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Décisions

TPICE, 3e ch., 28 février 2002, n° T-86/95

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Compagnie générale maritime, Hapag-Lloyd Aktiengesellschaft, Kawasaki Kisen Kaisha Ltd, Lloyd Triestino di Navigazione SpA, A P Møller-Maersk Line, Malaysian International Shipping Corporation Berhad, Mitsui OSK Lines Ltd, Nedlloyd Lijnen BV, établie à Rotterdam, Neptune Orient Lines Ltd, Nippon Yusen Kabushiki Kaisha, Orient Overseas Container Line, P & O Containers Ltd, Wilh. Wilhemsen Ltd A/S, The European Community Shipowners' Associations ASBL, The Japanese Shipowners' Association

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, The European Council of Transport Users ASBL

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenaerts

Juges :

MM. Azizi, Jaeger

Avocats :

MM. Rutley, Pheasant, Mariott, Waelbroeck, Randolph, Murphy, Clough.

TPICE n° T-86/95

28 février 2002

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

Cadre juridique

1 Le règlement (CEE) n° 4056-86 du Conseil, du 22 décembre 1986, déterminant les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes (JO L 378, p. 4), prévoit un régime d'exemption par catégorie pour les conférences maritimes. Le huitième considérant de ce règlement est ainsi libellé:

"considérant qu'il est opportun de prévoir une exemption de groupe en faveur des conférences maritimes; que ces conférences exercent un rôle stabilisateur de nature à garantir des services fiables aux chargeurs; qu'elles contribuent généralement à assurer une offre de services de transport maritime réguliers, suffisants et efficaces et cela en prenant en considération les intérêts des usagers dans une mesure équitable; que ces résultats ne peuvent être obtenus sans la coopération que les compagnies maritimes développent au sein desdites conférences en matière de tarifs et, le cas échéant, d'offre de capacité ou de répartition des tonnages à transporter, voire des recettes; que, le plus souvent, les conférences restent soumises à une concurrence effective de la part tant des services réguliers hors conférence que, dans certains cas, de services de tramp et d'autres modes de transport; que la mobilité des flottes, qui caractérise la structure de l'offre dans le secteur des services de transport maritime, exerce une pression concurrentielle permanente sur les conférences, lesquelles n'ont normalement pas la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des services de transport maritime en cause".

2 En vertu de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 4056-86, ce dernier ne vise que les transports maritimes internationaux au départ ou à destination d'un ou de plusieurs ports de la Communauté, autres que les services de tramp, c'est-à-dire le transport de marchandises en vrac au moyen de navires affrétés à la demande. L'article 1er, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 4056-86 définit la notion de conférence maritime comme suit:

"[U]n groupe d'au moins deux transporteurs exploitants de navires qui assure des services internationaux réguliers pour le transport de marchandises sur une ligne ou des lignes particulières dans des limites géographiques déterminées et qui a conclu un accord ou un arrangement, quelle qu'en soit la nature, dans le cadre duquel ces transporteurs opèrent en appliquant des taux de fret uniformes ou communs et toutes autres conditions de transport concertées pour la fourniture des services réguliers."

3 L'article 3 du règlement n° 4056-86 exempte de l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, du Traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE), les accords ayant comme objectif la fixation des prix et des conditions relatives à la fourniture de services réguliers de transport maritime. L'exemption s'étend également aux accords ayant un ou plusieurs des objectifs suivants:

"a) coordination des horaires des navires ou de leurs dates de voyage ou d'escale;

b) détermination de la fréquence des voyages ou des escales;

c) coordination ou répartition des voyages ou des escales entre membres de la conférence;

d) régulation de la capacité de transport offerte par chacun des membres;

e) répartition entre ces membres du tonnage transporté ou de la recette".

4 Selon l'article 23, paragraphe 1, du règlement n° 4056-86, la Commission, avant de prendre une décision, donne aux entreprises et associations d'entreprises intéressées, l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus contre elles. Le règlement n° 4260-88 de la Commission, du 16 décembre 1988, relatif aux communications, aux plaintes, aux demandes et aux auditions visées au règlement n° 4056-86 (JO L 376, p. 1), en vigueur au moment des faits, précise les conditions procédurales à respecter lors de l'audition.

5 L'article 1er du règlement (CEE) n° 1017-68 du Conseil, du 19 juillet 1968, portant application de règles de concurrence aux secteurs des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (JO L 175, p. 1), prévoit:

"Dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable, les dispositions du présent règlement s'appliquent aux accords, décisions et pratiques concertées qui ont pour objet ou pour effet la fixation des prix et conditions de transport, la limitation ou le contrôle de l'offre de transport, la répartition des marchés de transport, l'application d'améliorations techniques ou la coopération technique, le financement ou l'acquisition en commun de matériel ou de fournitures de transport directement liés à la prestation de transport pour autant que cela soit nécessaire pour l'exploitation en commun d'un groupement d'entreprises de transport par route ou par voie navigable tel que défini à l'article 4, ainsi qu'aux positions dominantes sur le marché des transports. Ces dispositions s'appliquent également aux opérations des auxiliaires de transport qui ont le même objet ou les mêmes effets que ceux prévus ci-dessus."

6 Selon l'article 2, sous a), du règlement n° 1017-68:

"Sous réserve des dispositions prévues aux articles 3 à 6, sont incompatibles avec le Marché commun et interdits, sans qu'une décision préalable soit nécessaire à cet effet, tous accords entre entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun et notamment ceux qui consistent à:

a) fixer de façon directe ou indirecte, les prix et conditions de transport ou d'autres conditions de transaction,

[...]"

7 L'article 5 du règlement n° 1017-68 est libellé comme suit:

"L'interdiction de l'article 2 peut être déclarée inapplicable avec effet rétroactif:

- à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises,

- à toute décision ou catégorie de décisions d'associations d'entreprises,

- à toute pratique ou catégorie de pratiques concertées

qui contribuent

- à améliorer la qualité des services de transport, ou

- à promouvoir, sur les marchés qui sont soumis à de fortes fluctuations dans le temps de l'offre et de la demande, une meilleure continuité et stabilité dans la satisfaction des besoins de transport, ou

- à augmenter la productivité des entreprises, ou

- à promouvoir le progrès technique ou économique

en prenant en considération, dans une mesure équitable, les intérêts des utilisateurs de transport et sans

a) imposer aux entreprises de transport intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,

b) donner à ces entreprises la possibilité, pour une partie substantielle du marché de transport en cause, d'éliminer la concurrence."

8 Selon l'article 11, paragraphe 4, du règlement n° 1017-68, "[si] la Commission arrive à la conclusion, au terme d'une procédure engagée sur plainte ou d'office, qu'un accord, une décision ou une pratique concertée remplit les conditions de l'article 2 et de l'article 5, elle rend une décision d'application de l'article 5. La décision indique la date à partir de laquelle elle prend effet. Cette date peut être antérieure à celle de la décision".

9 Conformément à l'article 22, paragraphe 2, du règlement n° 1017-68, la Commission peut infliger aux entreprises et associations d'entreprises, des amendes lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction, notamment, à l'article 2 dudit règlement.

10 Selon l'article 26, paragraphe 1, du règlement n° 1017-68, la Commission, avant de prendre une décision, donne aux entreprises et associations d'entreprises intéressées, l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus contre elles. Le règlement (CEE) n° 1630-69 de la Commission, du 8 août 1969, relatif aux auditions prévues à l'article 26, paragraphes 1 et 2, du règlement (CEE) n° 1017-68 du Conseil du 19 juillet 1968 (JO L 209, p. 11), précise les conditions procédurales à respecter lors de cette audition.

Faits à l'origine du litige

11 La Far Eastern Freight Conference (ci-après la "FEFC") désigne un ensemble de conférences maritimes associées regroupant des compagnies maritimes assurant des services réguliers de transport maritime de conteneurs entre l'Europe du Nord et l'Asie du Sud-Est et de l'Est, ainsi que des services de transport "porte à porte" ou multimodal.

12 Les compagnies membres de la FEFC ont convenu, outre des conditions générales d'adhésion, d'un tarif commun. En vue de tenir compte du transport multimodal, elles ont étendu vers 1971, date du début de l'utilisation des conteneurs, les compétences de la FEFC en matière de fixation des prix dans le secteur du transport maritime et de la manutention dans le port de chargement ou de déchargement à celui des services de transport terrestre.

13 Le tarif de la FEFC applicable à l'époque des faits en cause figure dans un document intitulé NT90 et est entré en vigueur le 1er janvier 1990. Il fixe les conditions générales des prestations de transport, y compris les modalités de paiement. Il est divisé en cinq parties, dont deux sont consacrées aux volets terrestres des opérations de transport multimodal (segments terrestres dans le pays d'origine et dans celui de destination).

14 Le 28 avril 1989, la Commission a été saisie d'une plainte du Bundesverband der Deutschen Industrie (BDI), du Deutscher Industrie- und Handelstag (DIHT) et du Bundesverband des Deutschen Gross- und Aussenhandels (BGA), les organismes qui parrainent la Deutsche Seeverladerkomitee (DSVK, Conseil allemand des chargeurs maritimes), concernant certaines pratiques des membres de la FEFC en matière de fixation des prix dans le domaine du transport multimodal.

15 Les plaignants ont énuméré les cinq éléments constitutifs d'un service de transport multimodal:

a) transport jusqu'au port d'embarquement;

b) manutention au port (transfert du mode de transport terrestre au navire);

c) transport maritime (transport du port d'embarquement au port de destination);

d) manutention au port de destination (transfert du navire au mode de transport terrestre);

e) transport terrestre du port de destination au lieu de destination finale.

16 Ils ont fait valoir que l'exemption par catégorie prévue à l'article 3 du règlement n° 4056-86 ne concerne que le troisième des cinq éléments susmentionnés (le transport maritime proprement dit) alors que les membres de la FEFC ont convenu des prix non seulement pour le transport maritime mais aussi pour les services de transport terrestre et les opérations de manutention.

17 Ils ont indiqué que, puisque l'article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 4056-86 vise "les transports maritimes internationaux au départ ou à destination d'un ou de plusieurs ports de la Communauté autres que les services de tramp", le champ d'application de l'exemption par catégorie prévue par l'article 3 dudit règlement ne pouvait être plus étendu que celui du règlement lui-même. Selon eux, la législation applicable est en l'espèce le règlement n° 1017-68 dont l'article 2 interdit les pratiques restrictives - y compris la fixation des prix - et ne prévoit pas d'exemption pour les activités de fixation des prix, telles que pratiquées par les membres de la FEFC dans le domaine des transports terrestres.

18 Ils ont demandé à la Commission de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à cette pratique de fixation des prix de la FEFC concernant les services de transport terrestre.

19 Le 18 décembre 1992, la Commission a décidé d'engager une procédure dans la présente affaire.

20 Par lettre du 21 décembre 1992, la Commission a notifié aux requérantes une communication des griefs.

21 La Commission a ensuite donné aux entreprises intéressées l'occasion de faire connaître leurs points de vue au sujet des griefs retenus par elle et de présenter toute autre observation éventuelle conformément à l'article 26, paragraphe 1, du règlement n° 1017-68 et aux dispositions du règlement n° 1630-69.

22 Le 21 décembre 1994, la Commission a adopté la décision 94-985-CE, relative à une procédure d'application de l'article 85 du Traité CE (IV-33.218 - Far Eastern Freight Conference) (JO L 378, p. 17, ci-après la "décision attaquée").

23 Le dispositif de la décision attaquée est le suivant:

"Article premier

Les membres de la Far Eastern Freight Conference [...] ont enfreint les dispositions de l'article 85 du traité et de l'article 2 du règlement (CEE) n° 1017-68 en fixant collectivement les prix des services de transport terrestre fournis sur le territoire de la Communauté européenne aux chargeurs en combinaison avec d'autres services dans le cadre du transport multimodal de chargements conteneurisés entre l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient.

Article 2

Les conditions de l'article 5 du règlement (CEE) n° 1017-68 ne sont pas remplies.

Article 3

Les membres de la Far Eastern Freight Conference [...] sont tenus de mettre fin à l'infraction visée à l'article 1er.

Article 4

Les entreprises destinataires de la présente décision sont tenues de s'abstenir à l'avenir de tout accord ou de toute pratique concertée ayant un objet ou un effet identique ou similaire à celui de l'accord visé à l'article 1er.

Article 5

Les amendes figurant ci-après sont infligées aux entreprises destinataires de la décision, au titre de l'infraction aux dispositions de l'article 85 du traité et de l'article 2 du règlement (CEE) n° 1017-68, constatée à l'article 1er.

Compagnie Générale Maritime 10 000 écus

Hapag-Lloyd Aktiengesellschaft 10 000 écus

Croatia Line 10 000 écus

Kawasaki Kisen Kaisha Limited 10 000 écus

Lloyd Triestino di Navigazione SpA 10 000 écus

A. P. Møller-Maersk Line 10 000 écus

Malaysian International Shipping Corporation Berhad 10 000 écus

Mitsui OSK Lines Ltd 10 000 écus

Nedlloyd Lijnen BV 10 000 écus

Neptune Orient Lines Ltd 10 000 écus

Nippon Yusen Kabushiki Kaisha 10 000 écus

Orient Overseas Container Line 10 000 écus

P & O Containers Ltd 10 000 écus

Article 6

Les amendes infligées à l'article 5 sont payables en écus, dans un délai de trois mois à compter de la date de la présente décision, au compte n° 310-0933000-43 de la Commission des Communautés européennes, Banque Bruxelles Lambert, Agence européenne, rond-point Schumann 5, B-1040 Bruxelles.

Le montant de ces amendes porte intérêt de plein droit à compter de l'expiration du délai indiqué au premier alinéa, au taux appliqué par l'Institut monétaire européen à ces opérations en écus le premier jour ouvrable du mois au cours duquel la présente décision a été adoptée, ce taux étant majoré de 3,5 points de pourcentage, soit 9,25 %.

Article 7

Les entreprises dont la liste figure à l'annexe sont destinataires de la présente décision.

La présente décision forme titre exécutoire en vertu de l'article 192 du traité."

Procédure

24 Le 16 mars 1995, treize des quatorze compagnies maritimes destinataires de la décision attaquée ont déposé une requête en annulation de cette décision en application de l'article 173 du Traité CE (devenu, après modification, article 230 CE).

25 Par acte séparé du 10 avril 1995, elles ont également demandé, en vertu des articles 185 et 186 du Traité CE (devenus articles 242 CE et 243 CE), qu'il soit sursis à l'exécution de la décision attaquée. Au vu de l'ordonnance du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a. [C-149-95 P(R), Rec. p. I-2165], les parties sont convenues que la Commission ne poursuivrait pas l'exécution de l'interdiction de la fixation collective des taux de service de transport terrestre prévue par les requérantes, dans l'attente de l'arrêt du Tribunal soit dans l'affaire T-395-94, Atlantic Container Line e.a., soit dans la présente affaire. Dans ce contexte, le président du Tribunal, sur demande des parties, a décidé, le 31 octobre 1995, de suspendre la procédure en référé jusqu'au prononcé de l'arrêt rendu en premier, soit dans l'affaire T-395-94 soit dans la présente affaire.

26 Par ordonnance du 12 décembre 1995, le président de la cinquième chambre élargie du Tribunal a admis à intervenir The European Community Shipowners' Association ASBL (ci-après l'"ECSA") et The Japanese Shipowners' Association (ci-après la "JSA") au soutien des conclusions des requérantes, ainsi que The European Council of Transport Users ASBL (ci-après l'"ECTU"), comprenant The European Shippers Council, au soutien des conclusions de la Commission.

27 Le 30 octobre 1995, la High Court of Justice (England & Wales) a, sur la base de l'article 177 du Traité CE (devenu article 234 CE), posé à la Cour plusieurs questions préjudicielles relatives, notamment, à l'application de l'article 85 du traité et à l'interprétation des règlements n° 4056-86 et n° 1017-68 aux accords conclus entre compagnies maritimes ayant pour objet la fixation de taux de fret dans le cadre d'opérations de transport multimodal composées de segments terrestres et maritimes (affaire C-339-95, Compagnia di Navigazione Marittima e.a.) (JO C 351, p. 4).

28 Par ordonnance du 26 juin 1996 (non publiée au Recueil), le Tribunal a prononcé la suspension de la procédure dans l'affaire T-86-95 jusqu'au prononcé de l'arrêt dans l'affaire C-339-95, conformément à l'article 47, troisième alinéa, du Statut CE de la Cour et aux articles 77, sous a), et 78 du règlement de procédure du Tribunal. À la suite de la radiation de l'affaire C-339-95 par ordonnance du président de la Cour du 11 mars 1998 (non publiée au Recueil), la procédure dans l'affaire T-86-95 a repris.

29 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale et a, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, invité les requérantes à répondre à certaines questions écrites.

30 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience du 7 juin 2000.

Conclusions des parties

31 Les requérantes, soutenues par la JSA et l'ECSA, parties intervenantes, concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler la décision attaquée;

- condamner la Commission aux dépens.

32 La Commission, soutenue par l'ECTU, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours;

- condamner les requérantes aux dépens.

En droit

33 Les requérantes invoquent cinq moyens à l'appui de leur recours. Le premier moyen est pris de la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Le deuxième moyen est tiré d'une violation de l'article 3 du règlement n° 4056-86 qui prévoit l'exemption par catégorie. Le troisième est pris de la violation de l'article 85, paragraphe 3, du traité et de l'article 5 du règlement n° 1017-68 concernant l'octroi d'une exemption individuelle. Le quatrième moyen est tiré de l'existence d'irrégularités procédurales lors du déroulement de la procédure administrative. Le cinquième moyen vise à l'annulation ou la réduction des amendes.

1. Observations préliminaires

34 Par un renvoi exprès aux affaires T-395-94 et T-395-94 R, les requérantes invoquent, dans le cadre de la présente procédure, les arguments développés dans ces affaires. Ainsi que le fait justement remarquer la Commission, une telle référence globale aux arguments développés dans une autre affaire ne peut être prise en considération. En effet, conformément à l'article 19, premier alinéa, du Statut CE de la Cour, applicable au Tribunal en vertu de l'article 46, premier alinéa, du même statut, et de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, un requérant doit présenter, au moins sous une forme sommaire, les moyens qu'il invoque. Ces dispositions ont pour objet de permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal d'exercer son contrôle juridictionnel (voir, notamment, arrêt de la Cour du 13 décembre 1990, Commission/République hellénique, C-347-88, Rec. p. I-4747, point 28; ordonnance du Tribunal du 28 avril 1993, de Hoe/Commission, T-85-92, Rec. p. II-523, points 20 à 22).

35 Or, en l'espèce, la référence dans la requête (point 1.37) "pour autant que cela soit possible et nécessaire [...] aux arguments et aux éléments de preuve avancés [...] dans les affaires T-395-94 et T-395-94 R, dans la mesure où ceux-ci concernent la question des tarifs multimodaux des conférences maritimes" constitue un renvoi si général aux développements dans l'affaire T-395-94 que le Tribunal n'est pas à même d'exercer son contrôle juridictionnel. Cette conclusion s'impose également s'agissant de la référence faite au point 11.25 de la requête à l'ensemble des arguments développés dans le cadre de l'affaire T-395-94 R, lesquels sont résumés de manière sommaire au point 11.26 de la requête. Il convient dès lors de limiter le contrôle juridictionnel exercé par le Tribunal aux moyens et arguments exposés explicitement dans la requête.

2. Sur le premier moyen, pris de la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité

A - Arguments des parties

Marché pertinent

36. Les requérantes rappellent que, selon une jurisprudence constante, un accord n'entre dans le champ d'application de l'article 85 du traité qu'à condition qu'il affecte de façon sensible le commerce entre États membres et le jeu de la concurrence. Elles ajoutent que l'appréciation du caractère "sensible" des effets produits par un accord suppose la définition correcte du marché concerné par cet accord.

37. A titre principal, les requérantes, après avoir constaté que la décision attaquée ne contient aucune définition expresse du marché pertinent, contestent celle qui est implicitement retenue par la Commission.

38 Elles relèvent que la décision attaquée se rapporte aux transports terrestres offerts aux chargeurs, à l'intérieur de la Communauté européenne, par les compagnies de navigation membres de la FEFC, dans le cadre du transport rnultimodal de marchandises en conteneurs entre l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient (considérant 10 de la décision attaquée), et que la Commission est parvenue à la conclusion que le tarif terrestre de la FEFC constitue un accord au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité (considérant 42 de la décision attaquée).

39 Elles observent que cette appréciation suppose que le segment terrestre du transport multimodal proposé par les compagnies de la FEFC puisse être considéré comme un service séparé de celui du transport maritime et faisant partie d'un marché distinct.

40 Or, cette définition implicite du marché serait erronée. Un marché serait défini de façon adéquate par les produits ou services que les clients achètent et que les fournisseurs vendent. En l'espèce, la FEFC vendrait et les chargeurs lui achèteraient des services réguliers de transport maritime, dans le cadre d'une offre de services de "port à port" ou multimodaux, entre des points de l'Europe du Nord et des points d'Extrême-Orient. L'acheminement terrestre par le transporteur maritime dans le cadre de services transport multimodal ferait simplement partie desdits services et ne pourrait en être dissocié.

41 Elles exposent que les services offerts par toutes les compagnies maritimes assurant le transport de conteneurs, membres ou non d'une conférence, relèvent soit du service de port à port, soit du service de transport multimodal. Dans le premier cas de figure, le chargeur devrait nécessairement prendre lui-même ses dispositions en vue de l'acheminement de ses marchandises à destination et au départ des ports d'("acheminement terrestre par le chargeur" ou "merchant haulage"). Dans le cas du service de transport multimodal, la compagnie maritime assume la responsabilité de livrer le conteneur dans les installations du chargeur et/ou de livrer le conteneur à sa destination finale afin qu'il y soit déchargé ("acheminement terrestre par le transporteur maritime" ou "carrier haulage").

42 Elles soutiennent que le service de port à port et le service de transport multimodal sont étroitement substituables, tant du point de vue de la demande que du point de vue de l'offre. En ce qui concerne la substituabilité du côté de la demande, les deux services relèveraient du même marché pertinent, à savoir le marché des services de transport maritime international entre l'Europe et l'Extrême-Orient. En ce qui concerne la substituabilité du côté de l'offre, il serait évident que toute compagnie offrant déjà des services de port à port sur une route déterminée peut offrir des services de transport multimodal en assurant les transports terrestres accessoires nécessaires ou en recourant, à cette fin, à des sous-traitants. De même, toute compagnie offrant seulement des services de transport multimodal pourrait, tout aussi facilement, commencer à offrir des services de port à port. En fait, presque toutes les compagnies offriraient à la fois les deux types de service.

43 Elles observent que les compagnies maritimes de la FEFC ne vendent pas des services de transport terrestre en tant que tels. Elles vendraient des services de transport multimodal combinant l'acheminement terrestre (susceptible d'être assuré à titre facultatif par des chargeurs ou des entrepreneurs de transport terrestre) et d'autres services faisant l'objet d'une intégration opérationnelle et commerciale. Même en cas de recours à un acheminement terrestre des marchandises par le chargeur, les transporteurs transocéaniques fourniraient d'importants services terrestres, qui incluraient la fourniture du conteneur lui-même, des services d'acheminement terrestre souvent utilisés en combinaison avec le service offert par les chargeurs, ainsi que des services logistiques. En effet, l'acheminement terrestre ne serait que l'un des composants du système de transport terrestre dans un réseau multimodal. La fourniture du conteneur serait d'une importance primordiale, tout comme le contrôle opérationnel du système, puisque ces éléments détermineraient, notamment, l'ampleur du parc des conteneurs et la mesure dans laquelle interviendra son repositionnement. Loin d'être vendu séparément par les transporteurs de la conférence, le transport terrestre serait inclus dans le service offert, dont il constituerait une partie intégrante.

44 Les requérantes exposent, par ailleurs, que la Commission a reconnu dans dautres procédures similaires que le marché en cause est celui des transports maritimes internationaux et ce dans le cadre de communication des griefs relative aux affaires Trans-Atlantic Agreement, Europa Asia Trade Agreement et Far East Trade Tariff Charges and Surcharges Agreement.

45 Elles critiquent les considérants 25, 71 et 72 de la décision 94-980-CE de la Commission, du 19 octobre 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité (IV/34.446 Trans Atlantic Agreement) (JO L 376, p. 1), dans lesquels la Commission aurait voulu établir que le transport terrestre assuré par les compagnies signataires de cet accord constitue un marché différent de celui du transport maritime. Elles reprochent, notamment, à la Commission d'avoir tenté, sans explication ou justification, de dissocier la demande des chargeurs souhaitant organiser un transport de marchandises entre un point d'Europe du Nord et un point des États-Unis d'Amérique en deux composantes distinctes et indépendantes, le transport terrestre et le transport maritime. Or, cette approche éluderait la question de savoir si le marché en cause porte sur un seul produit ou service ou s'il sagit de deux marchés séparés relatifs à des services distincts.

46 A titre subsidiaire, à supposer que le Tribunal accepte que leurs activités terrestres puissent être considérées comme des services distincts au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité sur un marché des services de transport terrestre, les requérantes soutiennent que la Commission ne définit et n'examine pas de façon adéquate les caractéristiques de ce marché et que, dès lors, elle n'apprécie pas correctement si l'accord a un effet sensible sur la concurrence ou sur le commerce intracommunautaire à l'intérieur de ce marché.

47 À cet effet, elles exposent que le transport terrestre de conteneurs à destination et en provenance de ports communautaires avant ou après leur chargement sur des navires de la FEFC ne constitue qu'une partie très réduite de marchés de transports terrestres beaucoup plus larges. Ce serait l'achat et la vente de tous les services de transports similaires qui constitueraient les marchés en cause et au regard desquels il conviendrait d'apprécier le transport de conteneurs destinés ou provenant de navires de la FFFC.

48 Du côté de la demande, le marché en cause défini adéquatement comporterait la demande portant sur toutes les opérations de transport réalisées à titre onéreux par des entreprises de transport routier indépendantes et incluant un acheminement similaire à celui réalisé par conteneurs ou par combinaison conteneurs/remorques. De même, dans le cadre du transport par chemin de fer et voie navigable, rien ne permettrait d'affirmer que la demande de transport de conteneurs de la FEFC est techniquement ou économiquement distincte de la demande de transport d'autres marchandises de taille et/ou de poids similaire.

49 Du côté de l'offre, une application adéquate du critère de la substituabilité permettrait d'affirmer que le marché doit être défini comme incluant tous les fournisseurs de transport terrestre, qu'il s'agisse de transport routier, par chemin de fer ou voie navigable, capables de transporter des conteneurs acheminés sur des navires de la FEFC, qu'ils accomplissent ou non cette activité à un moment déterminé.

50 Les requérantes estiment que, en vue de définir le marché du transport terrestre, il n'y a aucune raison d'une distinction entre deux conteneurs transportés par route, par chemin de fer ou par voie navigable, par exemple, entre Munich et Hambourg, pour la raison que l'un d'entre eux doit être chargé sur un navire à Hambourg à destination de l'Extrême-Orient, alors que l'autre doit être déchargé à Hambourg et retourner éventuellement le jour suivant à Munich. Il n'y aurait aucune raison non plus d'une distinction entre des conteneurs qui doivent être chargés sur des navires de la FEFC et des conteneurs devant être chargés sur des navires de compagnies n'appartenant pas à une conférence. ou entre des conteneurs chargés sur des navires de la conférence et des conteneurs embarqués sur des navires non membres de cette conférence et opérant sur d'autres trafics maritimes.

51 Elles rappellent que le président du Tribunal a, dans son ordonnance du 10 mars 1995, Atlantic Container Line e.a./Commission (T-395-94 R, Rec. p. 11-595), jugé que l'argument présenté par les requérantes selon lequel la Commission n'a pas pris en compte, pour la détermination du marché pertinent, l'ensemble des transports terrestres de conteneurs, apparaissait, à première vue, pertinent et, en tout état de cause, non dépourvu de fondement.

52 Elles renvoient aussi à la communication des griefs (point 17) de laquelle elles déduisent que la Commission semble avoir admis que le marché concerné inclut l'ensemble du transport terrestre.

53 Elles observent enfin que cette question a été abordée par la FEFC au cours de l'audition (voir la page 123 du procès-verbal d'audition). Il aurait été souligné que, compte tenu du critère de la substituabilité utilisé en économie, le marché concerné du transport terrestre routier comprend, au moins, le marché de la traction de toute remorque pouvant être tirée par un tracteur principal articulé. En réalité, il serait possible de soutenir que le marché est encore plus large, puisque les conteneurs peuvent être, et sont souvent, transportés sur des camions non articulés tels que ceux équipés d'un plateau. Or, même avertie de la question, la Commission l'aurait ignorée, la décision attaquée restant silencieuse à son sujet.

54 Elles contestent l'argument de la Commission tiré de ce qu'il résulte de la décision attaquée que la restriction de concurrence en cause concerne le transport terrestre des conteneurs à destination de l'Extrême-Orient. Elles estiment, en premier lieu, qu'il n'y aurait aucune raison d'isoler les transports terrestres de conteneurs à destination de l'Extrême-Orient et d'exclure les conteneurs transportés vers d'autres destinations, alors que les déplacements terrestres de conteneurs (destinés à l'embarquement sur des navires de compagnies membres de la conférence ou non) ne seraient généralement pas distincts selon les trajets maritimes, mais organisés de manière intégrée. En deuxième lieu, la décision attaquée ne permettrait pas de savoir si la Commission se limite aux conteneurs transportés par des navires appartenant à des compagnies membres de conférence maritimes, ou si elle inclut dans sa définition de la restriction de concurrence en cause les conteneurs devant être chargés sur des navires appartenant à des compagnies non membres de la conférence. En troisième lieu, la justification de la limitation de la définition au transport de conteneurs à destination de l'Extrême-Orient, par opposition au transport en provenance de l'Extrême-Orient n'apparaîtrait pas clairement. En quatrième lieu, la Commission ne tiendrait pas compte du fait que le marché dont relève l'acheminement terrestre est un marché bien plus large, comprenant les transports de tous les types de marchandises par route, chemin de fer ou voie navigable.

55 Elles ajoutent que même sur la route entre l'Europe et l'Extrême-Orient, le mouvement de conteneurs de la FEFC acheminés par les transporteurs maritimes naurait représenté en 1992 que 38 % environ des transports terrestres de conteneurs.

56 Les requérantes critiquent la définition que la Commission a donnée dans son mémoire en défense du "marché pertinent", à savoir "la gamme des options à la disposition" d'un groupe particulier de consommateurs de services de transport terrestre, en l'occurrence "les chargeurs qui souhaitent expédier des marchandises en Extrême-Orient". Il serait parfaitement artificiel de limiter l'analyse à un sous-groupe de consommateurs dont la demande de services de transport terrestre n'est pas essentiellement différente de la demande d'autres chargeurs concernant le transport de conteneurs pour d'autres destinations finales ou même de la demande de n'importe quelle entreprise souhaitant faire transporter des biens similaires d'une partie du sous-continent européen à une autre, par route, chemin de fer ou voie navigable.

57 Les positions adoptées par la Commission manqueraient de cohérence. D'une part, elle rejetterait l'argument des requérantes selon lequel le transport terrestre de conteneurs par les transporteurs maritimes doit être considéré comme une partie du marché des services de transports maritimes internationaux entre l'Europe et l'Extrême-Orient. D'autre part, elle justifierait la distinction entre le transport terrestre assuré pour le compte des chargeurs qui souhaitent envoyer leur marchandise en Extrême-Orient de celui effectué pour le compte des chargeurs qui envoient leur marchandise vers dautres destinations précisément à cause du lien existant entre le transport terrestre et la destination finale. Or, ces deux positions seraient inconciliables.

58 Les requérantes, en réponse à l'argument de la Commission tiré de ce qu'il nest pas nécessaire de définir le marché pertinent de manière abstraite et que l'absence dune telle définition n'est pas, en soi, un motif d'annulation, renvoient aux arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, SIV e.a/Commission (T-68-89, T-77-89 et T-78-89, Rec. p. 11-1403, point 159) et du 21 février 1995, SPO e.a./Commission (T-29-92, Rec. p. 11-289, point 74).

59 Les requérantes réfutent largument de l'ECTU, tiré de la spécialisation des services de transport terrestre fournis pour les conteneurs maritimes. Elles font valoir que le secteur intérieur routier se compose de tous les mouvements assurés par des tracteurs articulés d'une puissance suffisante. Toutefois, même dans l'hypothèse où l'on admettrait l'existence de sous-secteurs au sein de ce marché, le résultat ne s'en trouverait guère affecté. En premier lieu, le sous-secteur relatif au transport de conteneurs comprendrait forcément tous les conteneurs maritimes destinés au transport côtier et de haute mer, de même que les conteneurs terrestres, ce qui représente en tout état de cause un ensemble beaucoup plus vaste que les acheminements des seuls conteneurs de la FEFC. En deuxième lieu, il y aurait des barrières très peu élevées à l'entrée et à la sortie dans ce secteur. En particulier, les tracteurs seraient d'acquisition facile, leur coût unitaire étant relativement bas et la durée de leur existence relativement courte. Les conditions d'entrée et de sortie dans le marché du transport routier intérieur seraient, à de nombreux égards, extrêmement faciles.

60 L'ECSA soutient, à titre principal, que les services de transport multimodal offerts par les compagnies maritimes constituent des produits isolés relevant du marché des services de transport maritime international.

61 L'ECSA relève, à titre subsidiaire, que même si c'était à bon droit que la Commission a envisagé séparément chacun des éléments constitutifs du service de transport, elle n'en a pas moins omis de définir le marché sur lequel l'accord qu'elle condamne restreint prétendument la concurrence de manière significative.

62 En premier lieu, l'ECSA récuse l'argument de la Commission, exposé au point 49 du mémoire en défense, tiré de ce que le concept de marché pertinent, qui serait essentiel dans le cadre de l'application de l'article 86 du Traité CE (devenu article 82 CE), serait dépourvu d'importance dans le cadre de l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

63 En effet, selon l'ECSA, l'application de l'article 85 du traité requiert, au contraire, une définition et une analyse adéquate du marché (arrêts de la Cour du 30 juin 1966, Société Technique Minière, 56-65, Rec. p. 337; du 12 décembre 1967, Brasserie de Haecht, 23-67, Rec. p. 525; du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27-76. Rec. p. 207; du 10 juillet 1980, Lancôme e.a., 99-79, Rec. p. 2511, du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden Industrie/Commission, 322-81. Rec. p. 3461; du 21 février 1984, Hasselhlad/Commission, 86-82, Rec. p. 883 et du 28 février 1991, Delimitis, C-234-89, Rec. p. 1-935).

64 L'ECSA ajoute que la Commission est a fortiori tenue de procéder de façon détaillée à cette analyse lorsque, comme en l'espèce, il s'agit de la première décision concernant un certain domaine de l'économie (arrêt de la Cour du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique/Commission, 73-74, Rec. p. 1491) et que, à la suite de la prise de position de la Commission, l'ensemble des conditions existantes sur le marché sont modifiées (ordonnance du président de la Cour, du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., [C-149-95 P (R), Rec. p. 1-2165, point 45], ordonnance Atlantic Container Line e.a./Commission, précitée, point 55). En de telles circonstances, l'absence d'une définition et d'une analyse adéquates du marché ne pourraient qu'entraîner l'annulation de l'ensemble de la décision attaquée.

65 En deuxième lieu, l'ECSA récuse l'argument de la Commission, tiré de ce que la décision attaquée, dans ses considérants 10 et 42, définit, fût-ce de manière indirecte, le marché en cause et contient une analyse suffisante de ce dernier. Elle rappelle que, selon le premier considérant cité, la décision attaquée vise: "les services de transport terrestre offerts aux chargeurs, à l'intérieur de la Communauté européenne, par les compagnies de navigation membres de la FEFC, dans le cadre du transport multimodal de marchandises conteneurisées entre l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient.

66 L'ECSA considère que cette formulation ne correspond pas manifestement à une définition appropriée du marché en cause. A supposer même que cette formulation vise à donner une définition du marché en cause, elle se trouverait en contradiction avec le reste de la décision attaquée. En effet, la Commission y soutiendrait que les composants maritime et terrestre des services de transport multimodal n'ont aucun rapport entre eux et que, pour les chargeurs, tous les services de transport terrestre susceptibles d'être utilisés pour acheminer leurs cargaisons de conteneurs vers un port desservi par les compagnies maritimes membres de la FEFC sont substituables aux services de transport terrestre offerts par les membres de la FEFC.

67 L'ECSA en conclut que le fait de limiter le marché aux services de transport terrestre offerts par les requérantes aboutit à une définition trop étroite du marché en cause. Elle rappelle que la notion de marché en cause implique qu'une concurrence effective puisse exister entre les produits qui en font partie, ce qui suppose un degré suffisant d'interchangeabilité en vue du même usage entre tous les produits faisant partie d'un même marché (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85-76, Rec. p. 461, point 28). Elle estime que, selon la conception défendue par la Commission, à savoir qu'un chargeur peut acheter un service de transport terrestre auprès de compagnies de navigation, d'expéditeurs ou de tout autre fournisseur de tels services, les services offerts par ces derniers ne peuvent être considérés que comme pleinement interchangeables. Dès lors, s'il fallait suivre la Commission sur ce point, toute forme de service de transport terrestre assurant l'acheminement des conteneurs vers le port souhaité, devrait être considérée comme un élément du marché en cause.

68 L'ECSA récuse l'argument de la Commission par lequel celle-ci cherche à justifier une définition plus restreinte du marché en cause, exposé pour la première fois au point 18 de la duplique. La Commission y soutient que la FEFC a édicté des règles empêchant l'utilisation de conteneurs sur différents trafics et que les membres de cette conférence pratiquent des tarifs en matière de transport terrestre différents selon la destination finale, ces règles visant à assurer que le transport terrestre est traité trafic par trafic.

69 La JSA remarque que la définition du marché retenue par la Commission, au considérant 10 de la décision attaquée, est excessivement restreinte. De plus, la définition retenue par la Commission scinderait le transport multimodal en segments individuels et discontinus méconnaissant le caractère intégré dudit transport.

b) Restriction sensible de la concurrence

70 Les requérantes soutiennent que la communication des griefs est totalement silencieuse sur la question du caractère sensible de la restriction de concurrence prétendument causée par le tarif en matière de transport terrestre fixé par la FEFC. Elles relèvent que la Commission aborde cette question pour la première fois dans la décision attaquée, au considérant 45, en déclarant que la restriction de concurrence entre les membres de la FEFC en ce qui concerne les prix facturés pour le volet terrestre des opérations de transport multimodal est probablement importante en raison du très grand nombre de conteneurs concernés et des coûts en jeu et en renvoyant aux considérants 33 à 37.

71 En premier lieu, les requérantes estiment que les motifs contenus dans les considérants précités sont totalement insuffisants au regard de la nécessaire démonstration du caractère sensible de la restriction de concurrence contestée.

72 Elles observent que la Commission omet d'identifier ce qu'elle considère comme étant le marché pertinent dans le contexte duquel le caractère sensible des effets des accords doit être défini.

73 La Commission ne tenterait même pas d'évaluer la pertinence des mouvements terrestres assurés par des compagnies de la FEFC dans le contexte d'un marché plus large, tel qu'il devrait être défini.

74 La Commission se bornerait à faire état du nombre de conteneurs acheminés par voie terrestre par les compagnies de la FEFC et à affirmer que ce nombre est élevé, sans pour autant indiquer les critères en fonction desquels cette caractéristique doit être déterminée.

75 En second lieu, les requérantes rappellent leur thèse selon laquelle le transport terrestre de conteneurs, lorsquil est effectué par les compagnies de la FEFC, en tant que partie d'un contrat de transport multimodal global, doit être apprécié dans le contexte du marché des services de transport maritime, dont il serait indissociable et en serait une partie intégrante. En conséquence, le tarif du transport terrestre, qui n'affecte que les prix demandés pour ces services directs, aurait dû être apprécié dans le cadre du règlement n° 4056-86.

76 Elles constatent ensuite, à titre subsidiaire, que si l'approche de la Commission était juste, de sorte que le volet terrestre des services de transport multimodal devraient être appréciés dans le cadre du règlement n° 1017-68, il se poserait alors la question de savoir si le tarif du transport terrestre a des effets sensibles sur la concurrence dans le marché concerné des services de transport terrestre.

77 Elles rappellent qu'elles considèrent que le marché concerné du transport terrestre comporte tous les mouvements terrestres d'un type semblable ou substituable aux mouvements des conteneurs de la FEFC, donc l'ensemble des transports terrestres de conteneurs.

78 Toutefois, la proportion de l'ensemble du marché concerné du transport terrestre représentée par les mouvements de conteneurs effectués par les compagnies de la FEFC constituerait un pourcentage infime de l'ensemble des mouvements de conteneurs, bien inférieur à 1 %. Or, un accord qui affecterait une proportion aussi faible du marché concerné ne pourrait, conformément à la jurisprudence de la Cour, avoir un effet sensible sur la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe I, du traité.

79 Elles observent que cette question a été abordée par la FFFC au cours de l'audition. Il aurait été démontré, sur la base de données publiques concernant le nombre total de tracteurs articulés au Royaume-Uni et des chiffres concernant l'ensemble des mouvements de conteneurs, figurant dans la communication des griefs, que le nombre de tracteurs utilisés à un moment quelconque pour acheminer des conteneurs de la FEFC par voie terrestre au Royaume-Uni dans le cadre d'une opération de transport multimodal représente seulement 1 % du nombre total de tracteurs circulant au Royaume-Uni capables de réaliser de tels transports. Il aurait également été souligné que rien n'indique que la situation est différente sur d'autres marchés géographiques (par exemple en Europe continentale) ou pour d'autres modes de transport. Bien que l'attention de la Commission ait ainsi été clairement attirée sur l'importance de cette question, la décision attaquée n'aurait pas abordé ce point.

80 L'ECSA soutient que même si l'analyse de la Commission est correcte, le marché en cause doit alors comprendre, au moins, tous les types de services de transport terrestre fournis dans l'Union Européenne qui sont en mesure d'assurer le transport de fret des chargeurs vers un port desservi par la FEFC. Toutefois, étant donné que sur un tel marché, les membres de la FEFC ne détiennent qu'une part de marché insignifiante, l'accord en cause n'aurait pu avoir d'effets appréciables sur celui-ci.

81 L'ECSA récuse l'argument de la Commission, présenté pour la première fois au stade de la duplique (point 19), selon lequel, si l'on se fonde sur une définition plus large du marché en cause, les restrictions imposées par la FEFC restent importantes. le trafic d'Extrême-Orient représentant une part considérable du trafic total passant par les ports concernés et les accords restrictifs de la FEFC devant être envisagés en combinaison avec ceux du Trans-Atlantic Conference Agreement.

82 L'ECSA soutient que, à supposer que cette argumentation soit recevable, la Commission ne produit à son appui aucun élément de preuve et qu'elle est dépourvue de pertinence. En effet, dès lors que la Commission avait décidé de procéder à l'examen de la légalité des services terrestres de la FEFC en les considérant isolément par rapport aux autres éléments des services de transport multimodal, elle aurait dû également évaluer les effets de l'accord sur le marché spécifique du transport terrestre. Cependant, étant donné que les membres de la FEFC ne détiennent qu'une part insignifiante de ce marché et qu'ils dépendent pour la prestation de leurs services de transporteurs terrestres indépendants, tout accord entre lesdits membres relatif au seul marché du transport terrestre ne saurait restreindre la concurrence de manière significative.

c) Effet sur les échanges entre les Etats membres

83 Les requérantes soutiennent que la décision attaquée n'aborde pas la question de savoir si les services de transport terrestre concernés par le tarif établi par la FEFC représentent un pourcentage sensible de l'ensemble du commerce entre Etats membres impliquant des modes de transport similaires. Selon les requérantes, il n'y aurait aucune raison d'opérer une distinction en fonction des biens transportés ou de la destination de ceux-ci.

84 Elles estiment que la Commission aurait dû se poser la question de savoir si les échanges entre Etats membres, par le biais des transports terrestres de conteneurs effectués par les membres de la FEFC, représentent une proportion sensible du total des mouvements intracommunautaires de ces biens.

85 Elles observent que si la Commission avait effectué une analyse correcte, cette dernière aurait montré que cette proportion était négligeable, en l'occurrence 0,12 % de l'ensemble du commerce intracommunautaire.

86 Elles constatent que, dans la décision attaquée, la Commission avance cinq motifs à l'appui de l'affirmation selon laquelle le tarif du transport terrestre de la FEFC a un effet sensible sur les échanges entre les États membres, lesdits motifs étant énumérés aux considérants 47 à 55 de cette décision.

87 En réponse à cette argumentation de la Commission, les requérantes rappellent que, selon une jurisprudence constante, pour être contraire à l'article 85. paragraphe I, du traité, un accord "... doit, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre Etats membres, dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre Etats" (arrêt de la Cour du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42-84, Rec. p. 2545, point 22).

88 Elles considèrent que le troisième motif, exposé au considérant 51 de la décision attaquée, constitue l'élément central de l'argumentation de la Commission, alors que les quatrième et cinquième motifs ne constituent qu'une argumentation subsidiaire. Elles ne discutent pas de façon spécifique les premier et deuxième motifs.

89 En ce qui concerne le troisième motif, elles contestent l'assertion de la Commission, reproduite au considérant 51 susvisé, selon laquelle le tarif du transport terrestre, fixé suivant le système de péréquation portuaire, affecte la concurrence entre ports et influence les itinéraires de marchandises entre différents États membres.

90 Elles estiment que même si ledit tarif était supprimé et que chaque compagnie fixait ses propres tarifs, ces derniers ne seraient pas très différents du premier, puisqu'ils seraient établis sur la base de considérations similaires. Par conséquent, et contrairement à ce qu'allègue la Commission dans la décision attaquée, les itinéraires des marchandises entre États membres ne seraient pas modifiés par l'effet du tarif du transport terrestre.

91 Elles rappellent que le tarif du transport terrestre fixé par voie de conférence est établi sur la base des coûts d'un déplacement terrestre supposé entre un point à l'intérieur des terres et le plus proche des ports desservis par la conférence. Ce système dit de péréquation portuaire permettrait d'assurer une uniformité des prix entre les compagnies membres de la conférence assurant la stabilité et la qualité du service, considéré dans son intégralité.

92 Ce système reposerait sur le constat que chaque compagnie dispose en général de son propre réseau d'escales pour ses navires lorsquelle charge et décharge du fret en Europe du Nord. Dans le cadre du choix de ses ports d'escale, celle-ci devrait mettre en balance les coûts terrestres et les coûts maritimes et portuaires. En faisant moins descales à l'une des extrémités de son itinéraire, les coûts d'exploitation du navire et les redevances portuaires seraient moins élevés et il y aurait de plus grandes possibilités d'économies d'échelle sur le chargement et le déchargement des conteneurs, mais celles-ci seraient compensées par des coûts plus élevés pour l'acheminement des conteneurs. Inversement, un plus grand nombre de ports d'escale pourrait entraîner une réduction des coûts terrestres, mais une augmentation des coûts de transport maritime et de manutention.

93 La pratique consistant à calculer le prix d'un transport multimodal sur la base d'un transport supposé entre un point à l'intérieur des terres et le port le plus proche desservi par la conférence, que le navire transportant les marchandises fasse ou non effectivement escale à ce port conduirait la compagnie à absorber la différence entre le coût du transport terrestre vers le port de base le plus proche et le coût du transport vers le port de chargement effectif (plus éloigné), eu égard au fait que ce coût supplémentaire est encouru en vue de permettre à la compagnie d'économiser des coûts dans d'autres secteurs de ses activités. Les requérantes estiment que, pour une compagnie donnée, le montant total de ce coût supplémentaire est plus que compensé par les économies résultant de la réduction du nombre de ports d'escale.

94 Les requérantes notent que la tendance naturelle de toute compagnie faisant partie dune conférence consiste toujours, pour peu que ce soit possible, à " rechercher du fret " dans les zones d'attraction proches des ports à partir desquels elle travaille effectivement, de préférence aux zones se trouvant à proximité d'autres ports desservis par la conférence, en raison des coûts irrécupérables plus élevés devant être supportés dans le second cas de figure.

95 Elles estiment que les deux phénomènes décrits aux points 92 et 93 ci-dessus resteraient déterminants pour la fixation des tarifs du transport terrestre, même si ceux-ci n'étaient plus fixés par la conférence, mais par les compagnies individuellement.

96 En outre, si les compagnies faisant partie d'une conférence étaient libres de se faire concurrence sur les tarifs du transport terrestre, les compagnies travaillant à partir de ports plus éloignés auraient, en tout état de cause, tendance à aligner leurs prix sur ceux des compagnies travaillant à partir du port le plus proche, ce qui reviendrait exactement au même système que celui incriminé en l'espèce par la Commission. Si elles tentaient de facturer aux chargeurs un prix plus élevé, reflétant leurs coûts plus élevés pour le transport des marchandises vers le port plus éloigné, elles n'obtiendraient aucun contrat.

97 Les requérantes en déduisent que l'acheminement des marchandises suivraient exactement les mêmes itinéraires qu'actuellement. Partant, l'assertion faite par la Commission au considérant 51 de la décision attaquée, que le système de tarification du transport terrestre imposé par la conférence provoque la déviation de courants déchanges et, partant, affecte le commerce entre Etats membres, serait dénuée de fondement et, en tout état de cause, purement hypothétique, la Commission n'ayant fait aucune tentative sérieuse pour examiner ce qui se produirait en l'absence d'un tarif en matière de transport terrestre.

98 En ce qui concerne le quatrième motif, relatif aux répercussions du tarif du transport terrestre sur la prestation de services annexes au service de transport maritime et d'acheminement terrestre (voir considérant 52 de la décision attaquée), les requérantes estiment que ces répercussions ne sont que la conséquence de la prétendue altération des courants d'échanges et quelles ne sont pas, en tout état de cause, établies.

99 En ce qui concerne le cinquième motif, relatif à l'effet du tarif terrestre sur les échanges intracommunautaires de marchandises (considérants 54 et 55 de la décision attaquée), les requérantes s'interrogent sur la portée que la Commission a entendu lui attribuer.

100 Dans l'hypothèse où ledit motif doit être considéré comme la conséquence du troisième motif, les objections soulevées contre ce dernier s'appliqueraient aussi au cinquième.

101 Dans le cas où ce cinquième motif doit être considéré comme étant autonome, l'argumentation de la Commission serait viciée pour deux raisons.

102 D'une part, la Commission aurait omis d'évaluer l'impact des prix globaux pratiqués par les membres de la FEFC sur la compétitivité des marchandises exportées ou importées sur les marchés mondiaux ou communautaires de ces marchandises, sur les courants déchanges ou le comportement concurrentiel dans la Communauté. Cette omission serait surprenante eu égard à la faible proportion que représenteraient les coûts de transport dans le prix de vente final des marchandises. La Commission aurait été avertie de cette circonstance au cours de la procédure administrative.

103 D'autre part, les requérantes exposent que l'argumentation de la Commission est basée sur la prémisse que le prix global facturé par les membres de la FEFC est susceptible de représenter une partie substantielle du prix final des marchandises vendues. De cette prémisse est déduite qu'une modification du prix facturé pour le transport des marchandises peut affecter leur compétitivité sur leur marché de destination. Or, cet argument méconnaîtrait deux circonstances.

104 En premier lieu, même si le prix global du transport représente une partie substantielle du prix final des marchandises vendues, il n'en résulte pas, selon les requérantes, que les modifications éventuelles de ce prix représenteraient une partie substantielle du prix final de ces marchandises et que, par conséquent, elles affecteraient sensiblement leur compétitivité sur le marché. Cette question serait particulièrement pertinente dans la présente affaire. Les chargeurs ne pourraient escompter que le transport maritime international soit effectué gratuitement, ni même à un prix inférieur au coût effectif de la fourniture de ces services. A long terme, sur un marché concurrentiel, on pourrait s'attendre à ce que les prix payés correspondent dans les grandes lignes aux coûts des opérateurs les plus efficaces. Personne ne prétendrait que le tarif de la FEFC a permis aux compagnies membres de celle-ci de facturer des prix supérieurs à des prix concurrentiels ou qu'il serait susceptible de le leur permettre. Au contraire, il serait établi que nombre d'entre elles auraient subi des pertes substantielles. Il n'y aurait donc aucune raison de croire que, s'il était mis fin aux accords en cause de la FEFC il en résulterait un effet sensible sur le prix des marchandises transportées.

105 En deuxième lieu, la question qui se poserait, en ce qui concerne le tarif du transport terrestre, est celle de savoir si cette partie du tarif de la FEFC a un effet sensible sur la compétitivité des marchandises et sur les courants d'échanges dans la Communauté. Il serait établi que les tarifs sont fixés par référence aux coûts réels et que le tarif du transport terrestre dans la Communauté ne représente qu'une faible proportion du coût total du transport des marchandises et, partant, une proportion encore plus faible de leur prix de vente final.

106 Les requérantes récusent l'argument de la Commission, exposé au point 56 de son mémoire en défense, tiré de ce que dans une situation où les entreprises se font concurrence dans plusieurs Etats membres, il semble difficile de nier les effets de l'accord incriminé sur les échanges entre les Etats membres. Selon les requérantes, afin de déterminer si l'effet d'un accord sur les échanges entre les Etats membres est sensible, il y aurait lieu de définir d'abord le contexte dans lequel le caractère sensible doit être déterminé. Or, la Commission n'aborderait pas cette question. Les requérantes estiment que si elle l'avait fait, la Commission se serait trouvée précisément dans la même difficulté que celle signalée au sujet de la question de l'appréciation du caractère sensible de la restriction de concurrence. En effet, soit elle justifie la distinction entre le segment terrestre du transport multimodal à destination de l'Extrême-Orient et celui du transport multimodal vers dautres destinations, mais dans ce cas, elle admettrait la thèse des requérantes, soit elle maintient que la distinction n'est pas pertinente, mais dans ce cas, il n'y aurait pas de raison d'écarter d'autres transports internationaux par route et par chemin de fer lors de la détermination du caractère sensible des effets sur les échanges.

107 L'ECSA soutient que, en raison de la part insignifiante dans le marché des services de transport terrestre des compagnies membres de la FFFC, ainsi que de leur dépendance vis-à-vis de tiers pour effectuer les services en question, les tarifs concernant le transport terrestre assuré dans le cadre du transport multimoclal, fixés par lesdites compagnies ne peuvent avoir pour effet de modifier les structures traditionnelles des échanges entre les Etats membres. Si les membres de la FEFC venaient à pratiquer des prix excessifs pour l'élément terrestre de leurs transports, les chargeurs pourraient aisément recourir alors aux services de transporteurs terrestres indépendants et ne retenir les services des compagnies maritimes que pour les transports par mer, de port à port.

108 La JSA relève que même si l'on admet les critères d'appréciation de la Commission, les effets de l'accord en cause sur les échanges entre Etats membres sont en fait minimes. Dans le choix de leurs ports d'escale, les compagnies tiendraient compte des distances terrestres et donneraient la préférence aux lieux de forte demande de transport maritime. Un grand nombre de conteneurs acheminés par les chargeurs serait à destination de zones proches des ports, et il serait notoire que cela représente une proportion importante du total des conteneurs embarqués. Seule une partie des cargaisons serait affectée par le système de péréquation des ports. En outre, la plus grande partie de cette péréquation concernerait des ports qui se trouvent tous dans un seul État membre. La JSA conclut que les effets de la tarification du transport terrestre sur les acheminements de conteneurs entre Etats membres ne concernent qu'une faible proportion des conteneurs de la FEFC.

109 La JSA ajoute que, même en appliquant les propres critères de la Commission, le fait que la FEFC achemine un grand nombre de conteneurs par voie terrestre n'est pas, en soi, un indice qu'il existe un effet sensible sur les échanges entre Etats membres. Enfin, le marché pertinent à prendre en considération pour mesurer l'affectation des échanges intracommunautaires serait beaucoup plus vaste que le marché du transport des seuls conteneurs de la FEFC.

B - Appréciation du Tribunal

110 Dans le cadre de l'examen du premier moyen pris de la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, il convient de relever, à titre liminaire, que les requérantes ne contestent pas la nature restrictive de concurrence de l'accord faisant l'objet de la décision attaquée par lequel elles ont fixé collectivement le tarif des services de transport terrestre de la FEFC fournis dans le cadre du transport multimodal. À cet égard, il convient de rappeler qu'un accord portant fixation des prix constitue une restriction de concurrence explicitement visée par l'article 85, paragraphe 1, sous a), du traité (voir, notamment, arrêt de la Cour du 17 octobre 1972, Cementhandelaren/Commission, 8-72, Rec. p. 977, points 18 et 19, et arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T-6-89, Rec. p. II-1623, point 198).

111 En revanche, les requérantes contestent que ledit accord soit susceptible, sur le marché en cause correctement défini, de restreindre la concurrence et d'affecter le commerce entre États membres de manière sensible et, dès lors, de tomber sous le coup de l'interdiction prévue par l'article 85, paragraphe 1, du traité. À cet égard, les requérantes font, à titre principal, grief à la Commission de ne pas avoir défini, dans la décision attaquée, le marché en cause. À titre subsidiaire, elles soutiennent que la définition du marché en cause implicitement retenue par la Commission dans la décision attaquée est erronée, en ce qu'elle suppose que l'acheminement terrestre des conteneurs dans le cadre des opérations de transport multimodal organisé par la FEFC constitue un marché distinct de celui du transport maritime. Enfin, les requérantes affirment encore que si les services de transport en cause relèvent d'un marché des services de transport terrestre, celui-ci devrait comprendre tous les services de transport terrestre.

Sur la définition du marché en cause

112 S'agissant du grief soulevé à titre principal, il convient de relever que, contrairement aux allégations des requérantes, la Commission a clairement identifié, aux considérants 10 et 42 de la décision attaquée, les services de transport terrestre en cause comme étant le marché affecté par l'accord en cause. La Commission a indiqué que les services auxquels se rapportent la décision attaquée sont les services de transport terrestre offerts aux chargeurs, à l'intérieur de la Communauté européenne, par les compagnies de navigation membres de la FEFC, dans le cadre du transport multimodal de marchandises placées dans des conteneurs entre l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient. En outre, aux considérants 12 à 37 de la décision attaquée, la Commission a décrit plus amplement ces services en identifiant les opérateurs économiques actifs du point de vue de l'offre et de la demande (considérants 16 à 27), ainsi que les conditions de concurrence pertinentes, notamment en matière de prix (considérants 26, 28 et 30).

113 Il s'ensuit que la Commission a bien exposé le cadre réel dans lequel l'accord en cause a été conclu et est destiné à déployer ses effets, ainsi que la structure et le fonctionnement des services en cause.

114 Par ailleurs, il est sans pertinence que la Commission n'a pas inséré, dans la décision attaquée, une partie spécifique relative à la définition du marché en cause et portant cet intitulé.

115 Dès lors, le grief des requérantes tiré de l'absence de définition du marché en cause dans la décision attaquée doit être rejeté.

116 En tout état de cause, il convient de rappeler que, dans le cadre de l'application de l'article 85 du traité, c'est pour déterminer si un accord est susceptible d'affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun qu'il faut, le cas échéant, définir le marché en cause (arrêts du Tribunal du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T-62-98, Rec. p. II-2707, point 230, et du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T-374-94, T-375-94, T-384-94 et T-388-94, Rec. p. II-3141, points 93 à 95 et 103). Par conséquent, dans le cadre de l'application de l'article 85 du traité, les griefs formulés par les requérantes à l'encontre de la définition du marché retenue par la Commission ne sauraient revêtir une dimension autonome par rapport à ceux relatifs à l'affectation du commerce entre États membres et à l'atteinte à la concurrence (arrêts du Tribunal du 21 février 1995, SPO e.a./Commission, T-29-92, Rec. p. II-289, point 75, et du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-25-95, T-26-95, T-30-95 à T-32-95, T-34-95 à T-39-95, T-42-95 à T-46-95, T-48-95, T-50-95 à T-65-95, T-68-95 à T-71-95, T-87-95, T-88-95, T-103-95 et T-104-95, Rec. p. II-491, point 1093).

117 S'agissant, ensuite, du grief subsidiaire, selon lequel la définition du marché en cause qui sous-tend la décision attaquée est erronée, il convient de rappeler que l'accord restrictif de concurrence identifié dans la décision attaquée porte sur la fixation, par les membres de la FEFC, d'un tarif commun concernant "les services de transport terrestre fournis sur le territoire de la Communauté européenne aux chargeurs en combinaison avec d'autres services dans le cadre du transport multimodal de chargements conteneurisés entre l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient" (article 1er de la décision attaquée).

118 Il y a lieu d'observer que la notion de "transport multimodal" (appelé également, dans l'industrie en cause, "transport intermodal", "transport direct" ou "transport combiné") se réfère au transport combiné de conteneurs par voie terrestre et par voie maritime. En ce qui concerne le transport par voie terrestre, il est constant que l'acheminement de conteneurs maritimes des installations du chargeur au port d'embarquement (préacheminement) et du port de débarquement aux installations du destinataire (postacheminement) peut, ainsi que le relève la décision attaquée (considérant 16), être assuré soit par le chargeur lui-même, soit par le transporteur maritime. Il appartient, à cet égard, au chargeur de décider librement de recourir à l'une ou l'autre de ces deux formules (considérant 17 de la décision attaquée). Dans l'un ou l'autre cas, le service de transport terrestre peut être sous-traité (considérants 19 à 24 de la décision attaquée).

119 Lorsque l'acheminement terrestre est assuré par le chargeur, le chargeur doit se procurer les conteneurs nécessaires, le cas échéant, auprès de la compagnie maritime de son choix, afin d'y placer, dans ses propres installations, les marchandises concernées et acheminer les conteneurs jusqu'au point de remise du matériel déterminé par la compagnie maritime. De la même manière, au port de déchargement, c'est au chargeur ou au destinataire des marchandises transportées qu'il appartient d'organiser l'acheminement terrestre des conteneurs vers ses propres installations en vue de procéder à leur déchargement et de les retourner ensuite, vidés de leur contenu, à la compagnie maritime. S'il n'effectue pas le transport terrestre lui-même, le chargeur peut, ainsi que le relève la décision attaquée (considérants 21 à 24), faire appel aux services d'un tiers indépendant, comme, par exemple, un commissionnaire de transport, un transporteur routier ou une compagnie de chemin de fer ou une compagnie de voie navigable.

120 Lorsque l'acheminement terrestre est assuré par le transporteur maritime, c'est la compagnie maritime qui fournit au chargeur les conteneurs et achemine ces derniers vers le port d'embarquement ou vers les installations du destinataire à partir du port de débarquement. Dans ce cas, le transport terrestre du conteneur est, le plus souvent, assuré physiquement, non par la compagnie maritime elle-même, mais par un transporteur routier ou ferroviaire ou une entreprise de transport par voie navigable indépendant de la compagnie maritime, à qui cette dernière a sous-traité l'opération (considérants 19 et 20 de la décision attaquée). Seul un nombre réduit de compagnies maritimes ont créé des filiales chargées d'assumer des services de transport terrestre. Il est constant que l'accord en cause a pour objet la fixation par les membres de la FEFC du prix de vente aux chargeurs de ces services de transport terrestre organisés par les compagnies maritimes dans le cadre d'un transport multimodal.

121 Dans le cadre de leur grief subsidiaire pris d'une définition erronée du marché en cause, les requérantes allèguent que lesdits services de transport terrestre relèvent du marché plus large des transports maritimes organisés dans le cadre du transport multimodal. Selon les requérantes, le marché en cause doit dès lors se définir comme celui du transport maritime régulier, dans le cadre de services de port à port ou de transport multimodal, entre l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient, avec des escales dans des ports situés dans ces territoires. À cet égard, les requérantes soulignent plus particulièrement le fait que les services de transport terrestre de conteneurs qu'elles offrent aux chargeurs font partie intégrante et sont indissociables des services de transports maritimes réguliers vendus par la FEFC aux chargeurs pour l'acheminement de leurs marchandises placées dans des conteneurs entre l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient.

122 Il ressort de la jurisprudence que, pour être considéré comme un marché suffisamment distinct, le service ou le bien en cause doit pouvoir être individualisé par des caractéristiques particulières le différenciant d'autres services ou biens au point qu'il soit peu interchangeable avec eux et ne subisse leur concurrence que d'une manière peu sensible (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 11 avril 1989, Ahmed Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro, 66-86, Rec. p. 803, points 39 et 40, et du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27-76, Rec. p. 207, points 11 et 12, et arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T-30-89, Rec. p. II-1439, point 64). Le degré d'interchangeabilité entre produits doit être évalué en fonction des caractéristiques objectives de ceux-ci, ainsi qu'en fonction de la structure de la demande, de l'offre sur le marché et des conditions de concurrence (voir arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322-81, Rec. p. 3461, point 37, et arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83-91, Rec. p. II-755, point 63).

123 Il convient de rappeler qu'il est constant que, en dépit du fait que les compagnies maritimes offrent des services de transport terrestre en complément des services de transport maritime, les chargeurs conservent le choix d'acheter séparément ces deux types de prestations auprès d'opérateurs économiques différents. L'article 5, paragraphe 3, du règlement n° 4056-86 garantit d'ailleurs aux chargeurs cette faculté de s'adresser aux entreprises de leur choix pour les services de transport terrestre. Pour la vente de ces services aux chargeurs, les compagnies maritimes sont dès lors en concurrence avec les transporteurs terrestres. Or, il ne saurait être contesté que ces derniers ne sont présents que sur le marché des services de transport terrestre.

124 Il convient également d'observer que, avant que les compagnies maritimes ne commencent à offrir des services de transport terrestre de préacheminement et de postacheminement de conteneurs, les chargeurs devaient s'organiser pour assurer l'acheminement des marchandises à destination et en provenance des ports. Le marché de cet acheminement terrestre de marchandises préexistait à l'arrivée des compagnies maritimes sur ce marché. Même après le développement de l'utilisation des conteneurs et l'arrivée des compagnies maritimes sur le marché des services du transport terrestre, il fallait, ainsi que le relève le rapport économique des professeurs S. Gilman et M. Graham (point 4.42 de leur rapport, cité au considérant 17 de la décision attaquée) déposé par les requérantes au soutien de leur thèse, "laisser aux chargeurs la possibilité de procéder comme auparavant et de continuer à organiser eux-mêmes leur acheminement s'ils le [souhaitaient]". Même s'il est indéniable que l'utilisation des conteneurs a facilité la combinaison des différents modes de transport, il n'en reste pas moins que le préacheminement et le postacheminement des marchandises demeurent un service de transport terrestre. Cette circonstance démontre l'existence d'un marché des services de transport terrestre connexe mais distinct du marché des services de transport maritime dans le cadre d'un service de transport multimodal (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 3 octobre 1985, CBEM, 311-84, Rec. p. 3261, point 26).

125 En outre, il est constant, ainsi que le souligne la décision attaquée (considérants 19 à 24), que les services de transport terrestre nécessaires au pré- et au postacheminement de conteneurs dans le cadre d'un transport multimodal sont, en règle générale, fournis par des entreprises de transport terrestre indépendantes des compagnies maritimes et des chargeurs, que l'acheminement terrestre soit assuré par le chargeur ou par la compagnie maritime. Dans ces deux hypothèses, les services de transport terrestre requis pour le préacheminement et le postacheminement des conteneurs sont, en effet, le plus souvent sous-traités à des entreprises de transport terrestre indépendantes spécialisées dans le transport par route, par rail ou par voie navigable.

126 Il apparaît ainsi que le préacheminement et le postacheminement terrestre de conteneurs dans le cadre d'un transport multimodal relèvent d'une demande et d'une offre spécifiques.Il existe des entreprises de transport terrestre indépendantes des chargeurs et des compagnies maritimes qui fournissent à ces derniers des services spécialisés de transport terrestre de conteneurs maritimes en vue de leur acheminement par voie maritime ou faisant suite à leur acheminement par voie maritime dans le cadre d'un transport multimodal.

127 Le caractère spécifique susmentionné est, en outre, renforcé par le fait que l'offre et la demande de services de transport terrestre en vue d'un acheminement multimodal répondent à des conditions de concurrence particulières, qui sont différentes de celles prévalant sur d'autres marchés, spécialement celui du transport maritime. Ainsi, alors que le prix du transport maritime dépend essentiellement de la valeur des marchandises transportées, il n'est pas contesté que le prix du service de transport terrestre est fixé pour chaque conteneur sans aucune relation directe avec la valeur des marchandises transportées. Par ailleurs, il est constant que l'acheminement terrestre est facturé en monnaie locale, alors que le transport maritime est libellé en dollars américains.

128 Dans ce contexte, il y a lieu de considérer que, contrairement aux allégations des requérantes, la Commission a pu estimer dans la décision attaquée, à juste titre, que les services de transport terrestre relatifs au préacheminement et au postacheminement de conteneurs dans le cadre d'un transport multimodal constituent un marché distinct des services de transport maritime fournis dans ce cadre par les compagnies maritimes membres de la FEFC. Ainsi qu'il résulte de la jurisprudence, un sous-marché qui a des caractéristiques spécifiques du point de vue de la demande et de l'offre et qui concerne des produits occupant une place indispensable et non interchangeable dans le marché général duquel il fait partie doit être considéré comme un marché de produit distinct (voir arrêts du Tribunal du 10 juillet 1991, RTE/Commission, T-69-89, Rec. p. II-485, points 61 et 62; BBC/Commission, T-70-89, Rec. p. II-535, point 50, et ITP/Commission, T-76-89, Rec. p. II-575, points 47 et 48).

129 L'allégation des requérantes, selon laquelle les services de transport terrestre assurés par les compagnies maritimes dans le cadre d'un transport multimodal sont fournis par ces dernières aux chargeurs en tant que partie intégrante de leurs services de transport maritime, est, à cet égard, dénuée de pertinence. Dès lors qu'il existe une demande et une offre spécifiques pour les services de transport terrestre de conteneurs maritimes et que ceux-ci sont proposés, notamment, par des entreprises indépendantes des compagnies maritimes, il en résulte nécessairement l'existence d'un marché distinct (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 31 mai 1979, Hugin/Commission, 22-78, Rec. p. 1869, points 7 et 8; arrêt Hilti/Commission, précité, point 67, confirmé par arrêt de la Cour du 2 mars 1994, Hilti/Commission, C-53-92 P, Rec. p. I-667, points 13 et 14; arrêt Tetra Pak/Commission, précité, point 82, confirmé par arrêt de la Cour du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C-333-94 P, Rec. p. I-5951, point 36). Ainsi, dans le domaine des transports terrestres de conteneurs maritimes, le Tribunal a déjà jugé que les services ferroviaires relatifs, notamment, à l'accès à l'infrastructure ferroviaire, à la mise à disposition de locomotives et leur traction constituent, en raison de leur spécificité, un marché distinct du marché des transports ferroviaires en général et du marché des transports routier et fluvial (arrêt du Tribunal du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T-229-94, Rec. p. II-1689, points 55 et 56).

130 En conséquence, contrairement à la thèse des requérantes, la Commission a, dans la décision attaquée, estimé à juste titre que le marché en cause en l'espèce est celui des services spécialisés de transport terrestre de conteneurs maritimes en vue de leur acheminement par voie maritime, dans le cadre d'un transport multimodal entre l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient, à l'exclusion des services de transport maritime de conteneurs fournis par les compagnies maritimes dans le cadre précité.

131 Enfin, les requérantes soutiennent encore, dans le cas où le Tribunal estimerait que lesdits services de transport terrestre relèvent d'un marché distinct, qu'il conviendrait, à tout le moins, d'inclure dans le marché en cause tous les transports terrestres similaires. À cet égard, les requérantes allèguent en particulier que le marché en cause devrait englober, outre le transport terrestre de conteneurs en vue de leur acheminement maritime par la FEFC entre l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient, le transport terrestre de conteneurs par des compagnies maritimes indépendantes se rattachant à cette même route maritime, le transport terrestre de conteneurs assuré par la FEFC et des compagnies indépendantes en relation avec d'autres routes, le transport terrestre de tout autre conteneur entre des points à l'intérieur des terres en Europe, ainsi que le transport terrestre d'autres marchandises effectué de façon similaire mais autrement que par conteneur.

132 Cette thèse doit être rejetée comme étant manifestement dépourvue de tout fondement.

133 En effet, il ressort des considérants 10 et 42 de la décision attaquée, ainsi que de l'article 1er du dispositif de ladite décision, que le tarif commun en cause dans la présente procédure concerne les services de transport terrestre offerts aux chargeurs en combinaison avec d'autres services, dans le cadre d'opérations de transport multimodal de marchandises placées dans des conteneurs entre l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient, qui sont assurées par les compagnies maritimes membres de la FEFC. Il en résulte que, à l'évidence, le marché en cause concerne, non pas tous les services de transport terrestre de quelque nature que ce soit, mais les seuls services de transport terrestre de conteneurs en tant qu'élément du service de transport multimodal.

134 Par ailleurs, et pour la même raison, le marché géographique en cause n'est pas celui de tous les transports terrestres de conteneurs dans le cadre du transport multimodal en relation avec toutes les routes maritimes, mais uniquement les transports terrestres de conteneurs qui se rattachent à la route entre l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient. En effet, le tarif commun en cause dans la présente affaire s'applique exclusivement dans le cadre des services de transport multimodal concernant cette seule route maritime entre l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient, cette dernière n'étant, par ailleurs, pas substituable à d'autres routes (voir, par analogie, arrêt Ahmed Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro, précité, points 40 et 41). Sans qu'il soit besoin, en l'espèce, de se prononcer sur la question de savoir si le marché pertinent doit être limité au transport terrestre de conteneurs destinés à être embarqués sur les seuls navires des compagnies membres de la FEFC, comme cela semble ressortir du considérant 11 de la décision attaquée, ou plus largement sur tous les navires effectuant la route maritime susvisée, il suffit de constater qu'il ressort du considérant 33 de la décision attaquée que la Commission a apprécié l'effet sur la concurrence dans le cadre plus large de la seconde hypothèse. La Commission était dès lors fondée à ne pas inclure, dans la définition du marché en cause, les services de transport terrestre fournis dans le cadre de services de transport multimodal concernant d'autres routes maritimes que celle entre l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient.

135 À la lumière de ce qui précède, il apparaît que la définition du marché en cause comme étant celui des services de transport terrestre de conteneurs offerts aux chargeurs en combinaison avec d'autres services, à l'intérieur de la Communauté européenne, dans le cadre du transport multimodal de marchandises placées dans des conteneurs entre l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient, ne saurait être remise en cause.

136 Dans ces circonstances, les griefs des requérantes tirés principalement de l'absence de définition du marché en cause et subsidiairement du caractère incorrect de la définition du marché en cause doivent être rejetés.

Sur le caractère sensible de l'atteinte à la concurrence

137 En ce qui concerne, en premier lieu, le grief des requérantes tiré de ce que la décision attaquée ne contient aucune appréciation des critères du caractère sensible de la restriction de concurrence en cause et ne définit pas le marché en cause par rapport auquel cet effet sensible doit être apprécié, il suffit de relever qu'il ressort à suffisance de droit du considérant 33 de la décision attaquée, non contesté par les requérantes, que les compagnies maritimes membres de la FEFC détenaient, en 1993, soit au moment des faits en cause, 38,5 % du marché du transport terrestre de conteneurs maritimes, dans le cadre d'un transport multimodal, entre l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient. Ainsi qu'il a été constaté dans le cadre de l'examen du grief relatif à la définition du marché en cause, c'est à bon droit que la Commission a considéré que ledit marché constitue le marché pertinent aux fins de l'application de l'article 85 du traité à l'accord incriminé.

138 Il en résulte que le grief des requérantes doit, pour cette seule raison, être rejeté. La circonstance que les requérantes détiennent près de 40 % du marché en cause est en effet, à elle seule, de nature à démontrer que l'accord faisant l'objet de la décision attaquée est de nature à restreindre la concurrence de manière sensible sur ledit marché.Une part de marché de cette ampleur ne saurait en effet raisonnablement être considérée comme insignifiante au sens de la jurisprudence (voir, notamment, arrêts de la Cour du 9 juillet 1969, Völk, 5-69, Rec. p. 295, point 7, et du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100 à 103-80, Rec. p. 1825, point 86). Dès lors, dans la mesure où la décision attaquée fait explicitement référence à la part de marché des compagnies maritimes membres de la FEFC sur le marché en cause, il y a lieu de considérer que la Commission a, de ce fait, apprécié à suffisance de droit les critères du caractère sensible de la restriction de concurrence en cause.

139 Pour le surplus, il convient encore de souligner que la Commission a exposé, dans la décision attaquée, que les services de transport terrestre assurés par les compagnies maritimes membres de la FEFC représentaient, en 1991, environ 1 015 208 conteneurs EVP (équivalents de 20 pieds), soit approximativement 9 276 653 tonnes. Environ 89 % de ces transports ont été effectués, en totalité ou partiellement, sur le territoire de la Communauté (considérant 33 de la décision attaquée). En outre, la décision attaquée relève que, sur les routes entre l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient, les opérations de transport terrestre représentent 18,6 % du coût total des services de transport multimodal, ce qui correspondait, en 1992, à un montant d'environ 477 200 000 écus (considérants 34 et 35 de la décision attaquée). C'est à la lumière de ces éléments que la Commission a conclut, au considérant 45 de la décision attaquée, que "la restriction de concurrence entre les membres de la FEFC en ce qui concerne les prix facturés pour le volet terrestre des opérations de transport multimodal est probablement importante en raison du très grand nombre de conteneurs concernés et des coûts en jeu (considérants 33 à 37)".

140 Dans ces circonstances, il est manifeste que les requérantes ne sauraient reprocher à la Commission de ne pas avoir apprécié le caractère sensible de l'accord en cause sur la concurrence.

141 En ce qui concerne, en second lieu, le grief des requérantes tiré de ce que la décision attaquée n'apprécie pas correctement si l'accord en cause a un effet sensible sur la concurrence au motif que l'effet sensible de l'accord en cause devrait s'apprécier dans le contexte des transports maritimes fournis dans le cadre du transport multimodal, il doit également être rejeté dans la mesure où il se fonde sur une définition erronée du marché en cause. En outre, il y a lieu de relever que, à supposer que la définition du marché en cause défendue par les requérantes soit pertinente, l'accord en cause restreindrait d'autant plus sensiblement la concurrence. Il est en effet constant que, sur le marché ainsi défini, les membres de la FEFC détenaient, en 1992, une part de marché de 58 % (considérant 33 de la décision attaquée). Il ne saurait être contesté qu'un accord de fixation des prix, relatif des services représentant une partie significative du coût total des services de transport multimodal, conclu par des entreprises représentant près de 60 % du marché concerné, restreint de manière sensible la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

142 En ce qui concerne, en troisième lieu, la thèse des requérantes selon laquelle la position des parties à l'accord en cause devrait s'apprécier sur le marché des transports terrestres de type analogue, elle doit également être rejetée, dans la mesure où elle se fonde sur une définition erronée du marché en cause, lequel ne concerne pas tous les transports terrestres, mais uniquement les services de transport terrestre fournis dans le cadre du transport multimodal sur les routes entre l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient.

143 Par ailleurs, il convient de relever que l'effet sur la concurrence est sensible non seulement si le marché se limite aux seuls services de transport terrestre fournis par les compagnies maritimes membres de la FEFC, mais également s'il devait englober ceux fournis par les compagnies maritimes indépendantes. En effet, ainsi qu'il ressort du considérant 33 de la décision attaquée, sans que cela soit contesté par les requérantes, dans la première hypothèse, les compagnies membres de la FEFC détiendraient 70 % du marché, tandis que dans la seconde, elles en détiendraient 38,5 %.

144 Enfin, en ce qui concerne, en quatrième lieu, le grief des requérantes tiré de la violation des droits de la défense, en ce que la Commission aurait examiné l'effet sensible sur la concurrence de l'accord en cause, pour la première fois, dans la décision attaquée, il fera l'objet d'un examen distinct dans le cadre du quatrième moyen tiré de l'existence de vices de procédure, ce grief y étant développé par les requérantes dans un cadre plus large.

Sur l'affectation du commerce entre États membres

145 S'agissant de l'affectation du commerce entre États membres, il convient de rappeler, d'abord, que, selon une jurisprudence constante, un accord entre entreprises, pour être susceptible d'affecter le commerce entre États membres, doit, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre États (arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, dit "Pâte de bois II", C-89-85, C-104-85, C-114-85, C-116-85, C-117-85 et C-125-85 à C-129-85, Rec. p. I-1307, point 143). En particulier, il n'est pas nécessaire que le comportement incriminé ait effectivement affecté le commerce entre États membres de manière sensible, il suffit d'établir que ce comportement est de nature à avoir un tel effet (voir, dans le cadre de l'application de l'article 85 du traité, arrêt SPO e.a./Commission, précité, point 235).

146 Force est de constater ensuite que l'accord en cause est un accord conclu entre des compagnies maritimes dont plusieurs sont établies dans différents États membres, portant sur les conditions de vente de services de transport terrestre à des chargeurs établis également dans différents États membres. Un tel accord est manifestement susceptible d'affecter le commerce entre États membres au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité. La condition d'affectation du commerce entre États membres ayant, d'ailleurs, pour but de déterminer le domaine du droit communautaire par rapport à celui du droit des États membres(arrêt de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Gründig/Commission, 56-64 et 58-64, Rec. p. 429; arrêt SPO e.a./Commission, précité, point 227), il ne saurait être contesté que l'accord en cause, qui impose des conditions de vente de services de transport terrestre à une grande partie des chargeurs de la Communauté, relève du droit communautaire de la concurrence. À cet égard, il convient, en particulier, de relever que la fixation du prix de vente des services de transport terrestre peut, notamment, avoir une incidence sur la décision des chargeurs de confier l'acheminement terrestre de leurs conteneurs aux membres de la FEFC ou à un transporteur terrestre, faussant ainsi la concurrence existant sur le marché des services de transport terrestre entre les compagnies maritimes membres de la FEFC et les transporteurs terrestres présents dans différents États membres.

147 De même, la Commission a encore constaté, à juste titre, aux considérants 50 et 51 de la décision attaquée, que la fixation du prix du transport terrestre peut aussi influer sur la concurrence que se livrent les ports de différents États membres. En effet, la fixation desdits prix en fonction d'un transport fictif, dans le cadre d'un système de "péréquation portuaire", entre un point à l'intérieur des terres et le plus proche des ports desservis par l'un quelconque des membres de la FEFC, a pour objet même de neutraliser l'avantage économique que peut constituer une distance plus courte par rapport à un port donné. À cet égard, il convient d'observer que les requérantes n'ont pas contesté l'existence du détournement de fret résultant de l'application du tarif commun en cause relatif au transport terrestre, mais se sont bornées à en relativiser l'importance. La circonstance, au demeurant non établie, selon laquelle, même en l'absence d'un accord portant sur la fixation des tarifs des services de transport terrestre au sein de la FEFC, les compagnies maritimes prendraient en charge les frais supplémentaires qu'implique l'acheminement vers un port plus lointain, ne supprime pas le fait que l'objet ou, à tout le moins, l'effet de la pratique de "péréquation portuaire" est de drainer des marchandises vers des ports qui, autrement, n'en auraient pas été destinataires et que cette modification des flux des marchandises est une conséquence de l'accord de fixation des prix du transport terrestre. Il convient d'ajouter que le détournement de trafic résultant de la tarification collective est, en outre, différent de celui qui aurait existé si chaque compagnie avait déterminé une péréquation portuaire individuelle en fonction de ses propres critères.

148 Enfin, quoique de manière plus indirecte, l'accord en cause est, à tout le moins, susceptible d'avoir un effet sur le commerce des marchandises entre États membres, dans la mesure où les prix des services de transport terrestre fixés par la FEFC représentent une part du prix de vente final des marchandises transportées(voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 3 décembre 1987, BNIC, 136-86, Rec. p. 4789, point 18). C'est dès lors à juste titre que, au considérant 54 de la décision attaquée, la Commission a constaté que l'accord en cause pouvait, en raison de l'effet qu'il produit sur le coût d'exportation vers d'autres pays, inciter les producteurs de la Communauté à rechercher d'autres marchés vers lesquels les coûts de transport de leurs marchandises sont moins élevés, en particulier, le marché national du producteur lui-même ou les marchés d'autres États membres.

149 Il en résulte que les griefs des requérantes tirés de l'absence d'effet sensible sur le commerce intracommunautaire doivent être rejetés.

Conclusion sur le premier moyen des requérantes

150 Au vu de ce qui précède, le premier moyen des requérantes tiré de la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, doit être déclaré non fondé.

3. Sur le deuxième moyen, tiré d'une violation de l'article 3 du règlement n° 4056-86

A - Arguments des parties

151 Les requérantes considèrent que dans la mesure où la FEFC peut être considérée comme contraire à l'article 85, paragraphe 1, du Traité CE, elle est visée par l'exemption de groupe définie à l'article 3 du règlement n° 4056-86. Elles estiment que la Commission a eu tort de conclure que la fixation des prix pour le segment terrestre des services de transport multimodal relève du règlement n° 1017-68 et non du règlement n° 4056-86.

152 Elles relèvent que la Commission a dans la décision attaquée rejeté la référence faite par la FEFC à l'article 3 du règlement n° 4056-86 en affirmant, sur le fondement de l'article 1er, paragraphe 2, dudit règlement que "la portée de l'exemption prévue à l'article 3 du règlement (CEE) n° 4056-86 ne peut être plus étendue que celle du règlement (CEE) n° 4056-86 lui-même" (considérant 75 de la décision attaquée).

153 Elles en concluent que la position de la Commission à l'égard de l'application des règles de concurrence aux transports maritimes multimodaux internationaux est donc la suivante :

- le règlement applicable dépend de la composante particulière de l'opération de transport multimodal en question ;

- le segment maritime du service, à savoir le transport par navire en provenance ou à destination d'un port de la Communauté, est soumis aux dispositions du règlement n° 4056-86, y compris à son article 3 ;

- l'offre de transport routier est soumise aux dispositions du règlement n° 1017-68.

154 Elles observent que la Commission a, au considérant 9 de la décision attaquée, volontairement omis de qualifier la situation juridique d'autres services complémentaires du transport maritime (par exemple les services de manutention au terminal). On ne pourrait donc déterminer avec certitude si la Commission considère que les autres parties du transport multimodal (notamment la manutention au terminal) relèvent du règlement n° 1017-68 ou du règlement n° 4056-86, ou même éventuellement du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204).

155 Elles considèrent que cette approche de la Commission, qu'elles qualifient de "désintégrée", d'après laquelle l'exécution intégrale d'un seul contrat de transport peut relever simultanément de deux ou même de trois régimes de concurrence, est impraticable et erronée en droit. Au soutien de cette thèse, elles présentent les arguments suivants.

a) La décision attaquée ne tiendrait pas compte du fait que les règlements n° 1017-68 et n° 4056-86 étaient destinés à fixer les règles applicables à des secteurs particuliers de l'économie

156 Les requérantes estiment que le critère déterminant pour établir quel règlement s'applique à un accord déterminé est le marché et donc le secteur dans lequel l'accord en question produit ses effets. En effet, l'article 85 du traité viserait par définition les accords entre entreprises qui faussent la concurrence dans un marché donné.

157 Chacun des règlements appliquant les règles de concurrence à l'industrie du transport, qu'il s'agisse des règlements n° 1017-68 et n° 4056-86 ou encore du règlement (CEE) n° 3975-87 du Conseil, du 14 décembre 1987, déterminant les modalités d'application des règles de concurrence applicables aux entreprises de transports aériens (JO L 374, p. 1) et du règlement (CEE) n° 2410-92 du Conseil, du 23 juillet 1992, modifiant le règlement n° 3975-87 (JO L 240, p. 18), aurait explicitement tenté de le faire par référence à un "secteur" particulier. L'objet principal de chacun de ces règlements aurait été de fixer les règles spéciales applicables aux accords et pratiques d'entreprises dans le secteur du transport concerné, cest-à-dire, des entreprises qui sont des fournisseurs de services de transport sur les marchés en question. Le mot "secteur" viserait le volet "offre" de l'économie.

158 Selon les requérantes. le marché pertinent est constitué par les services de transport maritime entre l'Europe et l'Extrême-Orient, marché qui comprendrait tant les services de port à port que les services de transport multimodal.

159 Les requérantes récusent l'affirmation de la Commission selon laquelle leur thèse consisterait à soutenir que l'exemption par catégorie en faveur des conférences maritimes s'étendrait à tout service à valeur ajoutée fourni par des compagnies maritimes conjointement au transport maritime. En réalité, leur thèse serait que les activités accessoires, qui sont nécessairement fournies en tant que composant intégral d'un service de transport multimodal doivent être traitées comme une partie de ce service unique, et non comme deux ou plusieurs services séparés offerts ensemble. L'assertion de la Commission selon laquelle le transport multimodal assuré par des compagnies maritimes comprend deux services qui sont offerts ensemble, le transport maritime et le transport terrestre, serait particulièrement inappropriée. D'une part, le concept de services "offerts ensemble" recouvrirait essentiellement celui d'offre conjointe, par lequel un fournisseur de deux produits distincts refuse de fournir un produit sans l'autre. Or, en l'espèce, il serait constant, et accepté par la Commission, que le chargeur dispose toujours de la liberté absolue d'opter ou non pour l'acheminement terrestre des conteneurs par le transporteur maritime. D'autre part, le concept d'offre conjointe présupposerait l'offre de deux produits distincts plutôt que la combinaison de divers composants d'un produit unique, de sorte que, par exemple, l'offre de lacets dans des chaussures ou de boutons sur des vêtements n'est pas considérée comme une offre conjointe, bien qu'il y ait lieu de noter que des lacets de chaussures ou des boutons peuvent être achetés séparément. Il en irait exactement de même en ce qui concerne les services de transport multimodal, qui constituerait un produit intégré unique. La Commission partagerait elle-même cette conclusion en ce quelle relève dans son mémoire en défense, au point 15, que l'utilisateur a la possibilité d'acheter un produit intégré (transport maritime plus transport terrestre) à une compagnie maritime.

b) La décision attaquée ne tiendrait pas compte de la définition correcte des marchés en cause sur lesquels les accords produisent leurs effets

160 Les requérantes soutiennent que le transport multimodal, tel qu'il est proposé par les compagnies de la FEFC, ferait partie du marché des transports maritimes internationaux et que les activités terrestres des compagnies, qui font partie intégrante d'un service de transport multimodal, devraient être considérés dans le contexte de ce marché. Il s'agirait indubitablement du seul marché sur lequel le tarif terrestre de la FEFC produit ses effets. Le règlement qu'il convient d'appliquer pour apprécier la partie relative au transport terrestre du tarif de la FEFC serait donc le même que celui utilisé pour le reste du tarif, à savoir le règlement n° 4056-86.

161 Elles considèrent que, alors qu'il existe effectivement des marchés pertinents définis adéquatement pour les transports terrestres, les compagnies de la FEFC (et d'autres) ne seraient pas des fournisseurs mais simplement des acheteurs sur les marchés de tels services. Le tarif du transport terrestre de la FEFC n'affecterait pas la liberté des compagnies en tant qu'acheteurs sur ce marché, pas plus qu'il n'y fausserait la concurrence. Le règlement n° 1017-68 ne devrait donc pas s'appliquer au tarif.

c) La décision attaquée serait incompatible avec les indications du règlement n° 4056-86 sur son champ d'application

162 En premier lieu, les requérantes tirent argument du libellé de l'article 1 er, paragraphe 1, du règlement n° 4056-86, qui dispose que "le présent règlement détermine les modalités d'application aux transports maritimes des articles 85 et 86 du traité". Elles relèvent que cette disposition ne contient aucune indication selon laquelle l'objet dudit règlement serait limité à une ou des parties seulement du "transport maritime".

163 En deuxième lieu, elles récusent l'argument que la Commission a tiré, aux considérants 75 et 76 de la décision attaquée, du libellé de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 4056-86.

164 A cet effet, les requérantes observent que le sixième considérant du règlement n° 4056-86 énonce que "le commerce entre Etats membres risque d'être affecté lorsque ces ententes ou pratiques abusives concernent des transports maritimes internationaux, y compris intracommunautaires, au départ ou à destination de ports de la Communauté". Elles en déduisent que l'unique objet de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 4056-86 est de préciser que ce dernier s'applique aux catégories de transports maritimes qui sont "internationaux" et qui, donc, s'effectuent entre Etats membres ou entre la Communauté et un pays tiers.

165 En troisième lieu, les requérantes tirent argument de l'article 1er, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 4056-86, qui dispose notamment qu'il faut entendre par "Conférence maritime ou conférence" "un groupe d'au moins deux transporteurs exploitants de navires [...] qui a conclu un accord ou un arrangement [...] dans le cadre duquel ces transporteurs opèrent en appliquant des taux de fret uniformes ou communs et toutes autres conditions de transport concertées pour la fourniture des services réguliers".

166 Or, dans l'industrie maritime, le terme "fret" serait généralement compris comme couvrant toutes les redevances qui doivent être payées au transporteur en vertu d'un contrat de transport et non simplement une partie d'entre elles correspondant à une composante (tel que le segment maritime) du transport. Les requérantes invoquent à l'appui de ce constat des références aux conditions standard relatives au connaissement type, aux ouvrages Halsbury's Laws of England et Dictionary of shipping terms, aux polices d'assurance maritime couvrant les armateurs contre la perte du fret et aux lettres de crédit et autres documents bancaires relatifs au fret.

167 Elles ajoutent que le règlement n° 4056-86 lui-même confirmerait que le terme "fret" ne devrait pas être compris comme couvrant seulement le segment maritime du transport mais aussi les frais de tout transport intérieur et de tout service à quai fournis par la compagnie. Elles font référence, à cette fin, à l'article 5, paragraphes 3 et 4, du règlement n° 4056-86.

168 Elles rejettent largument de la Commission tiré de ce que l'article 1 er, paragraphe, sous b), du règlement n° 4056-86 suppose l'existence d'un service maritime régulier assuré suivant un horaire donné, mais que le segment terrestre du transport multimodal, donc l'enlèvement et la livraison de conteneurs, ne peut guère être qualifié de services réguliers. D'une part, certains services accessoires, comme le groupement des envois et la manutention dans les terminaux, ne peuvent pas non plus être qualifiés de services réguliers, sans qu'il en découle une non-application du règlement n° 4056-86. D'autre part, et en tout état de cause, chaque contrat de transport multimodal impliquerait nécessairement l'utilisation d'un service régulier.

169 En quatrième lieu, les requérantes observent que l'article 2, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement n° 4056-86 prévoit expressément que l'article 85, paragraphe 1, du traité ne s'applique pas aux accords qui ont seulement pour objet et pour effet de mettre en œuvre des améliorations techniques ou la coopération technique par, d'une part, l'établissement ou l'application uniforme de normes ou de types pour "les installations fixes" et, d'autre part, l'échange ou l'utilisation en commun, pour l'exploitation des transports, d'espace sur les navires ou de slots "et autres moyens de transport".

170 Ces deux catégories d'accord concerneraient une coopération dans des domaines qui seraient loin de relever de la définition étroite du transport maritime donnée par la Commission. Celle-ci aurait explicitement reconnu dans son mémorandum explicatif de la proposition de règlement portant application des règles de concurrence aux transports maritimes qu'il existe un chevauchement avec le règlement n° 1017-68.

171 Des considérations similaires s'appliqueraient à l'interprétation de l'article 2, paragraphe 1, sous e), du règlement n° 4056-86, qui exempte les accords qui ont seulement pour objet et pour effet de mettre en œuvre des améliorations techniques ou la coopération technique par "le groupement d'envois isolés". En effet, ce groupement d'envois s'effectuerait en entrepôt et serait en relation avec le transport maritime proprement dit sans en faire partie directement.

172 Les requérantes ajoutent que si l'interprétation de la Commission, selon laquelle le champ d'application du règlement n° 4056-86 est limité aux activités au départ ou à destination d'un port, s'appliquait, les dispositions susmentionnées de l'article 2 du règlement n° 4056-86 seraient privées d'effet. Or, un tel résultat serait à l'évidence absurde. L'interprétation proposée par la Commission serait, partant, erronée.

173 Les requérantes réfutent l'argument de la Commission tiré de ce que la mention, dans l'article 2 du règlement n° 4056-86, de l'utilisation d' "installations fixes" s'explique par le fait qu'une coopération ayant trait à l'utilisation d'installations portuaires ne relève d'aucun autre règlement de procédure puisqu'elle ne concerne pas une activité commerciale autre que le transport maritime. Elles relèvent que la Commission a engagé une procédure au titre du règlement n° 17 en ce qui concerne l'utilisation d'installations portuaires en rapport avec le transport maritime (décision 94-19-CE de la Commission, du 21 décembre 1993, relative à une procédure d'application de l'article 86 du Traité CE (IV-34.689 - Sea Containers contre Stena Sealink - Mesures provisoires) (JO 1994, L 15, p. 8). Il n'y aurait donc pas de vide juridique si la coopération technique des compagnies maritimes de ligne n'était pas incluse dans le champ d'application du règlement n° 4056-86.

174 Les requérantes récusent de même l'argument de la Commission tiré de ce que le groupement d'envois isolés, même s'il est effectué à quai, concerne la façon dont le transport maritime des marchandises est effectué. Elles relèvent que ces activités s'exercent en général non à quai mais dans des "Container Freight Stations", situées habituellement à quelque distance des ports. et disposent d'installations pour la réception de plus petits volumes de marchandises, pour leur entreposage et pour leur emballage avec d'autres marchandises aux fins de placement dans un seul conteneur. Elles concluent que ces services accessoires ne seraient ni plus, ni moins étroitement liés au transport maritime que ne le serait le transport terrestre.

175 Les requérantes récusent finalement l'argument de la Commission tiré de ce que la référence, à l'article 2 du règlement n° 4056-86, aux "autres moyens de transport" ne couvre pas le transport terrestre, mais une catégorie résiduelle de moyens de transport maritime non visés par d'autres dispositions du règlement n° 4056-86. Elles s'interrogent sur le contenu de cette catégorie de moyens de transport maritime autres que les navires.

176 En cinquième lieu, les requérantes estiment que le libellé de l'article 3 du règlement n° 4056-86, qui définit l'exemption par catégorie dont elles se prévalent, ne limite pas la portée de celle-ci au seul segment maritime du transport multimodal.

177 En effet, cette disposition indiquerait, comme objet de l'exemption, la fixation des prix et des conditions "du transport". Or, le transport multimodal serait caractérisé par un seul contrat de transport couvrant l'ensemble de l'opération. Interpréter l'exemption par catégorie de l'article 3 du règlement n° 4056-86 comme s'appliquant seulement à une partie des prix et des conditions d'un tel transport serait en contradiction totale avec la signification de l'expression prix et conditions "du transport".

178 Les requérantes relèvent que la Commission invoque, au considérant 73 de la décision attaquée, le libellé de l'entête de l'article 3 du règlement n° 4056-86, à savoir "Exemption des ententes entre transporteurs concernant l'exploitation de services réguliers de transport maritime". L'utilisation de ces termes serait toutefois simplement un rappel de ceux utilisés à l'article 1er paragraphe 1, du règlement n° 4056-86 et n'ajouterait rien à la signification qu'ils ont dans cette disposition.

179 En sixième lieu, les requérantes tirent argument de l'article 4 du règlement n° 4056-86 qui prévoit deux formes de discrimination par les prix : la discrimination selon le pays d'origine ou de destination des marchandises et la discrimination selon le port de chargement ou de déchargement. Elles concluent que ces deux formes alternatives de discrimination sont clairement prévues en vue de correspondre aux deux formes différentes que prennent les transport maritimes : la discrimination selon le pays d'origine ou de destination des marchandises concerne le transport multimodal et la discrimination selon le port de chargement ou de déchargement concerne les services de port à port.

180 L'article 4 du règlement n° 4056-86 serait donc manifestement destiné à traiter des problèmes de prix, dans le cadre du transport multimodal, qui comportent une discrimination déloyale selon le "pays d'origine ou de destination" de la marchandise, et ce même si la composante du fret relative au transport maritime n'est pas discriminatoire. Il s'agirait d'une indication supplémentaire que l'exemption de l'article 3 du règlement n° 4056-86 est destinée à s'appliquer aux tarifs du transport multimodal. Il serait significatif de noter que la Commission aurait négligé entièrement cet article 4 du règlement n° 4056-86.

181 En septième lieu, les requérantes tirent argument de l'article 5, paragraphe 1, du règlement n° 4056-86, qui dispose, dans son premier alinéa, que des consultations ont lieu en vue de trouver des solutions sur les questions de principe se posant entre les usagers, d'une part, et les conférences, d'autre part, "concernant les prix, les conditions et la qualité des services réguliers de transport maritime". L'interprétation donnée par la Commission à l'expression "services de transport maritime" exclurait toute obligation de consultation sur des sujets portant sur d'autres parties du transport. Etant donné que les transports maritimes multimodaux représenteraient la majorité de tous les services de transport maritime et que même les services de port à port incluraient des aspects autres que l'opération de transport maritime (par exemple la manutention au terminal), il serait très étonnant et fâcheux que le Conseil ait voulu exclure ces aspects de l'obligation de consultation.

182 En huitième lieu, les requérantes tirent argument de l'article 5, paragraphe 3, du règlement n° 4056-86, qui dispose :

"Pour les transports terrestres et les services à quai qui ne sont pas couverts par le fret ou les redevances sur le paiement desquels la compagnie maritime et l'usager se sont mis d'accord, les usagers auront la faculté de s'adresser aux entreprises de leur choix".

183 Elles estiment que, au travers de cette disposition, le Conseil admet que, dans certains cas, une compagnie et un usager puissent décider que les opérations de transport terrestre ou les services à quai sont couverts par le fret sur lequel ils se sont mis d'accord. Le règlement n° 4056-86 ne tenterait pas de modifier de tels accords. Par cette disposition, le Conseil reconnaîtrait donc clairement l'existence du transport multimodal couvert par un seul fret.

184 Elles relèvent que l'intention du Conseil était sans conteste que les conditions de transport prévues dans le cadre des conférences ne limitent pas le choix de l'usager quant au transporteur terrestre ou au fournisseur des services à quai, lorsque ces aspects ne sont pas couverts par le contrat de transport. Il serait clair que l'objet de cette disposition ne se rapporte pas entièrement à la concurrence sur les marchés des services de transport terrestre et sur ceux des services à quai. Si le champ d'application du règlement n° 4056-86 était réellement limité au segment maritime, l'article 5, paragraphe 3, dudit règlement n'aurait pas de fondement légal suffisant puisqu'il concernerait des domaines qui seraient entièrement en dehors du champ d'application du règlement n° 4056-86.

185 Elles critiquent, en conséquence, l'argumentation développée par la Commission aux considérants 86 à 88 de la décision attaquée.

186 En neuvième lieu, les requérantes tirent argument de l'article 5, paragraphe 4, du règlement n° 4056-86, qui dispose notamment que les tarifs mis à la disposition des usagers par les compagnies maritimes "préciseront en détail les services couverts par le fret au prorata de la partie maritime et de la partie terrestre du transport".

187 Elles relèvent que les termes " et de la partie terrestre du transport " ont été ajoutés par le Conseil dans la version finale du règlement n° 4056-86, mais ne figuraient pas dans la proposition de règlement (CEE) du Conseil déterminant les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes (JO C 282, p. 4. ci-après la "proposition de règlement de 1981"). Elles en concluent que le Conseil a envisagé les opérations de transport multimodal en adoptant le règlement n° 4056-86.

188 Elles critiquent, en conséquence, l'argumentation de la Commission, développée au considérant 87 de la décision attaquée, selon laquelle les paragraphes 3 et 4 de l'article 5 du règlement n° 4056-86 se rapportent non à un tarif fixé dans le cadre d'une conférence, mais aux conditions qui sont offertes par les différentes compagnies maritimes et contiennent simplement des obligations formelles à la charge des compagnies maritimes qui souhaitent bénéficier de l'exemption par catégorie, à savoir qu'elles sont obligées d'autoriser l'acheminement par le chargeur et qu'elles sont tenues de publier leurs propres conditions pour l'acheminement terrestre des marchandises.

189 Selon les requérantes, il serait difficile de comprendre comment la Commission peut soutenir que toutes les dispositions couvrant un transport terrestre réalisé par un transporteur maritime n'entrent pas dans le champ d'application du règlement n° 4056-86, tout en acceptant simultanément que l'article 5, paragraphe 3, du règlement n° 4056-86 peut, sans sortir du champ d'application dudit règlement, imposer dans ce domaine des obligations aux compagnies membres de conférences en ce qui concerne la transparence en matière de prix et la faculté pour les usagers de s'adresser aux entreprises de leur choix pour des transports terrestres.

190 En dixième lieu, les requérantes tirent argument de l'article 6 du règlement n° 4056-86, qui prévoit une exemption par catégorie pour certains "accords, décisions et pratiques concertés entre les usagers d'une part, et les conférences d'autre part, ainsi que les ententes entre usagers le cas échéant nécessaires à cette fin, qui portent sur les prix, les conditions et la qualité des services de lignes [...]".

191 Elles relèvent, à titre d'exemple d'un tel accord, celui passé entre le European Shipper Council et le Council of European and Japanese National Shipowners Associations sur les modes de calcul des frais de manutention au terminal dans les tarifs des conférences. Ces frais concerneraient clairement "les prix, les conditions et la qualité des services de lignes". Toutefois, si la Commission avait raison quant au champ d'application limité du règlement n° 4056-86, l'accord susvisé ne relèverait pas dudit règlement et donc de son article 6 auquel il serait clairement destiné à être soumis.

192 En onzième lieu, les requérantes tirent argument de la version anglaise du onzième considérant du règlement n° 4056-86, qui indique qu'il y a lieu d'assortir l'exemption de certaines charges ; que, à cet égard, les usagers doivent pouvoir à tout moment prendre connaissance des prix et conditions de transport pratiqués par les membres de la conférence étant entendu "qu'en matière de transports terrestres organisés par les transporteurs maritimes ceux-ci restent soumis au règlement (CEE) n° 1017-68" ("inland transport organised by shippers [...] continues to be subject to regulation n° 1017-68").

193 Elles estiment que l'emploi du terme "shippers", correspondant au terme français "chargeurs", implique que si, certes, les transports terrestres organisés par les chargeurs sont soumis au règlement n° 1017-68, ceux organisés par les transporteurs maritimes seraient couverts par le règlement 110 4056-86.

194 A supposer que l'argumentation de la Commission selon laquelle il est nécessaire, eu égard à certaines versions linguistiques de remplacer le terme "chargeur" par celui de "transporteur" pour donner un sens au considérant en cause, soit justifiée, cette argumentation ne viendrait pas à l'appui de la position de la Commission concernant le champ d'application du règlement n° 4056-86.

195 Elles rappellent que le onzième considérant de la proposition de règlement de 1981, dans sa version anglaise, utilisait exactement les mêmes termes que le règlement n° 4056-86, tels que visés ci-dessus. Elles déduisent de la circonstance que, durant plus de cinq ans de délibérations au sein des institutions communautaires au sujet de la proposition de règlement présenté en 1981, personne n'a remarqué la prétendue erreur de traduction, qu'il existait, à tout le moins, une certaine confusion au sein de la Commission quant à la détermination du champ d'application du règlement proposé.

196 Elles exposent que si l'intention des auteurs du règlement n° 4056-86 était bien d'exprimer, au onzième considérant dudit règlement, que, en matière de transports terrestres organisés par les transporteurs maritimes, ceux-ci restent soumis au règlement n° 1017-68, la signification de ces termes serait différente de celle que la Commission entend leur donner.

197 Elles considèrent, dans la requête, que, dans cette hypothèse, le onzième considérant du règlement n° 4056-86 évoque le fait que l'organisation du transport terrestre par les transporteurs maritimes (c'est-à-dire les accords conclus entre les compagnies maritimes et les transporteurs terrestres) en vue de l'exécution de l'acheminement terrestre des marchandises dans le cadre du service de transport multimodal demeure soumise au règlement n° 1017-68. En revanche, lorsque les transporteurs interviennent dans le cadre des conférences pour définir des accords sur le transport terrestre, le règlement n° 4056-86 s'appliquerait afin de maintenir l'intégrité au tarif multimodal des opérations de la conférence).

198 Dans la réplique, elles considèrent que, dans cette hypothèse, l'interprétation correcte du règlement n° 4056-86 est que si les transporteurs maritimes fournissent des services de transport terrestre en tant que service distinct, le règlement n° 1017-68 trouvera à s'appliquer comme il trouverait à s'appliquer à une entente entre des compagnies maritimes portant sur les prix d'achat des services de transport terrestre auprès d'entreprises de transport terrestre. En revanche, quand les transporteurs maritimes fournissent un service de transport terrestre en tant que partie intégrante de leur service de transport multimodal, le règlement n° 4056-86 serait applicable.

199 Elles ajoutent que le contexte dans lequel le règlement n° 4056-86 a été adopté confirme que cette dernière interprétation est la plus probable. En effet, en 1984, deux ans seulement avant l'adoption du règlement n° 4056-86, les Etats-Unis auraient adopté le Shipping Act dans lequel ils auraient, d'une part, accordé aux conférences une exemption au titre de la législation antitrust pour ce qui est de la fixation de tarifs pour le transport multimodal appliqués aux chargeurs, tout en continuant à appliquer la législation antitrust aux conditions dans lesquelles les compagnies achètent les services de transport terrestre aux fournisseurs de transports routier et ferroviaire. Cet objectif aurait été recommandé avec insistance aux Etats-Unis par le groupe consultatif du transport maritime (Consultative Shipping Group) comprenant les principaux États membres de la Communauté ayant des intérêts majeurs dans le transport maritime, le Japon et la Norvège.

200 Elles estiment qu'il serait très surprenant que ces mêmes Etats membres n'aient pas adopté une position similaire sur la façon dont le droit communautaire de la concurrence devait être appliqué dans le domaine concerné.

201 Les requérantes estiment que, au vu de l'analyse de texte détaillée à laquelle elles ont procédé, il ne fait pas de doute que la Commission s'est trompée en interprétant les termes du règlement n° 4056-86.

202 L'argumentation des requérantes ne méconnaîtrait le principe, énoncé dans les conclusions de l'avocat général M. Van Gerven sous l'arrêt de la Cour du 28 février 1991, Delimitis (C-234-89. Rec p. 1-935, 1-952), selon lequel une exemption par catégorie, qui constitue déjà par elle-même une dérogation à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité doit être interprétée d'une façon restrictive.

203 L'approche adéquate serait de déterminer le champ d'application du règlement n° 4056-86 par référence à la notion d'activité essentielle. Ainsi, lorsqu'une activité est simplement accessoire par rapport à l'activité essentielle, l'ensemble des activités devrait être régi par le règlement qui s'applique à l'activité essentielle. Par exemple, si un transporteur offre un service de porte à porte de Munich à Chicago l'activité première serait le transport maritime, par rapport auquel le transport terrestre et les services au port seraient secondaires. L'approche adéquate et de bon sens serait de soumettre ces services au règlement n° 4056-86 et non à une multiplicité de règlements.

204 Les requérantes rejettent l'argument de la Commission, présenté au point 79 de son mémoire en défense, tiré de l'avis positif rendu à l'unanimité par le comité consultatif des Etats membres sur les conclusions de la Commission concernant la définition du marché, l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité et le champ d'application du règlement n° 4056-86. En effet, la Commission aurait refusé de fournir aux requérantes une copie de ce document, malgré une demande écrite.

205 Les requérantes récusent l'argument présenté par la Commission dans le cadre de sa conclusion générale sur l'ensemble des arguments textuels, tiré de ce que le Parlement a, au cours de la procédure législative, proposé un amendement prévoyant que l'exemption de groupe s'applique aussi au transport intermodal. Elles estiment qu'il ne peut être tiré de conclusions certaines du motif de rejet de cet amendement. D'une part, l'interprétation d'un acte du Conseil ne devrait pas reposer sur des conclusions tirées du motif de l'adoption ou de la non-adoption d'un amendement particulier. D'autre part, si la portée du règlement n° 4056-86 est celle que les requérantes défendent, l'amendement n'aurait rien ajouté à la portée de l'article 3 dudit règlement et aurait été purement déclaratoire, voire inutilement redondant. Il serait donc parfaitement plausible que le rejet de l'amendement du Parlement s'explique par l'inutilité de celui-ci.

206 Les requérantes réfutent largument d'ECTU, tiré de ce que le champ d'application ratione materiae du règlement n° 4056-86 est déterminé par le choix délibéré des articles 84, paragraphe 2, et 87 du traité (devenus, après modifications, article 80, paragraphe 2, et 83 CE) en tant que base juridique de cet acte, et dès lors limité aux seuls services de transport maritime, à l'exclusion du transport multimodal. En effet, le législateur communautaire se serait appuyé sur un seul article du traité en matière de "transports" parce que le champ d'application du règlement n° 4056-86 englobe le transport multimodal, composé d'un segment maritime et de services terrestres auxiliaires incluant le transport terrestre.

207 L'ECSA fait sien les huitième et neuvième arguments des requérantes, tirés de l'article 5, paragraphes 3 et 4, du règlement n° 4056-86. Elle en déduit que les conférences maritimes sont habilitées à fixer les tarifs de transports combinés comportant une partie maritime et une partie terrestre, donc des transports multimodaux.

208 L'ECSA estime que si, comme le prétend la Commission, l'article 3 du règlement n° 4056-86 ne couvre pas la fixation des prix des services de transport multimodal, il ne serait pas nécessaire d'indiquer que les accords portant fixation des tarifs des conférences exemptés par cet article 3 doivent, pour pouvoir bénéficier de cette exemption, "préciser en détail les services couverts par le fret au prorata de la partie maritime et de la partie terrestre du transport" (article 5, paragraphe 4, du règlement n° 4056-86). En effet, si la Commission avait raison, les conférences ne seraient, en vertu de l'article 3 du règlement n° 4056-86, pas habilitées à fixer des prix couvrant une partie quelconque du transport terrestre.

209 L'ECSA récuse largument de la Commission, tiré de ce que la référence faite dans l'article 5, paragraphe 4, du règlement n° 4056-86 aux tarifs doit s'interpréter comme une référence aux tarifs individuels des membres d'une conférence. Selon l'ECSA, cette interprétation, d'une part, ne peut se concilier avec le contexte général du règlement n° 4056-86, lequel, en se référant à des tarifs, viserait toujours le tarif d'une conférence et, d'autre part, est illogique au regard de la pratique antérieure des conférences, qui fixaient des tarifs pour l'ensemble du service de transport multimodal.

d) La décision attaquée ne serait pas compatible avec les principes généraux du droit communautaire applicables à la détermination de la portée de la législation communautaire

210 Les requérantes soutiennent que dans d'autres domaines du droit communautaire, l'approche générale en matière d'interprétation est de négliger les activités accessoires par rapport à l'activité principale pour déterminer la législation applicable. Ainsi, en matière de marchés publics de travaux, la Cour aurait dit pour droit qu'un contrat mixte qui porte à la fois sur l'exécution de travaux et une cession de biens ne relève pas du champ d'application de la directive 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5), si l'exécution des travaux présente "seulement un caractère accessoire" par rapport à la cession de biens (activité qui ne relève pas du champ d'application de la directive) (arrêt de la Cour du 19 avril 1994, Gestión Hotelera Internacional, C-331-92, Rec. p. 1-1329). De même, dans l'arrêt du 11 juin 1991, Commission/Conseil (C-300-89, Rec. p. 2867), la Cour aurait dit pour droit qu'une double base juridique était inappropriée lorsque les deux dispositions du traité invoquées prévoyaient des procédures différentes. Dans de tels cas, il faudrait faire un choix quant à la caractéristique principale des mesures en cause, seul critère qui devrait déterminer les règles applicables.

211 Elles relèvent que la Commission a adopté une approche similaire dans le passé. Ainsi, dans la décision 85-202-CEE de la Commission, du 19 décembre 1984, relative à une procédure d'application de l'article 85 du Traité CEE (IV-29.725 Pâte de bois) (JO 1985, L 85, p. 1) et dans la décision 94-815-CE de la Commission, du 30 novembre 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du Traité CE (Affaire IV/33.126 et 33.322 - Ciment) (JO L 343. p. 1) cette institution serait intervenue sur la base du seul règlement n° 17, bien que les ventes réalisées ou conclues en vertu des accords interdits incluaient un élément significatif de transport.

212 Les requérantes en concluent que le critère approprié pour déterminer le règlement applicable, dans l'hypothèse où plusieurs règlements pourraient s'appliquer, consiste à tenir compte du règlement qui est le plus étroitement et le plus logiquement lié à l'activité essentielle en cause. En procédant de la sorte, lorsqu'une "chaîne multimodale de services de transport" est proposée d'une façon telle que l'activité maritime apparaît prépondérante, le règlement n° 4056-86 s'appliquerait. Dans le cas contraire, lorsque les services de transport en cause sont majoritairement terrestres, le règlement n° 1017-68 s'appliquerait.

213 Les requérantes soutiennent que si cette approche n'est pas suivie, les opérateurs de transports pourraient, dans le souci de demeurer dans le champ d'application de l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 4056-86, être poussés à recourir de façon artificielle à des navires pour effectuer des transports, qui auraient pu l'être par voie terrestre, entraînant une réduction des fréquences et une augmentation des délais de transit au préjudice des usagers.

214 L'ECSA rappelle que lorsqu'un texte communautaire se prête à deux interprétations, dont une seule permet de lui donner un effet utile, il faut donner la préférence à cette dernière interprétation (arrêt de la Cour du 16 janvier 1974, Rheinmdhlen, 166-73, Rec. p. 33, point 2). Elle en conclut qu'il y a lieu de donner la préférence, en cas de doute, à une interprétation reconnaissant au règlement n° 4056-86 un "effet utile", et de retenir en conséquence que le transport multimodal entre dans le champ d'application du règlement en tant qu'activité liée au transport maritime.

215 L'ECSA fonde cette conclusion sur trois considérations. En premier lieu, elle observe que si le transport multimodal nétait pas couvert par le règlement n° 4056-86, seul un très petit nombre de conférences, voire même aucune, bénéficieraient de l'exemption de groupe prévue à l'article 3 de ce règlement. En effet, la quasi-totalité des conférences maritimes offriraient en Europe des services de transport multimodal et s'accorderaient sur la fixation des prix pour cette catégorie de transports, en y incluant la partie terrestre de ceux-ci. En deuxième lieu, si les conférences maritimes n'étaient pas autorisées à fixer les prix des services de transport multimodal, elles ne seraient pas en mesure d'assumer leur rôle stabilisateur sur le marché, comme la Commission l'aurait elle-même reconnu au considérant 136 de la décision attaquée. En troisième lieu, elle rappelle que le troisième considérant du règlement n° 4056-86 précise que ce dernier doit tenir compte de la Convention des Nations unies relative à un Code de conduite des conférences maritimes, adoptée le 6 avril 1974 et entrée en vigueur le 6 octobre 1983 (ci-après le "Code de conduite"). Or, elle relève que selon le rapport du 14 août 1986 du secrétariat des Nations unies sur la mise en œuvre dudit code, "il ressort de différentes discussions avec les parties contractantes que la question de l'application des dispositions du [Code de conduite] aux services de transports multimodaux ne donne généralement pas lieu à controverse".

e) La décision attaquée ne serait pas compatible avec l'interprétation donnée à des expressions identiques dans d'autres règlements sectoriels dans le domaine des transports

216 Les requérantes soutiennent que leur thèse, tirée de ce que le champ d'application du règlement n° 4056-86 s'étend aux services de transport multimodal des compagnies maritimes est confirmée par l'approche suivie dans d'autres règlements sectoriels.

217 En premier lieu, elles se réfèrent au règlement (CEE) n° 141-62 du Conseil, du 26 novembre 1962, portant non-application du règlement n° 17 du Conseil au secteur des transports (JO 1962, 124, p. 2751), dont l'article 1er dispose que le règlement n° 17 ne s'applique pas "aux accords [...] dans le secteur des transports". Elles déduisent des termes de cet article et des considérants du règlement que le terme "secteur" correspond aux seules entreprises fournissant des services de transport, par opposition aux usagers.

218 En deuxième lieu, elles se réfèrent au règlement n° 1017-68, pour déduire de ses articles 1er, 3, 4 et 5, qu'il ne s'applique qu'aux accords passés entre des entreprises de transport et à leurs pratiques.

219 En troisième lieu, elles se réfèrent au règlement (CEE) n° 3976-87 du Conseil du 14 décembre 1987 concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, à des catégories d'accords et de pratiques concertés dans le domaine des transports aériens (JO L 374, p. 9), qui s'applique, en vertu de son article 1er "aux transports aériens internationaux entre aéroports de la Communauté". Elles rapprochent ces termes de ceux utilisés dans le règlement n° 4056-86 qui s'applique, en vertu de son article 1er, paragraphe 2, "aux transports maritimes internationaux au départ ou à destination d'un ou de plusieurs ports de la Communauté". Elles relèvent que le champ d'application du règlement n° 3976-87 s'étend aussi, en vertu de son article 2, aux services auxiliaires, à savoir, notamment, l'exploitation en commun de systèmes de réservation informatisés, les opérations techniques et opérationnelles au sol dans les aéroports ou les services permettant d'assurer la restauration en vol. Elles concluent que la Commission a, dans ce règlement, adopté en 1987, considéré que le "transport aérien international entre des aéroports de la Communauté" inclut des services auxiliaires. Il serait dès lors quasi-inconcevable et du moins contradictoire que la Commission ait considéré moins d'un an avant, lors de l'adoption du règlement n° 4056-86, que le transport maritime au départ ou à destination d'un ou de plusieurs ports de la Communauté ne s'étendrait pas au segment terrestre du transport multimodal fourni par les compagnies.

220 En quatrième lieu, elles se réfèrent au projet de règlement (CE) de la Commission concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du Traité CE, à certaines catégories d'accords, de décisions et de pratiques concertées entre compagnies maritimes de ligne (consortia) (JO 1994. C 63, p. 8) et exposent que celui-ci comporte notamment dans ses cinquième, sixième et quinzième considérants et dans son article 3, des références claires montrant que les services de transport maritime incluent les services auxiliaires qui sont rattachés directement à l'offre de transports maritimes. Cette interprétation serait confirmée par une déclaration faite à Rotterdam, le 20 juin 1994, par le commissaire responsable de la concurrence.

221 En cinquième lieu, elles se réfèrent à l'arrêt du 6 juin 1995, Union internationale des chemins de fer/Commission (T-14-93, Rec. p. 11-1503, notamment points 56 et 57), dans lequel le Tribunal a annulé la décision de la Commission appliquant le règlement n° 17 aux activités d'agents de voyages dans le secteur du transport ferroviaire. Elles exposent que le Tribunal a estimé que la conclusion, en tant que mandataire, d'un contrat de transport doit être considérée comme faisant partie des opérations des auxiliaires de transport. Mutatis mutandis, il apparaîtrait clairement que le Tribunal considère que lorsqu'une activité auxiliaire est indispensable pour la mise en œuvre de l'activité principale, elle ne doit pas être prise en considération en vue de déterminer le règlement applicable. Par analogie, l'acheminement terrestre des marchandises par le transporteur maritime étant un service auxiliaire par rapport à l'exploitation principalement maritime du transport multimodal, il ne serait pas pertinent pour déterminer le règlement approprié. Il en découlerait que la simple réalisation de l'acheminement terrestre des marchandises par le transporteur maritime dans une chaîne d'opérations de transport multimodal, qui seraient essentiellement de nature maritime, naffecte pas la conclusion selon laquelle le règlement n° 4056-86 s'applique aux activités des requérantes. Les requérantes en concluent que la Commission a commis une erreur de droit en appliquant le règlement n° 1017-68 aux activités de la FEFC.

f) La décision attaquée serait source d'insécurité juridique et d'incohérence procédurale

222 Les requérantes exposent que si la réalisation d'une seule opération de transport multimodal devait être ventilée artificiellement entre des secteurs séparés, une seule et même activité économique pourrait être soumise jusqu'à trois règlements différents, à savoir les règlements n° 17, n° 1017-68 et n° 4056-86.

223 Cette situation serait contraire au principe de sécurité juridique, selon lequel l'application de la loi à une situation spécifique doit être prévisible, ledit principe constituant un aspect fondamental de nombreux systèmes juridiques ainsi qu'un principe général du droit communautaire. Le fait que différents règlements s'appliquent à une seule activité économique entraîne une insécurité juridique. La nécessité d'éviter cette insécurité aurait été reconnue par le règlement n° 1017-68 qui applique expressément les règles de concurrence aux accords dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable.

224 Cette situation entraîne également des incohérences procédurales. En premier lieu, les requérantes signalent que le règlement n° 17 donne à la Commission le pouvoir de délivrer des attestations négatives, ce qui ne serait pas prévu par le règlement n° 1017-68, et les règlements procéduraux s'y rattachant, et ce qui serait expressément exclu par le règlement n° 4056-86. En deuxième lieu, elles relèvent que les entreprises qui notifient des accords en application des règlements n° 17 et n° 4056-86 bénéficient d'une protection en matière damendes, immunité qui ne serait pas expressément prévue par le règlement n° 1017-68, la Commission ayant toutefois démenti que cette immunité soit exclue en cette matière. En troisième lieu, elles exposent que les règlements n° 1017-68 et n° 4056-86 prévoient, contrairement au règlement n° 17, une procédure d'opposition. Les procédures prévues par les règlements n° 1017-68 et n° 4056-86 seraient substantiellement différentes. En particulier, une exemption individuelle accordée en application du règlement n° 1017-68 serait au maximum valable pour trois ans, contre six ans dans le cadre du règlement n° 4056-86, et le rôle accordé aux Etats membres serait plus important dans le cadre du règlement n° 4056-86 que dans le règlement n° 1017-68. En quatrième lieu, le règlement n° 1017-68 réserverait, dans son article 17, un rôle consultatif spécial au Conseil, non prévu par les règlements n° 17-62 et n° 4056-86. En cinquième lieu, elles observent que les règlements n° 1017-68 et n° 4056-86 prévoient qu'une exemption individuelle peut rétroagir à une date antérieure à celle de la demande d'exemption, possibilité non prévue par le règlement n° 17. En sixième lieu, elles remarquent que la Commission est, en application des règlements n° 1017-68 et n° 4056-86, tenue d'envisager l'octroi d'une exemption individuelle à un accord qui n'a pas été notifié, même lorsqu'elle agit sur plainte ou de sa propre initiative, alors que, dans le cadre du règlement n° 17 elle ne peut pas accorder d'exemption individuelle à une entreprise si elle n'a pas reçu de notification. En septième lieu, le règlement n° 17 obligerait les entreprises à notifier les accords en faveur desquels elles souhaitent recevoir une exemption individuelle, alors qu'elles n'y seraient pas tenues en vertu des règlements n° 1017-68 et n° 4056-86.

g) La décision attaquée ne serait pas conciliable avec le raisonnement suivi par le Conseil dans le règlement n° 4056-86 quant à l'octroi d'une exemption par catégorie aux conférences

225 Les requérantes soutiennent que l'interprétation de la Commission est contradictoire avec la raison dêtre de l'exemption par catégorie. Rares seraient les conférences, pour autant qu'il y en existe, qui n'établissent pas de tarif pour le transport multimodal. L'approche de la Commission signifierait qu'aucun des bénéficiaires envisagés de l'exemption par catégorie prévue à l'article 3 du règlement n° 4056-86 n'est à même de se prévaloir de ladite exemption. Or, ni la Commission, ayant élaboré la proposition de règlement en 1981, ni le Conseil en adoptant le règlement n° 4056-86 ne pourraient avoir eu cette intention. Cette question aurait été abordée au cours de l'audition. La Commission aurait omis de répondre à cet argument dans la décision attaquée.

h) La décision attaquée méconnaîtrait les caractéristiques distinctives du secteur des transports

226 Les requérantes soutiennent qu'il résulte des articles 3, sous f), 75 et 78 du Traité CE (devenus articles 3, sous f), 71 et 74, CE) que les caractéristiques distinctives et spéciales de l'industrie du transport exigent que ce secteur fasse l'objet d'un traitement particulier. Dans le cadre de l'application des règles de concurrence à l'industrie des transports, les caractéristiques distinctives ou spéciales de cette industrie seraient les principales raisons pour lesquelles le Conseil adopterait des règlements séparés et sectoriels pour chacun des modes génériques de transport (maritime, terrestre et aérien). L'approche de la Commission irait à l'encontre de cette considération fondamentale.

i) L'arrêt de la Cour du 5 octobre 1995, Centro Servizi Spediporto (C-96-94, Rec. p. I-2883) cité par la Commission ne serait pas pertinent en l'espèce

227 Les requérantes et l'ECSA récusent la référence faite par la Commission dans la duplique (points 32 et suivants) à l'arrêt Centro Servizi Spediporto, précité, dans lequel la Cour a déclaré que le règlement (CEE) n° 4055-86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre Etats membres et entre Etats membres et pays tiers (JO L 378, du 31 décembre 1986, p. 1) ne s'applique pas au transport par route de marchandises débarquées d'un navire dans le cadre d'une opération de transport multimodal, la Commission en déduisant, par analogie, que le règlement n° 4056-86, qui fait partie du même ensemble de mesures, a le même champ d'application.

228 Elles considèrent que l'interprétation donnée par la Cour du champ d'application du règlement n° 4055-86 ne peut pas être transposée au règlement n° 4056-86. Elles observent que ces deux règlements présentent d'importantes différences. En premier lieu, leur objet serait différent. Le règlement n° 4055-86 constituerait une mesure destinée à empêcher les pays tiers de refuser ou de contrôler l'accès au transport maritime international. Il n'y aurait donc aucune raison pour qu'il régisse la partie terrestre des services de transport multimodal. En revanche, le règlement n° 4056-86 viserait à appliquer les règles de concurrence à l'industrie du transport maritime. Il serait dès lors plausible qu'il régisse les services de transport multimodal incluant ses éléments terrestres, qui ont constitué pendant de nombreuses années précédant son adoption une activité de cette industrie. En deuxième lieu, dans l'arrêt Centro Servizi Spediporto, précité, la Cour aurait fondé son interprétation sur l'article 1er, paragraphe 4, point a), du règlement n° 4055-86, définissant les services de transport maritime aux fins de l'application du règlement comme le "transport de voyageurs ou de marchandises par mer entre un port d'un État membre et un port ou une installation offshore d'un autre Etat membre". Il ne serait donc pas surprenant que, sur la base de cette disposition, la Cour décide, au point 51 de cet arrêt, que le service de transport maritime, au sens [du] règlement [4055-86], cesse à l'arrivée au port ou à l'installation offshore et ne s'étend donc pas au transport par route de marchandises débarquées du navire". En revanche, une extension par analogie de cette solution au règlement n° 4056-86 ne serait pas possible, dans la mesure où ce dernier définirait son champ d'application dans des termes différents.

229 La Commission et l'intervenante ECTU soutiennent que le moyen pris de la violation de l'article 3 du règlement 4056-86 n'est pas fondé.

B - Appréciation du Tribunal

230 Les requérantes soutiennent, en substance, que l'accord en cause bénéficie de l'exemption par catégorie prévue par l'article 3 du règlement n° 4056-86 et que c'est à tort que la Commission l'a examiné dans le cadre du règlement n° 1017-68.

231 L'exemption par catégorie prévue par l'article 3 du règlement n° 4056-86 ne pouvant s'appliquer qu'aux seuls accords relevant du règlement n° 4056-86, il convient, en premier lieu, de vérifier si l'accord de fixation de prix conclu entre les membres de la FEFC pour les services de transport terrestre fournis en combinaison avec d'autres services dans le cadre d'une opération de transport multimodal entre dans le champ d'application dudit règlement.

232 Il convient de rappeler que l'article 1er du règlement n° 4056-86, qui a pour intitulé "objet et champ d'application du règlement", prévoit, en son paragraphe 1, que le "présent règlement détermine les modalités d'application aux transports maritimes des articles 85 et 86 du traité". Ne relèvent donc du règlement n° 4056-86 que les ententes et abus de position dominante relatifs aux "transports maritimes".

233 À cet égard, il convient de rappeler, d'abord, qu'il a été constaté, dans le cadre du premier moyen, que les services de transport terrestre en cause constituent un service distinct des services de transport maritime.

234 Force est de constater, ensuite, que, selon le sens commun, les termes "transports maritimes" désignent précisément le transport par mer. Contrairement à ce qu'avancent les requérantes, rien ne justifie d'interpréter les termes "transports maritimes", comme comprenant également le transport terrestre, consistant dans le pré- ou le postacheminement des conteneurs, fournis en combinaison avec d'autres services dans le cadre d'une opération de transport multimodal.

235 Le sens de l'expression "transports maritimes" étant clair, il y a lieu de considérer que si le Conseil avait voulu inclure dans cette expression d'autres services assurés conjointement avec le transport maritime, tel le pré- ou postacheminement terrestre des marchandises, il l'aurait, ainsi que l'a d'ailleurs fait le législateur américain, expressément mentionné.

236 Or, loin d'avoir prévu une telle extension du champ d'application du règlement n° 4056-86 au transport terrestre, son article 1er, paragraphe 2 précise, au contraire, que ce dernier "ne vise que les transports maritimes internationaux au départ ou à destination d'un ou de plusieurs ports de la Communauté autres que les services de tramp".

237 Il ressort donc du libellé même dudit article que le pré- ou postacheminement terrestre des marchandises ne relève pas du champ d'application du règlement n° 4056-86, puisque celui-ci ne vise que les services de transport maritime de ports à ports.

238 À cet égard, l'interprétation des requérantes, selon laquelle ledit article n'aurait d'autre objet que de préciser que le règlement n° 4056-86 s'applique aux catégories de transports maritimes qui sont "internationaux" et qui, donc, s'effectuent entre États membres ou entre la Communauté et un pays tiers, est manifestement dépourvue de fondement en ce qu'elle ignore les termes "au départ ou à destination d'un ou de plusieurs ports" y figurant. En outre, le sixième considérant du règlement n° 4056-86 sur lequel s'appuie cette interprétation, se réfère à nouveau explicitement, quoique dans le cadre spécifique de la condition de l'affectation du commerce entre États membres, aux transports maritimes "au départ ou à destination de ports de la Communauté". Ce considérant confirme, dès lors, l'inapplicabilité du règlement n° 4056-86 aux services de transport terrestre consistant dans le pré- ou le postacheminement des marchandises.

239 Il convient d'ailleurs de rappeler que, dans son arrêt du 5 octobre 1995, Centro Servizi Spediporto, précité, la Cour, interrogée sur la question de savoir si le règlement (CEE) n° 4055-86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers (JO L 378, p. 1) s'applique aux segments terrestres dans le cadre d'une opération de transport multimodal, a jugé que le service de transport maritime cesse à l'arrivée au port ou à l'installation offshore et ne s'étend donc pas au transport par route de marchandises débarquées du navire.

240 C'est à tort que les requérantes soutiennent que la solution adoptée par la Cour dans cet arrêt n'est pas transposable en l'espèce. Le règlement n° 4055-86 faisant partie du même ensemble de mesures et ayant été adopté le même jour que le règlement n° 4056-86, il n'est pas concevable que le Conseil ait voulu définir des champs d'application différents pour les deux règlements précités. À tout le moins, si le Conseil avait eu l'intention que le règlement n° 4056-86 ait un champ d'application beaucoup plus large que celui du règlement n° 4055-86, il l'aurait précisé expressément et n'aurait pas défini le champ d'application des deux règlements précités en utilisant la même expression "transports maritimes". La circonstance que les deux règlements ont un objet différent est dénuée de pertinence dans le cadre de la problématique consistant à dégager la signification des termes "transports maritimes". En outre, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le règlement n° 4055-86 ne constitue pas une mesure destinée à empêcher les pays tiers de refuser l'accès au transport maritime international, mais vise, ainsi qu'il ressort de son intitulé même, à assurer la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres, et entre États membres et pays tiers, de sorte que l'argument, selon lequel le Conseil souhaitait que sa législation couvre toutes les activités des conférences maritimes, s'applique tout autant au règlement n° 4055-86 qu'au règlement n° 4056-86. Enfin, l'argument des requérantes selon lequel l'interprétation donnée par la Cour au règlement n° 4055-86 résulte de la circonstance spécifique que l'article 1er, paragraphe 4, sous a), de ce dernier règlement définit les services de transport maritime comme étant ceux "par mer entre un port d'un État membre et un port ou une installation offshore d'un autre État membre" est également dénué de pertinence, dès lors que l'article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 4056-86 définit également, dans des termes quasi-identiques, les transports maritimes visés comme étant ceux "au départ ou à destination d'un ou de plusieurs ports de la Communauté".

241 Il apparaît ainsi que le champ d'application du règlement n° 4056-86 est limité au seul transport maritime proprement dit, c'est-à-dire au transport par mer, de port à port, et ne couvre pas les services de pré- ou de postacheminement terrestre des marchandises fournis en combinaison avec d'autres services dans le cadre d'une opération de transport multimodal.

242 En deuxième lieu, il ressort clairement du onzième considérant du règlement n° 4056-86 que le Conseil n'a pas entendu étendre l'exemption par catégorie prévue par l'article 3 dudit règlement aux accords relatifs aux services de transport terrestre, consistant dans le pré- ou le postacheminement des marchandises, fournis en combinaison avec d'autres services dans le cadre d'une opération de transport multimodal. En effet, selon le onzième considérant "les usagers doivent pouvoir à tout moment prendre connaissance des prix et des conditions de transport pratiqués par les membres de la conférence étant entendu qu'en matière de transport terrestre organisé par les transporteurs maritimes, ceux-ci restent soumis au règlement (CEE) n° 1017-68".

243 Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la circonstance que la version anglaise du règlement n° 4056-86 mentionne le terme "shippers" (chargeurs) à la place de celui de "shipping lines" (transporteurs maritimes) n'est pas pertinente car elle ne peut, manifestement, résulter que d'une erreur de traduction. En effet, non seulement toutes les autres versions linguistiques mentionnent, à l'instar de la version française, "les transporteurs maritimes", mais en outre, la phrase, telle qu'elle figure dans la version anglaise, n'a guère de sens et il n'y a aucune raison qu'elle figure dans un règlement relatif au transport maritime.

244 De même, l'allégation subsidiaire des requérantes selon laquelle, dans l'hypothèse où le onzième considérant viserait effectivement les "transporteurs maritimes" et non les "chargeurs", signifierait simplement que les accords conclus entre les compagnies maritimes et les transporteurs terrestres sont soumis au règlement n° 1017-68, doit être manifestement rejetée. D'une part, le onzième considérant, tel qu'interprété par les requérantes, n'aurait aucun sens, la circonstance que les compagnies maritimes s'entendent sur le prix d'achat des services de transport terrestre n'ayant aucun lien avec la nécessité pour les usagers de pouvoir, à tout moment, "prendre connaissance des prix et conditions de transport pratiqués pas les membres de la conférence". D'autre part, l'exemption prévue à l'article 3 du règlement n° 4056-86 pour la "fixation des prix et des conditions de transport" ne pouvant viser que la détermination des prix de vente du transport maritime et non la négociation d'un prix d'achat pour un autre type de transport, il était inutile de prévoir que les transporteurs maritimes ne peuvent s'entendre sur le prix d'achat du transport terrestre.

245 En troisième lieu, il convient de relever que la définition de la conférence maritime figurant à l'article 1er, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 4056-86, se réfère aux transporteurs exploitants de navires qui "opèrent en appliquant des taux de fret uniformes ou communs et toutes autres conditions de transport concertés pour la fourniture des services réguliers". De même, l'exemption prévue par l'article 3 du règlement n° 4056-86 concerne, selon l'intitulé dudit article, les "ententes entre transporteurs concernant l'exploitation de services réguliers de transport maritime".

246 Or, les services de transport terrestre de conteneurs offerts dans le cadre d'une opération de transport multimodal en cause ne constituent pas des "services réguliers" au sens des dispositions précitées. En effet, ils ne sont pas, à la différence des services de transport maritime, organisés selon un itinéraire et un horaire réguliers et prédéterminés. Il s'ensuit qu'un accord de fixation des prix des services de transport terrestre ne peut bénéficier de l'exemption par catégorie prévue par l'article 3 du règlement n° 4056-86.

247 En quatrième lieu, il convient de relever que l'article 3 du règlement n° 4056-86, qui énumère les objectifs que peuvent avoir les accords des conférences maritimes bénéficiant de l'exemption par catégorie, ne mentionne pas, parmi ceux-ci, les accords concernant des activités relatives aux transports terrestres, consistant dans le pré- ou postacheminement des marchandises, développées en combinaison avec d'autres services dans le cadre d'une opération de transport multimodal, mais ne vise, au contraire, que des activités spécifiquement maritimes telles que, par exemple, la coordination des horaires des navires ou de leurs dates de voyage ou d'escale, la détermination de la fréquence des voyages ou escales, la coordination ou la répartition des voyages ou escales entre membres de la conférence. De même, l'intitulé de l'article 3 se réfère uniquement aux services de transport maritime.

248 Il y a lieu de rappeler, en cinquième lieu, que, au cours de la procédure législative qui a débouché sur l'adoption du règlement n° 4056-86, tant le Parlement que le Comité économique et social ont proposé un amendement prévoyant que l'exemption s'appliquerait aussi aux services de transport terrestre, consistant dans le pré- ou postacheminement des marchandises, fournis en combinaison avec d'autres services dans le cadre d'une opération de transport multimodal. Or, cette proposition n'a pas été reprise par le Conseil. L'argumentation des requérantes selon laquelle le Conseil a estimé inutile de se conformer à ces propositions au motif qu'il considérait que le segment terrestre du transport multimodal était déjà inclus dans le transport maritime ne saurait être suivie. D'une part, elle implique que soit conféré aux termes "transports maritimes" une signification beaucoup plus large que celle correspondant au sens commun. La circonstance que tant le Parlement que le Comité économique et social, appelés à donner leur avis sur la proposition de règlement, aient tous deux estimé nécessaire que soit ajouté la précision que l'exemption visait également les accords relatifs aux services de transport terrestre, consistant dans le pré- ou postacheminement des marchandises, fournis avec d'autres services dans le cadre d'une opération de transport multimodal, montre indiscutablement que les segments terrestres ne peuvent être considérés comme étant visés par l'expression "transports maritimes". D'autre part, en raison de ces propositions du Parlement et du Comité économique et social, la sécurité juridique requérait que le Conseil, s'il avait souhaité étendre le bénéfice de l'exemption par catégorie aux accords portant sur la partie terrestre du transport multimodal, l'indique expressément.

249 En sixième lieu, l'inapplicabilité à l'accord en cause de l'exemption par catégorie prévue par l'article 3 du règlement n° 4056-86 ressort également d'une déclaration du Conseil du 17 décembre 1991, citée par les requérantes elles-mêmes, dans laquelle celui-ci indique qu'il examinera la question de savoir s'il y a lieu de faire bénéficier les accords sur les prix et les conditions du transport terrestre dans le cadre du transport multimodal d'une exemption par catégorie. Cette déclaration, émise cinq ans après l'adoption du règlement n° 4056-86, confirme également que le Conseil, même s'il était sensible à la problématique du transport multimodal, voire enclin, le cas échéant, à faire bénéficier d'une exemption par catégorie les accords relatifs aux services de pré- ou postacheminement terrestre des marchandises fournis avec d'autres services dans le cadre d'une opération de transport multimodal, considérait manifestement que ces accords n'étaient pas couverts par l'exemption par catégorie prévue par l'article 3 du règlement n° 4056-86.

250 En septième lieu, la Commission a expressément indiqué, page 5 de son mémorandum explicatif de la proposition de règlement de 1981, qu'il a été tenu compte, notamment, du fait que le règlement en question ne devait s'appliquer qu'à un seul mode de transport.

251 En huitième lieu, l'inapplicabilité de l'exemption prévue par l'article 3 du règlement n° 4056-86 aux accords de fixation de prix des services de transport terrestre fournis dans le cadre de services de transport multimodal résulte également des principes généraux d'interprétation.

252 En effet, selon une jurisprudence constante, compte tenu du principe général d'interdiction des ententes anticoncurrentielles édicté par l'article 85, paragraphe 1, du traité, les dispositions à caractère dérogatoire insérées dans un règlement d'exemption doivent, par nature, faire l'objet d'une interprétation restrictive (arrêt du Tribunal du 22 avril 1993, Peugeot/Commission, T-9-92, Rec. p. II-493, point 37; conclusions de l'avocat général M. Van Gerven sous l'arrêt de la Cour du 28 février 1991, Delimitis, C-234-89, Rec. p. I-935). Tel doit également être le cas des dispositions du règlement n° 4056-86 qui exemptent certains accords de l'interdiction énoncée à l'article 85, paragraphe 1, du traité, l'article 3 du règlement n° 4056-86 constituant une exemption par catégorie au sens de l'article 85, paragraphe 3, du traité (arrêt du Tribunal du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge de transports e.a./Commission, T-24-93 à T-26-93 et T-28-93, Rec. p. II-1201, point 48).

253 Dans ces conditions, les parties ne peuvent utilement se prévaloir de ce que l'objectif même d'une conférence maritime aurait été reconnu bénéfique, ce qui n'est, au demeurant, nullement contesté par la Commission. Une telle circonstance, si elle est de nature à justifier les exemptions octroyées par le règlement n° 4056-86, ne saurait signifier que toute atteinte à la concurrence qui est le fait des conférences maritimes échappe au principe d'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité (arrêt Compagnie maritime belge de transports e.a./Commission, précité, point 50).

254 En outre, eu égard au caractère tout à fait exceptionnel de l'exemption par catégorie prévue par l'article 3 du règlement n° 4056-86, en ce qu'il y est accordé, pour une durée illimitée, une exemption pour des accords horizontaux de fixation des prix du transport maritime, il est d'autant moins acceptable d'étendre le bénéfice de cette exemption par catégorie aux accords de fixation de prix du transport terrestre conclus entre les membres d'une conférence maritime.

255 Le grief des requérantes selon lequel l'interprétation de la Commission est en contradiction avec la raison d'être de l'exemption par catégorie parce que la plupart des conférences établissent un tarif multimodal doit donc être rejeté. Cette interprétation ne porte, au demeurant, aucunement atteinte au pouvoir accordé par l'article 3 du règlement n° 4056-86 aux conférences maritimes de fixer les taux du transport maritime.

256 Le grief selon lequel la décision attaquée aurait méconnu les caractéristiques distinctives du secteur des transports en général doit donc également être rejeté. Il convient, en effet, d'observer que les requérantes soulignent elles-mêmes que les différents règlements concernant le domaine des transports ont été adoptés par le Conseil en fonction des caractéristiques spécifiques de chacun des modes de transport, maritime, terrestre ou aérien. L'accord en cause portant sur des services de transport terrestre, consistant dans le pré- ou postacheminement fournis avec d'autres services dans le cadre d'une opération de transport multimodal et non sur des services de transport maritime, il n'y a pas de raison de le faire bénéficier des dérogations exceptionnelles accordées aux accords concernant le transport maritime.

257 Il résulte ainsi clairement tant du libellé des dispositions précisant le champ d'application du règlement n° 4056-86 ou les accords couverts par l'exemption prévue à l'article 3 de ce règlement, que des travaux préparatoires du règlement n° 4056-86 et de la déclaration du Conseil de décembre 1991, ainsi que des principes généraux d'interprétation, que l'exemption par catégorie prévue à l'article 3 de celui-ci en faveur de certains accords des membres des conférences maritimes ne peut s'appliquer à un accord de fixation de prix des services de transport terrestre, consistant dans le pré- ou postacheminement des marchandises, fournis avec d'autres services dans le cadre d'une opération de transport multimodal conclu entre les membres d'une conférence maritime.

258 Par ailleurs, force est de constater qu'aucun des autres arguments invoqués par les requérantes ne saurait remettre en cause la conclusion susvisée.

259 Premièrement, la thèse des requérantes, selon laquelle l'accord en cause relève du règlement n° 4056-86, car les membres de la FEFC sont des entreprises du secteur du transport maritime, n'est pas fondée.

260 En vue de déterminer le règlement applicable à un accord donné, il convient d'examiner ce dernier à la lumière des dispositions précisant le champ d'application des différents règlements concernés et non de se fonder uniquement sur le secteur auquel appartient l'entreprise qui fournit le service ou le produit objet de l'accord. En l'espèce, il ressort clairement de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 4056-86 que celui-ci ne vise pas tous les accords conclus par les compagnies maritimes mais uniquement ceux relatifs aux "transports maritimes internationaux au départ ou à destination d'un ou de plusieurs ports de la Communauté". Dès lors, un accord fixant les prix des services de transport terrestre ne relève manifestement pas du champ d'application du règlement n° 4056-86, fût-il conclu et exécuté par des compagnies maritimes dans le cadre de services de transport multimodal. À cet égard, il convient de rappeler que, dans un arrêt du 11 mars 1997, Commission/UIC (C-264-95 P, Rec. p. I-1287, point 42), la Cour a jugé que l'application du règlement n° 1017-68 est subordonnée à la qualification des accords en cause et non à l'identification préalable du marché sur lequel ces accords produisent leurs effets. Dès lors, l'argumentation des requérantes selon laquelle, dans le domaine des transports, les différents règlements d'application des règles de concurrence s'appliquent à des secteurs particuliers de l'économie doit être rejetée, car les règlements applicables doivent être déterminés par rapport à l'accord en cause et non par rapport à l'entreprise qui fournit le produit ou le service. En effet, un même accord ne saurait être soumis à un règlement d'application des règles de concurrence différent selon l'entreprise qui le conclut.

261 En tout état de cause, même si, comme le soutiennent les requérantes le règlement applicable dépendait de la définition du marché, l'accord en cause ne relèverait pas du règlement n° 4056-86. En effet, ainsi qu'il résulte de l'examen du premier moyen, les services de transport terrestre en cause doivent être considérés comme un service distinct des services de transport maritime et non comme un produit intégré unique de service de transport multimodal, en raison, notamment, de ce que les services de transport maritime et terrestre peuvent être achetés et vendus séparément auprès et par des opérateurs économiques différents. À cet égard, la comparaison effectuée par les requérantes avec les lacets de chaussures est manifestement dépourvue de pertinence puisque si les lacets peuvent, certes, être achetés séparément des chaussures, ces dernières ne peuvent être vendues ou utilisées sans leurs lacets et les deux produits forment un produit unique. En revanche, les services de transport terrestre offerts par les membres de la FEFC ne sont qu'un service complémentaire de leurs services de transport maritime pour lequel les usagers ont la faculté, d'ailleurs garantie par le règlement n° 4056-86, de s'adresser aux entreprises de leur choix, les chargeurs ayant également la possibilité d'assurer eux-mêmes le pré- ou postacheminement terrestre des marchandises. Dès lors, même vendus en combinaison avec un service de transport maritime dans le cadre d'un transport multimodal, les services de transport terrestre, de pré- ou de postacheminement des marchandises, n'en demeurent pas moins des services distincts des services de transport maritime. Le marché pertinent en l'espèce n'est donc pas, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le marché des services de transport maritime, mais celui des services de transport terrestre fournis par les membres de la FEFC dans le cadre d'un transport multimodal.

262 Il convient encore d'ajouter que, à supposer même que le transport multimodal puisse être considéré comme un produit composite unique relevant d'un marché propre, la thèse présentée à titre subsidiaire par les requérantes, selon laquelle les activités accessoires, qui sont nécessairement fournies en tant que composant intégral d'un service de transport multimodal, doivent être traitées comme une partie de ce service unique, n'implique pas, en toute hypothèse, que l'accord en cause soit couvert par l'exemption par catégorie prévue par l'article 3 du règlement n° 4056-86. En effet, les dispositions prévoyant une exemption par catégorie étant d'interprétation restrictive, la circonstance que le transport multimodal constituerait un service composite unique conduirait, tout au contraire, à s'interroger sur la question de savoir si l'exemption par catégorie pourrait encore trouver à s'appliquer à l'égard de la fixation du prix du service de transport multimodal, y compris pour le segment maritime.

263 En outre, il convient d'observer que la thèse des requérantes conduirait à des discriminations.

264 Ainsi, les transporteurs routiers ou compagnies de chemin de fer ne pourraient, à la différence des compagnies maritimes, s'entendre sur le prix des services de transport terrestre qu'ils vendent aux chargeurs. Il ne saurait, par ailleurs, être exclu que la possibilité pour les conférences maritimes de fixer collectivement le prix des services du transport terrestre risquerait de leur donner celle d'étendre, au détriment des transporteurs terrestres, la puissance qu'elles détiennent sur le marché du transport maritime sur le marché du transport terrestre. Ainsi, tout en laissant inchangé le tarif du transport multimodal, elles pourraient, par exemple, augmenter le prix afférent au segment maritime du transport et diminuer dans la même mesure celui concernant la partie terrestre du transport, de sorte que, en pratique, les chargeurs n'auraient d'autre option que d'acheter le transport terrestre aux compagnies maritimes.

265 La possibilité pour les compagnies maritimes de fixer collectivement les prix des services relatifs aux transports maritimes et des services de transport terrestre, consistant dans le pré- ou postacheminement des marchandises, fournis avec d'autres services dans le cadre d'une opération de transport multimodal conduirait également à une discrimination de certains commissionnaires de transport qui sont d'authentiques opérateurs de transport multimodal sans être détenteurs de navires ("non vessel operating multimodal transport operators") et offrent les mêmes services que les compagnies de transport maritime de ligne. Ces commissionnaires de transport proposent des services de transport multimodal mais, à la différence des compagnies maritimes, ils n'exploitent eux-mêmes aucun navire mais affrètent des espaces auprès d'armateurs. Ainsi qu'il est relevé au considérant 23 de la décision attaquée, non contesté par les requérantes, la concurrence entre ces commissionnaires de transport et les transporteurs maritimes assurant des services réguliers s'est fortement accrue au point de devenir une des caractéristiques majeures du secteur concerné.

266 Deuxièmement, les différents arguments tirés du texte du règlement n° 4056-86 doivent être rejetés. En effet, soit ils reposent sur la prémisse erronée, et déjà rejetée (ci-dessus points 120 à 129), selon laquelle les services de transport terrestre, consistant dans le pré- ou postacheminement des marchandises, fournis avec d'autres services dans le cadre d'une opération de transport multimodal constituent des services de transport maritime, soit ils sont dénués de pertinence, soit ils relèvent d'une exégèse abusive du texte.

267 Ainsi, les arguments tirés de l'article 5 du règlement n° 4056-86 ne sont pas pertinents dès lors que cet article ne fait qu'énoncer les obligations attachées à l'exemption prévue par l'article 3 du même règlement et ne saurait, par définition, élargir la portée du champ d'application de ladite exemption. En outre, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les paragraphes 3 et 4 de l'article 5 du règlement n° 4056-86, même s'ils font référence au transport terrestre, ne permettent pas d'établir que ledit règlement régit ce transport. D'une part, l'article 5, paragraphe 3, du règlement n° 4056-86 vise seulement à éviter que les compagnies maritimes membres d'une conférence ne profitent de leur puissance sur le marché du transport maritime pour imposer aux chargeurs l'achat auprès d'elles d'autres services, tels que les services de transport terrestre. Il convient d'observer, par ailleurs, que la disposition susvisée, qui a donc pour but d'éviter que les compagnies maritimes lient le transport terrestre à leur service de transport maritime, confirme que les transports maritimes et terrestres sont deux services distincts relevant de marchés différents.

268 D'autre part, l'article 5, paragraphe 4, du règlement n° 4056-86 n'indique pas que ce dernier s'applique au transport terrestre mais, envisageant des situations où il existe un prix unique pour un service de transport comprenant un segment terrestre, prévoit que les tarifs des compagnies maritimes doivent préciser les services couverts par le fret au prorata de la partie maritime et de la partie terrestre du transport. Les tarifs visés dans cet article ne se réfèrent pas à celui de la conférence, mais visent les conditions offertes par les différentes compagnies maritimes. En effet, l'article prévoit que ces tarifs pourront être consultés dans les bureaux des compagnies et de leurs agents et non dans les bureaux de la conférence. Il est clair que les compagnies maritimes peuvent proposer des services de transport multimodal et, dans ce contexte, il convient que les chargeurs puissent connaître la ventilation des prix, entre transport terrestre et transport maritime.

269 Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l'article 4 du règlement n° 4056-86 selon lequel, pour bénéficier de l'exemption, un accord ne peut appliquer des prix et des conditions qui diffèrent selon le pays d'origine ou de destination ou selon le port de chargement et de déchargement, ne prouve nullement que le règlement n° 4056-86 s'applique au transport terrestre mais transpose simplement le principe de l'interdiction des discriminations mentionné à l'article 79, paragraphe 1, du traité (devenu, après modification, article 75, paragraphe 1, CE). Même en l'absence de transport multimodal, les compagnies maritimes pourraient appliquer des conditions différentes au transport des marchandises de différents États membres et assurer ainsi le transit des marchandises par un port plutôt que par un autre.

270 Troisièmement, s'agissant de l'assertion des requérantes selon laquelle certains États membres ont émis l'avis, en 1984, dans le cadre d'une réforme législative menée dans un pays tiers, qu'il serait souhaitable que ledit pays autorise également les compagnies maritimes membres de conférences maritimes à fixer collectivement les prix des services de transport terrestre fournis en combinaison avec les services de transport maritime, il ne saurait en être déduit que le Conseil a nécessairement décidé, trois ans plus tard, qu'il convenait d'adopter au niveau communautaire une réglementation en ce sens. En outre, il convient de souligner, d'une part, qu'il ne s'agissait que de l'opinion d'une partie des États membres et, d'autre part, qu'il ne saurait être exclu que les États membres qui semblaient en faveur de l'octroi d'une exemption n'aient pas modifié leur position, laquelle pouvait s'expliquer par le fait qu'il n'existait pas, à l'époque, de règlement communautaire déterminant les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes. En tout état de cause, l'avis exprimé autrefois par certains États membres ne saurait l'emporter sur le texte du règlement n° 4056-86 et, notamment, de son article 1er, au libellé parfaitement clair, qui prévoit que ledit règlement ne s'applique qu'aux transports maritimes.

271 Par ailleurs, force est de constater que la législation américaine, dont se prévalent les requérantes, démontre également que les termes "transports maritimes" ne peuvent être interprétés comme s'étendant au transport terrestre fournis dans le cadre du transport multimodal. En effet, ainsi que l'a relevé, à juste titre, la Commission, le Shipping Act adopté en 1984 aux États-Unis d'Amérique afin de permettre aux transporteurs maritimes de "discuter, fixer ou réglementer les taux de transport, y compris les taux combinés du point d'enlèvement au point de livraison" a pris soin de préciser expressément qu'il exempte aussi de l'application des lois antitrust les accords concernant le segment terrestre d'un transport multimodal. Cet exemple confirme donc qu'une exemption des règles de concurrence permettant aux membres d'une conférence maritime de fixer les prix du transport maritime ne peut être interprétée comme leur accordant également et implicitement une exemption pour les accords portant fixation des prix des services de transport terrestre fournis dans le cadre du transport multimodal.

272 Quatrièmement, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la circonstance que le règlement n° 4056-86 s'applique au seul transport maritime, tandis que le règlement n° 1017-68 s'applique au transport terrestre, n'est source d'aucune d'insécurité juridique et d'incohérences procédurales.

273 Cinquièmement, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l'interprétation selon laquelle le règlement n° 4056-86 ne s'applique pas à la partie terrestre du transport multimodal n'a pas pour conséquence de priver de tout effet utile l'exemption par catégorie prévue à l'article 3 dudit règlement. D'une part, en effet, les compagnies membres des conférences maritimes peuvent, conformément à ce qui est prévu à l'article 3 du règlement n° 4056-86, fixer collectivement les prix des services de transport maritime et, le cas échéant, conclure également des accords ayant d'autres objets mentionnés à l'article 3 précité. D'autre part, il est clair que chaque compagnie maritime membre de la conférence peut proposer et vendre des services de transport multimodal, étant entendu seulement que si le prix du segment maritime peut être fixé par la conférence, le prix du segment terrestre du transport doit, en revanche, être fixé individuellement par chaque compagnie. L'interprétation de la Commission ne limite donc en rien ni la portée du champ d'application de l'exemption par catégorie prévue pour le transport maritime proprement dit, ni la possibilité pour les compagnies maritimes membres des conférences de fournir des services de transport multimodal. Il convient d'ailleurs d'observer, à cet égard, qu'il est constant que de nombreuses compagnies maritimes indépendantes, ainsi que des commissionnaires de transport, offrent des services de transport multimodal équivalents à ceux fournis par les membres de la FEFC sans cependant fixer en commun, avec les autres compagnies maritimes ou les autres commissionnaires de transport, le prix du transport terrestre.

274 Sixièmement, s'agissant de l'allégation des requérantes selon laquelle l'interprétation donnée par la Commission du règlement n° 4056-86 serait contraire à l'avis général des États membres, il suffit de constater qu'elle doit être écartée dès lors que les requérantes n'ont apporté aucune preuve à son appui. La Commission a fait valoir que, dans son avis sur le projet de la décision attaquée, le comité consultatif, composé de représentants des administrations des transports et de la concurrence des États membres, s'est déclaré favorable, à l'unanimité de ses membres, aux conclusions de la Commission concernant la définition du marché, l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité et la détermination du champ d'application du règlement n° 4056-86. Toutefois, la Commission n'ayant pas produit cet avis, son argument ne saurait être retenu (arrêt du Tribunal du 28 mars 2001, Institut des mandataires agréés/Commission, T-144-99, Rec. p. II-1087, point 133). Il convient, en outre, d'observer que, si les requérantes soutiennent que l'interprétation du règlement n° 4056-86 défendue par la Commission est contraire à l'avis général des États membres, aucun État membre n'est cependant intervenu, dans la présente procédure, pour défendre la thèse des requérantes selon laquelle le segment terrestre du transport multimodal relève du champ d'application du règlement n° 4056-86. Au contraire, il ressort de l'arrêt rendu ce jour dans l'affaire T-18-97, que la République française est intervenue, dans cette affaire, pour soutenir, notamment, qu'un accord de fixation de prix du segment terrestre du transport multimodal, de même nature que celui en cause, relève du règlement n° 1017-68 et non du règlement n° 4056-86.

275 Septièmement, la thèse des requérantes, selon laquelle l'accord en cause doit bénéficier de l'exemption par catégorie au motif que les services sur lesquels il porte sont vendus en combinaison avec des services de transport maritime couverts par l'exemption, conduirait en définitive à considérer que tout service fourni par des compagnies maritimes, conjointement au transport maritime, devrait bénéficier de l'exemption par catégorie. Les requérantes se sont cependant défendues de soutenir une telle thèse et ont fait valoir qu'elles estiment, en réalité, que les activités accessoires, qui sont nécessairement fournies en tant que composant intégral d'un service de transport multimodal, doivent être traitées comme une partie de ce service unique. Sans qu'il soit besoin dans le cadre du présent recours de se prononcer sur le bien-fondé de cette thèse ainsi précisée, il suffit de constater qu'elle ne peut, en tout état de cause, conduire à faire bénéficier de l'exemption par catégorie, prévue par l'article 3 du règlement n° 4056-86, l'accord sur les services de transport terrestre en cause, dès lors que ceux-ci, ainsi qu'il a été constaté dans le cadre du premier moyen, constituent un service distinct du transport maritime.

276 Enfin, force est de constater que c'est à bon droit que la Commission a examiné l'accord en cause au regard des dispositions du règlement n° 1017-68. En effet, il est constant que l'accord en cause est un accord de fixation de prix conclu entre les membres de la FEFC pour les services de transport terrestre qu'ils offrent aux chargeurs dans le cadre du transport multimodal. Ces services de transport terrestre fournis en combinaison avec d'autres services dans le cadre d'une opération de transport multimodal doivent, ainsi qu'il a été exposé (voir ci-dessus, points 120 à 129), être considérés, du point de vue du droit de la concurrence, comme des services, certes complémentaires, mais néanmoins distincts des services de transport maritime. L'accord en cause a donc bien pour objet la fixation des prix et conditions de transport dans le domaine du transport terrestre au sens de l'article 1er du règlement n° 1017-68 et relève donc dudit règlement.

277 Il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen tiré d'une violation de l'article 3 du règlement n° 4056-86 doit être rejeté dans son intégralité.

4. Sur le troisième moyen tiré de la violation de l'article 85, paragraphe 3, du traité et de l'article 5 du règlement n° 1017-68

A - Arguments des parties

278 Avant de procéder à l'analyse de certaines conditions d'octroi de l'exemption individuelle, les requérantes ont formulé des observations générales sur le raisonnement de la Commission et sur certaines questions touchant au transport multimodal.

Observations générales

279 Les requérantes, se référant aux considérants 94 et 95 de la décision attaquée, exposent que la Commission, tout en reconnaissant les mérites du transport multimodal, fonde son refus d'octroi d'une exemption individuelle au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, sur l'absence de tout lien de causalité entre la tarification du transport multimodal dans le cadre d'une conférence et, d'une part, la possibilité pour les compagnies faisant partie d'une conférence de fournir des services multimodaux, d'autre part, la préservation du système des conférences, alors que cette double relation causale existe.

280 Elles observent que le Tribunal est confronté, en l'espèce, à une situation exceptionnelle. En effet, dans la présente affaire, la question, généralement très théorique, de savoir si l'accord produira ou non des effets susceptibles de le faire bénéficier d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, pourrait recevoir une réponse simple et certaine, dans la mesure où l'accord en question, a savoir la tarification du transport multimodal dans le cadre d'une conférence, a été mis en œuvre pendant pratiqué depuis plus de vingt ans, et que ses effets se seraient donc révélés entre-temps d'une façon objective. Elles en déduisent que le Tribunal pourrait, en l'espèce, se départir de sa réticence naturelle à interférer dans les appréciations économiques de la Commission (arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T-24-90, Rec. p. 11-2223) et apprécier plus librement les preuves et, partant, annuler les constatations économiques de la Commission s'il est démontré qu'elles ne sont pas fondées.

Pratiques d'autres autorités compétentes en matière de concurrence et d'autres législateurs

281 Les requérantes soutiennent que des autorités compétentes en matière de concurrence et des législateurs de différents Etats membres et de pays tiers ont reconnu l'existence d'un lien de causalité entre la tarification du transport multimodal dans le cadre d'une conférence et le développement des services de transport multimodal. Elles notent en particulier que six Etats membres, à savoir le Royaume de Belgique, la République française, la République fédérale d'Allemagne, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Suède et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, ont déclaré en 1983, dans le cadre d'observations adressées au gouvernement américain, que la fixation de tarifs communs par les conférences pour le transport intermodal a favorisé le développement de l'utilisation des conteneurs et dudit transport. Elles relèvent que notamment en Australie, en Belgique, au Canada, au Danemark, en Finlande, en Allemagne, en Grèce, aux Pays-Bas, en Norvège, au Portugal, en Turquie et aux États-Unis, les accords portant sur le transport multimodal sont exemptés de la législation antitrust ou de la législation relative aux pratiques commerciales restrictives.

282 Elles récusent l'argument de la Commission selon lequel la pratique suivie par d'autres autorités spécialisées n'est pas pertinente. Elles notent que la pratique étrangère a été fréquemment citée comme un argument important que les institutions communautaires peuvent légitimement prendre en considération (voir, par exemple, conclusions de l'avocat général M. Roemer sous l'arrêt de la Cour du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6-72, Rec. p. 215 et 254, citant des décisions de la Cour Suprême des Etats-Unis, et article 9, paragraphe 1, du règlement n° 4056-86 qui fait expressément référence aux "dispositions législatives, réglementaires ou administratives de certains pays tiers"). Elles observent que la teneur de la législation en matière de conférences maritimes, au niveau mondial, sont basées sur une approche commune des questions touchant à la structure économique du transport maritime et des avantages économiques que les conférences apportent aux marchés des services réguliers de transport maritime et à tous les utilisateurs de ces marchés.

283 L'ECSA considère que, dans la décision attaquée, la Commission a ignoré tous les arguments des requérantes fondés sur les pratiques d'autres autorités ou juridictions acceptant leurs arguments économiques. Elle relève en particulier que, au cours de l'audition devant la Commission, les requérantes se sont notamment appuyées sur le rapport de la conférence des Chambres réunies du Congrès américain sur les compétences des conférences maritimes, selon lequel l'US Shipping Act de 1984 reconnaît que le pouvoir pour les conférences de fixer les prix du transport intermodal constitue un instrument important pour le maintien de la viabilité des conférences et qu'aucune marque particulière de réprobation ne devrait s'attacher à l'accord concernant le transport multimodal. L'ECSA conclut que l'ignorance par la Commission de ces arguments devrait entraîner l'annulation de la décision attaquée.

284 La JSA relève que la Commission, en adoptant la décision attaquée, s'écarte fondamentalement de la politique de la plupart des autres régimes juridiques des pays développés, qui auraient reconnu la nécessité de la tarification du transport multimodal par les conférences. Elle fait, en premier lieu, référence à un rapport récent de l'OCDE qui constate que "les récentes décisions de la Commission européenne concernant les conférences TAA et Extrême-Orient qui visent à mettre fin à la tarification de bout-en-bout [point-to-point] au sein de l'Union européenne soulèvent non seulement des questions relatives à l'impact économique sur des pratiques établies de longue date, mais aussi de savoir si la politique de la concurrence peut, et doit, primer sur des considérations commerciales" et qui confirmerait que l'attitude de la Commission envers la régulation par les conférences des tarifs en matière de transport multimodal est en décalage par rapport à celle des autres régulateurs. Elle souligne, en deuxième lieu, l'importance de l'arrêt de la Federal Court of Appeals, Etats-Unis/Federal Maritime Commission (FMC), dans lequel la juridiction aurait conclu que compte tenu des caractéristiques particulières du transport intermodal, un régime législatif du transport océanique couvre, en toute logique, l'élément terrestre d'une circulation multimodale.

285 La JSA conclut que la Commission, en adoptant sur le transport maritime international une politique de concurrence opposée à celle des autres pays développés, méconnaît le souhait du Conseil, exprimé au quinzième considérant du règlement n° 4056-86.

L'incidence de la tarification commune du transport multimodal dans le cadre d'une conférence sur la stabilité des prix

286 Les requérantes estiment que, en l'absence d'un tarif pour le transport multimodal, fixé dans le cadre d'une conférence, une grave déstabilisation des prix dans ce secteur se produirait, laquelle serait de nature à paralyser le fonctionnement des conférences.

287 Elles soutiennent notamment que, à défaut d'un tarif commun du transport multimodal, les compagnies pourraient facturer facilement en-deçà des tarifs du transport maritime en absorbant une partie ou la totalité du coût du transport terrestre). Cette tentation serait d'autant plus grande que l'offre de capacité de transport maritime est excédentaire. Cette attitude aurait des effets d'autant plus désastreux que l'acheminement terrestre étant souvent un service sous-traité et les opérateurs du transport multimodal n'ayant qu'une marge bénéficiaire brute modeste avec laquelle ils doivent payer les coûts relatifs à la gestion de leur système logistique terrestre, de très faibles réductions des prix du transport terrestre les placeraient dans une situation déficitaire dans le secteur du transport terrestre.

288 À titre de preuve, elles se réfèrent, en premier lieu, au rapport Gilman/Graham qui a conclu que, en l'absence d'une fixation des prix du transport multimodal dans le cadre de la conférence, il y aurait une diminution de la rationalisation des réseaux individuels de transport. Cette situation aurait pour conséquence, d'une part, que les membres de la conférence ne seraient pas en mesure de travailler sur le secteur terrestre et, d'autre part. une désintégration des conférences.

289 Elles font, en deuxième lieu, référence à l'exposé des motifs accompagnant la proposition de règlement de 1981, la Commission y déclarant ce qui suit :

"L'instabilité des frets qui résulterait d'une absence totale de régulation du marché serait défavorable à la fois aux transporteurs et aux usagers :

aux transporteurs qui ne pourraient se fonder sur aucune prévision de rentabilité pour gérer, entretenir et renouveler leur flotte et qui ne pourraient offrir aux usagers un service sûr à prix fermes ;

aux usagers qui ne pourraient compter sur un transport aux conditions incertaines, subiraient des variations excessives et imprévisibles des frets et, à plus long terme, pâtiraient d'une détérioration progressive du service offert par défaut de modernisation de la Hotte."

290 Elles concèdent que cette déclaration se rapporte essentiellement aux activités de port à port, plus traditionnelles, de certaines conférences. Toutefois, la donnée économique essentielle reconnue par la Commission, à savoir l'existence d'un lien véritable entre la stabilité des prix et la possibilité pour les compagnies, ainsi que leur volonté, d'effectuer les investissements à long terme nécessaires pour assurer la continuité de l'amélioration des services demandés par les chargeurs, serait manifestement transposable à la fourniture de services de transport multimodal par des compagnies faisant partie d'une conférence. En effet, la fourniture et l'amélioration permanente de services de transport multimodal nécessiteraient des investissements considérables et permanents, non seulement en termes de navires, mais également d'équipements participant à la fourniture du service de transport multimodal, à savoir des conteneurs, des entrepôts de conteneurs, des systèmes de gestion informatique et de contrôle.

291 Elles rappellent, en troisième lieu, l'existence d'une la guerre des prix avant l'adoption du Shipping Act de 1984, qui reconnaît aux conférences le pouvoir de fixer des tarifs dans le secteur du transport multimodal. Elles y voient une preuve empirique de la façon dramatique avec laquelle les marchés réagissent au refus opposé aux conférences maritimes quant à la possibilité de fixer des tarifs de transport multimodal. Elles exposent que, avant 1984, le droit américain n'aurait pas été clair sur la question de savoir si les conférences américaines bénéficiaient d'une exemption au titre de la loi antitrust pour la fixation desdits tarifs. Il en serait résulté une situation confuse, des frustrations et des litiges ainsi que des pertes considérables de temps et d'argent pour toutes les parties concernées.

292 Elles précisent que, en 1982, la conférence (connue à l'époque sous le nom de Continental North Atlantic Conferences) présente sur le trafic entre les États-Unis et l'Europe n'avait pas le pouvoir de fixer les prix du transport multimodal. En décembre 1982, l'un des membres de la conférence aurait notifié un tarif multimodal, suivi en cela par d'autres membres, une vingtaine de tarifs de ce type ayant été notifiés progressivement. Il s'en serait suivi une concurrence destructrice par les prix. De nombreux tarifs de transport multimodal auraient atteint des niveaux inférieurs aux tarifs des services de port à port. Les réductions des prix auraient atteint jusquà 60 %, des pertes considérables auraient été subies par les membres de la conférence et cette dernière n'aurait plus été en état de fonctionner du fait du désintérêt de ses membres.

293 Les requérantes exposent que la tarification commune du transport multimodal dans le cadre d'une conférence entraîne une stabilité des prix qui, d'une part, aide et encourage les compagnies à effectuer des investissements plus importants dans la modernisation des navires et des autres équipements participant à la fourniture du service multimodal et/ou à effectuer ces investissements plus tôt qu'elles ne le feraient autrement. Par ailleurs, cette tarification contribuerait à rationaliser la concurrence sur les prix entre les compagnies membres et faciliterait l'accord entre les compagnies sur d'autres aspects de leurs activités, ce qui permettrait d'assurer que les compagnies faisant partie d'une conférence, prises dans leur ensemble, fournissent un service fiable et équilibré, satisfaisant toutes les demandes des utilisateurs sur la totalité du trafic concerné. Elles rappellent que ce constat résulte aussi du huitième considérant du règlement n° 4056-86.

294 Les requérantes récusent les arguments économiques présentés par la Commission.

295 Elles demandent, à titre principal, le rejet pour cause d'irrecevabilité des arguments fondés sur les rapports de MM. Rietzes, Lévêque et Drewry, invoqués par la Commission pour la première fois au stade du mémoire en défense. En effet, les exigences formulées en particulier à l'article 4 du règlement n° 1630-69 (et dans d'autres règlements de procédure pertinents), en vertu desquelles la Commission ne peut inclure dans sa décision que des griefs soulevés contre une entreprise, à l'égard desquels cette dernière a eu l'occasion, au cours de la procédure, de faire valoir son point de vue, auraient ainsi été violées.

296 Elles contestent, à titre subsidiaire, le bien-fondé des conclusions de ces rapports. A ce titre, elles observent notamment que les approches de MM. Reitzes et Drewry sont totalement contradictoires, le premier niant, contrairement au second, que les transports maritimes sont intrinsèquement instables et exposés au risque de guerre des prix permanente. Ces approches ne pourraient donc pas être toutes deux correctes.

297 Elles récusent aussi l'argument de la Commission, fondé sur le rapport Drewry, tiré de l'existence d'une surcapacité de l'offre au cours des années 80. En effet, si les compagnies maritimes n'avaient pas investi en capacité jusqu'en 1990 comme elles l'ont fait, il y aurait actuellement un déficit de capacité de transport sérieux et les chargeurs ne bénéficieraient pas de services réguliers de transport maritime de ligne.

298 L'ECSA considère que, en l'espèce, le pouvoir d'appréciation de la Commission était limité par les objectifs en matière de politique de concurrence visés par le Conseil lors de l'adoption du règlement n° 4056-86. Le Conseil aurait manifestement voulu munir les conférences maritimes de tous les instruments nécessaires pour qu'elles puissent jouer leur rôle bénéfique sur le plan économique, quand bien même ces instruments pourraient être considérés comme des accords restrictifs de concurrence inacceptables dans le cadre d'autres marchés de produits ou de services. L'ECSA rappelle que la Commission a elle-même, au considérant 136 de la décision attaquée, reconnu que, "en l'absence de fixation collective des prix [...] pour les services [d'acheminement terrestre des marchandises par le transporteur maritime]", il y avait un "risque" de "nuire à la stabilité apportée par la FEFC". Or, en refusant d'octroyer une exemption en dépit du fait qu'elle savait que ce refus affecterait négativement les tarifs des conférences, la Commission aurait méconnu les objectifs en matière de politique de la concurrence visés par le règlement n° 4056-86 et, partant, commis une erreur manifeste d'appréciation.

299 L'ECSA rejette l'argumentation de la Commission, exposée dans son mémoire en défense au point 95, selon laquelle les arguments sur la stabilité des prix dans les transports maritimes n'ont aucune valeur en ce qui concerne le service de transport terrestre, les compagnies maritimes de ligne ne réalisant aucun investissement important dans ce secteur, puisqu'elles sous-traitent ce service à des transporteurs terrestres. Cet argument méconnaîtrait le fait qu'un accord pourrait aussi faire l'objet d'une exemption même dans le cas où ses effets favorables se manifestent, non dans le secteur où il est mis en œuvre, mais dans un autre secteur. Ainsi, dans la décision 92-212-CEE, de la Commission, du 25 mars 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du Traité CEE (IV-30.717 - A - Eurochèque : accord d'Helsinki) (JO L 95, p. 50), la Commission aurait exempté un accord concernant le marché de l'acquisition et de l'impression de formules et de cartes eurochèques bien que cet accord restreignit manifestement la concurrence sur ledit marché, sans y apporter d'améliorations réelles. L'accord aurait néanmoins été exempté parce qu'il contribuait à la sécurité du système de l'eurochèque et offrait de ce fait aux utilisateurs un système amélioré de paiement dans l'ensemble de la Communauté.

300 La JSA considère que la décision attaquée, en interdisant une tarification commune concernant la partie européenne terrestre des services directs de transport intermodal, entraînera d'abord l'effondrement du système de transport multimodal et la maîtrise par les conférences de ces services, y compris la partie maritime. La décision attaquée compromettrait ensuite la disponibilité de services de transport maritime fiables, adéquats et efficaces entre l'Europe et l'Extrême-Orient.

301 La JSA estime que ces effets négatifs ne se limiteront pas aux échanges Europe/Extrême-Orient, mais s'étendront, eu égard aux liens économiques et commerciaux étroits entre les différents marchés dans le monde entier, aux échanges dans d'autres parties du monde, à savoir, notamment, les trafics transatlantique et transpacifique. En l'absence de toute autorité en matière de tarif du transport terrestre, les compagnies ne pourraient restaurer la stabilité de la partie maritime du transport qu'en cessant de fournir des services de transport multimodal et en revenant à l'exploitation traditionnelle du service de port à port. Même s'il devait être jugé que la décision attaquée ne s'applique qu'aux échanges Europe/Extrême-Orient, la renonciation aux services de transport multimodal dans le cadre de l'un ou l'autre courant d'échange aboutirait en pratique soit à la décision de cesser de fournir des services de transport multimodal en Europe pour tous les courants d'échanges, soit, par la perte d'économies d'échelle, à une augmentation des coûts et/ou une réduction du niveau de service sur les autres courants d'échange.

302 La JSA observe que la décision attaquée, en entraînant l'instabilité, la chute des prix et, par voie de conséquence, la mise en cause de la fourniture de services de transport maritime fiables, adéquats et efficaces entre l'Europe et l'Extrême-Orient, contredirait l'article 1er, paragraphe 2, du Code de conduite relatif à la nécessité de maintenir des services de transport stables et réguliers.

Sur le rôle des conférences comme pionnières du développement des services de transport multimodal

303 Les requérantes considèrent qu'il est incontestable du point de vue historique que ce sont les compagnies faisant partie d'une conférence qui ont toujours été à la pointe du progrès, soit, en l'espèce, l'utilisation des conteneurs et l'instauration du transport multimodal, lesquels ont eux-mêmes généré des progrès technologiques.

304 Elles récusent la référence faite par la Commission à l'avis minoritaire de M. le juge Wald dans l'arrêt Etats-Unis/FMC, précité, contestant cette conclusion. D'une part, elles rappellent que, en droit américain, les avis minoritaires ne font pas jurisprudence et qu'il a été décidé dans cet arrêt que le Shipping Act de 1916 étendait l'immunité antitrust à la fixation en commun des prix du transport terrestre. D'autre part, elles observent que l'avis minoritaire du juge Wald n'aboutissait pas à la conclusion inverse, mais seulement à l'affirmation selon laquelle la FMC devrait mener une enquête plus approfondie sur les aspects anticoncurrentiels de tout accord avant de l'approuver.

b) Conditions de l'article 85, paragraphe 3, du traité

Première condition : avantages économiques de l'accord

305 Les requérantes critiquent, en premier lieu, le fait que la Commission, après s'être demandée, au considérant 94 de la décision attaquée, si la tarification du transport multimodal dans le cadre d'une conférence est nécessaire pour la fourniture de services ayant pour objet un tel transport, examine séparément les effets de la tarification terrestre dans le cadre d'une conférence, d'abord sur les services de transport terrestre puis sur les services de transport maritime. Or, en adoptant cette approche, la Commission ignorerait la nature intégrée des services de transport multimodal offerts par les compagnies faisant partie d'une conférence et n'aborderait pas la question pertinente.

306 Ainsi, à aucun moment, la Commission n'aborderait l'incidence sur le service de transport multimodal. Elle ignorerait donc totalement les avantages spécifiques dudit transport, à savoir la rationalisation du réseau, la réduction en résultant des coûts globaux supportés par le transporteur et, partant, par le chargeur ou le rôle qu'un tarif uniforme du transport multimodal, dans lequel la composante terrestre est calculée sur la base du système dit de "péréquation portuaire", joue en permettant à chaque compagnie d'optimiser ses réseaux individuels tout en maintenant l'uniformité des prix offerts aux chargeurs pour un transport effectué à partir d'un point terrestre quelconque.

307 En abordant la question de savoir si la tarification du transport multimodal dans le cadre d'une conférence apporte une augmentation de la productivité des entreprises (considérants 106 à 108 de la décision attaquée), ou engendre la promotion du progrès technique ou économique (considérants 109 à 114 de la décision attaquée), la Commission n'aurait pas pris en compte les avantages spécifiques du service de transport multimodal, à savoir la possibilité pour les compagnies de rationaliser le segment terrestre de leurs activités multimodales au moyen d'un contrôle plus efficace des conteneurs, de mouvements plus efficaces de ceux-ci et de tous les autres aspects du service multimodal.

308 Elles réfutent l'argument de la Commission, tiré de ce que les membres de la FEFC n'effectuent pas d'investissements importants dans le secteur du transport terrestre, mais se bornent à procéder au nom des chargeurs à l'achat de services d'acheminement terrestre. En effet, alors que les commissionnaires de transport se chargeraient principalement des documents à fournir et de l'acheminement terrestre, les membres de la conférence fourniraient les conteneurs, lesquels seraient l'instrument essentiel du transport multimodal. Ils assumeraient la responsabilité du contrôle logistique, du repositionnement des conteneurs vides et du maintien de stocks suffisants pour faire en sorte que les chargeurs exportateurs puissent être fournis sur demande. Ils investiraient également dans des châssis destinés au transport routier des conteneurs ainsi que dans des dépôts de conteneurs de différents types.

309 Elles critiquent, en deuxième lieu, la démonstration de la Commission qui se limite à mentionner le fait que la plupart des compagnies achètent les services de transport terrestre à des entreprises spécialisées, aux prix du marché, et considère cette circonstance comme étant de nature à démontrer qu'aucune amélioration de productivité n'est possible. Ce raisonnement méconnaîtrait toutefois le fait, reconnu par la Commission aux considérants 34 à 37 de la décision attaquée, que les coûts directs du service de transport terrestre, qu'il soit fourni par les compagnies elles-mêmes ou acheté par celles-ci, ne représentent qu'une faible proportion du total des coûts du service de transport terrestre. Elles rappellent que la Commission indique que les coûts directs du transport terrestre ne représentent que 8 % environ du coût total du service de transport multimodal, alors que l'ensemble des coûts des opérations de transport terrestre représente 18,6 % du coût total du service de transport multimodal, ce chiffre devant, selon la Commission (considérant 37 de la décision attaquée) être majoré dans une certaine proportion correspondant aux postes terminaux, ventes et divers, lesquels représentent globalement, selon les requérantes, 44,9 % du coût total. Elles concluent que, de l'avis de la Commission elle-même, la grande majorité des coûts du transport terrestre dans une opération de transport multimodal et, partant, les activités que ces coûts représentent, correspondent donc aux activités propres des compagnies et non aux services achetés par celles-ci.

310 Elles critiquent, en troisième lieu, le raisonnement de la Commission, exposé aux considérants 110 à 112 de la décision attaquée, par lequel celle-ci réfute l'argument des requérantes tiré de ce que la fixation des prix, dans le cadre d'une conférence, du transport multimodal encourage les investissements dans les segments du service de transport intégré, la pratique offrant une certitude plus grande quant au rendement des investissements en jeu. Elles relèvent que la Commission fonde ce rejet, d'une part, sur le constat que "cet argument peut être avancé pour n'importe quel accord de fixation des prix" et, d'autre part, sur la considération qu'il "est possible que les restrictions de concurrence résultant des activités de fixation des prix des membres de la FEFC, au lieu de stimuler l'introduction d'une technologie nouvelle, découragent des investissements nouveaux en réduisant les avantages concurrentiels qui reviendraient normalement aux entreprises ayant mieux exploité leurs investissements".

311 Elles estiment que, en ayant recours à cette argumentation, la Commission se serait abstenue de prendre en considération, du moins suffisamment. Les facteurs économiques spécifiques du transport en général et du transport maritime en particulier. Ces facteurs, dont la Commission aurait admis elle-même l'existence dans son exposé des motifs accompagnant sa proposition de règlement de 1981, auraient également été admis par le Conseil lorsqu'il a adopté le règlement n° 4056-86 et auraient de même été à la base de l'approche favorable suivie par presque toutes les autres autorités compétentes en matière de concurrence et presque tous les législateurs qui ont examiné la question des justifications des conférences en général et de la tarification du transport multimodal dans le cadre des conférences en particulier.

312 Elles notent ensuite qu'il serait significatif que la Commission se limite à affirmer qu'il est "possible", donc même pas probable, que la tarification du transport terrestre découragerait des investissements nouveaux au lieu de les encourager. Or, l'inverse serait vrai : l'absence d'un contrôle des prix dans le cadre d'une conférence engendrerait une grave instabilité, qui aurait à son tour un effet démotivant sur les investissements, alors que les compagnies recourant à une tarification commune dans le cadre d'une conférence joueraient un rôle moteur dans l'introduction et l'amélioration permanente des services de transport multimodal.

313 Elles récusent enfin l'argument de la Commission tiré des conclusions du rapport Drewry quant à l'existence d'une circulation trop importante de conteneurs à vide. En effet, les conclusions de ce rapport ne concerneraient que des mouvements de conteneurs vides dans les ports et se fonderaient sur des statistiques peu fiables.

314 L'ECSA estime que la Commission a commis une erreur de fait manifeste en niant les avantages résultant de l'accord en cause et notamment en niant toute amélioration de la qualité des services de transport, tout accroissement de la productivité des entreprises membres de la FEFC ou tout avantage procuré par l'accord aux utilisateurs. Ce faisant, la Commission se serait, d'une part, contredite dans la mesure où elle a expressément reconnu, au considérant 136 de la décision attaquée, que la fixation des prix par des conférences maritimes pour des services de transports multimodaux constituait un moyen efficace d'éviter l'affectation négative des tarifs des conférences maritimes. En outre, la Commission contredirait la position du Conseil ainsi que sa propre approche adoptées durant le processus normatif qui a abouti à l'adoption du règlement n° 4056-86. Dans le cadre dudit processus, le Conseil et la Commission auraient tous deux fait valoir qu'il importait de permettre aux conférences maritimes de fixer des tarifs communs afin d'assurer la stabilité sur le marché des services réguliers de transport maritime.

315 La JSA relève qu'un tarif commun du transport multimodal, fixé par la conférence, crée un cadre dans lequel les transporteurs maritimes peuvent combiner le déploiement efficace de très grands navires, sur des itinéraires très localisés, avec une ample distribution sur de grandes distances, en l'absence de ports proches. Les disparités entre transporteurs dans leurs habitudes de fréquentation des ports, qui entraîneraient en l'absence d'un tarif commun une instabilité des prix pour la partie terrestre du transport multimodal, sont résolues dans un système de transport cohérent grâce aux règles tarifaires multimodales concernant les ports de base, les systèmes de réseaux terrestres et d'autres accessoires du transport. Il serait manifestement anti-économique que tous les grands navires fassent escale dans tous les grands ports européens assurant le traitement de conteneurs, et les transporteurs adhérents à la conférence concevraient en conséquence leurs réseaux et décideraient des ports dans lesquels leurs porte-conteneurs doivent faire escale en comparant les coûts de la desserte des ports d'escale locaux avec le coût de l'acheminement terrestre à partir de ports plus éloignés. L'optimisation engendrée par les accords des conférences faciliterait l'utilisation de très gros porte-conteneurs, entraînant dénormes économies d'échelle, exploités au sein de réseaux rationalisés de transport multimodal. Le tarif commun de la conférence serait la pierre angulaire de l'ensemble de l'édifice sur lequel reposerait un système de transport multimodal, étant donné qu'il permettrait, dans ses limites, de rationaliser les opérations de tarification.

Deuxième condition : réservation d'une part équitable des avantages aux utilisateurs

316 Les requérantes observent, en premier lieu, que la Commission a déclaré, au considérant 117 de la décision attaquée, que pour déterminer si l'accord en cause respecte cette condition, elle a tenu compte de différentes plaintes d'usagers. Elles en concluent que la Commission ne s'est pas forgée sa propre opinion sur la question contrairement au devoir qui lui incombe.

317 Elles critiquent, en deuxième lieu, le fait que la Commission a déclaré au considérant 118 de la décision attaquée que si l'on veut réserver aux utilisateurs une part équitable du profit, il faut maintenir un niveau élevé de concurrence dans la fourniture des services de transport terrestre aux chargeurs et que dans la pratique, il serait plus facile de réserver aux usagers une part équitable du profit résultant du service de porte à porte en l'absence d'un accord de fixation de prix du type de celui conclu par les membres de la FEFC.

318 Elles exposent que la Commission constate au considérant 33 de la décision attaquée que les activités de transport multimodal de la FEFC ne représentent que 38 % du total du trafic maritime entre l'Extrême-Orient et l'Europe. Elles en déduisent que plus de 60 % des opérations de transport terrestre sur ce trafic sont effectuées par des entreprises extérieures à la FEFC. Elles relèvent que, en ce qui concerne la part de 38 % susvisée, tout chargeur qui choisit le service de transport multimodal de la FEFC peut également recourir à son service dit de port à port. Elles en concluent qu'il existe une concurrence suffisante, d'un niveau élevé.

319 Elles récusent enfin l'argument de la Commission, exposé au point 100 de son mémoire en défense, tiré de ce que l'existence d'un tarif commun pour l'acheminement terrestre maintient les prix à un niveau plus élevé qu'il ne le serait en l'absence dudit tarif et empêche les compagnies les plus efficaces de répercuter les réductions de coûts. Elles considèrent qu'elles n'ont pas cherché à justifier la fixation des prix du transport terrestre envisagée isolément, mais dans le cadre plus large de la fourniture par les compagnies maritimes appartenant à des conférences de services de transport multimodal et de l'instabilité qui découlerait de l'interdiction d'une fixation des taux pour le segment terrestre. La Commission aurait ignoré ces avantages et son raisonnement constituerait clairement une erreur de motivation.

Troisième condition : le caractère indispensable des restrictions de concurrence

320 Les requérantes relèvent que la Commission examine si les restrictions de concurrence résultant de la pratique de fixation des prix de la FEFC pour le service multimodal sont indispensables, d'une part, pour la fourniture des services de transport multimodal et, d'autre part, pour le maintien du système de fixation des prix des transports maritimes par ces conférences.

321 Les requérantes observent que la Commission se limite à analyser, aux considérants 120 à 122 de la décision attaquée, la question de savoir si la tarification du transport multimodal dans le cadre d'une conférence est indispensable pour la fourniture de services de transport multimodal et à donner à cette question une réponse négative. Or, cette analyse se tromperait totalement d'objet. La thèse des requérantes n'aurait jamais consisté à affirmer qu'il leur est impossible de fournir, d'une manière générale, des services de transport multimodal en l'absence d'une telle tarification. Leur thèse serait que la stabilité conférée aux prix par un contrôle des tarifs dans le cadre d'une conférence aide et encourage les compagnies à effectuer des investissements plus importants dans la modernisation des navires et des autres équipements participant à la fourniture du service de transport multimodal et/ou à effectuer ces investissements plus tôt quelles ne le feraient autrement.

322 En ce qui concerne le caractère indispensable des restrictions pour le maintien du système de fixation des prix des transports maritimes par les conférences, les requérantes relèvent que la Commission reconnaît certes, aux considérants 127 et 128 de la décision attaquée, d'une part, que la fixation d'un tarif uniforme par une conférence permet d'assurer la stabilité des opérations qu'elle vise, donc de limiter les fluctuations de prix, ce qui est profitable aux chargeurs, puisqu'elle diminue les incertitudes concernant les conditions commerciales futures et, d'autre part, que ce rôle stabilisateur des conférences, qui est de nature à garantir des services fiables aux chargeurs, est expressément prévu par le huitième considérant du règlement n° 4056-86. Elles constatent, toutefois, que ces constats n'empêchent pas la Commission de conclure que la fixation des prix des services de transport multimodal par les membres de la FEFC nest pas indispensable à la réalisation de ces objectifs.

323 Les requérantes critiquent, en premier lieu, l'argument de la Commission, exposé aux considérants 129 et 130 de la décision attaquée, tiré de ce que le fait que la cartellisation d'une partie des activités des compagnies maritimes soit jugée compatible avec les règles de concurrence ne saurait en soi justifier l'exemption de toutes les activités exercées par ces entreprises. Selon la Commission, il n'est pas compatible avec l'objectif communautaire de mise en place d'un système garantissant le libre jeu de la concurrence dans le marché intérieur, d'admettre que la stabilité d'une activité rentable donnée puisse justifier l'exemption, sur la base des règles communautaires de concurrence, d'un accord portant fixation des prix de toutes les activités rentables fournies en combinaison avec celle faisant déjà l'objet d'une exemption.

324 Elles estiment que cet argument de la Commission méconnaît la substance de leur thèse selon laquelle l'acheminement terrestre des marchandises par le transporteur maritime ne constitue pas un service entièrement distinct et autonome qui, selon le cas, peut être fourni ou non avec les services de transport maritime. En réalité l'exécution de la partie terrestre d'un service de transport multimodal serait pleinement intégrée à ce service. Le raisonnement de la Commission, visant toute autre "activité rentable", ne serait donc pas pertinent.

325 Elles considèrent également que cet argument ne tient pas compte du fait que le transport multimodal est actuellement le service le plus recherché par les chargeurs. Elles en concluent que, contrairement à l'argumentation de la Commission, la concurrence par les prix portant sur le transport multimodal risque bien de porter atteinte au tarif des transports maritimes que fixe la conférence.

326 Les requérantes critiquent, en deuxième lieu, l'argument de la Commission, exposé aux considérants 131 à 135 de la décision attaquée, tiré de ce qu'il nest pas prouvé que la fixation des prix de l'acheminement terrestre des marchandises par les conférences est indispensable au maintien du "rôle stabilisateur" joué par ces conférences. Elles relèvent que la Commission précise que la FEFC n'échappe pas a la règle générale selon laquelle toutes les ententes sont susceptibles de "tricher" ou d'accorder en secret des rabais lorsque certains membres souffrent de capacités excédentaires, que ces pratiques débouchent normalement sur une certaine instabilité, même au sein de l'entente la plus disciplinée. Elles constatent que la Commission en conclut qu'une discipline absolue n'est pas nécessaire pour maintenir la stabilité qu'apporte le système des conférences, c'est-à-dire l'offre de services fiables à des prix ne variant pas fortement à court terme.

327 Elles estiment, d'abord, que cet argument est dépourvu de pertinence. A cet effet, elles exposent qu'il peut s'appliquer aussi aux fixations des prix du transport purement maritime dans le cadre de conférences, donc à des pratiques qui sont considérées comme satisfaisant aux conditions de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Elles soutiennent que le fait qu'un accord sur les prix, conclu dans le cadre d'une conférence, ne soit pas parfaitement respecté n'empêche pas que cet accord contribue à la stabilité, ce qui constitue la seule question pertinente. Elles observent que, par cet argument, la Commission semble suggérer que, du fait que l'accord de la FEFC sur la composante maritime de ses prix est susceptible d'être mis en échec par des comportements irréguliers, il n'est pas nécessaire de prendre des mesures pour empêcher ou réduire des causes d'instabilité affectant la composante terrestre. Or, l'absence de contrôle de la composante terrestre du prix introduirait un nouvel élément d'instabilité. Elles relèvent enfin qu'il existe une différence réelle entre le fait de prévoir par voie d'accord des restrictions quant au libre comportement des compagnies, ce qui entraîne une certaine stabilité, même si les compagnies peuvent occasionnellement "tricher", et l'absence de tout accord, qui entraîne nécessairement l'instabilité.

328 Elles constatent, ensuite, que la Commission contredit elle-même cet argument en concédant, au considérant 136 de la décision attaquée, que les pratiques qui résulteraient d'une absence de fixation collective des prix pour les services de transport multimodal risquent davantage de nuire à la stabilité apportée par la FEFC que ne le font les rabais accordés sur les tarifs du transport maritime de la FEFC.

329 Les requérantes critiquent, en troisième lieu, l'argument de la Commission, exposé au considérant 137 de la décision attaquée, selon lequel, à supposer même que le fait d'autoriser la FEFC à fixer les prix des services de transport terrestre qui sont fournis par ses membres contribue à la stabilité générale, il n'aurait pas été prouvé que des mesures moins restrictives de la concurrence ne seraient pas suffisantes pour atteindre cet objectif, les mesures pouvant être prises pour assurer la stabilité des tarifs du transport maritime d'une conférence, énumérées à l'article 3 du règlement n° 4056-86, comprenant notamment la répartition, entre les membres d'une conférence, du tonnage transporté ou de la recette.

330 Elles considèrent que cet argument n'est pas fondé, il ne serait pas établi que la restriction de concurrence découlant des mesures alternatives de répartition du tonnage transporté ou de la recette serait moins importante que celle découlant d'un tarif commun pour le transport terrestre. En effet, il existerait actuellement une concurrence réelle entre les compagnies membres de la FEFC sur la qualité du service. Une répartition du tonnage transporté ou un partage des recettes éliminerait cette concurrence entre les compagnies membres, tout dabord en supprimant toutes incitations à obtenir du fret supplémentaire en offrant des services de qualité supérieure à ceux offerts par les autres compagnies membres et, ensuite, en supprimant l'avantage financier qui leur reviendrait si elles parvenaient à obtenir ce fret. La répartition du tonnage transporté ou de la recette constituerait donc, prima facie, une mesure encore plus restrictive de concurrence.

331 Elles ajoutent que le risque de voir la stabilité compromise ne peut être considéré comme dépendant de l'existence de mesures moins restrictives de soutien des tarifs. Ou bien il existerait un tel risque, ou bien il n'en existerait pas et la question de savoir s'il y a une mesure moins restrictive de concurrence pour assurer le soutien des tarifs serait un problème distinct.

332 Elles observent ensuite qu'il n'est nullement évident que les deux mesures préconisées par la Commission en tant que solution de rechange en lieu et place du contrôle des tarifs du transport multimodal par les conférences soient réalisables. La répartition du fret et des recettes serait possible dans certaines circonstances, mais elle serait d'application difficile sur des routes maritimes importantes et dynamiques en raison du fait qu'elles requièrent une étroite coopération en matière de capacité de transport. Par ailleurs, lorsque de telles mesures sont appliquées, on pourrait soutenir qu'elles sont plus restrictives que le contrôle des tarifs du transport terrestre. En cas de répartition des recettes, les transporteurs seraient moins incités à accroître leur part de marché.

333 Files récusent dans ce même ordre d'idées l'argument de la Commission, exposé dans son mémoire en défense, faisant référence au considérant 135 de la décision attaquée, selon lequel l'intégrité du tarif du transport maritime pourrait être préservée de manière efficace par une règle interdisant de facturer en dessous du prix coûtant. Outre que cette suggestion ne figurerait pas dans la communication des griefs, il résulterait d'une lecture objective des considérants 135 à 137 de la décision attaquée que les seules solutions de remplacement, supposées moins restrictives de concurrence, invoquées par la Commission pour nier le caractère indispensable de la restriction en cause sont celles mentionnées au considérant 137 de ladite décision.

334 Elles ajoutent que la Commission n'a pas prouvé comment cette règle pourrait être mise en œuvre. Celle-ci soulèverait en effet de nombreux problèmes pratiques découlant des aspects complexes des tarifs du transport terrestre. La question se poserait notamment de savoir quelle est la nature des coûts évoqués par la Commission (coûts du transporteur qui se charge de l'acheminement terrestre ou coûts du transporteur maritime) et quel est leur mode de calcul (coût marginal ou coût moyen). Les requérantes observent que les conférences n'ont pu instaurer le système actuel, qui s'est révélé opérationnel depuis plusieurs décennies, qu'après une période de discussions prolongée et sur la base de leur expérience des problèmes du transport multimodal, sa mise en œuvre ayant pris plusieurs années. Il serait dès lors plutôt osé de la part de la Commission d'affirmer, en se fondant sur un élément très limité, qu'une méthode de substitution serait tout aussi efficace.

335 Les requérantes rejettent l'argument d'ECTU, tiré de ce que toutes les conférences maritimes ne fixent pas un tarif du transport terrestre, lequel n'est donc pas indispensable. D'une part, la liste des compagnies concernées, produite par l'ECTU, serait inexacte (plusieurs compagnies sur cette liste ayant fixé leurs propres tarifs du transport terrestre ou ayant repris ceux de la FEFC) et incomplète (dix conférences, desservant des ports de la Communauté mais ne figurant pas sur la liste, ayant aussi publié des tarifs du transport terrestre). D'autre part, un certain nombre de conférences n'assureraient que des transports maritimes de port à port et n'auraient donc pas recours à un tarif pour le transport terrestre.

336 Les requérantes rejettent la référence faite par l'ECTU au rapport intermédiaire du groupe Carsberg sur la concurrence dans le secteur des transports. En premier lieu, cette référence serait irrecevable. D'une part, elle se rapporterait à un nouvel élément de preuve et à de nouveaux arguments ne figurant pas dans la décision attaquée. D'autre part, de la mission confiée au groupe Carsberg serait expressément exclu l'examen des questions pendantes devant le Tribunal, restriction qu'il na pas respectée. En deuxième lieu, le groupe Carsberg ne serait pas suffisamment indépendant par rapport à la Commission et par rapport à certaines des parties directement impliquées dans la procédure administrative engagée contre les conférences maritimes. Il passerait sous silence la quasi-totalité de l'argumentation présentée par les transporteurs maritimes. Ses conclusions seraient partiales. En troisième lieu, les analyses économiques du groupe Carsberg ne seraient pas fondées.

337 L'ECSA réfute l'argument de la Commission, exposé au point 106 de son mémoire en défense, selon lequel une solution de rechange moins restrictive de concurrence que la fixation commune de tarif est l'interdiction de facturer en dessous du coût du transport terrestre. En effet, en premier lieu, la Commission aurait omis d'indiquer comment cette solution peut permettre de réaliser l'objectif de stabilité des conférences maritimes. En deuxième lieu, la Commission aurait omis d'indiquer comment, dans le cadre d'un tel système, les conférences maritimes peuvent vérifier si toutes les opérations de transport multimodales effectuées par leurs membres ont bien fait l'objet d'une facturation en dessous du coût du transport terrestre.

338 La Commission et ECTU soutiennent que le moyen n'est pas fondé.

B - Appréciation du Tribunal

a) Observations générales

339 En premier lieu, il convient de rappeler que conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre d'un recours en annulation introduit sur le fondement de l'article 173 du traité, le contrôle exercé par le Tribunal sur les appréciations économiques complexes effectuées par la Commission dans l'exercice du pouvoir d'appréciation que lui confère l'article 85, paragraphe 3, du traité, à l'égard de chacune des quatre conditions qu'il contient, doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l'exactitude matérielle des faits, de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir (arrêts du Tribunal du 23 février 1994, CB et Europay/Commission, T-39-92 et T-40-92, Rec. p. II-49, point 109, SPO e.a./Commission, précité, point 288, et du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T-213-95 et T-18-96, Rec. p. II-1739, point 190). Il n'appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation à celle de la Commission, ni de se prononcer sur des moyens, griefs ou arguments, qui, dans l'hypothèse même où ils seraient fondés, ne sont, en tout état de cause, pas susceptibles d'entraîner l'annulation de la décision attaquée.

340 Il convient de préciser, à cet égard, que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la circonstance que l'accord en cause a été ouvertement mis en œuvre par les membres de la FEFC pendant une longue période n'est pas de nature à modifier le pouvoir de contrôle du Tribunal, ni, en elle-même, pertinente pour déterminer si l'accord remplit ou non les conditions requises pour l'octroi d'une exemption individuelle. Tout au plus, cet élément pourrait-il, le cas échéant, être pris en compte au stade de l'examen du caractère justifié et proportionné de la sanction infligée.

341 En second lieu, s'agissant de l'argument des requérantes tiré de ce que plusieurs législateurs et autorités compétentes en matière de concurrence de pays tiers ont accepté la fixation par les conférences maritimes des prix des services de transport terrestre dans le cadre du transport multimodal, il ressort du dossier que cette acceptation, si elle n'est certes pas inexistante, ne semble, à tout le moins, pas avoir la portée que lui attribuent les requérantes et les parties intervenantes au soutien de celles-ci. Ainsi, le rapport de l'OCDE, invoqué par la JSA, loin de constituer une reconnaissance unanime de cette tarification, constate, au contraire, que si les États-Unis, le Canada et l'Australie autorisent la fixation des taux du transport terrestre par les conférences maritimes, le Japon et la Communauté européenne, en revanche, ne l'autorisent pas. En tout état de cause, il convient de rappeler que des pratiques nationales, à supposer qu'elles soient communes à tous les États membres, ne sauraient s'imposer dans l'application des règles de concurrence du traité (arrêt de la Cour du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43-82 et 63-82, Rec. p. 19, point 40). Dès lors, a fortiori, des pratiques de certains États tiers ne sauraient-elles commander l'application du droit communautaire. Il s'ensuit que la circonstance alléguée par les requérantes que certains États tiers admettent la fixation collective par les membres d'une conférence maritime des prix des services de transport terrestre, ne saurait, à elle seule, conduire, ipso facto, à l'annulation de la décision attaquée. Tout au plus, ces pratiques alléguées pourraient-elles, le cas échéant, être prises en considération aux fins d'apprécier le bien-fondé des constatations effectuées par la Commission dans le cadre de l'examen des différentes conditions requises par l'article 5 du règlement n° 1017-68 pour l'octroi d'une exemption individuelle.

342 En troisième lieu, les requérantes soutiennent que l'approche de la Commission serait totalement viciée en ce qu'elle se serait bornée à analyser séparément les avantages découlant de l'accord en cause, d'une part, pour le transport terrestre et, d'autre part, pour le transport maritime et aurait ainsi refusé de prendre en considération les avantages résultant de l'accord pour les services de transport multimodal alors que les bénéfices considérables que ces services apportent aux chargeurs seraient très généralement reconnus, en particulier par la Commission elle-même.

343 En vue d'examiner le bien-fondé des constatations effectuées par la Commission dans le cadre de l'examen des différentes conditions requises à l'article 85, paragraphe 3, du traité et à l'article 5 du règlement n° 1017-68, il convient, certes, d'avoir égard aux avantages qui découlent de l'accord en cause, non seulement pour le marché en cause, à savoir le marché des services de transport terrestre fournis dans le cadre d'un transport multimodal, mais, le cas échéant, également pour tout autre marché sur lequel l'accord en cause pourrait produire des effets bénéfiques, voire, de manière plus générale, pour tout service dont la qualité ou l'efficacité serait susceptible d'être améliorée par l'existence dudit accord. En effet, tant l'article 5 du règlement n° 1017-68, que l'article 85, paragraphe 3, du traité envisagent la possibilité d'une exemption en faveur, notamment, des accords qui contribuent à promouvoir le progrès technique ou économique, sans exiger un lien particulier avec le marché en cause.

344 En l'espèce, ainsi que la Commission l'a, à juste titre, exposé au considérant 94 de la décision attaquée, il y a lieu d'établir une distinction entre les avantages du transport multimodal en général, la nécessité de la fixation, dans le cadre d'une conférence, des prix applicables au segment terrestre, pour la fourniture de services de transport multimodal et la nécessité de la fixation, dans le cadre d'une conférence, des prix applicables au segment terrestre, afin de préserver le système des conférences.

345 Il convient toutefois de préciser immédiatement que, comme la Commission le relève, à juste titre, au considérant 95 de la décision attaquée, les avantages du transport multimodal en général ne sont nullement contestés. En outre, les arguments fondés sur ces avantages sont dépourvus de toute pertinence, dès lors que la décision attaquée porte exclusivement sur la légalité, au regard des règles de concurrence, non pas du transport multimodal en tant que tel mais seulement d'un accord de fixation collective des prix des services de transport terrestre fournis dans le cadre du transport multimodal. Il ne s'agit donc pas d'examiner si les services de transport multimodal produisent des effets bénéfiques, ce qui n'est pas contesté, mais bien de vérifier si la fixation collective par les membres de la FEFC des prix des services de transport terrestre fournis dans le cadre de ces services de transport multimodal, produit les effets bénéfiques requis par l'article 85, paragraphe 3, du traité en ce que, notamment, cette fixation collective améliorerait les services de transport terrestre, maritime ou multimodal. Les arguments des requérantes visant à établir les bienfaits du transport multimodal en tant que tel sont donc dépourvus de pertinence.

346 Selon les requérantes, l'accord en cause apporte les effets bénéfiques requis en vue de l'octroi d'une exemption individuelle en ce qu'il est nécessaire pour assurer la fourniture de services de transport multimodal stables. En effet, selon leur thèse, à défaut de fixation collective des prix du transport terrestre, les membres de la FEFC risqueraient de vendre aux chargeurs les services de transport terrestre à des prix inférieurs à leurs coûts d'achat, ce qui reviendrait à offrir des rabais sur le tarif du transport maritime fixé par la conférence, lequel, dès lors, perdrait son effet stabilisateur. Il s'ensuivrait une instabilité sur le marché maritime et l'impossibilité pour les compagnies maritimes d'effectuer les investissements nécessaires pour assurer et développer des services de transport multimodal fiables et performants.

347 Force est de constater que cette argumentation, en substance, ne concerne que le problème d'une éventuelle instabilité du marché des services du transport maritime résultant des rabais accordés sur le tarif du transport terrestre. Partant, elle doit être examinée dans le cadre de l'analyse des effets de l'accord en cause sur le marché des services de transport maritime.

348 C'est dans ce cadre qu'il convient à présent d'examiner si la Commission a correctement apprécié les effets bénéfiques de l'accord en cause au regard des conditions d'exemption prévues par l'article 85, paragraphe 3, du traité et l'article 5 du règlement n° 1017-68.

349 À cet égard, selon une jurisprudence constante, les quatre conditions d'octroi d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, sont cumulatives (voir, notamment, arrêt de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56-64 et 58-64, Rec. p. 429, et arrêt CB et Europay/Commission, précité, point 110) et il suffit dès lors qu'une seule de ces conditions ne soit pas remplie pour que l'exemption doive être refusée (arrêt SPO e.a./Commission, précité, point 267, confirmé sur pourvoi par ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C-137-95 P, Rec. p. 1611, points 34 à 37).

350 En l'espèce, il ressort du considérant 140 de la décision attaquée que la Commission n'a pas examiné la quatrième condition relative à l'élimination de la concurrence. Il convient, dès lors, d'examiner seulement les trois premières conditions.

b) Première condition: amélioration de la qualité des services de transport, promotion de la continuité et de la stabilité sur les marchés qui sont soumis à de fortes fluctuations dans le temps, augmentation de la productivité des entreprises, ou promotion du progrès technique ou économique

351 Il y a lieu de constater que, dans la décision attaquée, la Commission établit une distinction entre, d'une part, les avantages du transport multimodal en général et, d'autre part, le rôle que joue la fixation collective des prix par les membres de la FEFC dans l'amélioration de la qualité des services de transport. La Commission considère que l'appréciation de l'applicabilité de l'article 5 du règlement n° 1017-68 concerne le second élément.

352 En premier lieu, en ce qui concerne l'amélioration de la qualité des services de transport, la Commission conclut qu'il n'a pas été démontré que le fait d'appliquer un prix fixé collectivement par les membres de la conférence pour la fourniture de services de transport terrestre contribue à améliorer la qualité desdits services (considérant 101 de la décision attaquée) ni celle des services de transport maritime fournis par les membres de la conférence (considérant 103 de la décision attaquée).

353 En second lieu, en ce qui concerne la question de savoir si l'accord en cause contribue à promouvoir, sur le marché, une meilleure continuité et stabilité dans la satisfaction de besoins de transport, la Commission estime que les membres de la FEFC n'ont pas apporté la preuve que le marché sur lequel sont fournis les services de transport terrestre par les transporteurs maritimes se caractérise par de fortes fluctuations de l'offre et de la demande dans le temps. Même si c'était le cas, il n'aurait pas été démontré que la tarification collective, par les membres de la FEFC, des services de transport terrestre contribue à la continuité et à la stabilité sur le marché en cause (considérant 105 de la décision attaquée).

354 En troisième lieu, en ce qui concerne l'augmentation de la productivité, la Commission conclut qu'il n'a pas été démontré que la fixation collective des prix du transport terrestre, par la conférence, a entraîné ou est susceptible d'entraîner une augmentation de la productivité des entreprises concernées (considérant 106 de la décision attaquée), la fixation de prix par la FEFC n'ayant aucun effet direct sur les services fournis ou leur mode d'exécution (considérant 107 de la décision attaquée). Au considérant 108 de cette dernière, la Commission expose par ailleurs qu'il n'a pas été non plus démontré que l'accord en cause contribue à accroître la productivité des membres de la FEFC pour les services de transport maritime qu'ils assurent.

355 En quatrième lieu, en ce qui concerne le fait de promouvoir le progrès technique, la Commission conclut, au considérant 109 de la décision attaquée, que les membres de la FEFC n'ont pas apporté la preuve que la fixation des prix concernant les services de transport terrestre fournis par les transporteurs maritimes satisfait à cette condition. La Commission expose à cet égard que l'argument des requérantes selon lequel l'accord en cause permet d'investir dans les segments du service de transport intégré peut être avancé pour n'importe quel accord de fixation des prix (considérants 110 et 111 de la décision attaquée). Selon la Commission, la fixation collective des prix prévue par l'accord en cause, au lieu de stimuler l'introduction d'une technologie nouvelle, peut décourager des investissements nouveaux en réduisant les avantages concurrentiels qui reviennent normalement aux entreprises ayant mieux exploité leurs investissements (considérant 111 de la décision attaquée).

356 Les requérantes font grief à la Commission de s'être fondée, pour justifier sa conclusion sur l'absence d'amélioration de la qualité des services, sur la circonstance que la plupart des compagnies maritimes offrant des services de transport multimodal achètent les services de transport terrestre à des entreprises de transport terrestre aux prix du marché.

357 À cet égard, il convient de relever que, dans la décision attaquée, la Commission constate que "les membres de la FEFC n'effectuent généralement pas l'acheminement sur le segment terrestre eux-mêmes, mais le sous-traitent à des transports terrestres" (considérant 101). Par ailleurs, au considérant 102 de la décision attaquée, la Commission observe que "si le prix du [transport terrestre] est fixé dans le cadre de la FEFC, chacun des membres négocie individuellement avec les transporteurs terrestres", de sorte que "les améliorations apportées à la qualité du service pour répondre à la demande des chargeurs ne résultent pas des pratiques de fixation des prix de la conférence, mais des négociations menées à titre individuel entre les transporteurs terrestres et les compagnies maritimes".

358 Force est de constater que ce raisonnement de la Commission n'est entaché d'aucune erreur d'appréciation manifeste. Il n'apparaît pas, en effet, que la capacité de fixer un prix commun pour un service que les compagnies maritimes achètent, dans le cadre d'une sous-traitance, à des prix différents peut contribuer à rationaliser la partie terrestre de leurs activités par un contrôle plus efficace des conteneurs.

359 Cette conclusion n'est pas infirmée par l'argument selon lequel la Commission a méconnu le fait que les coûts directs du transport terrestre ne représentent qu'une faible proportion du total des coûts des services de transport terrestre. Les requérantes n'ont, en effet, pas apporté la preuve que la fixation des prix, par la conférence, contribue à améliorer la qualité des services de transport terrestre, même si la grande majorité des coûts terrestres correspondent à des activités propres des compagnies maritimes et non des services achetés par celles-ci. Quelle que soit la proportion que représentent les coûts directs du transport terrestre, il suffit de relever que, en tout état de cause, les requérantes n'ont pas démontré en quoi la fixation collective des taux serait de nature à rendre plus efficaces les services de transport multimodal et, en particulier, la gestion des conteneurs vides.

360 Quant à la question de savoir si l'accord en cause contribue à promouvoir, sur les marchés qui sont soumis à de fortes fluctuations dans le temps, une meilleure continuité et stabilité dans la satisfaction de besoins de transport, la Commission note, au considérant 105 de la décision attaquée, que "les membres de la FEFC n'ont pas apporté la preuve que le marché sur lequel sont fournis les services de [transport terrestre] se caractérise par de fortes fluctuations de l'offre et de la demande dans le temps". À cet égard, la Commission relève à juste titre que les raisons avancées par les requérantes pour établir l'existence d'une instabilité des prix dans le cadre du service de transport multimodal et la nécessité de fixer collectivement les prix pour la partie terrestre du transport multimodal sont les mêmes que celles qui ont été avancées pour expliquer l'instabilité des prix du transport maritime et sont propres à ce type de transport.

361 En revanche, ainsi que la Commission le fait observer au considérant 30 de la décision attaquée, les conditions dans lesquelles le transport terrestre est assuré sont très différentes de celle du transport maritime. En effet, les prix du transport terrestre sont, en règle générale, les mêmes pour toutes les marchandises quel que soit la nature ou la valeur intrinsèque de celles-ci et sont fixés en fonction du coût du service. Par ailleurs, ces coûts sont déterminés pour chaque conteneur. Comme la Commission le souligne dans ses écrits déposés devant le Tribunal, en se référant au rapport Gilman et Graham produit par les requérantes, il n'y a, en conséquence, aucune incitation à vendre l'espace disponible à tout prix.

362 À la lumière de ces éléments, il ne saurait être reproché à la Commission une erreur manifeste d'appréciation sur ce point. Les membres de la FEFC n'ont d'ailleurs apporté aucun élément de nature à démontrer que le marché du transport terrestre se caractérise par de fortes fluctuations de l'offre et de la demande dans le temps. Enfin, en tout état de cause, même si le marché pouvait être ainsi caractérisé, les requérantes n'ont pas démontré en quoi la tarification collective des services de transport terrestre contribuerait à la continuité et à la stabilité sur le marché en cause.

363 En ce qui concerne l'augmentation de la productivité des entreprises, la Commission relève à nouveau, au considérant 107 de la décision attaquée, que les membres de la FEFC n'interviennent généralement pas eux-mêmes dans la fourniture du service de transport terrestre. Elle précise à cet égard que "la fixation de prix par la FEFC n'a aucun effet direct sur les services fournis ou leur mode de prestation, car ils sont vendus aux membres de la FEFC au prix courant du marché et non au prix fixé par la conférence". Partant, elle conclut que l'accord de fixation des prix pour le transport terrestre "n'a pas d'incidence directe sur le service que les compagnies maritimes fournissent effectivement".

364 Il a déjà été constaté ci-dessus, au stade de l'examen de l'effet de l'accord en cause sur la qualité des services, que cette appréciation n'est entachée d'aucune erreur manifeste. Cette conclusion s'impose également dans le cadre de l'examen de l'effet dudit accord sur la productivité des entreprises concernées, étant observé que les requérantes n'ont pas, en tout état de cause, apporté la preuve que l'accord portant fixation des prix du transport terrestre contribue à augmenter leur productivité.

365 En ce qui concerne la question de savoir si l'accord en cause contribue à promouvoir le progrès technique ou économique, la Commission relève, au considérant 109 de la décision attaquée, que les membres de la FEFC n'ont pas apporté la preuve de ce que la fixation des prix concernant les services de transport terrestre contribue à la réalisation de cet objectif. Comme la Commission le souligne à juste titre au considérant 110 de sa décision, l'argument des requérantes selon lequel l'accord en cause permet d'investir dans les segments du service de transport intégré peut être avancé pour n'importe quel accord de fixation des prix. En réalité, il apparaît plus probable, comme la Commission le souligne au considérant 111 de la décision attaquée, que les restrictions de concurrence résultant de l'accord portant fixation des prix, au lieu de stimuler l'introduction d'une technologie nouvelle, découragent des investissements nouveaux en réduisant les avantages concurrentiels qui reviennent normalement aux entreprises ayant mieux exploité leurs investissements.

366 Dans ces circonstances, les requérantes n'ont pas apporté la preuve que l'accord de fixation des prix des services de transport terrestre contribue à promouvoir le progrès technique ou économique.

367 Enfin, s'agissant des effets de l'accord sur la promotion de la stabilité sur le marché des services de transport maritime, il apparaît que la Commission s'est bornée, au considérant 104 de la décision attaquée, à renvoyer à l'examen effectué aux considérants 123 à 137 de ladite décision concernant le caractère indispensable des restrictions. La Commission a ainsi considéré que, à supposer même que la première condition soit remplie, une exemption ne peut être accordée dès lors que les restrictions de concurrence ne sont, en tout état de cause, pas indispensables pour atteindre l'objectif poursuivi par l'accord. Eu égard au caractère cumulatif des quatre conditions de l'article 85, paragraphe 3 (arrêt SPO e.a./Commission, précité, point 227), cette circonstance n'est pas de nature à affecter la légalité de la décision attaquée pour autant que celle-ci établisse, à suffisance de droit, le caractère non indispensable des restrictions résultant de l'accord ou qu'une autre condition de l'article 85, paragraphe 3, n'est pas remplie.

c) Deuxième condition: réservation d'une part équitable des avantages aux utilisateurs

368 Dans la décision attaquée, la Commission conclut, au considérant 115, que l'accord en cause ne tient pas suffisamment compte des intérêts des chargeurs et autres usagers, ledit accord servant uniquement à assurer le maintien des prix à un niveau plus élevé qu'il ne le serait autrement. À cet égard, la Commission relève que la fixation par la conférence des prix des services de transport terrestre empêche les compagnies les plus efficaces de répercuter les réductions de coût (considérant 116 de la décision attaquée). Ensuite, la Commission fait valoir qu'elle a tenu compte des plaintes dont l'ont saisie les organismes représentant les intérêts des usagers des services de transport terrestre, qui ont exprimé leur préoccupation au sujet des distorsions de concurrence dans ce secteur (considérant 117 de la décision attaquée). Enfin, la Commission observe que, en pratique, il serait plus facile de réserver aux usagers une part équitable du profit résultant du transport porte à porte s'il n'y avait pas accord de fixation de prix comme celui conclu par les membres de la FEFC (considérant 118 de la décision attaquée).

369 En premier lieu, les requérants soutiennent que la Commission ne s'est pas forgée sa propre opinion sur la question, contrairement au devoir qui lui incombe, en déclarant qu'elle a tenu compte de différentes plaintes d'utilisateurs.

370 Cet argument ne saurait être retenu. Outre que la Commission est parfaitement en droit de tenir compte des plaintes des usagers pour apprécier si l'accord en cause prend en compte leurs intérêts, il ressort du texte de la décision attaquée, et plus particulièrement de la teneur des considérants 115 et 116 rappelés ci-dessus, que la Commission a bien effectué sa propre analyse de la question. Ainsi, au considérant 115 de la décision attaquée, la Commission relève que "l'accord de fixation collective des prix sert uniquement à assurer le maintien des prix à un niveau plus élevé qu'il ne le serait autrement". Par ailleurs, au considérant 116, la Commission considère que "dans la mesure où les transporteurs individuels sont en mesure de réduire leurs coûts en organisant leurs flottes de conteneurs plus efficacement que d'autres, la fixation par la conférence des prix de services de carrier haulage empêche les compagnies les plus efficaces de répercuter les réductions de coût".

371 En tout état de cause, c'est à bon droit que la Commission a pu déduire de l'existence d'un nombre élevé de plaintes des usagers que l'accord en cause ne prenait pas en compte, dans une mesure équitable, les intérêts de ces derniers.

372 En second lieu, les requérantes reprochent à la Commission d'avoir conclu au considérant 118 de la décision attaquée que "si l'on veut réserver aux utilisateurs une part équitable du profit, il faut maintenir un niveau élevé de concurrence dans la fourniture des services de transport terrestre aux chargeurs". Les activités de transport multimodal de la FEFC ne représentant que 38 % du total du trafic maritime entre l'Extrême-Orient et l'Europe, elles concluent qu'il existe une concurrence suffisante, d'un niveau élevé.

373 À cet égard, il convient de rappeler qu'un accord de fixation des prix constitue une atteinte très grave à la concurrence. Par ce type d'accord, les requérantes sont en effet en mesure de maintenir les prix à un niveau plus élevé qu'ils ne le seraient autrement. Par ailleurs, il convient de constater que cet argument des requérantes vise, en réalité uniquement à minimiser l'impact sur la concurrence de l'accord en cause, mais nullement à établir que celui-ci prend en considération les intérêts des utilisateurs. Il est, dès lors, inopérant dans le présent contexte.

374 Il s'ensuit que la Commission n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en considérant que l'accord en cause ne réserve pas une partie équitable du profit aux utilisateurs.

d) Troisième condition: le caractère indispensable des restrictions de concurrence en cause

375 En ce qui concerne l'examen du caractère indispensable des restrictions en cause, il convient de constater que la Commission, aux considérants 119 à 139 de la décision attaquée, a examiné si les restrictions de concurrence résultant de l'accord en cause sont indispensables, d'une part, pour la fourniture des services de transport multimodal, et d'autre part, pour le maintien du système de fixation des prix des transports maritimes par les conférences maritimes.

376 S'agissant du premier volet, la Commission conclut, au considérant 121 de la décision attaquée, que la fixation collective des prix des services de transport terrestre n'est pas essentielle à la fourniture de ces services. À cet égard, elle relève en particulier que "la plupart des membres de la FEFC ne fournissent pas eux-mêmes les services de transport terrestre" et que "la FEFC n'exerce non plus aucune activité de transport terrestre autre qu'offrir simplement une tribune où se fixent collectivement les prix des [transports terrestres]" (considérant 120 de la décision attaquée). Par ailleurs, elle fait valoir que "de nombreux transporteurs et commissionnaires de transport indépendants offrent des services équivalents ou similaires en dehors du cadre de la FEFC ou de toute autre conférence, sans fixer en commun avec une autre compagnie maritime les prix des services de [transport terrestre]" (considérant 121 de la décision attaquée).

377 S'agissant du second volet, la Commission conclut, en substance, qu'"il n'a pas été prouvé que la fixation des prix [du transport terrestre] est indispensable au maintien du rôle stabilisateur joué par les conférences" (considérant 131). À cet égard, la Commission relève, en particulier, l'existence des mesures alternatives énumérées par l'article 3 du règlement n° 4056-86, qui peuvent être prises pour assurer la stabilité des tarifs du transport maritime d'une conférence, à savoir la répartition, entre les membres d'une conférence, du tonnage transporté ou de la recette. Par ailleurs, la Commission souligne, au considérant 135 de la décision attaquée, que "certaines activités sont exercées, non sur la base d'un prix convenu dans le cadre d'une conférence, mais sur la base, beaucoup moins restrictive, d'un accord prévoyant que les services ne peuvent être facturés en dessous de leur coût".

378 Dans ces circonstances, la Commission rejette l'argument des requérantes, s'appuyant en partie sur le rapport Gilman et Graham, tiré de ce que le rôle stabilisateur des conférences maritimes serait compromis si celles-ci ne fixaient pas les prix du transport terrestre, car ses membres seraient tentés de porter atteinte aux prix du transport maritime fixés par la conférence en jouant sur les prix appliqués au segment terrestre du transport. Elle considère à cet égard que "le fait que la cartellisation d'une partie des activités des compagnies maritimes soit jugée compatible avec les règles de concurrence ne saurait en soi justifier l'exemption de toutes les activités exercées par ces entreprises".

379 Dans leurs écrits, les requérantes se bornent à réaffirmer que la stabilité des prix, résultant d'un contrôle des tarifs dans le cadre d'une conférence, aide et encourage les compagnies maritimes à effectuer des investissements plus importants.

380 Force est de constater que ce grief se rattache au second volet de l'analyse de la Commission concernant le caractère indispensable des restrictions en cause pour le maintien de la stabilité des prix des services de transport maritime fixés par les conférences. Il en résulte que les requérantes ne contestent pas l'analyse de la Commission relative au caractère indispensable des restrictions de l'accord en cause pour la fourniture de services de transport multimodal. À cet égard, il y a lieu de considérer que c'est à bon droit que la Commission a pu déduire du fait que la plupart des membres de la FEFC ne fournissent pas eux-mêmes les services de transport terrestre, que la FEFC n'exerce aucune activité de transport terrestre autre qu'offrir une tribune de fixation collective des prix et que de nombreux commissionnaires et transporteurs indépendants offrent des services similaires sans fixation commune des prix, que la fixation collective des prix du transport terrestre n'est pas indispensable à la fourniture de ces services.

381 En ce qui concerne les griefs des requérantes relatifs au second volet de l'analyse de la Commission, il y a lieu de rappeler qu'il appartient aux requérantes, en vertu de l'article 85, paragraphe 3, du traité, de démontrer que les restrictions de concurrence en cause remplissent les objectifs visés par ladite disposition et que ces derniers ne pourraient être atteints sans l'instauration de ces restrictions.

382 En l'espèce, les requérantes soutiennent, en substance, que, en l'absence d'un tarif de transport multimodal fixé dans le cadre d'une conférence, une grave déstabilisation des prix des services de transport maritime se produirait, qui serait de nature à paralyser le fonctionnement des conférences. Elles estiment notamment que, à défaut d'un tel tarif, les compagnies pourraient facturer facilement en dessous des tarifs du transport maritime en absorbant une partie ou la totalité du coût du transport terrestre.

383 Force est de constater que, au considérant 136 de la décision attaquée, la Commission a reconnu que, en l'absence de fixation collective des prix, les membres de la FEFC peuvent imposer aux chargeurs, pour les services de transport terrestre des prix inférieurs à leurs coûts d'achat, ce qui reviendrait à offrir un rabais sur le tarif du transport maritime fixé par la conférence. La Commission ajoute que cette pratique risque effectivement de nuire davantage à la stabilité apportée par la FEFC que ne le font d'autres types de rabais accordés sur les tarifs du transport maritime de la FEFC et la concurrence d'autres compagnies maritimes non membres de cette conférence.

384 Dans le considérant suivant de la décision attaquée, la Commission déclare toutefois qu'il n'a pas été prouvé que des mesures moins restrictives de la concurrence ne seraient pas suffisantes pour atteindre l'objectif de stabilité générale. Les requérantes ne sauraient objecter que la Commission n'a pas concrètement démontré l'existence de mesures moins restrictives. En effet, il résulte d'une jurisprudence constante qu'il appartient aux entreprises demandant le bénéfice d'une exemption, au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, d'établir sur la base de preuves documentaires, le caractère justifié d'une exemption. Dans ces circonstances, il ne saurait être fait grief à la Commission de n'avoir pas proposé d'autres solutions ni indiqué ce qu'elle considérerait comme justifiant l'octroi d'une exemption (voir arrêt VBVB et VBBB/Commission, précité, point 52).

385 En tout état de cause, force est de constater que la Commission a indiqué deux types de mesures alternatives.

386 D'une part, au considérant 137 de la décision attaquée, la Commission relève, ainsi qu'il a été déjà été exposé ci-dessus, que les mesures qui peuvent être prises pour assurer la stabilité des tarifs du transport maritime d'une conférence sont énumérées à l'article 3 du règlement n° 4056-86 et que celles-ci comprennent notamment la répartition, entre les membres d'une conférence, du tonnage transporté ou de la recette.

387 D'autre part, il ressort de la décision attaquée que la Commission soulignait déjà au considérant 135 que certaines activités pouvaient être exercées sur la base d'un accord prévoyant que les services de transport terrestre ne peuvent être facturés en dessous de leurs coûts. La Commission développe son raisonnement à cet égard sous la note de bas de page correspondante au considérant 139 de la décision attaquée. Dans cette note, la Commission rappelle que dans un rapport qu'elle a présenté au Conseil concernant le transport maritime, elle s'est déclarée disposée à envisager l'octroi d'une exemption individuelle pour un accord de conférence comprenant une disposition prévoyant que les tarifs du transport terrestre ne peuvent être inférieurs aux coûts, de manière à éviter dans une large mesure le risque d'instabilité pour les conférences maritimes lié à une éventuelle subvention croisée entre les parties terrestre et maritime du transport.

388 Il y a lieu de constater que les requérantes n'ont pas apporté d'éléments de nature à remettre en cause les conclusions de la Commission sur ce point. En particulier, les requérantes n'ont pas démontré en quoi les mesures alternatives proposées par la Commission n'étaient pas moins restrictives que l'accord de fixation des prix en cause ou les raisons pour lesquelles ces mesures n'étaient pas réalisables.

389 En premier lieu, il convient d'observer que les requérantes ne sauraient se prévaloir du fait qu'elles pourraient manquer aux obligations découlant de l'accord de fixation des prix des services de transport maritime pour justifier l'octroi d'une autre exemption en faveur d'un accord de fixation des prix des services de transport terrestre. Le simple fait que le respect de l'accord de fixation des prix du transport maritime prive de toute utilité un accord de fixation des taux terrestres suffit à démontrer l'absence de caractère indispensable de ce dernier.

390 Il s'ensuit que tous les arguments des requérantes visant à justifier le caractère indispensable des restrictions de concurrence en cause en raison de l'instabilité pouvant résulter de leur propre violation de l'accord de fixation des prix du transport maritime doivent être rejetés.

391 Tel est le cas, notamment, de l'argument tiré de ce que le transport multimodal est actuellement le service le plus recherché par les chargeurs de sorte que la concurrence concernant ce mode de transport risquerait prétendument de porter atteinte au tarif du transport maritime. Il convient d'observer, par ailleurs, que cette circonstance ne fait que souligner la gravité des restrictions de concurrence découlant de l'accord en cause.

392 En deuxième lieu, il convient de souligner la gravité des restrictions de concurrence générées par l'accord en cause.

393 D'une part, un accord portant fixation des prix constitue une restriction très grave à la concurrence. Or, l'accord en cause a pour effet d'étendre au marché des services de transport terrestre une restriction de ce type, autorisée à titre exceptionnel sur le marché des services de transport maritime.

394 D'autre part, la fixation collective des prix pour le transport terrestre risque de donner aux membres de la conférence la faculté d'étendre la position importante qu'elles détiennent sur le marché des services de transport maritime sur celui des services de transport terrestre. En particulier, les compagnies membres de la FEFC peuvent, en raison de l'accord en cause, porter atteinte à la concurrence sur le marché des services de transport terrestre en absorbant le coût des ristournes qu'elles octroieraient sur ce marché par le biais de leurs tarifs de transport maritime.

395 Dans ce contexte, l'argument des requérantes selon lequel il n'existe pas de mesure alternative moins restrictive à l'accord en cause s'avère peu convaincant, étant donné le caractère fortement restrictif de ce dernier.

396 Il ressort de ces considérations que l'accord en cause entraîne des restrictions de concurrence qui, non seulement sont extrêmement graves, mais surtout ne sont pas indispensables pour atteindre l'objectif de stabilité allégué par les requérantes.

397 L'absence de caractère indispensable de ces restrictions ressort également de l'argumentation des requérantes. En effet, il résulte de celle-ci que la raison fondamentale alléguée au soutien de la prétendue nécessité de l'accord en cause réside uniquement dans la préservation de la stabilité des prix du transport maritime. Or, ainsi que la Commission le rappelle au considérant 137 de la décision attaquée, le règlement n° 4056-86 prévoit des mesures, couvertes par l'exemption par catégorie, qui peuvent être prises pour assurer la stabilité des services de transport maritime. Par conséquent, il appartient aux requérantes de recourir, en priorité, à ces possibilités offertes par la réglementation communautaire, en particulier celle prévue à l'article 3, sous e), du règlement n° 4056-86. Les arguments des requérantes visant à établir que ces mesures seraient plus restrictives que l'accord en cause ne sauraient donc prospérer. En effet, dès lors qu'une mesure est exemptée par un règlement du Conseil, il importe peu de s'interroger sur sa nature plus ou moins restrictive au regard de l'article 85, paragraphe 3, du traité. C'est donc à bon droit que la Commission a estimé que les restrictions de concurrence en cause n'étaient pas indispensables au vu de l'existence des mesures prévues par l'article 3 du règlement n° 4056-86.

398 Par ailleurs, la Commission a indiqué au considérant 135 et à la note de bas de page du considérant 139 de la décision attaquée, une autre mesure moins restrictive que l'accord en cause pour atteindre l'objectif allégué de stabilité, à savoir une disposition, insérée dans un accord prévoyant que les services de transport terrestre ne peuvent être facturés en dessous de leurs coûts.

399 Force est en effet de constater qu'une telle disposition constitue une mesure indiscutablement moins restrictive que l'accord en cause. Les requérantes ne le contestent d'ailleurs pas, mais font valoir que la Commission n'aurait pas prouvé que cette mesure est réalisable. Outre le fait qu'il n'appartient pas à la Commission de proposer d'autres solutions ou d'indiquer ce qu'elle considérerait comme justifiant l'exemption (arrêt VBVB et VBBB/Commission, précité, point 52), il suffit de relever que la règle d'interdiction de vente à perte des services de transport terrestre a été proposée dans le rapport intermédiaire du groupe Carsberg au sein duquel les compagnies maritimes étaient représentées. Par ailleurs, il peut être observé que des compagnies maritimes ont notifié un accord comportant une telle interdiction à la Commission.

400 Il y a lieu de relever que, d'une part, cette clause d'interdiction de vente à perte incite les compagnies à comprimer les coûts du transport terrestre de manière à être compétitives sur l'ensemble de l'opération de transport multimodal. Un tel système permet aux compagnies de transport maritime de se concurrencer sur la base de la qualité spécifique du service de transport terrestre dans le cadre d'une opération de transport multimodal. En outre, la clause élimine la possibilité d'accorder implicitement des rabais sur le tarif du transport maritime de la conférence grâce à l'absorption d'une partie des coûts du transport terrestre et, par conséquent, contribue à la stabilité du transport maritime.

401 Il ressort de ce qui précède que c'est à bon droit que la Commission a constaté que l'accord contenait des restrictions de concurrence non indispensables. En tout état de cause, les requérantes n'ont pas démontré que, ce faisant, la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation.

402 Il s'ensuit que le moyen tiré de la violation de l'article 85, paragraphe 3, du traité et de l'article 5 du règlement n° 1017-68 doit être rejeté.

5. Sur le quatrième moyen pris de l'existence de vices de procédure lors de la procédure administrative

A - Sur le grief tiré de la violation de la procédure de conciliation prévue par le Code de conduite

a) Arguments des parties

403 Les requérantes reprochent à la Commission d'avoir omis de recourir, avant l'engagement d'une procédure contre la FEFC, aux procédures de consultation et de conciliation prévues par l'article 9 du règlement n° 4056-86 et/ou l'article 25, paragraphe 3, du Code de conduite.

404 La Commission conclut au rejet de ce grief.

b) Appréciation du Tribunal

405 Comme le souligne à juste titre la Commission, la présente affaire, ainsi qu'il a été constaté ci-dessus dans le cadre de l'examen du deuxième moyen, ne portant pas sur une procédure d'application du règlement n° 4056-86, elle n'était pas tenue de recourir aux procédures de consultation et de conciliation prévues par le règlement n° 4056-86. Le grief des requérantes doit dès lors être rejeté.

B - Sur le grief tiré de la violation de l'accord sur l'Espace économique européen

a) Arguments des parties

406 La JSA affirme que la décision attaquée n'indique pas dans quelle mesure la Commission a consulté les États de l'Association européenne de libre-échange (AELE) ou les institutions prévues par l'accord sur l'Espace économique européen (ci-après l'" accord EEE"), alors quelle en avait l'obligation, notamment, en vertu des articles 55, 56 et 58 de l'accord EEE, ainsi que des protocoles 23 et 24 et de l'annexe XIV de cet accord. Elle estime que leur participation formelle était très importante, étant donné, d'une part, que les États de l'AELE comprennent le Royaume de Norvège et la République d'Islande et comprenaient, à l'époque de la décision attaquée, la république de Finlande et le Royaume de Suède, qui ont des intérêt maritimes considérables et, d'autre part, qu'une voie maritime importante pour les services de transport par conteneurs entre la Scandinavie et l'Extrême-Orient est mise en cause par la décision attaquée. Elle déduit du silence de cette dernière une absence de consultation formelle ou même informelle de ces Etats et institutions et, conséquemment, la violation par la Commission de l'ordre juridique communautaire, ce qui doit entraîner l'annulation de la décision attaquée. Raisonnant par analogie, la JSA se réfère à l'annulation de mesures communautaires qui n'avaient pas accordé au Parlement sa juste place dans le processus législatif (arrêt Commission/Conseil, précité, points 18 à 20). Une consultation uniquement informelle devrait aussi entraîner l'annulation de la décision attaquée pour non-respect de la procédure conformément à l'arrêt du Tribunal Union internationale des chemins de fer/Commission, précité.

407 La Commission conclut au rejet de ce grief.

b) Appréciation du Tribunal

408 Il suffit de relever que les dispositions pertinentes de l'accord EEE ainsi que celles des protocoles 23 et 24 et de l'annexe XIV dudit accord n'étaient pas applicables à la procédure administrative ayant abouti à la décision attaquée. En effet, ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 1994, date à laquelle les étapes procédurales requérant la coopération entre la Commission et l'Autorité de surveillance AELE, à savoir l'audition des entreprises et la consultation du comité consultatif, avaient déjà eu lieu (arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T-305-94 à T-307-94, T-313-94 à T-316-94, T-318-94, T-325-94, T-328-94, T-329-94 et T-335-94, Rec. p. II-931, point 259).

C - Sur le grief tiré de la privation de garanties procédurales en raison d'un choix erroné quant au règlement de procédure applicable

a) Arguments des parties

409 Les requérantes rappellent qu'elles considèrent que la procédure contre la FEFC, qui a été engagée et suivie par la Commission uniquement en application du règlement n° 1017-68, alors même que la plainte initiale de 1989 aurait été déposée sur le fondement de l'article 10 du règlement n° 4056-86, aurait dû respecter ce dernier règlement. Elles relèvent que dans son arrêt Union internationale des chemins de fer/Commission, précité, le Tribunal a annulé la décision de la Commission en raison d'un choix erroné quant au règlement de procédure applicable, ce qui a eu pour conséquence de priver les entreprises de garanties de procédures essentielles. Elles estiment que le Tribunal devrait adopter la même approche dans la présente affaire et juger que le fait que la Commission n'a pas appliqué le règlement n° 4056-86 a également fondamentalement vicié la décision de la Commission et privé les requérantes de la protection à laquelle elles auraient eu droit, si le règlement de procédure approprié avait été appliqué.

410 Elles relèvent d'une façon plus spécifique que l'article 15, paragraphe 4, du règlement n° 4056-86 dispose qu'avant toute décision consécutive à une procédure visée à l'article 10 dudit règlement, un comité, qui doit être composé de fonctionnaires compétents en matière d'ententes et de positions dominantes et dans le domaine des transports maritimes doit être consulté. Elles observent que, comme la décision attaquée a été adoptée sur la base du règlement n° 1017-68, le comité consultatif consulté sur le fondement de l'article 16, paragraphe 4, de ce règlement n'était composé que de fonctionnaires compétents en matière d'ententes et de positions dominantes dans le domaine des transports non maritimes. Elles en concluent que la Commission n'a pas consulté le comité consultatif dont les membres avaient une connaissance et une expérience spécifiques du secteur des transports maritimes.

411 La Commission conclut au rejet de ce grief.

b) Appréciation du Tribunal

412 Dès lors qu'il a été constaté dans le cadre de l'examen du deuxième moyen que le règlement applicable en l'espèce était le règlement n° 1017-68, le grief tiré de ce que la Commission n'aurait pas consulté le comité consultatif prévu par le règlement n° 4056-86 doit être rejeté. À titre surabondant, il y a lieu de relever que la Commission a fait valoir, sans être contredite sur ce point par les requérantes, que, en pratique, les gouvernements des États membres envoient les représentants de leurs choix, suivant les questions soulevées dans l'affaire considérée et que, dans le cas d'espèce, les représentants des États membres composant le comité consulté en l'espèce connaissaient parfaitement le secteur des transports maritimes, de sorte qu'il n'y a aucune raison de supposer que le résultat eût été différent si le comité avait été celui visé par les requérantes.

413 Par ailleurs, il convient d'observer que, en l'espèce, les requérantes ont, en ce qui concerne les garanties procédurales, retiré un bénéfice de l'application du règlement n° 1017-68. En effet, en premier lieu, la Commission a été contrainte, en vertu de l'article 5 du règlement n° 1017-68, de faire application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, bien que l'accord n'ait pas été notifié. En deuxième lieu, l'application du règlement n° 1017-68 a entraîné l'applicabilité de la procédure prévue en son article 17, alors que les droits y réservés aux États membres d'intervenir ne sont pas prévus par le règlement n° 4056-86. Il s'ensuit que les requérantes n'ont été privées d'aucune des garanties procédurales prévues par le règlement de procédure applicable en l'espèce et que, partant, le grief doit être rejeté.

D - Sur le grief tiré d'une violation de l'obligation de motivation

a) Arguments des parties

414 Les requérantes relèvent que la décision attaquée ne respecte pas les conditions minimales requises par l'article 190 du traité (devenu article 253 CE), soit parce qu'aucune motivation n'est fournie, soit parce que la motivation fournie est insuffisante pour permettre au Tribunal d'exercer correctement son pouvoir de contrôle.

415 En premier lieu, elles reprochent à la Commission de s'être abstenue de définir correctement le marché en cause dans son ensemble et de définir la nature des activités de la FEFC sur ce marché. La décision attaquée ne contiendrait aucune appréciation de l'effet sensible de l'accord en cause sur la concurrence et devrait, partant, être annulée pour défaut de motivation.

416 En deuxième lieu, elles font grief à la Commission d'avoir, au considérant 51 de la décision attaquée, affirmé que le tarif du transport terrestre affecte la concurrence entre ports et influence les itinéraires de marchandises entre différents Etats membres, alors que cette affirmation est dénuée de tout fondement. L'effet d'un tel tarif serait purement hypothétique et la Commission ne ferait aucune tentative sérieuse d'examiner ce qui se produirait en l'absence d'un tarif de transport terrestre. Cela constituerait un défaut de motivation.

417 En troisième lieu, elles estiment que l'argument présenté par la Commission au considérant 54 de la décision attaquée, tiré de l'effet du tarif de transport terrestre sur les échanges intracommunautaires de marchandises, n'est pas fondé sur une analyse qualitative et quantitative des faits y allégués. Dès lors, la décision attaquée serait entachée d'un défaut de motivation.

418 En quatrième lieu, en ce qui concerne le défaut de prise en considération des pratiques d'autres autorités compétentes en matière de concurrence et d'autres législateurs, elles relèvent au stade de la réplique, que dans un arrêt du 17 janvier 1995, Publishers Association/Commission (C-360-92 P. Rec. p. 1-23), la Cour a annulé pour défaut de motivation une décision de refus d'exemption de la Commission pour n'avoir contenu aucune explication sur le caractère non pertinent des conclusions de la Restrictive Practices Court (autorité compétente au Royaume-Uni en matière de concurrence) présentées par la requérante à l'appui d'un de ses arguments économiques.

419 En cinquième lieu, l'absence totale, dans la décision attaquée, de tout motif expliquant les raisons pour lesquelles la Commission n'a pas appliqué les procédures de consultation et de conciliation du Code de conduite constituerait également un défaut de motivation.

420 L'ECSA critique l'argumentation développée par la Commission au considérant 137 de la décision attaquée. L'ECSA relève, en premier lieu, que la Commission n'indique pas dans sa décision comment la solution de remplacement à l'accord en cause, à savoir la répartition entre les compagnies du tonnage transporté ou des recettes, peut être appliquée dans la présente affaire. Elle observe, en deuxième lieu, que la Commission a omis d'expliquer dans la décision attaquée, tout comme dans ses mémoires, quel procédé permettrait aux conférences maritimes d'assurer la stabilité sur le marché des services réguliers de transport maritime, même en l'absence d'un tarif commun fixé au sein des conférences pour les services de transports multimodaux. Or, en arrêtant le règlement n° 4056-86, le Conseil n'aurait pas estimé que la répartition du tonnage transporté ou des recettes suffisait à assurer la stabilité sur le marché, alors qu'il a déclaré, au huitième considérant de ce règlement que le "rôle stabilisateur" des conférences constituait un résultat qui ne pouvait être obtenu sans "la coopération que les compagnies maritimes développent au sein des [...] conférences en matière de tarifs". La décision attaquée devrait en conséquence être annulée pour défaut de motivation.

421 La JSA soutient que le fait que la Commission ne s'est pas référée, dans la décision attaquée, à l'accord EEE, équivaut à un défaut de motivation.

422 La Commission conclut au rejet de ce grief.

b) Appréciation du Tribunal

423 Il ressort d'une jurisprudence constante que l'obligation de motiver une décision individuelle a pour but de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d'un vice permettant d'en contester la validité et de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision, étant précisé que la portée de cette obligation dépend de la nature de l'acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49-95, Rec. p. II-1799, point 51).

424 En ce qui concerne, en premier lieu, le défaut de motivation relatif à la définition du marché en cause et à l'effet sensible de l'accord en cause sur la concurrence, il suffit de relever que la Commission a décrit, à suffisance de droit, les caractéristiques essentielles du marché en cause aux considérants 7 à 37 de la décision attaquée et a, de la même manière, défini, notamment aux considérants 10 et 42 de la décision attaquée, le marché en cause. De même, la Commission a exposé à suffisance de droit dans ladite décision, en particulier aux considérants 34 à 37, les éléments fondant son appréciation au sujet de l'effet sensible de l'accord en cause sur la concurrence. Partant, le grief des requérantes tiré d'un défaut de motivation sur ces questions doit être rejeté.

425 En second lieu, en ce qui concerne le grief des requérantes tiré de l'absence de motivation, aux considérants 51 et 54 de la décision attaquée, de l'affectation du commerce entre États membres, il ressort de l'examen du premier moyen, que la Commission a, aux considérants 46 à 55 de la décision attaquée, décrit à suffisance de droit la mesure dans laquelle l'accord en cause est susceptible d'affecter le commerce entre États membres. Quant à l'allégation selon laquelle la thèse de la Commission est dépourvue de fondement en ce que l'effet du tarif des services de transport terrestre sur les échanges intracommunautaires de marchandises est purement hypothétique et n'est pas fondé sur une analyse qualitative et quantitative, il suffit de constater que cette allégation vise, en substance, à contester le bien-fondé de l'appréciation de la Commission relative à cette question et qu'elle n'est donc pas pertinente dans le cadre de l'examen du respect de l'obligation de motivation (voir, en ce sens, arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité, point 389). En tout état de cause, le bien-fondé des conclusions, confirmé lors de l'examen du premier moyen, de la Commission sur l'affectation du commerce entre États membres ressort à suffisance de droit des constatations effectuées aux considérants 47 à 50 ainsi qu'aux considérants 52 et 53 de la décision attaquée.

426 En troisième lieu, en ce qui concerne le défaut de motivation pris de l'absence de réponse, dans la décision attaquée, aux allégations des requérantes tirées de la pratique d'autres autorités compétentes en matière de concurrence et d'autres législateurs, il convient de rappeler qu'il est de jurisprudence constante que si, en vertu de l'article 190 du traité, la Commission est tenue de mentionner les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale de la décision et les considérations qui l'ont amenées à prendre celle-ci, il n'est pas exigé qu'elle discute tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés au cours de la procédure administrative (voir, notamment, arrêt de la Cour du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42-84, Rec. p. 2545, points 26 et 44). Tout au plus, la Commission a l'obligation, au regard de l'article 190 du traité, de répondre de manière spécifique aux seules allégations essentielles soulevées par les requérantes au cours de la procédure administrative.

427 En l'espèce, force est de constater que les requérantes se sont bornées à exposer, de manière générale, dans le cadre de leurs observations sous le point 11 de la communication des griefs relatifs à la description du marché des services en cause, la situation juridique des conférences maritimes, en ce compris leurs services de transports terrestres multimodaux, prévalant dans certains États membres et États tiers, en particulier au Royaume-Uni, en Australie et aux États-Unis, et, dans ce dernier cas, en reproduisant, pour l'essentiel, les sections pertinentes du rapport de MM. Gilman et Graham (p. 78 à 85). Il ressort d'un examen de la réponse à la communication des griefs que les requérantes n'ont tiré aucun argument de fait ou de droit de ces constatations générales, sous réserve, tout au plus, de certaines références ponctuelles et limitées au droit des États-Unis d'Amérique dans le cadre de leurs observations sur l'analyse de la Commission relative aux conditions d'octroi d'une exemption individuelle. Force est de constater que, dans ces circonstances, la Commission n'était nullement tenue, dans la décision attaquée, de répondre aux constatations exposées par les requérantes dans leur réponse à la communication des griefs au sujet de la pratique de certaines juridictions nationales. À cet égard, il est significatif de relever que les requérantes n'ont pas estimé nécessaire d'invoquer, dans la requête, un moyen d'annulation tiré d'un défaut de motivation de la décision attaquée sur ce point.

428 Dans ce contexte, la référence effectuée par les requérantes, au stade de la réplique, à l'arrêt de la Cour du 17 janvier 1995, Publishers Association/ Commission (C-360-92 P, Rec. p. I-23), est dénuée de pertinence. Dans le cadre de cet arrêt, les décisions de la juridiction nationale en cause avaient été présentées par la requérante, selon les termes mêmes de l'arrêt, "comme [un] élément de preuve essentiel des effets bénéfiques allégués" (point 40), de sorte que, dans ces circonstances, la Cour a conclu que la Commission aurait dû examiner les arguments que la requérante faisait valoir sur la base des décisions de ladite juridiction (point 41). Par ailleurs, contrairement à l'arrêt Publishers Association/ Commission, précité, dans lequel la juridiction nationale en cause s'était prononcée sur le même accord que celui examiné par la Commission, et en ce qui concerne le même marché géographique, force est de constater que les précédents nationaux invoqués par les requérantes dans la présente affaire ne concernent ni l'accord ni le marché en cause dans la décision attaquée, cette dernière portant exclusivement, aux termes de l'article 1er de son dispositif, sur le seul tarif commun des services de transport terrestre des membres de la FEFC, fournis (dans le cadre du transport multimodal) sur le territoire de la Communauté européenne.

429 Par conséquent, aucun défaut de motivation concernant la prise en considération des pratiques d'autorités et de juridictions nationales ne peut être reproché à la Commission.

430 En quatrième lieu, en ce qui concerne le défaut de motivation relatif à la non-application des procédures de consultation et de conciliation du Code de conduite, il convient de relever que, aux considérants 56 à 59 de la décision attaquée, la Commission a exposé clairement les raisons pour lesquelles le règlement n° 4056-86 n'est pas applicable à l'accord en cause. Il en résulte que, comme il a été expliqué au stade de l'examen du deuxième moyen et du premier grief sous le quatrième moyen, les procédures instituées par le code de conduite auquel le règlement n° 4056-86 fait référence, sont également inapplicables. Partant, la décision attaquée n'est entachée d'aucun défaut de motivation sur ce point.

431 En cinquième lieu, en ce qui concerne l'argument de l'ECSA tiré de ce que la Commission n'aurait pas suffisamment motivé l'absence de caractère indispensable des restrictions de concurrence en cause, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, il ne saurait être fait grief à la Commission de n'avoir pas proposé d'autres solutions ni indiqué ce qu'elle considérerait comme justifiant l'octroi d'une exemption (voir arrêts VBVB et VBBB/Commission, précité, point 52, et SPO e.a./Commission, précité, point 262). En outre, il ressort des considérants 135 et 137 ainsi que de la note de bas de page sous le considérant 139 de la décision attaquée, que la Commission a exposé les moyens moins restrictifs de concurrence qui pouvaient être envisagés par les parties. À cet égard, il convient de rappeler qu'il appartient uniquement à la Commission, au titre de son obligation de motivation, de mentionner les éléments de fait et de droit et les considérations qui l'ont amenée à prendre une décision rejetant la demande d'exemption, sans que les requérantes puissent exiger qu'elle discute tous les points de fait et de droit qu'elles ont soulevés au cours de la procédure administrative (voir, notamment, arrêt Remia e.a./Commission, précité, points 26 et 44). Or, en l'espèce, il ressort des considérants 135 et 137 de la décision attaquée que la Commission a motivé, à suffisance de droit, la conclusion selon laquelle la fixation en commun du tarif des services de transport terrestre n'était pas indispensable pour assurer la stabilité du tarif des services de transport maritime. Enfin, en tout état de cause, pour autant que le grief des requérantes viserait à contester le bien-fondé des conclusions de la Commission à cet égard, il serait dénué de pertinence dans le présent contexte portant sur l'examen d'une prétendue violation par la Commission de l'obligation de motivation.

432 Enfin, en sixième lieu, en ce qui concerne l'argument de la JSA tiré de ce que l'absence de référence à l'accord EEE équivaut à un défaut de motivation, il suffit de rappeler qu'il a été conclu, au stade de l'examen du second grief sous le quatrième moyen, que la Commission n'était nullement tenue de consulter, en l'espèce, les institutions prévues par l'accord EEE préalablement à l'adoption de la décision attaquée. En conséquence, la décision attaquée n'est entachée d'aucun défaut de motivation sur ce point.

433 Il résulte de ce qui précède que l'ensemble du grief des requérantes pris d'un défaut de motivation doit être déclaré non fondé.

E - Sur le grief tiré de la violation des droits de la défense au regard des contenus de la décision attaquée et de la communication des griefs

a) Arguments des parties

434 Les requérantes invoquent la violation par la Commission des droits de la défense qui leur ont été conférés à la section II du règlement n° 4260-88, en particulier aux articles 6 et 8, et, dans le cas où le règlement n° 1017-68 serait applicable, à l'article 4 du règlement n° 1630-69, en ce que l'institution a fait état dans sa décision d'éléments de preuve et d'arguments non énoncés dans la communication des griefs

435 En premier lieu, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas leur avoir fourni les preuves sur lesquelles était basé le point 72 de la communication des griefs, selon lequel toute instabilité causée par des tarifs particuliers n'a jamais dépassé celle causée par les réductions secrètes accordées par les membres de la conférence.

436 En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que les conclusions figurant aux considérants 34 à 37 de la décision attaquée sur l'importance relative des services de transport terrestre sont nouvelles et qu'elles nont pas eu loccasion de faire des commentaires sur l'exactitude des données utilisées ou la validité des conclusions.

437 En troisième lieu, les requérantes soutiennent que la Commission a formulé dans la décision attaquée plusieurs allégations nouvelles qui n'apparaissaient pas dans la communication des griefs, à savoir, le caractère sensible de la restriction de la concurrence (considérant 45), les effets de la tarification du transport multimodal sur les échanges de biens et de services entre Etats membres (considérants 48 à 49 et 54 à 55), sur la concurrence entre ports, y compris l'influence exercée par le système de "péréquation portuaire" (considérants 50 à 51) et, enfin, sur les services annexes (considérants 52 à 53).

438 En quatrième lieu, les requérantes estiment que la Commission a, dans le cadre de la vérification de la deuxième condition d'applicabilité de l'article 85, paragraphe 3, du traité, commis une violation manifeste de leurs droits de la défense. Elles estiment que les considérants 115 à 118 de la décision attaquée contiennent des allégations nouvelles. Elles précisent que la Commission se réfère, au considérant 117 de la décision attaquée, à des plaintes déposées par des utilisateurs exprimant leur préoccupation au sujet des distorsions de concurrence dans le domaine du transport terrestre, qui résulteraient des pratiques visées par ladite décision. Or, ces plaintes se référeraient à des circonstances qui, en partie, n'auraient pas été mentionnées dans la communication des griefs.

439 En cinquième lieu, les requérantes considèrent que la Commission a, dans le cadre de la vérification de la troisième condition d'applicabilité de l'article 85, paragraphe 3, du traité, commis aussi une violation manifeste de leurs droits de la défense. Elles observent que la Commission relève, au considérant 137 de la décision attaquée, que même en admettant que le fait d'autoriser la FEFC à fixer les prix des services de transport terrestre fournis par ses membres contribue à la stabilité générale, il n'aurait pas été prouvé que des mesures moins restrictives de la concurrence ne seraient pas suffisantes pour atteindre cet objectif, les mesures pouvant être prises pour assurer la stabilité des tarifs du transport maritime d'une conférence comprenant, notamment. la répartition, entre les membres de la conférence, du tonnage transporté ou de la recette. Or, cet argument serait totalement et radicalement nouveau et n'aurait donc pas été abordé au cours de la procédure administrative.

440 Elles réfutent l'argument de la Commission tiré de ce que la référence faite au point 86 de la communication des griefs à l'article 3, sous e), du règlement n° 4056-86, rend impossible tout reproche de violation des droits de la défense. Elles exposent que cette référence ne donnait aucune indication quant à la nature précise des accords envisagés par la Commission. Celle-ci ne pourrait pas justifier son refus d'octroi dune exemption individuelle au motif qu'il existe une alternative moins restrictive que la mesure en question, sans déclarer de manière suffisamment claire en quoi cette alternative peut consister. En s'abstenant de spécifier le contenu de cette alternative, la Commission priverait les requérantes de la possibilité de l'étudier et de la commenter. Cette lacune priverait également le Tribunal de toute possibilité effective de contrôler la justesse de l'affirmation de la Commission en ce qui concerne le caractère pratique, effectif et la nature moins restrictive de cette alternative, quel que soit son contenu.

441 La Commission conclut au rejet des griefs des requérantes.

b) Appréciation du Tribunal

442 Dans le cadre de l'examen du grief tiré de la violation des droits de la défense, il convient d'emblée de rappeler que la communication des griefs doit, selon une jurisprudence constante, contenir un exposé des griefs libellés dans des termes suffisamment clairs, seraient-ils sommaires, pour permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés par la Commission. Ce n'est, en effet, qu'à cette condition que la communication des griefs peut remplir la fonction qui lui est attribuée par les règlements communautaires et qui consiste à fournir tous les éléments nécessaires aux entreprises et associations d'entreprises pour qu'elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission adopte une décision définitive (voir, notamment, arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T-352-94, Rec. p. II-1989, point 63; du 14 mai 1998, Enso Española/Commission, T-348-94, Rec. p. II-1875, point 83, et du 14 mai 1998, Cascades/Commission, T-308-94, Rec. p. II-925, point 42). Il est, par ailleurs, de jurisprudence constante que cette exigence est respectée dès lors que la décision ne met pas à la charge des intéressés des infractions différentes de celles visées dans l'exposé des griefs, et ne retient que des faits sur lesquels les intéressés ont eu l'occasion de s'expliquer (voir, notamment, arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41-69, Rec. p. 661, points 26 et 94). La décision finale de la Commission ne doit toutefois pas nécessairement être une copie de l'exposé des griefs (voir arrêt Compagnie maritime belge de transports e.a./Commission, précité, point 113; arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 14; arrêt ACF Chemiefarma/Commission, précité, point 91). C'est à la lumière de ces principes qu'il convient d'apprécier le présent grief tiré de la violation des droits de la défense des requérantes.

443 S'agissant, d'abord, de l'argument selon lequel la Commission n'a pas fourni les éléments de preuve sur lesquels était basé le point 72 de la communication des griefs, qui soulignait, au stade de l'examen de la première condition d'exemption relative au progrès technique ou économique, que l'instabilité résultant de tarifs individuels du transport terrestre ne semblait pas plus élevée que celle due aux ristournes secrètes pratiquées au sein de la FEFC, il convient d'observer que ce paragraphe de la communication des griefs n'est pas repris dans la décision attaquée, que ce soit au stade de l'examen de cette même condition d'exemption ou dans une autre partie de ladite décision. Dans ces circonstances, l'absence de communication, par la Commission, des éléments de preuve qui fondaient le point 72 de la communication des griefs ne saurait être considérée comme constitutive d'une violation des droits de la défense des requérantes. À cet égard, il ressort, tout au plus, des considérants 132 à 134 de la décision attaquée que la Commission se réfère, aux fins de l'examen de la troisième condition d'exemption relative au caractère indispensable de la restriction de concurrence en cause, à l'instabilité inévitable, au sein des conférences maritimes, résultant du fait que les membres sont susceptibles, comme dans toutes les ententes, de "tricher" ou d'accorder en secret des rabais. Il est toutefois constant que cet élément figurait déjà au point 71 de la communication des griefs, de sorte que les droits de la défense des requérantes n'ont nullement été violés.

444 Pour le surplus, les requérantes soutiennent, en substance, que leurs droits de la défense auraient été violés au motif que la décision attaquée contiendrait des allégations nouvelles, qui n'apparaissaient pas dans la communication des griefs, en ce qui concerne le caractère sensible de la restriction de concurrence, l'affectation du commerce entre les États membres et les conditions d'octroi d'une exemption individuelle en vertu de l'article 5 du règlement n° 1017-68, en particulier la deuxième condition relative à la prise en compte, dans une mesure équitable, des intérêts des usagers et la troisième condition relative au caractère indispensable de la restriction de concurrence en cause.

445 Cette argumentation doit être rejetée.

446 En ce qui concerne, en premier lieu, les allégations des requérantes relatives à l'effet sensible sur la concurrence et à l'affectation du commerce entre États membres, force est de constater qu'il ressort de l'examen de la communication des griefs que la Commission y énonce de manière claire, conformément aux exigences de la jurisprudence précitée, les éléments essentiels retenus par elle.

447 S'agissant, d'abord, du caractère sensible de la restriction de concurrence contenue dans l'accord en cause, il suffit de constater que, contrairement aux allégations des requérantes, la Commission expose aux points 18 à 20 et 23 de la communication des griefs, les éléments retenus par elle à ce stade de la procédure administrative, pour souligner l'importance économique des services de transport terrestre organisés dans le cadre du transport multimodal. Par ailleurs, s'il est vrai que, sur la question spécifique de l'importance économique de l'activité de transport terrestre par rapport à celle du transport maritime proprement dit, la décision attaquée ne reproduit pas exactement la communication des griefs, il suffit de constater que c'est précisément en vue de tenir compte des critiques formulées par les requérantes dans leur réponse du 31 mars 1993 à la communication des griefs (p. 114 à 119), que la Commission a été amenée, le 20 juillet 1993, à adresser des demandes d'informations à ce sujet aux principaux membres de la FEFC et à modifier, sur la base des données fournies, l'analyse contestée dans la décision attaquée. Dans ces circonstances, il ne saurait être contesté que les requérantes ont été en mesure de faire connaître utilement leur point de vue au sujet de l'analyse de l'effet sensible de la restriction de concurrence en cause effectuée par la Commission au stade de la procédure administrative. À cet égard, la prise en compte d'un argument avancé par les requérantes au cours de la procédure administrative, sans qu'elles aient été mise en mesure de s'exprimer à ce sujet avant la décision finale, ne saurait constituer, en tant que telle, une violation de leurs droits de la défense, lorsque la prise en compte de cet argument ne modifie pas la nature des griefs qui leur ont été adressés(voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, T-228-97, Rec. p. II-2969, points 34 et 36, et CB et Europay/Commission, précité, points 49 à 52). Les requérantes ont en effet eu la possibilité de faire connaître leur point de vue sur l'analyse du caractère sensible de la restriction de concurrence en cause contenue dans la communication des griefs et elles pouvaient donc s'attendre à ce que leurs propres explications conduisent la Commission à modifier son opinion (arrêt Irish Sugar/Commission, précité, point 34; arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, Rec. p. 1663, points 437 et 438). En tout état de cause, force est de constater que les données économiques figurant au considérant 33 de la décision attaquée suffisent à elles seules à établir le caractère sensible de la restriction de concurrence en cause. Or, ces données figuraient déjà intégralement au point 23 de la communication des griefs. Le grief des requérantes tiré de ce qu'elles n'ont pas été en mesure de commenter l'exactitude des données fournies par ses membres et utilisées dans la décision attaquée, doit dès lors être rejeté.

448 S'agissant, ensuite, de l'affectation du commerce entre États membres, il convient, à titre liminaire, de relever que, contrairement aux allégations des requérantes, la Commission décrit explicitement, aux points 40 à 42 de la communication des griefs, l'effet de l'accord en cause sur la concurrence entre les ports des États membres et l'influence, dans ce cadre, du système dit de "péréquation portuaire". Ces points de la communication des griefs sont développés et repris dans la décision attaquée aux considérants 50 et 51. Le grief des requérantes sur ce point doit dès lors être rejeté. En ce qui concerne, en revanche, l'effet sur la concurrence entre armateurs opérant dans plusieurs États membres, sur les échanges de biens et des services entre États membres et sur les services annexes, force est de constater que les requérantes observent à juste titre que ces éléments, qui figurent aux considérants 49 et 52 à 55 de la décision attaquée, n'apparaissent pas dans la communication des griefs. Toutefois, contrairement aux allégations des requérantes, cette seule circonstance n'est nullement de nature à entraîner une violation de leurs droits de la défense. En effet, la Commission est parfaitement en droit, à la lumière des éléments résultant de la procédure administrative, d'aménager et de compléter, tant en fait qu'en droit, son argumentation à l'appui des griefs (arrêt ACF Chemiefarma/Commission, précité, point 92). Tel est précisément l'objet des considérants 49 et 52 à 55 de la décision attaquée. En tout état de cause, il y a lieu de considérer que les points 40 à 42 de la communication des griefs contiennent un exposé clair des éléments essentiels retenus par la Commission à ce stade de la procédure administrative en ce qui concerne l'effet de l'accord en cause sur le commerce intracommunautaire. Il ressort, par ailleurs, de la réponse des requérantes à la communication des griefs (p. 142 à 151) que celles-ci ont été en mesure de faire valoir leur point de vue au sujet de l' analyse de la Commission sur ce point. Dans ces circonstances, c'est à tort que les requérantes soutiennent que leurs droits de la défense ont été violés par la Commission en ce qui concerne l'analyse de la condition de l'affectation du commerce intracommunautaire.

449 En ce qui concerne, en second lieu, les allégations des requérantes portant sur l'analyse, dans la communication des griefs, de la seconde et de la troisième condition d'octroi d'une exemption individuelle, il convient, à titre liminaire, de rappeler que l'obligation de la Commission de communiquer les griefs qu'elle fait valoir contre une entreprise et de ne retenir dans sa décision que ces seuls griefs concerne essentiellement l'indication des motifs qui l'amènent à appliquer l'article 85, paragraphe 1, du traité, soit qu'elle ordonne la cessation d'une infraction ou inflige une amende aux entreprises, soit qu'elle leur refuse une attestation négative ou le bénéfice du paragraphe 3 de cette même disposition (arrêt de la Cour du 23 octobre 1974, Transocean Marine Paint/Commission, 17-74, Rec. p. 1063, point 13). En l'espèce, il ressort de l'examen de la communication des griefs, que la Commission y expose de manière claire les griefs retenus par elle à l'encontre des requérantes à ce stade de la procédure administrative (voir, en particulier, les points 27 à 32 et 36 et 42).

450 En ce qui concerne la condition d'octroi de l'exemption individuelle relative à la prise en considération des intérêts des usagers, force est de constater que la Commission a clairement indiqué, dans sa communication des griefs, les raisons pour lesquelles elle estimait, à ce stade de la procédure, que l'accord en cause ne remplissait pas cette condition. En particulier, la Commission fait mention dans la communication des griefs des plaintes des organismes représentant les intérêts des usagers des services de transport terrestre fournis par les membres de la FEFC (points 74 et 75) et la nécessité de préserver la concurrence entre les différents fournisseurs de services de transport terrestre aux chargeurs (points 76 et 78). Dans la décision attaquée, ces éléments de motivation sont développés, respectivement, aux considérants 117 et 118. Il est donc erroné de soutenir, comme le font les requérantes, que la communication des griefs ne mentionnerait pas les plaintes des organismes représentant les intérêts des usagers au soutien du refus d'octroi d'une exemption individuelle. Il convient, par ailleurs, de relever que les requérantes ont eu la possibilité, au cours de la procédure administrative, de répondre spécifiquement, dans leur réponse complémentaire du 12 mai 1993 à la communication des griefs, aux plaintes du Conseil allemand des chargeurs et du Conseil français des chargeurs. Enfin, en tout état de cause, contrairement aux allégations des requérantes, la référence, au considérant 117 de la décision attaquée, aux plaintes des chargeurs et des commissionnaires de transport n'a nullement mis à la charge des requérantes de nouveaux griefs par rapport à ceux figurant dans la communication des griefs. L'objet du considérant 117 de la décision attaquée est en effet uniquement de motiver les conclusions de la Commission concernant la deuxième condition d'octroi d'une exemption relative à la prise en compte, dans une mesure équitable, des intérêts des usagers. C'est d' ailleurs à bon droit que la Commission a pu déduire de l'existence d'un nombre élevé de plaintes des usagers, parmi d'autres éléments, que l'accord en cause ne prenait pas en compte, dans une mesure équitable, les intérêts desdits usagers.

451 Quant à la circonstance que la Commission relève, au considérant 115 de la décision attaquée, que l'accord sert uniquement à assurer le maintien des prix à un niveau plus élevé qu'il ne le serait autrement, il convient de constater, comme le souligne à juste titre la Commission dans son mémoire en défense, que ce sont les requérantes elles-mêmes qui prétendent que leur accord est nécessaire pour éviter une concurrence qui ferait baisser les prix et aurait ainsi un effet déstabilisateur sur les conférences maritimes. Les requérantes ne peuvent dès lors sérieusement soutenir que le considérant 115 de la décision attaquée contient une allégation nouvelle de la Commission au sujet de laquelle elles n'ont pu faire valoir utilement leur point de vue.

452 S'agissant, ensuite, du considérant 116 de la décision attaquée dans lequel la Commission précise que l'accord en cause empêche les compagnies maritimes membres de la FEFC de répercuter les réductions de coûts résultant d'une organisation de leur flotte de conteneurs plus efficace, c'est à juste titre que la Commission fait observer qu'il s'agit d'une version remaniée, tenant compte des observations des requérantes, du point 59 de la communication des griefs, dans lequel il est indiqué que les membres de la FEFC ne sont pas incités à améliorer les services de transport terrestre fournis aux chargeurs. Dans leur réponse à la communication des griefs (p. 176, point 2), les requérantes ont en effet elles-mêmes souligné que les transporteurs les plus efficaces sont, en raison de l'accord en cause, en mesure d'augmenter leur rentabilité. À cet égard, il convient de rappeler que la Commission est parfaitement en droit, à la lumière des éléments résultant de la procédure administrative, d'aménager et de compléter, tant en fait qu'en droit, son argumentation à l'appui des griefs (arrêt Irish Sugar/Commission, précité, point 34; arrêt ACF Chemiefarma/Commission, précité, point 92; arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, points 437 et 438). Enfin, en toute hypothèse, force est de constater que le considérant 116 de la décision attaquée n'a pas, dans le raisonnement de la Commission, une valeur déterminante, la Commission se fondant sur d'autres motifs pour conclure à l'absence de prise en compte, dans une mesure équitable, des intérêts des usagers (voir, en ce sens, arrêt ACF Chemiefarma/Commission, précité, point 86). Dans ce contexte, il convient d'ailleurs de rappeler que la Commission, compte tenu du caractère cumulatif des conditions requises, peut, à tout moment et jusqu'au stade de l'adoption finale de la décision, constater que l'une des conditions, peu importe laquelle, fait défaut (arrêts SPO e.a./Commission, précité, point 267, et CB et Europay/Commission, précité, point 110). À la lumière de ces considérations, il apparaît dès lors que la Commission n'a pas violé les droits de la défense des requérantes en ce qui concerne la deuxième condition d'octroi d'une exemption individuelle.

453 En ce qui concerne le caractère indispensable de la restriction de concurrence en cause, les requérantes soutiennent, en substance, que le considérant 137 de la décision attaquée contient un argument nouveau en ce que la Commission y expose qu'il n'a pas été prouvé que des mesures moins restrictives de la concurrence ne seraient pas suffisantes pour assurer la stabilité générale des conférences maritimes, telles que, en particulier, les mesures énumérées à l'article 3 du règlement n° 4056-86, et notamment la répartition, entre les membres d'une conférence, du tonnage transporté ou de la recette. Cette argumentation doit être rejetée. Au point 86 de la communication des griefs, la Commission indique en effet explicitement que les membres de la FEFC pourraient, afin de restreindre la concurrence interne sur les tarifs maritimes, adopter les mesures autorisées par l'article 3, sous e), du règlement n° 4056-86 en faveur des conférences maritimes. En vertu de cette disposition, les accords entre membres de conférences maritimes destinés à répartir le tonnage transporté ou la recette sont exemptés de l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, du traité. C'est dès lors à tort que les requérantes soutiennent que le considérant 137 de la décision attaquée contient un argument totalement nouveau par rapport à la communication des griefs. Il convient, en outre, de souligner que, contrairement aux allégations des requérantes, il n'appartenait pas à la Commission de préciser davantage, dans la communication des griefs, le contenu des mesures moins restrictives que pouvaient envisager les membres de la FEFC, dès lors que ladite communication fait explicitement référence à une disposition d'un règlement d'exemption, à savoir l'article 3, sous e), du règlement n° 4056-86, qui précise lui-même le contenu de ces mesures. Quant à l'allégation des requérantes selon laquelle la communication des griefs ne contient aucune référence à la possibilité de recourir à une règle interdisant de facturer en dessous du prix coûtant, force est de constater que, outre son caractère tardif, comme ayant été soulevée pour la première fois au stade de la réplique, ladite allégation est également dénuée de fondement dès lors que la possibilité de recourir à la règle en cause en tant que mesure moins restrictive de concurrence a été discutée, sous la direction de la Commission, dans le cadre du groupe d'experts Carsberg, composé de représentants des chargeurs et des compagnies maritimes, y compris certaines des requérantes. Pour ces motifs, le grief des requérantes tiré de la violation de leurs droits de la défense doit, en ce qu'il porte sur la troisième condition d'octroi d'une exemption individuelle, également être considéré comme non fondé.

454 Par conséquent, et pour l'ensemble des raisons exposées ci-dessus, il convient de considérer comme non fondé, en son entier, le grief tiré d'une violation des droits de la défense.

F - Sur le grief tiré d'irrégularités affectant l'audition

a) Arguments des parties

455 Les requérantes font valoir l'existence de trois types d'irrégularités avant affecté l'audition.

456 En premier lieu, les compagnies membres de la FEFC auraient été prévenues moins d'un mois à l'avance des dates prévues pour l'audition, ce qui, eu égard à la complexité de l'affaire, était insuffisant pour leur permettre de se préparer correctement à l'audition et de répondre aux points soulevés par les tiers participant à l'audition.

457 En deuxième lieu, certaines personnes dont la présence aurait été essentielle n'ont pas pu assister à l'audition (par exemple le conseil de Hapag-Lloyd pour la première séance les 6 et 7 juillet 1993 et le professeur George Yarrow le 6 juillet 1993).

458 La Commission aurait été informée de ces difficultés quant à la préparation de l'audition et à l'absence de certaines personnes mais elle aurait toutefois préferé ignorer les propositions de report de l'audition à une date ultérieure.

459 En troisième lieu, des tiers auraient été autorisés par la Commission à assister à l'audition alors que le statut de ces personnes, qui n'avaient pas la qualité de plaignants, n'était pas clair.

460 Elles estiment que, eu égard au fait que l'audition n'est pas publique et étant donné que les compagnies membres de la FEFC n'avaient pas été prévenues de la présence de certains tiers à l'audition [par exemple l'Union Internationale des Sociétés de Transport Combiné Rail/Route (LJIRR)], ni n'avaient pu avoir copies des observations écrites de ceux-ci comme l'exige pourtant l'article 9 du règlement n° 4260-88, elles étaient fondées à s'opposer à ce que ces tiers soient autorisés à présenter leurs arguments lors de l'audition. À l'exception de la DSVK, qui avait déposé sa plainte en 1989, il n'existait, selon les requérantes, aucune prise de position écrite contenant, même sous une forme résumée, les arguments essentiels de ces tiers présents lors de l'audition. Un report de l'audience, comme l'avait demandé la FEFC, aurait permis à ces derniers de présenter leurs observations par écrit, observations qui auraient pu être régulièrement prises en considération au cours de l'audition. Le report de l'audience aurait été refusé par la Commission, en violation de leurs droits de la défense.

461 Elles ajoutent que, en réponse à une demande de la Commission, la FEFC a consenti à ce que des informations quelle avait fournies à celle-ci soient envoyées à la DSVK (à savoir le rapport de MM. Gilman et Graham et des réponses à un questionnaire de la Commission), mais a demandé la possibilité de prendre connaissance des observations de la DSVK sur ces informations, demande qui a été ignorée par la Commission. En outre, la réponse complémentaire de la FEFC aux allégations concernant des rabais, formulées par la Commission après la notification de la communication des griefs, a été communiquée à la DSVK, alors que, en revanche, les observations des chargeurs n'auraient jamais été communiquées à la FEFC. Cette dernière n'aurait donc pas fait lobjet d'un traitement loyal et équitable par rapport aux plaignants de la part de la Commission.

462 La Commission conclut au rejet de ce grief.

b) Appréciation du Tribunal

463 S'agissant, en premier lieu, de l'allégation des requérantes concernant le délai qui leur a été imparti par la Commission pour préparer l'audition dans la présente affaire, il convient, à titre liminaire, de rappeler que, selon l'article 7, paragraphe 1, du règlement n° 1630-69, en vigueur au moment des faits, la Commission donne aux personnes qui l'ont demandé dans leurs observations écrites, l'occasion de développer verbalement leur point de vue si celles-ci ont justifié d'un intérêt suffisant à cet effet ou si la Commission se propose de leur infliger une amende ou une astreinte. En vertu de l'article 8, paragraphe 1, dudit règlement, la Commission convoque les personnes à entendre pour la date qu'elle fixe.

464 En l'espèce, il est constant que les requérantes ont eu l'occasion de faire valoir leur point de vue oralement au sujet des griefs retenus contre elles dans la communication des griefs du 18 décembre 1992 au cours des auditions qui se sont tenues les 6, 7, 12 et 13 juillet 1993, soit un peu plus de six mois plus tard. Les requérantes ont été formellement convoquées à ces auditions par lettre de la Commission du 16 juin 1993, soit trois semaines avant la date de la première audition. Force est de constater qu'un tel délai, dont l'expiration intervient environ trois mois après le dépôt, le 31 mars 1993, de la première réponse à la communication des griefs et environ un mois après la réponse complémentaire à la communication des griefs, le 12 mai 1993, n'est pas de nature à porter atteinte aux droits de la défense des requérantes. Il convient en effet de rappeler que, conformément à l'article 7, paragraphe 1, du règlement n° 1630-69, en vigueur au moment des faits, l'audition a essentiellement pour objet de permettre aux parties faisant l'objet d'une procédure d'infraction en vertu du règlement n° 1017-68, de développer verbalement les arguments qu'elles ont présentés par écrit dans leur réponse à la communication des griefs. Par ailleurs, s'il est exact que les questions soulevées dans la présente affaire sont d'une complexité certaine, il n'en demeure pas moins que les requérantes ont largement eu le temps de les examiner de manière approfondie, la Commission ayant ouvert la procédure administrative dès le mois de juin 1989, à la suite de la plainte déposée par les chargeurs allemands, et l'instruction s'étant déroulée de manière continue sur une période de près de six ans, pendant laquelle les requérantes ont eu l'occasion de présenter, à de nombreuses reprises, tous les éléments qui pouvaient être pris en considération.

465 En outre, aux fins d'apprécier le caractère suffisant du délai imparti aux requérantes pour préparer l'audition, il convient encore de relever que la Commission soutient, sans être contredite par les requérantes, que le conseil des requérantes a été informé par la Commission, dès le 26 mars 1993, que des dispositions allaient être prises pour fixer la date de l'audition et par le conseiller-auditeur, dès le 7 avril 1993, que l'audition était provisoirement prévue pour le 21 juin 1993, ce qui a permis au conseil des requérantes d'adresser à la Commission, le 15 avril 1993, une liste des participants probables à l'audition. Il en résulte que les requérantes ont été informées de la tenue d'une audition dans la présente affaire dès le mois d'avril 1993, soit plus de deux mois avant la date initialement prévue pour la tenue de cette audition. Par ailleurs, cette dernière ayant finalement eu lieu, non le 21 juin 1993 comme prévu initialement, mais à partir du 6 juillet 1993, les requérantes ont encore bénéficié d'un délai supplémentaire de deux semaines pour la préparation de l'audition. Les requérantes ont été informées par la Commission de la nouvelle date de l'audition dès le 2 juin 1993. Dans ces circonstances, il apparaît que les requérantes ont eu le temps nécessaire pour préparer utilement leur défense orale dans le cadre de l'audition organisée par la Commission. Elles ne sauraient dès lors en aucun cas se prévaloir d'une quelconque violation de leurs droits de la défense à cet égard.

466 S'agissant, en deuxième lieu, de la circonstance alléguée par les requérantes selon laquelle certaines personnes n'ont pas pu assister aux auditions, notamment le conseil de Hapag-Lloyd et le professeur Yarrow, en qualité d'expert économique, il y a lieu d'observer que si la Commission ne peut certes interdire à une entreprise de se faire assister par un avocat ou un autre conseil externe de son choix, il ne saurait, cependant, lui être reproché, dans le cadre d'une procédure d'infraction impliquant quatorze entreprises différentes, de ne pas avoir tenu compte, pour l'organisation de l'audition, des exigences pratiques de chacune desdites entreprises. Il appartient en effet d'abord à ces dernières de prendre les mesures appropriées pour assurer au mieux la défense de leurs intérêts. Dès lors, la seule circonstance que le conseil de la société Hapag-Llyod ou le professeur Yarrow n'ont pas pu assister à l'une ou l'autre des auditions organisées par la Commission dans la présente affaire ne saurait être considérée comme constitutive d'une violation des droits de la défense des requérantes concernées, voire de toutes les requérantes. En tout état de cause, il est constant que la société Hapag-Lloyd a été représentée par six personnes lors des auditions en cause, tandis que le professeur Yarrow a assisté à trois des quatre journées d'auditions organisées par la Commission. Par ailleurs, les requérantes n'ont pas apporté d'éléments qui permettraient de penser que la Commission, en n'entendant pas les personnes concernées, aurait dans ces circonstances indûment restreint l'instruction de l'affaire et de cette manière limité la possibilité, pour les requérantes, de faire expliquer les divers aspects des problèmes soulevés par les griefs de la Commission (voir, en ce sens, arrêt VBVB et VBBB/Commission, précité, point 18).

467 Dans ces circonstances, le grief des requérantes tiré d'une violation des droits de la défense au cours de l'audition doit être rejeté comme non fondé.

468 S'agissant, en troisième lieu, du grief tiré du fait que la Commission a autorisé des tiers à assister à l'audition alors même que ces derniers n'avaient pas la qualité de plaignants, il convient de souligner que l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1630-69, en vigueur au moment des faits, conférait à la Commission le pouvoir de donner à toute personne l'occasion d'exprimer oralement son point vue, même si cette dernière n'a pas déposé, sur la base de l'article 10 du règlement n° 1017-68, de plainte en vue de l'engagement de la procédure d'infraction ou d'observations écrites en vertu de l'article 5 du règlement n° 1630-69 au sujet des griefs retenus contre les entreprises faisant l'objet de la procédure d'infraction. En outre, conformément à l'article 9, paragraphe 3, du règlement n° 1630-69, la Commission peut entendre les personnes en question séparément ou en présence d'autres personnes convoquées. Il résulte à l'évidence de ces dispositions que la Commission dispose d'une marge d'appréciation raisonnable pour décider de l'intérêt que peut présenter une audition de personnes dont le témoignage peut avoir une importance pour l'instruction du dossier, de sorte que la Commission était en droit, en l'espèce, d'entendre à l'audience des tiers qui n'avaient pas préalablement déposé de plainte ou d'observations écrites au cours de la procédure administrative (voir, par analogie, arrêt VBVB et VBBB/Commission, précité, point 18).

469 Par ailleurs, contrairement aux allégations des requérantes, la participation des tiers à une audition en vertu de l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1630-69, n'est nullement subordonnée au dépôt d'observations écrites en vue de l'audience au sujet desquelles les requérantes auraient encore le droit de présenter de nouvelles observations écrites. Conformément à la jurisprudence (voir, notamment, arrêt Mo och Domsjö/Commission, précité, point 63), les droits de la défense des requérantes sont en effet respectés dès lors qu'elles ont pu faire valoir leur point de vue au sujet des comportements qui leur sont reprochés dans la communication des griefs. Il ressort par ailleurs de la jurisprudence que cette exigence est respectée dès lors que la décision finale ne met pas à charge des entreprises concernées de nouveaux griefs par rapport à ceux exposés dans la communication des griefs et ne retient que des faits sur lesquels les intéressés ont eu l'occasion de s'expliquer (voir, notamment, arrêt ACF Chemiefarma/Commission, précité, point 94). Or, en l'espèce, les requérantes n'ont pas allégué que la décision attaquée reposerait sur des données fournies par des tiers sur lesquelles elles n'auraient pas eu la possibilité de faire valoir leur point de vue. Enfin, à cet égard, il convient encore de préciser que la référence à l'article 9 du règlement n° 4260-88 relatif aux communications, aux plaintes, aux demandes et aux auditions visées au règlement n° 4056-86, outre le fait que cet article n'a pas la portée que lui attribue les requérantes, est dépourvue de toute pertinence, étant donné que, ainsi qu'il résulte de l'examen du deuxième moyen, le règlement n° 4056-86 n'est pas applicable en l'espèce. Le grief des requérantes sur ce point est donc non fondé.

470 De même, les requérantes ne sauraient reprocher à la Commission de ne pas leur avoir communiqué certaines observations formulées par l'un des plaignants au sujet d'informations envoyées par les requérantes à la Commission. Il n'est en effet pas démontré que la décision attaquée repose sur de telles observations au sujet desquelles les requérantes n'auraient pas eu la possibilité de faire valoir leur point de vue. En tout état de cause, même dans l'hypothèse où il y aurait eu une violation des droits de la défense, il faudrait en outre, pour que le moyen puisse être retenu, que, en l'absence de cette prétendue irrégularité, la procédure ait pu aboutir à un résultat différent (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209-78 à 215-78 et 218-78, Rec. p. 3125, point 47, et du 21 mars 1990, Belgique/Commission, C-142-87, Rec. p. I-959, point 48). Or, force est de constater que les requérantes n'ont nullement établi cette circonstance. Par ailleurs, en ce qui concerne l'absence de communication aux requérantes des observations des chargeurs au sujet de la réponse des requérantes aux allégations de la Commission en matière de rabais, il suffit de rappeler, ainsi qu'il a déjà été souligné dans le cadre de l'examen des griefs des requérantes sous le présent moyen concernant le contenu de la décision attaquée par rapport à celui de la communication des griefs, que ladite décision de la Commission ne retient pas ces allégations, de sorte que l'absence de communication des observations des chargeurs à ce sujet ne saurait affecter les droits de la défense des requérantes.

471 Il résulte de ce qui précède que le grief des requérantes tiré de la violation des droits de la défense en ce qui concerne l'audition doit être rejeté dans son intégralité.

6. Sur le cinquième moyen, tiré de la violation des règles relatives aux amendes

A - Arguments des parties

472 Les requérantes rappellent que, à l'exception de l'entreprise Wilh. Wilhelmsen Ltd, elles se sont toutes vues infliger par la décision attaquée (considérants 143 et suivants) des amendes au titre de l'article 22, paragraphe 2, du règlement n° 1017-68.

473 Elles soutiennent, principalement, que la Commission, qui aurait dû examiner le service de transport multimodal fourni par les compagnies maritimes membres de la FEFC au regard du règlement n° 4056-86, n'a aucun droit d'infliger une amende au titre d'un règlement appliqué à tort.

474 Subsidiairement, dans l'hypothèse où le règlement n° 1017-68 serait considéré par le Tribunal comme applicable en l'espèce, elles estiment que c'est à tort que des amendes ont été infligées en application de l'article 22, paragraphe 2, de ce règlement. Elles relèvent que cette disposition soumet la possibilité d'infliger une amende à la condition que l'infraction ait été commise "de propos délibéré ou par négligence", ce qu'elles contestent. D'abord, la FEFC se serait montrée, tout au long de la procédure, ouverte et franche à l'égard de la Commission et aurait coopéré à son enquête. Ensuite, les requérantes n'auraient pas cru qu'il leur incombait de procéder à une notification de l'accord en cause au titre du règlement n° 4056-86, puisque, à leur avis, les mesures prises par elles relevaient de l'exemption par catégorie prévue pour les conférences par l'article 3 de ce règlement. Finalement, même si le règlement n° 1017-68 devait être considéré comme étant applicable en l'espèce, les amendes infligées seraient injustifiées, puisque la Commission, alors même qu'elle était au courant de l'existence des services de transport multimodal depuis 1968, n'a pas enquêté sur la partie terrestre de ces services pendant plus de deux décennies.

475 Elles estiment que la Commission aurait, à tout le moins, dû suivre une approche plus souple s'agissant d'une première décision dans un secteur donné et font référence, à cet égard, à la décision 87-1-CEE de la Commission, du 2 décembre 1986, relative à une procédure d'application de l'article 85 du Traité CEE (IV/31.128 - Fatty Acids) (JO 1987, L 3, p. 17) et à la décision 92-212-CEE de la Commission, du 25 mars 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du Traité CEE (IV/30.717 -A - Eurochèque: accord d'Helsinki) (JO L 95, p. 50).

476 En conclusion, les requérantes demandent au Tribunal d'annuler la décision de la Commission d'infliger des amendes, alors même que ces amendes sont symboliques, ou de réduire lesdites amendes.

477 La Commission observe que "l'intention" prévue à l'article 22, paragraphe 2, du règlement n° 1017-68 (analogue à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17) désigne simplement une intention de restreindre la concurrence et non une intention de violer la loi (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 8 février 1990, Tipp-Ex/Commission, C-279-87, Rec. p. I-261). L'objectif exprès de l'accord en cause sur la fixation des prix des services de transport terrestre serait bien de restreindre la concurrence. La Commission aurait tenu compte de circonstances atténuantes, comme le fait qu'il s'agit de la première décision appliquant le règlement n° 1017-68 à une conférence maritime, et elle aurait donc décidé d'infliger une amende d'un montant symbolique (considérant 158 de la décision attaquée). Il n'y aurait donc pas lieu d'annuler les articles de la décision attaquée concernant les amendes infligées aux requérantes.

Appréciation du Tribunal

478 S'agissant du premier grief des requérantes selon lequel la Commission n'avait pas le droit d'infliger des amendes au titre de l'article 22, paragraphe 2, du règlement n° 1017-68 au motif que le service de transport multimodal fourni par les membres de la FEFC relève du règlement n° 4056-86, il suffit de rappeler qu'il ressort du deuxième moyen que l'accord en cause entre dans le champ d'application du règlement n° 1017-68 et non du règlement n° 4056-86.

479 L'argument selon lequel les dispositions de la décision attaquée relative aux amendes devraient être annulées au motif que l'infraction n'a pas été commise de propos délibéré ou par négligence doit également être rejeté. Il ressort en effet de la jurisprudence que, pour qu'une infraction aux règles de concurrence du traité puisse être considérée comme ayant été commise de propos délibéré, il n'est pas nécessaire que l'entreprise ait eu conscience d'enfreindre une interdiction édictée par ces règles, mais il suffit qu'elle n'ait pu ignorer que la conduite incriminée avait pour objet de restreindre la concurrence (arrêt de la Cour du 11 juillet 1989, Belasco e.a./Commission, 246-86, Rec. p. 2117). Or, il ne saurait être contesté que, à l'évidence, l'objectif de l'accord en cause, un accord horizontal de fixation des prix du transport terrestre, est de restreindre la concurrence.

480 Selon les considérants 158 et 159 de la décision attaquée, la Commission a considéré que, compte tenu de l'existence de circonstances atténuantes, le niveau des amendes devait être fixé à un niveau symbolique pour souligner l'existence de l'infraction et la nécessité, pour les entreprises en question et les autres entreprises pouvant être impliquées dans des pratiques équivalentes, de respecter à l'avenir les règles de concurrence.

481 Il convient, en premier lieu, de relever que le tarif de la FEFC étant public et, donc, parfaitement connu par les premiers intéressés, à savoir les chargeurs, l'accord en cause, même s'il constitue un accord horizontal de prix, ne saurait, en aucune manière, être assimilé à un quelconque cartel secret. L'accord en cause était également parfaitement connu des services de la Commission et des diverses autorités des États membres qui en ont, notamment, fait état dans le cadre de la procédure d'adoption du règlement n° 4056-86 ainsi que dans le cadre de la réforme du Shipping Act en 1984.

482 Il y a lieu de souligner, en deuxième lieu, ainsi qu'il ressort du considérant 41 de la décision attaquée, que la FEFC a étendu ses compétences en matière de fixation des prix dans le secteur du transport maritime à celui des services de transport terrestre au début de l'utilisation des conteneurs, c'est-à-dire autour de 1971. La fixation par les membres des conférences des prix des services de transport terrestre, telle que celle prévue par l'accord en cause, existe donc depuis l'introduction des services de transport multimodal. Ce type de transport, dont les avantages sont au demeurant unanimement reconnus, a, en outre, été principalement créé et développé par les conférences maritimes.

483 En troisième lieu, ainsi qu'elle l'admet au considérant 158 de la décision attaquée, il a fallu un certain temps à la Commission pour définir ses orientations en la matière et celles-ci n'étaient pas largement connues jusqu'à ce qu'elle présente au Conseil le rapport sur l'application des règles communautaires de concurrence au transport maritime en juin 1994, mentionné au considérant 156 de la décision attaquée. Il s'ensuit, notamment, que les griefs formulés aux considérants 153 et 149 de la décision attaquée, selon lesquels "l'infraction dure de manière générale depuis 1971 et incontestablement depuis que le DVSK a déposé une plainte auprès de la Commission en avril 1989", et le fait que, "en dépit des avertissements répétés de la Commission (dont une lettre adressée au président de la FEFC en juin 1990, par le membre de la Commission alors responsable de la politique de concurrence) signalant que les pratiques en cause tombaient sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, et ne bénéficiaient d'aucune exemption conformément à l'article 85, paragraphe 3, les parties n'ont jamais cessé de les mettre en œuvre", ne sauraient être retenus.

484 En quatrième lieu, il ne saurait être contesté que, même s'il s'agit d'une forme très grave et très classique d'infraction aux règles de concurrence, à savoir un accord horizontal de fixation de prix, le traitement juridique qu'il convenait de réserver à ce type d'accord, en particulier en raison de ses liens étroits avec le transport maritime qui fait l'objet d'une réglementation tout à fait spécifique et exceptionnelle en droit de la concurrence, ne présentait pas un caractère d'évidence et soulevait, notamment, des questions complexes tant de nature économique que juridique.

485 En cinquième lieu, de nombreux éléments ont pu inciter les requérantes à croire en la légalité de l'accord en cause. Outre l'ancienneté et le caractère public de l'accord en cause, il convient de souligner, en particulier, que, dans une déclaration jointe en annexe au procès-verbal de la réunion du Conseil lors de l'adoption du règlement n° 4056-86, la Commission a, elle-même, indiqué ce qui suit: "les opérations multimodales maritimes/terrestres sont soumises aux règles de concurrence relatives au transport terrestre et à celles relatives au transport maritime. En pratique, la même application de l'article 85, paragraphe 1, CEE, serait la règle quant à l'organisation et l'exécution de transports multimodaux successifs ou complémentaires ainsi qu'à la fixation ou à l'application de prix globaux, étant donné que conformément à l'article 2 du règlement n° 4056-86 et à l'article 3 du règlement n° 1017-68, la prohibition de l'article 85, paragraphe 1, CEE, ne s'applique pas à de telles pratiques". Sans qu'il soit besoin, dans le cadre du présent moyen, de se prononcer sur la signification et la portée exacte de cette déclaration, il suffit de relever qu'elle a, à tout le moins, pu faire naître des doutes chez les requérantes et leur faire croire que leur accord n'était pas condamnable.

486 Il convient encore de souligner que, en 1983, six États membres, dans le cadre de la réforme du Shipping Act, ont adressé un mémorandum aux États-Unis en 1983 pour soutenir la proposition autorisant les conférences maritimes à fixer les prix du transport multimodal incluant le transport terrestre, en indiquant qu'ils ne réglementaient pas la liberté des conférences maritimes d'arrêter en commun les prix du transport multimodal pour des destinations européennes et que cette pratique n'a suscité aucun problème ni abus, mais, au contraire, a favorisé le développement de l'utilisation des conteneurs et du transport multimodal dans le cadre du commerce extérieur européen au bénéfice des exportateurs.

487 En sixième lieu, il convient d'observer que, dans sa décision 94-980, la Commission n'a pas infligé d'amende aux compagnies parties à cet accord, alors que, non seulement, l'accord en cause prévoyait également la fixation des prix du segment terrestre du transport multimodal, mais contenait, en outre, d'autres infractions graves aux règles de concurrence. Certes, la circonstance que la Commission n'a pas infligé d'amende à l'auteur d'une violation des règles de concurrence ne saurait, à elle seule, empêcher que soit infligé une amende à l'auteur d'une infraction de même nature. En effet, nul ne saurait invoquer le principe d'égalité de traitement dans l'illégalité. Toutefois, il n'en reste pas moins que la décision susvisée, rendue très peu de temps avant la décision attaquée, montre que la Commission elle-même estimait que l'entente concernée n'imposait pas nécessairement, en raison de l'ensemble des circonstances, d'infliger des amendes aux entreprises parties à cette entente. Il convient en outre d'ajouter que, jusqu'à la décision attaquée, la Commission n'avait pas infligé d'amende à aucune compagnie maritime ou conférence maritime pour la fixation du prix du segment terrestre du transport multimodal, alors que, selon les informations fournies par les requérantes et non contestées par la Commission, la quasi-totalité des conférences concluent des accords portant fixation d'un tel prix.

488 Au vu de l'ensemble de ces circonstances, le Tribunal, dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, considère qu'il est justifié de ne pas imposer d'amende en l'espèce. En conséquence, l'article 5 de la décision attaquée en tant qu'il inflige une amende de 10 000 écus à chacune des requérantes doit être annulé.

Sur les dépens

489 En application de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, ce dernier peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le recours n'ayant été que très partiellement accueilli, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que les requérantes supporteront leurs propres dépens ainsi que quatre cinquième des dépens exposés par la Commission et que cette dernière supportera un cinquième de ses propres dépens.

490 En ce qui concerne les parties intervenantes ECSA et JSA, il sera fait une juste application de l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal, en les condamnant à supporter leurs propres dépens, ainsi que ceux de la Commission relatifs à leurs interventions. En ce qui concerne la partie intervenante ECTU, il sera fait une juste application de l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal, en la condamnant à supporter un cinquième de ses propres dépens, les requérantes supportant quatre cinquième de ces dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête:

1) L'article 5 de la décision 94-985-CE de la Commission, du 21 décembre 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du Traité CE (IV/33.218 - Far Eastern Freight Conference), est annulé en tant qu'il impose une amende aux requérantes.

2) Le recours est rejeté pour le surplus.

3) Les requérantes supporteront leurs propres dépens ainsi que quatre cinquième de ceux exposés par la Commission et quatre cinquième de ceux exposés par l'ECTU, y compris ceux afférents à la procédure en référé.

4) La Commission supportera un cinquième de ses propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé.

5) L'ECSA et la JSA supporteront leurs propres dépens ainsi que les dépens de la Commission relatifs à leurs interventions.

6) L'ECTU supportera un cinquième de ses propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé.