TPICE, 4e ch., 20 mars 2002, n° T-31/99
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
ABB Asea Brown Boveri (Ltd)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mengozzi
Juges :
Mme Tiili, M. Moura Ramos
Avocats :
Mes Weitbrecht, Völcker.
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),
Faits à l'origine du litige
1. La requérante est un groupe international actif dans les secteurs de la production, de la transmission et de la distribution d'électricité, des systèmes industriels et des systèmes de construction et dans le secteur du transport. Dans le groupe ABB Asea Brown Boveri Ltd (ci-après le "groupe ABB"), les activités relatives au chauffage urbain regroupent l'entreprise danoise ABB IC Moller A/S (ci-après "ABB IC Moller"), située à Fredericia (Danemark) ainsi que d'autres entreprises de production et/ou de distribution situées en Allemagne, en Finlande, en Pologne et en Suède.
2. Dans les systèmes de chauffage urbain, l'eau chauffée dans un site central est acheminée, par des conduites souterraines, vers les locaux à chauffer. Étant donné que la température de l'eau (ou de la vapeur) transportée est très élevée, les conduites doivent être calorifugées pour assurer une distribution économique et sans risque. Les conduites utilisées sont précalorifugées et, à cette fin, sont généralement constituées d'un tube d'acier enveloppé d'un tube de plastique, avec une couche de mousse isolante entre les deux.
3. Les conduites de chauffage urbain font l'objet d'un commerce important entre les États membres. Les plus grands marchés nationaux de l'Union européenne sont l'Allemagne, avec 40 % de la consommation communautaire, et le Danemark, avec 20 %. Avec 50 % de la capacité de fabrication de l'Union européenne, le Danemark est le principal centre de production de l'Union qui approvisionne tous les États membres où est utilisé le chauffage urbain.
4. Par une plainte datée du 18 janvier 1995, l'entreprise suédoise Powerpipe AB a signalé à la Commission que les autres fabricants et fournisseurs de conduites de chauffage urbain s'étaient réparti le marché européen dans le cadre d'une entente et qu'ils avaient pris des mesures concertées pour nuire à son activité, ou confiner cette activité au marché suédois, ou encore l'évincer purement et simplement du secteur.
5. Le 28 juin 1995, agissant en vertu d'une décision de la Commission du 12 juin 1995, des fonctionnaires de cette dernière et des représentants des autorités de la concurrence des États membres concernés ont procédé, simultanément et sans préavis, à des vérifications dans dix entreprises ou associations présentes dans le secteur du chauffage urbain, y inclus ABB IC Moller.
6. Ensuite, la Commission a adressé des demandes de renseignements à ABB IC Moller et à la plupart des entreprises concernées par les faits litigieux, en vertu de l'article 11 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204).
7. Le 20 mars 1997, la Commission a adressé une communication des griefs à la requérante et aux autres entreprises concernées. Ensuite, une audition des entreprises concernées a eu lieu les 24 et 25 novembre 1997.
8. Le 21 octobre 1998, la Commission a adopté la décision 1999-60-CE, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/35.691/E-4 - Conduites précalorifugées) (JO 1999, L. 24, p. 1), rectifiée avant sa publication par une décision du 6 novembre 1998 [C(1998) 3415 final] (ci-après la "décision" ou la "décision attaquée") constatant la participation de diverses entreprises, et, notamment, de la requérante, à un ensemble d'accords et de pratiques concertées au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) (ci-après l'"entente").
9. Selon la décision, un accord a été conclu, à la fin de l'année 1990, entre les quatre producteurs danois des conduites de chauffage urbain sur le principe d'une coopération générale sur leur marché national. Cet accord aurait réuni ABB IC Moller, Dansk Rorindustri A/S, aussi connue sous le nom de Starpipe (ci-après "Dansk Rorindustri"), Logstor Ror A/S (ci-après "Logstor") et Tarco Energi A/S (ci-après "Tarco") (ci-après, les quatre pris ensemble, les "producteurs danois"). L'une des premières mesures aurait consisté à coordonner une augmentation des prix tant pour le marché danois que pour les marchés à l'exportation. Aux fins de partager le marché danois, des quotas auraient été fixés puis appliqués et contrôlés par un "groupe de contact" réunissant les responsables des ventes des entreprises concernées. Pour chaque projet commercial (ci-après un "projet"), l'entreprise à laquelle le groupe de contact avait attribué le projet aurait informé les autres participants du prix qu'elle avait l'intention de proposer et ces derniers auraient alors fait une offre plus élevée de façon à protéger le fournisseur désigné par l'entente.
10. Selon la décision, deux producteurs allemands, le groupe Henss/Isoplus (ci-après "Henss/Isoplus") et Pan-Isovit GmbH, se sont joints aux réunions régulières des producteurs danois à partir de l'automne de 1991. Dans le cadre de ces réunions se seraient tenues des négociations en vue de la répartition du marché allemand. Celles-ci auraient abouti, en août 1993, à des accords fixant des quotas de vente pour chaque entreprise participante.
11. Toujours selon la décision, il a été convenu d'un accord entre tous ces producteurs, en 1994, afin de fixer des quotas pour l'ensemble du marché européen. Cette entente européenne aurait comporté une structure à deux niveaux. Le "club des directeurs", réunissant les présidents ou les directeurs généraux des entreprises participant à l'entente, aurait attribué des quotas à chacune de ces entreprises tant sur l'ensemble du marché que sur chacun des marchés nationaux, notamment l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, la Finlande, l'Italie, les Pays-Bas et la Suède. Pour certains marchés nationaux, un "groupe de contact" aurait été institué, composé de responsables locaux des ventes, qui se seraient vu confier la tâche de gérer les accords en attribuant les projets et en coordonnant les soumissions aux appels d'offres.
12. En ce qui concerne le marché allemand, la décision mentionne que, à la suite d'une réunion des six principaux producteurs européens (la requérante, Dansk Rorindustri, Henss/Isoplus, Logstor, Pan-Isovit et Tarco) et de Brugg Rohrsysteme GmbH (ci-après "Brugg"), le 18 août 1994, une première réunion du groupe de contact pour l'Allemagne s'est tenue le 7 octobre 1994. Les réunions de ce groupe se seraient poursuivies longtemps après les vérifications de la Commission, à la fin de juin 1995, bien que, à partir de ce moment-là, elles se soient tenues à l'extérieur de l'Union européenne, à Zurich. Les réunions à Zurich se seraient poursuivies jusqu'au 25 mars 1996.
13. Comme élément de l'entente, la décision cite, notamment, l'adoption et la mise en œuvre de mesures concertées visant à éliminer la seule entreprise importante à ne pas en faire partie, Powerpipe. La Commission précise que certains participants à l'entente ont recruté des "salariés clés" de Powerpipe et ont fait comprendre à cette dernière qu'elle devait se retirer du marché allemand. À la suite de l'attribution à Powerpipe d'un important projet allemand, en mars 1995, une réunion se serait tenue à Düsseldorf, à laquelle auraient participé les six producteurs susvisés et Brugg. Selon la Commission, il a été décidé, lors de cette réunion, d'instituer un boycottage collectif des clients et des fournisseurs de Powerpipe. Ce boycottage aurait ensuite été mis en œuvre.
14. Dans la décision, la Commission expose les motifs pour lesquels non seulement l'arrangement exprès de partage des marchés conclu entre les producteurs danois à la fin de 1990, mais également les arrangements conclus à compter d'octobre 1991, visés ensemble, peuvent être considérés comme formant un "accord" prohibé par l'article 85, paragraphe 1, du traité. De plus, la Commission souligne que les ententes "danoise" et "européenne" ne constituaient que l'expression d'une seule entente qui a débuté au Danemark, mais qui avait, dès le départ, pour objectif, à plus long terme, d'étendre le contrôle des participants à tout le marché. Selon la Commission, l'accord continu entre producteurs a eu un effet sensible sur le commerce entre États membres.
15. Pour ces motifs, la décision a pour dispositif:
"Article premier
ABB Asea Brown Boveri Ltd, Brugg Rohrsysteme GmbH, Dansk Rorindustri A/S, le groupe Henss/Isoplus, KE KELIT Kunststoffwerk GmbH, Oy KWH Tech AB, Logstor Ror A/S, Pan-Isovit GmbH, Sigma Tecnologie di rivestimento Srl et Tarco Energi A/S ont enfreint les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité, en participant, de la manière et dans la mesure indiquées dans la motivation à un ensemble d'accords et de pratiques concertées qui a été mis en place, vers novembre ou décembre 1990, entre les quatre producteurs danois, qui a ensuite été étendu à d'autres marchés nationaux, auquel se sont ralliées Pan-Isovit et Henss/Isoplus, et qui a fini par constituer, fin 1994, une entente générale couvrant l'ensemble du Marché commun.
La durée de l'infraction était la suivante:
- dans le cas d'ABB [...]: plus ou moins à partir de novembre-décembre 1990, et au moins jusqu'en mars ou avril 1996.
[...]
Les principales caractéristiques de l'entente étaient:
- la répartition entre producteurs des différents marchés nationaux, puis de l'ensemble du marché européen, grâce à un système de quotas,
- l'attribution de marchés nationaux à certains producteurs et l'organisation du retrait des autres producteurs,
- la fixation des prix du produit et de chaque projet,
- l'attribution de projets à des producteurs désignés à cet effet et la manipulation des procédures de soumission, afin que les marchés en question soient attribués à ces producteurs,
- pour protéger l'entente de la concurrence de la seule entreprise importante à ne pas en faire partie, Powerpipe AB, l'adoption et la mise en œuvre de mesures concertées visant à entraver son activité commerciale, à nuire à la bonne marche de ses affaires ou à l'évincer purement et simplement du marché.
[...]
Article 3
Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises énumérées à l'article 1er, en raison de l'infraction constatée audit article:
a) ABB Asea Brown Boveri Ltd., une amende de 70 000 000 écus
[...]"
16. La décision a été notifiée à la requérante par lettre du 12 novembre 1998, reçue pour son compte par ABB IC Moller le lendemain.
Procédure et conclusions des parties
17. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 janvier 1999, la requérante a introduit le présent recours.
18. Sept des neuf autres entreprises tenues pour responsables de l'infraction ont également introduit un recours contre la décision (affaires T-9-99, T-15-99, T-16-99, T-17-99, T-21-99, T-23-99 et T-28-99).
19. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, au titre des mesures d'organisation de la procédure, a demandé à la partie défenderesse de répondre à des questions écrites et de produire certains documents. Celle-ci a déféré à ces demandes.
20. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 26 octobre 2000.
21. La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler l'article 3 de la décision attaquée dans la mesure où il la concerne;
- à titre subsidiaire, réduire le montant de son amende;
- condamner la défenderesse aux dépens.
22. La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours;
- condamner la requérante aux dépens.
Sur le fond
23. La requérante invoque, en substance, cinq moyens. Le premier moyen est tiré d'erreurs de fait dans l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Le deuxième moyen est tiré d'une violation des droits de la défense. Le troisième moyen est tiré d'une violation du principe de bonne administration. Le quatrième moyen est tiré d'une violation de principes généraux et d'erreurs d'appréciation dans la détermination du montant de l'amende. Le cinquième moyen est tiré d'une violation de l'obligation de motivation dans la détermination du montant de l'amende.
Sur le premier moyen, tiré d'erreurs de fait dans l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité
Arguments des parties
24. La requérante reproche à la Commission de ne pas avoir établi ses affirmations concernant l'implication de la haute direction du groupe ABB dans l'entente et concernant l'utilisation, afin de renforcer l'efficacité de l'entente, de ses ressources en tant que société multinationale.
25. D'abord, la requérante conteste l'allégation de la Commission selon laquelle l'entente correspondait à un plan stratégique "conçu, approuvé et dirigé au plus haut niveau de la direction du groupe". Premièrement, la conception de l'entente ne serait pas imputable à la haute direction du groupe ABB. Le plus important dirigeant impliqué dans l'entente aurait été, à l'époque, le président de la filiale danoise Asea Brown Boveri A/S Odense (ci-après "ABB Odense"), M. V., qui ne serait devenu directeur général adjoint du groupe qu'en janvier 1993, alors que le premier accord de l'entente aurait déjà été conclu à la fin de 1990. Deuxièmement, il n'existerait pas de preuve qu'un membre du conseil d'administration du groupe autre que M. V. ait été impliqué dans cette affaire. En effet, M. V. n'aurait pas pu approuver une mesure que lui-même avait prétendument "conçue". Troisièmement, M. V., bien qu'il ait été tenu informé de certaines activités de l'entente après être devenu directeur général adjoint, n'aurait pas participé à l'entente au point qu'il aurait pu l'avoir "dirigée". Enfin, au sens ordinaire du terme, il faudrait entendre par "direction du groupe" la participation de dirigeants chargés de plus d'un domaine d'activités. Or, cela n'aurait été le cas ni pour M. V., avant qu'il ne soit nommé directeur général adjoint du groupe, ni pour les directeurs généraux successifs d'ABB IC Moller.
26. Ensuite, la Commission n'aurait apporté aucune preuve selon laquelle la haute direction du groupe aurait arrêté des mesures visant à contester et à dissimuler l'infraction et à poursuivre les activités liées à celle-ci après le début de l'enquête de la Commission. Il faudrait rappeler, à cet égard, les démarches faites par la haute direction du groupe auprès de la division du chauffage urbain, qui ont révélé que la haute direction du groupe a été trompée par la direction responsable de l'activité de chauffage urbain.
27. Enfin, il n'y aurait aucun élément dans le dossier révélant que la requérante, en tant que groupe multinational, aurait utilisé ses ressources et ses activités extérieures au marché du chauffage urbain pour renforcer l'efficacité de l'entente ou s'assurer de l'obéissance des membres de l'entente. La seule influence économique que la division du chauffage urbain ait exercée pour mettre en œuvre l'entente résulterait de sa position sur le marché et non pas d'une subvention ou d'une assistance assurées par la direction ou par les ressources du groupe.
28. À cet égard, la requérante conteste les faits cités par la Commission devant le Tribunal comme preuves de l'utilisation ou de menaces d'utilisation de son pouvoir économique. En ce qui concerne le projet de débaucher un salarié-clé de Powerpipe pour finalement l'employer comme "consultant" au bureau d'influence de la requérante à Bruxelles, dans des activités sans rapport avec le chauffage urbain, il y aurait lieu de préciser qu'il s'agit bien d'une démarche qui faisait partie d'un accord commun entre la requérante et Logstor. La raison pour laquelle la personne en question a été embauchée finalement en dehors du secteur du chauffage urbain aurait été une plainte de Powerpipe au sujet de la clause de non-concurrence contenue dans l'ancien contrat de l'intéressé. En ce qui concerne les menaces d'action en justice et l'évocation de "mesures de représailles", il faudrait tenir compte du fait que le conseiller juridique d'ABB qui avait signé la lettre envoyée à Powerpipe, figurant en annexe 17 de la communication des griefs, était convaincu à ce moment-là, ayant été lui-même trompé par la division du chauffage urbain, de ce que les accusations de Powerpipe n'étaient pas fondées et de ce qu'il agissait dans l'intérêt légitime de l'entreprise.
29. Ainsi que cela ressortirait du considérant 169 de la décision, ce serait en vertu de toutes ces allégations contestées que la Commission, dans la décision, a augmenté le montant de l'amende afin d'assurer un effet suffisamment dissuasif de celle-ci au regard de la prétendue implication de la haute direction du groupe. Contrairement à ce que prétend la défenderesse, le considérant 169 de la décision n'exprimerait donc pas l'intention d'établir la responsabilité de la requérante en tant que groupe. Les questions soulevées par la responsabilité du groupe, notamment la détermination du destinataire de la décision et la pertinence du chiffre d'affaires de la division du chauffage urbain dans le contexte de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, seraient spécifiquement traitées dans un autre passage de la décision.
30. La défenderesse fait observer, en ce qui concerne l'implication de hauts cadres d'ABB, que le dossier fournit de nombreuses preuves de la participation directe aux activités de l'entente de dirigeants qui doivent être considérés comme se situant à un niveau supérieur de la direction du groupe. Cela serait le cas non seulement pour M. V., mais également pour les deux personnes qui se sont succédé en tant que directeur général d'ABB IC Moller, la société qui dirige le secteur d'activité "chauffage urbain" et réunit plus de 30 entreprises au sein du groupe ABB, dont notamment ABB Isolrohr GmbH, la principale filiale allemande du groupe.
31. Selon la défenderesse, la décision ne prétend pas démontrer que la direction de l'entente, comme cherche à le montrer la requérante, est imputable à l'ensemble du comité de direction du groupe. La seule question traitée dans la décision aurait été de savoir si des hauts cadres, qui pouvaient raisonnablement être considérés comme ayant assumé des responsabilités de direction dans le groupe ABB, ont approuvé la conception et la conduite de l'entente et y ont été impliqués. À cet égard, la décision aurait apporté suffisamment de preuves. La tentative de la requérante de minimiser la participation à l'entente des dirigeants suprêmes du groupe n'aurait guère d'utilité, puisque la requérante ne conteste pas la conclusion qui est tirée d'une telle participation, notamment l'imputation de la responsabilité à l'ensemble du groupe ABB.
32. Quant à l'exploitation par la requérante de son pouvoir économique comme entreprise multinationale, il ne serait pas énoncé, dans la décision, que la requérante a usé des ressources attribuables à des secteurs d'activité autres que le chauffage urbain. La décision constaterait uniquement le fait incontesté que la requérante a mis son pouvoir économique et ses ressources d'entreprise multinationale au service de l'entente. Même si l'on acceptait l'interprétation de la requérante, la décision aurait cité plusieurs exemples d'utilisation ou de menaces d'utilisation du pouvoir économique de la requérante.
Appréciation du Tribunal
33. Il convient d'observer, en ce qui concerne les affirmations de la Commission sur le rôle joué par la direction du groupe, au plus haut niveau, dans l'entente que ces affirmations sont suffisamment étayées par les éléments de preuve indiqués par la Commission, notamment en ce qui concerne le rôle joué par M. V., initialement responsable des activités du groupe ABB au Danemark en tant que président de ABB Odense et, à compter de novembre 1992, directeur général adjoint du groupe ABB, et en ce qui concerne le comportement des directeurs généraux successifs d'ABB IC Moller.
34. À cet égard, il y a lieu de préciser que la requérante ne conteste pas les constatations faites par la Commission quant au rôle joué par chacun des dirigeants susmentionnés dans l'entente, mais soutient que ces dirigeants ne faisaient pas tous partie de la direction du groupe ABB.
35. Il convient d'observer, toutefois, que, contrairement à ce que prétend la requérante, le terme "direction du groupe" ne peut être limité aux seuls dirigeants chargés de plus d'un domaine d'activité du groupe. Il y a lieu d'observer que, dans la structure du groupe ABB telle qu'expliquée par la requérante, le secteur du chauffage urbain ne jouit pas d'une autonomie complète, dans la mesure où toutes les entreprises actives dans ce secteur exercent leurs activités, sur le plan commercial, sous la direction d'un directeur responsable du secteur du chauffage urbain, lequel est en même temps directeur général d'ABB IC Moller, tandis qu'elles sont également subordonnées à la principale filiale d'ABB de leur pays ou région. Dans ces circonstances, tant les personnes responsables dans un pays ou une région des activités d'ABB que la personne chargée, au niveau du groupe ABB, de la direction commerciale de toutes les entreprises de chauffage urbain peuvent être considérées comme faisant partie de la direction du groupe ABB. Par ailleurs, il ressort des rapports annuels du groupe ABB que tant les dirigeants responsables pour un pays ou une région que les dirigeants chargés de toutes les entreprises actives dans un secteur donné sont mentionnés dans la liste du "management" du groupe ABB.
36. Il y a lieu de remarquer que la désignation des directeurs généraux d'ABB IC Moller comme appartenant à la direction du groupe ABB n'est pas contredite par le fait que, dans l'organisation du groupe ABB, la division du chauffage urbain ressort également de la responsabilité directe d'un membre du conseil d'administration, notamment M. V. En effet, la responsabilité additionnelle d'un membre du plus haut organe d'ABB ne saurait empêcher que les dirigeants chargés expressément, au niveau du groupe, de toutes les entreprises actives dans un secteur déterminé puissent également être considérés comme faisant partie de la direction du groupe.
37. Étant donné que non seulement M. V., en tant que directeur général adjoint du groupe ABB, mais également les directeurs généraux successifs d'ABB IC Moller ainsi que M. V., avant sa nomination au conseil d'administration du groupe ABB, en tant que responsable des activités d'ABB au Danemark, ont exercé des fonctions au niveau de la direction du groupe ABB, la requérante ne saurait s'appuyer sur le fait que M. V. a été le seul membre du conseil d'administration du groupe ABB responsable du chauffage urbain pour prétendre que l'entente n'a pas pu être conçue, approuvée et dirigée au niveau de la haute direction du groupe.
38. Quant aux mesures prises, au niveau de la direction du groupe ABB, pour nier ou dissimuler l'existence de l'entente, même après les vérifications, il convient d'observer, d'abord, que la requérante ne conteste pas que le directeur général d'ABB IC Moller représentait ABB lors des réunions des directeurs qui se sont poursuivies jusqu'en mars 1996. Il y a lieu de remarquer, à ce propos, que, selon la propre déclaration de la requérante, il a été décidé lors d'une réunion des directeurs, après les vérifications de la Commission, de tenir secrets la date et le lieu des rencontres et de tenir toutes les réunions du club des directeurs en dehors de l'Union européenne (réponse de la requérante du 13 août 1996 à la demande de renseignements du 13 mars 1996). Il convient de lire cette déclaration de la requérante avec la déclaration de Logstor selon laquelle il y avait, après les vérifications, "une forte pression d'ABB pour que l'accord soit maintenu" et selon laquelle "tous les autres avaient peur" (observations de Logstor sur la communication des griefs). Quant à M. V., il s'avère que celui-ci continuait d'être informé des activités de l'entente même après sa nomination au conseil d'administration d'ABB, ainsi que cela ressort de notes internes d'ABB envoyées les 19 et 22 avril et le 2 juillet 1993 (annexes 26, 29 et 48 de la communication des griefs). Or, en ce qui concerne les mesures concertées contre Powerpipe, il ressort des lettres des 4 mars et 2 mai 1994 adressées par M. V. à Powerpipe, en réponse aux accusations relatives aux activités anticoncurrentielles d'ABB dont Powerpipe aurait été la victime, que M. V. continuait à nier l'existence de telles activités anticoncurrentielles (annexes 2 et 7 de la communication des griefs). En outre, il ressort des télécopies figurant en annexes 11, 13 et 16 de la communication des griefs que M. V. était impliqué, en décembre 1994, dans l'élaboration de la position prise par ABB en réponse aux allégations des avocats de Powerpipe niant le caractère anticoncurrentiel des activités de l'entreprise. Par conséquent, tant le directeur général d'ABB IC Moller que M. V. ont été impliqués, en tant que membres de la haute direction du groupe ABB, dans les tentatives de nier ou de dissimuler l'entente.
39. Il résulte de ce qui précède que la Commission a constaté à juste titre, au considérants 121 et 169 de la décision, que la participation à l'entente de la requérante a été conçue, approuvée et dirigée au plus haut niveau de la direction du groupe ABB, de même que l'ont été les mesures prises pour nier ou dissimuler l'existence de l'entente et pour assurer son maintien après les vérifications. L'affirmation selon laquelle la direction du groupe serait intervenue, déjà en novembre 1995, auprès de la division du chauffage urbain afin que celle-ci respecte les règles de la concurrence n'est pas à même d'invalider cette constatation.
40. Quant à l'utilisation par la requérante de son pouvoir économique et de ses ressources de société multinationale, il suffit d'observer que la décision cite plusieurs faits, non contestés par la requérante, qui témoignent de l'utilisation par cette dernière de son pouvoir économique, notamment lors de ses tentatives pour obtenir des participations dans d'autres entreprises présentes dans le secteur (considérants 37, 46, 48, 91 et 106 de la décision).
41. De plus, il ressort du dossier, comme cela est mentionné au considérant 156 de la décision, que les efforts de la requérante pour éliminer Powerpipe et pour préserver les intérêts de l'entente ont été mis en œuvre par le biais d'entreprises dont le domaine d'activité n'était pas celui du secteur du chauffage urbain.
42. À cet égard, il convient d'observer, en premier lieu, en ce qui concerne le recrutement d'un salarié-clé de Powerpipe, qu'il ressort de la note interne d'ABB, figurant en annexe 27 de la communication des griefs, que le projet initial était d'engager cette personne dans une filiale espagnole d'ABB qui n'avait rien à voir avec le secteur du chauffage urbain. Or, même si l'engagement de cette personne dans le secteur du chauffage urbain avait été impossible à cause des obligations contractuelles de cette dernière, il doit tout de même être constaté que les membres du personnel de la requérante qui, au sein de la division du chauffage urbain, préparaient ce débauchage ont dû savoir que d'autres entreprises dans le groupe ABB étaient prêtes à soutenir leurs démarches.
43. En second lieu, il convient de constater que les activités de la division du chauffage urbain vis-à-vis de Powerpipe ont été suivies et soutenues par des personnes appartenant à des entreprises qui, selon la structure du groupe ABB, ne faisaient pas partie de la division du chauffage urbain. D'abord, il ressort des correspondances figurant aux annexes 9, 11, 13, 15 et 16 de la communication des griefs que la position prise par ABB lors des contacts avec Powerpipe a été coordonnée non seulement avec M. V. et le directeur général d'ABB IC Moller, mais également avec une personne de la filiale allemande Asea Brown Boveri AG Mannheim. De même, les lettres figurant en annexes 144 et 146 de la communication des griefs démontrent qu'un membre de la direction de cette filiale allemande est intervenu, en mars 1995, en ce qui concerne l'attribution du projet de Leipzig-Lippendorf, pour déconseiller au maître d'ouvrage de l'attribuer à Powerpipe. Enfin, la télécopie figurant en annexe 159 de la communication des griefs démontre que la personne débauchée de Powerpipe a, même après son engagement dans une division des transports d'ABB située en Belgique, continué de suivre les activités de Powerpipe pour en informer le directeur général d'ABB IC Moller. Même s'il est vrai qu'il s'agissait, dans ce dernier cas, d'une personne ayant été active dans le secteur du chauffage urbain et, en ce qui concerne Asea Brown Boveri AG Mannheim, d'une entreprise agissant en même temps, en Allemagne, comme société-mère par rapport aux entreprises d'ABB actives sur le marché allemand du chauffage urbain, il n'en reste pas moins que les activités à l'encontre de Powerpipe ont été suivies par des membres du personnel appartenant à des entreprises d'ABB dont le domaine d'activité n'était pas le chauffage urbain.
44. Dès lors, il y a lieu de conclure que la Commission a été en droit de constater, au considérant 169 de la décision, que la requérante a systématiquement exploité son pouvoir économique et ses ressources en tant que grande entreprise multinationale pour renforcer l'efficacité de l'entente et s'assurer que les autres entreprises obéiraient à ses volontés.
45. Partant, le moyen doit être rejeté.
Sur le deuxième moyen, tiré d'une violation du droit d'être entendu
Sur certains aspects pris en considération pour l'augmentation du montant de l'amende
- Arguments des parties
46. La requérante expose que la communication des griefs ne contient aucune allégation selon laquelle l'entente était conçue, approuvée et dirigée au plus haut niveau de la direction du groupe, bien que cette allégation ait été retenue dans la décision comme justification de l'augmentation du point de départ pour le calcul du montant de l'amende. La communication des griefs aurait mentionné le rôle de la haute direction uniquement pour savoir si la décision devait être notifiée à la requérante en tant que groupe ou à sa principale filiale dans le domaine du chauffage urbain, dans le contexte complètement différent de l'établissement de la responsabilité du groupe ABB plutôt que d'une de ses filiales. Toutefois, la Commission n'aurait jamais révélé, au cours de la procédure administrative, son intention d'utiliser la prétendue implication de la haute direction du groupe en tant que justification d'une augmentation de l'amende. Comme il y avait, dans toutes les entreprises concernées par la procédure en question, des hauts directeurs impliqués, la requérante n'aurait pas pu supposer que la Commission faisait de la participation présumée de membres de la haute direction un élément capital du calcul du montant de l'amende.
47. Ensuite, la communication des griefs n'aurait pas cité le fait que la requérante a été avertie, à un niveau supérieur, par la direction générale de la concurrence de la Commission, du fait que des preuves d'une participation à une infraction très grave avaient été obtenues durant les vérifications. Étant donné que ce fait figure parmi les éléments mentionnés dans la décision pour justifier l'augmentation du point de départ de l'amende, la défenderesse ne saurait soutenir qu'il s'agit d'un élément anecdotique dont elle ne tire aucune conclusion substantielle.
48. Enfin, la communication des griefs n'aurait pas mentionné l'allégation, également formulée dans la décision, selon laquelle la requérante s'est servie de sa puissance économique et de ses ressources en tant qu'entreprise multinationale pour renforcer l'efficacité de l'entente et pour s'assurer que les autres entreprises s'y conformaient. Compte tenu du caractère succinct de la motivation de la décision en ce qui concerne l'augmentation du point de départ du calcul du montant de l'amende, la Commission ne saurait maintenir que ladite allégation n'a pas eu deconséquences pour le calcul de ce montant. De plus, la Commission ne lui aurait pas non plus reproché, dans sa communication des griefs, d'avoir exploité les ressources résultant de ses activités étrangères au domaine du chauffage urbain afin d'imposer ses volontés aux autres participants à l'entente ou à Powerpipe. Dans la mesure où la Commission avait l'intention de se baser sur les références, dans les observations d'autres entreprises sur la communication des griefs, au fait que celles-ci se voyaient confrontées à une société multinationale ou à leur crainte d'une multinationale puissante et forte, la Commission aurait dû en avertir la requérante.
49. La requérante fait remarquer que les considérations de fait concernant l'implication de la haute direction et l'exploitation de sa puissance en tant que société multinationale sont des éléments capitaux de l'argumentation de la Commission. Ainsi, elles auraient été utilisées, dans la décision, tant pour le calcul du point de départ de l'amende que dans la prise en compte de circonstances aggravantes. Si la requérante avait été entendue au sujet de ces allégations, elle aurait été en mesure d'établir au cours de la procédure administrative que ces allégations n'étaient pas étayées et qu'elles étaient même contredites par le dossier.
50. La défenderesse fait observer, d'abord, que la communication des griefs contenait plusieurs considérations relatives à la participation de cadres supérieurs de la requérante à l'entente et à l'imputation de l'infraction à la requérante en tant que groupe. La participation des cadres supérieurs, et en particulier du directeur général adjoint, aurait fait l'objet de la plupart des observations adressées à la Commission par la requérante. La requérante aurait aussi été informée du fait que la responsabilité d'ABB en tant que groupe allait avoir des conséquences sur la détermination du montant de l'amende. Ainsi, la Commission aurait indiqué dans la communication des griefs que, pour déterminer le montant de l'amende à infliger à chaque entreprise, elle prendrait en considération, si besoin était, leur chiffre d'affaires total, afin de tenir compte de la taille et du pouvoir économique de l'entreprise en question et d'obtenir l'effet dissuasif nécessaire.
51. Quant à l'avertissement à haut niveau de la requérante, la décision n'en tirerait aucune conclusion, mais ne mentionnerait ce fait que pour montrer que l'entente s'est délibérément poursuivie après l'enquête, bien que les participants aient été au courant de la découverte de leur entente.
52. En ce qui concerne l'exploitation par la requérante de son pouvoir économique comme entreprise multinationale, il faudrait remarquer que cet élément ne constitue pas une circonstance aggravante, mais est simplement mentionné dans la décision pour étayer la conclusion selon laquelle l'infraction est imputable à la requérante en tant que groupe. En tout état de cause, même si l'on acceptait l'interprétation contestée par la défenderesse, selon laquelle la décision reproche à la requérante d'avoir usé des ressources attribuables à des secteurs d'activité, autres que le chauffage urbain, il faudrait remarquer que la communication des griefs cite plusieurs exemples d'utilisation ou de menaces d'utilisation du pouvoir économique de la requérante.
- Appréciation du Tribunal
53. Il convient de rappeler que le respect des droits de la défense, qui constitue un principe fondamental du droit communautaire et doit être observé en toutes circonstances, notamment dans toute procédure susceptible d'aboutir à des sanctions, même s'il s'agit d'une procédure administrative, exige que les entreprises et les associations d'entreprises concernées soient mises en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués par la Commission (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85-76, Rec. p. 461, point 11; arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission, T-11-89, Rec. p. II-757, point 39).
54. Selon la jurisprudence, la communication des griefs doit contenir un exposé des griefs libellé dans des termes suffisamment clairs, seraient-ils sommaires, pour permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés par la Commission. Ce n'est, en effet, qu'à cette condition que la communication des griefs peut remplir la fonction qui lui est attribuée par les règlements communautaires et qui consiste à fournir tous les éléments nécessaires aux entreprises et associations d'entreprises pour qu'elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission n'adopte une décision définitive (arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö ea/Commission, C-89-85, C-104-85, C-114-85, C-116-85, C-117-85 et C-125-85 à C-129-85, Rec. p. I-1307, point 42; arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T-352-94, Rec. p. II-1989, point 63).
55. Dans ce contexte, il convient de préciser que la requérante reproche à la Commission, même si cette dernière a mentionné, dans sa communication des griefs, qu'un membre de la haute direction d'ABB était impliqué dans l'organisation de l'entente, d'avoir cité cet élément uniquement aux fins de savoir si la décision finale devrait être notifiée à ABB en tant que groupe et de n'avoir pas indiqué que l'implication de la haute direction conduirait à une augmentation du montant de l'amende. En outre, elle reproche à la Commission de ne pas avoir mentionné, dans sa communication des griefs, le fait que la requérante s'est servie de sa puissance économique et de ses ressources en tant qu'entreprise multinationale et que la requérante a été avertie, à haut niveau, par la direction générale de la concurrence de la Commission, alors que ces éléments ont également été pris en considération, dans la décision, pour augmenter le point de départ de son amende.
56. Il convient d'observer, toutefois, que ces arguments partent d'une lecture erronée de la décision.
57. À cet égard, il ressort du considérant 168, premier alinéa, de la décision que, pour déterminer la sanction à infliger à la requérante, il convenait, selon la Commission, de tenir compte de la capacité économique effective de la requérante à causer un lourd préjudice à la concurrence et de la nécessité de fixer une amende dont le montant soit suffisamment dissuasif pour empêcher toute récidive. La Commission a mentionné que, dans le cas de la requérante, un ajustement vers le haut était nécessaire pour tenir compte de la position de cette dernière "en tant qu'un des principaux groupes européens". À ce propos, la Commission a identifié, au même considérant, comme raisons d'un tel ajustement vers le haut, d'une part, la nécessité de fixer une amende dont le montant soit suffisamment dissuasif pour empêcher toute récidive, et, d'autre part, le fait que de telles entreprises disposent de connaissances et d'infrastructures "juridico-économiques" qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence. Il en résulte que, selon l'appréciation donnée par la Commission, la participation d'une entreprise en tant que groupe à une infraction du droit de la concurrence constitue, en soi, un facteur alourdissant la gravité de l'infraction concernée.
58. Dans ce contexte, la Commission a affirmé, au considérant 169 de la décision, que la part prise par la requérante dans la violation de l'article 85 du traité n'a pas été, comme la requérante aurait essayé de la présenter au départ, un agissement irrégulier et atypique, imputable à une filiale d'importance mineure au sein d'une structure de gestion décentralisée. À ce propos, la Commission a mentionné que l'organisation de l'entente s'inscrivait dans un plan stratégique de la requérante visant à contrôler le secteur du chauffage urbain, qui a été conçu, approuvé et dirigé au plus haut niveau de la direction du groupe, de même que les mesures prises pour nier et dissimuler son existence et assurer son maintien pendant neuf mois encore après les vérifications de la Commission. Ensuite, la Commission a affirmé qu'il est manifeste que la requérante a systématiquement exploité son pouvoir économique et ses ressources en tant que grande entreprise multinationale pour renforcer l'efficacité de l'entente et s'assurer que les autres entreprises obéiraient à ses volontés. La Commission a encore précisé que la requérante a modifié sa position de sorte que, au moment des auditions, elle ne contestait plus le fait que la responsabilité soit imputable au groupe, même si elle continuait à soutenir que le domaine d'activité du chauffage urbain constituait l'"entreprise" à laquelle le plafond de 10 % du chiffre d'affaires prévu à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 devait s'appliquer. La Commission a affirmé ne pas accepter cet argument, en énonçant que la participation prouvée à l'entente des cadres supérieurs montrait combien il était nécessaire de fixer le montant de l'amende à un niveau lui assurant un caractère suffisamment dissuasif.
59. Il ressort de ce qui précède que le seul élément amenant la Commission à augmenter le point de départ du calcul du montant de l'amende a été le fait que la participation de la requérante à l'entente a eu lieu au niveau du groupe. Dans ce contexte, la Commission a précisé l'implication de la haute direction de la requérante ainsi que l'utilisation de ses ressources en tant que société multinationale afin de réfuter les arguments subséquents de la requérante selon lesquels l'entente n'aurait dû être imputée qu'à une filiale du groupe ABB et selon lesquels, même si l'entente était imputable à tout le groupe, la filiale danoise du groupe aurait été l'entreprise à laquelle le plafond maximal de l'amende devrait s'appliquer. Il s'ensuit que tant l'implication de la haute direction de la requérante que l'utilisation de ses ressources en tant que société multinationale ne sont que des facteurs confirmant la constatation de la Commission selon laquelle la requérante, en tant que groupe, participait à l'entente, de sorte que, contrairement à ce que prétend la requérante, aucun de ces deux facteurs n'a constitué un élément justifiant, en eux-mêmes, une augmentation du point de départ pour le calcul du montant de l'amende à infliger à la requérante.
60. Il y a lieu de relever qu'une autre interprétation ne peut être tirée du fait que, aux considérants 155 et 156 de la décision, la Commission a traité la question de l'imputation de l'infraction à la requérante au niveau du groupe, en particulier pour déterminer l'"entreprise" ayant commis l'infraction au sens de l'article 85 du traité et pour indiquer la personne physique ou morale devant répondre, en tant que destinataire de la décision, de l'infraction commise par cette entreprise. Cependant, cela ne fait pas obstacle à ce que la Commission, ayant constaté l'imputation de l'infraction au groupe ABB, puisse tirer, au considérant 168 de la décision, de la responsabilité de la requérante en tant que groupe toutes les conséquences estimées nécessaires pour la fixation du montant de l'amende à lui infliger.
61. Quant à la correspondance entre les reproches retenus par la décision et ceux annoncés dans la communication des griefs, force est de constater que la Commission a, dans sa communication des griefs, indiqué tant les éléments susmentionnés qui ont conduit à l'imputation de l'infraction au groupe ABB que les conséquences d'une telle imputation à la requérante en tant que groupe.
62. D'abord, en ce qui concerne la prise en compte de l'implication de la haute direction de la requérante dans l'organisation de l'entente et de l'utilisation par celle-ci de ses ressources en tant qu'entreprise multinationale, il doit être observé que les passages mentionnant ces facteurs, à la page 55 de la communication des griefs, correspondent largement aux reproches retenus au considérant 156, troisième et cinquième tirets, de la décision, selon lesquels les efforts d'ABB pour éliminer Powerpipe ou pour préserver les intérêts de l'entente ont été mis en œuvre par le biais d'entreprises dont le domaine d'activité n'était pas le secteur du chauffage urbain et selon lesquels l'entente autant que les mesures prises pour nier ou dissimuler son existence ont été conçues, dirigées et fermement soutenues à l'échelon de la direction du groupe. Il est vrai que, en ce qui concerne l'implication de la haute direction de la requérante, la Commission n'a fait référence, à la page 55 de la communication des griefs, qu'au rôle joué par un directeur général adjoint du groupe, tandis que, au considérant 156 de la décision, elle s'est référée à des activités "à l'échelon de la direction du groupe". Toutefois, eu égard aux références réitérées, dans la communication des griefs, au rôle joué par l'ensemble des directeurs des entreprises membres de l'entente, la requérante ne saurait prétendre que la Commission aurait omis d'indiquer qu'elle lui reprochait également l'implication à l'entente d'autres dirigeants que M. V., après la nomination de ce dernier comme directeur général adjoint du groupe ABB.
63. Il s'ensuit que la requérante ne saurait prétendre que, au point où la décision se réfère à l'implication de sa haute direction et à l'utilisation de ses ressources en tant que société multinationale, il s'agirait de griefs au sujet desquels elle n'a pas eu l'occasion de faire connaître son point de vue.
64. Ensuite, en ce qui concerne l'imputation de l'infraction au groupe ABB, il convient d'observer que la Commission a mentionné, à la page 58 de la communication des griefs, en précisant les facteurs à prendre en considération dans le calcul du montant des amendes, que la requérante, comme seule société multinationale et animatrice de l'entente, devait assumer une responsabilité spéciale et que, pour déterminer le montant de l'amende qu'il convenait de lui infliger, la Commission tiendrait compte de la nécessité d'assurer à l'amende l'effet dissuasif requis. La Commission a ajouté, à cet endroit, que les entreprises multinationales qui commettent des violations graves et délibérées du droit de la concurrence ne doivent pas pouvoir calculer le coût éventuel et les bénéfices probables de ce comportement en partant de l'idée que, eu égard à leur taille et à leur chiffre d'affaires global, toute amende susceptible d'être infligée serait négligeable.
65. Il s'ensuit que la Commission a dûment annoncé que la position d'ABB en tant que groupe allait être prise en compte lors du calcul du montant de l'amende.
66. Par ailleurs, la Commission n'était pas obligée d'exposer dans la communication des griefs toutes les conséquences qui résulteraient de l'imputation de l'infraction à ABB en tant que groupe. En effet, il ressort de la jurisprudence que donner des indications concernant le niveau des amendes envisagées, aussi longtemps que les entreprises n'ont pas été mises en mesure de faire valoir leurs observations sur les griefs retenus contre elles, reviendrait à anticiper de façon inappropriée la décision de la Commission (arrêts de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française ea/Commission, 100-80 à 103-80, Rec. p. 1825, point 21, et du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322-81, Rec. p. 3461, point 19).
67. Enfin, en ce qui concerne l'avertissement reçu par la requérante des services de la concurrence de la Commission, il convient d'observer, d'abord, que, contrairement à ce que prétend la requérante, la Commission n'a pas considéré, dans la décision, le fait que la requérante ait été avertie comme un élément ayant conduit, en soi, à l'augmentation de son amende.
68. À cet égard, il convient de préciser que, en ce qui concerne l'avertissement exprès de la requérante, la décision mentionne, parmi les circonstances aggravantes à retenir pour cette dernière, "le fait qu'elle ait poursuivi une infraction aussi nette et indiscutable après les vérifications après avoir été avertie, à un niveau élevé, par la direction générale de la concurrence des conséquences d'un tel comportement" (considérant 171 de la décision). Or, il ressort de ce passage que la Commission ne s'est pas appuyée, lors de la prise en compte des circonstances aggravantes, sur l'avertissement de la requérante à haut niveau, mais sur la poursuite délibérée par celle-ci d'une infraction évidente après les vérifications. En effet, l'interprétation selon laquelle, dans ce contexte, la mention de l'avertissement de la requérante ne vise qu'à confirmer le fait que, lors de la poursuite de son infraction, la requérante a eu connaissance, même à haut niveau, de ce que son comportement était contraire aux règles de la concurrence est corroborée, d'une part, par le fait qu'il est souligné encore, au considérant 169 de la décision, que les mesures de la requérante pour assurer le maintien pendant neuf mois encore après les vérifications ont été prises au plus haut niveau de la direction du groupe et, d'autre part, par la constatation selon laquelle, pour d'autres entreprises concernées par la décision, la poursuite de l'infraction après les vérifications a également été prise en compte en tant que circonstance aggravante, même si elles n'ont pas été l'objet d'un avertissement exprès de la part de la Commission.
69. Or, étant donné que la Commission a mentionné, à la page 58 de la communication des griefs, la poursuite de l'infraction pendant au moins six mois après les vérifications en tant que circonstance aggravante, il y a lieu d'observer que la requérante a eu l'occasion de présenter son point de vue sur ce reproche.
70. Dès lors, il y a lieu de conclure que le moyen tiré d'une violation du droit d'être entendu en ce qui concerne certains aspects pris en considération pour l'augmentation du montant de l'amende infligée à la requérante doit être rejeté.
Sur l'application des lignes directrices
- Arguments des parties
71. La requérante reproche à la Commission d'avoir fondé le calcul de l'amende sur les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3) (ci-après les "nouvelles lignes directrices" ou les "lignes directrices"), adoptées après la notification de la communication des griefs et après l'audition, sans lui avoir donné la possibilité de s'exprimer sur la nouvelle méthode de calcul qu'impliquaient ces lignes directrices.
72. Bien que la Commission n'ait pas l'obligation de préciser dans sa communication des griefs le montant de l'amende qu'elle envisage d'imposer, elle aurait dû indiquer, au moins d'une manière générale, les critères qu'elle envisageait pour calculer l'amende. En effet, en publiant les nouvelles lignes directrices, la Commission aurait choisi de préjuger la décision quant à la méthode de calcul de l'amende et le niveau de l'amende à infliger dans toute affaire donnée. La Commission aurait dû envoyer à la requérante une communication des griefs complémentaire exposant les raisons pour lesquelles il y avait lieu d'appliquer à la présente affaire une méthode de calcul conduisant à une amende élevée, notamment les motifs justifiant l'application des nouvelles lignes directrices ainsi que les principaux éléments utilisés pour les appliquer à l'affaire en question. Étant donné que, en plusieurs points, les nouvelles lignes directrices laissent une marge d'appréciation à la Commission, l'application des lignes directrices à l'affaire en cause ne pourrait être considérée comme une mesure de politique générale que la requérante n'avait pas à commenter. N'en ayant pas été informée, la requérante n'aurait pas été en mesure d'adapter sa réponse à la nouvelle méthode prévue par les lignes directrices et utilisée par la Commission.
73. Enfin, le fait que la requérante a présenté des calculs spéculatifs concernant l'application de ces lignes directrices ne pourrait être assimilé à l'attribution dans la procédure administrative, en application des règles procédurales pertinentes, d'un droit formel d'être entendu.
74. La défenderesse fait remarquer qu'elle a bien rempli les obligations que lui impose le droit d'être entendu en matière d'amendes. Elle aurait non seulement prévenu les entreprises qu'elle envisageait d'infliger des amendes, mais en outre exposé en détail les éléments qu'elle prendrait en considération pour déterminer le montant des amendes de chaque participant à l'entente. Les observations de la requérante sur la communication des griefs montreraient qu'elle a amplement commenté la méthode de calcul à utiliser en l'espèce et, notamment, la possibilité que la Commission ne limiterait pas les amendes probables à un certain pourcentage du chiffre d'affaires sur le marché en cause.
75. En outre, les nouvelles lignes directrices fourniraient aux entreprises des renseignements sur la méthode de calcul de l'amende dont elles n'auraient pas pu disposer auparavant en vertu de la jurisprudence. Dans ce contexte, la restriction volontaire du pouvoir d'appréciation de la Commission qu'entraînent les lignes directrices aboutirait plutôt à un affaiblissement de l'obligation d'inclure, dans la communication des griefs, des détails sur les critères du calcul du montant de l'amende, qu'à un renforcement d'une telle obligation.
76. Enfin, la requérante ne saurait prétendre qu'elle n'a pas eu l'occasion de commenter l'application des nouvelles lignes directrices étant donné que ses représentants avaient présenté à la Commission des calculs du montant de l'amende fondés sur celles-ci et avaient discuté la manière dont elles seraient appliquées.
- Appréciation du Tribunal
77. Il convient d'observer, au préalable, qu'il n'est pas contesté que la Commission a déterminé le montant de l'amende imposée à la requérante conformément à la méthode générale pour le calcul du montant des amendes annoncée dans les lignes directrices.
78. Selon une jurisprudence constante, dès lors que la Commission indique expressément, dans sa communication des griefs, qu'elle va examiner s'il convient d'infliger des amendes aux entreprises concernées et qu'elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d'entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l'infraction supposée et le fait d'avoir commis celle-ci "de propos délibéré ou par négligence", elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises d'être entendues. Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l'infraction, mais également contre le fait de se voir infliger une amende (arrêt Musique diffusion française ea/Commission, précité, point 21).
79. Il s'ensuit que, en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, les droits de la défense des entreprises concernées sont garantis devant la Commission à travers la possibilité de faire des observations sur la durée, la gravité et le caractère anticoncurrentiel des faits reprochés. Par ailleurs, les entreprises bénéficient d'une garantie supplémentaire, en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, dans la mesure où le Tribunal statue avec une compétence de pleine juridiction et peut notamment supprimer ou réduire l'amende, en vertu de l'article 17 du règlement n° 17 (arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83-91, Rec. p. II-755, point 235).
80. À cet égard, il convient de constater que la Commission a expliqué, aux pages 53 et 54 de la communication des griefs envoyée à la requérante, la durée de l'infraction qu'elle envisageait de retenir à son égard.
81. Ensuite, la Commission a exposé, aux pages 57 et 58 de la communication des griefs, les raisons pour lesquelles elle estimait que la présente infraction était une infraction très grave ainsi que les éléments constituant des circonstances aggravantes, à savoir la manipulation des procédures de soumission, la mise en œuvre agressive de l'entente afin d'assurer l'obéissance de tous les participants aux accords et d'exclure le seul concurrent important qui n'y participait pas et la poursuite de l'infraction après les vérifications.
82. Au même endroit, la Commission a précisé que, dans la détermination du montant de l'amende à imposer à chaque entreprise individuelle, elle tiendrait compte, notamment, du rôle joué par chacune d'elles dans les pratiques anticoncurrentielles, de toutes les différences substantielles en ce qui concerne la durée de leur participation, de leur importance dans l'industrie du chauffage urbain, de leur chiffre d'affaires dans le secteur du chauffage urbain, de leur chiffre d'affaires global, le cas échéant, pour tenir compte de la taille et du pouvoir économique de l'entreprise en question et afin d'assurer un effet suffisamment dissuasif, et, enfin, de toutes les circonstances atténuantes (communication des griefs, p. 58).
83. Puis, en ce qui concerne la requérante, la Commission a mentionné que celle-ci, comme seule société multinationale et animatrice de l'entente, devait assumer une responsabilité spéciale et que, pour déterminer le montant de l'amende qu'il convenait de lui infliger, la Commission tiendrait compte de la nécessité d'assurer à l'amende l'effet dissuasif requis (voir point 64 ci-dessus).
84. Ce faisant, la Commission a indiqué, dans sa communication des griefs, les éléments de fait et de droit sur lesquels elle allait se baser dans le calcul du montant de l'amende à infliger à la requérante, de sorte que, à cet égard, le droit d'être entendue de cette dernière a été dûment respecté.
85. Il convient d'observer que la Commission n'était pas obligée, dès lors qu'elle avait indiqué les éléments de fait et de droit sur lesquels elle baserait son calcul du montant des amendes, de préciser la manière dont elle se servirait de chacun de ces éléments pour la détermination du niveau de l'amende. Ainsi que cela a été relevé au point 66 ci-dessus, donner des indications concernant le niveau des amendes envisagées, aussi longtemps que les entreprises n'ont pas été mises en mesure de faire valoir leurs observations sur les griefs retenus contre elles, reviendrait à anticiper de façon inappropriée la décision de la Commission.
86. Par conséquent, la Commission n'était pas non plus tenue, au cours de la procédure administrative, de communiquer aux entreprises concernées son intention d'appliquer une nouvelle méthode de calcul pour le montant des amendes.
87. En particulier, la Commission n'était pas tenue d'indiquer, dans la communication des griefs, la possibilité d'un changement éventuel de sa politique en ce qui concerne le niveau des amendes, possibilité qui dépendait de considérations générales de politique de concurrence sans rapport direct avec les circonstances particulières des affaires en cause (arrêt Musique diffusion française/Commission, précité, point 22). En effet, la Commission n'a pas l'obligation de mettre des entreprises en garde en les prévenant de son intention d'augmenter le niveau général du montant des amendes (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T-12-89, Rec. p. II- 907, point 311).
88. Il s'ensuit que le droit d'être entendue de la requérante n'obligeait pas la Commission à lui annoncer son intention d'appliquer, à son cas, les nouvelles lignes directrices.
89. En outre, force est de constater que la requérante a fait savoir à la Commission, dans ses télécopies des 29 septembre et 12 octobre 1998, la façon dont les nouvelles lignes directrices, à ses yeux, devaient être appliquées à son cas. Dès lors, elle ne saurait prétendre ne pas avoir eu l'occasion de s'exprimer sur l'application de ces lignes directrices.
90. Pour toutes ces raisons, le moyen relatif à la violation du droit d'être entendu doit également être rejeté en ce qui concerne l'application des lignes directrices pour le calcul du montant des amendes.
Sur le troisième moyen, tiré d'une violation du principe de bonne administration
Arguments des parties
91. La requérante fait observer que les exigences de bonne pratique administrative, d'objectivité et de neutralité doivent constituer les lignes de conduite du traitement des affaires en matière de concurrence. Elle soutient toutefois que le principal gestionnaire de l'affaire au sein de la Commission a fait preuve d'un préjugé essentiel à son égard pendant toute la procédure, préjugé qui a trouvé son expression dans la décision telle qu'adoptée par le collège des membres de la Commission. À cet effet, la requérante cite plusieurs faits qui seraient la preuve d'un parti pris du principal gestionnaire du dossier de l'affaire.
92. Premièrement, au printemps de 1996, à la fin d'une réunion avec des représentants de Logstor, ce fonctionnaire leur aurait assuré que Logstor n'avait rien à craindre, mais que c'était plutôt ABB qui était la principale cible de l'enquête.
93. Deuxièmement, au début de l'audition qui s'est tenue le 24 novembre 1997, le même fonctionnaire aurait jeté, sans aucune raison, un opprobre particulier sur la requérante en énonçant ce qui suit: "ABB s'enorgueillit de sa réputation d'entreprise plus respectée d'Europe [...] il se peut qu'après les faits relevant de cette affaire, il soit généralement connu qu'ils vont travailler très dur en fait pour veiller à la sauvegarde de cette réputation." Lors de l'audition, ledit fonctionnaire aurait également posé à la requérante des questions sans utilité et qui ne pouvaient être considérées autrement que comme une tentative de l'embarrasser dans ce lieu.
94. Troisièmement, le 9 novembre 1998, avant même que la Commission ait signifié le texte de la décision à ABB IC Moller, ledit fonctionnaire aurait formulé des remarques péjoratives dans un exposé lors d'une conférence relative au droit de la concurrence. Lors de son exposé de l'affaire des conduites précalorifugées, il aurait remarqué que l'acronyme ABB prendrait une nouvelle signification: "A Bad Business" (une mauvaise entreprise). Au sujet de cet incident, le directeur général de la direction générale de la concurrence aurait exprimé plus tard ses excuses. À cet égard, l'explication donnée par la défenderesse, selon laquelle "A Bad Business" était le titre d'un article publié auparavant dans The Parliament, n'aurait pas de pertinence étant donné qu'on ne pourrait assimiler les normes de conduite d'un éditorialiste à celles de fonctionnaires de la Commission débattant d'une affaire en leur qualité officielle.
95. À l'égard de ce dernier incident, il ne serait pas pertinent d'avancer qu'il a eu lieu après l'adoption de la décision étant donné que ce fait n'est pas mentionné en tant que vice de procédure, mais comme preuve d'un préjugé persistant de la part du principal gestionnaire de l'affaire pendant toute la procédure ayant abouti à la décision attaquée.
96. Selon la requérante, la décision du collège des membres de la Commission a été influencée par le parti pris contre elle du gestionnaire du dossier. Ainsi, certaines failles de la décision s'expliqueraient probablement par l'acharnement dont ce fonctionnaire aurait fait preuve afin de châtier spécialement la requérante. Sur ce point, la requérante fait observer d'abord que la décision assimile ABB à la seule multinationale en cause même si trois autres entreprises, Oy KWH Tech AB (ci-après "KWH"), Pan-Isovit et Sigma Tecnologie di rivestimento Srl (ci-après "Sigma") font également partie de grands groupes internationaux et même si, en ce qui concerne Pan-Isovit, le dossier révèle que les membres de sa haute direction ont participé à l'entente. Ensuite, la décision comprendrait des allégations, non étayées et induisant en erreur, relatives à la participation de membres de la haute direction du groupe ABB à l'entente, qui étaient destinées à influencer le collège des membres de la Commission au détriment de la requérante et à l'amener à prononcer une amende extrêmement élevée contre cette dernière. Eu égard aux preuves apportées quant au préjugé du gestionnaire du dossier et à l'expression de ce préjugé dans la décision, ce serait à la Commission de démontrer que le préjugé n'a exercé aucun effet sur la décision prise par le collège des membres de la Commission.
97. La défenderesse fait remarquer que, même si les faits mentionnés étaient exacts, elle ne peut y distinguer un quelconque préjugé. Quant aux remarques citées, il faudrait observer que la remarque lors de la conférence a été faite après l'adoption de la décision et n'aurait donc pas pu en affecter le contenu ni la validité. Par ailleurs, non seulement la remarque "A Bad Business" n'aurait pas été que le titre d'un article publié auparavant, mais cet article aurait été mentionné expressément en tant que tel durant cette conférence.
98. En tout état de cause, la requérante n'aurait indiqué aucun élément illicite de la décision qui découlerait du prétendu préjugé. Les constatations de la Commission dans la décision et les amendes infligées aux participants de l'entente découleraient de leur propre comportement et se justifieraient par des faits et des circonstances pleinement confirmés dans le dossier.
Appréciation du Tribunal
99. Il convient d'observer que parmi les garanties conférées par l'ordre juridique communautaire dans les procédures administratives figure notamment le principe de bonne administration, auquel se rattache l'obligation pour l'institution compétente d'examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d'espèce (arrêts du Tribunal du 24 janvier 1992, La Cinq/Commission, T-44/90,Rec. p. II-1, point 86, du 26 juin 1993, Asia Motor France ea/Commission, T-7/92, Rec. p. II-669, point 34, et du 11 juillet 1996, Métropole télévision/Commission, T-528-93, T-542-93, T-543-93 et T-546-93, Rec. p. II-649, point 93).
100. Dans ce contexte, il convient de constater, comme cela ressort du procès-verbal de l'audition, que la requérante a été l'objet, lors de son audition, le 24 novembre 1997, d'une remarque péjorative concernant sa réputation et d'une série de questions tendancieuses sur des faits qu'elle ne contestait plus, toutes de la part d'un fonctionnaire de la Commission chargé de l'affaire ayant conduit à la décision attaquée. Il n'est pas contesté que le même fonctionnaire s'est, lors d'une conférence du 9 novembre 1998 sur les questions du droit de la concurrence, exprimé en utilisant une citation jetant le discrédit sur les activités de la requérante.
101. Il est vrai que ces remarques témoignent d'un comportement et d'un langage peu soignés de la part d'un membre de l'équipe chargée, au sein de la Commission, de la présente affaire. Cela est d'ailleurs confirmé par le fait que le directeur général de la concurrence de la Commission a offert ses excuses à la requérante à la suite de la remarque faite lors de la conférence du 9 novembre 1998.
102. Toutefois, de telles remarques, pour regrettables qu'elles soient, ne sont pas de nature à faire surgir un doute sur le degré de soin et d'impartialité avec lequel la Commission a mené son enquête sur l'infraction commise par la requérante. Il en va de même, s'il était prouvé, pour le commentaire que le même fonctionnaire aurait fait vis- à-vis des représentants de Logstor, même s'il convient de constater que, en ce qui concerne ce prétendu commentaire, la requérante n'en a apporté aucune preuve.
103. D'ailleurs, en ce qui concerne la remarque exprimée lors de la conférence du 9 novembre 1998, il y a lieu de constater que, au moment de cette conférence, même si la décision n'avait pas encore été notifiée à la requérante, elle avait déjà été adoptée. Or, il ressort de la jurisprudence que des actes postérieurs à l'adoption de la décision ne peuvent pas affecter sa validité (arrêt de la Cour du 8 novembre 1983, IAZ ea/Commission, 96-82 à 102-82, 104-82, 105-82, 108-82 et 110-82, Rec. p. 3369, points 15 à 16).
104. Dans la mesure où la requérante prétend déduire de la généralité des remarques exprimées par le même fonctionnaire la preuve d'un préjugé contre elle, il convient d'observer qu'un comportement regrettable d'un membre de l'équipe chargée d'une affaire ne vicie pas à lui seul la légalité de la décision qui découle de cette affaire. En effet, même s'il y a eu, dans le chef de ce fonctionnaire, une violation du principe de bonne administration, il faudrait toutefois observer que la décision attaquée n'a pas été prise par le fonctionnaire en question, mais par le collège des membres de la Commission.
105. En tout état de cause, les éléments invoqués par la requérante ne sont pas de nature à démontrer que, au cas où le fonctionnaire en question a eu un préjugé contre la requérante, ce préjugé aurait trouvé une expression dans la décision même. D'une part, en ce qui concerne l'allégation de la participation de la haute direction du groupe ABB à l'entente, il suffit de se référer aux points 33 à 44 ci-dessus, où il a été constaté que celle-ci est étayée par les éléments de preuve rassemblés par la Commission. D'autre part, en ce qui concerne le fait que la Commission a considéré ABB comme la seule entreprise multinationale impliquée dans l'affaire, force est de constater que, dès lors que la Commission n'a pas trouvé d'indices suffisants pour imputer l'infraction aux groupes auxquels appartiennent KWH, Pan-Isovit et Sigma, il incombe à la requérante, estimant que l'implication de tels groupes ressort du dossier, d'en apporter la preuve. Or, la requérante s'est limitée à affirmer, sans en apporter la preuve, que la haute direction du groupe auquel appartenait, à l'époque, Pan-Isovit aurait été informée des activités de l'entente et les aurait approuvées. Quant aux groupes auxquels appartenaient KWH et Sigma, la requérante ne s'est référée à aucun élément du dossier pouvant démontrer leur implication dans l'entente. Il y a lieu d'observer, à ce propos, que, étant donné que la Commission s'est appuyée sur un ensemble d'éléments pour imputer l'infraction au groupe ABB, comme cela ressort des considérants 156 et 169 de la décision, il ne suffit pas d'indiquer, afin d'étendre la responsabilité d'autres participants pour l'infraction à leur société-mère, que ceux-ci font partie d'un groupe international et ont, eux-mêmes, des activités sur le plan international.
106. À cet égard, il convient d'observer encore que, lorsqu'il est établi qu'une entreprise a été impliquée dans une entente au niveau du groupe auquel elle appartient, même la preuve d'une manifestation prématurée par la Commission, au cours de la procédure administrative, de sa conviction, selon laquelle cette implication du groupe en question existe, n'est pas de nature à priver de sa réalité la preuve même d'une telle implication.
107. Pour toutes ces raisons, il y a lieu de rejeter le moyen tiré d'une violation du principe de bonne administration.
Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de principes généraux et d'erreurs d'appréciation dans la détermination du montant de l'amende
108. Comme quatrième moyen, la requérante fait valoir la violation des principes généraux relatifs à la protection de la confiance légitime, à la proportionnalité et à l'égalité de traitement et elle reproche à la Commission une appréciation erronée de la durée de l'infraction ainsi que des circonstances aggravantes, des circonstances atténuantes et de la communication de la Commission concernant la non-imposition d'amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la "communication sur la coopération").
109. Toutefois, il convient d'examiner, d'abord, la recevabilité d'une annexe de la réplique constituée par un avis rédigé par un professeur de l'université Albert Ludwig de Fribourg (Allemagne) destiné à appuyer le moyen tiré d'une violation du principe de protection de la confiance légitime et qui aboutirait, selon la requérante, à la conclusion que la Commission, ayant entamé une coopération avec la requérante en vertu de la communication sur la coopération, n'aurait plus été en droit de s'écarter de sa pratique existante en matière d'amendes.
Sur la recevabilité de l'avis joint à la réplique
110. Selon la défenderesse, il y a lieu d'écarter de la présente procédure l'avis joint au mémoire en réplique. En effet, cet avis serait irrecevable en vertu de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, étant donné qu'il s'appuierait sur des normes juridiques, notamment l'estoppel, l'auto-obligation de l'administration, les droits de la défense et la procédure administrative équitable, qui n'ont pas été invoquées dans la requête. En outre, l'avis contiendrait des inexactitudes factuelles et des prémisses erronées en ce qui concerne l'affaire, la procédure et la position de la Commission.
111. À cet égard, le Tribunal constate, d'abord, que, aux termes de l'article 48, paragraphe 2, de son règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.
112. En l'espèce, le Tribunal constate que l'avis joint par la requérante à sa réplique se réfère à l'application de certains principes généraux qui n'ont pas été invoqués dans la requête. Étant donné qu'il n'est pas question d'éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure, la production de cet avis ne satisfait pas aux exigences de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure et celui-ci ne saurait donc être pris en considération dans la mesure où il élabore des moyens qui n'ont pas été produits dans la requête.
113. De plus, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l'article 19 du statut CE de la Cour et de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, toute requête doit indiquer l'objet du litige et l'exposé sommaire des moyens invoqués. Or, selon une jurisprudence constante, il faut, pour qu'un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tous le moins sommairement, mais d'une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même. Si ce texte peut être étayé et complété sur des points spécifiques par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexés, un renvoi global à d'autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l'absence des éléments essentiels dans la requête (arrêt de la Cour du 31 mars 1992, Commission/Danemark, C-52-90, Rec. p. I-2187, point 17; ordonnance du Tribunal du 29 novembre 1993, Koelman/Commission, T-56-92, Rec. p. II-1267, point 21, et arrêt du Tribunal du 7 novembre 1997,Cipeke/Commission, T-84-96, Rec. p. II-2081, point 33). Il n'appartient pas au Tribunal de rechercher et d'identifier, dans les annexes, les moyens qu'il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale (ordonnance du Tribunal du 24 mars 1993, Benzler/Commission, T-72-92, Rec. p. II-347, point 19, et arrêt Cipeke/Commission, précité, point 34). De même, il n'appartient certainement pas au Tribunal, étant donné qu'une partie de l'avis en question ne peut être prise en considération, de rechercher et d'identifier, dans cet avis, les passages qui pourraient être pris en compte en tant qu'annexes étayant et complétant les mémoires de la requérante sur des points spécifiques.
114. Pour ces raisons, il n'y a pas lieu de prendre en considération, en tout ou en partie, l'avis joint à la réplique.
Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime
- Arguments des parties
115. La requérante prétend que la Commission a porté atteinte au principe de confiance légitime en appliquant les nouvelles lignes directrices à l'affaire présente, alors qu'elle a coopéré avec la Commission afin de bénéficier de la politique énoncée dans la communication sur la coopération.
116. Selon la requérante, il ressort de l'approche adoptée par la Commission dans sa communication sur la coopération que la confiance légitime que cette communication fait naître doit s'étendre à la méthode qui était utilisée pour le calcul du montant de l'amende au moment où l'entreprise a décidé de coopérer avec la Commission. En déterminant les réductions dont une entreprise peut bénéficier par rapport à "l'amende qui lui aurait été infligée en l'absence de coopération", la communication sur la coopération impliquerait qu'il existe, au moment où une entreprise décide de coopérer, une méthode décelable pour calculer le montant de l'amende. Les dispositions relativement détaillées concernant les réductions à obtenir, contenues dans les points B à D de la communication, seraient en effet dépourvues de sens si les entreprises ne pouvaient pas avoir une idée au moins approximative du montant de l'amende qui ferait ensuite l'objet de réductions. La confiance légitime que la jurisprudence a reconnue vis-à-vis de la Commission dans sa capacité législative au profit d'entreprises qui ont été incitées à s'appuyer sur la réglementation communautaire devrait s'appliquer également dans la situation où la Commission emploie son pouvoir discrétionnaire afin d'imposer une nouvelle politique de calcul du montant des amendes. Par conséquent, les entreprises qui se sont décidées à coopérer avec la Commission, en lui fournissant des documents incriminants, auraient été en droit de croire que la méthode de calcul du montant de l'amende ne changerait pas de manière substantielle.
117. À cet égard, la requérante expose qu'avant janvier 1998, dans les affaires relatives à des ententes, la Commission a systématiquement retenu le chiffre d'affaires des entreprises relatif au produit effectivement concerné comme point de repère essentiel pour le calcul du montant des amendes. Par conséquent, les amendes n'auraient jamais dépassé 10 % du chiffre d'affaires d'une entreprise relatif aux produits concernés par les infractions. En dehors d'un quelconque cas exceptionnel, comme la décision 92-212-CEE de la Commission, du 25 mars 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/30.717 - A - Eurochèque: accord d'Helsinki) (JO L. 95, p. 50), ce serait uniquement dans des affaires ayant trait à l'article 86 du traité CE (devenu article 82 CE) ou à des accords verticaux que les amendes n'ont pas été calculées sous la forme d'un pourcentage du chiffre d'affaires sur le marché concerné. Dans un communiqué de presse concernant la décision 94-815-CE de la Commission, du 30 novembre 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (Affaire IV/33.126 et 33.322 - Ciment) (JO L. 343, p. 1), la Commission elle-même aurait expliqué qu'elle avait pour méthode normale dans les affaires relatives à des ententes d'établir les amendes en fonction du chiffre d'affaires pour le produit concerné dans l'Union européenne. Néanmoins, la Commission aurait infligé à la requérante une amende dont le montant, avant les réductions pour circonstances atténuantes et pour la coopération, correspond à environ 60 % de son chiffre d'affaires mondial dans la branche du chauffage urbain, soit 110 % de son chiffre d'affaires dans l'Union européenne pour ces produits.
118. De plus, les nouvelles lignes directrices impliqueraient également une approche radicalement neuve du traitement du facteur de la durée pour le calcul du montant des amendes. Jusqu'à l'adoption des lignes directrices, la Commission n'aurait utilisé le facteur de la durée qu'afin de différencier plusieurs membres d'une entente, dont il n'était pas établi qu'ils avaient participé à l'entente pendant une période d'une durée égale. La nouvelle approche aurait toutefois pour effet d'augmenter le montant de base de 10 % par année complète au cours de laquelle l'infraction a persisté.
119. Quant à l'argument de la défenderesse, selon lequel la requérante ne se fonde pas sur l'attente d'une méthode de calcul d'amende différente, mais sur l'attente d'un niveau d'amende plus bas, la requérante fait remarquer que la confiance légitime évoquée en ce qui concerne la méthode de calcul de l'amende ne peut être dissociée de la confiance légitime quant au niveau de l'amende à infliger, étant donné qu'il y a une relation causale entre la modification de la méthode de calcul et la hausse du niveau de l'amende. La requérante n'accepte pas la conclusion de la Commission selon laquelle l'intérêt pour lequel elle invoque la protection ne serait pas légitime. L'intérêt à protéger serait tout à fait légitime, puisque la requérante avait bien le droit de ne pas coopérer. À cet égard, la requérante rappelle que le droit de ne pas témoigner contre soi-même fait partie des garanties procédurales fondamentales du règlement n° 17. À côté de l'obligation de coopérer en vertu de l'article 11 du règlement n° 17, les entreprises qui font l'objet d'une enquête auraient donc le droit de rester passives dans l'enquête.
120. La défenderesse fait observer qu'elle ne conteste pas que sa communication sur la coopération est une source d'attentes légitimes, comme elle l'a indiqué explicitement dans la communication elle-même. La confiance légitime que la requérante a pu tirer de la communication aurait d'ailleurs été scrupuleusement respectée. Ainsi, sa coopération aurait entraîné, comme le prévoit le point D de la communication, une réduction comprise entre 10 et 50 % de l'amende, 30 % précisément. La confiance légitime que la requérante tire de la communication ne devrait toutefois pas s'étendre à la méthode de calcul du montant des amendes qui était en vigueur au moment où l'entreprise a décidé de coopérer. Étant donné que rien dans la communication n'aurait le moindre rapport avec la méthode utilisée par la Commission pour calculer le montant des amendes, la communication ne saurait être à la source d'une quelconque confiance légitime à cet égard.
121. En outre, la pratique de la Commission quant au niveau et à la méthode de calcul du montant des amendes n'aurait pu constituer la source d'une confiance légitime. Il faudrait rappeler, à cet égard, que la Commission peut déterminer le montant des amendes en tenant compte de divers éléments, parmi lesquels peuvent figurer le chiffre d'affaires global et le chiffre d'affaires correspondant aux produits concernés par l'infraction. Il n'y aurait en effet aucune obligation juridique de calculer le montant des amendes en pourcentage du chiffre d'affaires. À cet égard, la pratique de la Commission consistant à tenir compte du chiffre d'affaires sur le marché concerné ne serait pas constante. Dans le passé, des amendes auraient été infligées qui n'ont pas été calculées en fonction du chiffre d'affaires sur le marché concerné, mais appréciées par référence à d'autres chiffres d'affaires ou aux avantages obtenus par les participants à l'infraction. Même si le calcul en fonction du chiffre d'affaires sur le marché concerné avait été l'une des méthodes les plus utilisées, il n'aurait pas été question d'une pratique établie et immuable. La constatation selon laquelle la pratique antérieure de la Commission n'aurait pas pu susciter de confiance légitime en ce qui concerne la méthode et le niveau des amendes vaudrait également pour l'application du facteur de la durée.
- Appréciation du Tribunal
122. Il y a lieu d'observer que, en ce qui concerne la fixation des amendes pour infraction aux règles de la concurrence, la Commission dispose d'une marge d'appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d'orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de la concurrence (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150-89, Rec. p. II-1165, point 59, du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49-95, Rec. p. II-1799, point 53, et du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T-229-94, Rec. p. II-1689, point 127). Or, il est de jurisprudence constante que les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d'une situation existante pouvant être modifiée dans le cadre du pouvoir d'appréciation des institutions communautaires (voir arrêts de la Cour du 15 juillet 1982, Edeka, 245-81, Rec. p. 2745, point 27, et du 14 février 1990, Delacre ea/Commission, C-350-88, Rec. p. I-395, point 33).
123. Au contraire, la Commission est en droit d'élever le niveau des amendes, dans les limites indiquées au règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de la concurrence. En effet, il ressort de la jurisprudence que le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d'un certain niveau à certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau dans les limites indiquées au règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de la concurrence (arrêt Musique diffusion française ea/Commission, précité, point 109; arrêt Solvay/Commission, précité, point 309; arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Europa Carton/Commission, T-304-94, Rec. p. II-869, point 89).
124. Il s'ensuit que les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne peuvent acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement.
125. Par ailleurs, il convient d'observer que l'effet dissuasif des amendes constitue un des éléments dont la Commission peut tenir compte dans l'appréciation de la gravité de l'infraction, et, par conséquent, dans la détermination du niveau de l'amende, étant donné que la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO ea/Commission, C-137-95 P, Rec. p. I-1611, point 54; arrêt de la Cour du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C-219-95 P, Rec. p. I- 4411, point 33; arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Buchmann/Commission, T-295-94, Rec. p. II-813, point 163).
126. Dans la mesure où la requérante se réfère à la confiance légitime telle qu'elle ressort de la communication sur la coopération, il y a lieu d'observer que la Commission était tenue, afin de protéger la confiance légitime que toutes les entreprises pouvaient fonder sur ladite communication, d'apprécier la coopération de chaque entreprise en faisant application des critères énoncés par cette communication. Or, pour autant que le raisonnement de la requérante s'appuie sur la supposition que la Commission n'a pas respecté la communication sur la coopération, son argumentation se confond avec celle s'appuyant sur une application erronée de ladite communication.
127. Il y a lieu d'observer, toutefois, que la requérante ne saurait fonder sur la communication sur la coopération une quelconque confiance légitime en ce qui concerne le calcul du montant des amendes en dehors de l'appréciation de sa coopération au cours de la procédure administrative. Il ressort clairement des dispositions de cette communication que la Commission, en déterminant la réduction dont une entreprise peut bénéficier, en raison de sa coopération, par rapport à "l'amende qui lui aurait été infligée en l'absence de coopération", n'a aucunement préjugé la marge d'appréciation dont elle dispose en vertu de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. À ce propos, la Commission a stipulé, dans ladite communication, que "la coopération d'une entreprise avec elle n'est qu'un élément parmi d'autres dont la Commission tient compte dans la fixation du montant d'une amende" (point A, paragraphe 5).
128. De plus, il y a lieu d'observer que, contrairement à ce qui est le cas pour la prise en compte du comportement coopératif des entreprises concernées par une procédure administrative ou, encore une modification du cadre réglementaire, telles qu'évoquées par la requérante, il n'existait pas à l'époque de l'infraction, en ce qui concerne les autres aspects du calcul du montant des amendes, de déclaration de la part du législateur ou de la Commission de laquelle les entreprises concernées auraient pu tirer une confiance légitime.
129. En ce qui concerne la méthode de calcul utilisée dans la pratique antérieure, il convient de préciser encore que la requérante n'a pas pu se fier à ce que la Commission lui inflige une amende dont le montant est calculé sur la base du chiffre d'affaires réalisé avec le produit concerné.
130. À cet égard, il convient d'observer que, parmi les éléments d'appréciation de la gravité d'une infraction, peuvent, selon le cas, figurer le volume et la valeur des produits faisant l'objet de l'infraction ainsi que la taille et la puissance économique de l'entreprise et, partant, l'influence que celle-ci a pu exercer sur le marché. Il s'ensuit, d'une part, qu'il est loisible, en vue de la détermination du montant de l'amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d'affaires global de l'entreprise, qui constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de la taille de celle-ci et de sa puissance économique, que de la part de ce chiffre, qui provient des produits faisant l'objet de l'infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l'ampleur de celle-ci. Il en résulte, d'autre part, qu'il ne faut attribuer ni à l'un ni à l'autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d'appréciation (arrêt Musique diffusion française ea/Commission, précité, points 120 et 121; arrêts du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission, T-77-92, Rec. p. II-549, point 94, et du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T-327-94, Rec. p. II-1373, point 176).
131. En effet, il ressort de la jurisprudence que la Commission est en droit de calculer le montant d'une amende en fonction de la gravité de l'infraction et sans tenir compte des divers chiffres d'affaires des entreprises concernées. Ainsi, le juge communautaire a constaté la licéité d'une méthode de calcul selon laquelle la Commission détermine d'abord le montant global des amendes à imposer, pour répartir ensuite ce total entre les entreprises concernées, selon leurs activités dans le secteur concerné (arrêt IAZ ea/Commission, précité, points 48 à 53) ou selon leur niveau de participation, leur rôle dans l'entente et leur importance respective sur le marché, calculée sur la base de la part de marché moyenne au cours d'une période de référence.
132. Étant donné que la Commission, dans sa pratique antérieure, ne s'est pas servie exclusivement d'une méthode basée sur le chiffre d'affaires relatif au produit concerné, la requérante n'a donc légitimement pu s'attendre à ce qu'une telle méthode lui soit appliquée.
133. Par ailleurs, il y a lieu de constater que la Commission, en annonçant, dans ses lignes directrices, la méthode qu'elle envisage d'appliquer dans le calcul du montant des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, ne s'est pas privée de la possibilité de tenir compte, dans la fixation du niveau des amendes, du chiffre d'affaires sur le marché concerné d'une entreprise.
134. De plus, la requérante n'a pu s'attendre à ce que la Commission prenne en considération son chiffre d'affaires sur le marché pertinent lors de l'application de la limite de 10 % du chiffre d'affaires prévue par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. En effet, selon une jurisprudence constante, le chiffre d'affaires visé à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 s'entend comme étant relatif au chiffre d'affaires global de l'entreprise concernée, qui donne seul une indication approximative de l'importance et de l'influence de celle-ci sur le marché (arrêt Musique diffusion française ea/Commission, précité, point 119; arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Cockerill-Sambre/Commission, T-144/89, Rec. p. II-947, point 98, et du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T-43-92, Rec. p. II-441, point 160). Dans le respect de la limite fixée par la disposition susvisée du règlement n° 17, la Commission peut fixer l'amende à partir du chiffre d'affaires de son choix, en termes d'assiette géographique et de produits concernés.
135. Enfin, en ce qui concerne la durée de l'infraction, la requérante ne saurait prétendre que l'application, en vertu des lignes directrices, d'un multiplicateur en fonction de la durée d'une infraction va à l'encontre d'une pratique administrative selon laquelle la durée se répercute sur le montant de l'amende uniquement au cas où la Commission serait tenue de différencier les membres d'une entente dont la participation n'est pas établie pour la même durée. En effet, dans la mesure où la requérante en tire la conclusion selon laquelle la Commission n'aurait pas été en droit d'augmenter l'amende à lui infliger en fonction de la durée de l'infraction, une telle interprétation va à l'encontre de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, disposant que pour "déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci". Par ailleurs, à supposer même qu'une telle interprétation soit correcte, la requérante n'a pas indiqué dans quelle mesure la Commission n'aurait pas été en droit, dans le cas d'espèce, dans lequel les différents membres de l'entente n'ont pas participé à l'entente durant une période identique, de différencier les amendes à imposer aux participants selon la durée de leur participation.
136. Il résulte de tout ce qui précède que le grief doit être rejeté pour autant que la requérante s'appuie sur une violation du principe de protection de la confiance légitime.
Sur la violation du principe de proportionnalité
- Arguments des parties
137. La requérante soutient que la Commission, en accordant une importance disproportionnée à sa dimension globale et à ses activités distinctes du secteur du chauffage urbain en tant que société multinationale, lui a infligé une amende disproportionnée par rapport à la gravité de l'infraction. L'amende ne serait pas seulement disproportionnée par rapport à l'effet de l'infraction sur le marché concerné, mais aussi fixée en violation des critères juridiques relatifs à la détermination de la gravité.
138. Pour commencer, la requérante rappelle que, dans la décision, la Commission a modifié sa pratique consistant à prendre pour montant de départ général le chiffre d'affaires de l'entreprise sur le marché effectivement concerné. En calculant le montant de l'amende, la Commission aurait d'abord fixé un point de départ de 20 millions d'écus, qui aurait ensuite été ajusté vers le haut "pour tenir compte de la position d'ABB en tant qu'un des principaux groupes européens". À la place de sa méthode antérieure, la Commission aurait ainsi utilisé la méthode formulée dans les lignes directrices, en vertu desquelles le chiffre d'affaires sur le marché concerné est presque non pertinent.
139. La requérante ne conteste pas que la Commission puisse tenir compte non seulement du chiffre d'affaires de l'entreprise sur le marché concerné, mais également de la taille et de la puissance économique globale de l'entreprise en cause, dont le chiffre d'affaires global du groupe constitue une indication approximative. Néanmoins, la taille et la puissance économique ne joueraient un rôle que dans la mesure où elles se manifestent effectivement dans l'infraction elle-même. Par conséquent, le chiffre d'affaires du groupe ne pourrait être considéré que pour autant que l'entreprise a pu exercer sur le marché concerné, en raison de sa taille et de sa puissance économique globale, une influence allant au-delà de ce qui était imputable à la seule position sur le marché. À cet égard, il faudrait préciser que, dans la structure décentralisée d'ABB, la division du chauffage urbain exerce ses activités indépendamment des autres unités de production et sans synergie avec elle et représente pas moins de 0,4 % des activités d'ABB à l'échelle mondiale.
140. La requérante affirme que la fixation d'une amende ne peut être le résultat d'un simple calcul basé sur le chiffre d'affaires global. Selon la requérante, la gravité d'une infraction doit être déterminée en examinant plusieurs facteurs. Ainsi, elle reproche à la Commission de ne pas avoir tenu dûment compte du comportement de chacune des entreprises ni du rôle joué par chacune d'entre elles dans l'établissement des pratiques concertées. Il ne serait pas justifié d'imposer une amende à la requérante d'un montant huit fois supérieur à celui de l'amende qui a été imposée à Logstor, alors que son chiffre d'affaires pour les produits en cause n'était même pas le double du chiffre d'affaires de Logstor. La Commission n'aurait pas suffisamment mis en balance la taille générale du groupe et d'autres facteurs pertinents, tels que la position des entreprises sur le marché concerné, les bénéfices que les entreprises ont pu tirer de l'infraction ou les effets de l'infraction sur le marché.
141. Ensuite, la requérante conteste l'utilisation de la nécessité d'assurer à l'amende un effet suffisamment dissuasif comme justification de l'augmentation de la sanction en fonction de la taille de l'entreprise. La dissuasion ne pourrait pas être un facteur distinct pour la détermination de la gravité d'une infraction. Une amende qui est totalement fonction de la gravité de l'infraction exercerait plutôt automatiquement l'effet dissuasif. Si le Tribunal acceptait le raisonnement selon lequel une amende doit avoir un effet dissuasif pour traduire la gravité de l'infraction, il donnerait "carte blanche" à la Commission pour fixer des amendes aussi élevées qu'il lui plairait. On ne saurait d'ailleurs déterminer l'effet dissuasif sur la base de la capacité de payer l'amende dont disposerait une entreprise, notamment dans le cas présent, où la capacité de payer dépendrait d'actifs sans rapport avec les avantages obtenus ou les pertes causées par l'infraction.
142. La requérante conteste également la justification invoquée par la Commission pour l'ajustement de l'amende, fondée sur l'assertion selon laquelle les grandes entreprises "disposent de connaissances et d'infrastructures juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence". Sans se prononcer sur la question de savoir si cette argumentation ne peut jamais constituer une justification de l'augmentation d'une amende, la requérante fait remarquer qu'il peut en effet être plus difficile pour un grand groupe que pour une petite entreprise de veiller à éviter un comportement illicite. Ainsi, dans un groupe tel que celui de la requérante, qui compte une multitude d'entreprises à surveiller, il serait difficile de veiller à ce qu'aucun acte illicite ne soit jamais commis dans aucune des entreprises du groupe.
143. La théorie de la Commission concernant l'"infrastructure juridique" ne serait pas non plus compatible avec la jurisprudence de la Cour dans la mesure où cette dernière ne considère pas pertinent, en ce qui concerne la définition du comportement comme étant "de propos délibéré ou par négligence", le fait que les entreprises en cause soient conscientes du fait qu'elles violent l'article 85,paragraphe 1, du traité, aussi longtemps qu'elles sont informées de tous les faits pertinents qui donnent lieu à une infraction. Comme la méconnaissance de l'illégalité d'un comportement anticoncurrentiel ne constitue pas un moyen de défense contre la fixation d'une amende ni même un facteur à retenir pour la fixation d'une amende, la Commission ne pourrait attacher une telle importance au fait que de grandes entreprises disposent de moyens juridiques importants afin de connaître le caractère illicite du comportement de l'une de leurs entreprises.
144. De toute façon, l'argumentation de la Commission ne pourrait être retenue en ce qui concerne l'entente en cause, qu'aucune des entreprises participantes n'aurait pu juger légale. Aucune de celles-ci n'aurait manqué de l'"infrastructure juridique" nécessaire pour comprendre qu'elle serait passible d'amende si son comportement était découvert.
145. Enfin, l'amende serait disproportionnée par rapport à la gravité de l'infraction dans la mesure où elle excède 10 % du chiffre d'affaires global de la division du chauffage urbain de la requérante. Étant donné que la division du chauffage urbain est une entreprise distincte n'ayant ni synergie ni rapport avec les activités essentielles du groupe ABB, elle devrait être considérée comme une entreprise au sens de l'article 85 du traité. En conséquence, ce serait au chiffre d'affaires de la division du chauffage urbain que devrait être appliquée la limite de 10 % prévue à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.
146. À cet égard, la requérante explique que ce n'est dû qu'au fait selon lequel l'unité économique du chauffage urbain n'est pas dotée de personne morale distincte que la décision a dû être adressée au groupe ABB, qui est devenu de ce fait passible de l'amende. L'absence de personnalité morale distincte de la division du chauffage urbain pourrait être expliquée par l'organisation du groupe ABB, dans lequel les entreprises sont responsables, sur le plan commercial, devant le directeur de leur branche d'activité, alors que sur le plan juridique, elles sont abritées par la principale filiale de leur pays ou région. Dans le secteur du chauffage urbain, les filiales d'ABB exerçant leurs activités dans le domaine du chauffage urbain seraient dirigées, sur le plan commercial, par le directeur des activités de chauffage urbain, lequel est également le directeur d'ABB IC Moller. La requérante en tire la conclusion que si toutes ses filiales particulières s'occupant du chauffage urbain avaient été transformées en filiales d'ABB IC Moller, au lieu de rester des filiales intégrées dans l'organisation du pays en cause, ABB IC Moller aurait été la destinataire appropriée de la décision et le chiffre d'affaires de ce groupe secondaire aurait été le chiffre d'affaires pertinent pour l'application de la limite de 10 % prévue à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Selon la requérante, l'application du droit de la concurrence est fondée sur la réalité économique et non sur les modalités juridiques. Ainsi, le simple fait qu'elle utilise une structure organisationnelle différente ne pourrait entraîner un résultat différent au titre du droit de la concurrence.
147. La défenderesse souligne d'abord que sa nouvelle méthode de détermination des amendes, exposée dans les lignes directrices, reflète la nécessité de tenir compte, dans la fixation du montant de l'amende, d'un grand nombre d'éléments. Afin d'assurer une dissuasion effective, les amendes déterminées selon la nouvelle méthode ne représenteraient plus un pourcentage du chiffre d'affaires des entreprises concernées. La Commission prendrait désormais pour point de départ un chiffre absolu choisi en fonction de la gravité globale de l'infraction.
148. La nouvelle méthode de détermination des amendes correspondrait au critère des facteurs multiples invoqué par la requérante. À cet égard, il faudrait préciser qu'il ressort de la jurisprudence que la Commission est obligée de prendre en considération la gravité intrinsèque de l'infraction et sa nature. Dans ce cadre, il serait loisible à la Commission de prendre en considération une multitude d'éléments, sous réserve du contrôle du juge communautaire. Le chiffre d'affaires figurerait parmi les éléments admissibles, mais ne serait en aucun cas un critère obligatoire. En tout état de cause, la requérante ne pourrait soutenir que le calcul du montant des amendes en pourcentage du chiffre d'affaires sur le marché concerné constitue un moyen de dissuasion adéquat. L'effet dissuasif limité de la pratique antérieure de la Commission serait mis en évidence par le fait que la requérante a été à la tête d'une entente paneuropéenne au moment même où la Commission a publié la décision ciment, précitée, et la décision 94-601-CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 - Carton) (JO L. 243, p. 1).
149. La défenderesse remarque encore que, même si elle n'a pas l'obligation de prendre en considération tous les éléments mentionnés par la requérante, elle a tenu compte de certains de ces éléments dans la décision, notamment de la position des entreprises sur le marché ainsi que du comportement de chacune des entreprises et du rôle joué par chacune d'elles. L'effet de l'infraction sur le marché ne serait pas un critère déterminant dans l'appréciation du montant de l'amende. En effet, les éléments relevant de l'aspect intentionnel de l'infraction pourraient avoir plus d'importance que ceux relatifs à ses effets, surtout lorsqu'ils ont trait à des infractions intrinsèquement graves, telles que la fixation des prix et la répartition des marchés. Cela s'appliquerait également aux bénéfices que les entreprises ont pu tirer de l'infraction.
150. En tout état de cause, la Commission n'aurait pas accordé un poids excessif au chiffre d'affaires global. De fait, dans le calcul du montant de l'amende à infliger à la requérante, la décision n'aurait pas du tout tenu compte de son chiffre d'affaires global, étant donné que l'ajustement vers le haut de son montant de départ ne reposerait pas sur les différences entre les chiffres d'affaires globaux des participants à l'entente. Le coefficient d'ajustement se justifierait en raison du fait que, pour assurer une dissuasion équivalente, des puissances économiques différentes requièrent des amendes de niveaux différents. Ce ne serait que lorsque l'amende a l'effet dissuasif adéquat qu'elle traduirait la gravité de l'infraction.
- Appréciation du Tribunal
151. Il convient d'observer, d'abord, que la Commission a estimé qu'il s'agissait, en l'espèce, d'une infraction très grave, pour laquelle l'amende normalement imposable est de 20 millions d'écus (considérant 165 de la décision).
152. Puis, afin de tenir compte de la disparité dans la taille des entreprises ayant pris part à l'infraction, la Commission a réparti les entreprises en quatre catégories selon leur importance dans le marché de la Communauté, sous réserve d'ajustements destinés à tenir compte de la nécessité d'assurer une dissuasion effective (considérant 166, deuxième à quatrième alinéa, de la décision). Il ressort des considérants 168 à 183 de la décision que les quatre catégories se sont vu imposer, dans l'ordre d'importance, pour le calcul du montant des amendes, des points de départ spécifiques de 20, 10, 5 et 1 millions d'écus.
153. En ce qui concerne la détermination des points de départ spécifiques pour chacune des catégories, la Commission a expliqué, à la suite d'une question posée par le Tribunal, que ces montants reflètent l'importance de chaque entreprise dans le secteur des conduites précalorifugées compte tenu de sa taille et de son poids par rapport à ABB et dans le contexte de l'entente. À cette fin, la Commission a tenu compte non seulement de leur chiffre d'affaires sur le marché concerné, mais également de l'importance relative que les membres de l'entente attribuaient à chacun d'eux, comme cela ressort des quotas convenus au sein de l'entente, figurant en annexe 60 de la communication des griefs, et des résultats obtenus et envisagés en 1995, figurant en annexes 169 à 171 de la communication des griefs.
154. De plus, en ce qui concerne la requérante, la Commission a encore augmenté le point de départ pour le calcul du montant de son amende, originellement de 20 millions d'écus, pour tenir compte de sa position en tant qu'un des principaux groupes européens (considérant 168 de la décision). Il y a lieu de rappeler que la Commission a identifié comme objectifs d'un tel ajustement vers le haut, d'une part, la nécessité de fixer une amende dont le montant soit suffisamment dissuasif pour empêcher toute récidive et, d'autre part, le fait que de telles entreprises disposent de connaissances et d'infrastructures "juridico-économiques" qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence (voir le point 57 ci-dessus). Selon la Commission, l'exigence relative à l'effet dissuasif a fait que, dans le cas de la requérante, l'"amende minimale de 20 millions d'écus prévue pour une infraction très grave [devait] être pondérée par x 2,5 pour avoir un point de départ de 50 millions d'écus" (considérant 169 de la décision).
155. Dans ces circonstances, il y a lieu de constater, d'abord, que la requérante ne saurait prétendre que la Commission a basé le calcul du montant de son amende sur son chiffre d'affaires global. Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que la Commission a fixé un point de départ sur la base du montant de 20 millions, retenu en fonction de la gravité de l'infraction en cause, qui a, ensuite, été différencié selon un ensemble de critères reflétant l'importance de chaque entreprise dans le secteur des conduites précalorifugées. Dans la mesure où le montant résultant de cette opération a encore été multiplié par 2,5 pour tenir compte de la position de la requérante en tant que groupe européen, il s'avère que cette dernière pondération n'a pas été effectuée sur la base du chiffre d'affaires global de la requérante. En effet, comme cela peut être déduit des considérants 9, 176 et 179 de la décision, contenant des indications sur les chiffres d'affaires globaux de la requérante et des entreprises classées dans la deuxième (Logstor) et dans la troisième catégorie (Tarco, Henss/Isoplus, Pan-Isovit et Dansk Rorindustri), les entreprises des deuxième et troisième catégories se sont vu imposer un point de départ spécifique dépassant 7 %, pour Logstor, et 10 %, pour les autres entreprises, de leurs chiffres d'affaires globaux, tandis que le point de départ spécifique de 50 millions d'écus concernant la requérante a constitué moins de 0,2 % du chiffre d'affaires global de cette dernière. Il en découle que le taux multiplicateur de 2,5 n'a pas de lien proportionnel avec la différence entre le chiffre d'affaires global de la requérante et celui des autres entreprises.
156. Comme la Commission n'a pas basé son calcul du montant de l'amende à infliger à la requérante sur son chiffre d'affaires global, cette dernière ne saurait non plus se prévaloir de l'arrêt Parker Pen/Commission, précité, dans lequel le Tribunal a réduit le montant de l'amende imposée à une entreprise en vertu de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, en raison du fait que la Commission n'avait pas pris en considération le fait que le chiffre d'affaires réalisé avec les produits concernés était relativement faible par rapport à celui résultant de l'ensemble des ventes réalisées par Parker (arrêt Parker Pen/Commission, précité, point 94).
157. Ainsi qu'il ressort de la décision et de l'explication donnée par la Commission à la suite de la question écrite du Tribunal, il y a lieu de constater que celle-ci a tenu compte, dans la fixation des points de départ spécifiques pour le calcul du montant des amendes, d'un ensemble de facteurs reflétant l'importance de chaque entreprise dans le secteur des conduites précalorifugées, parmi lesquels a figuré le chiffre d'affaires réalisé sur le marché pertinent. Il s'avère donc que la Commission s'est conformée à la jurisprudence selon laquelle la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (voir la jurisprudence citée au point 125 ci-dessus).
158. Eu égard au fait que la Commission a, lors de la différenciation du point de départ spécifique à retenir pour ABB par rapport à ceux retenus pour les autres entreprises, pris en considération des quotas convenus au sein de l'entente et des résultats obtenus et envisagés pour l'année lors de laquelle l'entente européenne a atteint sa forme la plus développée, la requérante ne saurait non plus prétendre que la Commission n'a pas mis en balance le facteur relatif à sa taille avec d'autres facteurs tels que la position des entreprises sur le marché concerné, les bénéfices que les entreprises ont pu tirer de l'infraction ou les effets de l'infraction sur le marché.
159. Étant donné que, en l'espèce, la Commission n'a pas fixé les points de départ spécifiques du calcul du montant des amendes sur le seul chiffre d'affaires des entreprises sur le marché pertinent, la requérante ne saurait tirer argument de l'arrêt SCA Holding/Commission, précité, dans lequel le Tribunal a jugé que, dans la mesure où il y a lieu de se fonder sur le chiffre d'affaires des entreprises impliquées dans une même infraction en vue de déterminer le rapport entre les différents montants des amendes à infliger, la Commission est en droit de calculer le montant des amendes infligées à chacune de ces entreprises en appliquant un pourcentage fixé à un chiffre d'affaires de référence identique pour les entreprises concernées, de manière que les montants obtenus soient aussi comparables que possible (arrêt SCA Holding/Commission, précité, point 185).
160. Dans ce contexte, le seul fait que la Commission, dans la détermination du point de départ spécifique concernant la requérante, ne s'est pas exclusivement basée sur le chiffre d'affaires sur le marché pertinent de chacune des entreprises, mais a pris en considération d'autres facteurs traduisant leur importance sur ce marché ne saurait conduire à la conclusion que la Commission aurait imposé une amende d'un montant disproportionné. En effet, il ressort de la jurisprudence qu'il ne faut attribuer ni au chiffre d'affaires global d'une entreprise, ni au chiffre qui provient des produits faisant l'objet de l'infraction une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d'appréciation (voir point 130 ci-dessus).
161. Eu égard à l'ensemble des facteurs pertinents pris en considération dans la fixation des points de départ spécifiques, la requérante ne saurait tirer argument du fait que le montant de son amende est supérieur, en pourcentage de son chiffre d'affaires sur le marché pertinent, à celui de l'amende imposée à Logstor. En effet, il y a lieu de constater, sur la base des données chiffrées utilisées par la Commission dans la différenciation des points de départ, telles qu'indiquées au point 152 ci-dessus, que la différence entre le point de départ retenu pour la requérante, d'une part, et ledit point de départ retenu pour Logstor, d'autre part, est objectivement justifiée. De plus, la Commission n'est pas tenue d'assurer que les montants finals des amendes auxquels son calcul aboutit pour les entreprises concernées traduisent toute différence entre celles-ci quant à leur chiffres d'affaires sur le marché pertinent.
162. Contrairement à ce que prétend la requérante, la Commission n'a pas non plus commis une erreur d'appréciation ni violé le principe de proportionnalité dans la mesure où elle a multiplié par 2,5 le montant de 20 millions d'écus afin de refléter l'importance de la requérante dans le secteur des conduites précalorifugées pour tenir compte de sa position en tant qu'un des principaux groupes européens.
163. À titre liminaire, il convient d'observer que la requérante, même si elle ne conteste pas, sur le fond, que l'infraction en cause a pu être imputée au groupe ABB, s'efforce toutefois d'avancer des arguments selon lesquels la Commission aurait dû baser le calcul du montant de son amende sur le chiffre d'affaires relatif aux seules activités de sa division du chauffage urbain. Il y a lieu d'observer, à cet égard, comme cela ressort des considérants 165 et 166 de la décision, que l'imputation de l'infraction au groupe ABB, plutôt qu'à l'"entreprise" prétendument constituée par la division du chauffage urbain d'ABB, se justifie sur la base d'un ensemble d'éléments tels que le fait que le domaine du chauffage urbain au sein d'ABB regroupe pas moins d'une trentaine d'entreprises, l'absence d'une société holding spécifique au secteur du chauffage urbain d'ABB, la mise en œuvre des efforts pour éliminer Powerpipe ou pour préserver les intérêts de l'entente par le biais d'entreprises appartenant à ABB dont le domaine d'activité n'était pas le secteur du chauffage urbain, le fait que le secteur du chauffage urbain du groupe dépendait directement d'un directeur général adjoint d'ABB ainsi que la circonstance selon laquelle l'entente autant que les mesures prises pour nier ou dissimuler son existence ont été conçues, dirigées et fermement soutenues à l'échelon de la direction du groupe (considérant 156 de la décision). Or, pour autant que la requérante conteste la réalité de certains de ces éléments, il a été constaté, aux points 33 à 43 ci- dessus, que ceux-ci se trouvent suffisamment étayés par les preuves rassemblées par la Commission. Dès lors que l'imputation de l'infraction au groupe ABB est correctement établie, la requérante ne saurait donc se prévaloir de la position décentralisée et autonome de sa division du chauffage urbain, ni de la circonstance selon laquelle les effets de l'entente ne pourraient être attribués qu'aux activités de cette même division.
164. En tout état de cause, il y a lieu de rappeler, comme cela ressort de ce qui précède, que l'imputation de l'infraction au groupe ABB n'a pas amené la Commission a pondérer le point de départ de son amende en répercutant exactement le rapport existant entre le groupe ABB, soit en termes de chiffre d'affaires global, soit en termes de taille ou de puissance économique, et les autres entreprises. En effet, la Commission s'est servie, à cette fin, en vue de la nécessité de fixer le montant de l'amende à un niveau suffisamment dissuasif, d'un taux multiplicateur de 2,5.
165. Quant à la fixation d'un tel taux multiplicateur, il y a lieu d'observer que la prise en compte de l'effet dissuasif que doivent avoir les amendes est tout à fait conforme à la jurisprudence selon laquelle la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (voir la jurisprudence citée au point 125 ci-dessus).
166. Il convient de rappeler, à cet égard, que le pouvoir de la Commission d'infliger des amendes aux entreprises qui, de propos délibéré ou par négligence, commettent une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité constitue un des moyens attribués à la Commission en vue de lui permettre d'accomplir la mission de surveillance que lui confère le droit communautaire. Cette mission comprend certainement la tâche d'instruire et de réprimer des infractions individuelles, mais elle comporte également le devoir de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens le comportement des entreprises. Il s'ensuit que, pour apprécier la gravité d'une infraction en vue de déterminer le montant de l'amende, la Commission doit prendre en considération non seulement les circonstances particulières de l'espèce, mais également le contexte dans lequel l'infraction se place et veiller au caractère dissuasif de son action, surtout pour les types d'infractions particulièrement nuisibles pour la réalisation des objectifs de la Communauté (arrêt Musique diffusion française ea/Commission, précité, points 105 et 106).
167. Étant donné que la prise en considération de l'effet dissuasif d'une amende constitue un des facteurs qui, selon la jurisprudence, entrent en ligne de compte pour déterminer la gravité de l'infraction, la requérante ne saurait reprocher à la Commission d'avoir pris en compte l'effet dissuasif des amendes dans la fixation du point de départ spécifique correspondant à la gravité de son infraction. En effet, la prise en compte de l'effet dissuasif des amendes fait partie intégrante de la pondération des amendes en fonction de la gravité de l'infraction, dans la mesure où elle vise à empêcher qu'une méthode de calcul conduise à des montants d'amendes qui, pour certaines entreprises, n'atteindraient pas le niveau approprié afin d'assurer à l'amende un effet suffisamment dissuasif.
168. Quant à la fixation du point de départ spécifique de 50 millions d'écus concernant la requérante, il n'est pas pertinent de prétendre, comme le fait la requérante, que la Commission n'était pas en droit de se baser, dans ce contexte, sur la capacité à payer de la requérante, étant donné que, en l'espèce, la Commission n'a pas fixé ce point de départ sur des critères concernant la capacité de la requérante à payer son amende finale.
169. Ensuite, il convient d'observer que la Commission, afin de justifier l'augmentation du point de départ de 20 millions d'écus lors de la prise en considération de la position d'ABB en tant qu'un des principaux groupes européens, a été en droit de se référer à la circonstance selon laquelle les entreprises de grande dimension disposent de connaissances et d'infrastructures "juridico-économiques" qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence. En effet, indépendamment du fait de savoir si, dans un cas d'espèce, la direction d'une entreprise de grande dimension est toujours au courant de toutes les activités anticoncurrentielles menées par ses filiales, ni de savoir si, dans un cas donné, l'infraction en cause est revêtue d'une gravité telle que son illégalité n'a pu être ignorée par aucune des entreprises participant à celle-ci, il y a lieu de constater que la Commission n'a pas commis une erreur d'appréciation dans la mesure où elle estime que les entreprises de grande dimension disposent, généralement, de ressources supérieures, afin d'avoir connaissance des exigences et des conséquences du droit de la concurrence, à celles dont disposent les entreprises d'une taille inférieure.
170. Contrairement à ce que prétend la requérante, il y a lieu de remarquer que, dans la mesure où la prise en compte des ressources d'une entreprise de grande dimension constitue un critère permettant d'ajuster le montant de l'amende à imposer à une entreprise à l'égard de laquelle la Commission a établi une infraction aux règles communautaires de la concurrence, il est dépourvu de pertinence d'examiner si l'existence d'une telle infraction peut être établie indépendamment du fait de savoir si les entreprises concernées sont, ou non, conscientes de l'illégalité de leur comportement.
171. Étant donné que la Commission a correctement imputé l'infraction en cause au groupe ABB, il convient d'observer, enfin, que la requérante ne saurait prétendre que la Commission aurait dû se baser sur le chiffre d'affaires de la division du chauffage urbain d'ABB lors de la détermination du plafond maximal de 10 % du chiffre d'affaires prévue par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. En effet, comme cela a été rappelé au point 130 ci-dessus, le chiffre d'affaires visé à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 s'entend comme se rapportant au chiffre d'affaires global de l'entreprise concernée, qui donne seul une indication approximative de l'importance et de l'influence de celle-ci sur le marché.
172. Pour toutes ces raisons, le grief tiré d'une violation du principe de proportionnalité doit être rejeté.
Sur la violation du principe d'égalité de traitement
- Arguments des parties
173. La requérante soutient que la Commission a violé le principe d'égalité de traitement en utilisant, pour le calcul du montant de l'amende à lui infliger, une méthode différente de celle qui a été utilisée pour calculer celui des amendes infligées aux autres participants de l'entente. De plus, bien que la Commission prétende appliquer une norme unique pour infliger les amendes, l'application de cette norme entraînerait une discrimination au détriment de la requérante, vu les circonstances particulières de l'entente.
174. D'abord, la requérante aurait été discriminée dans la mesure où la Commission a augmenté le point de départ pour son amende aux motifs qu'elle était, en premier lieu, une grande multinationale et, en second lieu, la seule grande multinationale partie à l'entente. Il ressortirait du premier motif que la Commission s'est basée de facto sur le chiffre d'affaires global de la requérante. Or, pour toutes les autres entreprises, la Commission aurait pris pour point de départ seulement le chiffre d'affaires pour le produit concerné. Le deuxième motif correspondrait à une discrimination dans la mesure où d'autres participants à l'entente, notamment Pan-Isovit, Sigma et KWH, font également partie d'un groupe important et ont des activités sur le plan international. Même si la Commission ne tenait pas compte de l'étendue géographique des activités de tous ces groupes internationaux, mais seulement de leur taille économique, la prise en compte de l'appartenance de la requérante à un tel groupe constituerait une discrimination. La Commission n'aurait pas expliqué les raisons pour lesquelles, pour ces trois entreprises, elle n'a pas tenu compte du chiffre d'affaires du groupe. Dans la mesure où la Commission accorderait de l'importance à la prétendue implication de la haute direction du groupe de la requérante, celle-ci fait observer qu'il ressort toutefois du dossier que la haute direction de la société mère de Pan-Isovit, la Walter Meier Holding, aurait été informée de la participation de Pan-Isovit à l'entente et l'aurait approuvée. La Commission aurait dû examiner si les considérations sur lesquelles elle s'est fondée en ce qui concerne la requérante n'étaient pas également présentes dans le cas d'autres participants à l'entente.
175. Ensuite, la requérante serait la seule entreprise à laquelle la nouvelle méthode du calcul du montant des amendes a été effectivement appliquée, ce qui ne ferait qu'aggraver la discrimination à son égard. Il faudrait observer que la Commission a utilisé, pour tous les autres participants à l'entente, des points de départ inférieurs à 20 millions d'écus, constituant pourtant le montant minimal envisagé dans les lignes directrices pour les infractions très graves. Or, pour les cinq autres grands participants à l'entente, il aurait été clair d'emblée que les amendes qui résulteraient d'une application de la nouvelle méthode de calcul ne pourraient pas être effectivement imposées, parce qu'elles dépasseraient le plafond prévu à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Cela montre que la formule choisie pour calculer le montant des amendes individuelles a été articulée sur le désir de la Commission d'infliger une amende maximale à la requérante, les amendes infligées à d'autres participants étant davantage le produit d'une réflexion ultérieure.
176. La défenderesse fait observer que le caractère multinational de la requérante n'a été mentionné qu'incidemment. Parmi les éléments ayant conduit à l'augmentation du montant de départ de la requérante figureraient la taille économique de l'entreprise, sans référence spécifique au chiffre d'affaires global, ainsi que la nécessité d'assurer une dissuasion adéquate. Le montant de l'amende infligée n'aurait rien à voir avec l'étendue géographique des activités du groupe ABB.
177. Quant aux autres entreprises mentionnées, les éléments de preuve dont dispose la défenderesse ne permettraient pas de considérer que les comportements de KWH et de Sigma pouvaient être attribués à un niveau plus élevé de leur structure sociétaire de telle sorte que leur participation à l'entente aurait pu être imputée au sommet de cette structure. Si la requérante estime que la participation éventuelle de la société-mère de Pan-Isovit est étayée par des preuves, elle aurait dû préciser de quelles preuves il s'agissait.
178. En outre, la requérante ne saurait se plaindre du fait que les autres participants à l'entente se sont vu infliger une amende proche du plafond de 10 % du chiffre d'affaires autorisé par l'article 15, paragraphe 1, du règlement n° 17. La différence de traitement invoquée par la requérante ne serait que le résultat logique de l'application de la limite fixée par le règlement n° 17.
- Appréciation du Tribunal
179. Force est de constater que la requérante, en évoquant un traitement inégal lors du calcul du montant de l'amende, part d'une lecture erronée de la décision ainsi que d'une interprétation erronée de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.
180. En premier lieu, il convient d'observer que la requérante soutient à tort que la Commission se serait basée sur son chiffre d'affaires global afin d'augmenter le point de départ spécifique de son amende, alors que, pour les autres entreprises, leur chiffre d'affaires sur le marché pertinent aurait servi de base pour le calcul. En effet, comme cela a été relevé, aux points 153 à 155 ci-dessus, la Commission s'est appuyée, dans la différenciation des points de départ des amendes, à l'égard de toutes les entreprises concernées, y compris la requérante, sur un ensemble de facteurs reflétant l'importance de chaque entreprise dans le secteur des conduites précalorifugées, parmi lesquels a figuré le chiffre d'affaires réalisé sur le marché pertinent, pour augmenter, ensuite, dans le cas de la requérante, afin d'assurer à son amende un effet suffisamment dissuasif, le résultat de cette différenciation par l'application d'un taux multiplicateur de 2,5, sans lien proportionnel avec le chiffre d'affaires global de la requérante.
181. Il y a lieu d'observer que la requérante ne saurait non plus alléguer avoir été exposée à un traitement inégal dans la mesure où la Commission, lors de la détermination du plafond maximal de l'amende prévu par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, n'a pas tenu compte du chiffre d'affaires global du groupe auquel appartenaient KWH, Pan-Isovit et Sigma. En effet, en vertu de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission peut infliger des amendes d'un montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction. Il s'ensuit que le plafond maximal de l'amende ne peut être déterminé que sur la base du chiffre d'affaires réalisé par l'"entreprise" retenue par la Commission comme responsable pour l'infraction. Or, il ressort de la décision que, en ce qui concerne la participation à l'entente de KWH, de Pan-Isovit et de Sigma, la Commission a imputé l'infraction à ces entreprises et non aux groupes respectifs auxquels celles-ci appartenaient. Comme cela a été affirmé au point 105 ci-dessus, dès lors que la Commission n'a pas trouvé d'indices suffisants pour imputer l'infraction auxdits groupes, il incombait à la requérante, dans la mesure où elle estimait que l'implication de ces groupes ressort du dossier, d'en apporter la preuve, ce qu'elle n'a pas fait. À défaut de preuves d'une implication des groupes auxquels appartenaient KWH, Pan-Isovit et Sigma, il n'y a pas lieu de reprocher à la Commission d'avoir effectué une discrimination en retenant, pour ces mêmes entreprises, le plafond maximal de 10 % de leur chiffre d'affaires prévu par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.
182. En second lieu, il ressort des considérants 168 à 183 de la décision qu'une même méthode de calcul a été utilisée dans le cas de la requérante et dans le cas des autres entreprises concernées.
183. Dans ce cadre, il ne peut non plus être question d'un traitement inégal dans la mesure où la Commission aurait fixé un point de départ général tellement élevé qu'elle a dû, pour certaines entreprises, appliquer le plafond maximal de 10 % du chiffre d'affaires imposé par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.
184. Il y a lieu d'observer, en effet, que l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 exige que l'amende qui sera finalement imposée à une entreprise soit réduite au cas où son montant dépasse 10 % du chiffre d'affaires de cette dernière, indépendamment des opérations effectuées en fonction de la durée et de la gravité de l'infraction à travers lesquelles la Commission a calculé le montant final de l'amende. Par conséquent, l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 n'interdit pas à la Commission de se référer, au cours de son calcul, à un montant intermédiaire dépassant 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée, pour autant que l'amende finalement imposée à cette entreprise ne dépasse pas cette limite maximale.
185. Dans ce contexte, la circonstance selon laquelle, pour les entreprises des deuxième et troisième catégories, le point de départ spécifique a abouti à des montants qui devaient être réduits, pour prendre en considération la limite de 10 % du chiffre d'affaires prévue par l'article 15 du règlement n° 17, tandis que, pour la requérante, une telle réduction n'a pas été nécessaire, ne saurait être considérée comme une discrimination. En effet, cette différence de traitement est la conséquence directe de la limite maximale imposée aux amendes par le règlement n° 17, dont la légalité n'a pas été mise en cause et qui ne s'applique, à l'évidence, que dans les cas où le montant de l'amende envisagé aurait dépassé 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée.
186. Il s'ensuit que le grief tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement doit être rejeté.
Sur l'appréciation erronée de la durée de l'infraction
- Arguments des parties
187. La requérante expose que la Commission, dans le calcul du montant de l'amende, a appliqué erronément le facteur de la durée dans la mesure où elle a, par année complète au cours de laquelle l'infraction a duré, augmenté de 10 % le point de départ de 50 millions d'écus, qui était fondé sur l'allégation suivant laquelle la haute direction du groupe était responsable de l'entente. Or, même si le Tribunal acceptait le bien-fondé de cette dernière allégation, il devrait reconnaître que la Commission a appliqué erronément le coefficient de la durée.
188. À cet égard, il faudrait rappeler que M. V. n'a rejoint l'équipe de direction du groupe qu'en janvier 1993 et qu'il n'est pas établi qu'avant janvier 1993 un membre du conseil d'administration d'ABB ait été au courant de l'infraction. Pour la période allant de novembre 1990 jusqu'à la fin de décembre 1992, il n'existerait donc pas de justification pour la hausse du point de départ fondée sur l'implication du groupe ABB. Selon la requérante, il ne s'agirait pas de prouver que chacun des plus hauts cadres du groupe était directement impliqué dans l'infraction durant toute la période considérée. En effet, la Commission aurait appliqué erronément le facteur de la durée parce qu'elle n'a apporté aucune preuve de l'implication d'un quelconque membre de la haute direction du groupe avant janvier 1993.
189. La requérante ajoute que, contrairement à ce que soutient la défenderesse, il ne ressort pas de la jurisprudence qu'une entreprise puisse être tenue pour responsable du comportement d'une filiale, sans preuve d'une implication au niveau hiérarchique supérieur et uniquement en raison de l'implication ultérieure de ce niveau supérieur.
190. La défenderesse rétorque que l'argument de la requérante concernant la durée de l'implication de la haute direction du groupe n'a rien à voir avec l'application du facteur de la durée. En effet, la requérante contesterait le point de départ de l'amende dans la mesure où il se fonde sur l'imputation de la responsabilité au groupe ABB. Or, si la décision attribue à bon droit la responsabilité de l'infraction au groupe ABB, cette constatation ne devrait pas varier en ce qui concerne la période couverte par l'infraction et selon le niveau hiérarchique des personnes impliquées dans le fonctionnement de l'entente à diverses époques.
191. Quant à la date à laquelle M. V. a rejoint le comité de direction, la défenderesse fait observer que le rapport annuel consolidé du groupe ABB pour 1992 mentionne le 12 novembre 1992. De toute façon, il serait faux de croire que, sans M. V., la responsabilité de l'infraction ne pourrait être attribuée à ABB en tant que groupe, étant donné que plusieurs autres cadres de haut niveau du groupe, y compris des responsables par pays, ont participé d'une façon ou d'une autre à des activités de l'entente.
- Appréciation du Tribunal
192. Il convient d'observer que la requérante ne conteste pas l'appréciation de la durée de l'infraction qui lui a été reprochée, mais soutient, en réalité, que la Commission n'était pas en droit de retenir le même degré de gravité pour l'infraction durant toute la période pendant laquelle sa participation à l'infraction a été retenue, en alléguant que l'implication de la haute direction de son groupe ne serait pas établie pour toute la période en question.
193. À cet égard, il suffit d'observer, ainsi que cela a été relevé aux points 33 à 39 ci-dessus, que la Commission a correctement établi l'implication dans l'infraction de la haute direction du groupe ABB sur la base des activités des directeurs généraux successifs d'ABB IC Moller ainsi que de celles de M. V., d'abord en tant que personne chargée des activités d'ABB au Danemark et, après sa nomination au conseil d'administration du groupe ABB, en tant que directeur général adjoint. Étant donné que la requérante reconnaît que le directeur général d'ABB IC Moller a participé aux contacts pris avec Pan-Isovit, en décembre 1990, et qu'il a participé également, avec M. V., à la première réunion multilatérale concernant la coopération sur le marché danois, en janvier 1991 (réponse d'ABB du 4 juin 1996 à la demande de renseignements du 13 mars 1996, p. 9, 48 et 49), il ne saurait être reproché à la Commission d'avoir imputé l'infraction au groupe ABB pour toute la période de l'infraction retenue à son égard dans sa décision.
194. Comme l'implication de la haute direction du groupe ne s'est pas limitée aux seules activités de M. V., il n'est pas pertinent de savoir si ce dernier a rejoint le conseil d'administration en novembre 1992 ou en janvier 1993.
195. Dès lors, le grief doit être rejeté.
Sur l'application erronée des circonstances aggravantes
- Arguments des parties
196. La requérante conteste chacune des circonstances aggravantes sur lesquelles la Commission s'est appuyée pour justifier l'augmentation de 50 % du montant de base de l'amende.
197. En premier lieu, elle s'oppose à la circonstance relative au "rôle de meneur et d'instigateur de l'entente joué par ABB et notamment [aux] pressions qu'ABB a exercées sur les autres entreprises afin de les persuader de rallier l'entente". Ainsi, la Commission évoquerait le même élément que celui dont elle s'est servie pour augmenter le point de départ de 20 à 50 millions d'écus, notamment l'utilisation par ABB de son pouvoir et ses ressources économiques pour renforcer l'efficacité de l'entente et s'assurer que les autres entreprises obéiraient à ses volontés. Il s'agirait dans les deux cas du comportement de l'auteur. L'évocation du même élément comme justification de l'augmentation du point de départ et, séparément, comme circonstance aggravante correspondrait à un double comptage en violation d'un principe général de droit qui est fondé sur les principes d'une bonne administration et sur l'exigence générale d'équité.
198. En deuxième lieu, il ne serait pas justifié de prendre en considération comme circonstance aggravante "les mesures de rétorsion qu'elle a orchestrées de manière systématique à l'encontre de Powerpipe afin de l'évincer du marché". En effet, il ne serait pas établi que le rôle de la requérante dans l'organisation des mesures de rétorsion contre Powerpipe ait été plus important que celui de Logstor, qui n'est pas placée dans la décision, à cet égard, au même rang qu'ABB. De plus, le fait que seules ABB et Logstor aient vu leur amende augmentée en raison de leur participation aux mesures de rétorsion contre Powerpipe, et pas les autres entreprises participantes, au sujet desquelles la Commission a affirmé leur participation à ces mesures, demeurerait inexpliqué.
199. La requérante précise que, contrairement à ce que prétend la Commission, elle ne fonde pas ses arguments sur un prétendu traitement illégal des autres participants. Elle souligne uniquement que le principe d'égalité de traitement a été violé à son égard, dans la mesure où la Commission a augmenté son amende en utilisant des critères qui, bien qu'également réunis par les autres participants, n'ont pas été appliqués à ceux-ci.
200. En troisième lieu, il serait également injustifié d'augmenter l'amende infligée à la requérante en raison du fait "qu'elle [a] poursuivi une infraction aussi nette et indiscutable après les vérifications [et] après avoir été avertie, à un niveau élevé, par la direction générale de la concurrence des conséquences d'un tel comportement". Selon la requérante, une telle hausse du niveau de l'amende peut s'effectuer dans un cas où, avant la "notification" de l'illégalité de son comportement à l'entreprise, celle-ci ignorait ou ne savait pas avec certitude que son comportement était illégal et où il pourrait être présumé, au titre de la nouvelle méthode de la Commission, que le point de départ du calcul du montant des amendes serait relativement faible. Or, dans un tel cas, la poursuite de l'infraction par une entreprise, après "notification" de son illégalité, pourrait convertir un comportement auparavant négligent en conduite délibérée. En l'espèce, toutefois, les entreprises auraient déjà été au courant de l'illégalité de leur comportement, de sorte que les vérifications sur place n'auraient rien ajouté à leur information. En outre, le fait que les lignes directrices qualifient la cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission de circonstance atténuante impliquerait que la poursuite d'une infraction ne puisse pas être considérée comme exceptionnelle. Si la poursuite d'une infraction devait être considérée comme une circonstance aggravante, il n'y aurait pas de place dans l'application des lignes directrices pour un comportement "normal".
201. Enfin, la prise en considération de la poursuite de l'infraction jusqu'à la fin de mars 1996 constituerait également une violation de l'interdiction du double comptage dans la mesure où les entreprises ont déjà été sanctionnées pour leur poursuite de l'entente par une hausse du facteur correspondant à la durée. Même si la décision envisageait de répondre, comme le prétend la défenderesse, au prétendu défi ouvert aux règles de la concurrence et à l'autorité de la Commission, il s'agirait également d'un double comptage, étant donné qu'une telle considération générale a déjà été prise en compte lorsque la gravité de l'infraction en cause a été déterminée en appréciant le fait que les producteurs se sont entendus pour instaurer un système secret et institutionnalisé "en étant parfaitement conscients de l'illicéité de leurs agissements".
202. Selon la défenderesse, il n'est pas question d'un double comptage en ce qui concerne la prise en compte du rôle de la requérante en tant que chef de file et principal instigateur de l'entente. Ce rôle aurait été apprécié sur la base de considérations "comportementales", tandis qu'il s'agirait dans la fixation du point de départ de l'amende d'une question objective relative à la capacité économique de l'auteur de l'infraction et à la nécessité de fixer l'amende à un niveau lui conférant un effet suffisamment dissuasif.
203. S'agissant des mesures de rétorsion à l'encontre de Powerpipe, la défenderesse fait remarquer que la requérante conteste, en réalité, le fait que la Commission ne les a pas retenues en tant que circonstance aggravante à l'égard des autres participants à l'entente. Or, il faudrait relever que la requérante a été non seulement le chef de file et l'organisateur, mais aussi le principal exécuteur en pratique de la campagne menée contre Powerpipe. En tout état de cause, même si d'autres participants à l'entente méritaient une augmentation identique de leur amende, la requérante ne pourrait en retirer aucun profit, étant donné que le principe d'égalité de traitement doit être mis en balance avec le principe de légalité selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d'autrui.
204. En ce qui concerne la poursuite des activités de l'entente après les vérifications, il ne serait pas logique de prétendre, comme le fait la requérante, que la poursuite d'une infraction dont l'illégalité n'est pas certaine ou n'est pas encore connue mérite un traitement plus sévère que la poursuite d'infractions incontestables et graves. La défenderesse estime plutôt que les participants à une entente flagrante méritent un traitement plus sévère pour avoir poursuivi leurs activités après avoir été découverts que les participants à une infraction moins manifeste dont l'appréciation de l'illégalité requiert une analyse économique plus complexe. Selon la défenderesse, le comportement à considérer comme "normal" et donc neutre du point de vue de l'amende n'est pas le même dans le cas de violations incontestables que dans des cas où les limites exactes du comportement légal sont discutables. La prise en considération de la poursuite de l'infraction comme circonstance aggravante ne correspondrait pas à un double comptage, étant donné que l'augmentation due à la poursuite de l'infraction n'a rien à voir avec les mois supplémentaires qui s'ajoutent à la durée de l'infraction.
- Appréciation du Tribunal
205. Il y a lieu d'observer que la Commission n'a commis aucune erreur d'appréciation, à l'égard de la requérante, en augmentant de 50 % le montant de base de 70 millions d'écus retenu en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, en raison d'un ensemble de circonstances dont, en premier lieu, "le rôle de meneur et d'instigateur de l'entente joué par [la requérante], et notamment les pressions qu'[elle] a exercées sur les autres entreprises afin de les persuader de rallier l'entente", en deuxième lieu, "les mesures de rétorsion qu'elle a orchestrées de manière systématique à l'encontre de Powerpipe afin de l'évincer du marché" et, en troisième lieu, "le fait qu'elle [a] poursuivi une infraction aussi nette et indiscutable après les vérifications après avoir été avertie, à un niveau élevé, par la direction générale de la concurrence des conséquences d'un tel comportement" (considérant 171 de la décision).
206. D'abord, en ce qui concerne les pressions exercées par la requérante sur les autres entreprises, il y a lieu de préciser qu'il ne s'agit pas d'un élément qui aurait été doublement pris en compte comme facteur conduisant à une augmentation de son amende.
207. En effet, il ressort de l'ensemble de la décision, comme cela a été remarqué, aux points 58 à 60 ci-dessus, que, dans la mesure où la Commission a évoqué, au considérant 169 de la décision, l'exploitation systématique par la requérante de son pouvoir économique et de ses ressources en tant que grande entreprise multinationale pour renforcer l'efficacité de l'entente et s'assurer que les autres entreprises obéiraient à ses volontés, elle a pris en compte cet élément parmi ceux conduisant à l'imputation de l'infraction au groupe ABB plutôt qu'à une de ses sous-divisions. Dans ce contexte, la Commission n'a donc pas retenu l'existence de pressions provenant de la requérante, en tant que grande entreprise multinationale, comme un facteur conduisant, en soi, à une augmentation du montant de l'amende à lui infliger. Par ailleurs, il ressort du considérant 156 de la décision que, dans ce cadre, la Commission a visé surtout le fait que la requérante s'est servie également des ressources de ses entreprises dont le domaine d'activité n'était pas le secteur du chauffage urbain.
208. Dans ces circonstances, il a été loisible à la Commission de tenir compte, lors de la détermination des circonstances aggravantes, des pressions exercées par ABB vis-à-vis des autres participants à l'entente afin de prendre en considération le rôle de meneur et d'instigateur de l'entente joué par la requérante.
209. Ensuite, en ce qui concerne le rôle de la requérante dans les mesures prises à l'encontre de Powerpipe, il ressort de l'exposé des faits pertinents aux considérants 90 à 107 de la décision, non contesté par la requérante, que celle-ci a joué un rôle primordial dans l'orchestration de telles mesures. À cet égard, il convient de rappeler, comme cela ressort des considérants 90 et 91 de la décision, que les actions menées contre Powerpipe s'inscrivaient dans un plan stratégique visant à évincer cette dernière du marché. De plus, il ressort des considérants 92 à 107 de la décision que la requérante a été l'instigatrice d'un débauchage de salariés clés de Powerpipe, qu'elle faisait partie du consortium à laquelle l'entente avait attribué le projet de Leipzig-Lippendorf et que, après que Powerpipe a décroché ce projet, elle a joué un rôle actif dans la mise en œuvre du boycottage de Powerpipe. En effet, même si, à l'égard de la requérante, contrairement à ce qui est le cas pour Logstor, la Commission n'a pas évoqué de preuves de ce qu'elle a été à l'origine d'un refus de livrer un des fournisseurs de Powerpipe, il y a lieu d'observer que c'est la requérante qui a déconseillé à KWH d'effectuer des livraisons pour le projet de Leipzig-Lippendorf et que, comme cela est établi par les éléments de preuve mentionnés aux considérants 105 et 106 de la décision, la requérante suivait de près les fournisseurs potentiels de Powerpipe. De même, en ce qui concerne les événements liés à l'attribution du projet de Neubrandenburg, il y a lieu de constater que, même si la requérante n'est pas nommée parmi les entreprises ayant lancé des avertissements à Powerpipe, il ressort des notes prises par Powerpipe, évoquées au considérants 95 et 96 de la décision, que la requérante n'était pas seulement citée parmi les entreprises avec lesquelles Powerpipe était invitée à s'accorder, mais qu'elle était également désignée par d'autres entreprises comme étant l'instigateur de l'entente, de sorte que, au moment où Powerpipe a voulu mettre fin à la campagne menée contre elle, elle s'est adressée uniquement à un membre de la haute direction de la requérante.
210. Dans ce contexte, la Commission a été en droit non seulement de considérer comme circonstance aggravante le fait que la requérante ait orchestré les mesures de rétorsions prises à l'encontre de Powerpipe, mais également d'en tirer des conséquences plus lourdes quant à l'augmentation du montant de son amende que celles tirées de la participation à ces mesures de Logstor et des autres entreprises concernées.
211. Enfin, en ce qui concerne la poursuite par la requérante de l'infraction après les vérifications et après avoir été expressément avertie du fait que des preuves avaient été obtenues, lors des vérifications, de sa participation à une infraction très grave, il y a lieu d'observer que la Commission était en droit de tenir compte d'une telle poursuite de l'infraction, en dehors du calcul de la durée de celle-ci, également en tant que circonstance aggravante, étant donné qu'un tel comportement témoignait de la détermination particulière des participants à l'entente de continuer leur infraction en dépit du risque de se voir imposer une sanction.
212. Étant donné que la majoration pour cette poursuite de l'infraction vise le comportement des entreprises après qu'elles ont dû s'apercevoir du fait que la Commission était en train de mener une enquête, cette majoration ne fait pas obstacle à ce que la Commission prenne par ailleurs en compte, lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction en cause, le fait que les participants à l'entente étaient parfaitement conscients, durant celle-ci, de l'illicéité de leurs agissements.
213. Contrairement à ce que prétend la requérante, le fait que la cessation d'une infraction après les premières interventions de la Commission peut être retenue comme circonstance atténuante ne signifie pas que la poursuite d'une infraction dans une telle situation ne peut être considérée comme une circonstance aggravante. En effet, la réaction d'une entreprise à une enquête concernant ses activités ne peut être appréciée qu'en tenant compte du contexte particulier du cas d'espèce. Étant donné que la Commission ne peut donc être tenue, en règle générale, ni de retenir une poursuite de l'infraction en tant que circonstance aggravante, ni de considérer la cessation d'une infraction comme circonstance atténuante, la possibilité qu'elle qualifie une telle cessation, dans un cas particulier, de circonstance atténuante ne peut la priver de son pouvoir de retenir une telle poursuite, dans un autre cas, comme circonstance aggravante.
214. La requérante ne saurait non plus s'appuyer sur la circonstance selon laquelle elle aurait été, de toute façon, consciente de l'illégalité de son infraction. À ce propos, il convient de préciser qu'il ressort de la prise en compte de la poursuite de l'infraction, lors du calcul du montant des amendes à infliger aux autres participants à l'entente, que cette poursuite a conduit à une majoration de l'amende dès lors qu'une entreprise a continué sa participation aux activités collusoires en sachant que la Commission les avait découvertes, indépendamment du fait de savoir si l'entreprise en question avait fait elle-même l'objet d'une vérification ou d'un avertissement exprès. En effet, il s'avère qu'une même majoration de 20 % de l'amende a été imposée aux entreprises de la troisième catégorie, pour "la poursuite délibérée d'une infraction aussi manifeste encore après l'enquête" (considérant 179, premier alinéa, de la décision), qu'aux entreprises de la quatrième catégorie, en raison du "caractère délibéré, en commun avec les autres participants, de la poursuite de cette infraction manifeste" (considérant 182, premier alinéa, de la décision), même si les entreprises de la quatrième catégorie, à l'exception de KWH, n'ont pas fait l'objet de vérifications ou reçu un avertissement exprès. Étant donné que la Commission, lors de l'appréciation de la poursuite délibérée de l'infraction, ne s'est pas basée sur la circonstance selon laquelle une entreprise a été avertie de l'illégalité de son comportement, il est donc dépourvu de pertinence de savoir si un tel avertissement a, en l'espèce, révélé à une entreprise l'illégalité de son comportement ainsi que de la poursuite de celui-ci.
215. Partant, le grief ne peut être accueilli.
Sur l'absence de circonstances atténuantes
- Arguments des parties
216. La requérante reproche à la Commission de ne pas avoir tenu compte, en tant que circonstance atténuante, du développement, en son sein, d'un programme de mise en conformité avec le droit communautaire. En effet, dans sa pratique antérieure, la Commission aurait, à de nombreuses reprises, assimilé à une circonstance atténuante le fait que des actes illicites aient été commis nonobstant les efforts de conformité déployés. Néanmoins, la décision aurait rejeté le programme de mise en conformité de la requérante sans justification autre que l'argument selon lequel les efforts préexistants auraient été insuffisants. Selon la requérante, la Commission aurait dû porter à son crédit le fait qu'elle avait renforcé son programme de mise en conformité après avoir reconnu l'échec de ses précédents efforts à ce sujet dans son secteur du chauffage urbain. La requérante aurait mis en place un vaste programme comprenant des instructions pour la direction au niveau du groupe ainsi qu'une directive liant tous les membres de son personnel et aurait notamment adopté un principe de responsabilité personnelle des cadres supérieurs en cas d'infraction aux règles de la concurrence. On ne pourrait non plus nier l'effet dissuasif pouvant résulter de programmes de sensibilisation comme celui qui a été instauré au sein du groupe de la requérante.
217. Selon la requérante, la Commission aurait également dû prendre en considération la circonstance atténuante constituée par la dissimulation de l'infraction à la haute direction du groupe. Il serait contraire à l'équité que la Commission tienne compte du fait que le secteur du chauffage urbain d'ABB fasse partie d'un grand groupe alors qu'elle méconnaît le fait que le comportement illicite a été dissimulé au comité de direction du groupe, qui a été par conséquent incapable d'y mettre rapidement fin.
218. La défenderesse rétorque que le fait qu'elle ait déjà pris en considération l'introduction d'un programme de mise en conformité en tant que circonstance atténuante n'implique pas pour elle une obligation de procéder de la même façon dans le cas présent. La décision aurait clairement précisé que le prétendu renforcement du programme de mise en conformité n'avait pas été efficace en l'espèce, étant donné qu'il est démontré que l'infraction s'est poursuivie jusqu'en mars ou avril 1996. Or, les résultats médiocres d'un premier programme de mise en conformité pourraient être pris en considération lors de l'appréciation de l'opportunité d'une réduction de l'amende en raison d'un nouveau programme de conformité.
219. Quant à la dissimulation de l'entente à l'égard de la haute direction du groupe ABB, elle ne pourrait pas être prise en compte en tant que circonstance atténuante, étant donné qu'il y a un aspect de dissimulation dans presque chaque affaire d'entente, en raison de son caractère nécessairement secret, et que, de toute façon, des dirigeants du groupe ABB, jusqu'au niveau le plus élevé, étaient non seulement informés, mais aussi directement impliqués dans les activités de l'entente.
- Appréciation du Tribunal
220. D'abord, il convient d'estimer qu'il ne saurait être reproché à la Commission de n'avoir pas considéré, comme circonstance atténuante, le renforcement par la requérante de sa politique de mise en conformité avec le droit communautaire.
221. En effet, s'il est, certes, important que la requérante ait pris des mesures pour empêcher que de nouvelles infractions au droit communautaire de la concurrence soient commises à l'avenir par des membres de son personnel, ce fait ne change rien à la réalité de l'infraction qui a été constatée en l'espèce (arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7-89, Rec. p. II-1711, point 357). En outre, il ressort de la jurisprudence que, si la mise en œuvre d'un programme pour se conformer aux règles communautaires de la concurrence démontre la volonté de l'entreprise en cause de prévenir les infractions futures et constitue donc un élément permettant à la Commission de mieux accomplir sa mission consistant, notamment, à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens les entreprises, le seul fait que, dans certains cas, la Commission ait pris en considération, dans sa pratique décisionnelle antérieure, la mise en place d'un tel programme en tant que circonstance atténuante n'implique pas pour elle une obligation de procéder de la même façon dans un cas déterminé (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Fiskeby Board/Commission, T-319-94, Rec. p. II-1331, point 83, et arrêt Mo och Domsjö/Commission, précité, point 417). Il en est d'autant plus ainsi lorsque l'infraction en cause constitue, comme dans le cas d'espèce, une violation manifeste de l'article 85, paragraphe 1, sous a) et c), du traité.
222. À cet égard, il convient d'observer que, dans les circonstances de l'espèce, la Commission a été en droit de ne pas tenir compte, en tant que circonstance atténuante, du renforcement du programme de mise en conformité de la requérante en raison de l'échec des tentatives antérieures de mettre en conformité les activités de sa division du chauffage urbain avec le droit communautaire.
223. Force est de rappeler que, comme cela est évoqué par la Commission, au considérant 172 de la décision, la direction d'ABB IC Moller a préconisé, lors d'une réunion du club des directeurs de l'entente du 4 mars 1996, l'emploi d'un consultant afin de maintenir l'entente sans avoir besoin de recourir à des réunions plénières, bien que le service juridique du groupe ABB ait envoyé au directeur général d'ABB IC Moller, en novembre 1995, des instructions précisant la politique impérative du groupe de respecter les règles de la concurrence et même si, selon la requérante, sa direction de la division du chauffage urbain avait donné des instructions verbales à toutes les entreprises de cesser tout contact anticoncurrentiel. Il y a lieu de rappeler également que les instructions données à son personnel de respecter les dispositions du droit de la concurrence, le 4 avril 1996, transmises par le directeur général d'ABB IC Moller, avaient été rédigées en des termes réfutant les allégations de faute reconnues par la suite par la requérante comme fondées.
224. Quant à la dissimulation de l'infraction à la haute direction du groupe, il suffit d'observer que, dans le cas d'espèce, dans lequel la Commission a établi l'implication dans l'infraction de membres de la haute direction du groupe ABB, notamment l'implication d'un directeur général adjoint du groupe ABB, la Commission n'était certainement pas tenue de considérer, en tant que circonstance atténuante, le fait que d'autres membres de la haute direction n'auraient pas été au courant de toutes les activités anticoncurrentielles menées par le personnel de la requérante.
225. Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.
Sur l'application erronée de la communication sur la coopération
- Arguments des parties
226. La requérante prétend que la Commission aurait dû lui accorder la réduction de 50 % à laquelle elle avait droit en vertu de la communication sur la coopération, étant donné qu'elle remplissait les deux conditions prévues au point D de cette communication. En ce qui concerne la condition selon laquelle "avant l'envoi d'une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d'autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l'existence de l'infraction commise", la Commission elle-même reconnaîtrait que la requérante a contribué sensiblement à l'établissement des éléments de fait pertinents, dont les faits concernant les origines de l'entente au Danemark à la fin de 1990, pour lesquels la Commission ne disposait d'aucun élément de preuve. En ce qui concerne la condition selon laquelle "après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu'elle ne conteste pas la matérialité de faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations", il faudrait observer que la requérante était en fait le seul grand participant à l'entente qui n'a pas contesté les faits sur lesquels la Commission a fondé ses allégations.
227. Selon la requérante, les deux conditions du point D ne peuvent être considérées comme complémentaires. Sinon, une entreprise ne remplissant pas les conditions des points B et C de la communication sur la coopération n'aurait en effet aucun encouragement à coopérer avec la Commission avant l'envoi de la communication des griefs. En satisfaisant aux deux conditions prévues au point D, la requérante aurait dû obtenir une réduction de 50 % au moins. De fait, on s'imaginerait difficilement comment la requérante aurait pu être plus franche et coopérative ou comment sa franchise et son esprit de coopération auraient pu être plus précieux pour la Commission.
228. La requérante conteste la justification donnée dans la décision de ne lui accorder qu'une réduction de l'amende de 30 %, notamment l'explication selon laquelle elle n'aurait commencé à coopérer qu'après la réception d'une demande de renseignements, en mars 1996, soit neuf mois après qu'elle a été informée de ce que la Commission avait commencé une enquête. D'une part, en ce qui concerne le début de la coopération, les deux conditions du point D de la communication auraient bien été remplies. La première condition exigerait uniquement que la coopération doive avoir lieu avant la communication des griefs, sans allusion à la portée des lettres envoyées au titre de l'article 11 du règlement n° 17. Quant à la deuxième condition, le commencement de la coopération serait un élément non pertinent. D'autre part, la décision ne cadrerait pas avec l'application de la communication sur la coopération dans la décision 98-247-CECA de la Commission, du 21 janvier 1998, relative à une procédure d'application de l'article 65 du traité CECA (IV/35.814 - Extra d'alliage) (JO L. 100, p. 55, ci-après la "décision Extra d'alliage"). Dans cette affaire, des entreprises auraient bénéficié d'une réduction de 40 % motivée par leur coopération et leur aveu des agissements illicites, bien qu'elles n'aient coopéré que 21 mois après avoir appris que la Commission procédait à une enquête et un an après l'établissement de la communication des griefs par la Commission dans cette affaire.
229. Enfin, la requérante fait observer qu'elle a été discriminée dans la mesure où elle s'est vu accorder une réduction de 30 % seulement de l'amende. La même réduction aurait été accordée à Logstor et à Tarco, alors que ces entreprises avaient contesté un grand nombre des éléments de fait décisifs dont la requérante avait reconnu l'existence. Le traitement inégal de la requérante par la Commission ressortirait également du fait qu'elle a accordé à KE KELIT Kunststoffwerk GmbH une réduction de 20 % uniquement pour n'avoir pas contesté des éléments de fait essentiels dans la même communication des griefs. À cet égard, l'argument de la Commission selon lequel la requérante ne pourrait pas invoquer à son profit une illégalité commise en faveur d'autrui n'a pas de fond, étant donné que la requérante ne soutient pas que les participants qui n'ont pas reçu d'augmentation de leur amende auraient été traités d'une manière illégale.
230. La défenderesse maintient qu'une réduction de 30 % tient objectivement et dûment compte de la collaboration de la requérante dans l'enquête. Il ne serait pas exact de soutenir que la décision ne mentionne qu'une seule raison de ne pas lui accorder la réduction maximale, à savoir le fait qu'ABB n'avait coopéré que neuf mois après les vérifications. L'importance de la réduction dépendrait, toutefois, de la mesure dans laquelle la coopération d'une entreprise a contribué à l'enquête de la Commission. Dans son considérant 174, la décision aurait bien précisé que la contribution de la requérante dans l'établissement des faits ne concernait pas tous les aspects de l'entente et que la Commission disposait aussi d'autres preuves de l'existence de l'entente avant 1994. Quant au fait que la requérante n'a jamais contesté les faits, même s'il n'est pas mentionné au considérant 174 de la décision, il serait correctement reconnu dans les considérants 26, 119 et 169 de la décision.
231. Quant à la coopération de la requérante, la défenderesse fait observer encore que la requérante, bien qu'étant la première à manifester son intention de coopérer, n'a pas été la première à fournir des preuves de l'origine de l'entente en 1990. En ce qui concerne cette période, la décision déclarerait uniquement que la Commission n'avait pu obtenir de preuves suffisantes "au cours de son enquête" dans les locaux des participants. De toute façon, la Commission aurait obtenu de nombreuses preuves à charge relatives à l'ensemble de l'entente au cours de ses vérifications. La tentative de la requérante de subdiviser l'infraction en deux parties contredirait l'appréciation non contestée que l'entente correspondrait à une infraction unique et continue. La défenderesse ajoute que la requérante n'a jamais fourni de preuves documentaires autres que celles qui ont été découvertes dans ses locaux durant l'enquête.
232. Ensuite, la défenderesse conteste la méthode de calcul réalisée par la requérante pour parvenir à une réduction de 50 %. La réduction de 30 % accordée à la requérante traduirait correctement sa contribution à l'enquête ainsi que le fait qu'elle n'a pas contesté les faits. La défenderesse explique que les deux conditions du point D de la communication sont largement complémentaires dans la mesure où la seconde condition est, la plupart du temps, implicitement contenue dans la première. On ne saurait donc soutenir que la non-contestation des faits pourrait entraîner une augmentation sensible de la réduction accordée à ABB pour avoir aidé la Commission à établir les faits. En tout état de cause, la non-contestation des faits ne justifierait qu'une faible réduction lorsqu'il n'y a que très peu de choses qu'une entreprise puisse contester sans contredire des preuves irréfutables ou annihiler sa propre contribution à l'enquête en vertu de la première partie du point D de la communication.
233. En ce qui concerne la prétendue discrimination, enfin, la défenderesse réitère son affirmation selon laquelle la requérante n'a pas démontré que l'appréciation de sa collaboration à l'enquête par la Commission a été manifestement erronée. En ce qui concerne les autres entreprises, l'appréciation des réductions à accorder refléterait dûment la situation de chaque entreprise. En ce qui concerne Logstor, il faudrait observer que, bien que cette entreprise ait peut-être contesté une partie de l'interprétation des faits, telle que l'existence d'une entente continue pendant toute la période couverte par l'enquête, elle a fourni des éléments de preuve essentiels sur de nombreux aspects importants de l'affaire, y compris la poursuite de l'entente après l'enquête. En ce qui concerne Tarco, il s'agirait de la première entreprise à fournir des preuves documentaires sur l'origine de l'entente en 1990. De toute façon, même si la réduction accordée à d'autres participants à l'entente pouvait être qualifiée d'excessivement généreuse, le respect du principe d'égalité de traitement devrait être mis en balance avec le respect du principe de légalité, selon lequel nul ne pourrait invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d'autrui.
- Appréciation du Tribunal
234. Il y a lieu d'observer, au préalable, que la Commission, dans sa communication sur la coopération, a défini les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec elle au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées de l'amende ou bénéficier d'une réduction du montant de celle-ci qu'elles auraient autrement dû acquitter (voir point A, paragraphe 3, de la communication).
235. Il n'est pas contesté que le cas de la requérante ne tombe pas dans le champ d'application du point B de cette communication, visant le cas où une entreprise a dénoncé une entente secrète à la Commission avant que celle-ci n'ait procédé à une vérification (cas pouvant amener à une réduction d'au moins 75 % du montant de l'amende), ni dans celui du point C de cette communication, concernant une entreprise qui a dénoncé une entente secrète après que la Commission a procédé à une vérification sans que cette dernière ait pu donner une base suffisante pour justifier l'engagement de la procédure en vue de l'adoption d'une décision (cas pouvant amener à une réduction de 50 à 75 % du montant de l'amende).
236. En effet, le cas de la requérante relève du point D de la communication sur la coopération, aux termes duquel "[l]orsqu'une entreprise coopère sans que les conditions exposées aux [points] B et C soient toutes réunies, elle bénéficie d'une réduction de 10 à 50 % de l'amende qui lui aurait été infligée en l'absence de coopération". Cette communication précise:
"Tel peut notamment être le cas si:
- avant l'envoi d'une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d'autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l'existence de l'infraction commise,
- après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu'elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations."
237. Dans ce cadre, il convient d'observer, d'abord, qu'il ne saurait être reproché à la Commission d'avoir refusé d'accorder à la requérante la pleine réduction de 50 % admissible en vertu du point D de la communication sur la coopération en s'appuyant, notamment, sur le fait qu'il a fallu attendre, pour que la requérante coopère, l'envoi des demandes de renseignements détaillées (considérant 174, troisième et quatrième alinéas, de la décision).
238. En effet, selon une jurisprudence constante, une réduction du montant de l'amende au titre d'une coopération au cours de la procédure administrative n'est justifiée que si le comportement de l'entreprise incriminée a permis à la Commission de constater une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d'y mettre fin (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, C-297-98 P, Rec. p. I-10101, point 36; arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, ICI/Commission, T-13/89, Rec. p. II-1021, point 393; du 14 mai 1998, Gruber + Weber/Commission, T-310-94, Rec. p. II-1043, point 271, et BPB de Eendracht/Commission, T-311-94, Rec. p. II-1129, point 325). Or, étant donné que, même en dehors des situations relevant du point C de la communication, la coopération d'une entreprise avant que la Commission n'ait notifié une demande de renseignements est de nature à faciliter l'enquête de la Commission, il a été tout à fait loisible à la Commission de ne pas accorder la réduction maximale envisagée par le point D de la communication à la requérante, qui n'a déclaré sa volonté de coopérer qu'après la réception d'une première demande de renseignements datant du 13 mars 1996, alors que la vérification chez ABB IC Moller avait déjà eu lieu le 29 juin 1995.
239. Quant à la comparaison du cas d'espèce avec la pratique antérieure de la Commission, il convient d'observer que le seul fait que la Commission ait accordé, dans sa pratique décisionnelle antérieure, un certain taux de réduction pour un comportement déterminé n'implique pas qu'elle est tenue d'accorder la même réduction proportionnelle lors de l'appréciation d'un comportement similaire dans le cadre d'une procédure administrative ultérieure (arrêt du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission, T-347-94, Rec. p. II-1751, point 368).
240. Toutefois, il y a lieu d'examiner si la Commission, dans la mesure où elle a accordé à la requérante la même réduction de 30 % que celles accordées à Logstor et à Tarco, a respecté le principe d'égalité de traitement qui s'oppose à ce que des situations comparables soient traitées de manière différente et à ce que des situations différentes soient traitées de manière semblable, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêts de la Cour du 13 décembre 1984, Sermide, 106-83, Rec. p. 4209, point 28, et du 28 juin 1990, Hoche, C-174-89, Rec. p. I-2681, point 25; arrêt BPB de Eendracht/Commission, précité, point 309).
241. À cet égard, on ne saurait reprocher à la Commission de ne pas avoir différencié le degré de coopération de la requérante de celui correspondant à Logstor et à Tarco en ce qui concerne la communication d'éléments de preuve à la Commission. En effet, même s'il est vrai que les renseignements fournis par ABB ont contribué de manière notable à établir la matérialité des faits pertinents, en particulier en ce qui concerne les origines de l'entente au Danemark à la fin de 1990, il y a lieu d'observer que, à ce propos, Tarco a été la première à fournir des preuves (réponse de Tarco du 26 avril 1996 à la demande de renseignements du 13 mars 1996). Du reste, il ressort du dossier que les informations données par la requérante dans ses réponses à la demande de renseignements ont été considérables, mais, du point de vue de leur contribution à la constatation de l'infraction, pas plus importantes que celles données par d'autres entreprises, vu les preuves dont disposait la Commission après les vérifications. Ainsi, en ce qui concerne la poursuite de l'entente après les vérifications, des éléments de preuve ont été fournis par Logstor ( réponse de Logstor du 25 avril 1996 à la demande de renseignements du 13 mars 1996) tandis que la requérante, après avoir reconnu une telle poursuite de l'infraction dans sa réponse du 4 juin 1996, n'a fourni des informations plus détaillées que dans sa réponse du 13 août 1996. En ce qui concerne les mesures prises à l'encontre de Powerpipe, il y a lieu d'observer que la Commission n'a pas pu se baser sur des renseignements donnés par ABB, mais a dû se baser sur l'information donnée par Powerpipe et sur d'autres documents attestant l'approbation et la mise en œuvre d'un tel arrangement. Il s'ensuit que la Commission a été en droit de ne pas différencier la réduction relative à la coopération accordée à la requérante, à Logstor et à Tarco, pour autant qu'il s'agit de leur communication d'éléments de preuve à la Commission.
242. Toutefois, il y a lieu de constater que la Commission aurait dû différencier la réduction relative à la coopération à accorder à la requérante de celles accordées à Logstor et à Tarco en raison de la circonstance selon laquelle la requérante, après la réception de la communication des griefs, n'a plus contesté les constatations de faits ni leur interprétation par la Commission. Eu égard à la constatation selon laquelle, d'une part, la coopération de la requérante quant à sa communication d'éléments de preuve n'a pas été significativement différente de celle fournie par Logstor ou par Tarco et, d'autre part, la Commission n'a plus mentionné, lors de l'appréciation de la coopération de la requérante au considérant 174 de la décision, le fait que celle-ci n'a pas contesté la matérialité des faits, il y a lieu de constater que cette dernière circonstance n'est pas entrée en ligne de compte dans le calcul de la réduction à accorder à la requérante pour sa coopération.
243. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Commission a expressément reconnu, au considérant 26 de la décision, que, à partir de ses observations sur la communication des griefs, la requérante s'est distinguée des autres entreprises dans la mesure où la plupart des entreprises ont minimisé la durée de l'infraction et le rôle qu'elles avaient joué et nié avoir participé à de quelconques manœuvres pour nuire à Powerpipe, à l'exception de la requérante, qui n'a pas contesté les principaux faits décrits par la Commission ni les conclusions de cette dernière. La Commission a également indiqué que Logstor et Tarco, dans leurs observations sur la communication des griefs, ont prétendu que, avant 1994, il n'y avait pas d'entente en dehors du marché danois et que, de plus, il n'y avait pas eu une entente continue et ont nié avoir participé à des actions visant à éliminer Powerpipe ou les avoir mises en œuvre (considérant 26, deuxième alinéa, et considérant 27, cinquième alinéa, de la décision).
244. Étant donné que la Commission n'a pas respecté le principe d'égalité de traitement dans la mesure où elle aurait dû prendre en considération, lors de son appréciation de la coopération de la requérante, le fait que celle-ci n'a pas contesté les faits principaux, il convient de constater que la Commission a erronément fixé à 30 % la réduction à accorder à la requérante pour sa coopération au cours de la procédure administrative.
245. Le moyen doit donc être accueilli dans la mesure où il reproche à la Commission de ne pas avoir accordé une réduction supérieure à 30 % de son amende.
Sur le cinquième moyen, tiré d'une violation de l'obligation de motivation dans la détermination du montant de l'amende
Arguments des parties
246. La requérante expose que la Commission a manqué à son obligation de motivation dans la mesure où elle n'a pas exposé les raisons pour lesquelles elle a modifié la méthode utilisée pour le calcul du montant des amendes. La décision ne révélerait même pas que la Commission a appliqué effectivement une nouvelle méthode. Cela n'aurait pu être constaté qu'en comparant la formulation de la partie pertinente de la décision avec les lignes directrices pour le calcul du montant des amendes ou à travers le communiqué de presse dans lequel la Commission expose la décision.
247. Selon la requérante, la Commission est tenue de motiver une modification de sa pratique en ce qui concerne le calcul du montant des amendes lorsque la modification de sa pratique implique une hausse suffisamment importante du niveau général des amendes. En outre, elle aurait dû donner les raisons pour lesquelles elle a décidé d'appliquer sa nouvelle méthode rétroactivement. Elle serait d'autant plus tenue de développer son raisonnement dans l'affaire en cause, dans laquelle les entreprises concernées s'étaient fondées, avant la modification de la méthode de calcul, sur la communication sur la coopération. La décision n'aurait consacré aucun mot à la nécessité d'appliquer la nouvelle méthode de calcul du montant des amendes dans la présente affaire, question qui n'était pas non plus abordée dans les lignes directrices.
248. La défenderesse ne conteste pas que la décision a suivi la méthode publiée par la Commission dans ses lignes directrices. Toutefois, à l'instar de la requérante, elle ne peut tirer une quelconque conséquence juridique du fait que la décision ne fait pas expressément référence aux lignes directrices. Les lignes directrices constituent un simple texte d'information et certainement pas la base juridique de décisions infligeant des amendes, de telle sorte qu'elles ne devraient pas y être formellement mentionnées.
249. La défenderesse expose que la requérante, sous couvert de dénoncer un défaut de motivation, contesterait en fait la légalité au fond de la méthode suivie par la Commission pour calculer le montant des amendes, ce qui est un moyen tout à fait différent. De même que la Commission n'aurait pas à mentionner dans la communication des griefs la possibilité d'un changement éventuel de sa politique en ce qui concerne la méthode de calcul du montant des amendes, elle ne serait pas non plus tenue de motiver les changements de méthode dans la décision elle-même.
250. Par ailleurs, la requérante n'expliquerait pas pourquoi la motivation de la décision ne permettrait pas aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et au juge communautaire compétent d'exercer son contrôle. La Commission aurait expliqué dans la décision de manière complète et détaillée la méthode de calcul utilisée et ainsi rempli son obligation de motivation. Avec ou sans référence expresse aux lignes directrices, la décision aurait ainsi permis à la requérante de comprendre le mode de calcul du montant de l'amende. On ne pourrait soutenir qu'il existerait une obligation particulière de motiver l'application de sa nouvelle méthode à l'affaire en cause. Le contraire serait en effet plus compréhensible, à savoir d'avancer que la Commission aurait été obligée de donner une motivation si elle n'avait pas appliqué la politique qu'elle avait publiquement annoncée.
Appréciation du Tribunal
251. Il est de jurisprudence constante que la motivation exigée par l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE) doit faire apparaître, d'une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l'autorité communautaire, auteur de l'acte incriminé, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle. L'exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires ou d'autres personnes concernées directement et individuellement par l'acte peuvent avoir à recevoir des explications (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink's France, C-367-95 P, Rec. p. I- 1719, point 63).
252. Pour ce qui est d'une décision infligeant des amendes à plusieurs entreprises pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la portée de l'obligation de motivation doit être notamment déterminée à la lumière du fait que la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO ea/Commission, précitée, point 54).
253. En l'espèce, la Commission, dans sa décision, expose d'abord ses constatations générales concernant la gravité de l'infraction en question ainsi que les éléments particuliers de l'entente sur lesquels elle s'est basée pour conclure que, dans le cas présent, il s'agit d'une infraction très grave pour laquelle l'amende normalement imposable est d'au moins 20 millions d'écus (considérants 164 et 165 de la décision). Ensuite, elle explique que ce montant doit être modulé en tenant compte de la capacité économique effective des auteurs d'infraction à créer un dommage important à la concurrence et de la nécessité d'assurer un caractère suffisamment dissuasif à l'amende (considérant 166 de la décision). Puis, la Commission indique qu'elle a tenu compte, dans la détermination du montant de l'amende, des éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes ainsi que de la position de chaque entreprise au regard de la communication sur la coopération (considérant 167 de la décision).
254. En ce qui concerne l'amende à infliger à la requérante, la Commission explique que, afin de tenir compte de la position de la requérante en tant qu'un des principaux groupes européens, le point de départ de l'amende doit être fixé à 50 millions d'écus (considérants 168 et 169 de la décision). Puis, la Commission expose les éléments relatifs à la pondération du montant de l'amende à infliger à la requérante en fonction de la durée de l'infraction (considérant 170 de la décision). Ensuite, la Commission explique que, à l'égard de la requérante, elle a tenu compte, en tant que circonstances aggravantes de son rôle de meneur et d'instigateur de l'entente, de l'orchestration par la requérante de mesures de rétorsion contre Powerpipe ainsi que de sa poursuite de l'infraction après les vérifications et après avoir été expressément avertie des conséquences d'un tel comportement (considérant 171 de la décision). Puis, la Commission indique qu'elle ne peut retenir en tant que circonstance atténuante que le paiement d'un dédommagement à Powerpipe et à son ancien propriétaire (considérant 172 de ladécision). Enfin, la Commission expose les raisons pour lesquelles la requérante doit bénéficier d'une minoration de 30 % de son amende en vertu de la communication sur la coopération (considérants 173 et 174 de la décision).
255. Il y a lieu de considérer que, interprétés à la lumière des éléments factuels exposés dans la décision à l'égard de chaque destinataire de celle-ci, les considérants 164 à 167 et 168 à 174 contiennent une indication suffisante et pertinente des éléments d'appréciation pris en considération pour déterminer la gravité et la durée de l'infraction commise par la requérante (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, KNP BT/Commission, C-248-98 P, Rec. p. I-9641, point 42).
256. À supposer même que, en ce qui concerne le niveau de l'amende, la décision matérialise une augmentation sensible de ce niveau par rapport aux décisions précédentes, la Commission a développé le raisonnement l'amenant à fixer à un tel niveau le montant de l'amende de la requérante d'une manière tout à fait explicite (voir arrêt de la Cour du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique ea/Commission, 73-74, Rec. p. 1491, point 31).
257. Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché à la Commission de n'avoir pas explicité le cadre juridique s'appliquant au cas d'espèce, en particulier l'application des nouvelles lignes directrices. En effet, il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 190 du traité doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt Commission/Sytraval et Brink's France, précité, point 63).
258. À cet égard, il y a lieu d'observer que la Commission, en disposant, dans l'introduction de ses lignes directrices, que "la nouvelle méthodologie applicable pour le montant de l'amende obéira[it] dorénavant au schéma" établi dans lesdites lignes directrices, s'est engagée à appliquer ces lignes lors de la détermination du montant des amendes pour violation des règles de la concurrence. Or, eu égard à l'engagement contracté par la Commission, lors de la publication de ses lignes directrices de s'y tenir lors du calcul du montant d'une amende, elle n'était pas tenue d'expliciter si, et pour quels motifs, elle en faisait application dans le cas de la requérante.
259. Par conséquent, le moyen tiré d'une violation de l'obligation de motivation doit être rejeté.
Conclusions
260. Ainsi qu'il résulte des considérations qui précèdent, notamment des points 240 à 245 ci-dessus, la Commission a erronément fixé le montant de l'amende à infliger à la requérante à 70 000 000 écus.
261. Pour cette raison, le Tribunal, statuant dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction au sens des articles 172 du traité CE (devenu article 229 CE) et 17 du règlement n° 17, estime justifié de ramener le montant de l'amende imposé par l'article 3, sous a), de la décision, libellé en euros par application de l'article 2, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1103-97 du Conseil, du 17 juin 1997, fixant certaines dispositions relatives à l'introduction de l'euro (JO L. 162, p. 1), à 65 000 000 euros.
Sur les dépens
262. Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, ce dernier peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le recours n'ayant été que très partiellement accueilli, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la requérante supportera ses propres dépens ainsi que 90 % des dépens exposés par la Commission et que cette dernière supportera 10 % de ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre)
déclare et arrête:
1) Le montant de l'amende infligée à la requérante par l'article 3, sous a), de la décision 1999-60-CE de la Commission, du 21 octobre 1998, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/35.691/E-4 - Conduites précalorifugées), est ramené à 65 000 000 euros.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) La requérante supportera ses propres dépens et 90 % des dépens exposés par la Commission.
4) La Commission supportera 10 % de ses propres dépens.