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Décisions

CJCE, 5e ch., 22 janvier 2002, n° C-218/00

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cisal di Battistello Venanzio & C. Sas, Istituto nazionale per l'assicurazione contro gli infortuni sul lavoro (INAIL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. von Bahr

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Edward, La Pergola, Wathelet (rapporteur), Timmermans

Avocats :

Mes Fantini, Artusa, Pignataro.

CJCE n° C-218/00

22 janvier 2002

1. Par ordonnance du 25 mai 2000, parvenue à la Cour le 2 juin suivant, le Tribunale di Vicenza a posé, en vertu de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 85, 86 et 90 du traité CE (devenus articles 81 CE, 82 CE et 86 CE).

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Cisal di Battistello Venanzio & C. Sas (ci-après "Cisal") à l'Istituto nazionale per l'assicurazione contro gli infortuni sul lavoro (Institut national italien d'assurance contre les accidents du travail, ci-après l'"INAIL"), à propos d'une injonction de payer la somme de 6 606 890 ITL correspondant à des cotisations d'assurance non versées par Cisal.

Le cadre juridique

3. Les dispositions italiennes réglementant l'assurance obligatoire contre les accidents du travail et les maladies professionnelles sont contenues, pour l'essentiel, dans le décret du président de la République n° 1124, du 30 juin 1965, portant texte unique des dispositions relatives à l'assurance obligatoire contre les accidents du travail et les maladies professionnelles (GURI n° 257, du 13 octobre 1965, ci-après le "décret n° 1124"), tel que modifié ultérieurement.

4. En vertu de l'article 126 du décret n° 1124, l'INAIL se voit conférer la charge de garantir, pour le compte de l'État et sous son contrôle, l'assurance obligatoire des travailleurs contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, conformément aux exigences de l'article 38 de la Constitution italienne. Le paragraphe 3 de ladite disposition vise les artisans qui exercent habituellement une activité manuelle dans leur entreprise.

5. Selon l'article 55 de la loi n° 88, du 9 mars 1989, relative à la restructuration de l'Istituto nazionale della previdenza sociale (Institut national de sécurité sociale) et de l'INAIL (GURI n° 60, du 13 mars 1989), celui-ci doit être classé parmi les organismes publics prestataires de services et il est soumis au contrôle du ministère du Travail et de la Sécurité sociale. Ladite loi prévoit en outre que l'INAIL exerce les missions qui lui sont confiées suivant des critères de rentabilité économique, en adaptant librement son organisation à la nécessité d'effectuer la perception des cotisations et le versement des prestations de manière efficace et en temps utile, ainsi qu'en gérant son patrimoine mobilier et immobilier de manière à assurer un revenu financier adéquat. Le gouvernement doit poursuivre la même finalité dans le contrôle et la surveillance des activités de l'INAIL.

6. En vertu de l'article 9 du décret n° 1124, les employeurs sont tenus d'assurer leurs employés et les sociétés doivent faire de même en ce qui concerne leurs associés, alors que les artisans indépendants sont tenus de s'assurer eux-mêmes lorsque l'activité exercée relève des activités à risque prévues à l'article 1er dudit décret et que la personne assurée fait partie de l'une des catégories de travailleurs mentionnées à l'article 4 de celui-ci.

7. S'agissant du montant des cotisations, l'article 39, paragraphe 2, du décret n° 1124 prévoit, pour le secteur industriel, le système dit "de répartition des capitaux de couverture". Selon celui-ci, chaque année, les cotisations sont fixées afin de couvrir l'ensemble des charges liées aux accidents qui peuvent survenir dans l'année, c'est-à-dire aussi bien les prestations de courte durée que la valeur en capital des rentes relatives aux accidents du travail et aux maladies professionnelles.

8. L'article 40 du décret n° 1124 prévoit :

"Le barème des primes et cotisations d'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles ainsi que leurs modalités d'application sont approuvés par décret du ministère du travail et de la sécurité sociale sur délibération de l'INAIL [...]. Le barème fixe des taux de primes correspondant au risque moyen national déterminé pour chaque occupation professionnelle assurée, de manière à inclure la charge financière visée à l'article 39, paragraphe 2".

9. Le calcul des cotisations des artisans indépendants est régi par l'article 42 du décret n° 1124 ainsi que, pour la période en cause au principal, par le décret ministériel du 21 juin 1988 (GURI n° 151, du 29 juin 1988). En fonction du degré de risque qu'elles présentent, les activités des artisans indépendants sont réparties en 10 classes, qui sont elles-mêmes subdivisées en 320 rubriques correspondant à autant d'occupations professionnelles.

10. Selon l'article 66 du décret n° 1124, les prestations peuvent revêtir les formes suivantes :

- indemnité journalière pour incapacité temporaire ;

- rente pour incapacité permanente ;

- allocation d'assistance personnelle permanente ;

- rente aux survivants et allocation unique en cas de décès ;

- soins médicaux et chirurgicaux, y compris les examens en milieu hospitalier, et

- fourniture d'appareils de prothèse.

11. L'article 67 du décret n° 1124 établit le principe de l'automaticité des prestations, en vertu duquel les assurés ont droit à celles-ci même en cas de défaut de déclaration de l'activité professionnelle ou d'absence de paiement des primes par l'employeur. En application de l'article 59, paragraphe 19, de la loi n° 449, du 27 décembre 1997, relative aux mesures visant à stabiliser les finances publiques (GURI n° 302, du 30 décembre 1997), cette automaticité a été exclue à l'égard des travailleurs indépendants, y compris les artisans, à compter du 1er janvier 1998. Toutefois, les prestations peuvent être servies en cas de régularisation de la situation de ces derniers.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

12. En décembre 1998, le Pretore di Vicenza (Italie) a enjoint à Cisal de payer à l'INAIL la somme de 6 606 890 ITL correspondant à des cotisations d'assurance non versées pour le compte de M. Battistello, gérant associé, au titre de la période allant de 1992 à 1996. Cette injonction de payer était fondée sur le fait que ce dernier, conformément à l'article 4 du décret n° 1124, aurait dû être affilié à l'INAIL en vue de se garantir contre les accidents du travail en tant qu'artisan travaillant le bois et ayant une activité manuelle dans sa propre entreprise.

13. Cisal a formé opposition à l'injonction de payer devant le Tribunale di Vicenza, en faisant valoir que M. Battistello est assuré contre les accidents du travail auprès d'une compagnie d'assurances privée depuis 1986. Elle soutient en outre que les dispositions fondant son obligation de s'assurer contre ces mêmes risques auprès de l'INAIL sont contraires au droit communautaire de la concurrence en ce qu'elles maintiennent de façon injustifiée, en faveur de ce dernier, un monopole qui le conduit à abuser de sa position dominante. À l'appui de sa thèse, M. Battistello a invoqué un avis du 9 février 1999 de l'Autorità garante della concorrenza e del mercato (Autorité nationale chargée de la concurrence et du marché), selon lequel "l'INAIL ne présente pas d'éléments de solidarité propres à exclure, sur le fondement de la jurisprudence communautaire, la nature économique de l'activité exercée".

14. La juridiction de renvoi relève que l'INAIL présente certaines caractéristiques qui, selon elle, se concilient mal avec la notion d'entreprise au sens du droit communautaire de la concurrence. À cet égard, elle fait référence au caractère automatique des prestations, à l'affiliation obligatoire et à l'absence de but lucratif. Elle considère néanmoins que d'autres éléments, de nature à caractériser les organismes exerçant une activité purement économique, prédominent en l'espèce. Elle mentionne, à ce titre, la perception de cotisations directement liées au risque assuré, la subdivision de celui-ci en 10 classes distinctes, selon un critère économique et commercial, ainsi que l'obligation légale pour l'INAIL d'exercer son activité selon des critères de rentabilité. La juridiction de renvoi ajoute qu'en 1965, après l'instauration de l'obligation pour les artisans de s'assurer contre les risques du travail, le législateur italien a admis que la couverture par une police d'assurance privée obligatoire puisse provisoirement constituer une alternative à celle garantie par l'INAIL.

15. Considérant, d'une part, que la législation italienne pourrait être contraire aux articles 90 et 86 du traité, en raison du fait qu'une affiliation obligatoire à l'INAIL est imposée aux artisans indépendants, alors même qu'ils sont déjà assurés auprès d'une compagnie privée, et, d'autre part, que la suppression du caractère obligatoire de l'affiliation pour les artisans assurés par ailleurs ne compromettrait pas la poursuite des autres fonctions spécifiques assignées à l'INAIL par le législateur italien, le Tribunale di Vicenza a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"Y a-t-il lieu de qualifier d'entreprise au sens des articles 81 et suivants du traité un organisme d'assurance public sans but lucratif, tel que l'INAIL, auquel est confiée, selon des critères d'exploitation économique rentable, la gestion monopolistique d'un régime d'assurance contre les risques découlant d'accidents du travail et de maladies professionnelles, régime fondé sur un système d'affiliation obligatoire, lequel verse des prestations suivant un principe d'automaticité partielle (qui assure la couverture du travailleur salarié mais pas du travailleur indépendant - à partir de 1998), même en cas de défaut de paiement des primes par l'employeur, et calcule les primes sur la base de la classe de risque dans laquelle se situe le travail assuré [?]

En cas de réponse positive à la première question, est-il contraire aux articles 86 et 82 CE que cet organisme public prétende au paiement des primes également dans le cas où l'intéressé, un travailleur indépendant (artisan), est déjà assuré auprès d'une compagnie privée contre les mêmes risques que ceux pour lesquels il serait couvert en s'affiliant audit organisme ? "

Sur la recevabilité de la demande préjudicielle

16. L'INAIL soutient que les questions posées sont irrecevables dès lors qu'elles auraient été soulevées en raison de la suppression, s'agissant des artisans, du principe de la pleine automaticité selon lequel l'INAIL est tenu au paiement des prestations même lorsque les cotisations n'ont pas été acquittées. Or, cette suppression n'étant intervenue qu'à compter du 1er janvier 1998, elle ne concernerait donc pas la période d'assurance en cause au principal.

17. En outre, l'INAIL fait valoir que, même en cas de réponse positive de la Cour aux deux questions posées, la juridiction de renvoi ne serait pas compétente pour écarter les règles nationales qui lui octroient le monopole en matière d'assurance contre les accidents du travail, au motif que seule la Commission est compétente pour veiller au respect de l'article 90, paragraphe 2, du traité, en adoptant des décisions ou des directives conformément au paragraphe 3 de cette disposition.

18. Cette argumentation ne saurait être retenue. D'une part, conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée par l'article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire, tant la nécessité d'une question préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour (voir, notamment, arrêt du 10 mai 2001, Agorà et Excelsior, C-223-99 et C-260-99, Rec. p. I-3605, points 18 et 19). En tout état de cause, en l'occurrence, aucun élément ne permet d'affirmer, à la lecture de l'ordonnance de renvoi, que le Tribunale di Vicenza n'a posé les questions préjudicielles qu'en raison de la réforme de 1997 relative à l'automaticité des prestations. Celle-ci n'a, au demeurant, été mentionnée par ladite juridiction que dans le cadre de la description du contexte juridique national.

19. D'autre part, il découle de la jurisprudence de la Cour et notamment des arrêts du 19 mai 1993, Corbeau (C-320-91, Rec. p. I-2533), et du 21 septembre 1999, Albany (C-67-96, Rec. p. I-5751), que les dispositions de l'article 90, paragraphe 2, du traité peuvent être invoquées par les justiciables devant les juridictions nationales afin de faire contrôler le respect des conditions prévues par celles-ci.

20. En conséquence, la demande préjudicielle est recevable.

Sur la première question

21. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande à la Cour s'il y a lieu de qualifier d'entreprise, au sens des articles 85 et 86 du traité, un organisme qui est chargé par la loi de la gestion d'un régime d'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, tel que l'INAIL.

22. Selon une jurisprudence constante, dans le contexte du droit de la concurrence, la notion d'entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (voir, notamment, arrêt du 12 septembre 2000, Pavlov e.a., C-180-98 à C-184-98, Rec. p. I-6451, point 74).

23. À cet égard, il ressort d'une jurisprudence également constante que constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (arrêts du 16 juin 1987, Commission/Italie, 118-85, Rec. p. 2599, point 7 ; du 18 juin 1998, Commission/Italie, C-35-96, Rec. p. I-3851, point 36, et Pavlov e.a., précité, point 75).

Arguments des parties

24. Cisal soutient que l'INAIL est une entreprise au sens des articles 85 et 86 du traité.

25. En effet, les services d'assurance que l'INAIL fournit aux artisans seraient tout à fait comparables à ceux qui sont offerts par une compagnie d'assurances privée : tout d'abord, les prestations sont exclusivement financées par les cotisations, lesquelles sont fixées en fonction du risque ; ensuite, il existe un lien étroit entre les cotisations acquittées et les prestations versées dans la mesure où elles représentent toutes deux un pourcentage de la rémunération de la victime et, enfin, l'INAIL est tenu de gérer le régime d'assurance dont il a la charge de manière économiquement rentable. Ni la poursuite d'une finalité sociale ni l'absence de but lucratif, non plus que les quelques éléments de solidarité que ce régime comporte, ne priveraient les activités de l'INAIL de leur caractère essentiellement économique.

26. L'INAIL, le gouvernement italien et la Commission soutiennent, au contraire, que l'INAIL ne peut être considéré comme une entreprise en raison de la mission d'intérêt général qui lui a été confiée et des caractéristiques du régime d'assurance qu'il gère. À cet égard, son cas serait proche de celui en cause dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 17 février 1993, Poucet et Pistre (C-159-91 et C-160-91, Rec. p. I-637).

27. À l'appui de cette thèse, les caractéristiques suivantes du régime d'assurance sont invoquées.

28. En premier lieu, les prestations fournies par l'INAIL comprendraient non seulement des allocations financières, mais également la participation à des activités de prévention, de réadaptation et d'assistance sociale ; elles couvriraient non seulement le dommage direct et immédiat, mais également des conséquences économiques plus indirectes de l'accident ; en outre, le montant même des prestations pécuniaires, qui est fonction de la rémunération de la victime et non de l'étendue du préjudice à réparer, reposerait sur des critères fixés par la loi et ne dépendrait ni des cotisations acquittées par l'assuré ni des résultats financiers de l'INAIL. En particulier, pour le calcul des rentes, pourraient seuls être pris en considération les salaires situés dans une certaine fourchette, entre un minimum et un maximum, établie sur la base de la rémunération moyenne nationale.

29. L'INAIL, le gouvernement italien et la Commission ajoutent que le principe de l'automaticité des prestations, en vertu duquel ces dernières sont versées même lorsque l'employeur n'a pas acquitté les cotisations dues, constitue un élément important de la solidarité qui caractérise fondamentalement le régime de protection contre les conséquences économiques des accidents du travail et des maladies professionnelles. Certes, cette automaticité a été supprimée à l'égard des travailleurs indépendants à partir du 1er janvier 1998, mais la situation pourrait toujours être régularisée et, en tout état de cause, la réforme est postérieure aux périodes d'assurance en cause au principal.

30. En second lieu, s'agissant du financement du régime d'assurance, l'INAIL et le gouvernement italien font valoir que les cotisations ne sont pas systématiquement proportionnelles au risque, certains risques spécifiques, tels ceux liés à l'amiante ou au bruit, étant en partie supportés par d'autres secteurs, selon un principe de solidarité. Le gouvernement italien et la Commission ajoutent que le montant des cotisations doit être approuvé par décret du ministre compétent. En outre, les rentes d'accident du travail seraient financées en grande partie selon le principe de la répartition, seule une partie correspondant à la valeur en capital de la rente initiale étant mise de côté pour constituer une réserve technique de nature à garantir le paiement des prestations.

Appréciation de la Cour

31. À cet égard, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, en vertu d'une jurisprudence constante, le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres d'aménager leur système de sécurité sociale (voir, notamment, arrêts du 28 avril 1998, Kohll, C-158-96, Rec. p. I-1931, point 17, et du 12 juillet 2001, Smits et Peerbooms, C-157-99, non encore publié au Recueil, point 44).

32. En particulier, la couverture des risques d'accident du travail et de maladie professionnelle relève, de longue date, de la protection sociale que les États membres garantissent à tout ou partie de leur population.

33. En outre, force est de constater que le règlement (CEE) n° 1408-71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118-97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), comporte des dispositions spécifiques en matière de coordination des régimes nationaux d'accident du travail et de maladie professionnelle, pour l'application desquelles, s'agissant de la République italienne, l'INAIL est expressément désigné comme institution compétente, au sens de l'article 1er, sous o), dudit règlement [voir annexe 2, intitulée "Institutions compétentes", H, point 2, du règlement (CEE) n° 574-72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement n° 1408-71 (JO L 74, p. 1), dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n° 118-97].

34. Par ailleurs, il importe de relever que le régime légal d'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles en cause dans l'affaire au principal, en ce qu'il prévoit une protection sociale obligatoire pour tous les travailleurs non salariés des professions non agricoles qui exercent une activité qualifiée d'"activité à risque" par la loi, poursuit un objectif social.

35. En effet, un tel régime vise à assurer à l'ensemble des personnes protégées une couverture des risques d'accident du travail et de maladie professionnelle, indépendamment de toute faute qui aurait pu être commise par la victime, ou encore par l'employeur, et donc sans qu'il soit nécessaire d'engager la responsabilité civile de la personne retirant les bénéfices de l'activité comportant le risque.

36. En outre, la finalité sociale dudit régime d'assurance est révélée par la circonstance que les prestations sont versées alors même que les cotisations dues n'ont pas été acquittées, ce qui contribue manifestement à la protection de tous les travailleurs assurés contre les conséquences économiques d'accidents du travail ou de maladies professionnelles. Même après la réforme de 1997, qui a exclu cette automaticité de la couverture sociale pour les travailleurs indépendants, les prestations peuvent encore être servies en cas de régularisation, lorsque les cotisations n'ont pas été versées en temps voulu.

37. Toutefois, ainsi qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour, la finalité sociale d'un régime d'assurance n'est pas en soi suffisante pour exclure que l'activité en cause soit qualifiée d'activité économique(voir arrêt Pavlov e.a., précité, point 118). À cet égard, deux autres aspects méritent d'être mis en relief.

38. En premier lieu, plusieurs éléments permettent d'établir que le régime d'assurance en cause au principal met en œuvre le principe de la solidarité.

39. D'une part, ledit régime d'assurance est financé par des cotisations dont le taux n'est pas systématiquement proportionnel au risque assuré.Ainsi, il ressort du dossier que le taux ne peut dépasser un plafond maximal, même si l'activité exercée comporte un risque très élevé, le solde du financement étant supporté par toutes les entreprises relevant de la même classe en ce qui concerne le risque encouru. En outre, les cotisations sont calculées non pas seulement sur la base du risque lié à l'activité de l'entreprise concernée, mais également en fonction des revenus de l'assuré.

40. D'autre part, le montant des prestations versées n'est pas nécessairement proportionnel aux revenus de l'assuré, dès lors que, pour le calcul des rentes, seuls les salaires situés entre un minimum et un maximum correspondant à la rémunération moyenne nationale, minorée ou majorée de 30 %, peuvent être pris en considération.

41. Dans ces conditions, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 66 de ses conclusions, le versement de cotisations élevées peut ne donner lieu qu'à l'octroi de prestations plafonnées, lorsque le salaire en cause dépasse le maximum fixé par décret et, inversement, des cotisations relativement basses, calculées sur la base du salaire minimal légal, donnent droit à des prestations calculées en fonction d'un revenu supérieur à ce seuil, correspondant au salaire moyen minoré de 30 %.

42. L'absence de lien direct entre les cotisations acquittées et les prestations versées implique ainsi une solidarité entre les travailleurs les mieux rémunérés et ceux qui, compte tenu de leurs faibles revenus, seraient privés d'une couverture sociale adéquate si un tel lien existait.

43. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que l'activité de l'INAIL, auquel la gestion du régime en cause a été confiée par la loi, est soumise au contrôle de l'État et que le montant des prestations ainsi que des cotisations est, en dernier ressort, fixé par ce dernier.D'une part, le montant des prestations est fixé par la loi et celles-ci doivent être versées indépendamment des cotisations perçues et des résultats financiers des investissements réalisés par l'INAIL. D'autre part, le montant des cotisations, qui fait l'objet d'une délibération de l'INAIL, doit être approuvé par décret ministériel, le ministre compétent disposant effectivement du pouvoir de rejeter les barèmes proposés et d'inviter l'INAIL à lui soumettre une nouvelle proposition tenant compte de certaines indications.

44. En résumé, il ressort de ce qui précède que le montant des prestations et celui des cotisations, qui constituent les deux éléments essentiels du régime géré par l'INAIL, sont soumis au contrôle de l'État et l'affiliation obligatoire qui caractérise un tel régime d'assurance est indispensable à l'équilibre financier de celui-ci ainsi qu'à la mise en œuvre du principe de solidarité, lequel implique que les prestations versées à l'assuré ne sont pas proportionnelles aux cotisations acquittées par celui-ci.

45. En conclusion, en concourant ainsi à la gestion de l'une des branches traditionnelles de la sécurité sociale, en l'occurrence l'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, l'INAIL remplit une fonction de caractère exclusivement social. Il s'ensuit que son activité n'est pas une activité économique au sens du droit de la concurrence et que, dès lors, cet organisme ne constitue pas une entreprise au sens des articles 85 et 86 du traité.

46. Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que la notion d'entreprise, au sens des articles 85 et 86 du traité, ne vise pas un organisme qui est chargé par la loi de la gestion d'un régime d'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, tel que l'INAIL.

Sur la seconde question

47. Compte tenu de la réponse donnée à la première question, il n'y a pas lieu de répondre à la seconde question.

Sur les dépens

48. Les frais exposés par le gouvernement italien et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunale di Vicenza, par ordonnance du 25 mai 2000, dit pour droit :

La notion d'entreprise, au sens des articles 85 et 86 du traité CE (devenus articles 81 CE et 82 CE), ne vise pas un organisme qui est chargé par la loi de la gestion d'un régime d'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, tel que l'Istituto nazionale per l'assicurazione contro gli infortuni sul lavoro (INAIL).