TPICE, 4e ch. élargie, 30 septembre 1999, n° T-182/98
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
UPS Europe (SA)
Défendeur :
Commission des Communautés Européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
MM. Moura, Ramos
Juges :
MM. Garcia-Valdecasas, Mengozzi, Mmes Tiili, Lindh
Avocats :
Mes Ottervanger, Arts.
LE TRIBUNAL
Faits à l'origine du recours
1 La requérante est une des sociétés du groupe "United Parcel Service" (UPS) qui exerce son activité de distribution de colis dans le monde entier. Elle a des bureaux dans tous les Etats membres de la Communauté européenne, notamment en Allemagne.
2 Par lettre du 7 juillet 1994, la requérante a déposé une plainte auprès de la Commission, lui demandant d'engager une procédure afin de constater, notamment, que le comportement abusif de la Deutsche Bundespost, désormais Deutsche Post AG (la poste allemande, ci-après "Deutsche Post"), sur le marché du service postal et les financements croisés de ce service étaient contraires aux articles 86 du traité CE (devenu article 82 CE), 90 du traité CE (devenu article 86 CE), 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE) et 93 du traité CE (devenu article 88 CE).
3 La requérante, n'ayant reçu aucune réponse quant au problème d'aide d'Etat qu'elle soulevait dans sa plainte, a, par lettre du 11 mai 1995, demandé à la Commission de lui fournir une réponse avant le 20 mai 1995.
4 La Commission a répondu par une lettre du 18 mai 1995, demandant à la requérante d'apporter des preuves corroborant ses affirmations relatives à l'existence d'une aide d'Etat.
5 La requérante a fourni les précisions réclamées dans une lettre datée du 27 juillet 1995 et demandé à nouveau à la Commission de faire usage des pouvoirs d'enquête qu'elle détient en vertu de l'article 93, paragraphe 2, du traité.
6 Le 2 août 1995, la Commission a répondu qu'il lui faudrait examiner les résultats de l'enquête menée par la direction B "task-force "contrôle des opérations de concentration entre entreprises" de la direction générale de la concurrence (DG IV) avant de pouvoir envisager la possibilité de demander aux autorités allemandes de présenter leurs observations concernant l'éventuelle aide d'Etat.
7 Par une lettre du 16 novembre 1995, la requérante s'est enquise des résultats de cet examen. Elle a souligné à nouveau qu'il lui semblait être confrontée à un cas d'aide d'Etat et que la Commission, qui était plus en mesure qu'elle-même de recueillir des informations supplémentaires, devait faire usage de ses pouvoirs d'enquête pour examiner l'affaire.
8 Le 19 novembre 1996, le conseil de la requérante a adressé à la Commission une lettre de mise en demeure se référant expressément à l'article 175 du traité CE (devenu article 232 CE).
9 Le 12 décembre 1996, le directeur de la direction G "aides d'Etat" de la DG IV, a informé la requérante que, "eu égard aux informations que la Commission a obtenues dans la procédure d'application de l'article 86 susvisé, [ses] services estim[ai]ent que cette affaire devrait comporter un aspect distinct de celui des aides d'Etat, et ils [avaient] par conséquent récemment demandé aux autorités allemandes de commenter les arguments qu'[elle] formul[ai]t dans [sa] lettre du 27 juillet 1995".
10 Suite à la lettre de mise en demeure susmentionnée, M. Temple Lang, directeur à la DG IV, a envoyé le 24 janvier 1997 à la Deutsche Post une "communication" relative à la partie de la plainte fondée sur l'article 86 du traité. Pour ce qui concerne la partie de la plainte tirée de l'article 92 du traité, il a annoncé que la Commission était en train de procéder à l'examen des affirmations de la requérante et qu'elle se réservait le droit d'ouvrir la procédure prévue par cet article.
11 Par lettre du 25 août 1997, M. Temple Lang a indiqué à la requérante que la Commission suspendait son enquête au titre de l'article 86 du traité et la poursuivait au titre de l'article 92 du traité.
12 Le 22 octobre 1997, la requérante a demandé à la Commission - en se référant expressément à l'article 175 du traité - de prendre position sur sa plainte déposée le 7 juillet 1994.
13 Le 19 décembre 1997, le directeur général de la DG IV a envoyé à la requérante une lettre se référant à l'article 6 du règlement n° 99-63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268). Dans cette lettre il a précisé :
"Comme indiqué ci-dessus, la Commission estime dès lors que, pour l'heure, il ne convient d'examiner votre plainte que dans la mesure où elle fait état d'infraction aux dispositions en matière d'aides d'Etat. La Commission engagera la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité [...] au début de l'an prochain [...] Eu égard à ce qui précède, les services de la Commission sont parvenus à la conclusion qu'il n'y a aucune raison d'accéder à votre demande dans la mesure où elle concerne l'article 86 du traité [...]"
14 Par courrier du 2 février 1998, la requérante a adressé ses observations à la Commission et demandé que celle-ci l'informe des progrès de son enquête relative aux aides d'Etat, non seulement en ce qui concerne les subventions croisées dont bénéficierait la Deutsche Post, mais également à propos des autres formes d'aides d'Etat mentionnées dans la plainte et dans les lettres ultérieures.
15 Par lettre du 10 août 1998, la requérante a demandé à la Commission de prendre position dans le délai de deux mois suivant la réception de ce courrier sur la plainte qu'elle avait formulée, au titre de l'article 92 du traité, à l'encontre de la République fédérale d'Allemagne. La requérante a indiqué que, à défaut, elle formerait un recours au titre de l'article 175 du traité devant le Tribunal de première instance.
16 Le 2 octobre 1998, le directeur général adjoint de la DG IV a répondu à la requérante :
"Dans votre lettre, vous priez la Commission [de vous informer] de sa position au sujet de la plainte relative à d'éventuels éléments d'aide d'Etat au sens de l'article 92. En outre, vous faites part à la Commission de votre intention d'engager un recours au titre de l'article 175 du traité dans le cas où celle-ci ne prendrait pas position dans le délai de deux mois.
La Commission a décidé d'examiner, au regard de l'article 86, la position et le comportement de Deutsche Post AG, dont [votre] plainte prétend qu'ils enfreignent plusieurs règles de concurrence du traité CE, et de ne pas engager - tout au moins pour l'instant - de procédure au titre de l'article 93. Cependant, cela ne signifie pas que la Commission exclut la possibilité que cette affaire puisse comporter des aspects d'aide d'Etat. Aussi se réserve-t-elle le droit d'entamer à l'avenir des examens au titre de l'article 92 du traité si une telle mesure apparaissait appropriée."
Procédure et conclusions des parties
17 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 novembre 1998, la requérante a introduit le présent recours tendant à ce qu'il plaise au Tribunal :
- annuler la décision de la Commission prise par la lettre du 2 octobre 1998 ;
- condamner la Commission aux dépens ;
- ordonner toute mesure qu'il jugera nécessaire.
18 Par acte enregistré au greffe du Tribunal le 14 décembre 1998, la Commission a, en vertu de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, soulevé une exception d'irrecevabilité. A cette fin, la Commission demande au Tribunal de :
- déclarer le recours irrecevable ;
- condamner la requérante aux dépens.
19 Dans ses observations sur l'exception d'irrecevabilité, déposées le 18 février 1999, la requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- déclarer le recours recevable ;
- subsidiairement, réserver sa décision jusqu'à l'arrêt au fond ;
- condamner la Commission aux dépens.
20 Par acte séparé, enregistré au greffe du Tribunal le 9 mars 1999, la Commission a également introduit, en vertu de l'article 114 du règlement de procédure, une demande incidente dans laquelle elle conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- prescrire une mesure d'instruction, au sens de l'article 65, sous b), du règlement de procédure, en ordonnant que la requérante et son avocat fournissent au Tribunal :
- l'original et toutes les copies de la pièce jointe en annexe 1 aux observations de la requérante sur l'exception d'irrecevabilité, déposée au greffe du Tribunal le 24 février 1999, en leur possession ou détenus pour leur compte par un tiers. Ces pièces devront être conservées par le Tribunal (et non dans le dossier) ;
- des informations complètes sur les circonstances dans lesquelles ce document est arrivé en leur possession, y compris le nom de la personne qui l'a fourni, le nom de la personne qui l'a reçu, ainsi que la date, le lieu et la manière dont il leur a été transmis ;
- des informations complètes sur les tiers auxquels ils ont montré ou fourni des copies ou des extraits de ce document ou de certaines parties de ce document ;
- ordonner que le document soit retiré du dossier,
- ordonner que la procédure soit réouverte et que la Commission ait la possibilité de présenter des commentaires écrits sur les observations de la requérante ;
- en toute hypothèse, condamner la requérante à supporter les frais entraînés par la présente demande.
21 La requérante a présenté ses observations écrites sur la demande incidente le 30 mars 1999.
Sur la recevabilité
22 Selon l'article 114, paragraphe 3, du règlement de procédure, si une partie demande que le Tribunal statue sur l'irrecevabilité sans engager le débat au fond, la suite de la procédure sur l'exception d'irrecevabilité est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l'espèce, le Tribunal s'estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et considère qu'il y a lieu, en conséquence, de statuer sur la demande sans engager de procédure orale.
Arguments des parties
23 Au soutien de son exception d'irrecevabilité, la Commission soutient que la lettre du 2 octobre 1998 ne constitue pas un acte attaquable en ce qu'elle ne présente pas le caractère d'une décision. Elle invoque plusieurs éléments à l'appui de cet argument.
24 La Commission fait valoir que, même si le reproche selon lequel elle n'a pas agi "dans un délai raisonnable" était fondé, la requérante ne serait pas pour autant en droit d'attaquer la lettre du 2 octobre 1998. La requérante devrait attaquer soit la décision de la Commission dont l'Etat membre est destinataire (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink's France, C-367/95 P, Rec. p. I-1719, point 45), soit, en l'absence d'une telle décision, la carence de la Commission en vertu de l'article 175 du traité. La requérante ne pouvant attaquer une lettre de la Commission l'informant de sa décision pourrait encore moins attaquer une lettre l'informant de ce que, en l'état, aucune décision n'a été prise.
25 La Commission souligne que, en matière d'aides d'Etat, il n'est pas concevable qu'un plaignant soit le destinataire d'une décision. Dans ce contexte, elle ne pourrait adopter, à l'égard de l'Etat membre, que l'une des trois décisions suivantes : la mesure étatique en cause ne constitue pas une "aide" au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité ; cette mesure, bien que constituant une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, est compatible avec le Marché commun en vertu de l'article 92, paragraphes 2 ou 3 ; il y a lieu d'ouvrir la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité. En l'espèce, étant donné qu'elle n'a pris aucune de ces trois décisions, la phase préliminaire resterait ouverte et la seule voie accessible à la requérante serait donc celle de l'article 175 du traité (arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, Gestevision Telecinco/Commission, T-95-96, Rec. p. II-3407, point 55).
26 Selon la Commission, la nature purement informative de la lettre attaquée ressort de la première phrase et, plus précisément, de la mention "du moins pour l'instant", ainsi que de l'indication qu'elle n'exclut pas "la possibilité que des questions d'aide d'Etat puissent être liées à l'affaire". Dans la lettre litigieuse, elle transmettrait simplement à la requérante des informations sur l'état de la procédure. Par conséquent, cette lettre serait dépourvue d'effets juridiques. La Commission ajoute que, dans la lettre attaquée, elle ne définit pas sa position. Elle "admet que la première phrase du deuxième paragraphe de la lettre du 2 octobre 1998 pourrait éventuellement être interprétée en donnant à penser qu'il existait une décision de la Commission au titre de l'article 93 du traité CE". Toutefois, elle fait valoir que la requérante, suivant la procédure normale, aurait dû lui en demander une copie.
27 La Commission fait valoir également que la lettre attaquée ne peut pas constituer une décision car elle est signée par un fonctionnaire au nom d'un autre et aucun d'eux ne dispose d'une délégation de pouvoir conformément à son règlement intérieur les autorisant à adopter des décisions au nom du collège de ses membres en vue de clôturer la phase préliminaire. La lettre attaquée pourrait également être considérée comme un acte inexistant, étant donné que "le contenu exact et certain" de la mesure alléguée ne peut être apprécié.
28 Enfin, de l'avis de la Commission, la requérante n'a aucun intérêt juridique à l'annulation de la lettre du 2 octobre 1998, car cette dernière est purement informative.
29 La requérante fait observer que le libellé de la lettre attaquée est clair. Aux termes de celle-ci, la phase préliminaire d'investigation serait interrompue et la Commission aurait décidé de ne pas ouvrir de procédure conformément à l'article 93, paragraphe 2, du traité, malgré les sérieuses difficultés qu'elle éprouve pour apprécier si l'aide en question est compatible avec le Marché commun. Une telle lettre aurait donc un aspect à la fois informatif et décisionnel en ce qu'elle informe le destinataire de l'état actuel de l'examen préliminaire et lui signifie que l'enquête est terminée ou, tout au moins, suspendue.
30 La requérante ajoute que, pour cette raison, il ne fait aucun doute que la Commission a clairement et sans équivoque défini sa position quant à sa plainte relative à l'article 92 du traité. Le fait que la Commission puisse reprendre ses investigations dans le futur, "si une telle démarche semble appropriée", n'implique pas qu'elle a laissé sa position indéterminée. Selon la requérante, la Commission a décidé qu'il n'y avait pas lieu, en l'état, de poursuivre ses investigations.
31 Elle souligne que la Commission peut définir sa position conformément à l'article 175 du traité sans l'adoption d'un acte que l'intéressé aurait souhaité ou estimé nécessaire (arrêt de la Cour du 13 juillet 1971, Komponistenverband/Commission, 8-71, Rec. p. 705, point 2) ou même par un acte dépourvu d'effets juridiques. Par conséquent, la Commission n'aurait pas manqué d'agir et un recours en vertu de l'article 175 du traité aurait été déclaré irrecevable.
32 La requérante rappelle qu'il résulte d'une jurisprudence constante que la Commission a le devoir d'ouvrir la procédure prévue par l'article 93, paragraphe 2, du traité lorsqu'elle éprouve de sérieuses difficultés pour déterminer si une aide est compatible avec le Marché commun (arrêt de la Cour du 19 mai 1993, Cook/Commission, C-198-91, Rec. p. I-2487, point 29). En l'espèce, la Commission serait manifestement obligée d'initier une telle procédure. En effet, dans la lettre du 19 décembre 1997, la Commission aurait reconnu que les mesures dont bénéficie la Deutsche Post sont incompatibles avec le Marché commun ou qu'elle éprouverait de sérieuses difficultés pour estimer si elles sont compatibles.
33 Compte tenu de l'obligation de la Commission d'initier une telle procédure, sa décision de reporter, "du moins pour l'instant", son examen préliminaire des mesures d'aide, constituerait de toute évidence une décision au sens du quatrième alinéa de l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE). Une telle décision engendrerait des conséquences juridiques.
34 Premièrement, comme partie concernée, la requérante aurait pu exercer ses droits procéduraux si la Commission avait décidé d'ouvrir la procédure prévue par l'article 93, paragraphe 2, du traité. Deuxièmement, selon la requérante, aussi longtemps que la Commission n'a pas formellement décidé d'ouvrir cette procédure, l'Etat membre concerné pourrait mettre à exécution les aides en question. Troisièmement, même un acte par lequel une action de la Commission est suspendue serait susceptible d'affecter la situation juridique du plaignant (arrêt du Tribunal du 18 novembre 1992, Rendo e.a./Commission, T-16-91, Rec. p. II-2417, points 51 et 52). En conséquence, une telle décision ne devrait pas être considérée seulement comme une décision préalable. En effet, les conséquences négatives de la décision attaquée quant à la position de la plaignante ne seraient pas annulées par une décision ultérieure de la Commission d'initier une procédure selon l'article 93, paragraphe 2, du traité, car l'illégalité du retard avec lequel la procédure aura été finalement initiée et le préjudice en résultant pour la requérante persisteront.
35 Quant à l'argument tiré du contenu inexact et incertain de la lettre attaquée, la requérante rappelle que la Commission ne peut pas se prévaloir de sa propre inobservation du droit communautaire.
36 Enfin, la requérante conteste l'interprétation de la Commission selon laquelle, en matière d'aides d'Etat, il n'est pas concevable qu'un plaignant soit le destinataire d'une décision.
Appréciation du Tribunal
37 Pour statuer sur le bien-fondé de l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission, il y a lieu de rappeler que les décisions adoptées par la Commission dans le domaine des aides d'Etat ont pour destinataires les Etats membres concernés. Cela vaut également lorsque ces décisions concernent des mesures étatiques dénoncées dans des plaintes comme étant des aides d'Etat contraires au traité et qu'il en résulte que la Commission refuse d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité parce qu'elle estime soit que les mesures dénoncées ne constituent pas des aides d'Etat au sens de l'article 92 du traité, soit qu'elles sont compatibles avec le Marché commun. Si la Commission adopte de telles décisions et, conformément à son devoir de bonne administration, en informe les plaignants, c'est la décision adressée à l'Etat membre qui doit, le cas échéant, faire l'objet d'un recours en annulation de la part du plaignant et non pas la lettre d'information adressée à celui-ci (arrêt Commission/Sytraval et Brink's France, précité, point 45).
38 A cet égard, il y a lieu de relever que, même si une décision mettant un terme à l'examen de la compatibilité avec le traité d'une mesure d'aide a toujours pour destinataire l'Etat membre concerné, une communication adressée à un plaignant peut refléter le contenu d'une telle décision, même si celle-ci n'a pas été envoyée à l'Etat membre concerné (arrêt du Tribunal du 18 décembre 1997, ATM/Commission, T-178-94, Rec. p. II-2529, points 20, 52 et 54).
39 Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, ne constituent des actes ou des décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation, au sens de l'article 173 du traité, que les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci (voir, à titre d'exemple, l'ordonnance de la Cour du 8 mars 1991, Emerald Meats/Commission, C-66-91 et C-66-91 R, Rec. p. I-1143, point 26, et l'ordonnance du Tribunal du 16 juillet 1998, Ca'Pasta/Commission, T-274-97, Rec. p. II-2925, point 24).
40 En outre, lorsqu'il s'agit d'actes ou de décisions dont l'élaboration s'effectue en plusieurs phases, notamment au terme d'une procédure interne, ne constituent en principe des actes attaquables que les mesures qui fixent définitivement la position de l'institution au terme de cette procédure, à l'exclusion des mesures intermédiaires dont l'objectif est de préparer la décision finale (ordonnance Ca'Pasta/Commission, précité, point 25).
41 Ainsi, afin de déterminer si le recours est recevable, il y a lieu d'examiner s'il résulte de la lettre attaquée que la Commission a résolu de mettre un terme à l'examen de la compatibilité avec le traité des aides étatiques dénoncées par la requérante et pris ainsi une décision ayant en réalité pour destinataire l'Etat membre concerné, et affectant les intérêts de la requérante en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique.
42 En l'espèce, il convient d'observer que, dans la lettre litigieuse, la Commission énonce clairement, d'une part, son intention de ne pas ouvrir, en l'état, une procédure d'examen des aides en cause dans la cadre de l'article 93 du traité et, d'autre part, qu'elle n'exclut pas "la possibilité que des questions d'aide d'Etat puissent être liées à l'affaire". Ainsi, la lettre attaquée ne saurait s'analyser comme reproduisant une décision de la Commission mettant un terme à l'examen de la compatibilité avec le traité des aides étatiques dénoncées par la requérante.
43 De plus, la lettre attaquée ne contient aucune qualification des faits allégués par la requérante dans sa plainte au regard de l'article 92 du traité. En effet, dans ladite lettre, la Commission ne prend pas de position motivée et définitive sur la plainte de la requérante quant aux articles 92 et 93 du traité. Il ressort donc de son contenu que cette lettre se limite à faire part à la requérante de ce que les services de la Commission n'envisagent aucune action en l'état. Par conséquent, la lettre attaquée se trouve dépourvue d'effets juridiques.
44 En conséquence, il est constant que, en l'occurrence, il n'existe aucune décision qui aurait été adressée à l'Etat membre concerné. Ainsi, comme la Commission l'a fait valoir à juste titre, la requérante, ne pouvant attaquer une lettre de la Commission l'informant de sa décision dans le domaine des aides d'Etat, peut encore moins attaquer une lettre l'informant de ce que, en l'état, aucune décision n'a été prise.
45 Cette conclusion n'est pas de nature à être remise en cause par l'argumentation présentée par la requérante, basée sur une prétendue violation de l'obligation d'agir. En effet, l'argument de la requérante, selon lequel l'inaction de la Commission la priverait de ses droits procéduraux, en dépit de la possibilité d'intenter une action sur le fondement de l'article 175 du traité, ne saurait être accepté.
46 Il y a lieu de relever, tout d'abord, que la Commission n'est pas autorisée à perpétuer un état d'inaction (arrêt Gestevision Telecinco/Commission, précité, point 86). La Commission est obligée d'adopter à l'égard de l'Etat membre concerné une décision définitive qui doit, conformément aux principes de bonne administration, intervenir dans un délai raisonnable (arrêt Gestevision Telecinco/Commission, précité, points 73 à 75). Si la Commission méconnaissait cette obligation, la requérante pourrait introduire un recours en carence. Au cas où ce recours serait déclaré bien fondé, il incomberait à la Commission, en application de l'article 176 du traité CE (devenu article 233 CE), de prendre les mesures que comporterait l'exécution de l'arrêt.
47 Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que, lorsque sans ouvrir la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité, la Commission constate, sur le fondement du paragraphe 3 du même article, qu'une mesure étatique ne constitue pas une aide, ou que cette mesure, bien que constituant une aide, est compatible avec le Marché commun, les intéressés, bénéficiaires des garanties de procédure prévues par le paragraphe 2 de cet article, ont la possibilité de contester une telle décision devant le juge communautaire (arrêt Commission/Sytraval et Brink's France, précité, point 47). De plus, dans le cadre d'un tel recours, le plaignant peut invoquer toute illégalité éventuelle qui entacherait les actes préparatoires à la décision définitive (arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, point 12).
48 En ce qui concerne l'argument de la requérante selon lequel l'Etat membre concerné pourrait poursuivre la mise en œuvre des aides en question, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'effet direct de l'interdiction de mise à exécution, visée par la dernière phrase du paragraphe 3 de l'article 93 du traité, s'étend à toute aide qui aurait été mise à exécution sans être notifiée et, en cas de notification, s'applique pendant la phase préliminaire ; puis, si la Commission engage la procédure contradictoire, jusqu'à la décision finale (arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon, C-354-90, Rec. p. I-5505, point 11, ci-après "arrêt FNCE"). De plus, la décision finale de la Commission n'a pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, les actes d'exécution qui étaient invalides du fait qu'ils avaient été pris en méconnaissance de l'interdiction visée par cet article (arrêt FNCE, point 16). Les juridictions nationales sont également tenues - et cela indépendamment de l'appréciation finale que la Commission portera sur le caractère compatible ou non de l'aide avec l'article 92 du traité - de faire respecter par leur Etat membre, à la demande de toute partie intéressée, l'interdiction de mise à exécution énoncée à l'article 93, paragraphe 3, du traité (arrêt FNCE, point 12).
49 Enfin, au vu de ce qui précède, l'argument de la requérante selon lequel même un acte par lequel une action de la Commission est suspendue serait susceptible d'affecter la situation juridique du plaignant est inopérant en l'espèce.
50 Il résulte des motifs exposés ci-dessus que, dans la lettre du 2 octobre 1998, la Commission ne fixe pas définitivement sa position quant à la compatibilité avec le traité des aides dénoncées par la requérante et que cette lettre ne présente pas les caractéristiques d'un acte produisant des effets juridiques obligatoires à l'égard des particuliers. Partant, le recours introduit au titre de l'article 173, deuxième alinéa, du traité doit être rejeté comme étant irrecevable, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres arguments avancés par la Commission.
Sur la demande incidente
51 En premier lieu, en ce qui concerne la demande de la Commission visant à obtenir que la requérante et son avocat fournissent au Tribunal l'original et toutes les copies de la pièce produite en annexe 1 aux observations de la requérante sur l'exception d'irrecevabilité ainsi que des informations complètes sur les circonstances dans lesquelles ce document est arrivé en leur possession et sur les tiers auxquels ils en ont montré ou fourni des copies ou des extraits, le Tribunal rappelle qu'il peut décider de recourir à des mesures d'instruction s'il estime que certains faits pertinents concernant l'affaire en litige ne sont pas suffisamment établis. Tel n'étant pas le cas en l'espèce, il n'est pas nécessaire de prescrire les mesures d'instruction demandées par la Commission (ordonnance du Tribunal du 21 novembre 1996, Syndicat des producteurs de viande bovine e.a./Commission, T-53-96, Rec. p. II-1579, point 26). Par ailleurs, la requérante a déjà volontairement répondu à la question concernant les conditions dans lesquelles elle est entrée en possession de ce document.
52 En deuxième lieu, en ce qui concerne la demande tendant à ce que la pièce jointe par la requérante en annexe 1 à ses observations sur l'exception d'irrecevabilité soit retirée du dossier au motif qu'il s'agirait d'un document interne parvenu à la requérante de manière irrégulière, il suffit de constater que la requérante a donné son accord sur le retrait, tout en niant avoir obtenu cette pièce irrégulièrement. Dans ces conditions, il y a lieu de décider que ledit document sera retiré du dossier.
53 En troisième lieu, quant à la demande de réouverture de la présente procédure, le Tribunal estime qu'il n'y pas lieu de l'examiner compte tenu de l'irrecevabilité du recours.
Sur les dépens
54 Selon l'article 87, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement de procédure, le Tribunal peut condamner une partie, même gagnante, à rembourser à l'autre partie les frais d'une procédure occasionnée par son propre comportement (voir l'arrêt du Tribunal du 25 juin 1997, Perillo/Commission, T-7-96, Rec. p. II-1061, point 47).
55 En l'espèce, la requérante a succombé en sa demande. Il convient toutefois de tenir compte du comportement de la défenderesse, qui a répondu de manière imprécise à la lettre de mise en demeure de la requérante du 10 août 1998. En effet, la première phrase du deuxième paragraphe de la lettre du 2 octobre 1998 pourrait être interprétée en ce sens qu'il existait une décision de la Commission au titre de l'article 93 du traité, comme cette dernière l'a, d'ailleurs, admis au point 14 de son mémoire sur l'exception d'irrecevabilité.
56 Ainsi, il y a lieu de constater que la naissance du litige a été favorisée par le comportement de la défenderesse. Dans de telles circonstances, il ne saurait être reproché à la requérante d'avoir saisi le Tribunal erronément au titre de l'article 173 du traité.
57 Partant, il y a lieu de condamner la Commission à supporter ses propres dépens ainsi qu'un tiers de ceux exposés par la requérante.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)
ordonne :
1) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2) La pièce produite en annexe 1 aux observations de la requérante sur l'exception d'irrecevabilité, déposée au greffe du Tribunal le 18 février 1999, est retirée du dossier de procédure de l'affaire T-182/98.
3) La demande incidente est rejetée pour le surplus.
4) La Commission est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi qu'un tiers de ceux exposés par la requérante.
5) La requérante supportera deux tiers de ses propres dépens.