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Décisions

CJCE, 5e ch., 27 avril 1999, n° C-436/97 P

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Deutsche Bahn (AG)

Défendeur :

Commission des Communautés Européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Puissochet

Avocat général :

Me Ruiz-Jarabo Colomer.

Juges :

MM. Gulmann, Edward, Sevon

CJCE n° C-436/97 P

27 avril 1999

Ordonnance

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 29 décembre 1997, Deutsche Bahn AG (ci-après " Deutsche Bahn ") a, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première Instance du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission (T-229-94, Rec. p. II-1689, ci-après " l'arrêt attaqué "), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l'annulation de la décision 94-20-CE de la Commission, du 29 mars 1994, relative à une procédure d'application des articles 85 et 86 du traité CE (IV-33.941 - Hov-SVZ/MCN) (JO L 104, p. 34, ci-après la " décision ").

2. Dans la décision, la Commission reprochait à la Deutsche Bahn, tout d'abord une infraction à l'article 85 du traité, en ce qu'elle aurait participé à une entente interdite par cette disposition, en concluant un accord relatif à la création d'un réseau de coopération dit " Maritime Container Network " (ci-après l' " accord MCN "). Ce réseau était constitué de la DB, des sociétés de chemins de fer belges et néerlandais, ainsi que de deux entreprises de transport de conteneurs maritimes, la société Transfracht dont 80 % du capital était détenu par la DB, et la société Intercontainer qui est une filiale commune de 24 entreprises ferroviaires européennes. Tandis que Transfracht opérait à l'intérieur de l'Allemagne, Intercontainer assurait les transports en Belgique et aux Pays-Bas. La Commission reprochait ensuite à la DB une infraction à l'article 86 du traité, en ce qu'elle aurait utilisé sa position dominante sur le marché des transports ferroviaires en Allemagne pour imposer des tarifs discriminatoires sur le marché des transports terrestres de conteneurs maritimes en provenance ou à destination d'Allemagne et transitant par un port allemand, belge ou néerlandais. En raison de la violation de cette dernière disposition, la Commission a infligé à Deutsche Bahn une amende de 11 000 000 écus. Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire, il est renvoyé aux points 1 à 16 de l'arrêt attaqué.

3. Le 14 juin 1994, Deutsche Bahn a formé un recours devant le Tribunal tendant, à titre principal, à l'annulation de la décision, à titre subsidiaire, à son annulation dans la mesure seulement où elle lui a infligé une amende et enfin, à titre encore plus subsidiaire, à la réduction du montant de celle-ci. Le recours a été rejeté dans son ensemble par le Tribunal.

4. Le 29 décembre 1997, Deutsche Bahn a formé le présent pourvoi, qui se limite aux constatations effectuées par le Tribunal, relatives à l'article 86 du traité.

5. A l'appui de son pourvoi, Deutsche Bahn invoque trois moyens. Le premier moyen est tiré d'une violation des exigences du principe de l'Etat de droit, qui commanderaient que l'acte reproché soit suffisamment précisé. Le deuxième moyen est tiré d'une violation du principe exigeant que l'administration des preuves ne soit pas contraire "aux règles et lois de la logique". Le troisième moyen est tiré d'une violation du principe général in dubio pro reo qui requerrait que la preuve d'une infraction soit établie de manière complète et que les doutes et incertitudes quant à cette preuve profitent à celui dont le comportement est incriminé et fassent obstacle à ce que des sanctions lui soient infligées.

6. Deutsche Bahn conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué en ce qu'il rejette la demande d'annulation des articles 2 à 4 de la décision, à ce que soient déclarés nuls et non avenus lesdits articles 2 à 4 et à ce que la Commission soit condamnée aux dépens.

7. La Commission soutient que, par son pourvoi, Deutsche Bahn cherche en réalité à obtenir un nouvel examen des faits par la Cour, sans indiquer concrètement quelle violation de droit aurait été commise par le Tribunal. Elle conclut donc, à titre principal, au rejet du pourvoi comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme non fondé, ainsi qu'à la condamnation de Deutsche Bahn aux dépens.

8.En vertu de l'article 119 de son règlement de procédure, lorsque le pourvoi est manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, le rejeter par voie d'ordonnance motivée.

Sur le premier moyen

9. Par son premier moyen, Deutsche Bahn soutient que l'arrêt attaqué ne caractérise pas suffisamment le comportement reproché à la DB, mais se borne à faire état d'indices, sans que soit établie la preuve concrète de la prétendue violation de l'article 86 du traité.

10. A cet égard, il suffit de constater qu'il ressort clairement de l'arrêt attaqué que le Tribunal a caractérisé le comportement reproché à la DB, à savoir l'abus de sa position dominante en imposant des tarifs discriminatoires sur le marché des transports terrestres de conteneurs maritimes en provenance ou à destination de l'Allemagne, d'une part, en démontrant, au point 86 de l'arrêt attaqué, l'existence d'un écart sensible entre les prix pratiqués sur les routes respectives, qu'il a qualifié de discriminatoire, et, d'autre part, en constatant, aux points 80 à 83, que la DB avait agi de façon à influencer la fixation des prix sur les trajets de l'ouest en utilisant sa position au sein de l'accord MCN ainsi qu'en instaurant unilatéralement un nouveau système tarifaire qui a conduit à une baisse des prix encore plus importante au profit des transports sur les trajets à destination et en provenance du nord.

11. Le Tribunal a ainsi suffisamment caractérisé l'abus de position dominante, au sens de l'article 86 du traité.Le premier moyen n'est donc manifestement pas fondé.

Sur le deuxième moyen

12. Par son deuxième moyen, Deutsche Bahn évoque un certain nombre de contradictions dans la motivation de l'arrêt attaqué, qui se rapportent toutes au fait que le Tribunal, d'une part, a déclaré que la DB entendait maintenir les tarifs d'Intercontainer à un niveau élevé, tandis que, d'autre part, il a constaté que les prix facturés par la DB à Intercontainer étaient en moyenne inférieurs aux prix qu'elle réclamait à Transfracht sur le trajet nord.

13. Quant au bien fondé de ce grief, la Commission soutient à juste titre qu'il convient de distinguer entre le prix réclamé par la DB à Intercontainer pour les services de chemins de fer, d'une part, et les tarifs globaux facturés par Intercontainer à ses clients pour l'ensemble des prestations de transport des conteneurs du lieu de départ jusque sur les navires de charge, d'autre part. Il s'agit en effet de deux éléments différents, le premier n'étant que l'un des éléments prix en considération pour déterminer le niveau du second.

14. S'il est vrai qu'il peut apparaître plus raisonnable d'augmenter le prix d'une prestation particulière pour atteindre un haut niveau des tarifs globaux, il n'en reste pas moins que celui-ci peut coexister avec un bas niveau de prix pour des prestations particulières, ce qui, selon le Tribunal, s'est produit dans le cas d'espèce. En effet, le Tribunal a constaté que la DB avait bien mis en œuvre une telle pratique et a considéré que celle-ci permettait d'établir qu'elle avait voulu se procurer un avantage sur ses concurrents non pas par le moyen de certains éléments du prix, mais par la voie d'un détournement du commerce ou de grandes parties de celui-ci. Il s'ensuit que, si le comportement de la DB pouvait paraître illogique, le raisonnement du Tribunal, quant à lui, ne contient aucune contradiction et n'est donc pas entaché d'irrégularité.

15. Il en résulte que le deuxième moyen est également manifestement non fondé.

Sur le troisième moyen

16. Par son troisième moyen, Deutsche Bahn conteste en réalité plusieurs points des constatations effectuées par le Tribunal en ce qui concerne la preuve du comportement reproché à la DB.

17. A cet égard, il convient de rappeler qu'il résulte de l'article 168 A du traité CE et de l'article 51 du statut CE de la Cour de justice que le pourvoi est limité aux questions de droit et doit être fondé sur des moyens tirés de l'incompétence du Tribunal, d'irrégularités de procédure devant le Tribunal portant atteinte aux intérêts de la partie requérante ou de la violation du droit communautaire par ce dernier.

18. Il résulte également des dispositions susmentionnées que le pourvoi ne peut s'appuyer que sur des moyens portant sur la violation de règles de droit, à l'exclusion de toute appréciation des faits. Le Tribunal est seul compétent, d'une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l'inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d'autre part, pour apprécier ces faits (voir, notamment, arrêt du 28 mai 1998, Deere/Commission, C-7-95 P, Rec. p. I-3111, point 21).

19. En l'espèce, il ressort de l'examen des arguments invoqués par Deutsche Bahn que celle-ci se borne à contester l'appréciation des éléments de preuve à laquelle le Tribunal a procédé. Son argumentation consiste à soutenir que le Tribunal aurait dû tirer d'autres conclusions que celles qu'il a adoptées au vu des éléments de preuve présentés devant lui. Ainsi que la Cour l'a déjà fait itérativement jugé, il appartient cependant au seul Tribunal d'apprécier la valeur qu'il convient d'attribuer aux éléments de preuve produits devant lui. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments qui n'est pas invoquée en l'espèce, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (voir, en ce sens, arrêts du 2 mars 1994, Hilti/Commission, C-53-92 P, Rec. I-667, point 42, et du 11 juin 1998, H/Commission, C-291-97 P, Rec. p. I-3577, point 19).

20. Le troisième moyen est dès lors manifestement irrecevable.

21. Il s'ensuit que, en application de l'article 119 du règlement de procédure, le pourvoi doit être rejeté en partie comme manifestement irrecevable et en partie comme manifestement non fondé.

Sur les dépens

22. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de Deutsche Bahn et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

Ordonne :

1) Le pourvoi est rejeté.

2) Deutsche Bahn AG est condamnée aux dépens.