pas compte en tant que circonstances devant conduire à une réduction de l'amende.

390. Enfin, il ne saurait être reproché à la Commission de n'avoir pas explicité le cadre juridique s'appliquant au cas d'espèce, en particulier l'application des nouvelles lignes directrices ou, encore, de la communication sur la coopération. En effet, il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 190 du traité doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt Commission/Sytraval et Brink's France, précité, point 63). Or, eu égard à l'engagement pris par la Commission, lors de la publication de ses lignes directrices et de sa communication sur la coopération, de s'y tenir lors de la détermination du montant d'une amende pour violation des règles de la concurrence (voir les points 245 et 274 ci-dessus), elle n'était pas tenue de préciser si et pour quels motifs elle en faisait application lors de la détermination du montant de l'amende infligée à la requérante.

391. Par conséquent, le moyen tiré d'une violation de l'obligation de motivation doit être rejeté.

V - Sur le cinquième moyen, tiré d'un niveau excessif du taux d'intérêt de l'amende

A - Arguments des parties

392. La requérante expose que le taux d'intérêt de retard, fixé dans l'article 4 de la décision à 7,5 %, c'est-à-dire le taux pratiqué par la Banque centrale européenne sur ses opérations en écus au premier jour ouvrable du mois au cours duquel la décision a été arrêtée, majoré de 3,5 points, est anormalement élevé. Ce taux exercerait une pression déraisonnable sur la requérante pour la contraindre à payer les amendes rapidement, alors que celle-ci estime disposer de solides motifs juridiques pour attaquer la décision. Le taux d'intérêt devrait, dès lors, être réduit à un niveau raisonnable.

393. À cet égard, la requérante invoque les conclusions de l'Avocat général M. Fennelly sous l'arrêt de la Cour du 16 mars 2000, Compagnie maritime belge e.a./Commission (C-395-96 P et C-396-96 P, Rec. p. I-1365, I-1371), dans lesquelles celui-ci précise que le taux d'intérêt ne doit pas être élevé au point qu'il oblige les entreprises à payer les amendes et qu'une majoration de 3,5 points appliquée, sans aucune explication, à un taux déjà élevé n'est pas acceptable.

394. La défenderesse fait observer qu'elle était en droit de fixer un taux suffisamment élevé pour dissuader les entreprises de payer l'amende avec retard. Eu égard aux taux actuels des banques commerciales, un taux de 7,5 % aurait été tout à fait raisonnable et se situerait précisément dans les limites de sa marge d'appréciation.

B - Appréciation du Tribunal

395. L'application d'intérêts de retard aux amendes infligées aux entreprises qui, de propos délibéré ou par négligence, commettent une infraction aux dispositions de l'article 85 du traité, assure l'effet utile du traité. À cet égard, ces intérêts de retard renforcent le pouvoir de la Commission dans la tâche, qui lui est dévolue par l'article 89 du traité CE (devenu article 85 CE), de veiller à l'application des règles de concurrence et garantissent que ne soient déjouées les règles du traité par des pratiques mises unilatéralement en œuvre par des entreprises tardant à payer les amendes auxquelles elles ont été condamnées. Si la Commission ne disposait pas du pouvoir d'assortir les amendes d'intérêts de retard, les entreprises tardant à payer leurs amendes seraient avantagées par rapport à celles qui s'acquittent du paiement de leurs amendes à l'échéance qui leur a été impartie (arrêt du Tribunal du 14 juillet 1995, CB/Commission, T-275-94, Rec. p. II-2169, points 48 et 49).

396. Si le droit communautaire n'admettait pas des mesures visant à compenser l'avantage qu'une entreprise peut tirer de son retard lors du paiement d'une amende, cela faciliterait l'introduction de recours manifestement non fondés, dont le seul but serait de retarder le paiement (arrêt AEG/Commission, précité, point 141).

397. Dans ce contexte, force est de constater que la Commission, en imposant un taux d'intérêt de 7,5 %, constitué par le taux pratiqué par la Banque centrale européenne sur ses opérations en écus au premier jour ouvrable du mois au cours duquel la décision a été arrêtée, majoré de 3,5 points, n'a pas dépassé la marge discrétionnaire dont elle jouit dans la fixation d'un taux d'intérêt de retard.

398. À cet égard, il est utile de rappeler que, si le taux d'intérêt ne doit pas être élevé au point d'obliger en fait les entreprises à payer les amendes même si elles estiment qu'elles ont de bonnes raisons pour contester la validité de la décision de la Commission, celle-ci peut, toutefois, prendre un point de référence situé à un niveau plus élevé que le taux proposé à l'emprunteur moyen, applicable sur le marché, dans la mesure nécessaire pour décourager les comportements dilatoires (conclusions de l'Avocat général M. Fennelly sous l'arrêt Compagnie maritime belge e.a./Commission, précitées, point 190).

399. La Commission n'ayant pas commis d'erreur d'appréciation dans la fixation du taux d'intérêt de retard, le moyen tiré d'un niveau excessif dudit taux doit être rejeté.

400. Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

401. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) La requérante est condamnée aux dépens.