Livv
Décisions

CJCE, 5e ch., 4 mars 1999, n° C-119/97 P

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

PARTIES

Demandeur :

Union française de l'express, DHL International (SA), Service CRIE

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, May Courier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Puissochet

Rapporteur :

M. Wathelet

Avocat général :

M. Ruiz-Jarabo Colomer

Juges :

MM. Moitinho de Almeida, Gulmann, Edward

Avocats :

Mes Morgan de Rivery, Derenne, Art.

Comm. CE, du 30 déc. 1994

30 décembre 1994

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 22 mars 1997, l'Union française de l'express (Ufex), anciennement Syndicat français de l'express international (ci-après le "SFEI"), DHL International et Service CRIE ont, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 15 janvier 1997, SFEI e.a./Commission (T-77-95, Rec. p. II-1, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l'annulation de la décision de la Commission, du 30 décembre 1994, rejetant leur plainte introduite au titre de l'article 86 du traité CE (ci-après la "décision litigieuse").

2. Le 21 décembre 1990, le SFEI, DHL International, Service CRIE et May Courier ont déposé plainte auprès de la Commission en vue de faire constater notamment la violation de l'article 86 du traité par La Poste française (ci-après "La Poste").

3. Au regard de l'article 86, les requérants dénonçaient l'assistance logistique et commerciale qu'aurait fournie La Poste à sa filiale, la Société française de messageries internationales, devenue GDEW France en 1992 (ci-après la "SFMI"), qui opère dans le secteur du courrier rapide international. L'abus de La Poste aurait consisté à faire bénéficier la SFMI de son infrastructure à des conditions anormalement avantageuses afin d'étendre au marché connexe du courrier rapide international la position dominante qu'elle détenait sur le marché du service postal de base.

4. Par lettre du 10 mars 1992, la Commission a informé les requérants que leur plainte était rejetée.

5. Par ordonnance du 30 novembre 1992, SFEI e.a./Commission (T-36-92, Rec. p. II-2479), le Tribunal a déclaré irrecevable le recours en annulation formé contre cet acte par le SFEI, DHL International, Service Crie et May Courier. L'ordonnance a toutefois été annulée par la Cour dans l'arrêt du 16 juin 1994, SFEI e.a./Commission (C-39-93 P, Rec. p. I-2681), qui a renvoyé l'affaire devant le Tribunal.

6. Par lettre du 4 août 1994, la Commission a retiré la décision qui avait fait l'objet de la procédure devant le Tribunal. Dans une ordonnance du 3 octobre 1994, SFEI e.a./Commission (T-36-92, non publiée au Recueil), celui-ci a dès lors décidé qu'il n'y avait plus lieu à statuer.

7. Le 29 août 1994, le SFEI a mis la Commission en demeure d'agir, conformément à l'article 175 du traité CE.

8. Le 28 octobre 1994, la Commission a adressé au SFEI une lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268), l'informant de son intention de rejeter la plainte.

9. Après avoir reçu les observations du SFEI, la Commission a adopté la décision litigieuse, libellée comme suit :

"La Commission se réfère à votre plainte déposée auprès de mes services en date du 21 décembre 1990 à laquelle était annexée une copie d'une plainte séparée introduite le 20 décembre 1990 auprès du Conseil français de la concurrence. Les deux plaintes concernaient les services express internationaux de l'administration postale française.

Le 28 octobre 1994, les services de la Commission vous ont adressé une lettre sur fondement de l'article 6 du règlement n° 99-63 où il était indiqué que les éléments recueillis lors de l'instruction de l'affaire ne permettaient pas à la Commission de donner une suite favorable à votre plainte concernant les aspects au regard de l'article 86 du traité, et où vous étiez invités à soumettre des commentaires à cet égard.

Dans vos commentaires du 28 novembre dernier, vous avez maintenu votre position en ce qui concerne l'abus de position dominante de La Poste française et de la SFMI.

De ce fait, à la lumière de ces commentaires, la Commission vous informe par la présente lettre de sa décision finale à propos de votre plainte du 21 décembre 1990 en ce qui concerne l'ouverture d'une procédure au titre de l'article 86.

La Commission considère, pour les raisons détaillées dans sa lettre du 28 octobre dernier, qu'il n'y a pas dans le cas d'espèce suffisamment d'éléments prouvant que de prétendues infractions persisteraient pour pouvoir donner une suite favorable à votre demande. A cet égard, vos commentaires du 28 novembre dernier n'apportent aucun élément nouveau permettant à la Commission de modifier cette conclusion, qui est supportée par les motifs développés ci-dessous.

D'une part, le livre vert relatif aux services postaux sur le marché unique ainsi que les lignes directrices pour le développement des services postaux communautaires [COM (93)247 final du 2 juin 1993] abordent, entre autres, les principaux problèmes soulevés dans la plainte du SFEI. Bien que ces documents ne contiennent que des propositions de lege ferenda, ils doivent notamment être pris en considération pour évaluer si la Commission utilise de manière appropriée ses ressources limitées et notamment si ses services s'emploient à développer un cadre réglementaire concernant le futur du marché des services postaux plutôt que d'enquêter de sa propre initiative au sujet de prétendues infractions portées à sa connaissance.

D'autre part, une enquête menée, au titre du règlement n° 4064-89, auprès de l'entreprise commune (GD Net) créée par TNT, La Poste et quatre autres administrations postales a conduit la Commission à la publication de sa Décision du 2 décembre 1991 dans l'affaire n° IV-M.102. Par sa Décision du 2 décembre 1991, la Commission a décidé de ne pas faire obstacle à la concentration notifiée et de la déclarer compatible au regard du Marché commun. Elle a tout particulièrement mis en évidence qu'en ce qui concernait l'entreprise commune "la transaction proposée ne crée pas ou ne renforce pas de position dominante qui pourrait entraver de manière significative la concurrence dans le Marché commun ou dans une partie importante de celui-ci".

Quelques points essentiels de la Décision portaient sur l'impact que les activités de l'ex-SFMI pouvaient avoir sur la concurrence : l'accès exclusif de la SFMI aux équipements de La Poste a été réduit dans son rayon d'action et devait se terminer deux ans après la fin de la fusion, la tenant ainsi à distance de toute activité de sous-traitance de La Poste. Toute facilité d'accès légalement octroyée par La Poste à la SFMI devait être offerte, de manière similaire, à n'importe quel autre opérateur express avec lequel La Poste signerait un contrat.

Cet aboutissement rejoint tout à fait les solutions proposées pour l'avenir que vous aviez soumises le 21 décembre 1990. Vous aviez demandé que la SFMI soit contrainte de payer les services des PTT au même taux que si elle les achetait à une compagnie privée, au cas où la SFMI choisirait de continuer à utiliser ces services ; que "l'on mette fin à toutes aides et discrimination", et que "SFMI ajuste ses prix suivant la valeur réelle des services offerts par La Poste".

Dès lors, il est évident que les problèmes relatifs à la concurrence actuelle et future dans le domaine des services express internationaux que vous évoquez ont été résolus de manière adéquate par les mesures prises dès à présent par la Commission.

Si vous estimez que les conditions imposées à La Poste dans l'affaire IV-M.102 n'ont pas été respectées, notamment dans le domaine du transport et de la publicité, c'est alors à vous d'en apporter - dans la mesure du possible - les preuves, et éventuellement d'introduire une plainte sur le fondement de l'article 3.2 du règlement n° 17-62. Cependant, des phrases indiquant "qu'actuellement les tarifs (hors ristournes éventuelles) pratiqués par la SFMI demeurent substantiellement inférieurs à ceux des membres du SFEI" (page 3 de votre lettre du 28 novembre) ou que "Chronopost utilise des camions P et T comme support publicitaire" (procès-verbal de constat annexé à votre lettre) devraient être supportées par des éléments de fait justifiant une enquête par les services de la Commission.

Les actions que la Commission entreprend au titre de l'article 86 du traité ont pour objectif d'entretenir une concurrence réelle sur le marché intérieur. Dans le cas du marché communautaire des services express internationaux, eu égard au développement significatif détaillé ci-dessus, il aurait été nécessaire de fournir de nouvelles informations à propos d'éventuelles violations de l'article 86 pour permettre à la Commission de justifier son intention d'enquêter sur lesdites activités.

Par ailleurs, la Commission considère qu'elle n'est pas tenue d'examiner d'éventuelles violations des règles de concurrence qui ont eu lieu dans le passé si le seul objet ou effet d'un tel examen est de servir les intérêts individuels des parties. La Commission ne voit pas d'intérêt pour entamer une telle enquête au titre de l'article 86 du traité.

Pour les raisons mentionnées ci-dessus, je vous informe que votre plainte est rejetée."

Le recours devant le Tribunal

10. Par requête déposée le 6 mars 1995, le SFEI, DHL International, Service CRIE et May Courier ont introduit un recours en annulation devant le Tribunal en invoquant des moyens tirés notamment de la violation de l'article 86 du traité, de la notion d'intérêt communautaire, des principes de bonne administration, d'égalité et de non-discrimination. Ils ont également reproché à la Commission d'avoir commis un détournement de pouvoir.

11. En premier lieu, ils ont fait valoir que l'article 86 du traité avait été violé par la Commission dès lors qu'elle s'était fondée sur une décision d'application du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1, rectificatif 1990, JO L 257, p. 13), alors que les critères d'appréciation des faits soumis à son examen diffèrent selon que la règle juridique appliquée est l'article 86 ou ce règlement.

12. En deuxième lieu, les requérants ont soutenu que la Commission n'avait pas respecté les règles de droit relatives à l'appréciation de l'intérêt communautaire de l'affaire qui fait l'objet de la plainte. D'une part, la Commission n'aurait pas tenu compte des exigences auxquelles la jurisprudence subordonne le rejet d'une plainte pour défaut d'intérêt communautaire (arrêt du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T-24-90, Rec. p. II-2223, point 86, ci-après l'"arrêt Automec II"), à savoir l'importance de l'infraction alléguée pour le fonctionnement du Marché commun, la probabilité de pouvoir établir son existence et l'étendue des mesures d'investigation nécessaires. D'autre part, la Commission n'aurait pas expliqué comment elle pouvait avoir la certitude que les pratiques anticoncurrentielles avaient cessé.

13. En troisième lieu, les requérants ont invoqué la violation des principes de bonne administration et de non-discrimination.

14. S'agissant du principe de bonne administration, ils ont fait valoir que la Commission n'avait pas pris en compte une étude économique élaborée par un cabinet d'audit, qui avait été annexée à leur plainte.

15. Quant au principe de non-discrimination, il aurait été méconnu dès lors que la Commission avait décidé de rejeter la plainte au motif que, s'agissant uniquement d'infractions passées, une enquête n'aurait servi que les intérêts individuels des parties. Une telle motivation serait en contradiction avec de nombreuses décisions précédentes de la Commission.

16. En quatrième lieu, les requérants ont reproché à la Commission de s'être rendue coupable d'un détournement de pouvoir. A cet égard, ils ont fait valoir que les déclarations des membres de la Commission successivement en charge de la concurrence illustreraient l'attitude ambiguë de la Commission qui, publiquement, apparaîtrait comme étant attachée au respect de la concurrence dans le secteur postal, mais, en réalité, céderait aux pressions de certains États et administrations nationales.

17. Pour étayer ce point de vue, les requérants ont demandé au Tribunal d'ordonner la production d'une lettre du 1er juin 1995 du commissaire Sir Leon Brittan au président de la Commission, dont il serait ressorti que cette institution avait décidé de ne pas poursuivre les infractions dénoncées dans la plainte, préférant la mise en place d'une politique postale par le Conseil.

L'arrêt attaqué

18. Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal a déclaré inopérant le moyen tiré de la violation de l'article 86 du traité au motif que le rejet de la plainte était uniquement fondé sur le défaut d'intérêt communautaire suffisant de l'affaire en cause (points 34 et 36). A cet égard, il a relevé que, bien que la seule référence explicite à l'intérêt communautaire apparaisse dans le pénultième paragraphe de la décision litigieuse (point 31), ce paragraphe était indissociable du reste du texte, de sorte que toute la décision litigieuse était dictée par l'appréciation de l'opportunité d'intervenir ou non dans un domaine où la Commission avait déjà exercé son autorité (point 32).

19. A cet égard, le Tribunal a souligné que la Commission avait tout d'abord rappelé que le secteur des services postaux avait fait l'objet d'une analyse d'ensemble dans le cadre du Livre vert relatif aux services postaux qui a fait l'objet d'une communication en date du 11 juin 1992 et des lignes directrices pour le développement des services postaux communautaires qui a fait l'objet d'une communication en date du 2 juin 1993. Elle avait ensuite relevé que les infractions dénoncées au titre de l'article 86 du traité dans le cas particulier du courrier rapide international avaient été examinées et résolues par elle à l'occasion de la décision GD Net. Enfin, la Commission avait souligné que les plaignants n'avaient pas apporté la preuve de la persistance d'infractions et qu'elle n'avait pas à s'occuper des infractions passées sous le seul angle de l'intérêt individuel des parties (point 32).

20. Le Tribunal a ajouté que les éléments retenus dans la décision litigieuse n'auraient aucun sens s'ils devaient être considérés comme une appréciation juridique au titre de l'article 86 du traité. En effet, ne figuraient dans cette décision ni définition du marché pertinent, tant géographique que matériel, ni appréciation de la position de La Poste sur ce marché, ni qualification des pratiques au regard de l'article 86 du traité (point 33).

21. Sur le deuxième moyen, le Tribunal a estimé, en premier lieu, que, pour apprécier l'intérêt communautaire, la Commission était en droit de retenir d'autres éléments pertinents que ceux qu'il avait énumérés dans ses arrêts précédents. En effet, ainsi qu'il ressortait de l'arrêt Automec II, cette appréciation reposait nécessairement sur un examen des circonstances propres à chaque espèce, réalisé sous son contrôle (point 46).

22. En deuxième lieu, le Tribunal a considéré que la Commission pouvait légitimement décider qu'il n'était pas opportun de donner suite à une plainte dénonçant des pratiques qui avaient ultérieurement cessé. L'instruction de l'affaire et la constatation d'infractions passées n'auraient plus eu pour intérêt d'assurer une concurrence non faussée dans le Marché commun et n'auraient donc pas correspondu à la fonction attribuée à la Commission par le traité. L'objectif essentiel d'une telle procédure aurait alors été de faciliter aux plaignants la démonstration d'une faute devant les juridictions nationales en vue d'obtenir des dommages et intérêts. Il en était d'autant plus ainsi en l'espèce que la cessation des pratiques litigieuses était le résultat de l'action de la Commission (points 57 et 58).

23. En troisième lieu, le Tribunal a examiné le point de savoir si la Commission avait pu, à bon droit, conclure que, en l'espèce, les pratiques dénoncées dans la plainte avaient cessé en raison de l'adoption de la décision GD Net (point 61).

24. A cet égard, il a d'abord rappelé que, dans la décision GD Net, la Commission avait constaté que les accords notifiés contenaient une clause selon laquelle un service sous-traité par la filiale commune à une administration postale serait fourni moyennant une rémunération, dans les conditions normales du commerce. Relevant toutefois que, à la date de sa décision, les administrations postales n'avaient pas mis en place de mécanismes permettant de calculer précisément le coût de chacun des services fournis, la Commission avait considéré que des distorsions de concurrence ne pouvaient être exclues. Elle avait alors estimé qu'il n'y aurait pour les administrations postales aucune justification économique à faire bénéficier la filiale de subventions croisées, dès lors que leur part individuelle des profits de la filiale commune ne pourrait équivaloir aux possibles subventions accordées par chacune. Au demeurant, les administrations postales parties à l'opération s'étaient engagées à fournir les mêmes services à des tiers, dans des conditions identiques, aussi longtemps qu'elles ne pourraient pas établir l'absence de subventions croisées (point 62).

25. Le Tribunal a ensuite relevé que la décision GD Net concernait notamment La Poste et que, de ce fait, celle-ci se trouvait juridiquement liée par les dispositions des accords notifiés et, en particulier, par les dispositions relatives à la rémunération des services qui lui seraient sous-traités par sa filiale ainsi que par les engagements annexés à la décision litigieuse. Le Tribunal a en outre souligné que, par l'effet de l'opération de concentration, La Poste s'était retirée du marché des services de courrier rapide international, si bien qu'elle ne conservait pas d'activité propre dans ce secteur lui permettant d'échapper aux engagements pris (point 64).

26. Le Tribunal a conclu que, dès lors que La Poste était liée par les accords notifiés et par les engagements évoqués ci-dessus, la Commission pouvait à bon droit considérer que, une fois l'opération de concentration réalisée, soit, au vu des informations fournies au Tribunal, le 18 mars 1992, ces règles avaient été respectées, en l'absence d'indices de leur violation (point 68).

27. En quatrième lieu, le Tribunal a relevé que, s'ils pouvaient permettre d'établir que des services étaient effectivement sous-traités, les éléments de preuve apportés par les requérants en vue d'établir la persistance des pratiques litigieuses, à savoir, d'une part, un constat d'huissier constatant une affiche publicitaire relative au service "Chronopost" sur un véhicule de La Poste et, d'autre part, une mention, dans le corps de la lettre des requérants, selon laquelle "actuellement les tarifs pratiqués par la SFMI demeurent substantiellement inférieurs à ceux des membres du SFEI", ne permettaient pas en revanche de présumer l'existence de subventions croisées (point 69).

28. De même, selon le Tribunal, la décision de la Commission, adoptée en juillet 1996, d'ouvrir une procédure, au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité CE à l'égard d'aides présumées que la France aurait accordées à la société SFMI-Chronopost (JO 1996, C 206, p. 3), dont s'étaient prévalus les requérants à l'audience, ne permettait pas d'établir que, à la date d'adoption de la décision litigieuse, la Commission disposait d'éléments suffisants pour justifier que soit entamée une enquête au titre de l'article 86 du traité pour la période postérieure à l'adoption de la décision GD Net (point 71).

29. Quant à l'affirmation contenue dans la décision GD Net, selon laquelle il n'y aurait pas pour les administrations postales de justification économique à faire bénéficier la filiale commune de subventions croisées, le Tribunal a relevé qu'elle ne lui avait pas été déférée et qu'elle n'avait pas été contestée par les requérants dans leurs écritures (point 72).

30. En conséquence, le Tribunal a rejeté le deuxième moyen après avoir souligné que les requérants n'avaient pas été en mesure d'apporter un commencement de preuve de la persistance de subventions croisées, de nature à justifier l'ouverture d'une enquête (point 73).

31. S'agissant du troisième moyen, le Tribunal a souligné que, dans la décision litigieuse, la Commission avait rejeté la plainte pour défaut d'intérêt communautaire essentiellement parce que les pratiques avaient cessé en raison de la décision GD Net. Dans ces conditions, l'absence d'exploitation d'un rapport d'expertise se rapportant à une période antérieure à l'adoption de la décision GD Net ne pouvait constituer une violation du principe de bonne administration (point 100).

32. En ce qui concerne le principe de non-discrimination, le Tribunal a tout d'abord constaté que les requérants n'avaient pas établi que, dans une situation comparable à celle de l'espèce, dans laquelle des pratiques litigieuses auraient cessé en raison d'une décision antérieure de la Commission, celle-ci aurait néanmoins entamé une enquête au titre de l'article 86 du traité sur les faits passés (point 102).

33. Ensuite, le Tribunal a estimé que les requérants ne pouvaient se prévaloir d'une discrimination dans l'application de l'article 86 du traité puisque la décision litigieuse était uniquement fondée sur le défaut d'intérêt communautaire, si bien que la Commission n'avait pas qualifié les faits reprochés au regard de cet article (point 103).

34. Quant au quatrième moyen pris d'un détournement de pouvoir, le Tribunal a estimé que les observations des requérants tirées d'une lettre qu'aurait adressée Sir Leon Brittan au président de la Commission, qui n'était pas produite au dossier et dont aucun élément ne permettait même de confirmer l'existence, ne reposaient que sur des allégations non étayées et, partant, non susceptibles de constituer des indices de nature à conclure à l'existence d'un détournement de pouvoir (point 117).

35. Au vu de ces éléments, le Tribunal a rejeté le quatrième moyen.

36. Par conséquent, le Tribunal a rejeté le recours et condamné les requérants aux dépens.

Le pourvoi

37. A l'appui de leur pourvoi, les requérants invoquent douze moyens.

38. En premier lieu, le Tribunal aurait dénaturé la décision litigieuse.

39. En deuxième lieu, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en estimant que la Commission pouvait fonder la décision litigieuse sur une décision relative à une autre affaire concernant des parties différentes, ayant un objet partiellement différent et une base juridique distincte.

40. En troisième lieu et à titre subsidiaire, le Tribunal, en procédant de la sorte, aurait introduit une contradiction dans la motivation de l'arrêt attaqué.

41. En quatrième lieu, l'arrêt attaqué serait dépourvu de base légale.

42. En cinquième lieu, le Tribunal n'aurait pu légalement déduire des pièces du dossier que la Commission avait valablement pu constater la cessation des infractions.

43. En sixième lieu, le Tribunal aurait méconnu les règles de droit relatives à l'appréciation de l'intérêt communautaire.

44. En septième lieu, le Tribunal aurait violé l'article 86, lu en combinaison avec les articles 3, sous g), 89 et 155 du traité CE.

45. En huitième lieu, le Tribunal aurait méconnu les principes d'égalité, de la sécurité juridique et de la protection de la confiance légitime.

46. En neuvième lieu, le Tribunal aurait violé la notion de "situations comparables" dans le cadre de l'examen du moyen relatif au principe d'égalité.

47. En dixième lieu, le Tribunal aurait méconnu le principe de bonne administration.

48. En onzième lieu, le Tribunal se serait abstenu de répondre à un point fondamental de l'argumentation des requérants, relatif au fondement du rejet par la Commission de leur plainte.

49. Enfin, le Tribunal aurait commis des erreurs de droit dans l'application de la notion de détournement de pouvoir du fait qu'il n'aurait pas examiné toutes les pièces invoquées.

Sur le premier moyen

50. Dans la première branche de leur premier moyen, les requérants soutiennent que le Tribunal a dénaturé la décision litigieuse en niant qu'elle était fondée sur deux motifs distincts, à savoir l'existence du Livre vert relatif aux services postaux et des lignes directrices pour le développement des services postaux communautaires, d'une part, et la décision GD Net, d'autre part.

51. Dans la seconde branche du premier moyen, les requérants font valoir que le Tribunal a également dénaturé la décision litigieuse en y introduisant un motif tiré de l'"intérêt communautaire" qui n'y était pas mentionné.

52. A cet égard, il suffit de constater que le Tribunal a pu à bon droit considérer que le défaut d'intérêt communautaire sous-tendait l'ensemble de la décision litigieuse.

53. Tout au long de celle-ci, la Commission a en effet examiné s'il était opportun qu'elle intervienne à nouveau dans un domaine dans lequel elle avait déjà pris des initiatives telles que le Livre vert, les lignes directrices et la décision GD Net. Ces initiatives n'ayant été mentionnées que dans cette optique, elles ne sauraient être regardées comme des motifs autonomes de rejet de plainte.

54. Au vu de ces considérations, il y a lieu de rejeter le premier moyen.Sur le deuxième moyen

55. Par leur deuxième moyen, les requérants reprochent au Tribunal d'avoir commis une erreur de droit en déclarant que la Commission pouvait, pour fonder la décision litigieuse, se référer à une autre décision.

56. Selon eux, toute décision juridictionnelle ou administrative doit se suffire à elle-même, l'auteur de cette décision devant se déterminer d'après les circonstances particulières de l'espèce.

57. Il convient d'observer que, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 20 de ses conclusions, la motivation d'un acte administratif peut faire référence à d'autres actes et, en particulier, faire état de la teneur d'un acte antérieur, surtout s'il est connexe.

58. Par conséquent, en admettant que, dans la décision litigieuse, la Commission se soit référée à la décision GD Net pour considérer que celle-ci avait entraîné la cessation des pratiques dénoncées, compte tenu du fait qu'elle liait juridiquement La Poste, laquelle, par l'effet de l'opération de concentration, se retirait du marché des services de courrier rapide international, le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit.

59. Le deuxième moyen doit dès lors être rejeté.

Sur le troisième moyen

60. Par leur troisième moyen, subsidiaire par rapport au précédent, les requérants font valoir que, s'il apparaissait que le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en admettant que la Commission ait motivé la décision litigieuse par renvoi à la décision GD Net, l'arrêt attaqué devrait être annulé pour contradiction de motifs.

61. Selon les requérants, il ressort en effet des points 32 et 67 de l'arrêt attaqué que l'ensemble des faits et infractions dénoncés dans la plainte au titre de la violation de l'article 86 du traité ont fait l'objet d'une appréciation en fait et en droit dans le cadre de la décision GD Net. Dès lors que la décision litigieuse renverrait à la motivation de la décision GD Net, l'arrêt attaqué contiendrait une contradiction de motifs lorsqu'il affirme par ailleurs que la décision litigieuse n'avait pas qualifié les pratiques dénoncées au regard de l'article 86 du traité.

62. A cet égard, il suffit de relever que le Tribunal s'est borné à constater que, dans la décision litigieuse, la Commission avait rejeté la plainte faute d'un intérêt communautaire suffisant et que, dès lors, elle n'était pas tenue de qualifier les pratiques litigieuses au regard de l'article 86 du traité. Par ailleurs, ainsi que cela ressort du point 58 du présent arrêt, la portée de la référence à la décision GD Net est limitée puisque, d'une part, elle sert à poser en prémisse que, même si les pratiques incriminées avaient effectivement eu lieu dans le passé, cette décision avait entraîné leur disparition et, d'autre part, elle ne concerne pas la qualification de ces pratiques à laquelle la Commission aurait procédé au regard de l'article 86 du traité dans la décision GD Net.

63. L'arrêt attaqué ne comportant dès lors aucune contradiction, il y a lieu de rejeter le troisième moyen.

Sur le quatrième moyen

64. Par leur quatrième moyen, les requérants reprochent au Tribunal de ne pas avoir procédé aux recherches nécessaires pour vérifier si la Commission était en mesure de constater la prétendue absence de subventions croisées entre La Poste et sa filiale.

65. Ils lui font en particulier grief de ne pas avoir pris en compte une série d'éléments qu'ils ont portés à sa connaissance et qui accréditeraient la thèse de la persistance de subventions après 1991, tels que le défaut de comptabilité analytique de La Poste, l'utilisation de l'image de marque de celle-ci par la SFMI et une étude économique déposée par le gouvernement français dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt du 11 juillet 1996, SFEI e.a. (C-39-94, Rec. p. I-3547).

66. A cet égard, il suffit de rappeler que l'appréciation par le Tribunal des éléments de preuve qui lui sont présentés ne constitue pas une question de droit soumise au contrôle de la Cour dans le cadre du pourvoi, sauf en cas de dénaturation de ces éléments ou lorsque l'inexactitude matérielle des constatations du Tribunal ressort des documents versés au dossier (arrêts du 2 mars 1994, Hilti/Commission, C-53-92 P, Rec. p. I-667, point 42 ; du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C-136-92 P, Rec. p. I-1981, points 48 et 49, et du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission, C-241-91 P et C-242-91 P, Rec. p. I-743, point 67 ; voir, également, ordonnance du 17 septembre 1996, San Marco/Commission, C-19-95 P, Rec. p. I-4435, point 39), ce que ne soutiennent pas les requérants.

67. Le quatrième moyen est, par conséquent, irrecevable.

Sur le cinquième moyen

68. Dans la première branche du cinquième moyen, les requérants soutiennent que, au point 68 de l'arrêt attaqué, le Tribunal ne pouvait légalement déduire des pièces du dossier que la Commission était fondée à constater que les infractions avaient cessé dès l'adoption de la décision GD Net.

69. Selon les requérants, cette affirmation est démentie par le texte même de la décision GD Net qui prévoyait que les engagements pris par les entreprises concernées ne prendraient cours qu'au 18 mars 1995. La Commission n'aurait pu dès lors, en 1994, se fonder sur ces engagements pour conclure que les pratiques dénoncées avaient cessé.

70. Il y a lieu de relever que, au point 72 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que, indépendamment de l'application desdits engagements,

"les parties à l'opération de concentration notifiée demeurent tenues par les clauses de leur contrat, en ce compris celle en vertu de laquelle tout service de sous-traitance sera fourni moyennant rémunération, dans des conditions normales du commerce ; en outre, il ressort de la décision GD Net qu'il n'y aurait pas, pour les administrations postales, de justification économique à faire bénéficier la filiale commune de subventions croisées ; cette appréciation, contenue dans la décision GD net, qui n'a pas été déférée au Tribunal, n'a pas été contestée par les requérants dans leurs écritures. En réalité, les engagements constituent une mesure supplémentaire à la charge des administrations postales, les obligeant à accorder des conditions identiques, à service comparable, aux autres prestataires de services de courrier rapide international, aussi longtemps qu'elles ne pourront prouver l'absence de subventions croisées".

71. Dès lors que la Commission et le Tribunal ont estimé que, indépendamment des engagements qu'elle prévoyait, la décision GD Net était de nature à mettre fin aux pratiques incriminées, il apparaît que la première branche du cinquième moyen a trait, en tout état de cause, à un point surabondant de la motivation de l'arrêt attaqué et, partant, est inopérante. Il n'y a pas lieu, dès lors, d'examiner si, comme le soutiennent les requérants, elle soulève une question de droit ou si, au contraire, elle relève de l'appréciation des éléments de preuve par le Tribunal, auquel cas elle serait irrecevable.

72. Il y a lieu, par conséquent, de rejeter la première branche du cinquième moyen.

73. Dans la seconde branche du cinquième moyen, les requérants critiquent l'affirmation figurant au point 71 de l'arrêt attaqué, selon laquelle la décision de la Commission, adoptée en juillet 1996, d'ouvrir une procédure, au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité à l'égard d'aides présumées que la France aurait accordées à la société SFMI-Chronopost, précitée, "ne permet pas d'établir que, à la date d'adoption de la décision, la Commission disposait d'éléments suffisants pour justifier que soit entamée une enquête au titre de l'article 86 du traité pour la période postérieure à l'adoption de la décision GD Net".

74. A cet égard, il suffit de constater que, se rapportant à l'examen des preuves produites devant le Tribunal et donc à l'appréciation des faits, la seconde branche du cinquième moyen ne saurait être examinée dans le cadre d'un pourvoi.

75. Il y a lieu, par conséquent, de rejeter la seconde branche du cinquième moyen.

Sur les sixième et huitième moyens

76. Par leur sixième moyen, les requérants soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l'appréciation de l'intérêt communautaire. Il résulterait en effet du terme "notamment" employé au point 86 de l'arrêt Automec II, précité, que la Commission est soumise à l'obligation d'apprécier l'intérêt communautaire au moins au regard des éléments qui y sont énumérés, lesquels sont seulement susceptibles d'être complétés, en fonction des circonstances, par d'autres éléments spécifiques à l'espèce. A défaut, la notion d'intérêt communautaire deviendrait une notion vague, définie au coup par coup par la Commission elle-même.

77. Les requérants soulignent que la formule figurant au point 86 de l'arrêt Automec II a été reproduite dans tous les arrêts postérieurs du Tribunal qui portaient sur l'évaluation de l'intérêt communautaire (arrêts du 24 janvier 1995, BEMIM/Commission, T-114-92, Rec.p. II-147, point 80, et Tremblay e.a./Commission, T-5-93, Rec. p. II-185, point 62).

78. Par leur huitième moyen, les requérants soutiennent que l'affirmation du Tribunal figurant au point 46 de l'arrêt attaqué, selon laquelle la Commission n'était pas tenue de se référer aux éléments définis par la jurisprudence communautaire pour apprécier l'existence ou non d'un intérêt communautaire à poursuivre l'examen d'une plainte, constitue une violation des principes de la sécurité juridique, de la protection de la confiance légitime et d'égalité.

79. Étant donné que l'évaluation de l'intérêt communautaire présenté par une plainte est fonction des circonstances de chaque espèce, il ne convient ni de limiter le nombre des critères d'appréciation auxquels la Commission peut se référer ni, à l'inverse, de lui imposer le recours exclusif à certains critères.

80. Dans un domaine tel que celui du droit de la concurrence, le contexte factuel et juridique peut, en effet, différer considérablement d'une affaire à l'autre, de sorte qu'il est loisible au Tribunal de retenir des critères qui n'avaient pas été envisagés jusqu'alors.

81. Ainsi que l'a relevé M. l'avocat général aux points 59 et 93 de ses conclusions, faire droit au x moyen s invoqué s par les requérants reviendrait à figer la jurisprudence.

82. Il y a lieu dès lors de rejeter les sixième et huitième moyens.

Sur le septième moyen

83. Par leur septième moyen, les requérants font valoir que la conception du rôle de la Commission dans le cadre du contrôle du respect de l'article 86 du traité qu'a retenue le Tribunal est erronée. Contrairement à ce qui résulte des points 56 à 58 de l'arrêt attaqué, la cessation de pratiques anticoncurrentielles ne suffirait pas à rétablir une situation de concurrence acceptable dès lors qu'auraient persisté les déséquilibres structurels que ces pratiques auraient provoqués. Une intervention de la Commission dans de telles circonstances relèverait bien de sa mission qui est de veiller à l'établissement et au maintien d'un régime de concurrence non faussé dans le Marché commun.

84. Les requérants ajoutent que, en l'espèce, les subventions croisées de La Poste vers sa filiale SFMI-Chronopost ont permis à cette dernière d'entrer sur le marché du courrier exprès international et de s'y octroyer une position de leader en deux années seulement. A supposer même que ces subventions croisées aient cessé, elles auraient altéré la concurrence et continueraient nécessairement de la fausser.

85. La constatation des infractions en cause aurait permis à la Commission d'assortir la décision litigieuse de toutes mesures utiles au rétablissement d'une situation concurrentielle saine.

86. Il y a lieu de rappeler tout d'abord que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la Commission est tenue d'examiner attentivement l'ensemble des éléments de fait et de droit qui sont portés à sa connaissance par les plaignants (arrêts du 11 octobre 1983, Demo-Studio Schmidt/Commission, 210-81, Rec. p. 3045, point 19 ; du 28 mars 1985, CICCE/Commission, 298-83, Rec. p. 1105, point 18, et du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission, 142-84 et 156-84, Rec. p. 4487, point 20). De plus, les plaignants sont en droit d'être fixés sur le sort de leur plainte par une décision de la Commission, susceptible de faire l'objet d'un recours juridictionnel (arrêt du 18 mars 1997, Guérin automobiles/Commission, C-282-95 P, Rec. p. I-1503, point 36).

87. Toutefois, l'article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), ne confère pas à l'auteur d'une demande présentée en vertu dudit article le droit d'exiger de la Commission une décision définitive quant à l'existence ou l'inexistence de l'infraction alléguée (arrêt du 18 octobre 1979, Gema/Commission, 125-78, Rec. p. 3173, points 17 et 18).

88. En effet, la Commission, investie par l'article 89, paragraphe 1, du traité CE de la mission de veiller à l'application des principes fixés par les articles 85 et 86 du traité, est appelée à définir et à mettre en œuvre l'orientation de la politique communautaire de la concurrence (arrêt du 28 février 1991, Delimitis, C-234-89, Rec. p. I-935, point 44). Afin de s'acquitter efficacement de cette tâche, elle est en droit d'accorder des degrés de priorité différents aux plaintes dont elle est saisie.

89. Le pouvoir discrétionnaire dont dispose la Commission à cet effet n'est cependant pas sans limites.

90. D'une part, la Commission est astreinte à une obligation de motivation lorsqu'elle refuse de poursuivre l'examen d'une plainte.

91. La motivation devant être suffisamment précise et détaillée pour mettre le Tribunal en mesure d'exercer un contrôle effectif sur l'exercice par la Commission de son pouvoir discrétionnaire de définir des priorités (arrêt du 19 octobre 1995, Rendo e.a.-Commission, C-19-93 P, Rec. p. I-3319, point 27), cette institution est tenue d'exposer les éléments de fait dont dépend la justification de la décision et les considérations juridiques qui l'ont amenée à prendre celle-ci (arrêts BAT et Reynolds/Commission, précité, point 72, et du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43-82 et 63-82, Rec. p. 19, point 22).

92. D'autre part, la Commission ne peut, lorsqu'elle arrête des ordres de priorité dans le traitement des plaintes dont elle est saisie, considérer comme exclues a priori de son champ d'action certaines situations qui relèvent de la mission qui lui est impartie par le traité.

93. Dans ce cadre, la Commission est tenue d'apprécier dans chaque espèce la gravité des atteintes alléguées à la concurrence et la persistance de leurs effets. Cette obligation implique notamment qu'elle tienne compte de la durée et de l'importance des infractions dénoncées ainsi que de leur incidence sur la situation de la concurrence dans la Communauté.

94. Lorsque des effets anticoncurrentiels persistent après la cessation des pratiques qui les ont causés, la Commission demeure donc compétente, au titre des articles 2, 3, sous g) et 86 du traité, pour agir en vue de leur élimination ou de leur neutralisation (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6-72, Rec. p. 215, points 24 et 25).

95. La Commission ne peut donc se fonder sur le seul fait que des pratiques prétendues contraires au traité ont cessé pour décider de classer sans suite pour défaut d'intérêt communautaire une plainte dénonçant ces pratiques, sans avoir vérifié que des effets anticoncurrentiels ne persistaient pas et que, le cas échéant, la gravité des atteintes alléguées à la concurrence ou la persistance de leurs effets n'étaient pas de nature à conférer à cette plainte un intérêt communautaire.

96. Au vu des considérations qui précèdent, force est de constater que le Tribunal, en jugeant, sans s'assurer qu'il ait été vérifié que les effets anticoncurrentiels ne persistaient pas et, le cas échéant, n'étaient pas de nature à conférer à la plainte un intérêt communautaire, que l'instruction d'une plainte relative à des infractions révolues ne correspondait pas à la fonction attribuée à la Commission par le traité, mais servait essentiellement à faciliter aux plaignants la démonstration d'une faute afin d'obtenir des dommages et intérêts devant les juridictions nationales, a retenu une conception erronée de la mission de la Commission dans le domaine de la concurrence.

97. Le septième moyen est dès lors fondé.

Sur le neuvième moyen

98. Par leur neuvième moyen, les requérants reprochent au Tribunal d'avoir adopté, au point 102 de l'arrêt attaqué, une interprétation excessivement réductrice de la notion de situations comparables pour écarter le moyen qu'ils avaient tiré de la violation par la Commission du principe d'égalité, violation qui aurait consisté dans l'adoption d'une attitude différente de celle adoptée dans d'autres affaires.

99. A cet égard, il suffit de constater que les requérants n'ont pas été en mesure d'invoquer une affaire dans laquelle, nonobstant une décision antérieure, la Commission aurait entamé une enquête au titre de l'article 86 du traité sur des pratiques qu'elle aurait jugées révolues. Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que le Tribunal a commis une erreur dans l'appréciation de la comparabilité des situations en estimant que les requérants n'avaient pas établi la violation du principe d'égalité.

100. Il y a lieu dès lors de rejeter le neuvième moyen.

Sur le dixième moyen

101. Par leur dixième moyen, les requérants font grief au Tribunal d'avoir violé le principe de bonne administration en estimant, au point 100 de l'arrêt attaqué, que le défaut d'exploitation par la Commission d'un rapport d'expertise soumis par le plaignant, qui tendait à démontrer, pour la période antérieure à la décision GD Net, l'existence des pratiques incriminées, ne constituait pas un manquement à ce principe.

102. Dès lors qu'il concernait uniquement une période antérieure à celle de la cessation présumée des pratiques incriminées, le rapport concerné apparaissait comme étant dénué de pertinence pour apprécier l'opportunité de poursuivre l'enquête. Dans ces conditions, le Tribunal a pu juger à bon droit que la Commission n'était pas tenue de l'exploiter.

103. Le dixième moyen doit dès lors être rejeté.

Sur le onzième moyen

104. Par leur onzième moyen, les requérants reprochent au Tribunal de ne pas avoir répondu à un point fondamental de leur argumentation, tiré des différences de fondement entre le premier rejet de la plainte, signifié par lettre du 10 mars 1992, et son rejet définitif, qui constitue l'objet de la décision litigieuse.

105. A cet égard, il convient de constater que, comme M. l'avocat général l'a démontré au point 29 de ses conclusions, le Tribunal a reproduit ce moyen au point 22 de l'arrêt attaqué et l'a rejeté au point 35.

106. Il y a donc lieu de rejeter le onzième moyen.

Sur le douzième moyen

107. Par leur douzième moyen, les requérants reprochent au Tribunal d'avoir statué sur le moyen tiré d'un détournement de pouvoir sans avoir examiné toutes les pièces qu'ils avaient invoquées.

108. Ainsi, au point 117 de l'arrêt attaqué, le Tribunal aurait estimé qu'une lettre adressée par Sir Leon Brittan au président de la Commission ne constituait pas un indice suffisant du détournement de pouvoir au motif qu'elle n'était pas produite au dossier et qu'aucun élément ne permettait même d'en confirmer l'existence.

109. Dès lors que les requérants avaient expressément demandé au Tribunal d'ordonner la production de ladite lettre, celui-ci aurait commis une erreur de droit dans l'application de la notion de détournement de pouvoir en jugeant, sans se donner les moyens de l'examiner, qu'elle ne constituait pas un indice suffisant.

110. Il y a lieu de relever que le Tribunal ne pouvait rejeter la demande des requérants d'ordonner la production d'un document apparemment pertinent pour la solution du litige aux motifs que ce document n'était pas produit au dossier et qu'aucun élément ne permettait d'en confirmer l'existence.

111. En effet, il y a lieu de constater qu'il ressort du point 113 de l'arrêt attaqué que les requérants avaient indiqué l'auteur, le destinataire et la date de la lettre dont ils demandaient la production. Mis en présence de tels éléments, le Tribunal ne pouvait se contenter de rejeter les allégations des parties pour insuffisance de preuve, alors qu'il dépendait de lui, en faisant droit à la demande des requérants d'ordonner la production de pièces de lever l'incertitude qui pouvait exister quant à l'exactitude de ces allégations ou d'expliquer les raisons pour lesquelles un tel document ne pouvait, en tout état de cause et quel que soit son contenu, être pertinent pour la solution du litige.

112. Le douzième moyen est dès lors fondé.

113. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de déclarer fondés les septième et douzième moyens et, partant, d'annuler l'arrêt attaqué.

Sur le renvoi de l'affaire devant le Tribunal

114. Aux termes de l'article 54, premier alinéa, du statut CE de la Cour de justice, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d'être jugé, soit renvoyer l'affaire devant le Tribunal pour qu'il statue. Le litige n'étant pas en état d'être jugé, il y a lieu de renvoyer l'affaire devant le Tribunal.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1) L'arrêt du Tribunal de première instance du 15 janvier 1997, SFEI e.a./Commission (T-77-95), est annulé.

2) L'affaire est renvoyée devant le Tribunal de première instance.

3) Les dépens sont réservés.