CCE, 28 juillet 1999, n° M.1543
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Sanofi / Synthélabo
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté européenne, vu l'accord sur l'Espace économique européen, et notamment son article 57, vu le règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises(1), modifié par le règlement (CE) n° 1310/97(2), et notamment son article 14, paragraphe 1, point b), après avoir donné aux entreprises intéressées l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission, vu l'avis du comité consultatif en matière de concentrations entre entreprises, considérant ce qui suit:
(1) Sanofi est une société anonyme de droit français, dont 53,61 % des actions sont détenues directement ou indirectement par Elf-Aquitaine, le reste étant détenu par des investisseurs privés. Sanofi est présente dans trois secteurs d'activités: le secteur de la santé, où elle intervient essentiellement en pharmacie, mais aussi dans les domaines des diagnostics et de la santé animale, le secteur de la chimie et le secteur des produits de beauté, où elle produit et commercialise des parfums et des cosmétiques.
(2) Synthélabo est une société anonyme de droit français, dont 56,64 % des actions sont détenues par L'Oréal, le reste étant détenu par des investisseurs privés. Synthélabo est présente dans deux secteurs d'activités: le secteur de la santé, où elle intervient en pharmacie et dans le domaine biomédical, et le secteur de la chimie.
(3) Le 18 janvier 1999, les sociétés Sanofi et Synthélabo ont notifié leur projet de concentration en application de l'article 4 du règlement (CEE) n° 4064-89 (ci-après dénommé "le règlement 'concentrations'"). La notification a été déclarée incomplète le 3 février 1999 car les réponses aux questionnaires envoyés par la Commission aux concurrents et clients au titre de l'article 11 avaient montré que des informations sur un des marchés affectés (notamment les antiagrégants plaquettaires) n'avaient pas été fournies. Les parties ayant fourni les informations supplémentaires demandées par la Commission, la notification avait pris effet le 12 février 1999 et l'opération a été autorisée le 15 mars 1999 par une décision basée sur l'article 6, paragraphe 1, point b), du règlement "concentrations" (ci-après dénommée "la décision d'autorisation du 15 mars 1999").
(4) La notification initiale affirmant qu'il n'y avait aucun recoupement ni liens verticaux entre les parties au niveau des principes actifs, l'enquête réalisée auprès des concurrents et clients n'a, par conséquent, pas porté sur l'effet de l'opération sur les marchés de la morphine et de ses dérivés et la décision du 15 mars 1999 ne comporte aucune analyse des effets de l'opération en la matière. Or, la Commission a reçu cinq plaintes de tiers les 15 et 17 mars et 6 avril 1999 relatives aux conséquences concurrentielles du rapprochement de Sanofi et Synthélabo, via leurs filiales respectives Francopia et Sochibo, dans le domaine des principes actifs stupéfiants (morphine et principes actifs dérivés).
(5) Le 21 avril 1999, la Commission a donc décidé de révoquer la décision d'autorisation du 15 mars 1999, qui reposait sur des informations inexactes.
(6) Les parties ont confirmé qu'elles n'avaient pas mentionné dans leur notification du 12 février 1999 le fait qu'elles disposent chacune d'un monopole pour des principes actifs stupéfiants et ont fourni le 20 avril 1999, pour ces produits, les informations requises par le formulaire CO, qui fait partie intégrante du règlement (CE) n° 447/98 de la Commission(3) contenant les dispositions d'application du règlement "concentrations". La Commission a ensuite adopté une décision de compatibilité avec engagements le 17 mai 1999. L'engagement pris par les parties envers la Commission consiste en la cession des activités de Synthélabo dans le domaine des principes actifs stupéfiants, ce qui élimine tout recoupement résultant de l'opération de concentration dans ce domaine.
I. VIOLATION DU RÈGLEMENT "CONCENTRATIONS"
(7) La société Sanofi et la société Synthélabo ont respectivement fourni, lors de la procédure qui a abouti à l'adoption de la décision d'autorisation du 15 mars 1999, des indications inexactes s'agissant des substances actives stupéfiantes.
(8) Les activités de production et de commercialisation de principes actifs stupéfiants font l'objet d'une régulation dans le cadre de la convention des Nations unies sur les stupéfiants du 21 mars 1961. En application du Code de la santé publique en France, les pouvoirs publics ont confié à Sanofi (Francopia) le monopole de la production et de la commercialisation de la morphine technique (matière première produite à partir du pavot et de l'opium) et de ses principes actifs dérivés, les morphines sulfate et chlorhydrate et la codéine. De même, ils ont accordé à Synthélabo (Sochibo) le monopole de la production et de la commercialisation de la pholcodine (principe actif également dérivé de la morphine technique).
(9) Ces principes actifs sont utilisés dans la fabrication de produits pharmaceutiques appartenant à trois classes ATC 3: les antalgiques majeurs (N2A), les antalgiques (N2B) et les antitussifs (R5D). On note que la pholcodine et la codéine sont toutes deux utilisées dans la fabrication de médicaments antitussifs (R5D). Pour des raisons réglementaires, et par exception au principe selon lequel les marchés géographiques des principes actifs présentent une dimension au moins communautaire, les marchés géographiques pertinents pour les principes actifs stupéfiants sont nationaux.
(10) Des liens verticaux existaient avant l'opération entre les parties. Francopia, filiale de Sanofi, était le fournisseur exclusif en morphine technique de Sochibo, filiale de Synthélabo. Sanofi achetait par ailleurs de la pholcodine à Sochibo pour fabriquer des médicaments antitussifs. Enfin, les produits antitussifs de Sanofi, à base de pholcodine, sont en concurrence en aval avec des produits antitussifs à base de codéine, substance active que Sanofi fournit elle-même de façon exclusive à ses propres concurrents sur le marché des médicaments antitussifs.
(11) Or, non seulement la notification du 12 février 1999 ne contenait aucune information ni ne présentait aucune analyse concurrentielle des marchés de principes actifs stupéfiants concernés mais, de plus, elle affirmait qu'il n'y avait aucun recoupement ni liens verticaux entre les parties s'agissant de ces produits et donc aucun marché affecté par l'opération.
(12) Ainsi, en omettant, d'une part, de communiquer à la Commission des informations pertinentes et en faisant, d'autre part, des déclarations manifestement inexactes, les parties ont enfreint les dispositions contenues dans les sections 6, 7 et 8 du formulaire CO.
(13) Le règlement "concentrations" ne prévoit pas, pour son application, d'exception de minimis, et, par conséquent, l'éventuel caractère mineur du chiffre d'affaires réalisé sur un marché pertinent donné ne pourrait pas justifier l'exclusion de ces activités du formulaire de notification. De ce fait, les sociétés Sanofi et Synthélabo auraient dû, en conformité avec le règlement (CE) n° 447/98, identifier l'existence des marchés affectés précités et remplir les sections 6, 7 et 8 du formulaire CO.
II. IMPOSITION D'AMENDES
(14) Selon l'article 14, paragraphe 1, point b), du règlement "concentrations", la Commission peut, par voie de décision, infliger aux personnes visées à l'article 3, paragraphe 1, point b), aux entreprises ou aux associations d'entreprises, des amendes d'un montant de 1 000 à 50 000 euros lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles donnent des indications inexactes ou dénaturées à l'occasion d'une notification présentée en application de l'article 4.
(15) Selon l'article 14, paragraphe 3, du règlement "concentrations", pour déterminer le montant de l'amende, la Commission doit prendre en considération la nature et la gravité de l'infraction. La Commission tiendra compte, en outre, de toute circonstance aggravante ou atténuante.
Nature de la violation
(16) La violation commise respectivement par Sanofi et Synthélabo a consisté dans l'omission d'informations relatives aux substances actives et aux marchés décrits ci-dessus ainsi que dans la communication d'informations manifestement inexactes quant à l'identification des marchés affectés.
Par conséquent, les indications fournies respectivement par la société Sanofi et la société Synthélabo à l'occasion de la notification présentée le 12 février 1999 sont inexactes au sens de l'article 14, paragraphe 1, point b), du règlement "concentrations". Ces inexactitudes constituent, à tout le moins, une très grave négligence.
Gravité de la violation
(17) Dans leurs observations sur la communication des griefs de la Commission, les parties font valoir que, dans l'appréciation de la gravité de la faute commise, il conviendrait de prendre en considération le caractère marginal des produits de Synthélabo dans le domaine de principes actifs stupéfiants [qui génèrent un chiffre d'affaires d'environ [...](4)] ainsi que le caractère spécifique des activités en cause qui font l'objet, au sein des entreprises elles-mêmes, de consignes de confidentialité très strictes.
(18) Pour ce qui concerne le caractère marginal des produits concernés par l'opération, il est fait référence aux observations exposées au considérant 13. De plus, les marchés des substances actives concernés par cette opération et l'analyse qui en a été faite par la Commission dans la procédure d'évaluation de la compatibilité de l'opération avec le marché commun ne se sont pas limités à la seule pholcodine, mais comprennent l'ensemble des substances actives pertinentes (pholcodine, codéine, morphine), qui représentent un chiffre d'affaires global d'environ [...](5). À cela il faut ajouter que les effets de l'opération de concentration dans ce domaine se rapportaient aussi en aval au marché des antitussifs à base de substances actives stupéfiantes, qui représentent un chiffre d'affaires d'environ 64 millions de francs français.
(19) Quant à l'argument relatif au caractère spécifique des activités en cause, qui font l'objet de consignes de confidentialité très strictes, il est rappelé, d'une part, que les parties ne pouvaient pas ignorer l'existence des monopoles dont elles bénéficient respectivement et, d'autre part, que les principes actifs stupéfiants de Sanofi et Synthélabo ne sont pas des produits "hors marché", mais bien au contraire des substances vendues aussi à des sociétés tierces et faisant l'objet de transactions entre les parties. De ce fait, les sociétés Sanofi et Synthélabo auraient dû, en conformité avec le règlement (CE) n° 447/98, identifier l'existence des marchés affectés précités et remplir les sections 6, 7 et 8 du formulaire CO.
(20) De plus, la violation du règlement "concentrations" commise respectivement par Sanofi et Synthélabo (consistant dans la communication d'informations inexactes) peut être considérée comme une violation très grave pour les raisons suivantes.
(21) Afin d'évaluer le comportement respectif de Sanofi et de Synthélabo, il est nécessaire de rappeler qu'il s'agit de sociétés européennes de taille importante qui ont des activités significatives en Europe. Le règlement "concentrations" s'applique à des opérations conclues par des sociétés ayant une certaine dimension, qui sont censées connaître directement l'existence de la législation européenne en matière de concurrence, ou ont la faculté de se faire assister utilement. Les entreprises Sanofi et Synthélabo, respectivement, ont une connaissance détaillée des activités qu'elles exercent ainsi que l'atteste la notification présentée, dont les annexes énumèrent les substances actives que produisent les sociétés Francopia et Sochibo sans pour autant les décrire ni les analyser au regard de la position de ces entreprises sur les marchés correspondants.
Il est donc incontestable que les parties connaissaient les dispositions enfreintes et étaient en mesure de les appliquer aux substances actives décrites ci-dessus.
(22) La notification avait été déclarée incomplète par la Commission le 3 février 1999 car les réponses aux questionnaires envoyés par la Commission aux concurrents et clients au titre de l'article 11 avaient montré que des informations sur l'un des marchés affectés n'avaient pas été fournies. Dès que les informations appropriées ont été fournies par les sociétés, la notification a pris effet, le 12 février 1999. Les parties ont ainsi pu bénéficier d'un délai supplémentaire de huit jours pour reconsidérer la conformité de leur notification aux exigences du règlement (CE) n° 447/98. Le fait d'avoir déclaré incomplète la notification initiale a dû indubitablement attirer l'attention des parties et de leurs représentants sur les carences de leur travail préparatoire.
(23) Les activités respectives de Sanofi et Synthélabo, relatives aux substances actives citées ci-dessus, font l'objet d'un monopole octroyé par l'État français. La fusion de deux monopoles est susceptible, a priori, de créer une situation anticoncurrentielle lorsque, comme en l'espèce, il y a des liens horizontaux et verticaux entre ces deux monopoles, d'une part, et entre ces deux monopoles et des marchés en aval, d'autre part. Cette situation ne pouvait être ignorée des parties, qui ne pouvaient pas davantage ignorer que la fusion de leurs monopoles était susceptible de créer ou de renforcer une position dominante, compte tenu des liens horizontaux et verticaux existant entre elles. En omettant de signaler des circonstances qui sont celles d'une structure de marché exceptionnelle, les parties ont commis une faute grave.
(24) Dès l'identification du marché des substances actives en question, les parties ont promptement fourni les informations pertinentes au titre du formulaire CO et n'ont pas contesté l'existence de ces marchés affectés.
(25) Dans leurs observations sur la communication des griefs de la Commission, les parties ont aussi fait valoir qu'il conviendrait de prendre en considération également, au titre des circonstances atténuantes, le caractère tout à fait spécifique et marginal, pour Synthélabo, du produit en cause - la pholcodine -, qui expliquerait que l'omission et l'inexactitude n'étaient pas commises de propos délibéré.
(26) Pour les raisons déjà exposées aux considérants 14 et 15, cet élément ne constitue pas une circonstance atténuante.
(27) Les informations communiquées par les parties ont conduit la Commission à l'adoption de la décision d'autorisation du 15 mars 1999. Seules les informations complémentaires, communiquées par les plaignants, lui ont permis de conclure que l'opération soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun en ce qu'elle aurait mené à la création ou au renforcement d'une position dominante sur le ou les marchés affectés. Or, s'agissant de la fusion de deux monopoles, les parties ne pouvaient ignorer cette situation factuelle, de même qu'ils ne pouvaient ignorer que la connaissance de ces éléments aurait pu conduire la Commission à une conclusion négative quant à la compatibilité de l'opération, ces éléments devant être communiqués par les parties dès le stade de leur notification et non pas par des plaintes ultérieures de tiers intéressés. Ce constat a d'ailleurs conduit à la révocation de la décision d'autorisation du 15 mars 1999 ainsi qu'à l'adoption d'une décision de compatibilité avec engagements le 17 mai 1999.
Conclusion
(28) Dans le cadre des procédures engagées sur la base du règlement "concentrations", il est très important, étant donné en particulier les contraintes de délais visant à ne pas entraver les processus économiques auxquelles est soumise la Commission, que les parties à la concentration fournissent des informations complètes lors de la notification. Ces contraintes ont pour contrepartie que les entreprises doivent être particulièrement vigilantes lors de la présentation de leur opération. Dans le cadre de cette affaire, les parties ont communiqué des informations manifestement inexactes et ont fait preuve, à tout le moins, d'une négligence caractérisée.
(29) Les éléments précédents montrent que les sociétés Sanofi et Synthélabo ont fourni à la Commission des indications inexactes lors de la notification du 19 février 1999.
(30) La Commission entend infliger une amende à chacune des entreprises participant à l'opération. En effet, dans le cas de fourniture d'informations inexactes, chacune des entreprises est responsable des informations qu'elle communique, nonobstant la nomination d'un représentant unique. En l'espèce, les entreprises sont toutes deux présentes sur les marchés affectés susvisés dont elles n'ont pas fait mention. Chacune d'entre elles doit donc être tenue responsable de l'absence de communication des informations pertinentes la concernant.
(31) La Commission a le devoir de défendre le principe, essentiel à l'exercice de sa mission, de contrôle des opérations de concentration ayant une dimension communautaire qui impose aux parties notifiant une concentration de fournir des informations complètes et exactes.
Par conséquent, la Commission estime nécessaire d'infliger des amendes à l'entreprise Sanofi et à l'entreprise Synthélabo, respectivement, sur la base de l'article 14, paragraphe 1, point b), du règlement "concentrations".
III. MONTANT DES AMENDES
(32) Sur la base de ce qui précède et compte tenu des circonstances de la présente affaire, la Commission considère qu'il est opportun d'infliger une amende de 50 000 euros à chacune des entreprises ayant commis l'infraction, en application de l'article 14, paragraphe 1, point b), du règlement "concentrations", soit un total de 100 000 euros,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:
Article premier
1. Une amende égale à 50 000 euros est infligée à l'entreprise Sanofi conformément à l'article 14, paragraphe 1, point b), du règlement (CEE) n° 4064-89 pour les indications inexactes fournies lors de la notification à la Commission du 18 janvier 1999 effectuée sur la base dudit règlement.
2. Une amende égale à 50000 euros est infligée à l'entreprise Synthélabo conformément à l'article 14, paragraphe 1, point b), du règlement (CEE) n° 4064-89 pour les indications inexactes fournies lors de la notification à la Commission du 18 janvier 1999, effectuée sur la base dudit règlement.
Article 2
Les amendes mentionnées à l'article 1er seront payées à la Commission, dans les trois mois à partir de la date de notification de la présente décision, au compte bancaire n° 310-0933000-43 ouvert au nom de la Commission européenne auprès de la Banque Bruxelles-Lambert, agence européenne, rond-point Schuman 5, B-1040 Bruxelles.
À l'expiration de ce délai, des intérêts seront automatiquement dus, au taux appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations de prise en pension au premier jour ouvrable du mois d'adoption de la présente décision, plus un pourcentage égal à 3,5 points.
Article 3
Les sociétés :
Sanofi 174, avenue de France F - 75013 Paris
Synthélabo 22, avenue de Galilée , BP 82 F - 92355 Le Plessis-Robinson
sont destinataires de la présente décision.
(1) JO L 395 du 30.12.1989, p. 1; rectificatif: JO L 257 du 21.9.1990, p. 13.
(2) JO L 180 du 9.7.1997, p. 1; rectificatif: JO L 40 du 13.2.1998, p. 17.
(3) JO L 61 du 2.3.1998, p. 1; rectificatif: JO L 66 du 6.3.1998, p. 25.
(4) Certaines parties du présent texte ont été adaptées de manière à ne pas divulguer des informations confidentielles; ces parties ont été mises entre crochets et signalées par un astérisque.
(5) Certaines parties du présent texte ont été adaptées de manière à ne pas divulguer des informations confidentielles; ces parties ont été mises entre crochets et signalées par un astérisque.